Max Planck et la naissance de la mécanique quantique

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Max Planck et la naissance de la mécanique quantique
BULLETIN
DE
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Max Planck
et la naissance de la mécanique quantique
par Jean-Claude BOUDENOT
Thalès Communications
160, boulevard de Valmy - BP 82 - 92704 Colombes Cedex
[email protected]
et Gilles COHEN-TANNOUDJI
Conseiller scientifique au CEA
[email protected]
RÉSUMÉ
Max PLANCK représente à la fois le couronnement de la physique classique et la
naissance d’un nouveau monde : le monde quantique. Max PLANCK naît en 1858, peu de
temps après l’émergence du premier principe de la thermodynamique. Il a 17 ans lorsque
CLAUSIUS donne à la thermodynamique classique sa forme actuelle. C’est le second principe qu’il choisira comme sujet de thèse. Cela lui permet de regarder d’un œil nouveau
le rayonnement du corps noir. Son article de 1900 est le déclencheur de l’une des plus
grandes révolutions scientifiques de tous les temps. Les trente années qui suivent sont les
plus riches de la physique ; Planck, Einstein, Bohr, Sommerfeld, de Broglie, Schrödinger,
Heisenberg, Dirac, Born, Pauli… reconstruisent la physique sur de nouvelles bases sur
fond de conflit des générations. Le monde est par ailleurs secoué par la guerre, Max
PLANCK est tourmenté et vit des épreuves personnelles dramatiques.
On retrace dans cet article la chronologie des événements scientifiques tels que
Planck les a vécus en les replaçant dans leurs contextes politique et social. Quelques
manifestations courantes des quanta et de leurs applications sont également esquissées.
MAX PLANCK, QUELQUES ÉLÉMENTS DE SA VIE ET SON ŒUVRE
Max PLANCK a vécu près de quatre-vingt-dix ans, quatre-vingt-dix ans pendant lesquels la physique a connu les plus grands bouleversements. Il est véritablement à la charnière entre ce qu’il est convenu d’appeler la physique classique et la « nouvelle » physique apparue à l’aube du XXe siècle.
Max PLANCK naît le 23 avril 1858 à Kiel. Il est le descendant d’une famille de pasteurs, de professeurs et de juristes. Son père -Wilhelm Johann Julius PLANCK- est professeur de jurisprudence à Kiel puis, à partir de 1867, professeur de droit civil à Munich.
Ainsi Max PLANCK fait ses études secondaires à Munich où il dit avoir eu la chance de
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recevoir une instruction humaniste. Il révèle ses talents pour la musique et indique luimême qu’il aurait pu devenir philologue ou musicien.
Max PLANCK a 16 ans lorsqu’il s’inscrit, en 1874, à l’université de Munich pour étudier les sciences exactes. Après trois ans d’études à Munich, il se rend à Berlin à l’automne 1877 pour effectuer une quatrième année à l’université Friedrich-Wilhelm, qui est
la plus éminente d’Allemagne. Il y croise Heinrich HERTZ (1857-1894) qui est étudiant à
Berlin en même temps que lui. Il a pour professeurs des savants à la réputation universelle ; Hermann von HELMHOLTZ (qui a énoncé le premier principe de la thermodynamique), Gustav KIRCHHOFF (a qui l’on doit les premiers travaux sur le corps noir) et Karl
WEIERSTRASS. Aucun de ces grands professeurs ne sera toutefois le mentor de PLANCK. Il
découvre l’inspiration dans les merveilleux traités de Rudolph CLAUSIUS, véritable père
de la thermodynamique et inventeur de la notion d’entropie.
PLANCK n’a que 21 ans lorsqu’il soutient sa thèse de doctorat sur le deuxième principe de la thermodynamique. L’entropie obsède le jeune PLANCK, il écrit « De telles expériences ne pouvaient me détourner de poursuivre mes études sur l’entropie, notion que
je regardais à côté de l’énergie comme la propriété la plus importante des systèmes physiques… Toutes les lois d’équilibre physique et chimique devaient découler d’une
connaissance de l’entropie ». Il utilise de nouveau ce concept dans sa thèse d’habilitation qu’il passe en juin 1880. Ce n’est toutefois qu’en 1885 que PLANCK obtient un poste
de professeur à l’université de Kiel. Il se marie peu après (1887) avec Marie MERCK, le
couple aura son premier enfant, Karl, l’année suivante. En 1889 Max PLANCK revient
dans la capitale où il succède, grâce à la recommandation de HELMHOLTZ, à son ancien
professeur Gustav KIRCHHOFF. Les années qui suivirent furent les plus heureuses et les
plus prospères de la vie de notre physicien. PLANCK s’intéresse aux fondements de la physique et aux perspectives offertes par la thermodynamique.
