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L 14709 - 14 - F: 5,00 € - RD
fr € 5 / 5 £
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N°1 ode de de Joh
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La mgalerie
Les
www.chanel.com
La Ligne de CHANEL - Tél. : 0 800 255 005 (appel gratuit depuis un poste fixe).
ULTRA
BAGUES OR BLANC, CÉRAMIQUE ET DIAMANTS
édito
L’info ne suffit plus. Pour résister plus de 24 heures au flot continu des
médias classiques et à la constellation de réseaux sociaux, il faut employer
de la ruse. Le bruit a ainsi couru que le magazine Lui, nouvelle formule,
ne montrerait plus de filles dénudées… Autant interviewer un général
pacifique ou une fashion victim agoraphobe. La stratégie d’un Lui devenu
prude semblait si incompréhensible que même les féministes en perdaient
leur latin. Sauf que le magazine de l’homme moderne (baseline oubliée,
bien qu’indémodable) continue d’exhiber des filles dénudées, et ne fait
quasiment que cela. Il faudrait donc dire « je suis un autre » pour qu’on
s’intéresse à nous. Mais rien de grave ou d’engageant (pas de « je est un
autre » ici), tout ça reste léger, comme une blague Carambar…
angelo cirimele
Fait pour des histoires incroyables
PA P I E R S C O U C HÉ S : C O N D AT M AT T P É R I GO R D
C O N DAT G LO S S
G RO U P
C O N D AT D I G I TA L
C O N D AT S I L K
C O N D AT C A R D
www.condat-pap.com
sommaire
textes
p.36, 42, 60, 68 — Moodboard
denim 80’s
Par Florence Tétier
p.37 — Interview
florence müller
Par Cédric Saint André Perrin
p.42 — Website
bernhard willhelm
par Céline Mallet
p.44 — Chronique art
fiac j-7
Par Alexandra Stern
intro
p.10 — Brèves
p.14 — Magazines
anew
document
bof
sleek
lui
p.24 — Shopping
que faire avec
308 670 euros ?
Photographie : Jean-Pacôme Dedieu
Stylisme : Clémence Cahu
p.47 — Biographie
hélène rochas
Par Marlène Van de Casteele
p.52 — Chronique style
les vies d’adèle
Par Alice Pfeiffer
p.53 — Ping Pong
alaïa au palais galliera
et par mail
Par Mathieu Buard & Céline Mallet
p.90 — Mode
double me
Photographie : Keetja Allard
Stylisme : Edda Gudmundsdottir
p.106 — Portfolio
various 1960-2004
Photographie : Melvin Sokolsky
p.116 — Collection
citations
Compilées par Wynn Dan
p.121 — Abonnement
p.122 — Agenda
p.56 — Interwiew
john m armleder
Par Timothée Chaillou
p.62 — Chronique style
korean diary
Par Dominique Babin
p.64 — Off record art
art advisors
Par Angelo Cirimele
p.69 — Design
tartan pomme
par Pierre Doze.
p.74 — Layout
roman cieslewicz
par Pierre Ponant
magazine
6
mode
p.76 — Mode
spotted
Photographie : Anna Palma
Stylisme : April Hughes
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b
décem
magazine
contributeurs
Style, media & creative industry
N° 14 - Décembre 2014, janvier, février 2014
rédacteur en chef
Angelo Cirimele
directeur artistique
Charlie Janiaut
fashion director
Arabella Mills
photographes
Keetja Allard, Jean-Pacôme Dedieu,
Charlie Janiaut & Juliette Villard (magazines),
Anna Palma, Melvin Sokolsky
conseil distribution
Diffusion shop
KD Presse - Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
stylistes
Clémence Cahu, April Hughes,
Edda Gudmundsdottir
contributeurs
Dominique Babin, Mathieu Buard,
Timothée Chaillou, Wynn Dan, Pierre Doze,
Céline Mallet, Alice Pfeiffer, Pierre Ponant,
Cédric Saint André Perrin, Alexandra Stern,
Florence Tétier, Marlène Van de Casteele
remerciements
Arnaud Adida, Clémence Cahu, Emanuele
Fontanesi, Monsieur X
couverture
Photographie : Anna Palma
Stylisme : April Hughes
Coiffure : Thomas McKiver
Maquillage : Deanna Hagan
Mannequin : Ana Kras
Robe : Erdem, top : 10 Crosby by Derek Lam,
chaussures : Dieppa Restrepo
secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
traduction
Rebecca Appel
design original
Yorgo Tloupas
publicité
ACP
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
[email protected]
retouches
Janvier
imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
Magazine est imprimé sur le papier couché
Condat Silk 115 g et 250 g
condat-pap.com
magazine
8
d i s t r i b u t e u r f r a n c e MLP
diffusion internationale
Pineapple
april hughes
melvin sokolsky
Stylist
Photographer
What is your main occupation these days ?
Mama, Stylist and shop owner of Beautiful Dreamers
in Williamsburg, Brooklyn.
What colors are you wearing today ?
What is your main occupation these days ?
Image maker.
What colors are you wearing today ?
What is the last magazine you bought ?
Italian Vogue. What is the last magazine you bought ?
Scientific American.
Issn no 1633 – 5821
CPAPP : 0418 K 90779
directeur de publication
Angelo Cirimele
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
magazinemagazine.fr
[email protected]
© Magazine et les auteurs, tous droits de
reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes,
photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité
de leurs auteurs.
dominique babin
keetja allard
Prospectiviste
Photographer
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Écrire, éternuer, aspirer à la post-humanité, tousser…
Quelles couleurs portez-vous ?
What is your main occupation these days ?
Photographer and Crafter.
What colors are you wearing today ?
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Je lis sur le Net et pas sur papier, donc derniers magazines likés :
io9 (geek-sf) et Vulture (pop culture).
What is the last magazine you bought ?
The New Yorker.
magazine
9
brèves
La maison Valentino met
l’accent sur l’accessoire avec
Objects of Couture
(Rizzoli), un livre conçu
comme un magazine, offrant
une carte blanche à des
photographes et artistes de
renom : Nobuyoshi Araki,
David Bailey, Scheltens &
Abbenes, mais aussi
Philip‑Lorca diCorcia ou
Douglas Gordon. Et les clous
carrés de la marque n’ont pas
été oubliés…
board de l’Ucca, centre d’art
à Pékin, devrait céder sa place
à Hervé Mikaeloff,
commissaire régulier
d’exposition à l’Espace Louis
Vuitton.
L’Officiel Art will soon be
getting a new editor in chief.
Jérôme Sans, also a member
of the board of the Ucca,
an art center in Peking, will
give the reins to H e r v é
M i k a e l o f f , in charge of
exhibits at the Espace Louis
Vuitton.
La maison L o u i s
V u i t t o n prépare un
consumer magazine, dont
le premier numéro devrait
paraître en septembre et
remplacerait le catalogue
Histoires. Diffusé en boutiques
et par un mailing, il devrait
être tiré à près d’un million
d’exemplaires.
Louis Vuitton
The house of Valentino
shines the spotlight on
accessories in O b j e c t s
o f C o u t u r e (Rizzoli).
Conceived as a magazine,
the book gives carte
blanche to renowned
artists and photographers:
Nobuyoshi Araki,
David Bailey, Scheltens & Abbenes, as well as
Philip‑Lorca diCorcia and
Douglas Gordon. And the
mainstays of the brand have
not been forgotten either…
L’Officiel Art devrait bientôt
changer de rédacteur en
chef. Jérôme Sans, qui est
parallèlement membre du
magazine
10
is preparing a consumer
magazine to replace its Stories
catalogue, with the first issue
due in September. Available
in boutiques and via post,
nearly one million copies will
be printed.
L’École nationale
supérieure des beaux-arts
(Ensba) devrait enfin se doter
d’un nouveau l o g o et
délaisser le motif gribouillé
de Ruedi Baur. Insatisfaite
par le résultat d’un appel
d’offres, l’École a offert au
duo M/M (Paris) de piloter
un workshop qui devrait
aboutir à un nouveau logo. À
moins que le duo ne le signe
lui-même…
The National School
of Fine Arts (Ensba) will
Graphic arts review
Back Cover has published its
6th edition. Dedicated to
J a p a n , the issue recounts
meetings and happenings from
a 4-month visit to the country.
More on devalence.net
finally get a new l o g o to
replace Ruedi Baur’s scribbles.
Unsatisfied by the results of
an open call for designs, the
school asked Parisian duo
M/M to start a workshop to
create a new logo. Maybe the
duo will design it themselves…
L’équipe du H a r p e r ’ s
B a z a a r français s’étoffe :
après Alexandra Senes et
Daphné Hézard à la rédaction,
c’est Xavier Encinas, ex-Under
the Influence, qui prendra en
charge la direction artistique.
Premier numéro attendu en
février.
The French H a r p e r ’ s
B a z a a r team is expanding:
Alexandra Senes and
Daphné Hézard have been
lined up in editorial, and now
Xavier Encinas, of Under the
Influence, has been named to
handle artistic direction. The
first edition is expected in
February. Le 6e numéro de la revue
de graphisme Back Cover est
paru. Consacré au J a p o n ,
il rassemble les rencontres
et pratiques d’un séjour de
4 mois sur place. Plus sur
devalence.net
Le nouveau C a r r e a u
d u T e m p l e , qui s’annonce
comme le successeur du
Carrousel du Louvre pour
les défilés parisiens, ne
devrait pas rouvrir pour les
présentations automne-hiver,
fin février, mais courant mars,
suivant ainsi un calendrier
plus politique que mode.
The new C a r r e a u d u
T e m p l e , the likely successor
to the Carrousel du Louvre as
a venue for Parisian fashion
shows, will not open for FallWinter presentations at the
end of February. Instead it
will open in March, following
a timetable more in line with
the political, rather than the
fashion calendar.
La demande en
formations aux métiers du
luxe ne se dément pas et la
Chambre de commerce et
d’industrie de Paris (CCI) a
inauguré L a F a b r i q u e ,
réunissant plusieurs
écoles, dont l’Esiv (École
supérieure des industries
du vêtement), les Ateliers
Grégoire (maroquinerie)
ainsi que deux programmes
de merchandising. Plus sur
lafabrique-ecole.fr
The demand for courses
in the luxury industry shows
no sign of slowing down.
The Chamber of Commerce
and Industry in Paris
(CCI) has inaugurated t h e
F a b r i q u e , an organization
that will bring together many
schools, including the Esiv
(the school for the clothing
industries), the Ateliers
Grégoire (leather goods),
and two merchandising
programs. For more, got to
lafabrique-ecole.fr
En attendant la deuxième
campagne signée de Maurizio
Cattelan et Pierpaolo
Ferrari, Kenzo publie un
« k e n z i n e », reprenant des
images du making of de la
campagne automne-hiver. En
boutiques et en série limitée.
Ahead of the new
campaign by Maurizio
Cattelan and Pierpaolo
Ferrari, Kenzo is publishing
a “K e n z i n e ”, with images
from the making of the
Fall-Winter campaign. In
boutiques in a limited series.
Ce Noël, les vitrines du
Printemps accueilleront un
o u r s (en peluche) et un
motif à damiers, chers à
Prada. Les Galeries Lafayette
consacreront les leurs au conte
La Belle et la Bête, sorte de
teaser du film à venir.
This Christmas, the
windows of the Printemps will
feature stuffed b e a r s and
the checked pattern beloved
by Prada. The Galeries
Lafayette will devote theirs
to the Beauty and the Beast
fairytale; a kind of teaser for
the upcoming movie.
Courrèges lance un
b a l l o n d ’ e s s a i avec une
mini ligne masculine, prêt-àporter et maroquinerie. À la
clé : une boutique dédiée rue
François Ier.
Courrèges is making its
first f o r a y into menswear
with a mini-line of ready-towear and leather goods, and
a dedicated boutique on the
Rue François Ier in Paris.
analysis, to be published three
times a year. Planned for early
2014, it will be directed by
Philippe Thureau-Dangin,
formerly of the Courrier
international.
Les politiques semblent
avoir pris la mesure de
l’importance des signes
graphiques. La candidate
socialiste à la mairie de
P a r i s Anne Hidalgo a ainsi
fait appel à H5 pour l’identité
de ses outils de campagne.
L’Ecal (École cantonale
d’art de Lausanne) publie un
livre r é t r o s p e c t i f sur la
production de ses étudiants
en photographie : 300 pages
d’univers divers (mode, nature
morte, portrait…) qui figurent
une partie de la nouvelle
génération. Ecal photographie,
Éd. Hatje Cantz.
The Ecal (Lausanne’s
art school) will show off it’s
students’ photography in a
r e t r o s p e c t i v e book.
At 300‑pages, it will feature
work across the photography
spectrum (fashion, still life,
portraits), by the discipline’s
new generation. Ecal
photography, Ed. Hatje Cantz.
It looks like politicians
have at last understood the
importance of graphic design.
Anne Hidalgo, the Socialist
candidate for Mayor of
P a r i s has asked graphics
firm H5 to assist with its
campaign materials.
L’INA, Institut national de
l’audiovisuel, dont le nom a
pris un coup de vieux, prépare
une r e v u e trimestrielle
d’analyse consacrée aux
médias. Prévue pour début
2014, elle sera dirigée par
Philippe Thureau-Dangin,
ex-Courrier international.
The INA, the National
Audiovisual Institute, whose
name has perhaps become
a bit outdated, is preparing
a new j o u r n a l of media
Depuis octobre, l’édition
italienne de GQ est designée
par le directeur artistique
allemand m i k e m e i r é
(032c et Garage notamment).
Since October, the Italian
edition of GQ has been
designed by the German
artistic director m i k e
m e i r é (of 032c and Garage).
C’est passé inaperçu :
H&M a demandé à ses
salariés et clients de voter pour
définir les axes de sa fondation
c a r i t a t i v e . Outre que
caritatif n’a pas toujours
rimé avec communication, le
fait qu’une marque n’ait pas
une affirmation claire de ses
valeurs et des champs dans
lesquels elle souhaite
intervenir laisse rêveur…
It went unnoticed: H&M
asked its employees and clients
to vote to define the aims of
its c h a r i t a b l e foundation.
Charitable work has not
always gone hand-in-hand
with communication, but the
fact that the label does not
have a clear sense of its values
or the areas in which it wants
to operate leaves something
to be desired…
Probablement inspiré
par le succès de l’exposition
« Madame Grès » au musée
Bourdelle, le musée Rodin
proposera une exposition
combinant des œuvres de
Robert m a p p l e t h o r p e
(photos et films) et des
sculptures de Rodin.
Ouverture en avril.
magazine
11
Likely inspired by the
success of the “Madame
Grès” exhibit at the Musée
Bourdelle, the Rodin Museum
is planning an exhibit that
combines the works of Robert
m a p p l e t h o r p e (photos
and films) and Rodin’s
sculptures. Opening in April.
L’expansion du salon
Maison et Objet se poursuit
et c’est à m i a m i que le
nouveau rendez-vous se
prépare (pour mai 2015), au
cœur des Amériques.
The expansion of design
company Maison et Objet
continues, with a May 2015
opening planned for m i a m i ,
in the U.S
Alors que Lagardère
cherche à se défaire de ses
magazines papier, LVMH
a acquis près de 10 % du
capital de Madrigall, holding
qui contrôle les activités
de Gallimard, Flammarion
et autres pourvoyeurs de
c o n t e n u , démontrant par
là même un appétit pour
les activités qui combinent
patrimoine et création.
While Lagardère is
looking to get rid of its
print magazines, LVMH
has acquired nearly 10% of
Madrigall’s capital. LVMH’s
interest in the company
that controls Gallimard,
Flammarion, and other
magazine
12
c o n t e n t purveyors
indicates an appetite for
activities that combine
heritage and creation.
Trois ans après le
lancement en grandes pompes
de l’iPad, la part de marché
des tablettes dans le lectorat
des magazines s’élève à
3 , 3 % , dont le tiers composé
« d’exemplaires numériques »
du magazine Game Informer.
Three years after the
grand launch of the iPad,
digital editions now make up
3 . 3 % of total magazine sales.
Digital sales of the magazine
Game Informer account for one
third of this figure.
Prada Group a choisi Coty
pour développer une ligne
de parfums pour la marque
m i u m i u ; les fragrances
Prada étant jusque-là
élaborées avec Puig.
The Prada Group has
chosen Coty to develop a
line of perfumes for the
m i u m i u label; until now,
Prada has worked with Puig
on its fragrances.
Le musée Christian
Dior de g r a n v i l l e
présentera une exposition
« Dior et la photographie
de mode » en mai 2014.
Images de magazines, mais
aussi publicitaires seront en
vis‑à‑vis de modèles couture.
Un catalogue sera publié.
The Christian Dior
Museum in g r a n v i l l e
will mount an exhibit, “Dior
and Fashion Photography,”
in May 2014. Images from
magazines and advertisements
will be displayed along with
couture designs. A catalogue
will be published.
Les Émirats arabes unis
ne s’intéressent pas qu’aux
clubs de football, le clinquant
du luxe – et ses perspectives
de croissance – les attire
aussi. Une (grande) f a m i l l e
émiratie chercherait à investir
quelque 14 milliards d’euros
dans le luxe ces prochaines
années. Qui dit mieux ?
The United Arab Emirates
is not only interested in
football clubs. The luxury
sector—and its potential
for growth—is of interest as
well. A (large) f a m i l y from
the Emirates is looking to
invest some 14 billion euros in
luxury in the next few years.
Who can top that?
Quelques galeries
b e r l i n o i s e s auraient
envie de changer d’air et
projetteraient de s’installer
dans le Marais ; Max Hetzler
devrait ainsi inaugurer un
espace fin mai. Le marché de
l’art parisien n’est pas le centre
du monde, mais davantage
que Berlin semble-t-il.
A few b e r l i n galleries
are looking for a change of
scene and envision a move to
The designer j a s p e r
m o r r i s o n has applied his
the Marais; Max Hetzler will
be inaugurating a space at the
end of May. If the Parisian
art market is not the center of
the world, it is still attractive to
Berlin, it seems…
Un catalogue consacré à
l’œuvre du t y p o g r a p h e
et éditeur Jean-Jacques
Sergent paraîtra en janvier
2014, il sera designé par
Ich&Kar et édité par Cent
pages. Plus sur ichetkar.fr
A catalogue dedicated to
the work of t y p o g r a p h e r
and editor Jean-Jacques
Sergent will be published
in January 2014. It will be
designed by Ich&Kar and
edited by Cent pages. More
on ichetkar.fr
De Jay-Z à Arcade Fire,
c’est la s t a t u a i r e classique
et le noir et blanc qui sont
de sortie sur les pochettes
de leurs derniers albums.
Certains graphistes auraient
donc aussi un cursus en
histoire de l’art…
The latest albums by Jay-Z
and Arcade Fire feature classic
s t a t u a r y in black and
white on their covers. Some
graphic designers have been
studying art history…
elegant, uncluttered style to
the world of watches. The
result: Please by Issey Miyake,
with a bracelet that plays with
pleats.
C’est au fondateur de la
marque de streetwear chic
a b a t h i n g a p e , Nigo,
qu’Uniqlo vient de confier
la direction artistique de
ses T-shirts. Premiers effets
attendus ce printemps.
Nigo, founder of the
chic streetwear brand
a b a t h i n g a p e , has
been named artistic designer
of T-shirts at Uniqlo. The
results are anticipated this
spring…
L’Officiel Hommes, qui
ne compte pas moins
de 10 éditions étrangères,
présentera sur la couverture
de son numéro de décembre
maurizio cattelan,
photographié par son
compère Pierpaolo Ferrari.
L’Officiel Hommes, which
boasts no fewer than
10 foreign editions, will feature
maurizio cattelan
on the cover of its December
issue, photographed by
Pierpaolo Ferrari.
Le designer j a s p e r
m o r r i s o n a appliqué
son style élégant et épuré
à l’exercice de la montre.
Résultat : Please d’Issey
Miyake, dont le bracelet
rejoue le plissé.
Kate Moss devrait
rejoindre le Vogue anglais
ce printemps, en tant que
contributing fashion editor.
Dommage que l’association
n’intervienne que maintenant,
on aurait sinon pu découvrir
une ligne éditoriale plus s e x ,
d r u g s & r o c k ’ n ’ r o l l !
Kate Moss will join
British Vogue this spring as
a “Contributing Fashion
Editor.” It’s a shame that this
partnership is only happening
now—we’d be curious to
see an editorial line that is
more “s e x , d r u g s &
r o c k ’ n ’ r o l l ”!
Le CNAP (Centre
national des arts plastiques)
a décidé de mettre le
graphisme à l’honneur en
2014 : commandes publiques,
publications, rencontres, et
à commencer par une f ê t e
d u g r a p h i s m e dès
janvier. Plus sur cnap.fr/
The CNAP (the National
Center for Plastic Arts) is
spotlighting graphic design
in 2014 with public works,
publications and conferences,
starting in January. The year
will kick off with a f e s t i v a l
o f g r a p h i c a r t s . More
on cnap.fr
L’Ensad (arts déco)
organise ses p o r t e s
o u v e r t e s les 24 et 25
janvier, présentant les travaux
des étudiants en design
graphique, mode et photo.
