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ed ,m tyle S ion La L 14709 - 14 - F: 5,00 € - RD fr € 5 / 5 £ m r , l’a e d o te osit p x e t l’ ti rea c ia & ry ust nd ve i inin 014 au fém e 2 r n ien ndy vrie r, fé chas, daque lesb e i v Ro héti jan 013 Hélène— L’est 2 e r n — der mb éce positio Ar mle D l’ex n M 4— N°1 ode de de Joh s La mgalerie Les www.chanel.com La Ligne de CHANEL - Tél. : 0 800 255 005 (appel gratuit depuis un poste fixe). ULTRA BAGUES OR BLANC, CÉRAMIQUE ET DIAMANTS édito L’info ne suffit plus. Pour résister plus de 24 heures au flot continu des médias classiques et à la constellation de réseaux sociaux, il faut employer de la ruse. Le bruit a ainsi couru que le magazine Lui, nouvelle formule, ne montrerait plus de filles dénudées… Autant interviewer un général pacifique ou une fashion victim agoraphobe. La stratégie d’un Lui devenu prude semblait si incompréhensible que même les féministes en perdaient leur latin. Sauf que le magazine de l’homme moderne (baseline oubliée, bien qu’indémodable) continue d’exhiber des filles dénudées, et ne fait quasiment que cela. Il faudrait donc dire « je suis un autre » pour qu’on s’intéresse à nous. Mais rien de grave ou d’engageant (pas de « je est un autre » ici), tout ça reste léger, comme une blague Carambar… angelo cirimele Fait pour des histoires incroyables PA P I E R S C O U C HÉ S : C O N D AT M AT T P É R I GO R D C O N DAT G LO S S G RO U P C O N D AT D I G I TA L C O N D AT S I L K C O N D AT C A R D www.condat-pap.com sommaire textes p.36, 42, 60, 68 — Moodboard denim 80’s Par Florence Tétier p.37 — Interview florence müller Par Cédric Saint André Perrin p.42 — Website bernhard willhelm par Céline Mallet p.44 — Chronique art fiac j-7 Par Alexandra Stern intro p.10 — Brèves p.14 — Magazines anew document bof sleek lui p.24 — Shopping que faire avec 308 670 euros ? Photographie : Jean-Pacôme Dedieu Stylisme : Clémence Cahu p.47 — Biographie hélène rochas Par Marlène Van de Casteele p.52 — Chronique style les vies d’adèle Par Alice Pfeiffer p.53 — Ping Pong alaïa au palais galliera et par mail Par Mathieu Buard & Céline Mallet p.90 — Mode double me Photographie : Keetja Allard Stylisme : Edda Gudmundsdottir p.106 — Portfolio various 1960-2004 Photographie : Melvin Sokolsky p.116 — Collection citations Compilées par Wynn Dan p.121 — Abonnement p.122 — Agenda p.56 — Interwiew john m armleder Par Timothée Chaillou p.62 — Chronique style korean diary Par Dominique Babin p.64 — Off record art art advisors Par Angelo Cirimele p.69 — Design tartan pomme par Pierre Doze. p.74 — Layout roman cieslewicz par Pierre Ponant magazine 6 mode p.76 — Mode spotted Photographie : Anna Palma Stylisme : April Hughes E N I Z A G 3 A 1 M 0 2 9 e 9 r v i 9 l e 1 L iries, a r b i l en ble i 13. n 0 o 2 p s i e r D b décem magazine contributeurs Style, media & creative industry N° 14 - Décembre 2014, janvier, février 2014 rédacteur en chef Angelo Cirimele directeur artistique Charlie Janiaut fashion director Arabella Mills photographes Keetja Allard, Jean-Pacôme Dedieu, Charlie Janiaut & Juliette Villard (magazines), Anna Palma, Melvin Sokolsky conseil distribution Diffusion shop KD Presse - Éric Namont 14 rue des Messageries 75010 Paris T 01 42 46 02 20 kdpresse.com stylistes Clémence Cahu, April Hughes, Edda Gudmundsdottir contributeurs Dominique Babin, Mathieu Buard, Timothée Chaillou, Wynn Dan, Pierre Doze, Céline Mallet, Alice Pfeiffer, Pierre Ponant, Cédric Saint André Perrin, Alexandra Stern, Florence Tétier, Marlène Van de Casteele remerciements Arnaud Adida, Clémence Cahu, Emanuele Fontanesi, Monsieur X couverture Photographie : Anna Palma Stylisme : April Hughes Coiffure : Thomas McKiver Maquillage : Deanna Hagan Mannequin : Ana Kras Robe : Erdem, top : 10 Crosby by Derek Lam, chaussures : Dieppa Restrepo secrétaire de rédaction Anaïs Chourin traduction Rebecca Appel design original Yorgo Tloupas publicité ACP 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 [email protected] retouches Janvier imprimeur SIO 94120 Fontenay-sous-Bois Magazine est imprimé sur le papier couché Condat Silk 115 g et 250 g condat-pap.com magazine 8 d i s t r i b u t e u r f r a n c e MLP diffusion internationale Pineapple april hughes melvin sokolsky Stylist Photographer What is your main occupation these days ? Mama, Stylist and shop owner of Beautiful Dreamers in Williamsburg, Brooklyn. What colors are you wearing today ? What is your main occupation these days ? Image maker. What colors are you wearing today ? What is the last magazine you bought ? Italian Vogue. What is the last magazine you bought ? Scientific American. Issn no 1633 – 5821 CPAPP : 0418 K 90779 directeur de publication Angelo Cirimele Éditeur ACP - Angelo Cirimele 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 magazinemagazine.fr [email protected] © Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. dominique babin keetja allard Prospectiviste Photographer Votre principale occupation ces jours-ci ? Écrire, éternuer, aspirer à la post-humanité, tousser… Quelles couleurs portez-vous ? What is your main occupation these days ? Photographer and Crafter. What colors are you wearing today ? Le dernier magazine que vous avez acheté ? Je lis sur le Net et pas sur papier, donc derniers magazines likés : io9 (geek-sf) et Vulture (pop culture). What is the last magazine you bought ? The New Yorker. magazine 9 brèves La maison Valentino met l’accent sur l’accessoire avec Objects of Couture (Rizzoli), un livre conçu comme un magazine, offrant une carte blanche à des photographes et artistes de renom : Nobuyoshi Araki, David Bailey, Scheltens & Abbenes, mais aussi Philip‑Lorca diCorcia ou Douglas Gordon. Et les clous carrés de la marque n’ont pas été oubliés… board de l’Ucca, centre d’art à Pékin, devrait céder sa place à Hervé Mikaeloff, commissaire régulier d’exposition à l’Espace Louis Vuitton. L’Officiel Art will soon be getting a new editor in chief. Jérôme Sans, also a member of the board of the Ucca, an art center in Peking, will give the reins to H e r v é M i k a e l o f f , in charge of exhibits at the Espace Louis Vuitton. La maison L o u i s V u i t t o n prépare un consumer magazine, dont le premier numéro devrait paraître en septembre et remplacerait le catalogue Histoires. Diffusé en boutiques et par un mailing, il devrait être tiré à près d’un million d’exemplaires. Louis Vuitton The house of Valentino shines the spotlight on accessories in O b j e c t s o f C o u t u r e (Rizzoli). Conceived as a magazine, the book gives carte blanche to renowned artists and photographers: Nobuyoshi Araki, David Bailey, Scheltens & Abbenes, as well as Philip‑Lorca diCorcia and Douglas Gordon. And the mainstays of the brand have not been forgotten either… L’Officiel Art devrait bientôt changer de rédacteur en chef. Jérôme Sans, qui est parallèlement membre du magazine 10 is preparing a consumer magazine to replace its Stories catalogue, with the first issue due in September. Available in boutiques and via post, nearly one million copies will be printed. L’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) devrait enfin se doter d’un nouveau l o g o et délaisser le motif gribouillé de Ruedi Baur. Insatisfaite par le résultat d’un appel d’offres, l’École a offert au duo M/M (Paris) de piloter un workshop qui devrait aboutir à un nouveau logo. À moins que le duo ne le signe lui-même… The National School of Fine Arts (Ensba) will Graphic arts review Back Cover has published its 6th edition. Dedicated to J a p a n , the issue recounts meetings and happenings from a 4-month visit to the country. More on devalence.net finally get a new l o g o to replace Ruedi Baur’s scribbles. Unsatisfied by the results of an open call for designs, the school asked Parisian duo M/M to start a workshop to create a new logo. Maybe the duo will design it themselves… L’équipe du H a r p e r ’ s B a z a a r français s’étoffe : après Alexandra Senes et Daphné Hézard à la rédaction, c’est Xavier Encinas, ex-Under the Influence, qui prendra en charge la direction artistique. Premier numéro attendu en février. The French H a r p e r ’ s B a z a a r team is expanding: Alexandra Senes and Daphné Hézard have been lined up in editorial, and now Xavier Encinas, of Under the Influence, has been named to handle artistic direction. The first edition is expected in February. Le 6e numéro de la revue de graphisme Back Cover est paru. Consacré au J a p o n , il rassemble les rencontres et pratiques d’un séjour de 4 mois sur place. Plus sur devalence.net Le nouveau C a r r e a u d u T e m p l e , qui s’annonce comme le successeur du Carrousel du Louvre pour les défilés parisiens, ne devrait pas rouvrir pour les présentations automne-hiver, fin février, mais courant mars, suivant ainsi un calendrier plus politique que mode. The new C a r r e a u d u T e m p l e , the likely successor to the Carrousel du Louvre as a venue for Parisian fashion shows, will not open for FallWinter presentations at the end of February. Instead it will open in March, following a timetable more in line with the political, rather than the fashion calendar. La demande en formations aux métiers du luxe ne se dément pas et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCI) a inauguré L a F a b r i q u e , réunissant plusieurs écoles, dont l’Esiv (École supérieure des industries du vêtement), les Ateliers Grégoire (maroquinerie) ainsi que deux programmes de merchandising. Plus sur lafabrique-ecole.fr The demand for courses in the luxury industry shows no sign of slowing down. The Chamber of Commerce and Industry in Paris (CCI) has inaugurated t h e F a b r i q u e , an organization that will bring together many schools, including the Esiv (the school for the clothing industries), the Ateliers Grégoire (leather goods), and two merchandising programs. For more, got to lafabrique-ecole.fr En attendant la deuxième campagne signée de Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, Kenzo publie un « k e n z i n e », reprenant des images du making of de la campagne automne-hiver. En boutiques et en série limitée. Ahead of the new campaign by Maurizio Cattelan and Pierpaolo Ferrari, Kenzo is publishing a “K e n z i n e ”, with images from the making of the Fall-Winter campaign. In boutiques in a limited series. Ce Noël, les vitrines du Printemps accueilleront un o u r s (en peluche) et un motif à damiers, chers à Prada. Les Galeries Lafayette consacreront les leurs au conte La Belle et la Bête, sorte de teaser du film à venir. This Christmas, the windows of the Printemps will feature stuffed b e a r s and the checked pattern beloved by Prada. The Galeries Lafayette will devote theirs to the Beauty and the Beast fairytale; a kind of teaser for the upcoming movie. Courrèges lance un b a l l o n d ’ e s s a i avec une mini ligne masculine, prêt-àporter et maroquinerie. À la clé : une boutique dédiée rue François Ier. Courrèges is making its first f o r a y into menswear with a mini-line of ready-towear and leather goods, and a dedicated boutique on the Rue François Ier in Paris. analysis, to be published three times a year. Planned for early 2014, it will be directed by Philippe Thureau-Dangin, formerly of the Courrier international. Les politiques semblent avoir pris la mesure de l’importance des signes graphiques. La candidate socialiste à la mairie de P a r i s Anne Hidalgo a ainsi fait appel à H5 pour l’identité de ses outils de campagne. L’Ecal (École cantonale d’art de Lausanne) publie un livre r é t r o s p e c t i f sur la production de ses étudiants en photographie : 300 pages d’univers divers (mode, nature morte, portrait…) qui figurent une partie de la nouvelle génération. Ecal photographie, Éd. Hatje Cantz. The Ecal (Lausanne’s art school) will show off it’s students’ photography in a r e t r o s p e c t i v e book. At 300‑pages, it will feature work across the photography spectrum (fashion, still life, portraits), by the discipline’s new generation. Ecal photography, Ed. Hatje Cantz. It looks like politicians have at last understood the importance of graphic design. Anne Hidalgo, the Socialist candidate for Mayor of P a r i s has asked graphics firm H5 to assist with its campaign materials. L’INA, Institut national de l’audiovisuel, dont le nom a pris un coup de vieux, prépare une r e v u e trimestrielle d’analyse consacrée aux médias. Prévue pour début 2014, elle sera dirigée par Philippe Thureau-Dangin, ex-Courrier international. The INA, the National Audiovisual Institute, whose name has perhaps become a bit outdated, is preparing a new j o u r n a l of media Depuis octobre, l’édition italienne de GQ est designée par le directeur artistique allemand m i k e m e i r é (032c et Garage notamment). Since October, the Italian edition of GQ has been designed by the German artistic director m i k e m e i r é (of 032c and Garage). C’est passé inaperçu : H&M a demandé à ses salariés et clients de voter pour définir les axes de sa fondation c a r i t a t i v e . Outre que caritatif n’a pas toujours rimé avec communication, le fait qu’une marque n’ait pas une affirmation claire de ses valeurs et des champs dans lesquels elle souhaite intervenir laisse rêveur… It went unnoticed: H&M asked its employees and clients to vote to define the aims of its c h a r i t a b l e foundation. Charitable work has not always gone hand-in-hand with communication, but the fact that the label does not have a clear sense of its values or the areas in which it wants to operate leaves something to be desired… Probablement inspiré par le succès de l’exposition « Madame Grès » au musée Bourdelle, le musée Rodin proposera une exposition combinant des œuvres de Robert m a p p l e t h o r p e (photos et films) et des sculptures de Rodin. Ouverture en avril. magazine 11 Likely inspired by the success of the “Madame Grès” exhibit at the Musée Bourdelle, the Rodin Museum is planning an exhibit that combines the works of Robert m a p p l e t h o r p e (photos and films) and Rodin’s sculptures. Opening in April. L’expansion du salon Maison et Objet se poursuit et c’est à m i a m i que le nouveau rendez-vous se prépare (pour mai 2015), au cœur des Amériques. The expansion of design company Maison et Objet continues, with a May 2015 opening planned for m i a m i , in the U.S Alors que Lagardère cherche à se défaire de ses magazines papier, LVMH a acquis près de 10 % du capital de Madrigall, holding qui contrôle les activités de Gallimard, Flammarion et autres pourvoyeurs de c o n t e n u , démontrant par là même un appétit pour les activités qui combinent patrimoine et création. While Lagardère is looking to get rid of its print magazines, LVMH has acquired nearly 10% of Madrigall’s capital. LVMH’s interest in the company that controls Gallimard, Flammarion, and other magazine 12 c o n t e n t purveyors indicates an appetite for activities that combine heritage and creation. Trois ans après le lancement en grandes pompes de l’iPad, la part de marché des tablettes dans le lectorat des magazines s’élève à 3 , 3 % , dont le tiers composé « d’exemplaires numériques » du magazine Game Informer. Three years after the grand launch of the iPad, digital editions now make up 3 . 3 % of total magazine sales. Digital sales of the magazine Game Informer account for one third of this figure. Prada Group a choisi Coty pour développer une ligne de parfums pour la marque m i u m i u ; les fragrances Prada étant jusque-là élaborées avec Puig. The Prada Group has chosen Coty to develop a line of perfumes for the m i u m i u label; until now, Prada has worked with Puig on its fragrances. Le musée Christian Dior de g r a n v i l l e présentera une exposition « Dior et la photographie de mode » en mai 2014. Images de magazines, mais aussi publicitaires seront en vis‑à‑vis de modèles couture. Un catalogue sera publié. The Christian Dior Museum in g r a n v i l l e will mount an exhibit, “Dior and Fashion Photography,” in May 2014. Images from magazines and advertisements will be displayed along with couture designs. A catalogue will be published. Les Émirats arabes unis ne s’intéressent pas qu’aux clubs de football, le clinquant du luxe – et ses perspectives de croissance – les attire aussi. Une (grande) f a m i l l e émiratie chercherait à investir quelque 14 milliards d’euros dans le luxe ces prochaines années. Qui dit mieux ? The United Arab Emirates is not only interested in football clubs. The luxury sector—and its potential for growth—is of interest as well. A (large) f a m i l y from the Emirates is looking to invest some 14 billion euros in luxury in the next few years. Who can top that? Quelques galeries b e r l i n o i s e s auraient envie de changer d’air et projetteraient de s’installer dans le Marais ; Max Hetzler devrait ainsi inaugurer un espace fin mai. Le marché de l’art parisien n’est pas le centre du monde, mais davantage que Berlin semble-t-il. A few b e r l i n galleries are looking for a change of scene and envision a move to The designer j a s p e r m o r r i s o n has applied his the Marais; Max Hetzler will be inaugurating a space at the end of May. If the Parisian art market is not the center of the world, it is still attractive to Berlin, it seems… Un catalogue consacré à l’œuvre du t y p o g r a p h e et éditeur Jean-Jacques Sergent paraîtra en janvier 2014, il sera designé par Ich&Kar et édité par Cent pages. Plus sur ichetkar.fr A catalogue dedicated to the work of t y p o g r a p h e r and editor Jean-Jacques Sergent will be published in January 2014. It will be designed by Ich&Kar and edited by Cent pages. More on ichetkar.fr De Jay-Z à Arcade Fire, c’est la s t a t u a i r e classique et le noir et blanc qui sont de sortie sur les pochettes de leurs derniers albums. Certains graphistes auraient donc aussi un cursus en histoire de l’art… The latest albums by Jay-Z and Arcade Fire feature classic s t a t u a r y in black and white on their covers. Some graphic designers have been studying art history… elegant, uncluttered style to the world of watches. The result: Please by Issey Miyake, with a bracelet that plays with pleats. C’est au fondateur de la marque de streetwear chic a b a t h i n g a p e , Nigo, qu’Uniqlo vient de confier la direction artistique de ses T-shirts. Premiers effets attendus ce printemps. Nigo, founder of the chic streetwear brand a b a t h i n g a p e , has been named artistic designer of T-shirts at Uniqlo. The results are anticipated this spring… L’Officiel Hommes, qui ne compte pas moins de 10 éditions étrangères, présentera sur la couverture de son numéro de décembre maurizio cattelan, photographié par son compère Pierpaolo Ferrari. L’Officiel Hommes, which boasts no fewer than 10 foreign editions, will feature maurizio cattelan on the cover of its December issue, photographed by Pierpaolo Ferrari. Le designer j a s p e r m o r r i s o n a appliqué son style élégant et épuré à l’exercice de la montre. Résultat : Please d’Issey Miyake, dont le bracelet rejoue le plissé. Kate Moss devrait rejoindre le Vogue anglais ce printemps, en tant que contributing fashion editor. Dommage que l’association n’intervienne que maintenant, on aurait sinon pu découvrir une ligne éditoriale plus s e x , d r u g s & r o c k ’ n ’ r o l l ! Kate Moss will join British Vogue this spring as a “Contributing Fashion Editor.” It’s a shame that this partnership is only happening now—we’d be curious to see an editorial line that is more “s e x , d r u g s & r o c k ’ n ’ r o l l ”! Le CNAP (Centre national des arts plastiques) a décidé de mettre le graphisme à l’honneur en 2014 : commandes