En 1892 certains physiciens considèrent que l’édifice de la physique est achevé.
Ainsi Lord KELVIN -le « pape » de la physique anglaise- déclare cette année-là, dans une
phrase restée célèbre : « La physique est définitivement constituée dans ses concepts fondamentaux ; tout ce qu’elle peut désormais apporter, c’est la détermination précise de
quelques décimales supplémentaires. Il y a bien deux petits problèmes : celui du résultat négatif de l’expérience de Michelson et celui du corps noir, mais ils seront rapidement résolus et n’altèrent en rien notre confiance… ». Ce type de déclaration n’affecte
pas l’ardeur de Max PLANCK qui, à partir de 1894 (année où il est admis à l’Académie
des sciences de Prusse), va s’attaquer à la résolution du problème du corps noir.
Ce problème a, jusqu’alors, fait l’objet d’une approche essentiellement thermodynamique, il n’est donc pas étonnant que Max PLANCK s’y engage avec toute son énergie.
Un corps noir est une enceinte fermée dont les parois sont maintenues à une température T.
KIRCHHOFF a montré en 1860 que le rayonnement émis par une telle enceinte ne dépend
ni de la nature des parois, ni des corps qui sont présents à l’intérieur de la cavité, mais
uniquement de la température T à laquelle est portée l’enceinte. L’émission du corps noir
a donc un caractère absolu.
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Joseph STEFAN et son célèbre élève Ludwig BOLTZMANN, ainsi que Wilhelm WIEN
ont attaché leur nom à des lois gouvernant ce fameux rayonnement. Mais aucune de ces
lois ne permet de décrire ce rayonnement dans l’ensemble du spectre. PLANCK décrit ainsi
la situation : « ...Bien que dans le cas des faibles énergies et par conséquent des grandes
longueurs d’onde, la loi de Wien continuât d’être confirmée d’une manière satisfaisante,
pour les grandes valeurs de l’énergie, et par conséquent les petites longueurs d’onde, des
divergences sensibles furent d’abord trouvées par LUMMER et PRINGSHEIM, et finalement
les mesures faites par H. RUBENS et F. KURLBAUM... révélaient un comportement différent...
aux petites longueurs d’onde ».
Au seuil de 1900 on a donc une bonne connaissance expérimentale du rayonnement
du corps noir, l’interprétation théorique des phénomènes aux fréquences élevées est traduite par la loi de Wien et l’interprétation théorique des phénomènes aux faibles fréquences est traduite par la loi de Rayleigh Jeans. Quant au comportement du corps noir
aux fréquences intermédiaires, il est rebelle à toute interprétation.
Max PLANCK aborde lui l’étude du corps noir sous un nouvel angle ; celui de l’entropie. Finalement en octobre 1900 PLANCK résout le problème. Il relate ainsi ces moments
historiques : « ...je proposai [la formule t (v, T) = 8rhv3 / c3 7 exp (hv/kT) - 1A ] à l’examen de la Société de Physique de Berlin, dans la séance du 19 octobre 1900, et j’en
demandai la vérification expérimentale. Dès le lendemain matin, je recevais la visite de
mon collègue RUBENS. Il venait me raconter qu’après la fin de la séance, il avait
confronté ma formule, au cours de la nuit même, avec les résultats de ses mesures expérimentales et trouvé une concordance satisfaisante en tous points… ». Il ajoute : « ...dès
le jour même où j’eus formulé cette loi, je commençai moi-même à m’attaquer au problème de sa véritable interprétation physique... je postulai simplement S = k log X... toutefois ceci appelle la remarque que BOLTZMANN n’introduisit jamais cette constante... il
était nécessaire d’introduire une constante universelle, que j’appelai h... Je lui donnai le
nom de quantum élémentaire d’action… ». Pour démontrer sa formule, PLANCK est en
effet amené à faire l’hypothèse que les échanges d’énergie entre le rayonnement et la
paroi ne peuvent se faire que de façon discrète (et non continue) par « quanta » élémentaire d’énergie E = ho. Finalement, comme le dit son plus proche élève Max von LAUE :
« C’est le 14 décembre 1900, et de nouveau à la Société Allemande de Physique, [qu’]il
put exposer l’interprétation théorique qu’il dégageait de la loi du rayonnement. Ce jour
est vraiment le jour de naissance de la théorie des quanta. Et cet exploit perpétuera son
nom à jamais ».
