Sécurité : la course au toujours plus
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Sécurité : la course au toujours plus
Le Soir Vendredi 20 mai 2016 4 L’ACTU DISPARITION DE L’AVION D’EGYPTAIR Sécurité : la course au toujours plus ien ne permet, jusqu’ici, de relier la disparition du vol R MS804 d’Egypt Air ni à un accident, ni à des intentions terroristes. Quelles qu’en soient les causes, rappeler après chaque catastrophe aérienne que le risque zéro n’existe pas ne suffira jamais. L’aérien fascine, déjà parce que le moindre accident se déroule à des vitesses et à des altitudes généralement mortelles. Voler à plus de 800 km/h et à 10 km d’altitude ne sera jamais une activité « normale ». En plus, souvent, il y a beaucoup de monde à bord, ce qui rend l’horreur collective. Plus encore quand les causes ne sont pas liées à des problèmes techniques, globalement assez rares dans les compagnies aériennes « occidentales », mais bien humains : erreur de pilotage, « suicide collectif » imposé par un copilote dépressif, cible d’un mis- sile durant le survol d’une zone en guerre, explosion dans le cadre d’un attentat. Globalement, les statistiques sont pourtant là pour le confirmer, les 3,6 milliards de passagers qui ont pris un avion en 2015 ont pris moins de risques pour parcourir des milliards de kilomètres que les nombreux navetteurs qui utilisent leur voiture, chaque jour, pour aller au boulot. L’association des compagnies aériennes a beau répéter que 2015 a été l’année la plus sûre de l’histoire de l’aviation, après 2014 qui était déjà l’année la plus sûre, et 2013, etc., rationnellement le secteur de l’aviation est intimement lié, voire hypersensible, aux matières de sécurité. Les mesures exceptionnelles de sécurité prises, en Belgique, dans la suite des attentats à Brussels Airport l’illustrent. La Belgique est le seul pays euro- péen, à l’heure actuelle, à imposer un screening préalable des passagers avant leur entrée dans les halls de départ. Est-ce suffisant. Est-ce utile ? À la simple annonce du probable accident de l’avion d’Egypt Air, de nombreuses questions concernant les mesures de sécurité au sol et à bord pour éviter les accidents et les attentats ont resurgi. Les contrôles sont-ils suffisants ? Le seront-ils jamais assez ? La principale crainte des spécialistes de l’aérien concerne les « complicités de tarmac », la menace venant en direct du personnel des aéroports ayant accès aux avions, pas les candidats terroristes qui arriveraient à monter à bord comme passagers. L’attentat dans le hall des départs de Brussels Airport ne rentre pourtant pas dans ce schéma. Les scénarios catastrophes liés au secteur aérien semblent sans limites. La course au toujours plus de sécurité paraît surtout sans fin. Les aéroports constitueront toujours des cibles parce qu’ils concentrent des passagers, de nombreuses nationalités ce qui peut multiplier l’impact médiatique et public. Ça ne change- La principale crainte des spécialistes de l’aérien concerne les « complicités de tarmac » ra jamais. Des avions au sol, avec leurs passagers à bord, constitueront toujours autant de cibles potentielles accessibles depuis l’extérieur des installations, depuis le toit d’un parking, une route adjacente, un champ voisin. Le pourtour de l’aéroport national fait plus de 20 kilomètres. Faudrait-il les ceinturer d’un mur de 10m de haut ? Ou La France dépêche des enquêteurs de 20m ? L’objectif des terroristes est de marquer les esprits et de faire peur en essayant d’y accoler leur message, une revendication. La « mode » des détournements d’avion date des années septante. Certaines années en ont compté plus de 30. La sécurité à bord (accès au cockpit) et dans les procédures d’embarquement (bagages passés aux rayons X et aux détecteurs d’explosifs) a, depuis lors, beaucoup évolué. Des responsables aériens résumaient récemment que tout le temps, les investissements techniques et l’efficacité gagnés ces dernières années en termes d’accès dans les aéroports (systèmes de parkings, comptoirs d’enregistrement, e-ticket, auto-enregistrement des bagages…) ont été reperdus en multiplication des contrôles de sécurité. ■ ERIC RENETTE Le Bureau d’enquêtes et d’Analyses (BEA) va dépêcher trois enquêteurs au Caire accompagnés d’un conseiller technique d’Airbus afin de participer à l’enquête de sécurité. Ils devraient arriver dans la nuit de jeudi à vendredi. « Conformément aux dispositions internationales, le BEA, représentant l’Etat de conception de l’avion, participe à l’enquête », indique un communiqué. (afp) Des recherches internationales Des avions turcs, grecs et français ainsi qu’une frégate grecque participent aux recherches de l’avion d’EgyptAir, a indiqué un porte-parole de la Marine française. Par ailleurs, l’administration américaine a envoyé jeudi un avion de patrouille maritime sur zone. (afp) Trump et Clinton réagissent En pleine course à l’investiture, et alors que la piste terroriste n’a pas encore été confirmée, les deux candidats américains Hillary Clinton et Donald Trump ont déploré « l’attentat » contre le vol MS840. (afp) La sécurité a été renforcée à l’aéroport de Roissy, vu par beaucoup de spécialistes comme l’un des plus sûrs au monde. © REUTERS. ENTRETIEN « Une toute petite explosion suffit » Rio-Paris. Cela risque néanmoins de prendre du temps. Si c’est une