publiques, publications, rencontres, et à commencer par une f ê t e d u g r a p h i s m e dès janvier. Plus sur cnap.fr/ The CNAP (the National Center for Plastic Arts) is spotlighting graphic design in 2014 with public works, publications and conferences, starting in January. The year will kick off with a f e s t i v a l o f g r a p h i c a r t s . More on cnap.fr L’Ensad (arts déco) organise ses p o r t e s o u v e r t e s les 24 et 25 janvier, présentant les travaux des étudiants en design graphique, mode et photo. L’Ensad (the school of decorative arts) will hold o p e n d a y s on January 24 and 25, displaying works by its students in the fields of graphic design, fashion and photography. brought to public auction on January 23. Christie’s is organizing the sale, which will include fashion, fine art and decorative arts from the ‘30s and ‘40s. La marque française Anne Fontaine fêtera ses 2 0 a n s en 2014 avec une collection capsule – de chemisiers blancs, s’il faut préciser. French label Anne Fontaine will celebrate its 20th anniversary in 2014 with a capsule collection—of white shirts, to be precise. Bien qu’affichant un âge canonique (120 ans), la marque Petit Bateau continue de cultiver l ’ i n s o u c i a n c e de l’enfance en présentant ce qu’elle fait encore de mieux : des bêtises, sous forme de catalogue. Qui a dit que brand content devait rimer avec rasoir ? Despite its advanced age (120 years), Petit Bateau continues to cultivate the i n s o u c i a n c e of childhood, showing off what it does best: nonsense, in catalog form. Who said that brand content needed to be boring? La collection personnelle d’e l s a s c h i a p a r e l l i sera dispersée lors d’enchères publiques. Mode, beaux-arts et art décoratif, essentiellement années 30 et 40. La vente sera organisée par Christie’s le 23 janvier. e l s a s c h i a p a r e l l i ’s personal collection will be Une carte blanche a été offerte à j e a n - p a u l l e s p a g n a r d pour une exposition à la Galerie des Galeries : « Till we drop » sera inaugurée le 29 janvier. jean-paul l e s p a g n a r d was given carte blanche to mount an exhibit at the Galerie des Galeries. «Till we drop» will be inaugurated January 29. magazine 13 Magazines anew Le destin de certains magazines de style peut être bref. Ainsi Tar, magazine italien très luxueux, peutêtre trop, qui multipliait les prouesses d’impression, aura tourné la page après 10 numéros et quelque 5 ans. L’équipe a rapidement embrayé sur un nouveau projet : Anew magazine. L’équipe, c’est le commissaire Francesco Bonami, Martina Mondadori, des éditions éponymes, la styliste Coco Brandolini d’Adda, et Christoph Radl pour la direction artistique. Anew est aussi luxueux, mais peut-être plus subtilement, combinant papiers bruts et vernis, offset et couchés, poster et livret insérés… La culture italienne généreuse et la bonne humeur communicative habitent le magazine, de Extrait Driver I am the full-time driver here. I am not going to kill my employers. I have read that drivers do that now. I will make just a few observations. First, to state the obvious. My employer is a generous man. He buys many gifts, for many women, none of which is Madam. I judge not, lest I be judged. This is between him and his God. My God would smite him right there in the garden. Madam would weep for her flowers. Madam says her flowers are the toast of all of Ghana. I would note that all of us do not, alas, have bread. But her flowers are spectacular. They line the drive in pots. They burst into flames of yellow petals. They pretty the concrete walls. I had never seen such gorgeous flowers until I came to work here—or I had, but only wild ones, free. Not fed, like at the zoo. Every morning Madam walks among these gorgeous flowers in an Angelina l’édito aux petits récits qui rythment le numéro. Le sommaire est organisé comme le plan d’une maison dans laquelle on est invité : on découvre le hall d’entrée, la cuisine, le salon ; on passe devant des fenêtres… Anew est avant tout un magazine d’art, aux nombreuses propositions inédites, dans lequel pénètrent des reflets du luxe, sous forme de boîte originale d’un parfum ou de cabinet de curiosités. Le contenu magazine reste assez intemporel (du moins non relié à la saison, sinon quelques accessoires de mode) et Anew a davantage à voir avec une galerie d’art, dont les propositions seraient agrémentées de récits et de commentaires. buba with a glazed look on her face. She runs her fingers lightly through the petals as one fingers hair, the wispy hair of women for whom one buys gold plate trinkets. I would like to note that, once before, I passed her bathroom window—which is strangely low, and stranger still, undressed—while she was bathing, and I had the thought that Madam might receive more gifts more often were she not to hide her body in that dark green swamp of cloth. Madam has the contours of a girl I knew in Dansonman and sculptures sold at Arts Center and Bitter Lemon bottles. Slender top and round the rest. A perfect holy roundness that is proof of God’s existence and His goodness furthermore. Her skin is ageless, creaseless, paint. Her lower back a hiding place. The color brooks no simile. If you have been to Ghana, you know. If you have never been to Ghana then you might not understand the way the darkest skin an glow as with the purest of all lights. […] Taiye Selasi, livret inséré. Italie 248 p. semestriel 230 x 305 mm 18 € om ag.c m new a Fashion director : Coco Brandolini d’Adda magazine 14 Editor in chief : Francesco Bonami Art director : Christoph Radl Editorial director : Martina Mondadori Publisher : Fasten Seat Belt Magazines document On ne le remarque pas forcément, mais les magazines lifestyle américains sont très concentrés sur la mode – et le business qui va avec. Document, dont c’est le 3e numéro, prend le contrepied de cette tendance, en proposant un sommaire beaucoup plus transversal, mêlant art, architecture, pop culture et parfois même quelques visages connus. Les contributeurs sont parmi les plus sollicités : Paul McCarthy, David Armstrong, Nathaniel Goldberg, Jason Schmidt. Ils sont rassemblés par Nick Vogelson, un DA de la pub et de l’édition, et le styliste James Valeri. L’objet est lourd, le papier brillant, et chaque contribution apparaît comme un énième Extrait Transparent motifs Joe Goode’s five-decade-strong oeuvre started in the 60’s with his now iconic milk bottle paintings securing him a place in the pantheon of pop art. Over the years, Goode has melded traditional and nontraditional media with a diversity of references that includes everything from his Midwestern roots to life in L.A., Atget, and classic English still lives. Reached over the phone in his L.A. studio following a photo shoot with Hedi Slimane, the youthful septuagenarian freely muses about gambling, the benefits of acrylic versus oil, and how long it took him to see through his own art. FELIX BURRICHTER – How did the photo shoot go? JOE GOODE – Fine! They were here in the studio for a long time, I think for an hour and a half. I thought they’re going to do the whole document, que ce soit un texte ou une série d’images. Document est plus créatif qu’un magazine commercial, plus hors du temps également. Il sait attirer l’attention en multipliant les couvertures (en général quatre), avec un savant mix de luxe chic et de wow effect arty. Le magazine a une organisation singulière : des consultants éditoriaux (en provenance du magazine d’architecture Pin-Up), d’autres pour l’art, issus de galeries ; en somme des professionnels très occupés par ailleurs. Document fonctionne comme une sorte de réseau social et professionnel, et l’imprimé est le banc d’essai de collaborations d’une très bonne tenue. magazine on me. [Laughs] FELIX – Hedi Slimane specifically requested to photograph you. Did you know him before? JOE – No, never. FELIX – And are you familiar with his work. JOE – A little bit. FELIX – Are you interested in fashion? JOE – Not really. All my fashion comes from Uniqlo and H&M. I did buy some nice jackets in Japan that I still wear. FELIX – One of the most fascinating things I learned about you is that before you started working as an artist you made your living gambling. Is that true? JOE – I did that partly. I had other jobs and stuff when I was still living in Oklahoma City, but when I came out here [L.A.], that’s basically all I did for a short period of time. I called it supplementing my income. États-Unis 312 p. semestriel 205 x 300 mm 15 € om .c […] Felix Burrichter, p. 272 ur jo nt l na e um c do magazine 16 Editorial & design : Nick Vogelson Editorial consultants : Pierre Alexander de Looz & Felix Burrichter Creative director : James Valeri Publisher : Document publishing Magazines bof En 5 ans, le site Internet The Business of Fashion (BoF pour les intimes) s’est imposé comme une référence dans le secteur de la mode et du luxe. Une ergonomie épurée, des correspondants internationaux, un sérieux éditorial augmenté de références… Tout pour plaire aux executives pressés de l’industrie luxueuse. Et tout pour être heureux, au point qu’on se demande : que diable va faire BoF dans le papier, cette industrie moribonde et ruineuse qui remonte au xviie ? L’occasion d’un classement (les 500 qui façonnent l’industrie de la mode : designers, dirigeants, muses, retailers, créatifs, etc.), BoF a donc passé le pas d’un journal qui reprend quelques articles du site et le fameux Top 500 dans un cahier détachable. La Une précise timidement : Extrait In Defense of a Free Fashion Press The relationship between fashion houses and the press has frequently been uneasy: half love, half hate. On both sides, respect has often been limited, opportunistic and cautiously given. More than 60 years ago, Christian Dior is reported to have personally ejected a journalist he was convinced was talking illicit photographs during one of his shows. Cristobal Balenciaga did everything he could to avoid any contact with the press, with the exception of the grandes dames from American Vogue and Harper’s Bazaar in the form of Diana Vreeland and Carmel Snow—and it was only Snow who the really rated. Coco Chanel treated virtually all press as personal lackeys charged with doing her bidding and had constant feuds over how her clothes were featured in magazines. More recently, Suzy Menkes was banned for a long period by Versace. I too have been banned by Versace, McQueen and Armani, among others. Cathy Horyn has suffered the same punishment. The crime? Saying what we felt about a particular show. To refuse a journalist entrance to a show which you want to have featured in his or her newspaper is the most sterile form of punishment, not unlike the ineffectual teacher who kicks a disruptive child out of class, thereby tacitly admitting that it is the child who holds the power. I assume the fashion houses which sanction this rather silly reaction to criticism want journalists to feel ashamed. But this assumption couldn’t be more wrong. Angleterre 36 p. 230 x 340 mm 6 € Art direction & design : Jeff Taylor & Alex Ward so es n si bu Publisher : The business of fashion Ltd. f fa m co . on i sh […] Colin McDowell, p. 32 Founder & editor in chief : Imran Amed magazine 18 « special edition - autumn 2013 », sans autre engagement. Quelques enseignements : c’est le papier qui archive et qui donne de la valeur. Des annuaires professionnels au Who’s Who, seul le papier témoigne d’une inscription dans le temps, alors qu’Internet est déjà passé à autre chose depuis longtemps. Ensuite, la combinaison Internet-papier est probablement la formule de demain, articulant le chaud et le tiède, l’info qu’on aura oubliée demain et celle qui marque une étape. Et il n’est pas impossible que les praticiens d’Internet soient les plus habiles pour imaginer ce que le papier sera le plus à même de transmettre et sous quelle forme. Bonne nouvelle, nous semblons doucement tourner le dos au schisme entre les journalistes du Web et ceux du papier. Magazines sleek La récente nouvelle formule du magazine berlinois Sleek (qui paraît depuis 2002) s’organise en plusieurs sections, qui sont autant de manières d’accélérer ou de ralentir. C’est particulièrement perceptible dans ce dernier numéro, dont le thème est « Future perfect ». Les rendez-vous obligés d’un magazine de mode, comme les pièces de la saison, sont juxtaposés avec un « journal », autre papier et expériences d’artistes sur l’image, le passé et le futur, des visites d’atelier… Le thème du numéro est l’occasion de commandes : des artistes en recommandent d’autres en devenir, mais c’est aussi le lieu de contributions plus théoriques, sur le Extrait A for Afronaut Space, Man In 2012, the Spanish-Belgian, London-based photographer Cristina de Middel unveiled a series of images that put her on the cultural map overnight. “The Afronauts”, the series and book in question, was de Middel’s speculative photographic staging of a longforgotten, never-realised dream: the Zambian space exploration mission. Established by the newly-independent Zambian in 1964 as a symbol of new possibilities and a PR exercise, and forgotten soon after, the Zambian space programme and its genuine historical documents informed de Middel’s photographic fantasias (which were, in fact, shot in Spain). For de Middel, the story appealed as the antithesis of standard Western depictions of postcolonial Africa as a place of corruption, war and poverty; however absurd, the space programme had also represented magazine 20 post médium par exemple. La mode se crée un chemin sur 60 pages, mais le magazine se clôt sur un « sleek book », un abécédaire de 30 pages illustrées, consacré à la science-fiction, mots clés ou auteurs. Sleek combine donc ses 240 pages en une série de propositions avec des variations de rythme. La mode s’immisce subrepticement dans les pages art, le thème du numéro s’efface pour proposer une autre lecture quelques pages plus loin… Même s’il offre des déclinaisons numériques diverses, Sleek semble avoir trouvé ce qui l’intéresse dans le papier. independence and optimism. Perhaps that’s part of why so many others have been inspired by the Afronauts too: de Middel gave a visible embodied form to a long tradition of Twentieth Century art and thought that was Africa as a kind of metaphorical mothership, and sciencefiction as a mode which enabled black artists and—particularly—musicians to dreams of something beyond the earthly plane. Recently there has been “Black Secret Technology”, the album by A Guy Called Gerald, the name of which is an apt description of a tradition of music-making by black artists, generally outside the standard critical canon of rock, who focused on cosmic sounds and visions as ways of escaping the narrow social and racial categories of civilian life in while-dominated cultures. Earlier, George Clinton’s Parliament and Funkadelic did a kind of Furry Freak Brothers take on black sci-fi, all tits, reefers and Rabelaisian glee. […] Peter Lyle, p. 212 Allemagne 244 p. semestriel 225 x 305 mm 12 € Editor in chief : Kevin Braddock Creative director : Mario Lombardo Fashion editor : Isabelle Thiry Publisher : BBE Branded entertainment sle ek- ma g.c o m Magazines lui On s’est tous demandé pourquoi ressortir Lui 50 ans après sa création et 10 ans après l’arrêt de sa parution ? Le magazine culte d’une génération peut-il renaître sans tout changer, dès lors que tout a changé en 50 ans ? Et c’est bien cette fonction de baromètre, d’instrument de mesure des écarts que Lui endosse malgré lui. Quid des images de filles dénudées ? Sans la révolution sexuelle des années 1960 et après le régime de porno chic des années 2000, le plat semble tiède. Dénuder des stars ? L’époque en a perdu le moule et trouver des équivalents sensuels à Léa Seydoux s’annonce sportif… Lui, c’était aussi des textes, notamment des interviews d’hommes politiques sans langue de bois. À l’heure de la parole Extrait Le Parrain avait l’accent québécois France 178 p. mensuel 210 x 270 mm 2,90 € . zine aga de jeu agréable. « Un gentleman », comme le décrivent d’anciens compagnons de golf. Cette année, il n’a cependant pas fait honneur à la semaine italienne. Il y a même quelques temps qu’on ne l’a pas vu au club. « M. Rizzuto ne joue plus chez nous », assure André Boyer, le directeur général, échaudé par l’indignation des membres du club, qui avaient appris au printemps dernier que le chef de la mafia montréalaise était désormais l’un des leurs. Il est vrai qu’avec un type comme lui, il y a toujours le risque de se prendre une balle perdue. Comme celle qui a tué Joe Di Maulo, exécuté à quelques mètres de là, en novembre 2012, sur le porche de sa maison qui borde le parcours. Ce pilier de la pègre locale avait trempé dans le complot visant à renverser Vito Rizzuto de son trône. luim Montréal est gangrenée par un système mafieux qui a contraint récemment son maire à la démission. Le parrain, Vito Rizzuto, mène une guerre des clans sanglante dont personne ne voit la fin. C’est la « semaine italienne » au golf de Blainville, au nord de Montréal, avec menu spécial, animations au club house et tournoi réservé aux membres. Le genre d’événement que Vito Rizzuto ne voudrait pas rater : le golf, il adore ça. Comme dans son métier, il faut savoir frapper le coup juste, ni trop fort ni pas assez. Mais au moins, sur le green, les erreurs d’appréciation ne sont pas fatales. À raison de deux parties hebdomadaires et grâce à son mètre quatre-vingt-dix qui lui offre encore un drive d’un partenaire politique hyper maîtrisée, des interviews relues et des spin doctors, à moins de faire partie du plan de com d’un politique qui veut surprendre, peu de chances que le lecteur s’y retrouve. In fine, on retrouve dans Lui de bons ingrédients (des photographes : Mario Sorrenti, Mikael Jansson, Mark Segal ; des plumes : Thomas Legrand, Clovis Goux, Louis Skorecki), mais avec un discours light, gentiment iconoclaste. On regrette que l’opération Lui ressemble à un coup, à une captation de nostalgie ; on reste sûr qu’il y avait quelque chose à faire puisqu’aucun groupe de presse ne dicte au journal une ligne prude ou politiquement correcte. Or, Lui reste gentiment sexy, sagement polisson et un brin potache. […] Hadrien Gosset-Bernheim, p. 272 fr magazine 22 Directeur de la publication : Jean-Yves Le Fur Rédactrice en chef : Yseult Williams Directeur de la rédaction : Frédéric Beigbeder Direction artistique : Éric Beckman, Emma Wizman Elle a bien essayé de changer de métier, mais cette disciple de feu Madame Irma ne peut s’empêcher de voir le monde à travers des filtres, des boules de cristal ou des couleurs vives. Son intérieur garde aussi le souvenir d’un désordre organisé, une p i e r r e t u r q u o i s e (Les minéraux au Carrousel du Louvre) s’égare entre trois b o u g e o i r s (Curiosité d’Esthètes), au-dessus desquels lévitent une b a g u e pétillante et un b r a c e l e t espiègle (Cartier). Pour brouiller les cartes, son parfum est masculin (Dior), sa p o c h e t t e se déguise en sculpture (Issey Miyake), qu’un e s c a r p i n seul (Dior) défie. que faire avec 308 670 ? Shopping (c’est beaucoup, mais c’est noël !) photographie - Jean-Pacôme Dedieu Assisté de Flavien Perrottey Stylisme - Clémence Cahu Assistée de Julia Salmon Bague Cartier Bougeoir Lux Parfum Homme Dior Pochette Issey Miyake Bracelet Cartier Escarpins Dior Pierre turquoise 19 400 € 380 € 94 € 450 € 55 000 € 700 € 34 € Les yeux sont partout, y compris sur un b r a c e l e t (Kenzo), mais ce sont les souvenirs qui nous assaillent, d’une forme de berlingot devenue s a c (Céline), de ce p a r f u m (Replica de Maison Martin Margiela), cette e a u d e C o l o g n e (Byredo) déjà vintage ou ces e s c a r p i n s (Roger Vivier), dont la courbe évoque les décennies. Et quand une b a g u e en or blanc (Lorenz Bäumer) ou une p i e r r e b r u t e (Les minéraux au Carrousel du Louvre) s’habillent d’éternité, un c e n d r i e r (Ferm Living au Bon Marché) nous rappelle que la matière est souvent éphémère. Sac berlingot Céline Pierre brute miel Bague Lorenz Bäumer Eau de Cologne 160 Byredo Parfum Replica Maison Martin Margiela Escarpins Roger Vivier Cendrier Ferm Living Bracelet Kenzo 800 € 61 € 4 580 € vintage 80 € 650 € 180€ 245 € Détourner le regard n’y ferait rien, la coiffeuse offre un scénario identique, le s o i n (Aesop) le disputant au r o u g e à l è v r e s (Giorgio Armani). Une sandale (Maison Martin Margiela) s’est aussi ici égarée, alors qu’une p i e r r e m i n é r a l e (Les minéraux au Carrousel du Louvre) se confronte à un s a u t o i r (Van Cleef & Arpels) – des diamants, des saphirs et des tourmalines de Paraíba rondes. Seuls les c r a y o n s (Krink chez Colette) permettent de garder une mémoire de ce tableau que le temps surveille de son s a b l i e r (Maison Martin Margiela), et que le bleu d’un c e n d r i e r (Ferm Living au Bon Marché) apaise. Sandales Maison Martin Margiela Rouge à lèvres Giorgio Armani Sablier Maison Martin Margiela Sautoir et clip détachable Van Cleef & Arpels Crayons Krink Tube soin Aesop Cendrier Ferm Living Pierre minérale 890 € 31 € 72 € Prix secret 36 € 30 € 180 € 47 € Les vrais trésors sont cachés, ceux du vintage réunis en un l i v r e (La Martinière), mais surtout ceux protégés d’un filtre jaune : les boucles d’oreilles Poisionus, la b a g u e en or blanc et ses b o u c l e s d ’ o r e i l l e s Egratigna Chipie (Dior Joaillerie). De même, nos certitudes nous égarent : ce visage métallique est bien un c o l l i e r (Paule Ka), même s’il lorgne sur la p a l e t t e p o u r y e u x (Mac), alors que cette pierre est elle un s a v o n (Gemme). La menace du s o u f r e (Les minéraux au Carrousel du Louvre) se voit apaisée par le p a r f u m « tobacco-vanille » (Tom Ford), sous une bienveillante l u m i è r e ciselée (Lee Broome au Bon Marché). Livre Trésors du vintage Lampe Parfum Tom Ford Savon Gemme Collier Paule Ka Minaudière Valentino Palette pour les yeux Mac Boucles d’oreilles Poisionus Dior Joaillerie Bague Egratigna Chipie Dior Joaillerie Boucles d’oreilles Egratigna Chipie Dior Joaillerie Pierre de soufre 80 € 259 € 180 € 18 € 480 € 2 500 € 42 € 78 000 € 63 000 € 57 000 € 84 € Miroir Curiosité d’Esthètes Minaudière Eddie Parker Cendrier Ferm Living Lunettes Courrèges Boucles d’oreilles Aurélie Bidermann Pierre brute Sac Hermès Bracelet Gaydamak Mais aux messages des pierres, seul pouvait répondre le langage des fleurs, surtout s’il s’ornait de prolongements précieux comme un b r a c e l e t p l u m e (Gaydamak) ou des b o u c l e s d ’ o r e i l l e s (Aurélie Bidermann). C’était l’heure des choix, entre la m i n a u d i è r e (Eddie Parker au Bon Marché) et le s a c (Hermès), plus question de se cacher derrière des l u n e t t e s d e s o l e i l (Courrèges) cachées derrière un c e n d r i e r (Ferm Living au Bon Marché). Le m i r o i r (Curiosité d’Esthètes) renvoyait cette disciple d’Irma à son vrai dilemme : choisir entre hasard et destin. 598 € 259 € 180 € 270 € 475 € 33 € 6 800 € 14 472 € p.36, 42, 60, 68 : Moodboard denim 80’s p.37 : Interview mode florence müller p.42 : Website bernhard willhelm p.44 : Chronique Art fiac J moins 7 p.48 : Biographie hélène rochas textes p.52 : Chronique style les vies d’adèle p.53 : Ping Pong alaïa au palais galliera et par mail p.56 : Interview john m armleder p.61 : Chronique Style korean diary p.64 : Off record art art advisors p.69 : Design tartan pomme p.74 : Layout roman cieslewicz Moodboard denim 80’s Composé par Florence Tétier florence müller Interview mode Personnalité incontournable de l’univers de la mode, Florence Müller promène son carré brun, son insatiable curiosité et un enthousiasme tout en retenue, de défilés en colloques et présentations de par le monde. Historienne de la mode, diplômée de l’École du Louvre et de l’Institut d’art et d’archéologie, ancienne directrice et conservatrice à l’Union française des a r t s d u c o s t u m e de 1987 à 1993, elle officie désormais comme commissaire d’exposition en France comme à l’étranger. Elle enseigne également l’histoire du costume, conseille les grands du luxe, quand elle ne publie pas des ouvrages. Historienne de la mode, c’est un métier assez récent quand on y pense. Par rapport à l’histoire de l’art, oui c’est récent. Les premiers historiens de l’art remontent peu ou prou à la Renaissance. Pour ce qui est de la mode, lorsque j’ai commencé à travailler, cela n’existait pas. Longtemps après avoir suivi les cours de l’École du Louvre et de l’Institut d’art et d’archéologie, lorsque je retrouvais d’anciens camarades de classe et qu’ils me demandaient ce que j’étais devenue, il me fallait au moins un quart d’heure pour leur expliquer que je travaillais dans un musée exposant des costumes. S’intéresser aux vêtements dans les institutions leur semblait invraisemblable ! Jusqu’à la fin des années 80, c’était considéré comme un « non-domaine », quelque chose de très mal vu en fait. Réticences désormais balayées. Plus encore à l’étranger. Je reviens de Chine, où l’on a présenté une grande exposition sur Dior. Quand on y rencontre des journalistes, le public, certains managers… inutile de leur justifier la présence de mode au sein d’un musée. Pour eux, c’est normal, ils comprennent d’emblée que c’est une forme d’expression parmi 36 d’autres. Que s’habiller le matin, c’est une manière d’être créatif par rapport à soi-même. Il vous a tout de même fallu – avec d’autres – inventer ce métier, consistant à raconter l’histoire de la mode à travers des expositions. Je suis consciente d’avoir été une pionnière, mais avant moi, il y a eu des gens comme Yvonne Deslandres. J’ai été son assistante quand elle s’est installée au musée des Arts décoratifs, au début des années 80. Avant, elle est demeurée longtemps une espèce de squatteuse de luxe hébergée dans le grenier du musée Nissim de Camondo, et auparavant encore dans les locaux de l’école de la Chambre de commerce de Paris, dans le 11e. Elle fut déplacée dans différents endroits pouvant abriter l’extraordinaire collection de costumes dont les Arts décoratifs peuvent désormais s’enorgueillir. Quand j’ai commencé à travailler avec elle, il n’y avait quasiment pas d’institutions véritablement dédiées à la mode… Des choses embryonnaires comme l’Institut du costume au Metropolitan Museum of Art de New York (MET), mené par Diana Vreeland, le travail effectué par Madeleine Delpierre au musée Galliera… J’ai appris sur le tas, auprès d’Yvonne, puis lorsque j’ai eu en charge le département mode du musée des Arts décoratifs. On bricolait, chaque exposition relevait de l’expérimentation. On défrichait tant en matière de conservation, de communication, que de développement des collections. Et cela sous le regard très jaloux des conservateurs des autres départements, parce que lorsque le musée de la mode a été ouvert en 1986, il y avait la queue devant le trottoir, alors que leurs salles étaient vides… Avant d’envisager le vêtement sous l’angle de la mode, longtemps les musées sont demeurés figés dans une logique relevant de l’histoire du costume. La mode est entrée dans les musées à travers le costume et ceux ayant appartenu à des personnages illustres de l’histoire de France, et plus 37 […] L’idée formidable [de François Boucher] fut d’aller trouver les couturiers de l’époque, Christian Dior, Balenciaga, Schiaparelli, la veuve de Paul Poiret… en leur disant : Je prends tout cela, c’est magnifique ; je ne veux pas que cela finisse sur le dos des femmes de chambre ! précisément de Paris. L’Union française des arts du costume (Ufac) a été créée en 1948 par François Boucher, conservateur au musée Carnavalet (musée de l’histoire de Paris), qui arrivé à la retraite, eut l’intuition d’un champ d’activité inexploité : l’histoire des couturiers. Son idée formidable fut d’aller trouver les couturiers de l’époque, Christian Dior, Balenciaga, Schiaparelli, la veuve de Paul Poiret… en leur disant : Je prends tout cela, c’est magnifique ; je ne veux pas que cela finisse sur le dos des femmes de chambre ! Tél était alors le sort de toutes ces robes… Certes, quelques femmes du monde gardaient dans leur grenier leur robe de mariée et quelques belles robes du soir, mais aucune institution ne récupérait alors ces chefs-d’œuvre. Le musée Galliera, qui dépend de la Ville de Paris, n’a commencé à s’intéresser que tardivement, dans les années 80, aux créations des couturiers et créateurs. Et les collections du musée des Arts décoratifs, qui a hérité de celle de l’Ufac, recèlent des pièces formidables, puisque le plus souvent choisies et offertes par les couturiers eux-mêmes. Pour vous donner un exemple, la maison Dior ne possède pas d’archive du fameux tailleur-bar – ils en sont fous aujourd’hui ! Pour cause, l’original 38 a été donné par Christian Dior à François Boucher. Longtemps ne furent exposées dans les musées que des robes de cour et des tenues d’apparat. Les expositions de robes du e xviii siècle richement brodées, c’était la spécificité du MET de New York. Yvonne Deslandre était très opposée à cela, et elle qui avait l’habitude de piques pleines d’humour disait : Diana Vreeland, c’est le thé chez la marquise ! Yvonne préférait poser un regard sociologique sur la mode. Le vêtement l’intéressait dans une approche culturelle globale, en lien avec l’architecture, le mobilier, la photographie, l’art de son temps. Son approche ouverte m’a tout de suite intéressée. C’était les années 70 et ce regard sociologique était souvent critique… Les expositions de mode remportent souvent un franc succès. Oui, mais pas autant que celles dédiées aux impressionnistes. À Orsay, une grande exposition peut faire 600 000 entrées ; une exposition de mode bien menée peut espérer grimper à 300 000 visiteurs. Mais par rapport à d’autres domaines artistiques, c’est certes énorme ! Du coup, les expositions essaiment, les institutions y trouvant leur intérêt. Paradoxalement, si les musées furent pionniers en ce domaine, ce sont aujourd’hui de plus en plus les marques qui, disposant désormais de leurs propres collections et de structures promptes à organiser leurs propres expositions de par le monde, mènent à bien les projets. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent furent en cela visionnaires, puisque dès la fin des années 70, ils ont commené à collecter, archiver et organiser leur œuvre, produisant de grandes rétrospectives à New York tout d’abord, puis à Paris, en Chine… Ils étaient vraiment précurseurs ! Ensuite vint l’exposition des 40 ans de Dior, en 1987, au musée des Arts décoratifs, où je travaillais à l’époque. Ce fut la prise de conscience pour cette maison qu’elle ne disposait de rien ou presque comme archives. Des chartes de fabrication, quelques échantillons de tissus, mais aucune robe… Une personne a donc été engagée pendant deux ans pour faire le tour du monde, identifier où se trouvaient les modèles chez les anciennes clientes. Cela a permis d’établir le corpus de l’exposition et à la maison Dior de mesurer l’impact d’une telle manifestation ; des parutions dans la presse à foison – dans les quotidiens, les news, les magazines d’art, supports nouveaux pour une griffe de mode jusqu’alors habituée à ne collaborer qu’avec la presse féminine. Gros succès auprès du grand public également. À partir des années 90, toutes les grandes maisons se sont mises à constituer leurs propres archives. Et aujourd’hui, tout jeune créateur archive dès ses débuts ! Les grandes maisons usent actuellement massivement d’expositions en Asie, au Moyen‑Orient ou en Russie pour conquérir de nouveaux marchés. Ce sont des manifestations ayant un but précis : expliquer aux consommateurs qui achètent des parfums, des rouges à lèvres, des accessoires, que derrière des noms comme Dior il y a un homme et que sans Christian Dior rien ne serait ! De nos marques, les nouveaux marchés n’ont pour toute vision que celle qu’ils perçoivent à travers les campagnes publicitaires. La première mission de ces expositions est donc de servir d’ambassadeur. Nos marques françaises, européennes, ont un plus : l’histoire de gens formidables qui, à partir d’un élan artiste, ont su bâtir des empires industriels. Et puis il ne faut pas oublier que dans des pays comme la Chine, il n’y a pas vraiment de musées dédiés à la mode. Ces grandes expositions permettent de faire passer un message plus général, celui de l’importance de la création dans la vie quotidienne. Je considère également que ces manifestations participent au rayonnement d’une certaine pensée française. Elles permettent d’affirmer l’importance de Paris. De présenter des objets culturels forts. Avec bien sûr un propos commercial sous-jacent… En cela, l’exposition Dior, qui s’achève au MoCA de Shanghai [« Esprit Dior », du 13/09 au 20/11/2013, ndlr] est très riche, proposant dessins, photos, films, et le public chinois a soif d’apprendre. C’est un peuple en reconquête de sa mémoire, de sa propre culture, de ses traditions. Une exposition comme celle-ci, sur une marque en activité, remontant à ses racines profondes, ça leur parle énormément. À partir des années 90, toutes les grandes maisons se sont mises à constituer leurs propres archives. Et aujourd’hui, tout jeune créateur archive dès ses débuts ! Vous avez longtemps travaillé pour les institutions et œuvrez désormais en free-lance pour des maisons de luxe. Quelle distinction faites-vous entre ces deux cadres ? À mes débuts, au musée des Arts décoratifs, je proposais des projets à un comité d’exposition, qui piochait dedans. C’est ainsi que je n’ai jamais réussi à faire une exposition de mode masculine… Dans le traitement, j’avais par contre une totale liberté, bien que peu de moyens. À l’époque – ce n’est plus le cas –, on ne pouvait 39 […] Je trouve la presse complètement sclérosée. Ce qu’ils mettent dans leurs magazines, personne n’en tient compte. On reproche aux blogs de ne pas toujours être pertinents, mais ils sont connectés à la rue. Et c’est là que cela se passe actuellement. […] Cette notion de créateur… Le mot est toujours là, mais l’appellation ne recouvre plus rien, car il n’y a plus de talents indépendants et autonomes. pas faire appel à des sponsors pour aider au financement d’exposition, c’était interdit ! Le monde de la mode et du luxe était le diable incarné ! Du coup, sur certaines expositions, il y avait des budgets, et pas sur d’autres… Et quand il n’y en avait pas, il fallait faire comme si ! C’était épuisant ; il fallait se démultiplier avec une équipe microscopique, ce qui nous amenait à travailler des nuits entières… Des conditions très très dures. Intellectuellement aussi c’était parfois compliqué, un peu étroit, car il fallait délivrer un message d’historien pur et dur ! Au fil du temps, je me suis rendu compte qu’il y avait d’autres façons de raconter la mode, en passant davantage par des points de vue. Un regard permet une approche plus sensible que de simples chronologies… La tentation est parfois grande pour les griffes de luxe, hier parfois simples fabricants, d’enjoliver quelque peu leur passé. Quand j’ai commencé dans ce métier, les griffes de luxe parlaient de contrôle de l’image comme on parle aujourd’hui de développement de l’image. Disons que la plupart des grandes maisons françaises possèdent une histoire suffisamment riche pour ne pas avoir à inventer des choses – même si certaines en ont parfois la tentation. Mais je ne travaillerai 40 jamais avec certaines griffes étrangères dont le patrimoine ne me semble pas assez développé. Hormis quelques musées comme le MOMU d’Anvers, où sont présentées des expositions aux thématiques surprenantes, sur les patronages ou le désir par exemple, la majorité des manifestations se résument désormais à des rétrospectives : Louis Vuitton, Balenciaga, Alaïa… souvent amplement sponsorisées par les marques. C’est l’impression que cela peut donner tant il y a une demande de la part des griffes pour être présentes dans les musées, mais pas uniquement… L’exposition actuellement présentée au musée des Arts décoratifs sur les sous-vêtements, « La mécanique des dessous », est fantastique ! C’est à mon avis la meilleure depuis longtemps dans cette institution. Elle est conçue par un médiéviste… Tout n’est donc pas fichu ! Le vrai problème c’est que les musées ne peuvent plus fonctionner autrement qu’avec du sponsoring puisque l’État ne les soutient plus ; ils sont acculés à chercher des financements. Idem dans l’édition. Dans les années 80 furent publiées moult histoires du costume, désormais on ne trouve au rayon mode que des ouvrages à la gloire de maisons qu’elles ont elles-mêmes commandités. C’est vrai, j’ai d’ailleurs dernièrement publié une somme sur les bijoux qui est passée totalement inaperçue. Par contre, mon livre avec Dior a très bien marché. J’essaye pourtant de ne pas me limiter à ce genre de prestigieuse collaboration, je fais des petits catalogues par-ci, par-là, dont personne n’entend jamais parler, mais je tiens à maintenir un lien avec des gens ayant des initiatives intéressantes. Quels sont vos projets en cours ? Je prépare un gros bouquin et une grande expo pour une marque… dont je ne peux pas parler. J’ai une collaboration régulière avec le musée Christian Dior de Granville. Musée dédié au couturier dans sa maison d’enfance qui possède un statut intéressant parce qu’à cheval entre le monde des musées pur et dur – c’est un musée municipal avec des moyens restreints –, et celui des bénéficiaires de soutiens privés, ici du groupe LVMH. Pas vraiment des budgets colossaux, ce n’est pas toujours facile, mais je m’accroche, car c’est un terrain d’expérimentation où je peux défricher des choses, à la différence de certaines grosses expositions. La prochaine exposition sera consacrée à Dior et la photo de mode. En tant qu’historienne, quel regard portez-vous sur la mode actuelle ? C’est un peu gênant à dire, mais tout ce qui m’a fait aimer la mode tend à se dissoudre. Cette notion de créateur… Le mot est toujours là, mais l’appellation ne recouvre plus rien, car il n’y a plus de talents indépendants et autonomes. Pire que cela, la notion même de créateur me semble dépassée. C’est une constatation assez terrible… Les griffes de luxe sont aujourd’hui si fortes qu’elles sont même aptes à manipuler le poétique ; elles ne se contentent plus de revendiquer leur puissance à travers des démonstrations bling-bling. Non seulement il n’y a plus de place pour des propositions autres, mais surtout plus vraiment de désir pour des solutions alternatives. Certes, on sent confusément émerger un grouillement de petites marques ; elles ne défilent pas, ne sont pas dans les magazines, mais beaucoup sur Internet. Ces griffes sont pour beaucoup le fait d’aventuriers, de gens qui sortent d’école de commerce plus que de style. Ils se lancent sans aucun état d’âme et proposent des choses certes pleines de fraîcheur qui peuvent marcher, mais qui ne me procurent pas le sentiment d’excitation qu’apportaient autrefois les propositions des créateurs. Je regarde toutes ces choses avec une sorte de détachement. Qu’est-ce qui vous semble définir ces nouvelles griffes ? Ce sont des marques qui servent « l’art de l’assemblage ». De la mode de rue en somme ! Des choses que l’on peut twister… Ma veste Isabel Marant, je la porte aujourd’hui de