-1
Tout semble donc aller pour le mieux, mais ce n’est pas l’avis de PLANCK, il écrit :
« Toute cette affaire peut se résumer en trois mots : un acte de désespoir ». PLANCK
cherche à faire disparaître son hypothèse d’échange fini d’énergie pour revenir à la description continue que la physique a toujours adoptée, mais en vain.
En 1905 le débat est relancé par un jeune ingénieur du bureau des brevets de
Berne... un certain Albert EINSTEIN. Pour EINSTEIN c’est le rayonnement lui-même qui a
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une structure granulaire, quantifiée. EINSTEIN ose faire cette hypothèse en dépit des succès remportés depuis plus d’un siècle par la théorie ondulatoire de la lumière par YOUNG,
FRESNEL, ARAGO, FIZEAU, ...
EINSTEIN est le premier à se lancer dans la physique quantique et à étendre son
champ d’action à d’autres phénomènes que celui du corps noir. Son hypothèse de 1905
lui permet d’interpréter l’effet photoélectrique et il ne tarde pas (1907) à interpréter l’exception à la loi de Dulong et Petit concernant la chaleur spécifique des solides en terme
quantique.
Par un remarquable concours de circonstance, tandis que EINSTEIN étend le domaine
d’action des quanta introduits par PLANCK, ce dernier fait connaître le travail d’EINSTEIN
sur la relativité. Il dit en 1906 devant la Société de Physique de Berlin : « Le principe de
relativité, récemment énoncé par H.A. LORENTZ, et généralisé par A. EINSTEIN, impliquerait, s’il se vérifiait, une si prodigieuse simplification de tous les problèmes d’électrodynamique des corps en mouvement que la question de son admissibilité parmi les notions
théoriques fondamentales mérite d’être posée ».
Tandis que les travaux de physique quantique ne concernent encore qu’un nombre
très limité de physiciens, PLANCK va connaître une épreuve très dure ; sa femme Marie
meurt en octobre 1909. Ses enfants et sa passion pour la physique lui permettent de surmonter son chagrin. Après un an et demi de veuvage il décide de se remarier avec Marga
von HOESSLIN.
1911 est également l’année où se déroule le premier Conseil Solvay ; il a pour
thème « Rayonnement et quanta ». C’est le prélude d’une nouvelle période dans ce
domaine ; la communauté quantique commence à s’élargir. L’idée des quanta est cependant loin d’être acceptée. Témoin ce rapport de 1913, dont Max PLANCK est l’un des
signataires et qui est destiné à soutenir l’élection d’EINSTEIN à l’Académie des sciences
de Berlin où l’on peut lire : « En bref, on peut dire que, parmi les grands problèmes dont
la physique moderne abonde, il n’en est guère qu’EINSTEIN n’ait marqué de sa contribution. Il est vrai qu’il a parfois manqué le but lors de ses spéculations, par exemple avec
son hypothèse des quanta lumineux ; mais on ne saurait lui en faire le reproche... ».
Nous sommes toutefois au seuil d’un nouveau bouleversement. Après l’article fondateur de PLANCK du 14 décembre 1900 et le deuxième choc produit par EINSTEIN en juin
1905, BOHR va de nouveau secouer le landernau de la physique en juillet 1913. Il interprète la stabilité de l’atome de Rutherford-Perrin par la quantification de l’énergie des
électrons sur leur orbite. Il postule, de plus, que la transition d’un électron entre deux
niveaux s’accompagne de l’émission d’un quantum lumineux. Ce faisant BOHR retrouve
instantanément la formule de Balmer. La publication de Niels BOHR provoque une véritable explosion de l’activité dans le domaine de la physique quantique. RUTHERFORD
résume ainsi la situation d’alors : « Ce domaine est passé soudainement d’un état vacant
à un état très peuplé »...