L’Ensad (the school of
decorative arts) will hold
o p e n d a y s on January
24 and 25, displaying works
by its students in the fields of
graphic design, fashion and
photography.
brought to public auction
on January 23. Christie’s is
organizing the sale, which will
include fashion, fine art and
decorative arts from the ‘30s
and ‘40s.
La marque française Anne
Fontaine fêtera ses 2 0 a n s
en 2014 avec une collection
capsule – de chemisiers blancs,
s’il faut préciser.
French label Anne
Fontaine will celebrate its
20th anniversary
in 2014 with a capsule
collection—of white shirts, to
be precise.
Bien qu’affichant un
âge canonique (120 ans), la
marque Petit Bateau continue
de cultiver l ’ i n s o u c i a n c e
de l’enfance en présentant ce
qu’elle fait encore de mieux :
des bêtises, sous forme de
catalogue. Qui a dit que
brand content devait rimer avec
rasoir ?
Despite its advanced
age (120 years), Petit Bateau
continues to cultivate
the i n s o u c i a n c e of
childhood, showing off what it
does best: nonsense, in catalog
form. Who said that brand
content needed to be boring?
La collection personnelle
d’e l s a s c h i a p a r e l l i
sera dispersée lors
d’enchères publiques. Mode,
beaux-arts et art décoratif,
essentiellement années 30 et
40. La vente sera organisée
par Christie’s le 23 janvier.
e l s a s c h i a p a r e l l i ’s
personal collection will be
Une carte blanche a
été offerte à j e a n - p a u l
l e s p a g n a r d pour une
exposition à la Galerie des
Galeries : « Till we drop » sera
inaugurée le 29 janvier.
jean-paul
l e s p a g n a r d was given
carte blanche to mount an
exhibit at the Galerie des
Galeries. «Till we drop» will
be inaugurated January 29.
magazine
13
Magazines
anew
Le destin de certains magazines de style peut être
bref. Ainsi Tar, magazine italien très luxueux, peutêtre trop, qui multipliait les prouesses d’impression,
aura tourné la page après 10 numéros et quelque
5 ans. L’équipe a rapidement embrayé sur un nouveau
projet : Anew magazine. L’équipe, c’est le commissaire
Francesco Bonami, Martina Mondadori, des éditions
éponymes, la styliste Coco Brandolini d’Adda, et
Christoph Radl pour la direction artistique. Anew est
aussi luxueux, mais peut-être plus subtilement, combinant papiers bruts et vernis, offset et couchés, poster
et livret insérés… La culture italienne généreuse et la
bonne humeur communicative habitent le magazine, de
Extrait
Driver
I am the full-time driver here. I am not going to kill
my employers. I have read that drivers do that now.
I will make just a few observations.
First, to state the obvious. My employer is a
generous man. He buys many gifts, for many
women, none of which is Madam. I judge not, lest
I be judged. This is between him and his God. My
God would smite him right there in the garden.
Madam would weep for her flowers.
Madam says her flowers are the toast of all of
Ghana. I would note that all of us do not, alas,
have bread. But her flowers are spectacular. They
line the drive in pots. They burst into flames of
yellow petals. They pretty the concrete walls. I
had never seen such gorgeous flowers until I came
to work here—or I had, but only wild ones, free.
Not fed, like at the zoo. Every morning Madam
walks among these gorgeous flowers in an Angelina
l’édito aux petits récits qui rythment le numéro. Le sommaire est organisé comme le plan d’une maison dans
laquelle on est invité : on découvre le hall d’entrée, la
cuisine, le salon ; on passe devant des fenêtres… Anew
est avant tout un magazine d’art, aux nombreuses
propositions inédites, dans lequel pénètrent des reflets
du luxe, sous forme de boîte originale d’un parfum ou
de cabinet de curiosités. Le contenu magazine reste
assez intemporel (du moins non relié à la saison, sinon
quelques accessoires de mode) et Anew a davantage à
voir avec une galerie d’art, dont les propositions seraient
agrémentées de récits et de commentaires.
buba with a glazed look on her face. She runs her
fingers lightly through the petals as one fingers
hair, the wispy hair of women for whom one buys
gold plate trinkets. I would like to note that, once
before, I passed her bathroom window—which is
strangely low, and stranger still, undressed—while
she was bathing, and I had the thought that Madam
might receive more gifts more often were she not
to hide her body in that dark green swamp of
cloth. Madam has the contours of a girl I knew in
Dansonman and sculptures sold at Arts Center and
Bitter Lemon bottles. Slender top and round the
rest. A perfect holy roundness that is proof of God’s
existence and His goodness furthermore. Her skin
is ageless, creaseless, paint. Her lower back a hiding
place. The color brooks no simile. If you have been
to Ghana, you know. If you have never been to
Ghana then you might not understand the way the
darkest skin an glow as with the purest of all lights.
[…] Taiye Selasi, livret inséré.
Italie
248 p.
semestriel
230 x 305 mm
18 €
om
ag.c
m
new
a
Fashion director :
Coco Brandolini d’Adda
magazine
14
Editor in chief :
Francesco Bonami
Art director :
Christoph Radl
Editorial director :
Martina Mondadori
Publisher :
Fasten Seat Belt
Magazines
document
On ne le remarque pas forcément, mais les magazines
lifestyle américains sont très concentrés sur la mode
– et le business qui va avec. Document, dont c’est le
3e numéro, prend le contrepied de cette tendance, en
proposant un sommaire beaucoup plus transversal,
mêlant art, architecture, pop culture et parfois même
quelques visages connus. Les contributeurs sont parmi
les plus sollicités : Paul McCarthy, David Armstrong,
Nathaniel Goldberg, Jason Schmidt. Ils sont rassemblés
par Nick Vogelson, un DA de la pub et de l’édition, et le
styliste James Valeri. L’objet est lourd, le papier brillant,
et chaque contribution apparaît comme un énième
Extrait
Transparent motifs
Joe Goode’s five-decade-strong oeuvre started
in the 60’s with his now iconic milk bottle
paintings securing him a place in the pantheon of pop art. Over the years, Goode has
melded traditional and nontraditional media
with a diversity of references that includes
everything from his Midwestern roots to life
in L.A., Atget, and classic English still lives.
Reached over the phone in his L.A. studio following a photo shoot with Hedi Slimane, the
youthful septuagenarian freely muses about
gambling, the benefits of acrylic versus oil,
and how long it took him to see through his
own art.
FELIX BURRICHTER – How did the photo
shoot go?
JOE GOODE – Fine! They were here in the
studio for a long time, I think for an hour and
a half. I thought they’re going to do the whole
document, que ce soit un texte ou une série d’images.
Document est plus créatif qu’un magazine commercial,
plus hors du temps également. Il sait attirer l’attention
en multipliant les couvertures (en général quatre), avec
un savant mix de luxe chic et de wow effect arty. Le
magazine a une organisation singulière : des consultants
éditoriaux (en provenance du magazine d’architecture
Pin-Up), d’autres pour l’art, issus de galeries ; en somme
des professionnels très occupés par ailleurs. Document
fonctionne comme une sorte de réseau social et professionnel, et l’imprimé est le banc d’essai de collaborations
d’une très bonne tenue.
magazine on me. [Laughs]
FELIX – Hedi Slimane specifically requested
to photograph you. Did you know him before?
JOE – No, never.
FELIX – And are you familiar with his work.
JOE – A little bit.
FELIX – Are you interested in fashion?
JOE – Not really. All my fashion comes from
Uniqlo and H&M. I did buy some nice jackets
in Japan that I still wear.
FELIX – One of the most fascinating things
I learned about you is that before you started
working as an artist you made your living
gambling. Is that true?
JOE – I did that partly. I had other jobs and
stuff when I was still living in Oklahoma City,
but when I came out here [L.A.], that’s
basically all I did for a short period of time.
I called it supplementing my income.
États-Unis
312 p.
semestriel
205 x 300 mm
15 €
om
.c
[…] Felix Burrichter, p. 272
ur
jo
nt
l
na
e
um
c
do
magazine
16
Editorial & design :
Nick Vogelson
Editorial consultants :
Pierre Alexander de Looz &
Felix Burrichter
Creative director :
James Valeri
Publisher :
Document publishing
Magazines
bof
En 5 ans, le site Internet The Business of Fashion (BoF
pour les intimes) s’est imposé comme une référence
dans le secteur de la mode et du luxe. Une ergonomie
épurée, des correspondants internationaux, un sérieux
éditorial augmenté de références… Tout pour plaire
aux executives pressés de l’industrie luxueuse. Et tout
pour être heureux, au point qu’on se demande : que
diable va faire BoF dans le papier, cette industrie moribonde et ruineuse qui remonte au xviie ? L’occasion
d’un classement (les 500 qui façonnent l’industrie de
la mode : designers, dirigeants, muses, retailers, créatifs, etc.), BoF a donc passé le pas d’un journal qui
reprend quelques articles du site et le fameux Top 500
dans un cahier détachable. La Une précise timidement :
Extrait
In Defense of a Free Fashion Press
The relationship between fashion houses
and the press has frequently been uneasy:
half love, half hate. On both sides, respect
has often been limited, opportunistic and
cautiously given. More than 60 years ago,
Christian Dior is reported to have personally ejected a journalist he was convinced
was talking illicit photographs during one of
his shows. Cristobal Balenciaga did everything he could to avoid any contact with
the press, with the exception of the grandes
dames from American Vogue and Harper’s
Bazaar in the form of Diana Vreeland and
Carmel Snow—and it was only Snow who the
really rated. Coco Chanel treated virtually all
press as personal lackeys charged with doing
her bidding and had constant feuds over how
her clothes were featured in magazines. More
recently, Suzy Menkes was banned for a long
period by Versace. I too have been banned
by Versace, McQueen and Armani, among
others. Cathy Horyn has suffered the same
punishment. The crime? Saying what we felt
about a particular show. To refuse a journalist
entrance to a show which you want to have
featured in his or her newspaper is the most
sterile form of punishment, not unlike the
ineffectual teacher who kicks a disruptive child
out of class, thereby tacitly admitting that it
is the child who holds the power. I assume
the fashion houses which sanction this rather
silly reaction to criticism want journalists to
feel ashamed. But this assumption couldn’t be
more wrong.
Angleterre
36 p.
230 x 340 mm
6 €
Art direction
& design :
Jeff Taylor & Alex Ward
so
es
n
si
bu
Publisher :
The business of fashion Ltd.
f fa
m
co
.
on
i
sh
[…] Colin McDowell, p. 32
Founder
& editor in chief :
Imran Amed
magazine
18
« special edition - autumn 2013 », sans autre engagement. Quelques enseignements : c’est le papier qui
archive et qui donne de la valeur. Des annuaires professionnels au Who’s Who, seul le papier témoigne d’une
inscription dans le temps, alors qu’Internet est déjà
passé à autre chose depuis longtemps. Ensuite, la combinaison Internet-papier est probablement la formule
de demain, articulant le chaud et le tiède, l’info qu’on
aura oubliée demain et celle qui marque une étape. Et il
n’est pas impossible que les praticiens d’Internet soient
les plus habiles pour imaginer ce que le papier sera le
plus à même de transmettre et sous quelle forme. Bonne
nouvelle, nous semblons doucement tourner le dos au
schisme entre les journalistes du Web et ceux du papier.
Magazines
sleek
La récente nouvelle formule du magazine berlinois
Sleek (qui paraît depuis 2002) s’organise en plusieurs
sections, qui sont autant de manières d’accélérer ou
de ralentir. C’est particulièrement perceptible dans
ce dernier numéro, dont le thème est « Future perfect ». Les rendez-vous obligés d’un magazine de mode,
comme les pièces de la saison, sont juxtaposés avec un
« journal », autre papier et expériences d’artistes sur
l’image, le passé et le futur, des visites d’atelier… Le
thème du numéro est l’occasion de commandes : des
artistes en recommandent d’autres en devenir, mais
c’est aussi le lieu de contributions plus théoriques, sur le
Extrait
A for Afronaut
Space, Man
In 2012, the Spanish-Belgian, London-based
photographer Cristina de Middel unveiled a
series of images that put her on the cultural map overnight. “The Afronauts”, the
series and book in question, was de Middel’s
speculative photographic staging of a longforgotten, never-realised dream: the Zambian
space exploration mission. Established by the
newly-independent Zambian in 1964 as a
symbol of new possibilities and a PR exercise,
and forgotten soon after, the Zambian space
programme and its genuine historical documents informed de Middel’s photographic
fantasias (which were, in fact, shot in Spain).
For de Middel, the story appealed as the
antithesis of standard Western depictions
of postcolonial Africa as a place of corruption, war and poverty; however absurd,
the space programme had also represented
magazine
20
post médium par exemple. La mode se crée un chemin
sur 60 pages, mais le magazine se clôt sur un « sleek
book », un abécédaire de 30 pages illustrées, consacré à
la science-fiction, mots clés ou auteurs. Sleek combine
donc ses 240 pages en une série de propositions avec
des variations de rythme. La mode s’immisce subrepticement dans les pages art, le thème du numéro s’efface
pour proposer une autre lecture quelques pages plus
loin… Même s’il offre des déclinaisons numériques
diverses, Sleek semble avoir trouvé ce qui l’intéresse
dans le papier.
independence and optimism.
Perhaps that’s part of why so many others
have been inspired by the Afronauts too:
de Middel gave a visible embodied form
to a long tradition of Twentieth Century
art and thought that was Africa as a kind
of metaphorical mothership, and sciencefiction as a mode which enabled black artists
and—particularly—musicians to dreams of
something beyond the earthly plane. Recently
there has been “Black Secret Technology”,
the album by A Guy Called Gerald, the name
of which is an apt description of a tradition
of music-making by black artists, generally
outside the standard critical canon of rock,
who focused on cosmic sounds and visions as
ways of escaping the narrow social and racial
categories of civilian life in while-dominated
cultures. Earlier, George Clinton’s Parliament
and Funkadelic did a kind of Furry Freak
Brothers take on black sci-fi, all tits, reefers
and Rabelaisian glee.
[…] Peter Lyle, p. 212
Allemagne
244 p.
semestriel
225 x 305 mm
12 €
Editor in chief :
Kevin Braddock
Creative director :
Mario Lombardo
Fashion editor :
Isabelle Thiry
Publisher :
BBE Branded entertainment
sle
ek-
ma
g.c
o
m
Magazines
lui
On s’est tous demandé pourquoi ressortir Lui 50 ans
après sa création et 10 ans après l’arrêt de sa parution ?
Le magazine culte d’une génération peut-il renaître sans
tout changer, dès lors que tout a changé en 50 ans ? Et
c’est bien cette fonction de baromètre, d’instrument de
mesure des écarts que Lui endosse malgré lui. Quid des
images de filles dénudées ? Sans la révolution sexuelle
des années 1960 et après le régime de porno chic des
années 2000, le plat semble tiède. Dénuder des stars ?
L’époque en a perdu le moule et trouver des équivalents
sensuels à Léa Seydoux s’annonce sportif… Lui, c’était
aussi des textes, notamment des interviews d’hommes
politiques sans langue de bois. À l’heure de la parole
Extrait
Le Parrain avait l’accent québécois
France
178 p.
mensuel
210 x 270 mm
2,90 €
.
zine
aga
de jeu agréable. « Un gentleman », comme
le décrivent d’anciens compagnons de
golf. Cette année, il n’a cependant pas fait
honneur à la semaine italienne. Il y a même
quelques temps qu’on ne l’a pas vu au club.
« M. Rizzuto ne joue plus chez nous », assure
André Boyer, le directeur général, échaudé
par l’indignation des membres du club, qui
avaient appris au printemps dernier que le
chef de la mafia montréalaise était désormais
l’un des leurs. Il est vrai qu’avec un type
comme lui, il y a toujours le risque de se
prendre une balle perdue. Comme celle qui a
tué Joe Di Maulo, exécuté à quelques mètres
de là, en novembre 2012, sur le porche de sa
maison qui borde le parcours. Ce pilier de
la pègre locale avait trempé dans le complot
visant à renverser Vito Rizzuto de son trône.
luim
Montréal est gangrenée par un système
mafieux qui a contraint récemment son maire
à la démission. Le parrain, Vito Rizzuto,
mène une guerre des clans sanglante dont
personne ne voit la fin.
C’est la « semaine italienne » au golf de
Blainville, au nord de Montréal, avec menu
spécial, animations au club house et tournoi
réservé aux membres. Le genre d’événement
que Vito Rizzuto ne voudrait pas rater : le
golf, il adore ça. Comme dans son métier, il
faut savoir frapper le coup juste, ni trop fort
ni pas assez. Mais au moins, sur le green, les
erreurs d’appréciation ne sont pas fatales.
À raison de deux parties hebdomadaires
et grâce à son mètre quatre-vingt-dix qui
lui offre encore un drive d’un partenaire
politique hyper maîtrisée, des interviews relues et des
spin doctors, à moins de faire partie du plan de com
d’un politique qui veut surprendre, peu de chances que
le lecteur s’y retrouve. In fine, on retrouve dans Lui de
bons ingrédients (des photographes : Mario Sorrenti,
Mikael Jansson, Mark Segal ; des plumes : Thomas
Legrand, Clovis Goux, Louis Skorecki), mais avec un
discours light, gentiment iconoclaste. On regrette que
l’opération Lui ressemble à un coup, à une captation
de nostalgie ; on reste sûr qu’il y avait quelque chose à
faire puisqu’aucun groupe de presse ne dicte au journal
une ligne prude ou politiquement correcte. Or, Lui reste
gentiment sexy, sagement polisson et un brin potache.
[…] Hadrien Gosset-Bernheim, p. 272
fr
magazine
22
Directeur
de la publication :
Jean-Yves Le Fur
Rédactrice en chef :
Yseult Williams
Directeur
de la rédaction :
Frédéric Beigbeder
Direction artistique :
Éric Beckman,
Emma Wizman
Elle a bien essayé de changer de métier, mais cette disciple de feu Madame Irma ne peut
s’empêcher de voir le monde à travers des filtres, des boules de cristal ou des couleurs vives. Son
intérieur garde aussi le souvenir d’un désordre organisé, une p i e r r e t u r q u o i s e (Les minéraux
au Carrousel du Louvre) s’égare entre trois b o u g e o i r s (Curiosité d’Esthètes), au-dessus
desquels lévitent une b a g u e pétillante et un b r a c e l e t espiègle (Cartier). Pour brouiller les
cartes, son parfum est masculin (Dior), sa p o c h e t t e se déguise en sculpture (Issey Miyake),
qu’un e s c a r p i n seul (Dior) défie.
que faire avec
308 670 ?
Shopping
(c’est beaucoup, mais c’est noël !)
photographie - Jean-Pacôme Dedieu
Assisté de Flavien Perrottey
Stylisme - Clémence Cahu
Assistée de Julia Salmon
Bague Cartier
Bougeoir Lux
Parfum Homme Dior
Pochette Issey Miyake
Bracelet Cartier
Escarpins Dior
Pierre turquoise
19 400 €
380 €
94 €
450 €
55 000 €
700 €
34 €
Les yeux sont partout, y compris sur un
b r a c e l e t (Kenzo), mais ce sont les souvenirs
qui nous assaillent, d’une forme de berlingot
devenue s a c (Céline), de ce p a r f u m (Replica
de Maison Martin Margiela), cette e a u
d e C o l o g n e (Byredo) déjà vintage ou ces
e s c a r p i n s (Roger Vivier), dont la courbe
évoque les décennies. Et quand une b a g u e
en or blanc (Lorenz Bäumer) ou une p i e r r e
b r u t e (Les minéraux au Carrousel du
Louvre) s’habillent d’éternité, un c e n d r i e r
(Ferm Living au Bon Marché) nous rappelle
que la matière est souvent éphémère.
Sac berlingot Céline
Pierre brute miel
Bague Lorenz Bäumer
Eau de Cologne 160 Byredo
Parfum Replica Maison Martin Margiela
Escarpins Roger Vivier
Cendrier Ferm Living
Bracelet Kenzo
800 €
61 €
4 580 €
vintage
80 €
650 €
180€
245 €
Détourner le regard n’y ferait rien, la coiffeuse
offre un scénario identique, le s o i n (Aesop)
le disputant au r o u g e à l è v r e s (Giorgio
Armani). Une sandale (Maison Martin Margiela)
s’est aussi ici égarée, alors qu’une p i e r r e
m i n é r a l e (Les minéraux au Carrousel du
Louvre) se confronte à un s a u t o i r (Van Cleef
& Arpels) – des diamants, des saphirs et des
tourmalines de Paraíba rondes. Seuls les
c r a y o n s (Krink chez Colette) permettent
de garder une mémoire de ce tableau que le
temps surveille de son s a b l i e r (Maison Martin
Margiela), et que le bleu d’un c e n d r i e r (Ferm
Living au Bon Marché) apaise.