façon un peu sévère, mais je peux aussi la mettre avec un pantalon déglingue, elle s’adapte à toutes sortes de contextes ! C’est cela la mode aujourd’hui, en aucun cas les tendances des podiums ou de la presse. Défilés et magazines vous semblent avoir perdu de leur superbe ? Quand on se rend aujourd’hui dans les défilés, l’énergie est à l’extérieur de la salle, avec tous ces gens qui viennent exhiber leur look pour se faire photographier. À l’intérieur, on retrouve assis toujours les mêmes gens, qui n’ont pas changé depuis des lustres ; j’ai l’impression d’être au bal des vampires ! Ça ne bouge pas, je trouve la presse complètement sclérosée. Ce qu’ils mettent dans leurs magazines, personne n’en tient compte. Tout cela est dépassé… Les blogs et les sites ont pris le dessus. Je sais, on reproche aux blogs de ne pas toujours être pertinents, mais il n’empêche que c’est une lecture gratuite, accessible, facile, participative, que n’offrent pas les grands magazines. Et puis c’est connecté à la rue. Et c’est dans la rue que cela se passe actuellement. On y voit des ados sublimes qui se bricolent des silhouettes formidables en mélangeant des petites marques avec du vintage. Les hipsters ça vient d’où ? Des rues de New York, pas des podiums ! Et cela s’est autocréé, comme les grands mouvements d’autrefois, le rock, les punks ou les mod’s. Propos recueillis par cédric saint andré perrin Images : p. 41 Robe Paul Poiret, 1907 p. 42 Robe Paul Poiret, 1910 p. 45 Portrait de Florence Müller, ©DR 41 bernhard willhelm Website Les websites des maisons de mode sont rarement conçus comme des e s p a c e s c r é a t i f s spécifiques ou des événements en soi. La plupart d’entre eux se contentent de mettre conventionnellement en ordre ce qui se passe très bien ailleurs… … reportages et interviews télévisuels, campagne et revue de presse, outre le défilé et les photographies qui en sont extraites. Au mieux, nos écrans deviennent home cinema quand les stratégies de communication des marques les plus ambitieuses vont chercher du côté du 7e art ou de la vidéo contemporaine. Il faut les jeunes créateurs – qui ne bénéficient pas de la protection des grands groupes et ne peuvent rivaliser avec eux en termes d’exposition médiatique – pour investir substantiellement l’objet. Ainsi, un Simon Porte (Jacquemus), ainsi Bernhard Willhelm, plus si jeune créateur, mais figure libre en pays mode : oiseau rare. 42 La page d’accueil de son site s’affirme d’emblée comme une déclaration d’indépendance, lorsqu’un clip de quelques secondes nous dévoile le visage d’une « vieille dame indigne » grimaçant une invite allumée, l’œil et le brushing hystériques. On pourra la voir plus amplement porter la collection printemps-été 2014 en compagnie d’autres séniors masculins, bodybuildés ou ventrus : corps excentriques qui ironisent les conventions iconiques du glamour et affirment la posture décalée de Willhelm. La typographie du site est à ce titre significative : globalement manuscrite, elle connote l’anticonformisme formel. Cette graphie personnelle figure aussi l’arborescence du site ; elle improvise des réseaux de lignes spontanées qui cartographient chaque page et assurent l’homogénéité singulière de l’ensemble, quelle que soit la diversité des documents rapportés. Ces derniers sont justement en nombre, et généreux, à l’image des lookbooks (les collections sont toutes archivées et visibles sur le site depuis la création de la marque en 1999) qui déploient une vraie ligne éditoriale. Car voilà, entrer sur le site de Bernhard Willhelm c’est traverser toutes les occurrences de l’image : ses réalités, ses possibles, ses devenirs. Puisque ce sont l’imaginaire et ses lignes de fuite qui priment chez ce créateur, ou l’invention de soi au mépris du genre et du statut social. Le jeu savant des montages et des effets vidéo invente visuellement en même temps qu’il restitue l’atmosphère des défilés, qui se sont rapprochés de la performance dansée et plasticienne […] Le style des vêtements est à cet égard programmatique : un art volumique du biais et du pli qui outrepasse la stricte architecture du corps, des jeux fantasques de couleurs et d’imprimés achevant de le réinventer. Ce que l’on vérifie sur le site c’est, par exemple, à la rubrique « exhibitions », une maîtrise certaine de l’installation muséale dans le cadre des expositions qui ont été consacrées à la marque : soit une aptitude pour la mise en scène, du corps, et au-delà d’un univers éclectique, exalté, où les traditionnels mannequins flirtent avec les pauses pornographiques, la statuaire classique et les icônes de la culture populaire américaine. C’est, encore, à la rubrique des collections, le jeu savant des montages et des effets vidéo qui invente visuellement en même temps qu’il restitue l’atmosphère des défilés, qui eux-mêmes et au fur et à mesure des années se sont rapprochés de la performance dansée et plasticienne. Ce sont enfin les images sophistiquées des lookbooks en ligne. On citera celles de la collection 2013 : de courtes animations qui colorisent et reconfigurent en 3D les modèles, qui en un clic de souris, vibrent de manière minimaliste, mais frénétique… Créatures définitivement passées de l’autre côté du miroir. “That’s what I like, pure fantasy.” 1 Vous venez de passer plus d’une heure sur le site de Bernhard Willhelm. Vous avez cette fois arpenté un ailleurs constitué : un territoire parallèle, autonome, avec ses contours et ses lois, ses habitants, son archéologie. Vous avez quitté les paresseuses galeries marchandes pour naviguer un peu en utopie, comme on dit en langage classique. céline mallet Images : Captures d’écran du site bernhard-willhelm.com 1. Pour lire en ligne une interview assez complète du créateur, dont la citation est extraite : http://www.hintmag.com/hinterview/ bernhardwillhelm/bernhardwillhelm1.php 43 fiac, j moins 7 Chronique art Rendez-vous commercial et mondain, la Fiac rythme chaque rentrée parisienne. De détails en événements incontournables, voici un j o u r n a l en forme de compte à rebours. j -7 Ampoules ginseng-guarana, chaussures cirées, iPad chargé, marrons glacés, ça sent la Fiac. Frieze est encore le mot à la mode dans les lobbys, mais bientôt le Grand Palais – et Paris – deviendra le centre du monde de l’art international, pour cinq jours. On a hâte, et on va prendre un verre rive gauche à l’occasion de l’ouverture du Parcours Saint-Germain. Jolies expos dans de jolies boutiques, l’art se met au diapason des tendances de saison. Au détour d’une conversation, on apprend qu’un collectionneur a « égaré » une sculpture de 2,5 m, il faut dire qu’il n’a jamais pris le temps d’aller dans son stockage de banlieue. C’est capricieux ces petites choses. Non loin de là, Ralph Lauren déclenche une fronde à l’École beaux-arts1. Mécénat contre privatisation, les étudiants crient à la gabegie. Les temps sont durs pour les milliardaires. j -6 Arrivée de mes artistes à Paris, jet-lag west coast et temps fluctuant, entre éclaircies et averses, « été français » comme disent les Indiens. Immédiatement, c’est l’état d’urgence : personne ne leur a donné le dress code du Bal Jaune (green cette 44 […] La soirée débute avec un débat sur l’héritage de Trisha Brown et se termine avec les sketchs des Inconnus. On ne se refait pas, on est tous des roturiers plaqué or. année). Fashion drama, comme dirait Carine Roitfeld. Un shopping s’impose, le montage de l’exposition attendra demain. j -5 Arty drama cette fois (et presque Arte Thema) : toutes les œuvres de l’exposition sont bloquées en douane, un problème de TVA. À partir de quand un tirage photographique (19,6 %) devient une œuvre d’art (5,5 %) ? Fedex s’interroge, et moi je révise. Les artistes arrivent enfin à la galerie (18 h 30), faute d’œuvres à accrocher, ils se mettent à faire du shopping sur sarenza. com. À mesure que leur panier se remplit, ma certitude que nous aurons une exposition à montrer aux visiteurs jeudi pour la Nocturne des galeries s’amenuise. Plan B : une performance ? j -4 Appel last minute d’un rédacteur en mal de sujet : un shooting est organisé le lendemain dans une galerie voisine. Une série de mode sur le thème Marcel Duchamp, avec artistes pour mannequins, décor en porte-bouteilles et urinoirs. Qui est intéressé ? Série de vernissages du Parcours privé de la Fiac (déjà), dont celui de François Pinault – Mr. Big – à la Conciergerie. Sous les plafonds gothiques, le vernissage est un grand moment de PR, tout le monde est encore frais. On blague et on oublie la verve d’Antoine Perraud dans Mediapart : « Au diable le so contemporary, voici le tiroir-caisse, véritable pousseau-jouir de ce milieu d’imposteurs parant leur vénalité des couleurs de l’esthétisme. »2 Un brin cliché. j -3 Montage au Grand Palais : ballet mécanique des semi-remorques déchargeant des caisses aux valeurs d’assurance pharaoniques. Se dépêcher, respecter les créneaux de stationnement, ne pas oublier que nous sommes sur la route d’évacuation du Président. Garder en tête les priorités. Après l’effort, le dîner de vernissage d’une fondation privée : entre artistes et galeristes, la soirée débute avec un débat sur l’héritage de Trisha Brown et se termine avec les sketchs des Inconnus. On ne se refait pas, on est tous des roturiers plaqué or. j -2 Bonheur, l’exposition à la galerie est accrochée. Double effet bonheur, elle est intégralement achetée dans les cinq minutes. Le buzz peut démarrer, les collectionneurs s’excitent. Inauguration de la Fiac hors les murs au Jardin des Tuileries : une heure d’attente des officiels, en compagnie d’autres officiels, sous les parapluies. Finalement la visite se fera sans eux (les premiers). De toute façon, les croissants et la presse c’était ce matin au café Médicis. j -1 Comme l’écrit Éric Loret3 : « La Fiac, c’est beau. La Fiac, c’est pour les riches, mais en plus c’est pour les beaux. Chose étonnante, non seulement tou(te)s les galeristes sur leurs stands sont trop canons, mais les photographes de presse aussi. Et même les manutentionnaires… » Merci pour eux. Derniers préparatifs avant l’inauguration de la moquette, deux mondes se croisent. On termine la journée par la visite du Private Choice de Nadia Candet : une collection idéale exposée dans un atelier d’artiste, AD et Beaux-Arts magazine trinquent sur une banquette de Matali Crasset. Quelques jeunes pousses au dernier étage, des poids lourds au rez-de-chaussée, et les conceptuels dans la salle de bains. Cadavre exquis. jour j 9h : Aphone. Trop d’excès pré-Fiac, à force de démarrer les festivités si tôt… Mon médecin me prescrit un « repos vocal de 48 heures », j’improvise un argumentaire marketing sur le chuchotement. 10 h : Les premiers Invités d’Honneur arrivent au Grand Palais, même si les grands advisors des grands collectionneurs sont déjà là depuis 8 h. Deux poids, deux mesures. 10 h 01 : Les bêtes de foire et autres vendeurs à la commission sont au garde-à-vous sur leur stand, sourire Colgate et liste des prix sur iPad. Plusieurs galeries font la moitié de leur chiffre d’affaires annuel durant ces cinq jours. Ne pas mollir. 10 h 02 : Premières confidences, premiers achats, premières spéculations sur les Prix Marcel Duchamp/Ricard/Galeries Lafayette. 11 h-18 h : Entre deux ventes, des mondanités. De plus en plus de nouveaux riches achètent de l’art, le « nouveau luxe »4, le nouveau lifestyle international. Pour Karl Lagerfeld (connaisseur de cause) : « Dans le temps, les gens de la mode voulaient être mondains, aujourd’hui les duchesses, les salons, ça n’existe plus, alors ils veulent faire de l’art. » 18 h-22 h : Vernissage public. Wall Street et les artistes communient sous la verrière du Grand Palais. Des curators lancés par Libération sillonnent les allées de la Fiac en quête de visuels pour illustrer le journal du lendemain. Ce soir, après deux, trois réceptions chez des collectionneurs parisiens – où l’on apprend que le vélo est le nouveau golf –, on ira danser dans le chantier du nouvel hôtel particulier d’Emmanuel Perrotin. Refaire le monde sur les pavés et le sable. alexandra stern 1. Nicole Vulser, « Ralph Lauren déclenche une fronde aux Beaux-Arts », Le Monde, 11/10/2013. 2. Antoine Perraud, « Pinault, un épieu dans le flanc de la culture », Mediapart, 20/10/2013. 3. Éric Loret, « Fiac 2013 : le guide de survie », Libération, 25/10/2013. 4. Karl Lagerfeld interviewé dans Elle, octobre 2013. Image : Accrochage foire d’art contemporain, ©DR 45 hélène rochas Biographie Délicate, raffinée, bien élevée, Hélène Rochas est l’image de la femme française élégante. Tour à tour femme de couturier, chef d’entreprise, mécène, s o c i a l i t e , elle fut pendant près de cinquante ans l’une des figures de proue d’un art de vivre aujourd’hui disparu. 1 9 2 7 Nelly Brignolles naît à Montauban-de-Picardie. 1 9 3 7 Élève de l’école de danse de l’Opéra de Paris – une « école de cruauté » qui l’endurcit –, la jeune Nelly rêve de devenir comédienne. En parallèle de ses heures de mannequinat, elle suit les cours de théâtre de René Simon. 1 9 4 3 Avec son sourire enchanteur, sa beauté délicate, ses yeux couleur saphir, son long nez droit, elle happe un jour le regard de Marcel Rochas. Selon la presse de l’époque, il l’aurait abordée benoîtement dans le métro d’un : « Vous avez une tête à chapeau. » Lui a déjà été marié deux fois, elle, a tout juste 17 ans. Son aîné de vingt-cinq ans, qui a créé sa maison de couture en 1925 au 100 rue du Faubourg Saint-Honoré, est alors un couturier reconnu internationalement. Il a réussi à courtiser les stars d’Hollywood, adeptes de sa devise : « Toujours plus jeune ». Jean Harlow, Loretta Young, Marlene Dietrich, Katharine Hepburn affectionnent ses tailleurs en biais, ses robes dos-nus, ses pantalons de plage, ses fourreaux moulants et ses guêpières de chantilly noir. Il vient de créer les robes de Falbalas, film de Jean Becker (1944), et s’apprête à réaliser celles de Seul dans la nuit de Christian Stengel (1945). Son patronyme évoque également la magie d’un certain Paris : celui des fêtes, de l’insouciance, des bals éclairés à la bougie dans les hôtels particuliers de la rive gauche. 1 9 4 6 Marcel Rochas avait lancé au début des années 30 ses premiers parfums, dont Avenue Matignon. En 1944, il fonde sa société de Parfums Rochas en collaboration avec Albert Gosset. « J’ai fait la connaissance de Marcel Rochas en 1943, pendant l’occupation. Son souhait était de revenir à une plus grande féminité. Il cherchait justement un parfum, en harmonie avec ce désir. Il voulait une fragrance opulente, féminine, tout en rondeurs car, disait-il, “on doit respirer une femme avant même de l’avoir vue” »1, témoigne Edmond Roudnitska, le 46 nez qui compose alors le parfum Femme. Dans ce parfum, de luxueuses essences fruitées (rose, pêche, prune, jasmin, mousse de chêne, santal) […] En 1953, le couturier tire sa révérence. Hélène est veuve à 28 ans et devient, malgré elle, la plus jeune dirigeante d’entreprise de France exhalent la plénitude sensuelle que le couturier cherche à donner à ses robes. Or, le pays est en guerre et les matières premières font défaut. Celles de Femme étant très coûteuses, Marcel Rochas décide de présenter dans un premier temps une édition numérotée, en souscription. Présenté Avenue Matignon, lors d’une collection de couture, le parfum connaît un succès retentissant, malgré les rumeurs accusant Marcel Rochas de complaisance envers l’occupant… Le flacon, signé par Lalique, en cristal blanc rosé, posé sur un coussin de satin, évoque les formes plantureuses de l’actrice Mae West, qui en aurait été l’inspiratrice. Marcel Rochas ne le dédie pas moins à sa « Belle Hélène » qu’il vient d’épouser. Et puisqu’un parfum est l’affaire d’une vie, Hélène serait vouée à être définitivement « Femme » de Rochas. Elle inspire ensuite les parfums Mouche et La Rose, en 1949, lancé à la roseraie de l’Haÿ-les-Roses, sur une musique d’Henri Sauguet. Devenue l’égérie de son mari, Hélène devient la première ambassadrice de la marque Rochas. 1 9 5 0 Si bien que lorsque Jacques Becker lui propose de jouer dans Casque d’or (1952), son époux jaloux fait obstacle au projet. Elle doit renoncer à sa carrière de comédienne : « Quand on est jeune et que l’on a un mari couturier, on devient vite sa vitrine… Il voulait bien me montrer, mais me remettre vite dans la vitrine ! », confie-t-elle plus tard à la presse. Il veille à ce que pas un cheveu ne dépasse, lui impose sa coiffure aux épaules, choisit ce qu’elle doit porter, décide du nombre de ses enfants. Deux. C’est lui aussi qui dicte son goût, ce goût qui doit coller à celui de ses époques favorites (Louis XVI, Directoire). Son amitié avec le décorateur et architecte d’intérieur Georges Geoffroy l’incite à imaginer un décor imposant, pompeux, entre le xviiie siècle et l’Empire. Le tandem reçoit ainsi dans son appartement de 400 m2 de la rue Barbet-de-Jouy, aux murs couverts de tissus rayés et d’obélisques, de dessus-de-porte et de trumeaux peints en trompe-l’œil par Serebriakoff. Dans ce rez-de-jardin qui voit Aragon converser avec Cocteau, Paul Éluard avec Max Ernst, Dalí avec Marie-Laure de Noailles, Hélène tient salon chaque lundi. Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, MarieLouise Bousquet, directrice du Harper’s Bazaar et Man Ray discourent sur l’art et le monde, sous le grand lustre en bronze. « Mes parents formaient un couple proustien. Ils étaient de tous les bals et de toutes les soirées », se souvient sa fille Sophie Rochas. 1 9 5 3 Le succès des collections de prêt-à-porter s’essouffle à partir des années 50. La maison Rochas, qui employait plus de 200 personnes en 1943, n’en compte que 44 à partir de 1953. La maison de haute couture ferme ses portes. Cette même année, le couturier tire sa révérence. Hélène est veuve à 28 ans et devient, malgré elle, la plus jeune dirigeante d’entreprise de France. Face à ses nouvelles responsabilités, elle transfère la société de parfums rue François‑Ier et la rebaptise Société Rochas. « Je déplore beaucoup, soit dit en passant, que la maison Rochas ait supprimé Marcel, son prénom, car le prénom et le nom d’un homme célèbre forment un tout indissociable », conteste Edmond Roudnitska. Qu’importe, la nouvelle patronne se libère du joug de son défunt mari et se met en tête d’emmener sa société dans un développement croissant, tout en continuant à recevoir, en haute couture et bijoux XXL, dans son salon du 7e arrondissement. Guidée par son nouvel époux, le producteur de théâtre André Bernheim, elle entame une carrière de socialite et d’executive woman. Tandis que ses compétences de chef d’entreprise se développent et que son goût s’affirme – elle se consacre avec passion à la Chine –, la maison Rochas s’internationalise au cours des années 60. Passionnée par les fleurs blanches, « la panthère sophistiquée », ainsi surnommée par la presse américaine, lance de nouveaux parfums. Le plus apprécié étant Madame Rochas, subtil cocktail de narcisse, de tubéreuse et de jasmin. Puis viennent Monsieur et Eau de Rochas, une eau fraîche féminine à base de citron vert et de verveine, créés tous deux par le parfumeur Guy Robert. 47 […] En 1971, lors du bal Proust donné par les Rothschild à Ferrières, elle apparaît déguisée en Odette de Crécy, l’amour de Swann, avec un décolleté noir plongeant et des cattleyas blancs à Ferrières, elle apparaît déguisée en Odette de Crécy, l’amour de Swann, avec un décolleté noir plongeant et des cattleyas blancs, rappelant ce mystérieux masque noir de chauvesouris qu’elle arborait à la Nuit du Pré-Catelan en 1946. En 1972, à la fête surréaliste de Marie-Hélène de Rothschild, elle porte un drôle de chapeau en forme de phonographe. « Derrière des manières exquises exprimant son profond respect pour les gens se cache une personnalité au goût extrêmement libre et raffiné », témoigne Frédéric Mitterrand. 