L’hypothèse de BOHR permet l’interprétation de l’expérience de FRANCK et HERTZ
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(sur le potentiel d’ionisation des gaz) ainsi que (toujours en 1913) de l’effet STARK (division des raies d’émission en présence d’un champ électrique).
Tandis qu’en octobre 1913, Max PLANCK est nommé pour un an recteur de l’université Friedrich-Wilhelm de Berlin, qui s’apprête à célébrer le 3 août 1914 l’anniversaire
de sa fondation, l’Allemagne déclare la guerre le 2 août 1914… La guerre meurtrière
s’enlise et se prolonge, les souffrances sont grandes. Depuis le début de 1916, la bataille
de Verdun fait rage et le fils de PLANCK, Karl, est tué devant Verdun le 26 mai 1916. Le
destin s’acharne, le 15 mai 1917 Max PLANCK perd sa fille Grete d’une embolie pulmonaire.
En physique tandis qu’en 1915 SOMMERFELD introduit de nouveaux nombres quantiques pour décrire plus finement l’atome de BOHR, EINSTEIN s’intéresse en 1916 aux processus d’interaction entre l’atome de BOHR et le rayonnement. Il introduit la notion
d’émission stimulée qui sera à la base de la physique des lasers. Cette période si agitée
politiquement est malgré tout très riche pour la physique des quanta. Elle se termine par
l’énoncé en 1918, par Bohr, du Principe de correspondance.
A la mi-novembre 1919 Max PLANCK apprend que le comité Nobel lui attribue le
prix, au titre de 1918 « en reconnaissance des services qu’il a rendus au développement
de la physique par la découverte des quanta d’énergie ». Alors que l’œuvre de PLANCK est
consacrée par le Nobel et qu’à partir de 1919 il s’impose comme le premier porte-parole
de la science allemande, le destin s’acharne sur lui ; il perd sa deuxième fille Emma.
En physique quantique les événements s’accélèrent : en 1921 STERN et GERLACH
réalisent une expérience mettant en évidence la quantification spatiale. En 1922 c’est la
découverte de l’effet Compton qui est rapidement interprété en terme de collision entre
un électron et un quanta de lumière. Ainsi les lois des chocs en permettent l’interprétation à condition d’attribuer au rayonnement des caractéristiques corpusculaires. Alors que
précisément l’idée d’attribuer au rayonnement lumineux un aspect corpusculaire fait son
chemin, un jeune physicien français, Louis de BROGLIE, a l’audace d’imaginer en 1923
que les corpuscules puissent se comporter comme des ondes ! A la lecture de la thèse de
Louis de BROGLIE, Albert EINSTEIN s’exclamera « Il a soulevé un coin du grand voile ».
Toutefois ce sont les années 1925 à 1928 qui vont être les plus fécondes de l’histoire de la mécanique quantique, et même certainement de la physique toute entière. En
janvier 1925 PAULI introduit son principe d’exclusion. En juillet Werner HEISENBERG soumet un article dans lequel il introduit pour la première fois le terme de mécanique quantique. En septembre HEISENBERG, BORN et JORDAN introduisent la relation de commutation. Cette relation est découverte indépendamment par DIRAC en novembre. Entre temps,
en octobre, ULHENBECK et GOUDSMIT introduisent la notion de spin. Enfin, en janvier
1926, E. SCHRÖDINGER développe de son côté à Zurich une troisième approche directement inspirée des travaux de de BROGLIE et fondée sur l’onde y ; il formalise ainsi la
mécanique ondulatoire... En février 1926 il trouve un « truc » pour présenter les travaux
de de BROGLIE lors d’un séminaire à Zurich... ce « truc » c’est l’équation de SCHRÖDINGER !
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La confusion est donc à son comble avec l’apparition, en quelques mois, de trois
approches distinctes de la nouvelle mécanique. Toutefois dès mars 1926, SCHRÖDINGER
montre l’équivalence de son approche avec celle d’HEISENBERG et bientôt avec celle de
DIRAC. La théorie de SCHRÖDINGER triomphe. Elle est simple et donne une image compréhensible de la physique. Ce triomphe est toutefois de courte durée. Dès le mois de
juin 1926, Max BORN donne la célèbre interprétation probabiliste de l’onde } qui lui
vaudra le prix Nobel... vingt-huit ans plus tard. En décembre 1926, P. DIRAC élabore une
formalisation complète de la nouvelle mécanique quantique, incluant les règles de passage d’un formalisme à l’autre. Sa théorie est plus globale et mieux structurée que celles
de HEISENBERG et SCHRÖDINGER ; c’est encore celle que l’on utilise aujourd’hui dans les
cours de mécanique quantique.
