Lily Marie-Ange Mahy Je m`appelle Lily. J`ai sept ans. Je vis à Anloy

Transcription

Lily Marie-Ange Mahy Je m`appelle Lily. J`ai sept ans. Je vis à Anloy
Lily
Marie-Ange Mahy
Je m’appelle Lily.
J’ai sept ans.
Je vis à Anloy, dans la ferme de Bon-Pa et la vieille. Ce sont mes grands-parents.
Il y a aussi Guiguy, mon petit frère et Nonnonc, le frère de Bon-Pa.
Nonnonc !
Faut que je vous dise…
Ils lui ont toujours dit non.
Non, tu partiras pas de chez nous.
Non, tu ne te marieras pas.
Non, tu ne coucheras pas chez nous.
Tu coucheras dans l’étable de la vieille cense.
Oh, tu seras pas tout seul !
On t’a gardé la Juliette, la dernière petite truie de la Julia.
Prends-là avec toi ! Tu seras son Romeo...
Qu’est-ce que tu en dis ?
Nonnonc ne dit rien.
Il ne dit jamais rien.
Ni oui, ni non…
Depuis que cela dure, les injures, les brimades, les humiliations, les renoncements,
il est devenu un tas de résignation et de soumission aveugle.
Il est une sorte d’animal domestique, bien dressé.
Le samedi, c’est pas au bal que Nonnonc emmène sa Juliette mais au ruisseau.
Il la savonne et la brique au pur savon de Marseille.
Il la rince à l’eau claire et lui parfume le groin à la menthe sauvage.
Un amour de petite cochonne !
- Allez ma petite fiancée, viens, on rentre.
Je vais te mettre ton collier de velours rouge et on va danser, danser...
Au retour, il met en marche le vieux phonographe et ils valsent tous les deux
comme de vieux amoureux.
« C’est la valse brune des chevaliers de la lune
Chacun avec sa chacune la danse le soir... »
Le dimanche, il la gâte, sa Juliette : pommes de terre en robe des champs, et quand
c’est la saison, une bonne poignée de glands ou de faines, elle en raffole.
L’après-midi, il la promène dans le village au bout d’une corde sans collier de
velours.
Sinon vous pensez bien, les gens penseraient à mal !
- Alors, Nonnonc, quand est-ce que tu la maries, ta Juliette ?
- Tas de fumiers, quand les poules auront des dents, tiens !
Puis il passe par le cimetière, là où est couchée la Rose, sa bonne amie morte à
vingt ans d’une balle perdue à la saison de la chasse.
Oh, les mauvaises langues disent que Bon-Pa y serait pour quelque chose, question
héritage.
Et oui, si Nonnonc avait épousé la Rose, il aurait fallu partager la ferme et les
terres.
Et ça, la vieille et Bon-Pa y étaient farouchement opposés.
Nonnonc dépose sur la pierre noire le bouquet de pissenlits qu’il a cueilli le long du
chemin.
Il pleure doucement avec des petits grelots dans la voix.
La Juliette, elle, elle attrape les pissenlits et elle n’en fait qu’une bouchée.
La fiancée, après tout, c’est quand même elle !
Nonnonc la ramène à la porcherie.
Il lui a préparé un lit de foin mêlé de bleuets, de fougère et de thym sauvage.
Elle s’y vautre avec des couinements de plaisir.
« Bonne nuit ma belle ! A samedi prochain.
- Eh, Lily, les gitans sont rev’nus, me crie Nonnonc qui revient des champs.
Je cours au bout du village.
Là, à l’entrée du bois, comme l’an passé, des roulottes peintes en rouge, en bleu
turquoise et jaune soleil.
Des femmes en jupes bariolées, des enfants marron, tannés par le bel été et des
hommes qui, le soir tombé, jouent du violon.
La vieille nous interdit de les approcher, de leur parler.
Ils ne sont pas d’ici et ça suffit pour en faire des pestiférés.
C’est la saison des mûres et il y en a plein dans ce coin là.
Je vais en cueillir pour la vieille.
Elle n’aura rien à redire.
J’ai une excuse en béton.
Mon petit seau est presque rempli quand surgit de derrière les buissons, un garçon.
- Eh, fille, tu m’en donnes ?
Je ne vois que ses grands yeux noirs remplis de soleil et son air effronté.
- Allez, une poignée, une poignée...contre un baiser.
Moi : Chiche !
Lui : Chiche !
Je cueille les mûres les plus mûres, les plus grosses.
Je m’avance vers lui et je lui tends ma main.
Il se penche et il avale goulûment les fruits sucrés.
Il lèche ma main comme un bon chien.
Puis, il relève la tête, il m’attrape par les épaules, il me cale contre lui et il dépose
un baiser rouge mûre sur mes lèvres.
Mon premier baiser,
mon premier baiser fruité,... un goût d'éternité !