1 9 6 9 Cette année-là, au bal orien- tal donné par le Baron de Rédé, à l’hôtel Lambert, elle se montre voilée au bras de son nouveau compagnon Kim d’Estainville, jeune dandy raffiné qui l’initie aux splendeurs de l’art déco. Son goût évolue au fur et à mesure de ses rencontres et, surtout, de ses amours. Avec Kim d’Estainville, c’est le début d’un nouvel art de vivre, plus dépouillé et plus personnel qu’au temps de Marcel Rochas. Dans le sillage de Jacques Doucet, elle réadapte son cadre à cet art déco que venaient de rallier Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, qui l’habille désormais. À l’instar de Charles de Beistegui, d’Hubert de Givenchy, de Charles et Marie-Laure de Noailles, elle ose les mélanges, savant dosage entre un classicisme luxueux et un modernisme exotique. Tandis que Françoise Sagan et Patrick Modiano prennent la place d’Éluard et de Cocteau, le paravent laqué de Dunand, les lampes et torchères venimeuses de Brandt et Sandoz, les vases de Luce et la table-berceau de Diego Giacometti relèguent le mobilier Louis XVI. Bien des mystères entourent cette collection. « Mystères contenus dans le tiroir secret de la commode Louis XVI, placée au centre de la chambre de ma mère », raconte 48 Sophie Rochas. « Hélène, ainsi qu’elle souhaitait être nommée par ses propres enfants, aura traversé le siècle en s’adaptant parfaitement aux changements radicaux de styles qu’exigeait la modernité des époques. » 1 9 7 1 Victime d’un vieillissement de son image dans les années 70, la maison Rochas survit grâce au succès des fragrances Madame Rochas, Eau de Rochas et Femme, qui s’imposent comme des classiques. En 1971, Hélène Rochas vend sa société à Roussel-Uclaf. Elle réussit cependant à enchanter encore, par ses tenues extravagantes, les soirées Grand Siècle, la magie d’un Paris disparu qui festoyait chez les Beistegui ou le Baron de Rédé. En 1971, lors du bal Proust donné par les Rothschild 2 0 0 4 La marque Rochas est dès 2 0 1 2 Tandis que Pierre Hermé lors dans le giron du groupe américain Procter & Gamble. La société enrichit son catalogue de parfums : Byzantine, Tocade, Tocadilly, Alchimie, Eau de Rochas pour homme et confie son prêt-à-porter au styliste Marco Zanini, en 2009. Hélène quant à elle se retire approfondit la collaboration qu’il a initiée avec le parfumeur et nez de Rochas Jean-Michel Duriez pour créer une tarte « pêche, rose, cumin » en hommage au parfum Femme, deux ans après la disparition d’Hélène, Christie’s présente une exceptionnelle collection de mobilier, tableaux, porcelaines et autres objets accumulés par Hélène Rochas dans son appartement de la rue Barbet-de-Jouy. « Elle est à l’antipode du goût classique de la riche aristocratie, avec un côté glamour à la Jacques Doucet et une note atypique influencée par les Noailles. Elle est la marque d’un style aujourd’hui disparu », ajoute François de Ricqlès, président de Christie’s France. Entre des bougeoirs chinois du xviiie siècle, des guéridons Empire, des vases russes, une toile cubiste de Kandinsky, un Balthus et quatre tableaux d’Andy Warhol représentant Hélène en 1975, la vente pulvérise les estimations : plus de 15,7 millions d’euros au lieu des 8 millions prévus. Quatre records du monde sont établis, dont une œuvre monumentale du peintre Ben Nicholson, intitulée Fiddle and Spanish Guitar (1933), vendue 3,3 millions, ainsi que la table-berceau de Diego Giacometti (1963), plateau en 1 9 8 4 Quand l’entité Rochas est reprise par le troisième groupe mondial de cosmétiques, Wella, appelé à la rescousse pour injecter d’importants capitaux, Hélène Rochas reprend ses crayons pour dessiner des collections de prêt-à-porter destinées au marché japonais. À l’occasion d’un nouveau changement d’actionnaires, elle est rappelée pour devenir consultante du groupe. Elle lance un nouveau parfum, Byzance, et s’en va pour de bon en 1989. En 1990, le styliste irlandais Peter O’Brien officie pendant douze ans à la tête du prêt-àporter féminin, puis sera remplacé par Olivier Theyskens qui, malgré son travail remarqué, fait un flop avec le parfum Poupée (2004). de la vie publique et décide de vendre toute sa collection art déco. Christie’s se souvient encore du siège africain de Pierre Legrain provenant des collections du couturier Jacques Doucet, dispersées en 1972, ainsi que du mobilier d’Eileen Gray ou encore des grands totems cubistes de Miklos. verre et piètement en bronze patiné brun vert, acquise à 1,3 million d’euros. Le catalogue édité replonge dans ce « goût très parisien » marqué par l’éclectisme et l’orientalisme. L’occasion de revisiter la légende d’une femme ayant traversé, avec un sourire de toutes les circonstances et une pointe de mélancolie dans les yeux, un demi-siècle de mondanités. « La Café Society a été pulvérisée par la jet-set, l’art de la conversation a battu en retraite sous les coups du ricanement télévisuel, les hommes les plus créatifs et les plus brillants qui furent amoureux d’Hélène ont disparu : or, elle est exactement la même du début jusqu’à la fin », conclut Frédéric Mitterrand dans la préface du catalogue. marlène van de casteele 1. Edmond Roudnitska, entretien du 18/07/1993. Images : p. 50 : Portrait de Hélène Rochas par Andy Warhol, 1975. p. 51 : Publicité pour Madame de Rochas, circa 1965. p. 52 : Flacon Lalique pour Femme de Rochas (1943). p. 53 : Portrait de Hélène Rochas, ©DR 49 les vies d’adèle Chronique style Le porno chic, c’était une a t t i t u d e ou un style ? Tom Ford et Carine Roitfeld ont habilement joué de cette indécision. Aujourd’hui, les manifestations d’une sexualité lesbienne, ou bisexuelle, sont devenues plus présentes dans la mode et les médias. Et cette fois encore : attitude ou style ? Voilà un mois que, chaque soir, une collègue quitte le bureau et annonce qu’elle part voir La Vie D’Adèle au cinéma avec sa meilleure copine. Et que, chaque lendemain matin, elle donne son propre avis enflammé (et généralement ininformé) sur la scène de sexe : C’est le fantasme du réalisateur ! Les filles font pas ça ! De temps à autre, la performance de Léa Seydoux est saluée d’un : Elle fait trop bien la lesbienne. Partout, les commentaires sifflent. Les sites spécialisés (Yagg, la branche féminine de Têtu, ou le magazine en ligne Barbieturix) hurlent au manque de réalisme, Slate et le New Yorker donnent des avis tièdes, des magazines féminins assurent que l’amour entre filles est « la tendance de la saison ». Une chose est sûre, la sexualité, mais aussi la vie, les codes et l’esthétisme du monde lesbien demeurent enrobés d’un épais mystère, doublé, aujourd’hui, d’une fascination grandissante. Trop longtemps resté dans le placard – contrairement au cinéma gay, qui en sort il y a plus de vingt ans –, le rideau est levé sur une culture et un champ sémiotiques jusque-là ignorés par la culture de masse. 50 Des actrices dignes de tapis rouges hollywoodiens, ultraféminines, dévoilent à l’écran une sexualité dépolitisée, sensuelle, façon « Barbie saphique », qui titille habilement le public masculin […] Car si la Palme d’or de Abdellatif Kechiche est unique en son genre, c’est aussi la lame de fond d’une tendance beaucoup plus large, et d’une nouvelle curiosité. À commencer par le hit télévisuel de cet été, « Orange is the New Black », où une jeune femme bourgeoise se voit happée par son ancienne liaison avec une dealeuse de drogue et se retrouve dans une prison de femmes, où les liaisons sexuelles fleurissent à chaque coin de cellule. Idem pour Passion de Brian de Palma ou encore l’étrangement similaire Side Effects de Steven Soderbergh qui brossent un haletant thriller centré sur un drame romantique lesbien. Dans tous ces cas, des actrices dignes de tapis rouges hollywoodiens, ultraféminines, dévoilent à l’écran une sexualité dépolitisée, sensuelle, façon « Barbie saphique », qui titille habilement le public masculin. La mode aussi s’entiche d’une exploration queer. Dans la campagne Gucci, Abbey Lee Kershaw joue les garçonnes en costume trois pièces et cheveux courts laqués en arrière, en petite Clark Gable au féminin. Des mannequins se pelotent chez Chanel et Saskia de Brauw est plus tomboy que jamais dans les publicités Maje. Là, toutes ces images font appel a un vocabulaire androgyne pour muscler un look rock, alternatif à tous niveaux. Idem pour les musiciennes en mal de street cred’ : Soko, qui aime crier sa bisexualité haut et fort, léchouille l’oreille d’une jolie blonde dans son clip We Might Be Dead Tomorrow, Katy Perry kissed a girl and she liked it. Sans oublier, bien sûr, le relooking radical de Miley Cyrus, si désireuse de sembler rebelle. Elle pose en slip à poches et bottes de l’armée dans V magazine, et glousse « qu’elle est ravie qu’on la prenne pour une lesbienne », une orientation anti-Hannah Montana au possible. L’impact est plus efficace que jamais. Effet de choc gentillet, car devenu assez courant pour en jouer à l’air libre, tout en gardant un air subtilement olé olé. « Tout a commencé avec la série The L Word, c’est la première fois qu’on voyait cette culture au grand jour, en position de force », “naturels” ou biologiques, que c’est un jeu où explique Géraldine Sarratia, rédacon peut piocher des deux côtés », souligne trice en chef adjointe du magazine Les Géraldine Sarratia. Des emprunts Inrockuptibles, en charge de la rubrique masculins ne veulent pas pour autant style, au sujet de la série culte créée en dire un refus de féminité, explique 2006 par Ilene Chaiken. Le show préThéodora de Lilez, bassiste dans le sente un groupe de femmes, non cantonnées à un ou deux stéréotypes, mais groupe de rock Théodore, Paul et Gabriel, où les trois membres, des qui expriment leur sexualité par un jeunes femmes, ont opté pour des grand prisme d’identités. Décryptage de la rédactrice : « Il y a une grande variété prénoms de garçons et un attirail de dandy au twist 60s. « Il s’agit de créer sa de “styles lesbiens”, mais toujours marqués propre définition de la féminité. » par les mêmes grandes lignes : un refus de normes assujettissantes et objectivantes des Aujourd’hui, ces questions de femmes, un refus de passivité. Cela commence genre font mouche. Les gender studies, toujours avec un questionnement critique à la ou études de genre, attisent l’intérêt création de genre. » jusque dans les écoles prestigieuses tels la London School of Economics ou le Ainsi, des codes masculins Massachusetts Institute of Technology évoquant des privilèges du sexe (MIT). Le mariage gay a fait son fort sont empruntés et subtilement chemin. « La reine Victoria n’avait pas féminisés : le costume ultraglamour jugé nécessaire de condamner l’homosexualité façon Katharine Hepburn ou la féminine, car elle pensait que ça n’existait veste d’aviateur de Marlene Dietrich pas. Pendant longtemps, ce n’était pas vu deviennent des emblèmes de poucomme une sexualité affirmée, autonome, mais voir féministes. Aujourd’hui, des comme un dérapage né du rapport de proximité personnalités comme Portia de Rossi permis entre deux femmes », nous enseigne et Ellen DeGeneres, Jenna Lyons et même Freja Beha Erichsen deviennent Carol Mann, professeur de genre à Sciences Po Paris. « Aujourd’hui, cette les icônes d’une nouvelle libération acceptation de la culture lesbienne marque stylistique et politique. « Attention, il ne enfin la reconnaissance d’une identité à part, s’agit pas là de “copie” de styles masculins, indépendante, et non pas un manque. » mais une réappropriation subtile qui révèle qu’il n’y a pas de comportements de genre Socialement aussi, c’est peu étonnant : un look dit « lesbien » est souvent associé à une image de force, tough, plus femme-conquérante que femme-objet. Codes qui apparaissent quasi systématiquement en temps de récession. Ainsi, la tête rasée de Sinead O’Connor et la coupe en brosse de Annie Lennox répondaient de façon engagée et enragée à la dépression des Eighties, et le sentiment de perte de pouvoir de la population face à un gouvernement en crise. Erika Linder et Freja Beha Erichsen sont-elles les porte-parole d’aujourd’hui ? Espérons juste que cette mode ne passera pas aussi vite que les collections automne-hiver 2013. alice pfeiffer Image : Équipe de la série télévisée « Orange is The New Black » 51 alaïa au palais galliera et par mail Ping Pong À l’heure du 2.0, l’échange épistolaire gagne en nervosité. Faisant fît du f a c t e u r , cette correspondance passe en mode H24. La Poste s’en plaindra, mais la critique d’exposition s’y plaît. Le lundi 21 octobre 2013 à 18h32, Buard Mathieu écrit : Hello, Bon, j’ai tardé à lancer le ping et le pong ; c’est chose faite. Hier, en sortant de l’expo, on se disait qu’Alaïa conçoit des objets dont les corps nous sont étrangers. Et que finalement Olivier Saillard se fait l’écho de ça en oubliant toute figure, toute image du corps, et donne à voir de hautes silhouettes fantomatiques. Ou les spectres d’un grand mausolée, dont le palais Galliera serait la copie conforme. Le mardi 22 octobre 2013 à 11h07, Mallet Céline écrit : Là, tu me rappelles deux choses. - Les corps fantasmés par Alaïa au travers de ses vêtements ainsi mis en valeur nous apparaissent comme fondamentalement étrangers (émanant d’un désir, aussi singulier soit-il, cette obscurité-là). 52 - Et de manière complémentaire, l’expo mettait dramatiquement en scène des fantômes (oh fantasma), soit le fait que « ça manquait de corps » (et c’est pourquoi il y a désir). D’où les questions : l’exposition de mode est-elle fatalement liée à cette vieille plainte qu’un corps manque ? Ou l’exposition de mode est-elle nécessairement un manqué du corps ? Le mercredi 23 octobre 2013 à 14h15, Buard Mathieu écrit : Le corps manqué, oui par nature et insatisfaction, qui ne peut être que rejoué et rejoué encore, motif d’une obsession créative, et je suis d’accord avec toi sur l’idée du désir ! Le vernissage était explicite d’une tentative de fixation esthétique : pas de bruit, pas de musique, pas d’image d’une quelconque figure, pas de vidéo : le temps suspendu… D’où quand même le sentiment qu’il manque quelque chose sauf à considérer l’éternité comme la perspective unique d’une rétrospective de mode. N’y a-t-il pas d’autres formes curatoriales pour la mode ? Là où je suis modérément enthousiaste devant cette exposition, c’est qu’elle ne témoigne pas de l’époque, ni d’un présent qualifié. Ce qui est certain c’est que chacun, Alaïa et Saillard, suit son obsession : le premier du corps sirène et de son chant, Alaïa fait à proprement chanter l’étoffe dans une gamme où le biais est l’harmonique, où les matières sont des 53 Là où je suis modérément enthousiaste de cette exposition c’est qu’elle ne témoigne pas de l’époque, ni d’un présent qualifié […] blocs paradoxalement liquides qu’il cisèle, résonnant tout contre le corps. Le féminin si reine d’une ère si je puis dire… Le second recherche la postérité du vêtement hors de l’époque : Buffon de l’origine des choses, dans une classification respectueuse et jamais ostentatoire. Mais quand même, la mode : l’époque, la morale, la passion, non ? Et comment par exemple raconter que la puissance de Mugler et d’Alaïa tient de ce qu’ils détrônèrent les icônes d’YSL ? Le mercredi 23 octobre 2013 à 15h27, Buard Mathieu écrit : Là où l’échelle, le corps, la couleur et la qualité sont restitués pleinement c’est quand, au musée d’Art moderne, ils nous rétribuent ou nous concèdent un espace, articulé avec des volumes, des œuvres (les tableaux de 54 Buren, les fresques de Matisse), toutes les œuvres (Alaïa exposé enfin !) dans l’expérience sensible que le spectateur peut traverser. Par rebond, au palais, nous sommes tous figés, tous repris sans détour au jeu (je) de la contemplation délicieuse et diabolique des détails… J’aime ces détails, cette prouesse magnifique d’Alaïa, mais je trouve que cette présentation rabat encore la mode à sa pose. D’où ma question après ce long monologue : doit-on se cantonner (comme le riz) à s’agréger à l’apparence des choses, en surface, sans jamais jouir d’un peu de perspective sur le monde ? Le mercredi 23 octobre 2013 à 17h11, Mallet Céline écrit : S’agréger à l’apparence des choses, en rester à la surface, c’était pourtant suffisant pour Warhol. Mais l’œuvre d’art fait monde comme perspective ; le vêtement seul, apparemment moins ! Ce qui le piégerait ici c’est que, dans sa solitude, il nous apparaîtrait d’abord comme une relique. Ce qui nous fascinerait d’abord face à un vêtement seul, c’est le caractère d’empreinte, d’un corps qui aurait été là. C’est le lieu absolu du corps qui n’est plus qui continuerait de nous entêter dans ce face-à-face. Alors le vêtement seul nous dit et le manque, et le cadavre, mais pas un monde. Et cette fatalité emporte tout sur son passage. Le vêtement c’est bien l’enveloppe seconde, celle qui amène toujours le corps ailleurs, qui le véhicule dans le monde et ses perspectives : l’époque, la morale, la passion, comme tu dis. C’est ce qui se passe au musée d’Art moderne, où le piège de la fixation mélancolique est soudainement congédié. Il faut les grands corps dansants de Matisse pour qu’une robe d’Alaïa se mette enfin à danser dans l’espace ; je suis parfaitement d’accord ! Saillard. Et peut-être est-ce là le défaut, trop de factuel et pas assez de synthèse, d’image et de perspective. Mais au fait, Saillard auraitil inventé l’exposition dialectique ? Nous joue-t-il dans l’espace le coup de Foucault : corps ici, corps là-bas, corps topique, corps utopique : du palais Galliera-tombeau au musée d’Art moderne nouveau ? Ou encore : Olivier Saillard n’expose-t-il pas seulement du vêtement ? Le mercredi 23 octobre 2013 à 18h56, Buard Mathieu écrit : Finalement, la mode appelle un complément d’objet par l’image, la vidéo, complément documentaire qui restitue une qualité de présent. Comme l’objet de design, ou une œuvre non monumentale, le vêtement seul ne tient pas. Avec le défilé ou la vidéo, c’est l’ensemble d’une vision de designer, d’un grand couturier qui y est soudain livré. La mode alors se regarde. Au PG (pas le parti de gauche, non), en défalquant ces indices, ces qualités, le montage et le style n’apparaissent que dans une ellipse, celle de l’obsession. Le travail du commissaire doit s’étendre non pas à l’épuisement du fait historique, mais à un récit, soit de ce qui fait style pour un récit. Le mercredi 23 octobre 2013 à 17h52, Buard Mathieu écrit : Il expose du vêtement comme prouesse et objet, mais s’intéresse moins à la mode dans ses mécanismes et qualités. Il expose l’histoire du vêtement, et du vêtement seul ; Alaïa de fait est un champion de la forme réalisée, forme qui dans son exigence de définition se prête au désir de Le mercredi 23 octobre 2013 à 20h10, Mallet Céline écrit : Donc il aurait presque fallu inverser les deux propositions en termes d’importance et de quantité ? À Galliera, on a une collection obsessionnelle et répétitive de mirifiques papillons que l’on a pris soin de préserver du moindre éclat de lumière ; au musée d’Art moderne, le temps, si problématique et essentiel à l’objet mode, fait enfin corps et récit. Le vêtement seul ne tient pas ! mathieu buard et céline mallet Images : p. 57 : Vue de l’exposition Alaïa au palais Galliera, ©DR p. 58 : Vue de l’exposition Alaïa au Musée d’art moderne, ©DR p. 59 : Vue de l’exposition Alaïa au palais Galliera, ©DR 55 john m armleder Interview art « Ce qui m’importait était l’invention que je partageais avec mon galeriste : il était autant un artiste que les artistes