En août 1926 DIRAC finalise sa statistique quantique, tandis que FERMI publie indépendamment et au même moment un travail équivalent (il s’agit de son premier article
traitant du domaine quantique !) ; c’est l’acte de naissance de la statistique de FERMI
DIRAC.
1927 est l’année du couronnement de la mécanique quantique. En février HEISENqui n’a que 25 ans, énonce le principe d’incertitude. La plupart des physiciens
quantiques (dont PLANCK) se réunissent une première fois à Côme en septembre 1927
pour le centenaire de la mort de VOLTA. C’est à cette occasion que BOHR introduit pour
la première fois son principe de complémentarité. Mais le point culminant a lieu quelques
semaines après, à Bruxelles, lors de l’historique cinquième Conseil Solvay qui se déroule
à partir du 24 octobre 1927 sur le thème « Électrons et photons » (le terme photon est
alors tout nouveau, il a été introduit en 1926 par le chimiste N.G. LEWIS et rapidement
adopté). Les débats portent rapidement sur l’interprétation de la mécanique quantique.
BOHR y joue un rôle essentiel. BORN et HEISENBERG vont dans le même sens et, à l’issu
du Conseil, écrivent « que nous tenons la mécanique des quanta pour une théorie complète, dont les hypothèses fondamentales physiques et mathématiques ne sont plus susceptibles de modifications ». Cette opinion n’est toutefois pas partagée par tous, en particulier par EINSTEIN qui écrit à BORN dès la fin de 1926 : Dieu ne joue pas aux dés.
BERG,
Au début de 1928 DIRAC publie sa célèbre « équation de Dirac » qui allie mécanique
quantique et relativité restreinte. En 1931 il fait l’hypothèse de l’« antiélectron », lequel
est découvert un plus tard par Carl ANDERSON. Il faudra attendre vingt ans pour que le
formalisme de DIRAC soit amélioré.
L’année 1929 marque le cinquantième anniversaire du doctorat de Max PLANCK. A
l’occasion de ce jubilé, la Société Allemande de Physique décide de créer la médaille
Max PLANCK. Max PLANCK reçoit la première médaille, et remet la seconde à EINSTEIN
qui fête lui son cinquantième anniversaire.
En 1930 Max PLANCK devient président du Kaiser-Wilhelm Institut. Le Kaiser-Wilhelm Gesellschaft (Société de l’Empereur Guillaume) a été fondé vingt ans plus tôt pour
créer des instituts de recherche financés par des fonds privés. Adolf von HARNACK en a
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été le président fondateur. Mais avec l’arrivée de HITLER au pouvoir en 1933 une grande
partie des physiciens émigrent ; le jardin de la physique mathématique allemande se
transforme en désert. PLANCK résiste à de nombreuses attaques et protège au mieux les
scientifiques qui choisissent de rester. Toutefois à la fin de l’année 1938 Max PLANCK est
contraint, sous la pression nationale socialiste, de démissionner de ses fonctions à l’Académie de Prusse.
La deuxième guerre mondiale est une terrible épreuve pour Planck, il écrit :
« Quand donc cette démence prendra-t-elle fin ? ». La maison qu’il habite à Berlin
depuis 1905, est détruite. Sa bibliothèque, ses journaux, sa correspondance sont ainsi irrémédiablement perdus pour l’histoire. En juillet 1944 son second fils, Erwin PLANCK est
arrêté car il est soupçonné d’avoir participé à la tentative d’assassinat de HITLER du
20 juillet. Max PLANCK « remue ciel et enfer pour obtenir au moins que sa peine soit
commuée en emprisonnement ». Rien n’y fait, en janvier 1945 son fils est exécuté.
La guerre terminée, PLANCK est, comme beaucoup de savants, réfugié à Göttingen
et vit dans des conditions précaires. Son biographe Armin HERMAN résume ainsi la situation : « Planck était maintenant dans sa quatre-vingt-huitième année. Son corps était
recroquevillé par l’arthrose ; du marcheur et grimpeur sportif qu’il fut, il était devenu
un vieillard courbé, ne pouvant plus se déplacer qu’avec peine, en s’appuyant sur sa
canne. Lui qui avait été le maître d’une maison cultivée habitait maintenant dans un
meublé. Il avait perdu tous ses biens. Les quatre enfants de son premier mariage étaient
tous morts ».