Sandales Maison Martin Margiela
Rouge à lèvres Giorgio Armani
Sablier Maison Martin Margiela
Sautoir et clip détachable Van Cleef & Arpels
Crayons Krink
Tube soin Aesop
Cendrier Ferm Living
Pierre minérale
890 €
31 €
72 €
Prix secret
36 €
30 €
180 €
47 €
Les vrais trésors sont cachés, ceux du vintage réunis en un
l i v r e (La Martinière), mais surtout ceux protégés d’un filtre
jaune : les boucles d’oreilles Poisionus, la b a g u e en or blanc
et ses b o u c l e s d ’ o r e i l l e s Egratigna Chipie (Dior Joaillerie).
De même, nos certitudes nous égarent : ce visage métallique est
bien un c o l l i e r (Paule Ka), même s’il lorgne sur la p a l e t t e
p o u r y e u x (Mac), alors que cette pierre est elle un s a v o n
(Gemme). La menace du s o u f r e (Les minéraux au Carrousel
du Louvre) se voit apaisée par le p a r f u m « tobacco-vanille »
(Tom Ford), sous une bienveillante l u m i è r e ciselée (Lee
Broome au Bon Marché).
Livre Trésors du vintage
Lampe
Parfum Tom Ford
Savon Gemme
Collier Paule Ka
Minaudière Valentino
Palette pour les yeux Mac
Boucles d’oreilles Poisionus Dior Joaillerie
Bague Egratigna Chipie Dior Joaillerie
Boucles d’oreilles Egratigna Chipie
Dior Joaillerie
Pierre de soufre
80 €
259 €
180 €
18 €
480 €
2 500 €
42 €
78 000 €
63 000 €
57 000 €
84 €
Miroir Curiosité d’Esthètes
Minaudière Eddie Parker
Cendrier Ferm Living
Lunettes Courrèges
Boucles d’oreilles Aurélie Bidermann
Pierre brute
Sac Hermès
Bracelet Gaydamak
Mais aux messages des pierres, seul pouvait répondre le
langage des fleurs, surtout s’il s’ornait de prolongements
précieux comme un b r a c e l e t p l u m e (Gaydamak) ou
des b o u c l e s d ’ o r e i l l e s (Aurélie Bidermann). C’était
l’heure des choix, entre la m i n a u d i è r e (Eddie Parker au
Bon Marché) et le s a c (Hermès), plus question de se cacher
derrière des l u n e t t e s d e s o l e i l (Courrèges) cachées
derrière un c e n d r i e r (Ferm Living au Bon Marché). Le
m i r o i r (Curiosité d’Esthètes) renvoyait cette disciple d’Irma à
son vrai dilemme : choisir entre hasard et destin.
598 €
259 €
180 €
270 €
475 €
33 €
6 800 €
14 472 €
p.36, 42, 60, 68 : Moodboard denim 80’s
p.37 : Interview mode
florence müller
p.42 : Website
bernhard willhelm
p.44 : Chronique Art
fiac J moins 7
p.48 : Biographie
hélène rochas
textes
p.52 : Chronique style
les vies d’adèle
p.53 : Ping Pong
alaïa au palais galliera et par mail
p.56 : Interview
john m armleder
p.61 : Chronique Style
korean diary
p.64 : Off record art
art advisors
p.69 : Design
tartan pomme
p.74 : Layout
roman cieslewicz
Moodboard
denim 80’s
Composé par Florence Tétier
florence müller
Interview mode
Personnalité incontournable de l’univers de la mode, Florence Müller
promène son carré brun, son insatiable curiosité et un enthousiasme
tout en retenue, de défilés en colloques et présentations de par le monde.
Historienne de la mode, diplômée de l’École du Louvre et de l’Institut
d’art et d’archéologie, ancienne directrice et conservatrice à l’Union
française des a r t s d u c o s t u m e de 1987 à 1993, elle officie désormais
comme commissaire d’exposition en France comme à l’étranger. Elle
enseigne également l’histoire du costume, conseille les grands du luxe,
quand elle ne publie pas des ouvrages.
Historienne de la mode, c’est
un métier assez récent quand on
y pense.
Par rapport à l’histoire de
l’art, oui c’est récent. Les premiers historiens de l’art remontent peu ou prou
à la Renaissance. Pour ce qui est de
la mode, lorsque j’ai commencé à travailler, cela n’existait pas. Longtemps
après avoir suivi les cours de l’École
du Louvre et de l’Institut d’art et
d’archéologie, lorsque je retrouvais
d’anciens camarades de classe et qu’ils
me demandaient ce que j’étais devenue, il me fallait au moins un quart
d’heure pour leur expliquer que je
travaillais dans un musée exposant des
costumes. S’intéresser aux vêtements
dans les institutions leur semblait
invraisemblable ! Jusqu’à la fin des
années 80, c’était considéré comme un
« non-domaine », quelque chose de très
mal vu en fait.
Réticences désormais balayées.
Plus encore à l’étranger.
Je reviens de Chine, où l’on a présenté une grande exposition sur Dior.
Quand on y rencontre des journalistes,
le public, certains managers… inutile
de leur justifier la présence de mode
au sein d’un musée. Pour eux, c’est
normal, ils comprennent d’emblée que
c’est une forme d’expression parmi
36
d’autres. Que s’habiller le matin, c’est
une manière d’être créatif par rapport
à soi-même.
Il vous a tout de même fallu
– avec d’autres – inventer ce
métier, consistant à raconter
l’histoire de la mode à travers
des expositions.
Je suis consciente d’avoir
été une pionnière, mais avant
moi, il y a eu des gens comme
Yvonne Deslandres. J’ai été son
assistante quand elle s’est installée au
musée des Arts décoratifs, au début
des années 80. Avant, elle est demeurée longtemps une espèce de squatteuse de luxe hébergée dans le grenier
du musée Nissim de Camondo, et
auparavant encore dans les locaux de
l’école de la Chambre de commerce
de Paris, dans le 11e. Elle fut déplacée
dans différents endroits pouvant abriter l’extraordinaire collection de costumes dont les Arts décoratifs peuvent
désormais s’enorgueillir. Quand
j’ai commencé à travailler avec elle,
il n’y avait quasiment pas d’institutions
véritablement dédiées à la mode…
Des choses embryonnaires comme
l’Institut du costume au Metropolitan
Museum of Art de New York (MET),
mené par Diana Vreeland, le travail
effectué par Madeleine Delpierre au
musée Galliera… J’ai
appris sur le tas, auprès
d’Yvonne, puis lorsque
j’ai eu en charge le
département mode
du musée des Arts
décoratifs. On bricolait, chaque exposition
relevait de l’expérimentation. On défrichait tant en matière
de conservation, de
communication, que
de développement des
collections. Et cela
sous le regard très
jaloux des conservateurs des autres
départements,
parce que lorsque
le musée de la mode a été ouvert en
1986, il y avait la queue devant le
trottoir, alors que leurs salles étaient
vides…
Avant d’envisager le vêtement
sous l’angle de la mode, longtemps les musées sont demeurés
figés dans une logique relevant
de l’histoire du costume.
La mode est entrée dans les
musées à travers le costume et ceux
ayant appartenu à des personnages
illustres de l’histoire de France, et plus
37
[…] L’idée formidable [de François Boucher]
fut d’aller trouver les couturiers de l’époque,
Christian Dior, Balenciaga, Schiaparelli, la veuve
de Paul Poiret… en leur disant : Je prends tout cela,
c’est magnifique ; je ne veux pas que cela finisse sur
le dos des femmes de chambre !
précisément de Paris. L’Union française des arts du costume (Ufac) a été
créée en 1948 par François Boucher,
conservateur au musée Carnavalet
(musée de l’histoire de Paris), qui
arrivé à la retraite, eut l’intuition d’un
champ d’activité inexploité : l’histoire
des couturiers. Son idée formidable
fut d’aller trouver les couturiers de
l’époque, Christian Dior, Balenciaga,
Schiaparelli, la veuve de Paul Poiret…
en leur disant : Je prends tout cela,
c’est magnifique ; je ne veux pas que
cela finisse sur le dos des femmes de
chambre ! Tél était alors le sort de
toutes ces robes… Certes, quelques
femmes du monde gardaient dans
leur grenier leur robe de mariée et
quelques belles robes du soir, mais
aucune institution ne récupérait
alors ces chefs-d’œuvre. Le musée
Galliera, qui dépend de la Ville de
Paris, n’a commencé à s’intéresser que
tardivement, dans les années 80, aux
créations des couturiers et créateurs.
Et les collections du musée des Arts
décoratifs, qui a hérité de celle de
l’Ufac, recèlent des pièces formidables,
puisque le plus souvent choisies et
offertes par les couturiers eux-mêmes.
Pour vous donner un exemple, la maison Dior ne possède pas d’archive du
fameux tailleur-bar – ils en sont fous
aujourd’hui ! Pour cause, l’original
38
a été donné par Christian Dior à
François Boucher.
Longtemps ne furent exposées
dans les musées que des robes
de cour et des tenues d’apparat.
Les expositions de robes du
e
xviii siècle richement brodées, c’était
la spécificité du MET de New York.
Yvonne Deslandre était très opposée
à cela, et elle qui avait l’habitude
de piques pleines d’humour disait :
Diana Vreeland, c’est le thé chez la
marquise ! Yvonne préférait poser
un regard sociologique sur la mode.
Le vêtement l’intéressait dans une
approche culturelle globale, en lien
avec l’architecture, le mobilier, la
photographie, l’art de son temps. Son
approche ouverte m’a tout de suite
intéressée. C’était les années 70 et
ce regard sociologique était souvent
critique…
Les expositions de mode remportent souvent un franc succès.
Oui, mais pas autant que
celles dédiées aux impressionnistes.
À Orsay, une grande exposition peut
faire 600 000 entrées ; une exposition
de mode bien menée peut espérer
grimper à 300 000 visiteurs. Mais par
rapport à d’autres domaines artistiques, c’est certes énorme ! Du coup,
les expositions essaiment, les institutions y trouvant leur intérêt.
Paradoxalement, si les musées
furent pionniers en ce domaine,
ce sont aujourd’hui de plus en
plus les marques qui, disposant
désormais de leurs propres
collections et de structures
promptes à organiser leurs
propres expositions de par le
monde, mènent à bien les projets.
Pierre Bergé et Yves Saint
Laurent furent en cela visionnaires,
puisque dès la fin des années 70, ils
ont commené à collecter, archiver et
organiser leur œuvre, produisant de
grandes rétrospectives à New York
tout d’abord, puis à Paris, en Chine…
Ils étaient vraiment précurseurs !
Ensuite vint l’exposition des 40 ans
de Dior, en 1987, au musée des Arts
décoratifs, où je travaillais à l’époque.
Ce fut la prise de conscience pour
cette maison qu’elle ne disposait de
rien ou presque comme archives.
Des chartes de fabrication, quelques
échantillons de tissus, mais aucune
robe… Une personne a donc été
engagée pendant deux ans pour faire
le tour du monde, identifier où se trouvaient les modèles chez les anciennes
clientes. Cela a permis d’établir le
corpus de l’exposition et à la maison
Dior de mesurer l’impact d’une telle
manifestation ; des parutions dans la
presse à foison – dans les quotidiens,
les news, les magazines d’art, supports
nouveaux pour une griffe de mode
jusqu’alors habituée à ne collaborer
qu’avec la presse féminine. Gros
succès auprès du grand public également. À partir des années 90, toutes
les grandes maisons se sont mises
à constituer leurs propres archives.
Et aujourd’hui, tout jeune créateur
archive dès ses débuts !
Les grandes maisons usent
actuellement massivement
d’expositions en Asie, au
Moyen‑Orient ou en Russie
pour conquérir de nouveaux
marchés.
Ce sont des manifestations
ayant un but précis : expliquer aux
consommateurs qui achètent des
parfums, des rouges à lèvres, des
accessoires, que derrière des noms
comme Dior il y a un homme et
que sans Christian Dior rien ne
serait ! De nos marques, les nouveaux
marchés n’ont pour toute vision que
celle qu’ils perçoivent à travers les
campagnes publicitaires. La première
mission de ces expositions est donc de
servir d’ambassadeur. Nos marques
françaises, européennes, ont un plus :
l’histoire de gens formidables qui, à
partir d’un élan artiste, ont su bâtir
des empires industriels. Et puis il ne
faut pas oublier que dans des pays
comme la Chine, il n’y a pas vraiment
de musées dédiés à la mode. Ces
grandes expositions permettent de
faire passer un message plus général,
celui de l’importance de la création
dans la vie quotidienne. Je considère
également que ces manifestations
participent au rayonnement d’une
certaine pensée française. Elles permettent d’affirmer l’importance de
Paris. De présenter des objets culturels
forts. Avec bien sûr un propos commercial sous-jacent… En cela, l’exposition Dior, qui s’achève au MoCA de
Shanghai [« Esprit Dior », du 13/09
au 20/11/2013, ndlr] est très riche,
proposant dessins, photos, films, et
le public chinois a soif d’apprendre.
C’est un peuple en reconquête de sa
mémoire, de sa propre culture, de ses
traditions. Une exposition comme
celle-ci, sur une marque en activité,
remontant à ses racines profondes, ça
leur parle énormément. À partir des années 90,
toutes les grandes
maisons se sont mises à
constituer leurs propres
archives. Et aujourd’hui,
tout jeune créateur
archive dès ses débuts !
Vous avez longtemps travaillé
pour les institutions et œuvrez
désormais en free-lance pour des
maisons de luxe. Quelle distinction faites-vous entre ces deux
cadres ?
À mes débuts, au musée
des Arts décoratifs, je proposais des
projets à un comité d’exposition, qui
piochait dedans. C’est ainsi que je n’ai
jamais réussi à faire une exposition de
mode masculine… Dans le traitement,
j’avais par contre une totale liberté,
bien que peu de moyens. À l’époque
– ce n’est plus le cas –, on ne pouvait
39
[…] Je trouve la presse complètement
sclérosée. Ce qu’ils mettent dans leurs
magazines, personne n’en tient compte.
On reproche aux blogs de ne pas toujours
être pertinents, mais ils sont connectés
à la rue. Et c’est là que cela se passe
actuellement.
[…] Cette notion de créateur… Le mot est
toujours là, mais l’appellation ne recouvre
plus rien, car il n’y a plus de talents
indépendants et autonomes.
pas faire appel à des sponsors pour
aider au financement d’exposition,
c’était interdit ! Le monde de la mode
et du luxe était le diable incarné !
Du coup, sur certaines expositions,
il y avait des budgets, et pas sur
d’autres… Et quand il n’y en avait
pas, il fallait faire comme si ! C’était
épuisant ; il fallait se démultiplier avec
une équipe microscopique, ce qui
nous amenait à travailler des nuits
entières… Des conditions très très
dures. Intellectuellement aussi c’était
parfois compliqué, un peu étroit, car il
fallait délivrer un message d’historien
pur et dur ! Au fil du temps, je me suis
rendu compte qu’il y avait d’autres
façons de raconter la mode, en passant
davantage par des points de vue. Un
regard permet une approche plus
sensible que de simples chronologies…
La tentation est parfois grande
pour les griffes de luxe, hier
parfois simples fabricants,
d’enjoliver quelque peu leur
passé.
Quand j’ai commencé dans
ce métier, les griffes de luxe parlaient
de contrôle de l’image comme on
parle aujourd’hui de développement
de l’image. Disons que la plupart des
grandes maisons françaises possèdent
une histoire suffisamment riche pour
ne pas avoir à inventer des choses
– même si certaines en ont parfois
la tentation. Mais je ne travaillerai
40
jamais avec certaines griffes étrangères
dont le patrimoine ne me semble pas
assez développé.
Hormis quelques musées
comme le MOMU d’Anvers,
où sont présentées des expositions aux thématiques surprenantes, sur les patronages
ou le désir par exemple, la
majorité des manifestations
se résument désormais à des
rétrospectives : Louis Vuitton,
Balenciaga, Alaïa… souvent
amplement sponsorisées par
les marques.
C’est l’impression que cela
peut donner tant il y a une demande
de la part des griffes pour être présentes dans les musées, mais pas
uniquement… L’exposition actuellement présentée au musée des Arts
décoratifs sur les sous-vêtements, « La
mécanique des dessous », est fantastique ! C’est à mon avis la meilleure
depuis longtemps dans cette institution. Elle est conçue par un médiéviste… Tout n’est donc pas fichu ! Le
vrai problème c’est que les musées ne
peuvent plus fonctionner autrement
qu’avec du sponsoring puisque l’État
ne les soutient plus ; ils sont acculés à
chercher des financements.
Idem dans l’édition. Dans
les années 80 furent publiées
moult histoires du costume,
désormais on ne trouve
au rayon mode que des
ouvrages à la gloire de maisons qu’elles ont elles-mêmes
commandités.
C’est vrai, j’ai d’ailleurs
dernièrement publié une somme sur
les bijoux qui est passée totalement
inaperçue. Par contre, mon livre avec
Dior a très bien marché. J’essaye
pourtant de ne pas me limiter à ce
genre de prestigieuse collaboration,
je fais des petits catalogues par-ci,
par-là, dont personne n’entend jamais
parler, mais je tiens à maintenir un
lien avec des gens ayant des initiatives
intéressantes.
Quels sont vos projets en cours ?
Je prépare un gros bouquin et
une grande expo pour une marque…
dont je ne peux pas parler. J’ai une
collaboration régulière avec le musée
Christian Dior de Granville. Musée
dédié au couturier dans sa maison
d’enfance qui possède un statut
intéressant parce qu’à cheval entre le
monde des musées pur et dur – c’est
un musée municipal avec des moyens
restreints –, et celui des bénéficiaires
de soutiens privés, ici du groupe
LVMH. Pas vraiment des budgets
colossaux, ce n’est pas toujours facile,
mais je m’accroche, car c’est un
terrain d’expérimentation où je peux
défricher des choses, à la différence
de certaines grosses expositions. La
prochaine exposition sera consacrée à
Dior et la photo de mode.
En tant qu’historienne, quel
regard portez-vous sur la mode
actuelle ?
C’est un peu gênant à dire,
mais tout ce qui m’a fait aimer la
mode tend à se dissoudre. Cette
notion de créateur… Le mot est toujours là, mais l’appellation ne recouvre
plus rien, car il n’y a plus de talents
indépendants et autonomes. Pire que
cela, la notion même de créateur me
semble dépassée. C’est une constatation assez terrible… Les griffes de
luxe sont aujourd’hui si fortes qu’elles
sont même aptes à manipuler le poétique ; elles ne se contentent plus de
revendiquer leur puissance à travers
des démonstrations bling-bling. Non
seulement il n’y a plus de place pour
des propositions autres, mais surtout plus vraiment de désir pour des
solutions alternatives. Certes, on sent
confusément émerger un grouillement
de petites marques ; elles ne
défilent pas, ne sont pas dans
les magazines, mais beaucoup
sur Internet. Ces griffes sont
pour beaucoup le fait d’aventuriers, de gens qui sortent
d’école de commerce plus
que de style. Ils se lancent
sans aucun état d’âme et
proposent des choses certes
pleines de fraîcheur qui
peuvent marcher, mais qui ne me
procurent pas le sentiment d’excitation qu’apportaient autrefois les
propositions des créateurs. Je regarde
toutes ces choses avec une sorte de
détachement.
Qu’est-ce qui vous semble définir ces nouvelles griffes ?
Ce sont des marques qui
servent « l’art de l’assemblage ». De la
mode de rue en somme ! Des choses
que l’on peut twister… Ma veste
Isabel Marant, je la porte aujourd’hui
de façon un peu sévère, mais je peux
aussi la mettre avec un pantalon
déglingue, elle s’adapte à toutes sortes
de contextes ! C’est cela la mode
aujourd’hui, en aucun cas les tendances des podiums ou de la presse.
Défilés et magazines vous
semblent avoir perdu de leur
superbe ?
Quand on se rend
aujourd’hui dans les défilés, l’énergie
est à l’extérieur de la salle, avec tous
ces gens qui viennent exhiber leur look
pour se faire photographier. À l’intérieur, on retrouve assis toujours les
mêmes gens, qui n’ont pas changé
depuis des lustres ; j’ai l’impression
d’être au bal des vampires ! Ça ne
bouge pas, je trouve la presse complètement sclérosée. Ce qu’ils mettent
dans leurs magazines, personne n’en
tient compte. Tout cela est dépassé…
Les blogs et les sites ont pris le dessus. Je sais, on reproche aux blogs de
ne pas toujours être pertinents, mais
il n’empêche que c’est une lecture
gratuite, accessible, facile, participative,
que n’offrent pas les grands magazines.
Et puis c’est connecté à la rue. Et c’est
dans la rue que cela se passe actuellement. On y voit des ados sublimes
qui se bricolent des silhouettes
formidables en mélangeant des petites
marques avec du vintage. Les hipsters
ça vient d’où ? Des rues de New York,
pas des podiums ! Et cela s’est autocréé, comme les grands mouvements
d’autrefois, le rock, les punks ou les
mod’s.