qu’il représentait » Que se disent un artiste et son galeriste : à quoi sert une g a l e r i e ? à produire des œuvres ? à les vendre ? à nourrir un échange intellectuel ? À ces questions John M Armleder a des réponses et une pratique singulières. Timothée Chaillou : John, tu es considéré comme un artiste sans véritable attache à une galerie en particulier, tout en travaillant avec de nombreuses, souvent secondaires par rapport à ton parcours. Une liberté similaire à celle d’Olivier Mosset. John M Armleder : Disons que c’est un peu moins vrai maintenant, car je travaille essentiellement avec Andrea Caratsch, Mehdi Chouakri et Massimo de Carlo, qui sont mes galeries principales. Si j’ai eu l’attitude que tu décris, elle était basée sur un réseau de relations amicales et affectives. J’ai ainsi collaboré avec des galeries qui n’étaient pas recommandables au niveau de l’honnêteté de leurs rapports commerciaux. Il y en a qui ne m’ont jamais payé et avec qui j’ai pourtant continué de travailler pendant des années – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui m’importait était l’invention que je partageais avec mon galeriste : il était autant un artiste que les artistes qu’il représentait. À mes débuts, je n’ai pas tout de suite travaillé avec des galeries, car nous avions créé une coopérative nommée 56 Ecart avec des amis rencontrés au collège dans une équipe d’aviron. Nous y exposions d’autres artistes ou nous créions des œuvres dont l’auteur était collectif. Ecart fut fondé en 1969 lors d’un festival de happenings. Nous avons ensuite ouvert, en 1972 à Genève, une galerie, une librairie et une imprimerie commerciale, qui nous permettait à la fois d’imprimer des menus de restaurants et des livres d’artistes. Indirectement, Ecart existe toujours, car j’ai chaque année un stand à ArtBasel qui est une survivance de cette époque-là, mais je suis maintenant seul à m’en occuper. À l’époque d’Ecart, on me demandait souvent si j’avais un travail personnel. Tu préférais être un collectif ? Oui, ou exposer anonymement. À quel moment ta signature apparaît-elle ? Elle commence à être repérée vers la fin de l’histoire de la galerie. Dans les années 1970, j’ai tout de même exposé dans des galeries en Europe souvent liées à Fluxus. Tu as commencé à y présenter un travail pictural lié à l’abstraction géométrique concrète. Oui. Je présentais aussi d’autres travaux qui étaient régis par des systèmes de hasard, qui apparurent à la suite de ma rencontre avec John Cage. Quel changement as-tu vu s’opérer, dans le milieu de l’art, entre les années 70 et 80 ? À partir des années 80, cela devient comme le système de la mode : un nouveau mouvement apparaît pour chaque nouvelle saison. Il y a aussi eu une explosion des lieux d’exposition et du nombre d’acteurs au sein du milieu de l’art. Quand j’étais jeune, il y avait trois biennales importantes, dix musées qui montraient de l’art contemporain et une quinzaine de galeries dans le monde. Les relations de travail étaient donc tout aussi différentes et il y avait beaucoup plus de contrats à l’époque. Même s’il y avait plus de contrats, c’était une simple forme de survie pour ces artistes qui n’avaient que très peu de moyens pour vivre. On ne se rend pas compte de la situation d’un Jasper Johns ou d’un Robert Rauschenberg au tout début de leur carrière, c’est presque inimaginable par rapport à des artistes de cet âge-là aujourd’hui. La proportion des artistes qui vivent de leur travail objective puisque je m’intéresse à son disparaissent naturellement – sans attitude, car elle me touche beaucoup que cela n’ait jamais été un problème – sans que je ne me sente proche de pour moi –, mais il y a aussi eu un celle-ci. Lui, il a le désir « d’occuper le événement fort dans ma vie : je suis terrain », il aime bien l’éventail entre tombé gravement malade, me mettant des lieux prestigieux et d’autres qui ne hors circuit pendant une année. Ma disponibilité n’était plus la même et j’ai le sont pas. dû travaillé avec des assistants, ce que Reste qu’il n’y a pas d’art qui ne je ne faisais pas avant, en me donnant soit pas exposé. accès à une autre méthode de travail Absolument, c’est pour cela – vis-à-vis de mes galeries et de mon que je pense que l’artiste n’est qu’un propre travail. intermédiaire secondaire dans cette En revanche, la diffusion de leur « affaire » – pour parler comme Olivier. Que penses-tu de la façon dont travail est beaucoup plus imméJe n’aime pas la force de la biographie, travaille Olivier Mosset ? diate et publique. mais ce qui m’est arrivé ces derniers J’aime qu’il soit partant pour L’effet d’une minorité est temps est tellement fort que cela relatitout. Mais il y a deux choses diffébeaucoup plus lisible qu’auparavant, vise forcément tous les autres discours. rentes : l’individu qui produit l’œuvre la réussite de certains et l’engagement spéculatif d’autres est mis sur le devant et l’œuvre elle-même. Une fois que Et d’ailleurs, de nouveaux l’on connaît l’artiste, il devient pourde la scène de manière beaucoup plus discours naissent concernant tant difficile de l’exclure de la lecture claire et concernent beaucoup plus de la lecture, par exemple, de tes de son œuvre, mais les anecdotes qui monde. Ce qui change est le fait que peintures ou œuvres murales entourent la création d’une œuvre les artistes souhaitent à tout prix se au motif de têtes de mort. restent des anecdotes. L’artiste est lier contractuellement à ces instances Absolument, et en plus de l’une de ces anecdotes : c’est un dégât de survie que sont les galeries. Mon cela, l’ironie du sort a voulu que collatéral dans la création. Ce qui rapport avec les galeries vient de cette pendant les dix années avant mon est intéressant est la manière dont mouvance alternative liée à Ecart. Tu l’œuvre est véhiculée, comment elle est opération du cerveau j’aie produit de évoquais le fait que j’aie travaillé avec nombreux motifs et moules de cerveau. beaucoup de galeries, et je te disais que prise en charge par une société à une On se rend ainsi compte qu’il y a une période donnée, pour lui donner du c’était souvent par l’intermédiaire de confusion entre la narration bio sens. Olivier Mosset est mon meilleur relations amicales jusqu’à ce qu’à un graphique et le produit qui est exposé : ami dans le milieu de l’art, j’ai donc moment donné cela devienne difficile on y voit toujours l’expression d’un une lecture de son travail qui n’est pas parce que les relations de confiance est probablement encore plus petite aujourd’hui qu’auparavant, car il y a beaucoup plus d’artistes formés à un système avec des attentes par rapport à ce système. Les écoles du monde entier « produisent » chaque année un certain nombre d’artistes qui arrivent sur un marché de l’emploi qui est proportionnellement beaucoup plus dur par rapport à ce qu’il était : s’il y a plus de monde, il y a encore plus d’échecs. 57 individu alors que cet aspect-là a peu d’intérêt. Il y a toujours eu des axes qui m’ont permis de sortir de ce genre de préoccupation : le hasard, les systèmes qui brisent les choix affectifs et l’absence d’expressivité. Finalement, j’ai toujours été un formaliste et je suis au moins autant formaliste qu’Olivier, sinon plus. Oui, mais tu te situes malgré tout sur une ligne qui peut te placer à la fois chez les conceptuels et chez les décoratifs. Ce qui est aussi le cas de Damien Hirst et Jeff Koons, qui eux, en revanche, cristallisent un déchaînement des passions du public à la fois vis-à-vis de leur célébrité, du prix de leurs œuvres et de leur vocabulaire visuel – qui pour l’un est lié à la plénitude, au bonheur, et pour l’autre à la morbidité, au sordide. Il y a deux modèles qui les précèdent et qui ont géré cela avec un certain brio : Salvador Dalí et Andy Warhol. Tous les deux ont fait de la publicité… … et des sous-produits à n’en plus finir. Jeff ou Damien s’investissent 58 « Les anecdotes qui entourent la création d’une œuvre restent des anecdotes. L’artiste est l’une de ces anecdotes, c’est un dégât collatéral dans la création » d’une manière fondamentalement différente de la mienne. Damien a ainsi essayé de nier l’investissement et la prise en charge de l’artiste par sa galerie. En mettant directement en vente ses œuvres lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s en 2008. Ce qui ne fut pas une démonstration forcément très probante financièrement, mais en tout cas conceptuellement c’était intéressant, car il niait la toute-puissance du patronage d’une galerie par rapport à son artiste. C’est un peu plus ambigu que cela parce qu’il y a un va-et-vient bien accepté… … du passage d’un patronage à un autre. Voilà, mais cela a été un échec par rapport à la progression tranquille de sa cote. Tu as dit : « On évolue dans l’histoire de l’art comme on évolue ailleurs. L’art est à l’image du reste, il n’y a pas de singularité. Or, on vit dans un milieu qui croit fermement à sa propre singularité, alors qu’il n’y en a aucune. C’est pour ça que le milieu où l’on vit est intéressant, c’est un milieumiroir et l’activité de l’artiste a cette fonction primordiale qui est de lui renvoyer une image autour de laquelle la société s’organise. Même si c’est un miroir extrêmement privilégié, confortable, ce n’est pas un miroir dur comme pour d’autres milieux sociaux. C’est aussi un miroir qui est totalement inconscient : il a ce privilège de ne pas s’en rendre compte, il le fait avec une totale impunité. » Je parlais de l’impunité de l’artiste, car il peut faire ce qu’il veut et de la manière qu’il veut. Si je dis que mes peintures sont vertes alors qu’elles sont bleues, on ne pourra pas dire que je me trompe. C’est de ce confort-là dont je parle, dont on jouit en tant qu’artiste, car on a l’absolue liberté de nos affirmations – ce qui n’est pas le cas de la plupart des gens dans la société. On a la responsabilité de cette énorme liberté qui nous renvoie aux positions politiques que l’on a. Par exemple, Jeff Koons pourra apparaître petit bourgeois dans ses affirmations politiques – ce qu’il revendique d’ailleurs puisqu’il dit aimer réussir pour en tirer du plaisir. Mais encore une fois, cela n’apporte que très peu de choses à la lecture de son travail. C’est pour cela d’ailleurs, sans doute, que je peux très agréablement regarder les œuvres d’artistes qui ont des positions politiques insupportables – comme les futuristes italiens qui sont passés d’une vision positive du monde à une vision fasciste. Encore une fois, l’artiste a une grande responsabilité, car il a des moyens et une liberté que personne d’autre n’a : il est incroyablement privilégié. Jeff Koons agace les gens – bien qu’il ait d’une certaine façon raison – lorsqu’il dit : “If you are critical, you are already out of the game.” Il affirme ainsi que son travail n’est pas critique, alors qu’il l’est pourtant fondamentalement. Ce qui évoque certaines positions de Warhol – que tu as d’ailleurs fréquenté. Quel fut son enseignement ? Disons que j’ai plus appris de John Cage que de Warhol. J’ai rencontré Warhol dans les années 80. Il avait un détachement apparent très grand, et cette capacité à mettre tout au même niveau, en égalisant la valeur des événements. Si tu parlais avec lui autour d’une table, ce que tu choisissais de placer sur cette table avait autant d’importance que ton message politique. C’est une attitude très zen. J’aimais le fait qu’il fasse des films, des expositions, tout en faisant la promotion d’une marque. Cette fluidité m’a beaucoup impressionné, car je n’ai pas connu tellement d’artistes qui avaient cette capacité à faire œuvre tout le temps – même si on peut faire un rapprochement avec Dalí, qui avait cette capacité à embrasser le monde sans réelle hiérarchie. J’ai aussi une grande sympathie pour Georges Mathieu, alors qu’il a des pensées politiques complètement contraires aux miennes, mais sa manière de s’investir autant dans une peinture que dans un sous-produit est quelque chose qui me fascine complètement. Marcel Duchamp était art advisor pour les époux Arensberg et Richard Prince faisait acheter à ses collectionneurs les œuvres de ses amis : Christopher Wool, Rodney Graham, Rosemarie Trockel, David Hammons ou Ellen Gallagher. Es-tu parfois consulté ? On pourrait dire que mes activités de galeriste et d’éditeur relèvent de cela. Propos recueillis par timothée chaillou Image : p. 63 : Portrait de John M Armleder par Juliette Villard. 59 korean diary Chronique style Trois mois. Une période pour s’immerger dans une culture profondément différente et qui opère la f a s c i n a t i o n du moment en Occident. Journal en forme d’observations. Korean cigales : 5 cm de long, 3 cm de large, un bruit de fer à souder. J’habite un bungalow sur la colline dans un jardin de pins parasol, il y pousse des myrtilles et les papillons paresseux volettent deux par deux dans la brise. Sur le trottoir d’en face, en 5 min d’une conduite féroce qui vous jette sur vos voisins dans des heurts où aucun mot d’excuse ne sera prononcé, le bus 7012 vous dépose à Hongdae, le quartier jeune super crowdé super excité. À Hongdae, nul n’a plus de 25 ans. À Hongdae, en ces jours précédant le Temps de la Pluie, les filles sont des clônes parfaits. Même minishort, mêmes bottes Hunter, même visage recopié par le chirurgien de maman sur celui de la dernière k-pop star. Les shorts sont très mini et les jambes longues et fines. À la piscine, les torses masculins donnent l’impression de nager avec un boys-band. « À Séoul, la beauté est partout, la séduction nulle part », constate avec regret un vieil Américain flirteur. 60 J’arrive à Séoul en milieu de journée, pas dormi depuis 24 heures. Munie d’un plan de quartier et me traînant dans le voisinage pour ne pas tomber de sommeil trop tôt, je suis ce zombie occidental que chacun veut aider. Perdue réorientée reperdue réorientée, je rencontre une Coréenne encore plus disponible que les autres : dix minutes de conversation dans un anglais parfait – elle m’invite à dîner dans le quartier, simplement pour me souhaiter la bienvenue. Ivres, les Séoulites en fin de semaine tanguent et tombent dans les rues, lamentablement seuls et sans que nul ne s’en inquiète. Je me rends à la réception de l’ambassadeur pour le 14-Juillet. La réception de l’ambassadeur n’a rien de Ferrero. La Corée du Sud détient le taux de suicide le plus élevé des pays de l’OCDE. À la réception de l’ambassadeur, je rencontre Benjamin J, l’homme dont tout le monde (me) parle à Séoul. Quatre heures de conversation et un thé plus tard, nous avons un projet de livre ensemble. Durs lendemains de cuite au makolli, l’alcool de riz traditionnel, blanc comme du lait, piquant comme du mousseux, et servi en soupières. À la piscine locale, on m’observe. Pourquoi je ne porte pas de lunettes pour nager, veulent savoir les ajumas, matrones coréennes à la pushiness légendaire. Poussée d’office dans le hammam, on me passe à la question. Qui je suis. Ce que je fais ici. Mon maillot de bain. Mes cheveux. Tranquille, dans le vestiaire collectif de la piscine, une jeune fille un pied sur le lavabo se sèche la chatte au sèche-cheveux. Combien de temps encore la Corée saura t-elle résister aux normes minimalistes de l’épilation maillot occidentale ? Visitant la DMZ (cette zone « démilitarisée » hyper touchy entre la Corée du Sud et la Corée du Nord), je me vois informée du code vestimentaire à respecter : pas de chaussures qui montrent les orteils, pas de jupe au-dessous du genou, pas de col rond, sauf si cardigan (?), pas de showershoes (va mourir Mark Zuckerberg), pas de tenue de biker – non mais, Occidentaux dégénérés ! 61 « À Seoul, la beauté est partout, la séduction nulle part », constate avec regret un vieil Américain flirteur. 6 000 wons, environ 4 euros. Le prix d’un café (les Coréens en sont fous). Le prix d’un (très bon) repas. En route vers le restaurant où il vous invite, un Coréen d’âge moyen lâchera tout naturellement des rôts bien sonores. Traverser à la parisienne un boulevard encombré vous exposera à la fureur absolue de l’agent de la circulation, qui saura vous ramener à la discipline par une phénoménale engueulade en coréen. Et non, vos excuses ne suffiront pas, il faudra encore les répéter, avec l’humilité suffisante, cornaquée par une ajuma vigilante. Rituel de la séduction en Corée du Sud, ce serrage de main digne de la franc-maçonnerie, dont mon amie Jess, hilare et rougissante, me donne un échantillon. L’imitation du « regard de braise » à la française que je lui procure en échange lui semble absolument terrifiante. Dans la nuit chaude et moite, aux terrasses des superettes ouvertes 24/24, je relis Ballard. 62 Écrire et travailler au café Comma. Cinq mètres de hauteur sous plafond couverts de livres neufs à consulter. Selon la nature du chapitre : écrire face au mur (non). Écrire en mezzanine. Écrire face à la baie vitrée. Écrire en fumant sur la terrasse extérieure. Travaillant un après-midi au café Comma, je fais connaissance de mon voisin de table, au français parfait. Il se révèle être le directeur de la rédaction du Monde diplomatique en Corée. En Corée, on ne plaisante pas avec la différence d’âge. Pour peu que votre interlocuteur ait cinq ans de plus que vous, vous lui devrez le respect le plus marqué. Est-ce pour cette raison que how old are you? est la question avec laquelle tant de Coréens ouvriront la conversation ? Mais à quel âge est-on vieux en Corée exactement ? « Ça arrive entre 35 et 40 ans, m’explique un collègue du Centre au désespoir palpable. Ainsi, moi j’ai 39 ans, et depuis deux ou trois ans, je vois moins bien et ma mémoire a des trous. » Impuissante au milieu de la chaussée dans un taxi qui laborieusement GPSse l’adresse du Centre, une voiture en klaxonnant double et stoppe dans un crissement nerveux, le conducteur en jaillit pour se précipiter vers nous. Parisienne, je courbe l’échine anticipant ma dose de stress – le jeune homme avec un grand sourire se penche à la vitre : “May I help you?” Nice, France, destination touristique privilégiée des Coréens. « Si je fais une école de stylisme c’est que je n’ai pas assez travaillé au lycée, se désole le serveur entre deux plats. Moi j’aurais voulu être docteur. Mon père est docteur : il gagne beaucoup d’argent, il a plusieurs voitures… C’est ce genre de vie que je veux. » L’économie coréenne est tenue par les Chaebols, mega-corporations familiales dont la plus importante est la dynastie Samsung ; face à l’histoire de leur domination, Dallas est un conte pour enfants. « Les Françaises sont les plus minces en Europe, avec les Italiennes. Pourtant, la France est, après la Corée du Sud, le pays où la volonté de perdre du poids est la plus fréquente chez les femmes. » (Étude Populations et société», INED.) La taille 38 en France correspond à XXL en Corée. Mon séjour prolongé d’une semaine, je loge dans la Résidence de France désertée pour l’été. Je n’avais plus l’habitude de me voir demander à quelle heure je rentrerais ce soir – et par un monsieur en uniforme. À la conférence « Devenir immortel : pourquoi, comment, quand ? » que je tiens à l’Institut français, le public majoritairement féminin contredit ma cible habituelle du posthuman fan-club, résolument masculine. « En Corée, les hommes n’ont pas le temps d’assister aux conférences, m’explique une participante : ils travaillent, ils travaillent tout le temps. » et Dildo à importer sur les plages françaises. Ma fille de 15 ans sur la banquette arrière se réveille un instant pour m’assurer qu’à ma retraite elle prendra sans férir la relève, au volant de l’affaire Chichi et Dildo. dominique babin Dominique Babin est l’auteure de PH1manuel d’usage et d’Entretien du post-humain (Flammarion), traduit en Corée en 2008 (Kungree Press). Elle a bénéficié d’une résidence d’écriture de trois mois à Séoul en juin 2013 pour l’écriture de son prochain livre. Les fragments de ce journal ont, pour certains, déjà été publiés sous forme de statuts Facebook. Image : Rues de Séoul, ©DR Sur le bord de la départementale qui nous ramène de la maison de campagne de Benjamin, une tente Snack et Dildo. Morts de rire, nous épiloguons sur un camion Chichi 63 art advisor Off record Quand on visite une foire on y rencontre maintenant pléthore d’advisors. Ils sont tous très beaux ou très belles ; ils doivent avoir l’air un peu chic et sexy, et font parfois penser à des poules ou des poulets de luxe. […] L’art contemporain est devenu plus visible. Comme la mode, il a organisé son calendrier et l’a fait savoir. Pourtant, quelques métiers, comme l’art advisor, demeurent encore dans l ’ o m b r e et nous en apprennent beaucoup plus sur l’art contemporain que ce côté cirque retenu par les médias généralistes. Entretien à visage couvert. En quoi consiste le travail d’art advisor ? C’est assez simple : conseiller des collectionneurs pour acheter des œuvres d’art. Ensuite, tous les cas de figure sont possibles : rechercher un tableau particulier ou accompagner quelqu’un qui s’intéresse soudainement à l’art contemporain et qui n’y connaît pas grand-chose. Le grand mouvement, actuellement, ce sont des collectionneurs historiques qui vendent leur collection moderne par exemple pour acheter du contemporain. Quelles sont leurs motivations ? Ils sont lassés de voir certaines œuvres ? Le contemporain, c’est à la mode, c’est dans l’actualité et la tendance… Il y a cette idée qu’on entend souvent – et qui n’en est pas moins vraie – que l’art contemporain, avec ses foires, ses biennales et autres vernissages, propose une socialité faite de dîners et de rencontres… Maintenant, je pense que les gens changent et leur goût également ; ce qu’ils ont acheté il y a quarante ans ne leur correspond plus forcément. Une collection doit évoluer ; si elle ne bouge pas, elle est 64 comme morte. Il y a encore trente ans, l’art contemporain concernait 200 personnes dans le monde ; c’est maintenant devenu une scène mondialisée. Dans le lot, on compte des gens qui s’ennuient et à qui ça offre une socialité, de nouveaux amis… Mais ce n’est pas le cas des vrais collectionneurs, qui sont en général assez solitaires. Quelles sont les raisons qui poussent un collectionneur ou une société à solliciter un consultant ? la plus-value qu’il peut réaliser ? une collaboration à long terme ? façonner la personnalité d’une collection ? Il y a évidemment tous ces cas de figure. Mais aujourd’hui, constituer une collection, c’est quasiment un job à temps complet ! Il faut être au courant de tout, voyager sans cesse… Et en général, ces grands collectionneurs ont des jobs assez prenants qui ne leur laissent que peu de temps. Ils ne peuvent pas aller à toutes les foires, toujours plus nombreuses, visiter les biennales ou les studios d’artistes. L’advisor fait un peu ce travail et « prémâche » ce flot d’informations. Et il a plus de liberté que le galeriste parce qu’il ne représente pas un team constitué d’artistes. C’est d’ailleurs devenu le symptôme des années qu’on est en train de vivre : quand on visite une foire, on y rencontre maintenant pléthore d’advisors qui ne se connaissent pas nécessairement entre eux. Ils sont tous très beaux ou très belles ; ils doivent avoir l’air un peu chic et sexy, il y a clairement une part de représentation et de séduction dans ce job qui fait parfois penser à des poules ou des poulets de luxe. Il arrive souvent qu’il y ait plus de demande que d’offre pour une œuvre ? Plus souvent qu’on ne le pense… du moins pour un certain type d’artiste. Parce que, bien sûr, tout le monde veut acheter le même artiste au même moment – au point qu’on se demande parfois pourquoi certains ont des consultants… Obtenir des œuvres, ce n’est pas tant une question d’argent que de public relations. Concrètement, ça demande de faire pas mal de lèche, car il faut arriver à obtenir l’œuvre, à la trouver… C’est un peu ça, le travail de l’advisor. […] On ne le sait pas forcément, mais deux semaines avant les foires, les collectionneurs et les advisors reçoivent la liste de toutes les œuvres qui y seront proposées afin de pouvoir réserver telle ou telle pièce. On ne va sur la foire que pour vérifier l’œuvre… De même, il arrive qu’une exposition soit inaugurée par une galerie et que plus rien n’y soit à vendre. L’art advisor conseille des collectionneurs, mais il pourrait tout autant conseiller des artistes, puisqu’il connaît les raisonnements en bout de chaîne… Les galeristes font un peu ce travail en demandant à leurs artistes de produire des pièces pour les stands de foire. Les sommes en jeu ont créé de la rareté… Avant, l’art contemporain ne valait rien et on pouvait toujours essayer de le revendre, ça ne valait pas plus ! Maintenant, c’est devenu un levier de mannes financières. Le type qui a laissé son argent dans une banque va gagner bien moins que s’il avait acheté un Jeff Koons au bon moment et s’il l’avait revendu au bon moment – d’où l’importance des conseillers. Il faut bien voir que les prix ont explosé en l’espace de vingt, trente ans. Une œuvre d’Oscar Tuazon, il y a disons quatre ans, c’est 5 000 dollars, et c’est aujourd’hui dans les 100 000. Quand une œuvre faisait un million, c’était un événement ; récemment, un Giacometti a fait 100 millions de dollars ! Avec 100 millions, on peut acheter une entreprise, avec une masse salariale, des gens qui produisent… Là, on a une sculpture, même pas unique puisque c’est une édition. Ce prix a même été dépassé puisque le Qatar a acheté une peinture de Cézanne pour une somme encore plus élevée (250 millions de dollars). Il y a bien sûr là-dessus des opérateurs privés qui prennent des commissions qui deviennent énormes, pour un travail qui n’est pas non plus harassant… il faut un réseau, passer des coups de fil, mais ça ne demande pas d’aller au turbin à 6 heures du matin… Le rôle des acteurs traditionnels a aussi bougé… Les maisons de ventes ont damé le pion aux galeristes parce que les œuvres ont atteint de tels prix que des collectionneurs se sont délestés de certaines pièces ; elles ont mis en place des cellules de consulting et organisé des ventes privées, qui ne passent pas aux enchères. Ce secteur représente aujourd’hui un pourcentage énorme de leur chiffre d’affaires. Toute une partie du marché de l’art contemporain reste donc invisible… Le marché a clairement pris le pas sur l’intérêt de certaines œuvres. Je pense à un tableau de Sterling Ruby, qui a dû changer de mains dix fois en l’espace de six mois, en passant de continent en continent, peut-être sans même bouger, en restant en port franc à Genève. Et bien sûr la commission de l’intermédiaire est de 10 % à 15 % à chaque fois. Que faisaient les advisors avant de l’être ? Ce sont souvent des gens qui ont travaillé dans des galeries. Les grands consultants viennent, eux, des maisons de ventes aux enchères, ils connaissent bien ce milieu et ses réseaux, ou des institutions, ce qui constitue la nouvelle mode puisqu’ils bénéficient d’une caution intellectuelle que n’ont pas ceux qui font uniquement du trading. L’ancien directeur du Moca à Los Angeles, Paul Schimmel, vient d’ouvrir une galerie en partenariat avec Hauser & Wirth. De 65 C’est triste, mais je crois que le rôle du critique d’art aujourd’hui est le même que celui de critique de mode, c’est-àdire cosmétique […] Récemment, un Giacometti a fait 100 millions ! Avec 100 millions, on peut acheter une entreprise, avec une masse salariale, des gens qui produisent […] nombreux institutionnels passent dans le privé ; ce qui était impensable il y a encore peu à cause du conflit d’intérêt. Maintenant, ce n’est plus un problème, bien au contraire. Comment expliquer ce changement de mœurs ? Par le passé, le milieu institutionnel de l’art était constitué de gens de bonne famille qui n’avaient pas besoin de travailler pour gagner leur vie. Aujourd’hui, la donne a changé et comme on est toujours très mal payé dans les institutions, en tout cas en France et souvent en Europe, ça donne des envies d’ailleurs… Comment l’art advisor est-il rétribué ? À travers un pourcentage sur la vente, 10 % en général, avec des barèmes si l’œuvre atteint des montants très élevés. On n’est pas censé le dire, mais dans toutes les galeries, le prix communiqué n’est jamais le vrai, on bénéficie toujours d’un discount qui sert à rémunérer l’intermédiaire ; une marge de 10 % à 15 % qui est déduite automatiquement, sans qu’on ait à la négocier. 66 L’advisor visite donc foires, biennales et autres joyeusetés… Son rapport aux acteurs en est-il altéré ? Je ne sais pas s’ils sont vraiment courtisés par les galeries. La réalité est que les grands advisors organisent leur vie autour de leur travail – même leurs vacances cultivent leur réseau et ouvrent à un possible business. Ceux qui sont vraiment courtisés sont les collectionneurs. Si un advisor est carré et défend un type d’artiste, les gens savent bien qu’ils ne peuvent pas l’influencer et lui vendre n’importe quoi… Il doit aussi repérer les artistes en devenir, ce qui comporte une part d’incertitude. Les collectionneurs prennent-ils des risques ? Si ce n’est pas trop cher, oui. C’est ce qui fait l’intérêt du milieu de l’art, il y a toujours des nouveautés : nouveaux acteurs qui arrivent sur le marché, nouveaux artistes qui font sensation, effet de mode… C’est un peu comme dans la mode justement, il y a toujours une nouvelle collection, avec des vêtements qu’on veut absolument. Là, ce n’est pas le dernier sac Céline, mais la dernière œuvre d’Alex Israel. Maintenant, constituer une collection c’est autre chose, ce n’est pas simplement empiler des œuvres désirables ou désirées, ça c’est un peu stérile. Il y a quand même une histoire de l’art à prendre en compte, si l’œuvre n’apporte rien… Alors qu’il y a beaucoup de choses qui ont été produites dans les années 80 ou 90 qui ne coûtent pas très cher et qui sont formidables. […] De jeunes artistes valent aujourd’hui très cher pour de très mauvaises raisons – comme ce fut le cas pour Oscar Murillo, qui ressemble à Basquiat, à qui on l’a un peu rapidement comparé ; ça valait 5 000 au départ et maintenant 400 000 dollars, tout ça en l’espace de six mois. Disons que l’acheteur du tableau à 400 000 va avoir de la peine à le revendre à ce prix-là. À ce prix-là, on n’achète pas la qualité de l’œuvre (cette somme permet d’avoir accès à d’autres pièces), mais on suit un effet de mode dans un but spéculatif. C’est même très organisé entre certains collectionneurs/galeristes/advisors pour faire monter les enchères de façon artificielle. Quand une collection est-elle… terminée ? Ce peut être jamais, ou alors à une date établie d’avance. Une advisor célèbre m’invite un jour à visiter une collection « quand elle sera terminée » ; en fait, un riche collectionneur avait acquis une maison et le job de l’advisor était de penser en même temps que l’architecte quelles œuvres d’art iraient dans quelle pièce. À un certain moment, toutes les pièces ont leur œuvre et basta. Sinon, une collection est comme un puzzle, une fois terminé, on en commence un autre. À la différence qu’une collection « terminée » est revendue, car l’ensemble devient total et a acquis une certaine valeur. De l’extérieur, quel est le rôle des journalistes dans la chaîne de l’art ? La critique a beaucoup perdu de son pouvoir et de sa vitalité parce que le marché est devenu très puissant, y compris dans l’institution. D’ailleurs, même si elles sont prioritaires, les institutions sont quasiment off maintenant, par manque de moyens. Surtout, ce qui a été biaisé et qu’on voit notamment chez les Américains, c’est que les musées sont financés par des trustees, qui sont des collectionneurs, comme Elie Broad, au Moca. Clairement, s’ils achètent disons dix Murakami, ils auront tout intérêt à ce qu’une exposition de l’artiste soit programmée, puisque ça valorisera leurs œuvres. Idem en France, où l’acheteur le plus important, Pinault, possède par ailleurs une maison de ventes, et donc revend les œuvres… Et personne ne peut se priver d’être dans sa collection – s’il décide de montrer une pièce au Palazzo Grassi ou à la Douane, elle est automatiquement valorisée… On a l’impression que la chaîne entre le collectionneur, l’artiste et le galeriste marche très bien sans l’apport analytique des critiques… C’est triste, mais je crois que le rôle du critique d’art aujourd’hui est le même que celui du critique de mode, c’est-à-dire cosmétique. Les seuls médias qui pourraient proposer une critique n’ont pas d’argent pour la faire exister, et sans une révolution punk de la critique, je crois que ça ne changera pas. […] Il y a bien des voix critiques qui s’expriment, dans les biennales par exemple, mais ce qui a changé, c’est leur influence sur le marché. Tobias Meyer, le boss de Sotheby’s, a dit un jour que le marché avait gagné et que la critique était morte… Bon, il s’est ensuite excusé, mais on peut effectivement se poser la question de son rôle. On a vu ces derniers temps de telles aberrations qu’on pouvait légitimement penser que la critique était absente et qu’en tout cas, elle ne comptait pas. Par exemple, en France, Frog est un magazine qui fait ce job. Bien, j’ai l’impression que ça n’a pas changé grand-chose… Si demain Frog dit par exemple que Jeff Koons c’est de la merde (ce qu’ils ne pensent d’ailleurs pas, j’imagine), so what ?! Les blogs n’auraient pas pu être cet espace où produire une critique constructive ? Peut-être, il y a bien des blogs très critiques, mais cela reste très confidentiel, souvent ce sont des étudiants ! Mais quand on regarde les pages les plus vues du blog d’Artforum, c’est de la mondanité. Il n’y a tout simplement pas d’appétence pour la critique d’art aujourd’hui, alors que pour le social, le mondain… Les gens ont trop envie d’en être, donc on ne va pas gâcher la fête. Propos recueillis par angelo cirimele 67 tartan pomme Design Au milieu des é b o u l i s industriels, là où le cochon et l’acier trébuchent, avec l’équipementier automobile et le poulet concentrationnaire, le luxe rayonne. Debout sur les débris, il émerge, plus beau encore. Apple, Versailles et Ralph Lauren : variété d’échelles, perspectives croisées. Apple enfile Burberry, ou c’est l’inverse. Ralph Lauren festoie aux BeauxArts de Paris. Les frères Bouroullec suspendent un lustre à Versailles. Nouvelle variable dorée, on pourrait ajouter à nos intérêts, accessoirement designiques, l’entrée de LVMH au capital du groupe Madrigall (qui inclut Flammarion et Gallimard). Ou la petite maison, vieille aussi, de Charlotte Perriand devant un hôtel de Miami1 – pour une foire de design qui peine à trouver des marques plus sûres que l’antique moderne2. La liste s’allongerait de résultats inédits, des chiffres d’affaires croissants et profits astronomiques des plus grands groupes du luxe. Hermès ne s’est jamais mieux porté. Seul Kering (ex‑PPR) souffre un peu : La Redoute, Fnac, Puma – quelques déconvenues, des frais superflus. Pour extraordinaire qu’elle semble, la simultanéité de ces triomphes et des avanies macro-éco qui n’épargnent aucun pays européen – au niveau micro, celui des homoncules damnés, des ouvriers qui prient pour rester esclaves encore un peu – ne doit certainement rien au 68 des illustrations dans nos existences hasard. C’est une pièce de natation synchronisée à l’échelle d’un continent, quotidiennes. Il est présent dans celle de presque tous nos amis dès lors que pour la mièvrerie d’ensemble et la leur vie n’est pas tout à fait infecte violence physique imposée à chacun. – des dettes nombreuses et un crédit Une exquise brutalité symbolique, bancaire inique ne la qualifiant pas l’équilibre esthétique des systèmes assez pour être jugée pourrie. Là d’où totalitaires. nous parlons, d’habitude, le luxe est si forcément obscène qu’il ne peut Le luxe. Faire semblant d’en pas même être questionné. C’est là relever ou s’en insurger. Le maudire, que ça devient navrant. Il y a autant en rêver : se demander, à chaque fois, de faiblesse et d’hypocrisie à l’écarter si c’est la naïveté ou l’imbécillité qui aujourd’hui d’un revers de cashmere nous meut, l’envie, un intérêt irrésisque de le lustrer au chiffon doux après tible fondé sur la hantise très ancienne avoir craché dessus. de la misère. Le luxe nous quittera d’autant moins que nous deviendrons Dans notre champ immédiat, plus pauvres et idéologiquement plus le scénario est chaque fois distinct. Ce exsangues. Qu’avons-nous désormais sont effectivement des coïncidences. à lui opposer, maintenant que nous À Versailles, les frères Bouroullec n’avons plus de classe, que l’atrophie sont associés au fabricant de cristal du projet signe la maturité de la autrichien Swarovski pour imaginer réflexion, la lâcheté entendue sagesse ? un nouveau lustre : l’escalier Gabriel Trahison, reddition, compromis ? Le luxe ne serait qu’une question de goût, qui l’abrite est vaste et curieusement nu. Ils accrochent au plafond un lien la variable saisonnière d’un calenà peine emmêlé3. Des lignes infléchies, drier très fourni en prétextes pour lui céder. Un degré de culture et la quelques fourches : il tient de la liane marque d’une exigence, plus ou moins et du collier complexe, il est abanponctuelle. ll trouverait sans peine donné et tendu, en sautoir. L’humain 69 […] Le luxe nous quittera d’autant moins que nous deviendrons plus pauvres et idéologiquement plus exsangues. Qu’avons nous désormais à lui opposer ? a horreur de ce qui pend (d’où l’attention paradoxale aux travaux de Messager ou Neto, probable) : avec la mode et la chirurgie, l’architecture dit la victoire sur la gravité, et ce lustre, tout précieux qu’il est, prend alors en regard une dimension presque critique. Câble évadé, c’est une réalisation démente par son échelle, les développements techniques qu’elle a impliqués et un coût à la démesure de la pièce. La qualité du travail des Bouroullec leur permet d’échapper à toute suspicion d’un pacte avec la vulgarité de ce palais pour nouveau riche, ou la vanité d’une absurde commande princière. Ils bénéficient, sans en pâtir non plus, du rayonnement nouveau de cette banlieue rendue plus fameuse encore par les opérations du redoutable Aillagon (à moins que les mélodies mondiales des groupes Air et Phoenix, associées aux entreprises de Sofia Coppola, fassent aussi partie de ce nouveau complot versaillais). Les éventuelles exploitations des solutions ici mises en œuvre, à des niveaux plus domestiques ou urbains, posent plus loin la légitimité de ce projet. Étrangement, le dessin du collier réalisé par les mêmes frères4, présenté beaucoup plus tôt, est postérieur à ce 70 lustre dont il est déjà une sorte d’écho. Le lustre est lui-même un bijou d’intérieur, à portée fantastique. Toujours dans un vieux décor, une problématique contemporaine, un conflit art/design : à l’Hôtel de Chimay, Ralph Lauren participe de l’économie désormais bricolée de l’École des beaux-arts (un replâtrage à hauteur d’un million et demi d’euros). Il y a déjà Lanvin, Nespresso et Neuflize OBC dans le labyrinthe de l’institution. Ça fait du monde, il y a aussi ceux dont on ne sait rien, les mécènes discrets. Mais ça ne suffit apparemment pas encore. Inévitablement, quel que soit par ailleurs le niveau des clients, le sentiment que l’une des écoles les plus célèbres au monde vende ses charmes à l’encan. Rue Bonaparte, mais trottoir quand même : bien malaquais ne profite jamais et Nicolas Bourriaud, directeur, a