En 1946, Max PLANCK rend un dernier grand service à la science et à l’Allemagne
en donnant son nom à la société Kaiser-Wilhelm. En effet, les Anglais en acceptent l’installation dans leur zone, à la condition que son nom, symbole du militarisme allemand,
change. Ainsi le 11 septembre 1946 le Max Planck Institut succède au Kaiser-Wilhelm
Institut, et « à la demande de toutes les personnes ici présentes, il est établi que Monsieur le Conseiller privé Planck est nommé premier Président d’Honneur de la Société
Max Planck ».
Le 4 octobre 1947 Max PLANCK s’éteint à 89 ans. EINSTEIN, qui vit alors à Princeton, écrit à Marga PLANCK cette lettre émouvante, citée par A. HERMANN : « Ainsi, votre
époux a aussi achevé ses jours, après avoir produit de grandes choses et enduré beaucoup
d’épreuves. J’ai vécu en sa compagnie une époque merveilleuse et fructueuse. Son regard
était dirigé vers les choses éternelles, et pourtant il prenait part à tout ce qui concernait
la sphère humaine et temporelle. Comme le monde aurait été différent et meilleur si plus
d’hommes de son espèce s’étaient trouvés parmi ses dirigeants. Mais cela ne semble pas
possible. La noblesse de caractère restera unique, partout et en tout temps, indépendamment des circonstances extérieures. Les heures que j’ai passées dans votre maison et les
nombreuses discussions que j’ai eues, entre quatre yeux, avec cet homme admirable
demeureront pour le reste de ma vie les plus beaux de mes souvenirs. Le fait qu’un tragique événement nous ait séparés n’y changera rien. Puissiez-vous trouver une consolaVol. 95 - Février 2001
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tion, en ces jours de solitude, en pensant que vous avez apporté dans la vie de ce grand
homme le soleil et l’harmonie. De loin, je partage avec vous la douleur et la séparation ».
MANIFESTATIONS ET APPLICATIONS DES QUANTA, UN APERÇU
La manifestation des quanta est omniprésente. Nous en donnons dans ce paragraphe quelques exemples dans divers domaines.
Tout d’abord on doit aux règles quantiques la stabilité des atomes, sans cette quantification l’électron ne pourrait pas être en orbite autour du noyau, il serait condamné à
s’écraser sur lui irrémédiablement par effet du rayonnement de freinage (EINSTEIN a
d’ailleurs fait remarquer, dès 1916, que même si le rayonnement de freinage n’existait
pas, l’électron, par son seul rayonnement gravitationnel, ne pourrait pas se maintenir sur
son orbite).
La classification périodique des éléments, introduite en 1869 par MENDELEÏEV, doit
également son existence aux quanta. Son interprétation a d’ailleurs été l’une des préoccupations de BOHR et il en présente une théorie assez avancée en 1922 lors de sa conférence Nobel. Trois nombres quantiques sont en jeu : le premier (n) a été introduit par
BOHR dès 1913 et correspond au diamètre moyen de l’orbite électronique, le second (l)
résulte du modèle de SOMMERFELD et est lié à l’excentricité, le troisième (m) définit
l’orientation de l’orbite dans l’espace. Au début de 1925 PAULI formule le principe suivant lequel deux électrons ayant des nombres quantiques identiques ne peuvent pas
coexister dans un atome (principe d’exclusion de PAULI). La même année, en novembre
1925, G. UHLENBECK et S. GOUDSMIT se représentent l’électron comme une petite sphère
tournant autour d’elle-même, ce qui lui confère un moment angulaire intrinsèque, le spin.
C’est ce quatrième nombre quantique (s) qui permettra une interprétation satisfaisante de
la construction du tableau de MENDELEÏEV. Deux électrons doivent au moins différer par
l’un des quatre nombres quantiques n, l, m ou s et, en respectant les règles auxquelles
sont soumis ces nombres, le tableau périodique se construit, comme par miracle.