Propos recueillis par
cédric saint andré perrin
Images :
p. 41 Robe Paul Poiret, 1907
p. 42 Robe Paul Poiret, 1910
p. 45 Portrait de Florence Müller, ©DR
41
bernhard
willhelm
Website
Les websites des maisons de mode sont rarement conçus comme
des e s p a c e s c r é a t i f s spécifiques ou des événements
en soi. La plupart d’entre eux se contentent de mettre
conventionnellement en ordre ce qui se passe très bien ailleurs…
… reportages et interviews télévisuels,
campagne et revue de presse, outre
le défilé et les photographies qui en
sont extraites. Au mieux, nos écrans
deviennent home cinema quand
les stratégies de communication
des marques les plus ambitieuses
vont chercher du côté du 7e art
ou de la vidéo contemporaine. Il
faut les jeunes créateurs – qui ne
bénéficient pas de la protection
des grands groupes et ne peuvent
rivaliser avec eux en termes d’exposition médiatique – pour investir
substantiellement l’objet. Ainsi,
un Simon Porte (Jacquemus), ainsi
Bernhard Willhelm, plus si jeune créateur, mais figure libre en pays mode :
oiseau rare.
42
La page d’accueil de son
site s’affirme d’emblée comme une
déclaration d’indépendance, lorsqu’un
clip de quelques secondes nous dévoile
le visage d’une « vieille dame indigne »
grimaçant une invite allumée, l’œil et
le brushing hystériques. On pourra la
voir plus amplement porter la collection printemps-été 2014 en compagnie
d’autres séniors masculins, bodybuildés ou ventrus : corps excentriques qui
ironisent les conventions iconiques du
glamour et affirment la posture décalée de Willhelm. La typographie du
site est à ce titre significative : globalement manuscrite, elle connote l’anticonformisme formel. Cette graphie
personnelle figure aussi l’arborescence
du site ; elle improvise des réseaux de
lignes spontanées qui cartographient
chaque page et assurent l’homogénéité singulière de l’ensemble, quelle
que soit la diversité des documents
rapportés. Ces derniers sont justement
en nombre, et généreux, à l’image des
lookbooks (les collections sont toutes
archivées et visibles sur le site depuis
la création de la marque en 1999) qui
déploient une vraie ligne éditoriale.
Car voilà, entrer sur le site
de Bernhard Willhelm c’est traverser
toutes les occurrences de l’image :
ses réalités, ses possibles, ses devenirs. Puisque ce sont l’imaginaire et
ses lignes de fuite qui priment chez
ce créateur, ou l’invention de soi au
mépris du genre et du statut social. Le jeu savant des montages et
des effets vidéo invente
visuellement en même temps
qu’il restitue l’atmosphère des
défilés, qui se sont rapprochés
de la performance dansée et
plasticienne […]
Le style des vêtements est à
cet égard programmatique : un art
volumique du biais et du pli qui outrepasse la stricte architecture du corps,
des jeux fantasques de couleurs et
d’imprimés achevant de le réinventer.
Ce que l’on vérifie sur le site c’est, par
exemple, à la rubrique « exhibitions »,
une maîtrise certaine de l’installation
muséale dans le cadre des expositions
qui ont été consacrées à la marque :
soit une aptitude pour la mise en scène,
du corps, et au-delà d’un univers
éclectique, exalté, où les traditionnels
mannequins flirtent avec les pauses
pornographiques, la statuaire classique
et les icônes de la culture populaire
américaine.
C’est, encore, à la rubrique
des collections, le jeu savant des montages et des effets vidéo qui invente
visuellement en même temps qu’il
restitue l’atmosphère des défilés, qui
eux-mêmes et au fur et à mesure des
années se sont rapprochés de la performance dansée et plasticienne. Ce
sont enfin les images sophistiquées des
lookbooks en ligne. On citera celles de la
collection 2013 : de courtes animations
qui colorisent et reconfigurent en 3D
les modèles, qui en un clic de souris,
vibrent de manière minimaliste, mais
frénétique… Créatures définitivement
passées de l’autre côté du miroir.
“That’s what I like, pure fantasy.” 1 Vous venez de passer plus d’une
heure sur le site de Bernhard Willhelm.
Vous avez cette fois arpenté un ailleurs
constitué : un territoire parallèle,
autonome, avec ses contours et ses lois,
ses habitants, son archéologie. Vous
avez quitté les paresseuses galeries
marchandes pour naviguer un peu
en utopie, comme on dit en langage
classique.
céline mallet
Images :
Captures d’écran du site bernhard-willhelm.com
1. Pour lire en ligne une interview assez
complète du créateur, dont la citation est extraite :
http://www.hintmag.com/hinterview/
bernhardwillhelm/bernhardwillhelm1.php
43
fiac, j moins 7
Chronique art
Rendez-vous commercial et mondain, la Fiac rythme chaque
rentrée parisienne. De détails en événements incontournables,
voici un j o u r n a l en forme de compte à rebours.
j -7
Ampoules ginseng-guarana,
chaussures cirées, iPad chargé, marrons glacés, ça sent la Fiac. Frieze est
encore le mot à la mode dans les lobbys, mais bientôt le Grand Palais – et
Paris – deviendra le centre du monde
de l’art international, pour cinq jours.
On a hâte, et on va prendre un verre
rive gauche à l’occasion de l’ouverture du Parcours Saint-Germain.
Jolies expos dans de jolies boutiques,
l’art se met au diapason des tendances de saison. Au détour d’une
conversation, on apprend qu’un
collectionneur a « égaré » une sculpture de 2,5 m, il faut dire qu’il n’a
jamais pris le temps d’aller dans son
stockage de banlieue. C’est capricieux
ces petites choses. Non loin de là,
Ralph Lauren déclenche une fronde
à l’École beaux-arts1. Mécénat contre
privatisation, les étudiants crient à la
gabegie. Les temps sont durs pour les
milliardaires.
j -6
Arrivée de mes artistes à
Paris, jet-lag west coast et temps fluctuant, entre éclaircies et averses, « été
français » comme disent les Indiens.
Immédiatement, c’est l’état d’urgence : personne ne leur a donné
le dress code du Bal Jaune (green cette
44
[…] La soirée débute
avec un débat sur
l’héritage de Trisha
Brown et se termine
avec les sketchs des
Inconnus. On ne se
refait pas, on est tous
des roturiers plaqué or.
année). Fashion drama, comme dirait
Carine Roitfeld. Un shopping
s’impose, le montage de l’exposition
attendra demain.
j -5
Arty drama cette fois (et
presque Arte Thema) : toutes les
œuvres de l’exposition sont bloquées
en douane, un problème de TVA.
À partir de quand un tirage photographique (19,6 %) devient une œuvre
d’art (5,5 %) ? Fedex s’interroge, et
moi je révise. Les artistes arrivent
enfin à la galerie (18 h 30), faute
d’œuvres à accrocher, ils se mettent
à faire du shopping sur sarenza.
com. À mesure que leur panier se
remplit, ma certitude que nous
aurons une exposition à montrer
aux visiteurs jeudi pour la Nocturne
des galeries s’amenuise. Plan B : une
performance ?
j -4
Appel last minute d’un rédacteur en mal de sujet : un shooting
est organisé le lendemain dans une
galerie voisine. Une série de mode
sur le thème Marcel Duchamp, avec
artistes pour mannequins, décor en
porte-bouteilles et urinoirs. Qui est
intéressé ? Série de vernissages du
Parcours privé de la Fiac (déjà), dont
celui de François Pinault – Mr. Big –
à la Conciergerie. Sous les plafonds
gothiques, le vernissage est un grand
moment de PR, tout le monde est
encore frais. On blague et on oublie
la verve d’Antoine Perraud dans
Mediapart : « Au diable le so contemporary, voici le tiroir-caisse, véritable pousseau-jouir de ce milieu d’imposteurs parant
leur vénalité des couleurs de l’esthétisme. »2
Un brin cliché.
j -3
Montage au Grand Palais :
ballet mécanique des semi-remorques
déchargeant des caisses aux valeurs
d’assurance pharaoniques. Se dépêcher, respecter les créneaux de stationnement, ne pas oublier que nous
sommes sur la route d’évacuation du
Président. Garder en tête les priorités.
Après l’effort, le dîner de vernissage
d’une fondation privée : entre artistes
et galeristes, la soirée débute avec un
débat sur l’héritage de Trisha Brown
et se termine avec les sketchs des
Inconnus. On ne se refait pas, on est
tous des roturiers plaqué or.
j -2
Bonheur, l’exposition à la
galerie est accrochée. Double effet
bonheur, elle est intégralement achetée dans les cinq minutes. Le buzz
peut démarrer, les collectionneurs
s’excitent. Inauguration de la Fiac
hors les murs au Jardin des Tuileries :
une heure d’attente des officiels, en
compagnie d’autres officiels, sous les
parapluies. Finalement la visite se
fera sans eux (les premiers). De toute
façon, les croissants et la presse c’était
ce matin au café Médicis.
j -1
Comme l’écrit Éric Loret3 :
« La Fiac, c’est beau. La Fiac, c’est pour
les riches, mais en plus c’est pour les
beaux. Chose étonnante, non seulement
tou(te)s les galeristes sur leurs stands sont
trop canons, mais les photographes de
presse aussi. Et même les manutentionnaires… » Merci pour eux. Derniers
préparatifs avant l’inauguration
de la moquette, deux mondes se
croisent. On termine la journée
par la visite du Private Choice
de Nadia Candet : une collection
idéale exposée dans un atelier
d’artiste, AD et Beaux-Arts magazine
trinquent sur une banquette de
Matali Crasset. Quelques jeunes
pousses au dernier étage, des poids
lourds au rez-de-chaussée, et les
conceptuels dans la salle de bains.
Cadavre exquis.
jour j
9h : Aphone. Trop d’excès
pré-Fiac, à force de démarrer les
festivités si tôt… Mon médecin me
prescrit un « repos vocal de 48 heures »,
j’improvise un argumentaire marketing sur le chuchotement.
10 h : Les premiers Invités
d’Honneur arrivent au Grand Palais,
même si les grands advisors des
grands collectionneurs sont déjà là
depuis 8 h. Deux poids, deux mesures.
10 h 01 : Les bêtes de foire et
autres vendeurs à la commission sont
au garde-à-vous sur leur stand, sourire Colgate et liste des prix sur iPad.
Plusieurs galeries font la moitié de
leur chiffre d’affaires annuel durant
ces cinq jours. Ne pas mollir.
10 h 02 : Premières confidences, premiers achats, premières
spéculations sur les Prix Marcel
Duchamp/Ricard/Galeries Lafayette.
11 h-18 h : Entre deux ventes,
des mondanités. De plus en plus de
nouveaux riches achètent de l’art, le
« nouveau luxe »4, le nouveau lifestyle
international. Pour Karl Lagerfeld
(connaisseur de cause) : « Dans le temps,
les gens de la mode voulaient être mondains,
aujourd’hui les duchesses, les salons, ça
n’existe plus, alors ils veulent faire de l’art. »
18 h-22 h : Vernissage
public. Wall Street et les artistes
communient sous la verrière du
Grand Palais. Des curators lancés
par Libération sillonnent les allées
de la Fiac en quête de visuels pour
illustrer le journal du lendemain. Ce
soir, après deux, trois réceptions chez
des collectionneurs parisiens – où l’on
apprend que le vélo est le nouveau
golf –, on ira danser dans le chantier
du nouvel hôtel particulier d’Emmanuel Perrotin. Refaire le monde sur
les pavés et le sable.
alexandra stern
1. Nicole Vulser, « Ralph Lauren déclenche
une fronde aux Beaux-Arts », Le Monde,
11/10/2013.
2. Antoine Perraud, « Pinault, un épieu
dans le flanc de la culture », Mediapart,
20/10/2013.
3. Éric Loret, « Fiac 2013 : le guide de
survie », Libération, 25/10/2013.
4. Karl Lagerfeld interviewé dans Elle,
octobre 2013.
Image :
Accrochage foire d’art contemporain, ©DR
45
hélène rochas
Biographie
Délicate, raffinée, bien élevée, Hélène Rochas est l’image de
la femme française élégante. Tour à tour femme de couturier,
chef d’entreprise, mécène, s o c i a l i t e , elle fut pendant près
de cinquante ans l’une des figures de proue d’un art de vivre
aujourd’hui disparu.
1 9 2 7 Nelly Brignolles naît
à Montauban-de-Picardie.
1 9 3 7 Élève de l’école de danse de
l’Opéra de Paris – une « école de cruauté »
qui l’endurcit –, la jeune Nelly rêve de
devenir comédienne. En parallèle de
ses heures de mannequinat, elle suit
les cours de théâtre de René Simon.
1 9 4 3 Avec son sourire enchanteur,
sa beauté délicate, ses yeux couleur
saphir, son long nez droit, elle happe
un jour le regard de Marcel Rochas.
Selon la presse de l’époque, il l’aurait
abordée benoîtement dans le métro
d’un : « Vous avez une tête à chapeau. » Lui
a déjà été marié deux fois, elle, a tout
juste 17 ans. Son aîné de vingt-cinq
ans, qui a créé sa maison de couture
en 1925 au 100 rue du Faubourg
Saint-Honoré, est alors un couturier
reconnu internationalement. Il a
réussi à courtiser les stars d’Hollywood,
adeptes de sa devise : « Toujours plus
jeune ». Jean Harlow, Loretta Young,
Marlene Dietrich, Katharine
Hepburn affectionnent ses tailleurs en
biais, ses robes dos-nus, ses pantalons
de plage, ses fourreaux moulants et
ses guêpières de chantilly noir. Il vient
de créer les robes de Falbalas, film
de Jean Becker (1944), et s’apprête
à réaliser celles de Seul dans la nuit de
Christian Stengel (1945). Son patronyme évoque également la magie
d’un certain Paris : celui des fêtes, de
l’insouciance, des bals éclairés à la
bougie dans les hôtels particuliers de
la rive gauche.
1 9 4 6 Marcel Rochas avait lancé
au début des années 30 ses premiers
parfums, dont Avenue Matignon.
En 1944, il fonde sa société de
Parfums Rochas en collaboration avec
Albert Gosset. « J’ai fait la connaissance
de Marcel Rochas en 1943, pendant l’occupation. Son souhait était de revenir à une plus
grande féminité. Il cherchait justement un
parfum, en harmonie avec ce désir. Il voulait
une fragrance opulente, féminine, tout en rondeurs car, disait-il, “on doit respirer une
femme avant même de l’avoir vue” »1,
témoigne Edmond Roudnitska, le
46
nez qui compose alors le parfum
Femme. Dans ce parfum, de luxueuses
essences fruitées (rose, pêche, prune,
jasmin, mousse de chêne, santal)
[…] En 1953, le
couturier tire sa
révérence. Hélène
est veuve à 28 ans et
devient, malgré elle, la
plus jeune dirigeante
d’entreprise de France
exhalent la plénitude sensuelle que
le couturier cherche à donner à ses
robes. Or, le pays est en guerre et
les matières premières font défaut.
Celles de Femme étant très coûteuses,
Marcel Rochas décide de présenter
dans un premier temps une édition
numérotée, en souscription. Présenté
Avenue Matignon, lors d’une collection de couture, le parfum connaît un
succès retentissant, malgré les rumeurs
accusant Marcel Rochas de complaisance envers l’occupant… Le flacon,
signé par Lalique, en cristal blanc rosé,
posé sur un coussin de satin, évoque
les formes plantureuses de l’actrice
Mae West, qui en aurait été l’inspiratrice. Marcel Rochas ne le dédie
pas moins à sa « Belle Hélène » qu’il
vient d’épouser. Et puisqu’un parfum
est l’affaire d’une vie, Hélène serait
vouée à être définitivement « Femme »
de Rochas. Elle inspire ensuite les
parfums Mouche et La Rose, en 1949,
lancé à la roseraie de l’Haÿ-les-Roses,
sur une musique d’Henri Sauguet.
Devenue l’égérie de son mari, Hélène
devient la première ambassadrice de
la marque Rochas.
1 9 5 0 Si bien que lorsque Jacques
Becker lui propose de jouer dans
Casque d’or (1952), son époux jaloux fait
obstacle au projet. Elle doit renoncer
à sa carrière de comédienne : « Quand
on est jeune et que l’on a un mari couturier,
on devient vite sa vitrine… Il voulait bien
me montrer, mais me remettre vite dans la
vitrine ! », confie-t-elle plus tard à la
presse. Il veille à ce que pas un cheveu
ne dépasse, lui impose sa coiffure aux
épaules, choisit ce qu’elle doit porter, décide du nombre de ses enfants.
Deux. C’est lui aussi qui dicte son
goût, ce goût qui doit coller à celui
de ses époques favorites (Louis XVI,
Directoire). Son amitié avec le
décorateur et architecte d’intérieur
Georges Geoffroy l’incite à imaginer
un décor imposant, pompeux, entre
le xviiie siècle et l’Empire. Le tandem
reçoit ainsi dans son appartement
de 400 m2 de la rue Barbet-de-Jouy,
aux murs couverts de tissus rayés et
d’obélisques, de dessus-de-porte et de
trumeaux peints en trompe-l’œil par
Serebriakoff. Dans ce rez-de-jardin qui
voit Aragon converser avec Cocteau,
Paul Éluard avec Max Ernst, Dalí
avec Marie-Laure de Noailles, Hélène
tient salon chaque lundi. Madeleine
Renaud et Jean-Louis Barrault, MarieLouise Bousquet, directrice du Harper’s
Bazaar et Man Ray discourent sur
l’art et le monde, sous le grand lustre
en bronze. « Mes parents formaient un
couple proustien. Ils étaient de tous les bals et
de toutes les soirées », se souvient sa fille
Sophie Rochas.
1 9 5 3 Le succès des collections de
prêt-à-porter s’essouffle à partir des
années 50. La maison Rochas, qui
employait plus de 200 personnes en
1943, n’en compte que 44 à partir de
1953. La maison de haute couture
ferme ses portes. Cette même année,
le couturier tire sa révérence. Hélène
est veuve à 28 ans et devient, malgré
elle, la plus jeune dirigeante d’entreprise de France. Face à ses nouvelles
responsabilités, elle transfère la société
de parfums rue François‑Ier et la
rebaptise Société Rochas. « Je déplore
beaucoup, soit dit en passant, que la maison
Rochas ait supprimé Marcel, son prénom,
car le prénom et le nom d’un homme célèbre
forment un tout indissociable », conteste
Edmond Roudnitska. Qu’importe,
la nouvelle patronne se libère du
joug de son défunt mari et se met
en tête d’emmener sa société dans
un développement croissant, tout en
continuant à recevoir, en haute couture et bijoux XXL, dans son salon
du 7e arrondissement. Guidée par
son nouvel époux, le producteur de
théâtre André Bernheim, elle entame
une carrière de socialite et d’executive
woman. Tandis que ses compétences
de chef d’entreprise se développent
et que son goût s’affirme – elle se
consacre avec passion à la Chine –, la
maison Rochas s’internationalise au
cours des années 60. Passionnée par
les fleurs blanches, « la panthère sophistiquée », ainsi surnommée par la presse
américaine, lance de nouveaux parfums. Le plus apprécié étant Madame
Rochas, subtil cocktail de narcisse, de
tubéreuse et de jasmin. Puis viennent
Monsieur et Eau de Rochas, une eau
fraîche féminine à base de citron vert
et de verveine, créés tous deux par le
parfumeur Guy Robert.
47
[…] En 1971, lors du bal Proust donné par les
Rothschild à Ferrières, elle apparaît déguisée en
Odette de Crécy, l’amour de Swann, avec un
décolleté noir plongeant et des cattleyas blancs
à Ferrières, elle apparaît déguisée en
Odette de Crécy, l’amour de Swann,
avec un décolleté noir plongeant et
des cattleyas blancs, rappelant ce
mystérieux masque noir de chauvesouris qu’elle arborait à la Nuit du
Pré-Catelan en 1946. En 1972, à la
fête surréaliste de Marie-Hélène de
Rothschild, elle porte un drôle de
chapeau en forme de phonographe.
« Derrière des manières exquises exprimant
son profond respect pour les gens se cache
une personnalité au goût extrêmement libre et
raffiné », témoigne Frédéric Mitterrand.
1 9 6 9 Cette année-là, au bal orien-
tal donné par le Baron de Rédé, à
l’hôtel Lambert, elle se montre voilée
au bras de son nouveau compagnon
Kim d’Estainville, jeune dandy raffiné
qui l’initie aux splendeurs de l’art déco.
Son goût évolue au fur et à mesure
de ses rencontres et, surtout, de ses
amours. Avec Kim d’Estainville, c’est
le début d’un nouvel art de vivre, plus
dépouillé et plus personnel qu’au
temps de Marcel Rochas. Dans le
sillage de Jacques Doucet, elle réadapte son cadre à cet art déco que
venaient de rallier Pierre Bergé et Yves
Saint Laurent, qui l’habille désormais.