du mal à justifier le racolage et ces étiquettes appelées à se multiplier. La noble façade paraît clignoter d’enseignes. Pénibles cafouillages, « débordements » de la grande fête Lauren5 : le défilé américain horssaison ne fait pas du tout l’unanimité. C’est comme si les diplômes allaient porter la mention « Polo », ou que des portraits en pied de cet autre grand brûlé de la mode (arrive un moment où ils finissent tous par ressembler à Niki Lauda) allaient devoir faire partie des travaux pratiques. Options équitation, navigation de plaisance, Amérique oisive nuance Hamptons : ce luxe-là, pour arrogant et banal dans ses inspirations qu’il soit – beaucoup d’indélicatesses dans son exécution, parce qu’on n’est pas là pour rigoler –, introduit dans l’école d’art des notions monstrueuses, attentivement refoulées. Argent, distribution, vente, propagande, stratégies, marchandise : autant de masques de cauchemar. Comme si l’art ne pouvait maintenant en être exempt, même à l’école. Révolution de palais enfin, qui se passe facilement d’architecture – Cupertino et Palo Alto peuvent encore être des royaumes sans ces décors singuliers, signe de leur puissance nouvelle –, Angela Ahrendts, la patronne de Burberry, en démissionne pour repartir aux États-Unis diriger la distribution chez Apple. Elle contribue désormais aux perspectives de fortune de la plus profitable entreprise du monde, récemment passée devant celle de Coca-Cola : c’est historique, nous changeons de sucres acidulés. Elle succède à Ron Johnson, qui a fait avant elle le succès prodigieux des boutiques Apple, mais s’est notoirement trompé lorsqu’il en est parti pour tenter de mener sur les mêmes voies JC Penney (confection milieu de gamme). Dans le sens mode/informatique, on doit croire que la perspective Life Style (et Global Luxury) promise à la production Apple est plus envisageable. La stratégie témoigne d’une volonté d’intégration et de contrôle accrue, éviter la cannibalisation par le Web de la vente des produits, d’une proximité plus grande que prévue entre la mode et ce qu’on faisait encore semblant de prendre en premier lieu pour des outils. Elle retrouve d’ailleurs un ancien d’Yves Saint Laurent déjà dans la place : peut-être que l’évolution du terrain informatique va ainsi partiellement rejoindre celle des montres suisses, lorsque la dimension du bijou (interdite de mention lorsque l’homme est aussi client) se trouve largement fondée sur la prouesse technique, seule vraiment légitime, et pourtant accessoire. On constate d’ailleurs ce qui cesse de travail. Mais ça ne réussit pas toujours : la fabrique de pianos Pleyel vient de déposer le bilan : ni le design, ni le luxe, convoqués à son chevet pendant les cinq dernières années, n’ont su la sauver. pierre doze se passe avec tant d’iPhone : choisis pour leurs dessin, matières et fonctions sévères – transformés en sapins de Noël dès que possible. C’en sera ici une autre variante. L’association du design et du luxe n’est pas contradictoire, on l’avait compris. Elle fonctionne même trop bien, et pas de façon nécessairement caricaturale. Elle porte pourtant, dans une part de ces événements précis, un troublant goût de xixe siècle, d’hypocrisie et de mécanisation, de domination et de pouvoir. Une vraie logique bourgeoise : de la beauté qui marche rigoureusement, l’efficacité précieuse, une grâce qui parle sans 1. La maison au bord de l’eau, 1934, à l’hôtel Raleigh, Miami. Elle est présentée par Louis Vuitton, dont la collection printemps/été 2014 « Icônes » est inspirée par Charlotte Perriand. 2. Design Miami, du 4 au 8 décembre 2013, Miami, USA. 3. Lustre Gabriel, inauguration mi-novembre 2013. 4. Galerie Kreo, « Autour du cou », exposition de bijoux, novembre 2012. 5. Pour la confrontation des viandes venues spécialement du ranch Lauren et des barquettes de taboulé Dia – pas sur les mêmes marches, ni entre les mêmes mains –, voir nombre d’articles à peu près concordants, sinon dans le ton (NYT, Forbes, Le Figaro, Libération, Le Monde…) entre le 8 et le 20 octobre 2013. Image : Coque iPhone Burberry, ©DR 71 roman cieslewicz Layout Au juste, que confie-t-on à un d i r e c t e u r a r t i s t i q u e ? Comment se manifeste ce qu’il peut apporter quand il fait exister ensemble titres et images, blancs et typo ? Cette (nouvelle) rubrique scrute les mises en page et ce qu’elles recèlent. Vogue Paris, mars 1966. En Une, deux jambes effilées portant escarpins à talons bas et minijupe, dans une dominante chromatique rouge contrastant avec le titre du magazine en typo verte. Le tout poussé, dans un semblant de marche, vers la droite, par le slogan, en typo Helvetica : « Où allons-nous ? Collections 66 ». La photographie semble anonyme, et si en tête de sommaire les stylismes de Pierre Cardin et Charles Jourdan sont clairement annoncés, il faut au lecteur une bonne acuité visuelle pour décrypter, en corps 4, la mention du photographe, en l’occurrence Guy Bourdin. L’ours décline noms et titres : Edmonde Charles-Roux, rédactrice en chef, 72 Antoine Kieffer, directeur artistique, François Nourissier, directeur littéraire, suivent les responsables de rubriques. Le sommaire fait état des collaborateurs signataires des textes, mais aucune mention ni des graphistes, ni des photographes, comme si l’image n’existait pas. Révélerait-elle une peur anxiogène de la rédaction ? Car la photographie de mode, en ce milieu des années 60, a fait sa révolution pour se mettre au diapason et refléter les évolutions sociétales. Elle bouscule tous les supports institutionnalisés que sont les magazines et génère un certain nombre de conflits, au sein des rédactions, arbitrés par le directeur artistique. Dans un secteur fortement concurrentiel, une nouvelle génération de photographes s’impose, en réfutant codes et principes, en libérant le modèle du studio et d’une statuaire empruntée. Lillian Bassman et Richard Avedon ont affirmé un style au Harper’s Bazaar sous l’œil bienveillant d’Alexey Brodovitch. Alexander Liberman a recruté Irving Penn et William Klein pour Armé de ciseaux et de scalpels, il coupe, découpe, triture les modèles, jouant avec les formes des vêtements, enlevant ou raccourcissant têtes et membres, comme le ferait un laborantin face à des insectes sur une paillasse […] Vogue. Autant Avedon et Penn bousculèrent, dans l’immédiat après-guerre, l’idée d’une mode « distinguée » et redéfinirent de nouvelles normes sans ôter de l’image un certain conservatisme en phase avec l’idéologie des sociétés occidentales en pleine reconstruction et consumérisme naissant, autant le travail de William Klein prend immédiatement ses distances avec le sujet sur lequel s’appuie la commande. La mode n’emballe pas William Klein et le vêtement ne l’inspire pas. Venu de la peinture, il découvre la photo et utilise la mode comme un nouveau champ d’expérimentations et de provocations visuelles. Klein maintient la distance avec ce milieu qu’il caricature, à l’extrême, lorsqu’il opte pour le cinéma. Dans l’un de ses premiers films, Qui êtesvous Polly Maggoo ?, il dénonce, sous la forme d’une farce, non seulement les rédactions (et surtout les rédactrices qui créent la tendance), mais aussi le vedettariat émergent du mannequinat et l’ineptie du journalisme télévisuel joué avec brio par le duo Jean Rochefort/Philippe Noiret. Klein libère la photographie de mode et le regard qu’on lui porte, ouvrant la voie à d’autres comme Helmut Newton, David Bailey ou Bob Richardson. Ce dernier apparaît comme un terroriste dans un milieu qu’il apostrophe pour imposer un nouveau point de vue qui va faire école: « […] le jeu s’intitule : j’emmerde le magazine et au diable le rédacteur en chef, le sujet de la photo de mode, c’est les gens. » Passé le filtre de la rédaction, la photographie affronte aussi un autre regard, celui du graphiste. Qui sera aussi décisif dans sa mise en page et sa confrontation au lecteur. C’est dans ce contexte d’émulation créative et critique que débarque à Paris, en 1963, un jeune graphiste polonais, Roman Cieslewicz. Passant le Rideau de fer, Cieslewicz est venu voir « comment ses images résisteraient sous les néons de l’Occident ». Repéré par Peter Knapp, il intègre l’équipe du magazine Elle en tant que maquettiste et illustrateur, puis il lui succédera à la direction artistique, poste qu’il occupe jusqu’en 1969. Entre 1965 et 1966, Antoine Kieffer, directeur artistique de Vogue Paris, s’adjoint à la maquette son savoir-faire et son talent. Le travail du graphiste stimule la rédaction et son regard « d’aiguiseur de rétines » traverse l’ensemble des numéros auxquels il collabore. Imprégné des principes et concepts appris lors de ses études à l’École des beaux-arts de Cracovie, où 73 mode spotted Photographie : Anna Palma, Stylisme : April Hughes il côtoie une génération d’enseignants héritière des mouvements futuristes et constructivistes, le graphiste les met en pratique par des séries de photomontages et de collages. Empruntant à Rodtchenko, à Klucis ou encore à John Heartfield, Roman Cieslewicz s’affirme comme un nouveau manipulateur d’images. S’ensuivent plusieurs séries de doubles pages où s’impose le regard critique du photomonteur sur ces vaniteux supports de papier glacé. S’il respecte le travail du photographe, il entend le dépasser et y chercher une autre essence. Armé de ciseaux et de scalpels, il coupe, découpe, triture les modèles, jouant avec les formes des vêtements, enlevant ou raccourcissant têtes et membres, comme le ferait un laborantin face à des insectes sur une paillasse. Jouant aussi sur le hors-champ, le non-vu et qui ne pourra jamais l’être pour le lecteur, 74 india india Photographie : Keeja Allard, Stylisme : Edda Gudmundsdottir various 1960-2004 Photographie : Melvin Sokolsky Roman Cieslewicz applique avec maîtrise une logique de l’absurde. Des difformités telles des excroissances mandibulaires apparaissent dans ses juxtapositions d’images sans rien enlever au pouvoir érotique de ces dernières. Les photographies de Ronald Traeger et de Guy Bourdin pour Jean Patou, Nina Ricci, Ungaro, Pierre Cardin ou Charles Jourdan passent ainsi dans le laboratoire expérimental de Roman Cieslewicz. Là où, après avoir été le meilleur moyen d’enregistrer une image, sa pratique permet au graphiste de la régler à son gré et de la transformer en celle qu’il souhaite créer. Posture utopique d’un graphisme hors limite. Cette liberté conjoncturelle des photographes et des directeurs artistiques sera de courte durée, car malgré les apparences, les marques veillent et reprennent vite le contrôle de leur image. pierre ponant Images : Vogue Paris, mars 1966. spotted Photographie - Anna Palma Stylisme - April Hughes Coiffure - Thomas McKiver Maquillage - Deanna Hagan Mannequin - Ana Kras Dress - C e l i n e Coat - C h r i s t i a n D i o r Shoes - R e p e t t o Ring - S o n i a B o y a j i a n Pants and Shirt - T e s s G i b e r s o n Plastic Shirt - E c k h a u s L a t t a Dress - C e l i n e Coat - C h r i s t i a n D i o r Shoes - R e p e t t o Ring - S o n i a B o y a j i a n Sweater And Pants - M a r y a m N a s s i r Z a d e h Necklace - S o n i a B o y a j i a n Sweater - S a m u j i , Top and tank - D i o r Skirt - C a r v e n , Sunglasses - G r e y A n t Shoes - R e p e t t o Pants and Shirt - T e s s G i b e r s o n Plastic Shirt - E c k h a u s L a t t a Dress - C a r v e n Jacket and Pants - J a s m i n S h o k r i a n Shirt - 1 0 C r o s b y B y D e r e k L a m Shoes - R o b e r t C l e r g e r i e Pin - B l e s s india india Photographie - Keetja Allard Styliste - Edda Gudmundsdottir Assistée de Martin Tordby Mannequin - India Salvor Menuez Coiffure - Yohey Nakatsuka Top et jupe - C h a n e l Boucles d’oreille vintage Robe et chaussures - C h r i s t i a n D i o r Salopette - E l e c t r i c F e a t h e r s Chaussures - M a r t i n M a r g i e l a Top and jupe - O s t w a l d H e l g a s o n Sac - C h r i s t i a n D i o r Lunettes - Collection personnelle Foulard - Vintage (Assise) Top - K e e t j a A l l a r d Jupe - M a r t i n T o r d b y (Dans l’écran) Robe - D a n i e l P a l i l l o Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r Boucle d’oreilles - V i n t a g e Blouson et jupe - D a n i e l P a l i l l o Short cycliste - Collection personnelle Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r Ensemble - J o a n n a M a s t r o i a n n i Top et pantalon - K e n z o Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r Boucle d’oreilles - Y a z b u k e y Top et pantalon - D a n i e l P a l i l l o casquette et chaussures - C h r o m a t Boucle d’oreilles - Vintage Robe - B e r n h a r d W i l l h e l m Chaussures - C h a n e l Merci à C a t h e r i n e C h a n t a l V é r o n i q u e - P a r i s pour les bijoux vintage. various, 1960-2004 Photographie - Melvin Sokolsky Collection citations Compilées par w y n n d a n “I have a regular, normal private life.” François-Henri Pinault « J’ai une vie privée normale, normale. » “ It’s marvellous to get paid to say this girl is prettier than this girl. I think as a man, this is what choosing fashion photographs came to for me. ” Alexander Liberman « C’est merveilleux d’être payé pour dire cette fille est plus jolie que cette autre. En tant qu’homme, je crois que c’est pour cette raison que j’ai choisi la photographie de mode. » “ Always wear high heels. Yes, they give you power. You move differently, sit differently and even speak differently ” Carine Roitfeld « Portez toujours des talons hauts. Oui, ils vous donnent du pouvoir. Vous bougez différemment, vous vous asseyez différemment, et même parlez différemment. » “My ideal woman is Serge Gainsbourg.” isabel marant « La femme idéale, c’est Serge Gainsbourg. » “ It’s a very strange thing for a designer to say, but one of the things that really irritates me in products is when I’m aware of designers wagging their tails in my face ” jonathan ive « C’est peut-être étrange à dire de la part d’un designer, mais la chose qui m’irrite vraiment dans les produits, c’est quand je suis face à un designer qui fait le beau devant moi. » magazine 118 magazine 119 abonnement Abonnement Abonnement 11 an an // 44 numéros numéros France France 15 15 euros euros Europe Europe 35 35 euros euros États-Unis, États-Unis, Asie Asie 40 40 euros euros En En ligne ligne sur sur magazinemagazine.fr magazinemagazine.fr Ou Ou par par chèque, chèque, àà l’ordre l’ordre d’ACP d’ACP àà l’adresse l’adresse suivante suivante :: ACP ACP –– Magazine, Magazine, 32 32 boulevard boulevard de de Strasbourg, Strasbourg, 75010 75010 Paris Paris Magazine 14 décembre, février le paraîtra le 6 2014 décembre. Magazine n° n° 15, mars, avril,janvier, mai paraîtra 28 février Magazine est imprimé par SIO sur Heidelberg CD 102 Société d’Impression Offset 94120 Fontenay-sous-Bois Tél. 01 53 99 12 12 www.imprimerie-sio.com m a g amagazine z i n e no13 113 121 hiver 2013 décembre janvier 3 au 8 décembre Design m i a m i , la preview commence le 3, après il y a tout le monde… designmiami.com 8 janvier Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, 2014. Le b i o p i c consacré au couturier réalisé avec la bénédiction de Pierre Bergé, contrairement à celui que Bertrand Bonello est en train de tourner. En salles. 4 au 8 décembre Les sapins de N o ë l des créateurs rassemblent designers et sylistes à l’Hôtel Salomon de Rothschild. lessapinsdenoeldes createurs.org 4 décembre Le cours étrange des choses de Raphaël N a d j a r i , 2013, 98’. Nouvel opus de ce réalisateur franco-israélien très indépendant. en salles. 4 décembre au 16 février Exposition C a r t i e r , le style et l’histoire sur le thème joaillerie et monarchie. grandpalais.fr 11 au 14 décembre Première édition du salon S o o n , salon de l’œuvre originale numérotée au Bastille Design Center. soonparis.com 11 au 30 décembre Rétrospective intégrale du réalisateur p o r t u g a i s João César Monteiro. cinematheque.fr 15 au 24 décembre Flash Design Store, un concept store é p h é m è r e déco, accessoires et bijoux. flashdesignstore.tumblr. com 21 décembre au 5 janvier Jours de fêtes, ou la f ê t e f o r a i n e et la féerie de Noël sous la Nef du Grand Palais. grandpalais.fr magazine 122 10 au 26 janvier Le festival H o r s P i s t e s au Centre Pompidou, qui adoptera le thème warholien des 15 minutes de célébrité. Centrepompidou.fr 15 au 23 janvier Les d é f i l é s s’enchaînent à Paris : la mode masculine AH 2014-2015 du 15 au 19, puis la Couture PE 2014 du 20 au 23. modeaparis.com 15 janvier au 28 février Cycle « L’a r g e n t ne fait pas le bonheur », explorant les différents aspects de ce moteur pour l’homme. forumdesimages.fr 17 janvier au 14 mars Une exposition consacrée au collectif de graphistes parisiens I l l s t u d i o . 12mail.fr 17 janvier au 20 avril Exposition des photographes sud-africains Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse consacrée à Ponte City, bâtiment central de J o h a n n e s b u r g . le-bal.fr Jusqu’au 6 janvier Exposition P i e r r e H u y g h e au Centre Pompidou. centrepompidou.fr Jusqu’au 18 janvier Derniers jours de l’exposition E u r o p u n k venue tout droit de Londres. citedelamusique.fr Jusqu’au 26 janvier D e r n i e r s j o u r s des expositions Azzedine Alaïa au palais Galliera, Erwin Blumenfeld au Jeu de Paume et Pasolini-Roma à la Cinémathèque. paris.fr / jeudepaume.org cinematheque.fr février 4 février Reprise du palmarès du festival P r e m i e r s p l a n s d’Angers, festival des premiers films européens. forumdesimages.fr 6 au 16 février La B e r l i n a l e , 64e festival du film de Berlin, avec un président du jury français : Denis Dercourt. berlinale.de Jusqu’au 10 février Derniers jours de l’exposition « Raymond D e p a r d o n , un moment si doux » au Grand Palais. grandpalais.fr 11 février Conférence de l’ethnologue Anne Monjaret : La vie en « b l e u », expression de l’identité ouvrière. ifm-paris.com 12 février au 9 juin Rétrospective Henri C a r t i e r - B r e s s o n au Centre Pompidou. centrepompidou.fr 16 février Reprise du palmarès du Festival international du c o u r t - m é t r a g e de Clermont-Ferrand. forumdesimages.fr Jusqu’au 17 février Derniers jours de l’exposition 1925, L’A r t D é c o séduit le monde à la cité de l’architecture. citechaillot.fr 18 au 20 février La salon P r e m i è r e V i s i o n Paris ouvre ses portes aux professionnels du textile, invités à venir avec leurs mains et leurs yeux, mais sans appareil photo. premierevision.com Jusqu’au 19 février Exposition « A u g u s t e P e r r e t , huit chefs d’œuvre », ou une architecture du béton armé au Palais d’Iéna, également imaginé par l’architecte. lecese.fr 19 février Only Lovers Left Alive de Jim J a r m u s c h , 2013, 123’. Après quatre ans de silence, le réalisateur américain indépendant livre son dernier film. En salles. 19 février au 10 mars Le Nouveau F e s t i v a l du Centre Pompidou. centrepompidou.fr 26 février au 6 juillet « Amos G i t a ï , architecte de la mémoire », exposition consacrée au réalisateur israélien. cinematheque.fr 28 février au 31 août Exposition consacrée à l’univers du créateur belge Dries Van Noten. lesartsdecoratifs.fr *Une maison ouverte - preview, © Cyril Lagel, 123RF, Getty Images, Graphic Obsession. SCP © Garath Hacker. Bosa © Tiziano Rossi. Soonsalon © Michiel Cornelissen. © Cinna. © Sentou. Organisation SAFI, filiale des Ateliers d’Art de France et de Reed Expositions France Agenda Open house * 24-28 JAN. 2014 PARIS NORD VILLEPINTE www.maison-objet.com Salon international du design pour la maison International home design exhibition Salon réservé aux professionnels - Trade only x eu s, j è rm he e dIV rs Hermes.com