La chimie, qui est régie par les interactions entre électrons périphériques du cortège,
doit également son essence même au quantum. L’application de la mécanique quantique
permet d’ailleurs de construire les orbitales atomiques et moléculaires et de prédire la
forme des molécules, et même les réactions chimiques qu’elles peuvent engager. Ce
domaine, appelé chimie quantique, a déjà démontré toute sa puissance (des molécules
possédant jusqu’à neuf cents atomes ont pu ainsi être simulées) et est riche d’un potentiel extraordinaire ; les paillasses risquent ainsi d’être peu à peu remplacées par des ordinateurs !
La forme des protéines, et par conséquent la vie même, est réglée par des mécanismes quantiques.
Les règles quantiques donnent aux atomes leur dimension, et ces dimensions sont
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directement perceptibles à l’échelle macroscopique puisque la densité des solides en
dépendent. Le magnifique spectacle du bleu du ciel est aussi le reflet de l’interaction photon-atome régi par les quanta. C’est en effet parce que la diffusion (de RAYLEIGH) par des
espèces de très petite dimension (devant la longueur d’onde l) varie en 1/l4, que notre
ciel est bleu (et que le soleil couchant est rouge).
Les propriétés électriques des solides sont entièrement liées aux exigences de la statistique de Fermi-Dirac, et les règles de quantification existant à l’échelle atomique se
retrouvent à l’échelle macroscopique ; bande de valence, bande de conduction, bande
interdite (gap), niveau de Fermi, etc. C’est, par exemple, dans ce cadre que l’on peut
interpréter la différence gigantesque de conductibilité électrique existant entre un bon
conducteur, comme le cuivre, et un bon isolant comme le soufre (le cuivre est 1023 fois
plus conducteur que le soufre, ce rapport est cent fois plus grand que celui qui existe
entre la distance Terre-Soleil et la dimension d’un atome !). Que l’on introduise des
niveaux d’énergie permis dans la bande interdite, en dopant le matériau, et l’on fabrique
un semi-conducteur. Ainsi toute l’électronique qui a bouleversé notre quotidien est le
reflet de propriétés purement quantiques !
Tandis qu’un grand nombre de propriétés électriques des solides, et en particulier
des semi-conducteurs, est régit par les règles de la statistique de Fermi-Dirac (puisque
les électrons sont des fermions), les propriétés optiques sont soumises aux exigences de
l’autre statistique quantique, celle de Bose-Einstein (car les photons sont des bosons).
EINSTEIN, en réfléchissant au mode d’interaction entre un quantum lumineux et un atome
de Bohr, a été amené à introduire en 1916 le processus d’émission stimulée (ce qui lui a
permis de retrouver, par une autre voie, la loi du corps noir de PLANCK). En 1958, un peu
plus de quarante ans plus tard, C. TOWNES conçoit le LASER et Th. MAIMAN en réalise
le premier exemplaire en 1960. Ce laser, qui est un objet purement quantique s’est progressivement introduit dans notre vie. Ses applications, innombrables, vont de la médecine à la lecture des CD et autres DVD. L’œil lui-même est un détecteur quantique ; un
homme placé dans l’obscurité pendant un certain temps est capable de percevoir l’éclat
d’une bougie placée à vingt-vinq kilomètres de lui ; les photons tombent alors sur son
œil un à un !
EINSTEIN a également prévu, dès 1924, que les particules de spin entier (des bosons),
échappant au principe d’exclusion de PAULI, pouvaient s’« agglutiner » pour former un
condensat justement nommé « condensat de Bose-Einstein ». Depuis quelques années, la
condensation de Bose-Einstein d’atome de gaz par refroidissement laser a été effectivement observée à des températures records inférieures à 100 nK. On peut même concevoir un « laser à atomes », où les photons sont remplacés par des atomes de spin entier.
Les premières expériences d’un tel laser à atomes datent de 1998 ; elles confirment les
prévisions et la cohérence du faisceau a pu être démontrée. Des applications sont d’ores
et déjà envisagées. Ainsi un interféromètre à atomes, utilisant le principe de l’interféromètre de SAGNAC, pourrait permettre d’augmenter d’un facteur 1011 la précision des
gyromètres !