À l’instar de Charles de Beistegui,
d’Hubert de Givenchy, de Charles
et Marie-Laure de Noailles, elle ose
les mélanges, savant dosage entre
un classicisme luxueux et un modernisme exotique. Tandis que Françoise
Sagan et Patrick Modiano prennent
la place d’Éluard et de Cocteau, le
paravent laqué de Dunand, les lampes
et torchères venimeuses de Brandt
et Sandoz, les vases de Luce et la
table-berceau de Diego Giacometti
relèguent le mobilier Louis XVI. Bien
des mystères entourent cette collection. « Mystères contenus dans le tiroir
secret de la commode Louis XVI, placée au
centre de la chambre de ma mère », raconte
48
Sophie Rochas. « Hélène, ainsi qu’elle
souhaitait être nommée par ses propres enfants,
aura traversé le siècle en s’adaptant parfaitement aux changements radicaux de styles
qu’exigeait la modernité des époques. »
1 9 7 1 Victime d’un vieillissement
de son image dans les années 70, la
maison Rochas survit grâce au succès
des fragrances Madame Rochas, Eau
de Rochas et Femme, qui s’imposent
comme des classiques. En 1971,
Hélène Rochas vend sa société à
Roussel-Uclaf. Elle réussit cependant
à enchanter encore, par ses tenues
extravagantes, les soirées Grand
Siècle, la magie d’un Paris disparu
qui festoyait chez les Beistegui ou
le Baron de Rédé. En 1971, lors du
bal Proust donné par les Rothschild
2 0 0 4 La marque Rochas est dès
2 0 1 2 Tandis que Pierre Hermé
lors dans le giron du groupe américain
Procter & Gamble. La société enrichit
son catalogue de parfums : Byzantine,
Tocade, Tocadilly, Alchimie, Eau de
Rochas pour homme et confie son
prêt-à-porter au styliste Marco Zanini,
en 2009. Hélène quant à elle se retire
approfondit la collaboration qu’il a
initiée avec le parfumeur et nez de
Rochas Jean-Michel Duriez pour créer
une tarte « pêche, rose, cumin » en
hommage au parfum Femme, deux
ans après la disparition d’Hélène,
Christie’s présente une exceptionnelle collection de mobilier, tableaux,
porcelaines et autres objets accumulés par Hélène Rochas dans son
appartement de la rue Barbet-de-Jouy.
« Elle est à l’antipode du goût classique de
la riche aristocratie, avec un côté glamour
à la Jacques Doucet et une note atypique
influencée par les Noailles. Elle est la marque
d’un style aujourd’hui disparu », ajoute
François de Ricqlès, président de
Christie’s France. Entre des bougeoirs
chinois du xviiie siècle, des guéridons
Empire, des vases russes, une toile
cubiste de Kandinsky, un Balthus
et quatre tableaux d’Andy Warhol
représentant Hélène en 1975, la
vente pulvérise les estimations : plus
de 15,7 millions d’euros au lieu des
8 millions prévus. Quatre records
du monde sont établis, dont une
œuvre monumentale du peintre
Ben Nicholson, intitulée Fiddle and
Spanish Guitar (1933), vendue 3,3 millions, ainsi que la table-berceau de
Diego Giacometti (1963), plateau en
1 9 8 4 Quand l’entité Rochas est
reprise par le troisième groupe mondial de cosmétiques, Wella, appelé à la
rescousse pour injecter d’importants
capitaux, Hélène Rochas reprend ses
crayons pour dessiner des collections
de prêt-à-porter destinées au marché
japonais. À l’occasion d’un nouveau
changement d’actionnaires, elle est
rappelée pour devenir consultante
du groupe. Elle lance un nouveau
parfum, Byzance, et s’en va pour
de bon en 1989. En 1990, le styliste
irlandais Peter O’Brien officie pendant douze ans à la tête du prêt-àporter féminin, puis sera remplacé par
Olivier Theyskens qui, malgré son
travail remarqué, fait un flop avec le
parfum Poupée (2004).
de la vie publique et décide de vendre
toute sa collection art déco. Christie’s
se souvient encore du siège africain de
Pierre Legrain provenant des collections du couturier Jacques Doucet, dispersées en 1972, ainsi que du mobilier
d’Eileen Gray ou encore des grands
totems cubistes de Miklos.
verre et piètement en bronze patiné
brun vert, acquise à 1,3 million
d’euros. Le catalogue édité replonge
dans ce « goût très parisien » marqué
par l’éclectisme et l’orientalisme.
L’occasion de revisiter la légende
d’une femme ayant traversé, avec un
sourire de toutes les circonstances
et une pointe de mélancolie dans les
yeux, un demi-siècle de mondanités.
« La Café Society a été pulvérisée par la jet-set,
l’art de la conversation a battu en retraite sous
les coups du ricanement télévisuel, les hommes
les plus créatifs et les plus brillants qui furent
amoureux d’Hélène ont disparu : or, elle est
exactement la même du début jusqu’à la fin »,
conclut Frédéric Mitterrand dans la
préface du catalogue.
marlène van de casteele
1. Edmond Roudnitska, entretien du
18/07/1993.
Images :
p. 50 : Portrait de Hélène Rochas par Andy
Warhol, 1975.
p. 51 : Publicité pour Madame de Rochas,
circa 1965.
p. 52 : Flacon Lalique pour Femme de
Rochas (1943).
p. 53 : Portrait de Hélène Rochas, ©DR
49
les vies d’adèle
Chronique style
Le porno chic, c’était une a t t i t u d e ou un style ? Tom Ford
et Carine Roitfeld ont habilement joué de cette indécision.
Aujourd’hui, les manifestations d’une sexualité lesbienne, ou
bisexuelle, sont devenues plus présentes dans la mode et les
médias. Et cette fois encore : attitude ou style ?
Voilà un mois que, chaque soir, une
collègue quitte le bureau et annonce
qu’elle part voir La Vie D’Adèle au
cinéma avec sa meilleure copine. Et
que, chaque lendemain matin, elle
donne son propre avis enflammé (et
généralement ininformé) sur la scène
de sexe : C’est le fantasme du réalisateur ! Les filles font pas ça ! De temps à
autre, la performance de Léa Seydoux
est saluée d’un : Elle fait trop bien la
lesbienne. Partout, les commentaires
sifflent. Les sites spécialisés (Yagg,
la branche féminine de Têtu, ou le
magazine en ligne Barbieturix) hurlent
au manque de réalisme, Slate et le
New Yorker donnent des avis tièdes,
des magazines féminins assurent que
l’amour entre filles est « la tendance de la
saison ».
Une chose est sûre, la
sexualité, mais aussi la vie, les codes
et l’esthétisme du monde lesbien
demeurent enrobés d’un épais mystère,
doublé, aujourd’hui, d’une fascination
grandissante. Trop longtemps resté
dans le placard – contrairement au
cinéma gay, qui en sort il y a plus
de vingt ans –, le rideau est levé sur
une culture et un champ sémiotiques
jusque-là ignorés par la culture de
masse.
50
Des actrices dignes
de tapis rouges
hollywoodiens,
ultraféminines,
dévoilent à l’écran une
sexualité dépolitisée,
sensuelle, façon
« Barbie saphique »,
qui titille habilement
le public masculin […]
Car si la Palme d’or de Abdellatif
Kechiche est unique en son genre,
c’est aussi la lame de fond d’une tendance beaucoup plus large, et d’une
nouvelle curiosité. À commencer par
le hit télévisuel de cet été, « Orange is
the New Black », où une jeune femme
bourgeoise se voit happée par son
ancienne liaison avec une dealeuse de
drogue et se retrouve dans une prison
de femmes, où les liaisons sexuelles
fleurissent à chaque coin de cellule.
Idem pour Passion de Brian de Palma
ou encore l’étrangement similaire
Side Effects de Steven Soderbergh qui
brossent un haletant thriller centré
sur un drame romantique lesbien.
Dans tous ces cas, des actrices dignes
de tapis rouges hollywoodiens, ultraféminines, dévoilent à l’écran une
sexualité dépolitisée, sensuelle, façon
« Barbie saphique », qui titille habilement le public masculin.
La mode aussi s’entiche d’une
exploration queer. Dans la campagne
Gucci, Abbey Lee Kershaw joue les
garçonnes en costume trois pièces et
cheveux courts laqués en arrière, en
petite Clark Gable au féminin. Des
mannequins se pelotent chez Chanel
et Saskia de Brauw est plus tomboy
que jamais dans les publicités Maje.
Là, toutes ces images font appel a un
vocabulaire androgyne pour muscler
un look rock, alternatif à tous niveaux.
Idem pour les musiciennes en mal
de street cred’ : Soko, qui aime crier
sa bisexualité haut et fort, léchouille
l’oreille d’une jolie blonde dans
son clip We Might Be Dead Tomorrow,
Katy Perry kissed a girl and she liked it.
Sans oublier, bien sûr, le relooking
radical de Miley Cyrus, si désireuse
de sembler rebelle. Elle pose en slip
à poches et bottes de l’armée dans
V magazine, et glousse « qu’elle est ravie
qu’on la prenne pour une lesbienne », une
orientation anti-Hannah Montana
au possible. L’impact est plus efficace
que jamais. Effet de choc gentillet, car
devenu assez courant pour en jouer
à l’air libre, tout en gardant un air
subtilement olé olé.
« Tout a commencé avec la série The L
Word, c’est la première fois qu’on voyait cette
culture au grand jour, en position de force »,
“naturels” ou biologiques, que c’est un jeu où
explique Géraldine Sarratia, rédacon peut piocher des deux côtés », souligne
trice en chef adjointe du magazine Les
Géraldine Sarratia. Des emprunts
Inrockuptibles, en charge de la rubrique
masculins ne veulent pas pour autant
style, au sujet de la série culte créée en
dire un refus de féminité, explique
2006 par Ilene Chaiken. Le show préThéodora de Lilez, bassiste dans le
sente un groupe de femmes, non cantonnées à un ou deux stéréotypes, mais groupe de rock Théodore, Paul et
Gabriel, où les trois membres, des
qui expriment leur sexualité par un
jeunes femmes, ont opté pour des
grand prisme d’identités. Décryptage
de la rédactrice : « Il y a une grande variété prénoms de garçons et un attirail de
dandy au twist 60s. « Il s’agit de créer sa
de “styles lesbiens”, mais toujours marqués
propre définition de la féminité. »
par les mêmes grandes lignes : un refus de
normes assujettissantes et objectivantes des
Aujourd’hui, ces questions de
femmes, un refus de passivité. Cela commence
genre font mouche. Les gender studies,
toujours avec un questionnement critique à la
ou études de genre, attisent l’intérêt
création de genre. »
jusque dans les écoles prestigieuses tels
la London School of Economics ou le
Ainsi, des codes masculins
Massachusetts Institute of Technology
évoquant des privilèges du sexe
(MIT). Le mariage gay a fait son
fort sont empruntés et subtilement
chemin. « La reine Victoria n’avait pas
féminisés : le costume ultraglamour
jugé nécessaire de condamner l’homosexualité
façon Katharine Hepburn ou la
féminine, car elle pensait que ça n’existait
veste d’aviateur de Marlene Dietrich
pas. Pendant longtemps, ce n’était pas vu
deviennent des emblèmes de poucomme une sexualité affirmée, autonome, mais
voir féministes. Aujourd’hui, des
comme un dérapage né du rapport de proximité
personnalités comme Portia de Rossi
permis entre deux femmes », nous enseigne
et Ellen DeGeneres, Jenna Lyons et
même Freja Beha Erichsen deviennent Carol Mann, professeur de genre à
Sciences Po Paris. « Aujourd’hui, cette
les icônes d’une nouvelle libération
acceptation de la culture lesbienne marque
stylistique et politique. « Attention, il ne
enfin la reconnaissance d’une identité à part,
s’agit pas là de “copie” de styles masculins,
indépendante, et non pas un manque. »
mais une réappropriation subtile qui révèle
qu’il n’y a pas de comportements de genre
Socialement aussi, c’est peu
étonnant : un look dit « lesbien » est
souvent associé à une image de force,
tough, plus femme-conquérante que
femme-objet. Codes qui apparaissent
quasi systématiquement en temps de
récession. Ainsi, la tête rasée de Sinead
O’Connor et la coupe en brosse de
Annie Lennox répondaient de façon
engagée et enragée à la dépression
des Eighties, et le sentiment de perte
de pouvoir de la population face à un
gouvernement en crise. Erika Linder
et Freja Beha Erichsen sont-elles les
porte-parole d’aujourd’hui ?
Espérons juste que cette mode
ne passera pas aussi vite que les collections automne-hiver 2013.
alice pfeiffer
Image :
Équipe de la série télévisée « Orange is The
New Black »
51
alaïa au
palais galliera
et par mail
Ping Pong
À l’heure du 2.0, l’échange épistolaire gagne en nervosité. Faisant
fît du f a c t e u r , cette correspondance passe en mode H24. La
Poste s’en plaindra, mais la critique d’exposition s’y plaît.
Le lundi 21 octobre 2013 à 18h32,
Buard Mathieu écrit :
Hello, Bon, j’ai tardé à lancer le ping et
le pong ; c’est chose faite. Hier, en
sortant de l’expo, on se disait qu’Alaïa
conçoit des objets dont les corps nous
sont étrangers. Et que finalement
Olivier Saillard se fait l’écho de ça
en oubliant toute figure, toute image
du corps, et donne à voir de hautes
silhouettes fantomatiques. Ou les
spectres d’un grand mausolée, dont
le palais Galliera serait la copie
conforme. Le mardi 22 octobre 2013 à 11h07,
Mallet Céline écrit :
Là, tu me rappelles deux
choses.
- Les corps fantasmés par Alaïa au
travers de ses vêtements ainsi mis en
valeur nous apparaissent comme fondamentalement étrangers (émanant
d’un désir, aussi singulier soit-il, cette
obscurité-là).
52
- Et de manière complémentaire,
l’expo mettait dramatiquement en
scène des fantômes (oh fantasma), soit
le fait que « ça manquait de corps » (et
c’est pourquoi il y a désir).
D’où les questions : l’exposition de mode est-elle fatalement
liée à cette vieille plainte qu’un corps
manque ? Ou l’exposition de mode
est-elle nécessairement un manqué du
corps ?
Le mercredi 23 octobre 2013
à 14h15, Buard Mathieu écrit :
Le corps manqué, oui par
nature et insatisfaction, qui ne peut
être que rejoué et rejoué encore, motif
d’une obsession créative, et je suis
d’accord avec toi sur l’idée du désir !
Le vernissage était explicite d’une
tentative de fixation esthétique : pas
de bruit, pas de musique, pas d’image
d’une quelconque figure, pas de vidéo :
le temps suspendu… D’où quand
même le sentiment qu’il manque
quelque chose sauf à considérer
l’éternité comme la perspective unique
d’une rétrospective de mode.
N’y a-t-il pas d’autres formes
curatoriales pour la mode ? Là où je suis modérément
enthousiaste devant cette exposition, c’est qu’elle ne témoigne pas
de l’époque, ni d’un présent qualifié.
Ce qui est certain c’est que chacun,
Alaïa et Saillard, suit son obsession :
le premier du corps sirène et de son
chant, Alaïa fait à proprement chanter
l’étoffe dans une gamme où le biais est
l’harmonique, où les matières sont des
53
Là où je suis modérément enthousiaste de
cette exposition c’est qu’elle ne témoigne
pas de l’époque, ni d’un présent qualifié
[…]
blocs paradoxalement liquides qu’il
cisèle, résonnant tout contre le corps.
Le féminin si reine d’une ère si je puis
dire… Le second recherche la postérité du vêtement hors de l’époque :
Buffon de l’origine des choses, dans
une classification respectueuse et
jamais ostentatoire. Mais quand même, la mode :
l’époque, la morale, la passion, non ? Et comment par exemple raconter
que la puissance de Mugler et d’Alaïa
tient de ce qu’ils détrônèrent les icônes
d’YSL ?
Le mercredi 23 octobre 2013
à 15h27, Buard Mathieu écrit :
Là où l’échelle, le corps, la
couleur et la qualité sont restitués pleinement c’est quand, au musée d’Art
moderne, ils nous rétribuent ou nous
concèdent un espace, articulé avec des
volumes, des œuvres (les tableaux de
54
Buren, les fresques de Matisse), toutes
les œuvres (Alaïa exposé enfin !) dans
l’expérience sensible que le spectateur peut traverser. Par rebond, au
palais, nous sommes tous figés, tous
repris sans détour au jeu (je) de la
contemplation délicieuse et diabolique
des détails… J’aime ces détails, cette
prouesse magnifique d’Alaïa, mais je
trouve que cette présentation rabat
encore la mode à sa pose.
D’où ma question après ce
long monologue : doit-on se cantonner
(comme le riz) à s’agréger à l’apparence des choses, en surface, sans
jamais jouir d’un peu de perspective
sur le monde ? Le mercredi 23 octobre 2013
à 17h11, Mallet Céline écrit :
S’agréger à l’apparence des
choses, en rester à la surface, c’était
pourtant suffisant pour Warhol. Mais
l’œuvre d’art fait monde comme
perspective ; le vêtement seul, apparemment moins ! Ce qui le piégerait
ici c’est que, dans sa solitude, il
nous apparaîtrait d’abord comme
une relique. Ce qui nous fascinerait
d’abord face à un vêtement seul, c’est
le caractère d’empreinte, d’un corps
qui aurait été là. C’est le lieu absolu du
corps qui n’est plus qui continuerait de
nous entêter dans ce face-à-face. Alors le
vêtement seul nous dit et le manque, et
le cadavre, mais pas un monde. Et cette
fatalité emporte tout sur son passage.
Le vêtement c’est bien l’enveloppe seconde, celle qui amène toujours
le corps ailleurs, qui le véhicule dans
le monde et ses perspectives : l’époque,
la morale, la passion, comme tu dis.
C’est ce qui se passe au musée d’Art
moderne, où le piège de la fixation
mélancolique est soudainement congédié. Il faut les grands corps dansants de
Matisse pour qu’une robe d’Alaïa se
mette enfin à danser dans l’espace ; je
suis parfaitement d’accord ! Saillard. Et peut-être est-ce là le défaut,
trop de factuel et pas assez de synthèse,
d’image et de perspective.
Mais au fait, Saillard auraitil inventé l’exposition dialectique ?
Nous joue-t-il dans l’espace le coup
de Foucault : corps ici, corps là-bas,
corps topique, corps utopique : du
palais Galliera-tombeau au musée
d’Art moderne nouveau ? Ou encore :
Olivier Saillard n’expose-t-il pas seulement du vêtement ? Le mercredi 23 octobre 2013
à 18h56, Buard Mathieu écrit :
Finalement, la mode appelle
un complément d’objet par l’image,
la vidéo, complément documentaire
qui restitue une qualité de présent.
Comme l’objet de design, ou une
œuvre non monumentale, le vêtement
seul ne tient pas. Avec le défilé ou la
vidéo, c’est l’ensemble d’une vision
de designer, d’un grand couturier qui
y est soudain livré. La mode alors se
regarde. Au PG (pas le parti de gauche,
non), en défalquant ces indices, ces
qualités, le montage et le style n’apparaissent que dans une ellipse, celle de
l’obsession. Le travail du commissaire
doit s’étendre non pas à l’épuisement
du fait historique, mais à un récit, soit
de ce qui fait style pour un récit. Le mercredi 23 octobre 2013
à 17h52, Buard Mathieu écrit :
Il expose du vêtement comme
prouesse et objet, mais s’intéresse
moins à la mode dans ses mécanismes
et qualités. Il expose l’histoire du
vêtement, et du vêtement seul ; Alaïa
de fait est un champion de la forme
réalisée, forme qui dans son exigence
de définition se prête au désir de
Le mercredi 23 octobre 2013
à 20h10, Mallet Céline écrit :
Donc il aurait presque fallu
inverser les deux propositions en
termes d’importance et de quantité ? À Galliera, on a une collection
obsessionnelle et répétitive de mirifiques papillons que l’on a pris soin
de préserver du moindre éclat de
lumière ; au musée d’Art moderne, le
temps, si problématique et essentiel à
l’objet mode, fait enfin corps et récit.
Le vêtement seul ne tient pas !
mathieu buard
et
céline mallet
Images :
p. 57 : Vue de l’exposition Alaïa au palais
Galliera, ©DR
p. 58 : Vue de l’exposition Alaïa au Musée
d’art moderne, ©DR
p. 59 : Vue de l’exposition Alaïa au palais
Galliera, ©DR
55
john m armleder
Interview art
« Ce qui m’importait était
l’invention que je partageais avec
mon galeriste : il était autant
un artiste que les artistes qu’il
représentait »
Que se disent un artiste et son galeriste : à quoi sert une g a l e r i e ?
à produire des œuvres ? à les vendre ? à nourrir un échange
intellectuel ? À ces questions John M Armleder a des réponses
et une pratique singulières.