bombe qui a explosé dans l’appaAndré Clodong est un consultant spécialisé reil, cela pourrait signifier l’implication de dans le transport aérien. personnes ayant accès au tarmac de Roissy Quels sont, selon vous, les scénarios les plus (bagagistes…) ? crédibles pouvant expliquer le crash de Oui, effectivement, même s’il faut se garder de l’avion d’Egypt Air ? trop spéculer. La prise en compte du risque lié Il est difficile d’écarter la piste de l’acte terroaux personnes ayant accès au tarmac a longriste. L’avion volait normalement et il s’agissait temps été un maillon faible dans la sécurité des d’un appareil fiable. Depuis son lancement, il a avions mais je pense qu’aujourd’hui, les aéroconnu quelques accidents mais c’est parce qu’on ports ont pris les mesures adéquates. Pas mal de en a vendu énormément. Proportionnellement, travailleurs ont été renvoyés ces derniers mois à ces accidents représentaient peu de chose. Les Roissy parce qu’ils avaient un profil à risque. On pilotes quant à eux n’ont pas attiré n’est plus dans une situation de l’attention sur un problème. Et puis laisser-faire dans les aéroports. subitement l’avion s’est mis à faire Les moyens financiers pour assudes mouvements brusques… Y a-t-il rer la sécurité sont là. Mais si eu une intrusion de pirates dans le quelqu’un veut vraiment faire le cockpit ? C’est difficile à dire. Cela mal, c’est difficile de lutter contre pourrait aussi être une bombe qui cela. Aucun système n’est inexplose. Il suffit d’une toute petite faillible, même dans un aéroport explosion. Si la carlingue est percée, comme celui de Roissy qui figure il y a dépressurisation et l’avion se André Clodong parmi les plus sécurisés au désintègre. Ou alors une histoire de est consultant monde. en aéronautique. © D.R. suicide comme dans le cas de l’avion Une bombe placée dans un de la Germanwings. J’exclurais par bagage pourrait-elle passer les contre la piste du missile sol-air. L’avion était contrôles de sécurité d’un aéroport comme trop haut dans le ciel et trop éloigné des côtes Roissy ? pour qu’il puisse être touché. En théorie non mais il peut toujours y avoir une On connaîtra la vérité quand on aura récupéfaille dans le contrôle humain. Certains aéroré les boîtes noires ? ports sont équipés de portiques qui détectent les Oui. C’est moins facile de les récupérer en mer explosifs mais vu leur prix, ils ne sont pas répanque sur terre mais c’est possible comme on l’a vu dus partout. dans le cadre du crash de l’Airbus d’Air France JEAN-FRANÇOIS MUNSTER tour-opérateurs Les accidents ont peu d’impact sur les réservations es attentats à l’aéroport de Bruxelles d’abord. Le crash L probable d’un avion, qui a décollé d’un grand aéroport européen, pas d’une structure démunie et mal contrôlée. Ça fait beaucoup en peu de temps. De quoi restreindre les envies de voyager par les airs ? Pas certain. « L’expérience montre qu’après un accident ou une catastrophe, dans l’aviation ou ailleurs, il y a un impact temporaire dans l’esprit des consommateurs qui s’efface assez rapidement, remarque Hans Vanhaelemeesch (Jetair). Structurellement, il n’y a pas de grand impact. Ici, fatalement, ça ne va pas stimuler les réservations vers l’Égypte mais, indépendamment de cet accident, nous avions déjà adapté notre offre vers l’Espagne, les Caraïbes, le Cap-Vert… » « Le tout aura peut-être à voir avec la raison pour laquelle cet accident a eu lieu, nuance Koen van den Bosch (Thomas Cook). Mais les Belges ne laissent généralement pas tomber leurs vacances. On voit bien qu’il retarde un peu les réservations, que les destinations sont redistribuées, mais on voyait que les réservations repartaient à la hausse depuis deux semaines. Jusqu’ici, un accident d’avion n’a jamais eu d’impact direct sur les réservations. Par contre, suite aux attentats de Paris et de Bruxelles, on a constaté un ralentissement. » Une analyse confirmée par Brussels Airlines. « Le nombre de passagers ne cesse d’augmenter d’année en année, on augmente également le nombre de nos des- de Bruxelles, qui n’avaient aucun lien avec le secteur aérien. Après un accident d’avion, les gens continuent généralement de voyager, comme ils n’arrêtent pas de prendre le bus après un accident de bus. Le besoin de voyager en avion ne change pas. » Confirmation, partielle, par les chiffres. En mars, l’aéroport national de Brussels Airport a accueilli 1,2 million de passagers et 1,1 million en avril. Ça représente des pertes de 29 % en mars « Le nombre de passagers ne cesse d’augmenter, tout comme celui de nos destinations » WENCKE LEMME tinations, rappelle Wencke Lemmes. Et aux lendemains de l’attentat à Brussels Airport, on sentait bien que les gens voulaient malgré tout partir pour leurs vacances de Pâques, d’où l’urgence, pour nous, d’organiser des solutions alternatives via Liège ou Anvers. Par contre, pendant six à huit semaines, on avait ressenti une vraie diminution de la demande après les attentats de Paris ou le lockdown * et 46,5 % en avril, certes, mais elles font suite aux limitations des activités suite aux attentats (arrêt complet des vols passagers du 22 mars au 3 avril, limitation du nombre de vols ensuite), pas à une diminution de la demande. Globalement, la confiance des voyageurs se rétablit : le taux d’occupation des appareils atteignait 70 % dès la seconde moitié d’avril. ■ É.R. 4