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Alors que pour l’instant les condensats de Bose-Einstein sont constitués d’un
nombre restreint d’atomes, la supraconductivité, comme la superfluidité, sont des
exemples spectaculaires d’apparition spontanée d’un comportement ordonné au sein d’un
système macroscopique. La supraconductivité a été découverte dans le plomb par
H. KAMMERLINGH ONNES dès 1911, et alors que la plupart des physiciens pensaient que
la supraconductivité ne pouvait avoir lieu qu’à très basse température, en 1986 à la surprise générale, BEDNORZ et MÜLLER ont ouvert la voie des supraconducteurs haute température. La supraconductivité basse température a de nombreuses applications et permet
en particulier de produire, à l’aide de bobines, des champs magnétiques très intenses.
Cette technique est couramment utilisée en imagerie médicale (RMN), en instrumentation de précision ou en physique des particules ; c’est par exemple le cas au CERN
(Centre européen de recherches nucléaires) où seuls les « aimants supraconducteurs »
permettent de courber la trajectoire des protons du collisionneur LHC. La supraconductivité est également à l’œuvre dans l’« effet Josephson », qui grâce à l’obtention de
« supercourant » à travers une jonction tunnel, permet d’envisager de franchir un « gap
technologique » dans le domaine des composants électroniques.
Une autre manifestation macroscopique d’un aspect purement quantique est la
superfluidité. Après quelques travaux précurseurs datant de 1927, P. KAPITZA observe en
effet, en 1937, le comportement « superfluide » (le terme est de lui) de l’hélium 4 en dessous de 2,17 K. L’essentiel des travaux sur ce thème (interprétation en terme de condensation de Bose Einstein, effet Fontaine, etc.) est publié dès 1938. En 1972 D. LEE,
D. OSHEROFF et R. RICHARDSON mettent en évidence la superfluidité de l’hélium 3 pour
une température inférieure à 2,7 mK.
L’informatique pourrait également bénéficier de l’apport des quanta. Le premier
algorithme quantique (permettant la factorisation des nombres) a été mis au point par
P. SHOR en 1994. L’année suivante le même auteur a développé un code quantique détecteur d’erreur indispensable pour une utilisation pratique de l’algorithme précédent. Mais
c’est la cryptographie quantique qui fait actuellement l’objet d’un grand nombre de
recherche, les propriétés quantiques comblent en effet les vœux des services secrets : le
message est détruit parce qu’il est lu !
BIBLIOGRAPHIE
♦ HERMANN Armin. Max Planck. Éditions du CNRS, 1977.
L’édition originale, en allemand date de 1973. La traduction française est très agréable,
nous en recommandons vivement la lecture.
♦ HEILBRON John L. Planck, une conscience déchirée. Belin, 1988.
♦ PLANCK Max. Autobiographie scientifique. Albin Michel, 1960.
L’autobiographie originale a été publiée à Leipzig en 1948 sous le titre Wissenchaftliche Selbstbiographie. Max PLANCK y décrit sa vie et son œuvre. PLANCK a rédigé son
autobiographie scientifique en 1945, à l’âge de 87 ans. Ce document nous livre la
Max Planck et la naissance de la mécanique quantique
BUP no 831
BULLETIN
DE
L’UNION
DES
PHYSICIENS
359
démarche intellectuelle de Max PLANCK et est irremplaçable. Il doit toutefois être noté
que la description de certains événements est lissée par le temps et peu quelques fois
induire en erreur.
♦ KUHN Thomas S. Black - Body Theory and the Quantum Discontinuity, 1894-1912.
The university of Chicago press, 1987.
KUHN analyse en profondeur les origines de l’apparition de la discontinuité en physique. Cet ouvrage fait référence.
♦ DUCK Ian et SUDARSHAN E.C.G. 100 years of Planck’s Quantum. World Scientific, 2000.
Cet ouvrage contient une compilation d’extraits des textes fondateurs des quanta
depuis 1900 jusqu’à 1991, avec commentaires, synthèses et mises en contexte.
♦ PAIS Abraham. Albert Einstein : La vie et l’œuvre (Subtil est le seigneur). InterÉditions, 1993.
Le texte original est en anglais et date de 1982. Probablement l’un des meilleurs
ouvrages sur Einstein, très documenté.
♦ BOUDENOT Jean-Claude et COHEN-TANNOUDJI Gilles. Max Planck et les quanta. Éditions Ellipses, à paraître 1er semestre 2001.
Vol. 95 - Février 2001
Jean-Claude BOUDENOT et Gilles COHEN-TANNOUDJI

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