Timothée Chaillou :
John, tu es considéré
comme un artiste sans véritable attache à une galerie en
particulier, tout en travaillant
avec de nombreuses, souvent
secondaires par rapport à ton
parcours. Une liberté similaire
à celle d’Olivier Mosset.
John M Armleder :
Disons que c’est un peu
moins vrai maintenant, car je travaille
essentiellement avec Andrea Caratsch,
Mehdi Chouakri et Massimo de Carlo,
qui sont mes galeries principales. Si
j’ai eu l’attitude que tu décris, elle
était basée sur un réseau de relations
amicales et affectives. J’ai ainsi collaboré avec des galeries qui n’étaient
pas recommandables au niveau de
l’honnêteté de leurs rapports commerciaux. Il y en a qui ne m’ont jamais
payé et avec qui j’ai pourtant continué
de travailler pendant des années – ce
qui n’est plus le cas aujourd’hui. Ce
qui m’importait était l’invention que je
partageais avec mon galeriste : il était
autant un artiste que les artistes qu’il
représentait.
À mes débuts, je n’ai pas tout de suite
travaillé avec des galeries, car nous
avions créé une coopérative nommée
56
Ecart avec des amis rencontrés au
collège dans une équipe d’aviron.
Nous y exposions d’autres artistes ou
nous créions des œuvres dont l’auteur
était collectif. Ecart fut fondé en
1969 lors d’un festival de happenings.
Nous avons ensuite ouvert, en 1972
à Genève, une galerie, une librairie
et une imprimerie commerciale, qui
nous permettait à la fois d’imprimer
des menus de restaurants et des livres
d’artistes. Indirectement, Ecart existe
toujours, car j’ai chaque année un
stand à ArtBasel qui est une survivance de cette époque-là, mais je
suis maintenant seul à m’en occuper.
À l’époque d’Ecart, on me demandait
souvent si j’avais un travail personnel.
Tu préférais être un collectif ?
Oui, ou exposer anonymement.
À quel moment ta signature
apparaît-elle ?
Elle commence à être repérée vers la fin de l’histoire de la galerie. Dans les années 1970, j’ai tout
de même exposé dans des galeries en
Europe souvent liées à Fluxus.
Tu as commencé à y présenter
un travail pictural lié à l’abstraction géométrique concrète.
Oui. Je présentais aussi
d’autres travaux qui étaient régis par
des systèmes de hasard, qui apparurent à la suite de ma rencontre avec
John Cage.
Quel changement as-tu vu s’opérer, dans le milieu de l’art, entre
les années 70 et 80 ?
À partir des années 80, cela
devient comme le système de la mode :
un nouveau mouvement apparaît pour
chaque nouvelle saison. Il y a aussi eu
une explosion des lieux d’exposition
et du nombre d’acteurs au sein du
milieu de l’art. Quand j’étais jeune,
il y avait trois biennales importantes,
dix musées qui montraient de l’art
contemporain et une quinzaine de
galeries dans le monde. Les relations
de travail étaient donc tout aussi différentes et il y avait beaucoup plus de
contrats à l’époque. Même s’il y avait
plus de contrats, c’était une simple
forme de survie pour ces artistes qui
n’avaient que très peu de moyens pour
vivre. On ne se rend pas compte de
la situation d’un Jasper Johns ou d’un
Robert Rauschenberg au tout début
de leur carrière, c’est presque inimaginable par rapport à des artistes de
cet âge-là aujourd’hui. La proportion
des artistes qui vivent de leur travail
objective puisque je m’intéresse à son
disparaissent naturellement – sans
attitude, car elle me touche beaucoup
que cela n’ait jamais été un problème
– sans que je ne me sente proche de
pour moi –, mais il y a aussi eu un
celle-ci. Lui, il a le désir « d’occuper le
événement fort dans ma vie : je suis
terrain », il aime bien l’éventail entre
tombé gravement malade, me mettant
des lieux prestigieux et d’autres qui ne
hors circuit pendant une année. Ma
disponibilité n’était plus la même et j’ai le sont pas.
dû travaillé avec des assistants, ce que
Reste qu’il n’y a pas d’art qui ne
je ne faisais pas avant, en me donnant
soit pas exposé.
accès à une autre méthode de travail
Absolument, c’est pour cela
– vis-à-vis de mes galeries et de mon
que je pense que l’artiste n’est qu’un
propre travail.
intermédiaire secondaire dans cette
En revanche, la diffusion de leur
« affaire » – pour parler comme Olivier.
Que penses-tu de la façon dont
travail est beaucoup plus imméJe n’aime pas la force de la biographie,
travaille Olivier Mosset ?
diate et publique.
mais ce qui m’est arrivé ces derniers
J’aime qu’il soit partant pour
L’effet d’une minorité est
temps
est tellement fort que cela relatitout. Mais il y a deux choses diffébeaucoup plus lisible qu’auparavant,
vise forcément tous les autres discours.
rentes : l’individu qui produit l’œuvre
la réussite de certains et l’engagement
spéculatif d’autres est mis sur le devant et l’œuvre elle-même. Une fois que
Et d’ailleurs, de nouveaux
l’on connaît l’artiste, il devient pourde la scène de manière beaucoup plus
discours naissent concernant
tant difficile de l’exclure de la lecture
claire et concernent beaucoup plus de
la lecture, par exemple, de tes
de son œuvre, mais les anecdotes qui
monde. Ce qui change est le fait que
peintures ou œuvres murales
entourent la création d’une œuvre
les artistes souhaitent à tout prix se
au motif de têtes de mort.
restent des anecdotes. L’artiste est
lier contractuellement à ces instances
Absolument, et en plus de
l’une de ces anecdotes : c’est un dégât
de survie que sont les galeries. Mon
cela, l’ironie du sort a voulu que
collatéral dans la création. Ce qui
rapport avec les galeries vient de cette
pendant les dix années avant mon
est intéressant est la manière dont
mouvance alternative liée à Ecart. Tu
l’œuvre est véhiculée, comment elle est opération du cerveau j’aie produit de
évoquais le fait que j’aie travaillé avec
nombreux motifs et moules de cerveau.
beaucoup de galeries, et je te disais que prise en charge par une société à une
On se rend ainsi compte qu’il y a une
période donnée, pour lui donner du
c’était souvent par l’intermédiaire de
confusion entre la narration bio­
sens. Olivier Mosset est mon meilleur
relations amicales jusqu’à ce qu’à un
graphique et le produit qui est exposé :
ami dans le milieu de l’art, j’ai donc
moment donné cela devienne difficile
on y voit toujours l’expression d’un
une lecture de son travail qui n’est pas
parce que les relations de confiance
est probablement encore plus petite
aujourd’hui qu’auparavant, car il y a
beaucoup plus d’artistes formés à un
système avec des attentes par rapport à
ce système. Les écoles du monde entier
« produisent » chaque année un certain
nombre d’artistes qui arrivent sur un
marché de l’emploi qui est proportionnellement beaucoup plus dur par
rapport à ce qu’il était : s’il y a plus de
monde, il y a encore plus d’échecs.
57
individu alors que cet aspect-là a
peu d’intérêt. Il y a toujours eu des
axes qui m’ont permis de sortir de ce
genre de préoccupation : le hasard, les
systèmes qui brisent les choix affectifs
et l’absence d’expressivité. Finalement,
j’ai toujours été un formaliste et je suis
au moins autant formaliste qu’Olivier,
sinon plus.
Oui, mais tu te situes malgré
tout sur une ligne qui peut te placer à la fois chez les conceptuels
et chez les décoratifs. Ce qui est
aussi le cas de Damien Hirst et
Jeff Koons, qui eux, en revanche,
cristallisent un déchaînement
des passions du public à la fois
vis-à-vis de leur célébrité, du prix
de leurs œuvres et de leur vocabulaire visuel – qui pour l’un est
lié à la plénitude, au bonheur, et
pour l’autre à la morbidité, au
sordide.
Il y a deux modèles qui les
précèdent et qui ont géré cela avec
un certain brio : Salvador Dalí et
Andy Warhol.
Tous les deux ont fait de la
publicité…
… et des sous-produits à n’en
plus finir. Jeff ou Damien s’investissent
58
« Les anecdotes qui
entourent la création
d’une œuvre restent des
anecdotes. L’artiste est
l’une de ces anecdotes,
c’est un dégât collatéral
dans la création »
d’une manière fondamentalement
différente de la mienne. Damien a ainsi
essayé de nier l’investissement et la prise
en charge de l’artiste par sa galerie.
En mettant directement en vente
ses œuvres lors d’une vente aux
enchères chez Sotheby’s en 2008.
Ce qui ne fut pas une
démonstration forcément très probante financièrement, mais en tout
cas conceptuellement c’était intéressant, car il niait la toute-puissance du
patronage d’une galerie par rapport à
son artiste. C’est un peu plus ambigu
que cela parce qu’il y a un va-et-vient
bien accepté…
… du passage d’un patronage
à un autre.
Voilà, mais cela a été un
échec par rapport à la progression
tranquille de sa cote.
Tu as dit : « On évolue dans l’histoire de l’art comme on évolue
ailleurs. L’art est à l’image du
reste, il n’y a pas de singularité.
Or, on vit dans un milieu qui croit
fermement à sa propre singularité,
alors qu’il n’y en a aucune. C’est
pour ça que le milieu où l’on vit
est intéressant, c’est un milieumiroir et l’activité de l’artiste a
cette fonction primordiale qui est
de lui renvoyer une image autour
de laquelle la société s’organise.
Même si c’est un miroir extrêmement privilégié, confortable, ce
n’est pas un miroir dur comme
pour d’autres milieux sociaux.
C’est aussi un miroir qui est totalement inconscient : il a ce privilège de ne pas s’en rendre compte,
il le fait avec une totale impunité. »
Je parlais de l’impunité de
l’artiste, car il peut faire ce qu’il veut et
de la manière qu’il veut. Si je dis que
mes peintures sont vertes alors qu’elles
sont bleues, on ne pourra pas dire que
je me trompe. C’est de ce confort-là
dont je parle, dont on jouit en tant
qu’artiste, car on a l’absolue liberté
de nos affirmations – ce qui n’est pas
le cas de la plupart des gens dans la
société. On a la responsabilité de cette
énorme liberté qui nous renvoie aux
positions politiques que
l’on a. Par exemple,
Jeff Koons pourra apparaître petit bourgeois
dans ses affirmations
politiques – ce qu’il
revendique d’ailleurs
puisqu’il dit aimer réussir pour en tirer
du plaisir. Mais encore une fois, cela
n’apporte que très peu de choses à la
lecture de son travail. C’est pour cela
d’ailleurs, sans doute, que je peux très
agréablement regarder les œuvres d’artistes qui ont des positions politiques
insupportables – comme les futuristes
italiens qui sont passés d’une vision
positive du monde à une vision fasciste.
Encore une fois, l’artiste a une grande
responsabilité, car il a des moyens et
une liberté que personne d’autre n’a : il
est incroyablement privilégié.
Jeff Koons agace les gens – bien
qu’il ait d’une certaine façon
raison – lorsqu’il dit : “If you are
critical, you are already out of the
game.” Il affirme ainsi que son
travail n’est pas critique, alors
qu’il l’est pourtant fondamentalement. Ce qui évoque certaines
positions de Warhol – que tu as
d’ailleurs fréquenté. Quel fut son
enseignement ?
Disons que j’ai plus appris
de John Cage que de Warhol. J’ai
rencontré Warhol dans les années 80.
Il avait un détachement apparent très
grand, et cette capacité à mettre tout
au même niveau, en égalisant la valeur
des événements. Si tu parlais avec lui
autour d’une table, ce que tu choisissais de placer sur cette table avait
autant d’importance que ton message
politique. C’est une attitude très zen.
J’aimais le fait qu’il fasse des films, des
expositions, tout en faisant la promotion d’une marque. Cette fluidité m’a
beaucoup impressionné, car je n’ai pas
connu tellement d’artistes qui avaient
cette capacité à faire œuvre tout le
temps – même si on peut faire un rapprochement avec Dalí, qui avait cette
capacité à embrasser le monde sans
réelle hiérarchie. J’ai aussi une grande
sympathie pour Georges Mathieu,
alors qu’il a des pensées politiques
complètement contraires aux miennes,
mais sa manière de s’investir autant
dans une peinture que dans un
sous-produit est quelque chose qui me
fascine complètement.
Marcel Duchamp était art advisor pour les époux Arensberg et
Richard Prince faisait acheter
à ses collectionneurs les œuvres
de ses amis : Christopher Wool,
Rodney Graham, Rosemarie
Trockel, David Hammons ou
Ellen Gallagher. Es-tu parfois
consulté ?
On pourrait dire que mes
activités de galeriste et d’éditeur
relèvent de cela.
Propos recueillis par
timothée chaillou
Image :
p. 63 : Portrait de John M Armleder
par Juliette Villard.
59
korean diary
Chronique style
Trois mois. Une période pour s’immerger dans une culture
profondément différente et qui opère la f a s c i n a t i o n du
moment en Occident. Journal en forme d’observations.
Korean cigales : 5 cm de long, 3 cm de
large, un bruit de fer à souder.
J’habite un bungalow sur la
colline dans un jardin de pins parasol,
il y pousse des myrtilles et les papillons
paresseux volettent deux par deux
dans la brise.
Sur le trottoir d’en face, en
5 min d’une conduite féroce qui
vous jette sur vos voisins dans des
heurts où aucun mot d’excuse ne sera
prononcé, le bus 7012 vous dépose
à Hongdae, le quartier jeune super
crowdé super excité.
À Hongdae, nul n’a plus de
25 ans.
À Hongdae, en ces jours
précédant le Temps de la Pluie, les
filles sont des clônes parfaits. Même
minishort, mêmes bottes Hunter,
même visage recopié par le chirurgien
de maman sur celui de la dernière
k-pop star.
Les shorts sont très mini et les
jambes longues et fines. À la piscine,
les torses masculins donnent l’impression de nager avec un boys-band. « À
Séoul, la beauté est partout, la séduction nulle
part », constate avec regret un vieil
Américain flirteur.
60
J’arrive à Séoul en milieu de
journée, pas dormi depuis 24 heures.
Munie d’un plan de quartier et me
traînant dans le voisinage pour ne
pas tomber de sommeil trop tôt, je
suis ce zombie occidental que chacun veut aider.
Perdue réorientée reperdue
réorientée, je rencontre une Coréenne
encore plus disponible que les autres :
dix minutes de conversation dans un
anglais parfait – elle m’invite à dîner
dans le quartier, simplement pour me
souhaiter la bienvenue.
Ivres, les Séoulites en fin de
semaine tanguent et tombent dans les
rues, lamentablement seuls et sans que
nul ne s’en inquiète.
Je me rends à la réception de
l’ambassadeur pour le 14-Juillet. La
réception de l’ambassadeur n’a rien
de Ferrero.
La Corée du Sud détient le
taux de suicide le plus élevé des pays
de l’OCDE.
À la réception de l’ambassadeur, je rencontre Benjamin J,
l’homme dont tout le monde (me)
parle à Séoul. Quatre heures de
conversation et un thé plus tard, nous
avons un projet de livre ensemble.
Durs lendemains de cuite au
makolli, l’alcool de riz traditionnel,
blanc comme du lait, piquant comme
du mousseux, et servi en soupières.
À la piscine locale, on
m’observe. Pourquoi je ne porte
pas de lunettes pour nager, veulent
savoir les ajumas, matrones
coréennes à la pushiness légendaire.
Poussée d’office dans le hammam,
on me passe à la question. Qui je
suis. Ce que je fais ici. Mon maillot
de bain. Mes cheveux.
Tranquille, dans le vestiaire
collectif de la piscine, une jeune fille
un pied sur le lavabo se sèche la chatte
au sèche-cheveux.
Combien de temps encore la
Corée saura t-elle résister aux normes
minimalistes de l’épilation maillot
occidentale ?
Visitant la DMZ (cette zone
« démilitarisée » hyper touchy entre la
Corée du Sud et la Corée du Nord), je
me vois informée du code vestimentaire à respecter : pas de chaussures
qui montrent les orteils, pas de jupe
au-dessous du genou, pas de col rond,
sauf si cardigan (?), pas de showershoes (va mourir Mark Zuckerberg),
pas de tenue de biker – non mais,
Occidentaux dégénérés !
61
« À Seoul, la beauté est partout, la séduction nulle part »,
constate avec regret un vieil Américain flirteur.
6 000 wons, environ 4 euros.
Le prix d’un café (les Coréens en sont
fous). Le prix d’un (très bon) repas.
En route vers le restaurant où
il vous invite, un Coréen d’âge moyen
lâchera tout naturellement des rôts
bien sonores.
Traverser à la parisienne un
boulevard encombré vous exposera
à la fureur absolue de l’agent de la
circulation, qui saura vous ramener
à la discipline par une phénoménale
engueulade en coréen. Et non, vos
excuses ne suffiront pas, il faudra
encore les répéter, avec l’humilité suffisante, cornaquée par une
ajuma vigilante.
Rituel de la séduction en
Corée du Sud, ce serrage de main
digne de la franc-maçonnerie, dont
mon amie Jess, hilare et rougissante,
me donne un échantillon. L’imitation
du « regard de braise » à la française
que je lui procure en échange lui
semble absolument terrifiante.
Dans la nuit chaude et moite,
aux terrasses des superettes ouvertes
24/24, je relis Ballard.
62
Écrire et travailler au café
Comma. Cinq mètres de hauteur
sous plafond couverts de livres neufs à
consulter. Selon la nature du chapitre :
écrire face au mur (non). Écrire en
mezzanine. Écrire face à la baie
vitrée. Écrire en fumant sur la terrasse extérieure.
Travaillant un après-midi
au café Comma, je fais connaissance
de mon voisin de table, au français
parfait. Il se révèle être le directeur
de la rédaction du Monde diplomatique
en Corée.
En Corée, on ne plaisante pas
avec la différence d’âge. Pour peu que
votre interlocuteur ait cinq ans de plus
que vous, vous lui devrez le respect le
plus marqué. Est-ce pour cette raison
que how old are you? est la question avec
laquelle tant de Coréens ouvriront la
conversation ?
Mais à quel âge est-on vieux
en Corée exactement ? « Ça arrive entre
35 et 40 ans, m’explique un collègue
du Centre au désespoir palpable. Ainsi,
moi j’ai 39 ans, et depuis deux ou trois ans, je
vois moins bien et ma mémoire a des trous. »
Impuissante au milieu de la
chaussée dans un taxi qui laborieusement GPSse l’adresse du Centre,
une voiture en klaxonnant double et
stoppe dans un crissement nerveux, le
conducteur en jaillit pour se précipiter vers nous. Parisienne, je courbe
l’échine anticipant ma dose de stress
– le jeune homme avec un grand sourire
se penche à la vitre : “May I help you?”
Nice, France, destination
touristique privilégiée des Coréens.
« Si je fais une école de stylisme
c’est que je n’ai pas assez travaillé au lycée, se
désole le serveur entre deux plats. Moi
j’aurais voulu être docteur. Mon père est docteur : il gagne beaucoup d’argent, il a plusieurs
voitures… C’est ce genre de vie que je veux. »
L’économie coréenne est
tenue par les Chaebols, mega-corporations familiales dont la plus importante est la dynastie Samsung ; face à
l’histoire de leur domination, Dallas
est un conte pour enfants.
« Les Françaises sont les plus
minces en Europe, avec les Italiennes.
Pourtant, la France est, après la Corée du Sud,
le pays où la volonté de perdre du poids est
la plus fréquente chez les femmes. » (Étude
Populations et société», INED.)
La taille 38 en France correspond à XXL en Corée.
Mon séjour prolongé d’une
semaine, je loge dans la Résidence de
France désertée pour l’été.
Je n’avais plus l’habitude de
me voir demander à quelle heure je
rentrerais ce soir – et par un monsieur
en uniforme.
À la conférence « Devenir
immortel : pourquoi, comment,
quand ? » que je tiens à l’Institut français, le public majoritairement féminin
contredit ma cible habituelle du posthuman fan-club, résolument masculine.
« En Corée, les hommes n’ont pas
le temps d’assister aux conférences, m’explique une participante : ils travaillent,
ils travaillent tout le temps. »
et Dildo à importer sur les plages
françaises.
Ma fille de 15 ans sur la
banquette arrière se réveille un instant
pour m’assurer qu’à ma retraite elle
prendra sans férir la relève, au volant
de l’affaire Chichi et Dildo.
dominique babin
Dominique Babin est l’auteure de PH1manuel d’usage et d’Entretien du post-humain
(Flammarion), traduit en Corée en 2008
(Kungree Press). Elle a bénéficié d’une
résidence d’écriture de trois mois à Séoul en
juin 2013 pour l’écriture de son prochain
livre. Les fragments de ce journal ont, pour
certains, déjà été publiés sous forme de
statuts Facebook.
Image :
Rues de Séoul, ©DR
Sur le bord de la départementale qui nous ramène de la maison
de campagne de Benjamin, une tente
Snack et Dildo. Morts de rire, nous
épiloguons sur un camion Chichi
63
art
advisor
Off record
Quand on visite une foire on y
rencontre maintenant pléthore
d’advisors. Ils sont tous très
beaux ou très belles ; ils doivent
avoir l’air un peu chic et sexy, et
font parfois penser à des poules
ou des poulets de luxe.
[…]
L’art contemporain est devenu plus visible. Comme la mode,
il a organisé son calendrier et l’a fait savoir. Pourtant, quelques
métiers, comme l’art advisor, demeurent encore dans l ’ o m b r e
et nous en apprennent beaucoup plus sur l’art contemporain
que ce côté cirque retenu par les médias généralistes. Entretien à
visage couvert.
En quoi consiste le travail d’art
advisor ?
C’est assez simple : conseiller
des collectionneurs pour acheter des
œuvres d’art. Ensuite, tous les cas de
figure sont possibles : rechercher un
tableau particulier ou accompagner
quelqu’un qui s’intéresse soudainement à l’art contemporain et qui
n’y connaît pas grand-chose. Le
grand mouvement, actuellement, ce
sont des collectionneurs historiques
qui vendent leur collection moderne
par exemple pour acheter du
contemporain.
Quelles sont leurs motivations ?
Ils sont lassés de voir certaines
œuvres ?
Le contemporain, c’est à la
mode, c’est dans l’actualité et la tendance… Il y a cette idée qu’on entend
souvent – et qui n’en est pas moins
vraie – que l’art contemporain, avec
ses foires, ses biennales et autres vernissages, propose une socialité faite de
dîners et de rencontres… Maintenant,
je pense que les gens changent et leur
goût également ; ce qu’ils ont acheté
il y a quarante ans ne leur correspond
plus forcément. Une collection doit
évoluer ; si elle ne bouge pas, elle est
64
comme morte. Il y a encore trente
ans, l’art contemporain concernait
200 personnes dans le monde ; c’est
maintenant devenu une scène mondialisée. Dans le lot, on compte des
gens qui s’ennuient et à qui ça offre une
socialité, de nouveaux amis… Mais ce
n’est pas le cas des vrais collectionneurs,
qui sont en général assez solitaires.
Quelles sont les raisons qui
poussent un collectionneur ou
une société à solliciter un consultant ? la plus-value qu’il peut réaliser ? une collaboration à long
terme ? façonner la personnalité
d’une collection ?
Il y a évidemment tous ces
cas de figure. Mais aujourd’hui, constituer une collection, c’est quasiment un
job à temps complet ! Il faut être au
courant de tout, voyager sans cesse…
Et en général, ces grands collectionneurs ont des jobs assez prenants qui
ne leur laissent que peu de temps. Ils
ne peuvent pas aller à toutes les foires,
toujours plus nombreuses, visiter les
biennales ou les studios d’artistes.
L’advisor fait un peu ce travail et
« prémâche » ce flot d’informations.
Et il a plus de liberté que le galeriste
parce qu’il ne représente pas un team
constitué d’artistes. C’est d’ailleurs
devenu le symptôme des années qu’on
est en train de vivre : quand on visite
une foire, on y rencontre maintenant pléthore d’advisors qui ne se
connaissent pas nécessairement entre
eux. Ils sont tous très beaux ou très
belles ; ils doivent avoir l’air un peu
chic et sexy, il y a clairement une part
de représentation et de séduction dans
ce job qui fait parfois penser à des
poules ou des poulets de luxe.
Il arrive souvent qu’il y ait plus
de demande que d’offre pour une
œuvre ?
Plus souvent qu’on ne le
pense… du moins pour un certain
type d’artiste. Parce que, bien sûr, tout
le monde veut acheter le même artiste
au même moment – au point qu’on se
demande parfois pourquoi certains ont
des consultants… Obtenir des œuvres,
ce n’est pas tant une question d’argent
que de public relations. Concrètement,
ça demande de faire pas mal de lèche,
car il faut arriver à obtenir l’œuvre, à
la trouver… C’est un peu ça, le travail
de l’advisor. […] On ne le sait pas forcément, mais deux semaines avant les
foires, les collectionneurs et les advisors
reçoivent la liste de toutes les œuvres
qui y seront proposées afin de pouvoir
réserver telle ou telle pièce. On ne va
sur la foire que pour vérifier l’œuvre…
De même, il arrive qu’une exposition
soit inaugurée par une galerie et que
plus rien n’y soit à vendre.
L’art advisor conseille des collectionneurs, mais il pourrait tout
autant conseiller des artistes,
puisqu’il connaît les raisonnements en bout de chaîne…
Les galeristes font un peu ce
travail en demandant à leurs artistes
de produire des pièces pour les stands
de foire.
Les sommes en jeu ont créé de la
rareté…
Avant, l’art contemporain
ne valait rien et on pouvait toujours
essayer de le revendre, ça ne valait
pas plus ! Maintenant, c’est devenu
un levier de mannes financières. Le
type qui a laissé son argent dans une
banque va gagner bien moins que
s’il avait acheté un Jeff Koons au
bon moment et s’il l’avait revendu au
bon moment – d’où l’importance des
conseillers. Il faut bien voir que les prix
ont explosé en l’espace de vingt, trente
ans. Une œuvre d’Oscar Tuazon, il y a
disons quatre ans, c’est 5 000 dollars,
et c’est aujourd’hui dans les 100 000.
Quand une œuvre faisait un million,
c’était un événement ; récemment,
un Giacometti a fait 100 millions de
dollars ! Avec 100 millions, on peut
acheter une entreprise, avec une masse
salariale, des gens qui produisent… Là,
on a une sculpture, même pas unique
puisque c’est une édition. Ce prix a
même été dépassé puisque le Qatar
a acheté une peinture de Cézanne
pour une somme encore plus élevée
(250 millions de dollars). Il y a bien
sûr là-dessus des opérateurs privés
qui prennent des commissions qui
deviennent énormes, pour un travail
qui n’est pas non plus harassant… il
faut un réseau, passer des coups de
fil, mais ça ne demande pas d’aller au
turbin à 6 heures du matin…
Le rôle des acteurs traditionnels
a aussi bougé…
Les maisons de ventes ont
damé le pion aux galeristes parce que
les œuvres ont atteint de tels prix que
des collectionneurs se sont délestés de
certaines pièces ; elles ont mis en place
des cellules de consulting et organisé
des ventes privées, qui ne passent pas
aux enchères. Ce secteur représente
aujourd’hui un pourcentage énorme
de leur chiffre d’affaires.
Toute une partie du marché de
l’art contemporain reste donc
invisible…
Le marché a clairement pris
le pas sur l’intérêt de certaines œuvres.
Je pense à un tableau de Sterling Ruby,
qui a dû changer de mains dix fois
en l’espace de six mois, en passant de
continent en continent, peut-être sans
même bouger, en restant en port franc
à Genève. Et bien sûr la commission
de l’intermédiaire est de 10 % à 15 %
à chaque fois.
Que faisaient les advisors avant
de l’être ?
Ce sont souvent des gens qui
ont travaillé dans des galeries. Les
grands consultants viennent, eux,
des maisons de ventes aux enchères,
ils connaissent bien ce milieu et ses
réseaux, ou des institutions, ce qui
constitue la nouvelle mode puisqu’ils
bénéficient d’une caution intellectuelle
que n’ont pas ceux qui font uniquement du trading. L’ancien directeur du
Moca à Los Angeles, Paul Schimmel,
vient d’ouvrir une galerie en partenariat avec Hauser & Wirth. De
65
C’est triste, mais je crois
que le rôle du critique
d’art aujourd’hui est
le même que celui de
critique de mode, c’est-àdire cosmétique […]
Récemment, un Giacometti a fait 100
millions ! Avec 100 millions, on peut acheter
une entreprise, avec une masse salariale, des
gens qui produisent […]
nombreux institutionnels passent dans
le privé ; ce qui était impensable il y a
encore peu à cause du conflit d’intérêt.
Maintenant, ce n’est plus un problème,
bien au contraire.
Comment expliquer ce changement de mœurs ?
Par le passé, le milieu institutionnel de l’art était constitué de gens
de bonne famille qui n’avaient pas
besoin de travailler pour gagner leur
vie. Aujourd’hui, la donne a changé
et comme on est toujours très mal
payé dans les institutions, en tout cas
en France et souvent en Europe, ça
donne des envies d’ailleurs…
Comment l’art advisor est-il
rétribué ?
À travers un pourcentage sur
la vente, 10 % en général, avec des
barèmes si l’œuvre atteint des montants très élevés. On n’est pas censé le
dire, mais dans toutes les galeries, le
prix communiqué n’est jamais le vrai,
on bénéficie toujours d’un discount
qui sert à rémunérer l’intermédiaire ;
une marge de 10 % à 15 % qui est
déduite automatiquement, sans qu’on
ait à la négocier.
66
L’advisor visite donc foires,
biennales et autres joyeusetés…
Son rapport aux acteurs en est-il
altéré ?
Je ne sais pas s’ils sont
vraiment courtisés par les galeries.
La réalité est que les grands advisors
organisent leur vie autour de leur travail – même leurs vacances cultivent
leur réseau et ouvrent à un possible
business. Ceux qui sont vraiment
courtisés sont les collectionneurs. Si
un advisor est carré et défend un type
d’artiste, les gens savent bien qu’ils ne
peuvent pas l’influencer et lui vendre
n’importe quoi…
Il doit aussi repérer les artistes
en devenir, ce qui comporte une
part d’incertitude. Les collectionneurs prennent-ils des risques ?
Si ce n’est pas trop cher, oui.
C’est ce qui fait l’intérêt du milieu de
l’art, il y a toujours des nouveautés :
nouveaux acteurs qui arrivent sur le
marché, nouveaux artistes qui font
sensation, effet de mode… C’est un
peu comme dans la mode justement,
il y a toujours une nouvelle collection, avec des vêtements qu’on veut
absolument. Là, ce n’est pas le dernier
sac Céline, mais la dernière œuvre
d’Alex Israel. Maintenant, constituer
une collection c’est autre chose, ce
n’est pas simplement empiler des
œuvres désirables ou désirées, ça c’est
un peu stérile. Il y a quand même une
histoire de l’art à prendre en compte,
si l’œuvre n’apporte rien… Alors
qu’il y a beaucoup de choses qui ont
été produites dans les années 80 ou 90
qui ne coûtent pas très cher et qui sont
formidables. […] De jeunes artistes
valent aujourd’hui très cher pour de
très mauvaises raisons – comme ce
fut le cas pour Oscar Murillo, qui
ressemble à Basquiat, à qui on l’a
un peu rapidement comparé ; ça
valait 5 000 au départ et maintenant
400 000 dollars, tout ça en l’espace
de six mois. Disons que l’acheteur du
tableau à 400 000 va avoir de la peine
à le revendre à ce prix-là. À ce prix-là,
on n’achète pas la qualité de l’œuvre
(cette somme permet d’avoir accès à
d’autres pièces), mais on suit un effet
de mode dans un but spéculatif. C’est
même très organisé entre certains
collectionneurs/galeristes/advisors pour
faire monter les enchères de façon
artificielle.
Quand une collection est-elle…
terminée ?
Ce peut être jamais, ou alors
à une date établie d’avance. Une
advisor célèbre m’invite un jour à visiter
une collection « quand elle sera terminée » ;
en fait, un riche collectionneur avait
acquis une maison et le job de l’advisor
était de penser en même temps que
l’architecte quelles œuvres d’art
iraient dans quelle pièce. À un certain
moment, toutes les pièces ont leur
œuvre et basta. Sinon, une collection
est comme un puzzle, une fois terminé,
on en commence un autre. À la différence qu’une collection « terminée »
est revendue, car l’ensemble devient
total et a acquis une certaine valeur.
De l’extérieur, quel est le rôle des
journalistes dans la chaîne de
l’art ?
La critique a beaucoup perdu
de son pouvoir et de sa vitalité parce
que le marché est devenu très puissant,
y compris dans l’institution. D’ailleurs,
même si elles sont prioritaires, les
institutions sont quasiment off
maintenant, par manque de moyens.
Surtout, ce qui a été biaisé et qu’on
voit notamment chez les Américains,
c’est que les musées sont financés par
des trustees, qui sont des collectionneurs, comme Elie Broad, au Moca.
Clairement, s’ils achètent disons dix
Murakami, ils auront tout intérêt à ce
qu’une exposition de l’artiste soit programmée, puisque ça valorisera leurs
œuvres. Idem en France, où l’acheteur
le plus important, Pinault, possède par
ailleurs une maison de ventes, et donc
revend les œuvres… Et personne ne
peut se priver d’être dans sa collection
– s’il décide de montrer une pièce au
Palazzo Grassi ou à la Douane, elle est
automatiquement valorisée…
On a l’impression que la chaîne
entre le collectionneur, l’artiste
et le galeriste marche très bien
sans l’apport analytique des
critiques…
C’est triste, mais je crois que
le rôle du critique d’art aujourd’hui
est le même que celui du critique de
mode, c’est-à-dire cosmétique. Les
seuls médias qui pourraient proposer
une critique n’ont pas d’argent pour
la faire exister, et sans une révolution
punk de la critique, je crois que ça
ne changera pas. […] Il y a bien des
voix critiques qui s’expriment, dans
les biennales par exemple, mais ce
qui a changé, c’est leur influence sur
le marché. Tobias Meyer, le boss de
Sotheby’s, a dit un jour que le marché
avait gagné et que la critique était
morte… Bon, il s’est ensuite excusé,
mais on peut effectivement se poser la
question de son rôle. On a vu ces derniers temps de telles aberrations qu’on
pouvait légitimement penser que la
critique était absente et qu’en tout cas,
elle ne comptait pas. Par exemple, en
France, Frog est un magazine qui fait ce
job. Bien, j’ai l’impression que ça n’a
pas changé grand-chose… Si demain
Frog dit par exemple que Jeff Koons
c’est de la merde (ce qu’ils ne pensent
d’ailleurs pas, j’imagine), so what ?!
Les blogs n’auraient pas pu être
cet espace où produire une critique constructive ?
Peut-être, il y a bien des
blogs très critiques, mais cela reste
très confidentiel, souvent ce sont des
étudiants ! Mais quand on regarde les
pages les plus vues du blog d’Artforum,
c’est de la mondanité. Il n’y a tout
simplement pas d’appétence pour la
critique d’art aujourd’hui, alors que
pour le social, le mondain… Les gens
ont trop envie d’en être, donc on ne
va pas gâcher la fête.
Propos recueillis par
angelo cirimele
67
tartan
pomme
Design
Au milieu des é b o u l i s industriels, là où le cochon et l’acier
trébuchent, avec l’équipementier automobile et le poulet
concentrationnaire, le luxe rayonne. Debout sur les débris,
il émerge, plus beau encore. Apple, Versailles et Ralph Lauren :
variété d’échelles, perspectives croisées.
Apple enfile Burberry, ou c’est l’inverse.
Ralph Lauren festoie aux BeauxArts de Paris. Les frères Bouroullec
suspendent un lustre à Versailles.
Nouvelle variable dorée, on pourrait
ajouter à nos intérêts, accessoirement
designiques, l’entrée de LVMH au
capital du groupe Madrigall (qui
inclut Flammarion et Gallimard).
Ou la petite maison, vieille aussi, de
Charlotte Perriand devant un hôtel
de Miami1 – pour une foire de design
qui peine à trouver des marques plus
sûres que l’antique moderne2. La
liste s’allongerait de résultats inédits, des chiffres d’affaires croissants
et profits astronomiques des plus
grands groupes du luxe. Hermès ne
s’est jamais mieux porté. Seul Kering
(ex‑PPR) souffre un peu : La Redoute,
Fnac, Puma – quelques déconvenues,
des frais superflus. Pour extraordinaire
qu’elle semble, la simultanéité de ces
triomphes et des avanies macro-éco
qui n’épargnent aucun pays européen – au niveau micro, celui des
homoncules damnés, des ouvriers qui
prient pour rester esclaves encore un
peu – ne doit certainement rien au
68
des illustrations dans nos existences
hasard. C’est une pièce de natation
synchronisée à l’échelle d’un continent, quotidiennes. Il est présent dans celle
de presque tous nos amis dès lors que
pour la mièvrerie d’ensemble et la
leur vie n’est pas tout à fait infecte
violence physique imposée à chacun.
– des dettes nombreuses et un crédit
Une exquise brutalité symbolique,
bancaire inique ne la qualifiant pas
l’équilibre esthétique des systèmes
assez pour être jugée pourrie. Là d’où
totalitaires.
nous parlons, d’habitude, le luxe est
si forcément obscène qu’il ne peut
Le luxe. Faire semblant d’en
pas même être questionné. C’est là
relever ou s’en insurger. Le maudire,
que ça devient navrant. Il y a autant
en rêver : se demander, à chaque fois,
de faiblesse et d’hypocrisie à l’écarter
si c’est la naïveté ou l’imbécillité qui
aujourd’hui d’un revers de cashmere
nous meut, l’envie, un intérêt irrésisque de le lustrer au chiffon doux après
tible fondé sur la hantise très ancienne
avoir craché dessus.
de la misère. Le luxe nous quittera
d’autant moins que nous deviendrons
Dans notre champ immédiat,
plus pauvres et idéologiquement plus
le scénario est chaque fois distinct. Ce
exsangues. Qu’avons-nous désormais
sont effectivement des coïncidences.
à lui opposer, maintenant que nous
À Versailles, les frères Bouroullec
n’avons plus de classe, que l’atrophie
sont associés au fabricant de cristal
du projet signe la maturité de la
autrichien Swarovski pour imaginer
réflexion, la lâcheté entendue sagesse ?
un nouveau lustre : l’escalier Gabriel
Trahison, reddition, compromis ? Le
luxe ne serait qu’une question de goût, qui l’abrite est vaste et curieusement
nu. Ils accrochent au plafond un lien
la variable saisonnière d’un calenà peine emmêlé3. Des lignes infléchies,
drier très fourni en prétextes pour
lui céder. Un degré de culture et la
quelques fourches : il tient de la liane
marque d’une exigence, plus ou moins
et du collier complexe, il est abanponctuelle. ll trouverait sans peine
donné et tendu, en sautoir. L’humain
69
[…] Le luxe nous quittera d’autant moins que nous
deviendrons plus pauvres et idéologiquement plus
exsangues. Qu’avons nous désormais à lui opposer ?
a horreur de ce qui pend (d’où
l’attention paradoxale aux travaux de
Messager ou Neto, probable) : avec la
mode et la chirurgie, l’architecture dit
la victoire sur la gravité, et ce lustre,
tout précieux qu’il est, prend alors
en regard une dimension presque
critique. Câble évadé, c’est une réalisation démente par son échelle, les
développements techniques qu’elle a
impliqués et un coût à la démesure
de la pièce. La qualité du travail des
Bouroullec leur permet d’échapper
à toute suspicion d’un pacte avec la
vulgarité de ce palais pour nouveau
riche, ou la vanité d’une absurde commande princière. Ils bénéficient, sans
en pâtir non plus, du rayonnement
nouveau de cette banlieue rendue plus
fameuse encore par les opérations du
redoutable Aillagon (à moins que les
mélodies mondiales des groupes Air et
Phoenix, associées aux entreprises de
Sofia Coppola, fassent aussi partie de
ce nouveau complot versaillais). Les
éventuelles exploitations des solutions
ici mises en œuvre, à des niveaux
plus domestiques ou urbains, posent
plus loin la légitimité de ce projet.
Étrangement, le dessin du collier
réalisé par les mêmes frères4, présenté
beaucoup plus tôt, est postérieur à ce
70
lustre dont il est déjà une sorte d’écho.
Le lustre est lui-même un bijou d’intérieur, à portée fantastique.
Toujours dans un vieux
décor, une problématique contemporaine, un conflit art/design : à
l’Hôtel de Chimay, Ralph Lauren
participe de l’économie désormais
bricolée de l’École des beaux-arts
(un replâtrage à hauteur d’un million
et demi d’euros). Il y a déjà Lanvin,
Nespresso et Neuflize OBC dans le
labyrinthe de l’institution. Ça fait
du monde, il y a aussi ceux dont
on ne sait rien, les mécènes discrets.
Mais ça ne suffit apparemment pas
encore. Inévitablement, quel que soit
par ailleurs le niveau des clients, le
sentiment que l’une des écoles les plus
célèbres au monde vende ses charmes
à l’encan. Rue Bonaparte, mais trottoir quand même : bien malaquais ne
profite jamais et Nicolas Bourriaud,
directeur, a du mal à justifier le racolage et ces étiquettes appelées à se multiplier. La noble façade paraît clignoter
d’enseignes. Pénibles cafouillages,
« débordements » de la grande fête
Lauren5 : le défilé américain horssaison ne fait pas du tout l’unanimité.
C’est comme si les diplômes allaient
porter la mention « Polo », ou que des
portraits en pied de cet autre grand
brûlé de la mode (arrive un moment
où ils finissent tous par ressembler
à Niki Lauda) allaient devoir faire
partie des travaux pratiques. Options
équitation, navigation de plaisance,
Amérique oisive nuance Hamptons :
ce luxe-là, pour arrogant et banal dans
ses inspirations qu’il soit – beaucoup
d’indélicatesses dans son exécution,
parce qu’on n’est pas là pour rigoler –,
introduit dans l’école d’art des notions
monstrueuses, attentivement refoulées.
Argent, distribution, vente, propagande, stratégies, marchandise : autant
de masques de cauchemar. Comme
si l’art ne pouvait maintenant en être
exempt, même à l’école.
Révolution de palais enfin,
qui se passe facilement d’architecture – Cupertino et Palo Alto peuvent
encore être des royaumes sans ces
décors singuliers, signe de leur puissance nouvelle –, Angela Ahrendts,
la patronne de Burberry, en démissionne pour repartir aux États-Unis
diriger la distribution chez Apple. Elle
contribue désormais aux perspectives de fortune de la plus profitable
entreprise du monde, récemment
passée devant celle de Coca-Cola :
c’est historique, nous changeons
de sucres acidulés. Elle succède à
Ron Johnson, qui a fait avant elle
le succès prodigieux des boutiques
Apple, mais s’est notoirement trompé
lorsqu’il en est parti pour tenter de
mener sur les mêmes voies JC Penney
(confection milieu de gamme). Dans
le sens mode/informatique, on doit
croire que la perspective Life Style (et
Global Luxury) promise à la production Apple est plus envisageable. La
stratégie témoigne d’une volonté
d’intégration et de contrôle accrue,
éviter la cannibalisation par le Web de
la vente des produits, d’une proximité
plus grande que prévue entre la mode
et ce qu’on faisait encore semblant
de prendre en premier lieu pour des
outils. Elle retrouve d’ailleurs un
ancien d’Yves Saint Laurent déjà dans
la place : peut-être que l’évolution du
terrain informatique va ainsi partiellement rejoindre celle des montres
suisses, lorsque la dimension du bijou
(interdite de mention lorsque l’homme
est aussi client) se trouve largement
fondée sur la prouesse technique, seule
vraiment légitime, et pourtant accessoire. On constate d’ailleurs ce qui
cesse de travail. Mais ça ne réussit
pas toujours : la fabrique de pianos
Pleyel vient de déposer le bilan : ni
le design, ni le luxe, convoqués à son
chevet pendant les cinq dernières
années, n’ont su la sauver.
pierre doze
se passe avec tant d’iPhone : choisis
pour leurs dessin, matières et fonctions
sévères – transformés en sapins de
Noël dès que possible. C’en sera ici
une autre variante.
L’association du design et du
luxe n’est pas contradictoire, on l’avait
compris. Elle fonctionne même trop
bien, et pas de façon nécessairement
caricaturale. Elle porte pourtant, dans
une part de ces événements précis, un troublant goût de xixe siècle,
d’hypocrisie et de mécanisation, de
domination et de pouvoir. Une vraie
logique bourgeoise : de la beauté qui
marche rigoureusement, l’efficacité
précieuse, une grâce qui parle sans
1. La maison au bord de l’eau, 1934, à
l’hôtel Raleigh, Miami. Elle est présentée
par Louis Vuitton, dont la collection printemps/été 2014 « Icônes » est inspirée par
Charlotte Perriand.
2. Design Miami, du 4 au 8 décembre 2013,
Miami, USA.
3. Lustre Gabriel, inauguration
mi-novembre 2013.
4. Galerie Kreo, « Autour du cou », exposition de bijoux, novembre 2012.
5. Pour la confrontation des viandes
venues spécialement du ranch Lauren et
des barquettes de taboulé Dia – pas sur
les mêmes marches, ni entre les mêmes
mains –, voir nombre d’articles à peu près
concordants, sinon dans le ton (NYT, Forbes,
Le Figaro, Libération, Le Monde…) entre le 8 et
le 20 octobre 2013.
Image : Coque iPhone Burberry, ©DR
71
roman
cieslewicz
Layout
Au juste, que confie-t-on à un d i r e c t e u r a r t i s t i q u e ?
Comment se manifeste ce qu’il peut apporter quand il fait
exister ensemble titres et images, blancs et typo ? Cette (nouvelle)
rubrique scrute les mises en page et ce qu’elles recèlent.
Vogue Paris, mars
1966. En Une, deux jambes effilées portant escarpins à talons bas
et minijupe, dans une dominante
chromatique rouge contrastant avec
le titre du magazine en typo verte.
Le tout poussé, dans un semblant de
marche, vers la droite, par le slogan,
en typo Helvetica : « Où allons-nous ?
Collections 66 ». La photographie
semble anonyme, et si en tête de sommaire les stylismes de Pierre Cardin
et Charles Jourdan sont clairement
annoncés, il faut au lecteur une bonne
acuité visuelle pour décrypter, en
corps 4, la mention du photographe,
en l’occurrence Guy Bourdin. L’ours
décline noms et titres : Edmonde
Charles-Roux, rédactrice en chef,
72
Antoine Kieffer, directeur artistique,
François Nourissier, directeur littéraire, suivent les responsables de
rubriques. Le sommaire fait état
des collaborateurs signataires des
textes, mais aucune mention ni des
graphistes, ni des photographes,
comme si l’image n’existait pas.
Révélerait-elle une peur anxiogène de
la rédaction ?
Car la photographie de mode,
en ce milieu des années 60, a fait sa
révolution pour se mettre au diapason
et refléter les évolutions sociétales. Elle
bouscule tous les supports institutionnalisés que sont les magazines et
génère un certain nombre de conflits,
au sein des rédactions, arbitrés par le
directeur artistique. Dans un secteur
fortement concurrentiel, une nouvelle
génération de photographes s’impose,
en réfutant codes et principes, en
libérant le modèle du studio et d’une
statuaire empruntée. Lillian Bassman
et Richard Avedon ont affirmé un
style au Harper’s Bazaar sous l’œil
bienveillant d’Alexey Brodovitch.
Alexander Liberman a recruté
Irving Penn et William Klein pour
Armé de ciseaux et
de scalpels, il coupe,
découpe, triture
les modèles, jouant
avec les formes des
vêtements, enlevant
ou raccourcissant têtes
et membres, comme
le ferait un laborantin
face à des insectes sur
une paillasse […]
Vogue. Autant Avedon et Penn bousculèrent, dans l’immédiat après-guerre,
l’idée d’une mode « distinguée » et
redéfinirent de nouvelles normes
sans ôter de l’image un certain conservatisme en phase avec l’idéologie des
sociétés occidentales en pleine reconstruction et consumérisme naissant,
autant le travail de William Klein
prend immédiatement ses distances
avec le sujet sur lequel s’appuie la
commande. La mode n’emballe
pas William Klein et le vêtement ne
l’inspire pas. Venu de la peinture, il
découvre la photo et utilise la mode
comme un nouveau champ d’expérimentations et de provocations visuelles.
Klein maintient la distance avec ce
milieu qu’il caricature, à l’extrême,
lorsqu’il opte pour le cinéma. Dans
l’un de ses premiers films, Qui êtesvous Polly Maggoo ?, il dénonce, sous la
forme d’une farce, non seulement les
rédactions (et surtout les rédactrices
qui créent la tendance), mais aussi
le vedettariat émergent du mannequinat et l’ineptie du journalisme
télévisuel joué avec brio par le duo
Jean Rochefort/Philippe Noiret.
Klein libère la photographie
de mode et le regard qu’on lui porte,
ouvrant la voie à d’autres comme
Helmut Newton, David Bailey ou
Bob Richardson. Ce dernier apparaît
comme un terroriste dans un milieu
qu’il apostrophe pour imposer un nouveau point de vue qui va faire école:
« […] le jeu s’intitule : j’emmerde le magazine
et au diable le rédacteur en chef, le sujet de
la photo de mode, c’est les gens. » Passé le
filtre de la rédaction, la photographie
affronte aussi un autre regard, celui
du graphiste. Qui sera aussi décisif
dans sa mise en page et sa confrontation au lecteur. C’est dans ce contexte
d’émulation créative et critique que
débarque à Paris, en 1963, un jeune
graphiste polonais, Roman Cieslewicz.
Passant le Rideau de fer, Cieslewicz est
venu voir « comment ses images résisteraient
sous les néons de l’Occident ». Repéré par
Peter Knapp, il intègre l’équipe du
magazine Elle en tant que maquettiste
et illustrateur, puis il lui succédera à la
direction artistique, poste qu’il occupe
jusqu’en 1969. Entre 1965 et 1966,
Antoine Kieffer, directeur artistique de
Vogue Paris, s’adjoint à la maquette son
savoir-faire et son talent. Le travail du
graphiste stimule la rédaction et son
regard « d’aiguiseur de rétines » traverse
l’ensemble des numéros auxquels il
collabore. Imprégné des principes et
concepts appris lors de ses études à
l’École des beaux-arts de Cracovie, où
73
mode
spotted
Photographie : Anna Palma, Stylisme : April Hughes
il côtoie une génération d’enseignants
héritière des mouvements futuristes
et constructivistes, le graphiste les met
en pratique par des séries de photomontages et de collages. Empruntant
à Rodtchenko, à Klucis ou encore à
John Heartfield, Roman Cieslewicz
s’affirme comme un nouveau manipulateur d’images.
S’ensuivent plusieurs séries de
doubles pages où s’impose le regard
critique du photomonteur sur ces
vaniteux supports de papier glacé. S’il
respecte le travail du photographe, il
entend le dépasser et y chercher une
autre essence. Armé de ciseaux et de
scalpels, il coupe, découpe, triture
les modèles, jouant avec les formes
des vêtements, enlevant ou raccourcissant têtes et membres, comme le
ferait un laborantin face à des insectes
sur une paillasse. Jouant aussi sur
le hors-champ, le non-vu et qui ne
pourra jamais l’être pour le lecteur,
74
india india
Photographie : Keeja Allard, Stylisme : Edda Gudmundsdottir
various 1960-2004
Photographie : Melvin Sokolsky
Roman Cieslewicz applique avec
maîtrise une logique de l’absurde.
Des difformités telles des excroissances mandibulaires apparaissent
dans ses juxtapositions d’images sans
rien enlever au pouvoir érotique de
ces dernières. Les photographies de
Ronald Traeger et de Guy Bourdin
pour Jean Patou, Nina Ricci, Ungaro,
Pierre Cardin ou Charles Jourdan
passent ainsi dans le laboratoire expérimental de Roman Cieslewicz. Là
où, après avoir été le meilleur moyen
d’enregistrer une image, sa pratique
permet au graphiste de la régler à son
gré et de la transformer en celle qu’il
souhaite créer. Posture utopique d’un
graphisme hors limite. Cette liberté
conjoncturelle des photographes et des
directeurs artistiques sera de courte
durée, car malgré les apparences, les
marques veillent et reprennent vite le
contrôle de leur image.
pierre ponant
Images : Vogue Paris, mars 1966.
spotted
Photographie - Anna Palma
Stylisme - April Hughes
Coiffure - Thomas McKiver
Maquillage - Deanna Hagan
Mannequin - Ana Kras
Dress - C e l i n e
Coat - C h r i s t i a n D i o r
Shoes - R e p e t t o
Ring - S o n i a B o y a j i a n
Pants and Shirt - T e s s G i b e r s o n
Plastic Shirt - E c k h a u s L a t t a
Dress - C e l i n e
Coat - C h r i s t i a n D i o r
Shoes - R e p e t t o
Ring - S o n i a B o y a j i a n
Sweater And Pants - M a r y a m N a s s i r Z a d e h
Necklace - S o n i a B o y a j i a n
Sweater - S a m u j i , Top and tank - D i o r Skirt - C a r v e n , Sunglasses - G r e y A n t
Shoes - R e p e t t o Pants and Shirt - T e s s G i b e r s o n
Plastic Shirt - E c k h a u s L a t t a
Dress - C a r v e n
Jacket and Pants - J a s m i n S h o k r i a n
Shirt - 1 0 C r o s b y B y D e r e k L a m
Shoes - R o b e r t C l e r g e r i e
Pin - B l e s s
india india
Photographie - Keetja Allard
Styliste - Edda Gudmundsdottir
Assistée de Martin Tordby
Mannequin - India Salvor Menuez
Coiffure - Yohey Nakatsuka
Top et jupe - C h a n e l
Boucles d’oreille vintage
Robe et chaussures - C h r i s t i a n D i o r
Salopette - E l e c t r i c F e a t h e r s
Chaussures - M a r t i n M a r g i e l a
Top and jupe - O s t w a l d H e l g a s o n
Sac - C h r i s t i a n D i o r
Lunettes - Collection personnelle
Foulard - Vintage
(Assise)
Top - K e e t j a A l l a r d
Jupe - M a r t i n T o r d b y
(Dans l’écran)
Robe - D a n i e l P a l i l l o
Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r
Boucle d’oreilles - V i n t a g e
Blouson et jupe - D a n i e l P a l i l l o
Short cycliste - Collection personnelle
Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r
Ensemble - J o a n n a M a s t r o i a n n i
Top et pantalon - K e n z o
Chaussures - B e r n h a r d W i l l h e l m x C a m p e r
Boucle d’oreilles - Y a z b u k e y
Top et pantalon - D a n i e l P a l i l l o
casquette et chaussures - C h r o m a t
Boucle d’oreilles - Vintage
Robe - B e r n h a r d W i l l h e l m
Chaussures - C h a n e l
Merci à C a t h e r i n e C h a n t a l V é r o n i q u e - P a r i s
pour les bijoux vintage.
various,
1960-2004
Photographie - Melvin Sokolsky
Collection
citations
Compilées par w y n n d a n
“I have a regular,
normal private life.”
François-Henri Pinault
« J’ai une vie privée normale, normale. »
“ It’s marvellous to get paid to say this
girl is prettier than this girl.
I think as a man, this is what choosing
fashion photographs came to for me. ”
Alexander Liberman
« C’est merveilleux d’être payé pour dire cette fille est plus jolie que cette autre. En tant qu’homme, je crois que c’est pour cette raison que j’ai choisi la photographie de mode. »
“ Always wear high heels. Yes, they give
you power. You move differently, sit
differently and even speak differently ”
Carine Roitfeld
« Portez toujours des talons hauts. Oui, ils vous donnent du pouvoir. Vous bougez différemment, vous vous
asseyez différemment, et même parlez différemment. »
“My ideal woman is
Serge Gainsbourg.”
isabel marant
« La femme idéale, c’est Serge Gainsbourg. »
“ It’s a very strange thing for a designer to say, but one of
the things that really irritates me in products is when I’m
aware of designers wagging their tails in my face ”
jonathan ive
« C’est peut-être étrange à dire de la part d’un designer, mais la chose qui m’irrite vraiment dans les
produits, c’est quand je suis face à un designer qui fait le beau devant moi. »
magazine
118
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119
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l’adresse suivante
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ACP –– Magazine,
Magazine, 32
32 boulevard
boulevard de
de Strasbourg,
Strasbourg, 75010
75010 Paris
Paris
Magazine
14 décembre,
février le
paraîtra
le 6 2014
décembre.
Magazine n°
n° 15,
mars, avril,janvier,
mai paraîtra
28 février
Magazine est imprimé par SIO sur Heidelberg CD 102
Société d’Impression Offset
94120 Fontenay-sous-Bois
Tél. 01 53 99 12 12
www.imprimerie-sio.com
m a g amagazine
z i n e no13
113
121
hiver 2013
décembre
janvier
3 au 8 décembre
Design m i a m i , la preview
commence le 3, après il y a
tout le monde…
designmiami.com
8 janvier
Yves Saint Laurent de
Jalil Lespert, 2014. Le
b i o p i c consacré au
couturier réalisé avec la
bénédiction de Pierre Bergé,
contrairement à celui que
Bertrand Bonello est en train
de tourner.
En salles.
4 au 8 décembre
Les sapins de N o ë l des
créateurs rassemblent
designers et sylistes à l’Hôtel
Salomon de Rothschild.
lessapinsdenoeldes
createurs.org
4 décembre
Le cours étrange des choses
de Raphaël N a d j a r i ,
2013, 98’. Nouvel opus de ce
réalisateur franco-israélien
très indépendant.
en salles.
4 décembre au 16 février
Exposition C a r t i e r , le
style et l’histoire sur le thème
joaillerie et monarchie.
grandpalais.fr
11 au 14 décembre
Première édition du salon
S o o n , salon de l’œuvre
originale numérotée au
Bastille Design Center.
soonparis.com
11 au 30 décembre
Rétrospective intégrale du
réalisateur p o r t u g a i s
João César Monteiro.
cinematheque.fr
15 au 24 décembre
Flash Design Store, un
concept store é p h é m è r e
déco, accessoires et bijoux.
flashdesignstore.tumblr.
com
21 décembre au 5 janvier
Jours de fêtes, ou la f ê t e
f o r a i n e et la féerie de
Noël sous la Nef du Grand
Palais. grandpalais.fr
magazine
122
10 au 26 janvier
Le festival H o r s P i s t e s
au Centre Pompidou, qui
adoptera le thème warholien
des 15 minutes de célébrité.
Centrepompidou.fr
15 au 23 janvier
Les d é f i l é s s’enchaînent
à Paris : la mode masculine
AH 2014-2015 du 15 au 19,
puis la Couture PE 2014
du 20 au 23.
modeaparis.com
15 janvier au 28 février
Cycle « L’a r g e n t ne fait
pas le bonheur », explorant
les différents aspects de ce
moteur pour l’homme.
forumdesimages.fr
17 janvier au 14 mars
Une exposition consacrée
au collectif de graphistes
parisiens I l l s t u d i o .
12mail.fr
17 janvier au 20 avril
Exposition des
photographes sud-africains
Mikhael Subotzky et
Patrick Waterhouse consacrée
à Ponte City, bâtiment central
de J o h a n n e s b u r g .
le-bal.fr
Jusqu’au 6 janvier
Exposition
P i e r r e H u y g h e au
Centre Pompidou.
centrepompidou.fr
Jusqu’au 18 janvier
Derniers jours de l’exposition
E u r o p u n k venue tout
droit de Londres.
citedelamusique.fr
Jusqu’au 26 janvier
D e r n i e r s j o u r s des
expositions Azzedine Alaïa
au palais Galliera, Erwin
Blumenfeld au Jeu de
Paume et Pasolini-Roma à la
Cinémathèque.
paris.fr / jeudepaume.org
cinematheque.fr
février
4 février
Reprise du palmarès du
festival P r e m i e r s p l a n s
d’Angers, festival des
premiers films européens.
forumdesimages.fr
6 au 16 février
La B e r l i n a l e , 64e festival
du film de Berlin, avec un
président du jury français :
Denis Dercourt.
berlinale.de
Jusqu’au 10 février
Derniers jours de l’exposition
« Raymond D e p a r d o n , un
moment si doux » au Grand
Palais.
grandpalais.fr
11 février
Conférence de l’ethnologue
Anne Monjaret : La vie en
« b l e u », expression de
l’identité ouvrière.
ifm-paris.com
12 février au 9 juin
Rétrospective Henri
C a r t i e r - B r e s s o n au
Centre Pompidou.
centrepompidou.fr
16 février
Reprise du palmarès
du Festival international
du c o u r t - m é t r a g e de
Clermont-Ferrand.
forumdesimages.fr
Jusqu’au 17 février
Derniers jours de l’exposition
1925, L’A r t D é c o séduit
le monde à la cité de
l’architecture.
citechaillot.fr
18 au 20 février
La salon P r e m i è r e
V i s i o n Paris ouvre ses
portes aux professionnels du
textile, invités à venir avec
leurs mains et leurs yeux,
mais sans appareil photo.
premierevision.com
Jusqu’au 19 février
Exposition « A u g u s t e
P e r r e t , huit chefs
d’œuvre », ou une
architecture du béton armé
au Palais d’Iéna, également
imaginé par l’architecte.
lecese.fr
19 février
Only Lovers Left Alive de Jim
J a r m u s c h , 2013, 123’.
Après quatre ans de silence,
le réalisateur américain
indépendant livre son dernier
film.
En salles.
19 février au 10 mars
Le Nouveau F e s t i v a l du
Centre Pompidou.
centrepompidou.fr
26 février au 6 juillet
« Amos G i t a ï , architecte
de la mémoire », exposition
consacrée au réalisateur
israélien.
cinematheque.fr
28 février au 31 août
Exposition consacrée à
l’univers du créateur belge
Dries Van Noten.
lesartsdecoratifs.fr
*Une maison ouverte - preview, © Cyril Lagel, 123RF, Getty Images, Graphic Obsession. SCP © Garath Hacker. Bosa © Tiziano Rossi. Soonsalon © Michiel Cornelissen. © Cinna. © Sentou. Organisation SAFI, filiale des Ateliers d’Art de France et de Reed Expositions France
Agenda
Open house
*
24-28 JAN. 2014
PARIS NORD VILLEPINTE
www.maison-objet.com
Salon international du design pour la maison
International home design exhibition
Salon réservé aux professionnels - Trade only
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