Exploration touristique des rivières de France, entre description et

Transcription

Exploration touristique des rivières de France, entre description et
Belgeo
Revue belge de géographie
3 | 2012
Géographie des guides et récits de voyage
Exploration touristique des rivières de France,
entre description et mythification (1904-1924)
Tourist exploration of French rivers, between description and mythologizing
(1904-1924)
Eric Levet-Labry
Éditeur
Société Royale Belge de Géographie
Édition électronique
URL : http://belgeo.revues.org/7151
DOI : 10.4000/belgeo.7151
ISSN : 2294-9135
Référence électronique
Eric Levet-Labry, « Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythification
(1904-1924) », Belgeo [En ligne], 3 | 2012, mis en ligne le 13 mars 2013, consulté le 02 octobre 2016.
URL : http://belgeo.revues.org/7151 ; DOI : 10.4000/belgeo.7151
Ce document a été généré automatiquement le 2 octobre 2016.
Belgeo est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0
International.
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
Exploration touristique des rivières de
France, entre description et
mythification (1904-1924)
Tourist exploration of French rivers, between description and mythologizing
(1904-1924)
Eric Levet-Labry
1
Les déplacements touristiques constituent à l’aube du XXe siècle une activité qui, après
avoir été réservée à l’aristocratie, se diffuse dans les classes bourgeoises (Boyer, 2002).
Avec la popularisation des moyens de transport et leur multiplicité, en peu de temps on
passe des voitures attelées, au rail, à la bicyclette, puis à l’automobile (Bertho-Lavenir,
1999). Cela engendre une démocratisation du voyage et le développement du tourisme. Ce
tourisme est aujourd’hui communément entendu comme un déplacement hors de son lieu
de résidence habituel, nécessitant un hébergement, dans un but de loisirs, un but
professionnel (tourisme d’affaires) ou un but sanitaire (tourisme de santé). Cette
définition de l’Organisation Mondiale du Tourisme, si elle permet une homogénéisation
des données à des fins statistiques, reste trop générale et limitée. Le tourisme envisagé
comme “un système d’acteurs, de pratiques et de lieux qui a pour finalité de permettre
aux individus de se déplacer dans leur récréation hors de leurs lieux de vie habituels afin
d’aller habiter temporairement d’autres lieux” (Knafou & Stock, 2003) répond à la volonté
de ne pas dissocier le touriste du lieu touristique. Cette conception permet d’envisager le
système touristique dans son ensemble. Cependant cette définition est à compléter,
compte tenu de la période étudiée, par l’apport de certains auteurs qui qualifient
l’activité touristique du terme d’excursionnisme cultivé. Ce terme est éloigné de la
définition d’usage mettant en avant un déplacement de loisirs en dehors de
l’agglomération urbaine, sans hébergement hors du domicile (Herbin, 1983 ; OMT, 1995).
Il renvoie, en ce début de XXe siècle, à “une pratique cultivée, très proche de l’activité des
sociétés savantes” (Hoibian, 2000, pp. 56-57). Cet excursionnisme autorise les sociétés
d’encouragement, qu’elles soient montagnardes ou nautiques, à jouer un rôle
Belgeo, 3 | 2012
1
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
d’intermédiaire culturel en permettant aux fractions intellectuelles de la bourgeoisie
récente “de se doter des propriétés de sociabilité des milieux cultivés”. En effet, les
voyages sont lents et la plupart des déplacements de loisirs engendrent la découverte de
nouvelles destinations et nécessitent de prévoir un hébergement. Cependant, pour des
raisons de compréhension, le terme excursionnisme sera employé dans son acception
actuelle prenant en compte toute personne dont la durée de séjour ne dépasse pas une
journée.
2
Ainsi, la multiplication des transports et leur régularité, liée à l’homogénéisation du
temps (l’horaire parisien est imposé à toute la France en 1891) permettent de développer
les voyages tout en favorisant l’émergence de nouvelles temporalités urbaines. Cela offre
aux citadins la possibilité de s’évader de la ville en construisant la nature et la campagne
vues comme des “espaces sanitaires et comme des lieux possibles d’un loisir régénérateur
et revigorant” (Csergo, 1995). Les citadins aisés sortent des villes industrieuses, polluées
(Gastinel, 1894 ; Lacassagne, 1891) pour construire un espace de loisir proche de la nature
offrant une parenthèse dans leur temps de citadin (Baubérot, Bourillon, 2009).
3
Dans un premier temps ce tourisme, issu du grand tour d’Europe, inventé par les
aristocrates britanniques au XVIe siècle, se diffuse dans l’aristocratie durant les XVII e et
XVIIIe siècle. Il permet d’achever une éducation destinée à former des hommes du monde
et des hommes d’Etat (Millet, 2000). Ainsi, le tourisme se trouve essentiellement centré
sur la formation des élites, de l’aristocrate et la découverte des capitales européennes
(Wagner, 2007 ; Roche, 2003). Ce grand tour, balisé par des itinéraires urbains, se
systématise et se diffuse auprès de la bourgeoisie marchande du XIXe siècle. Il s’agit de
découvrir les grandes villes européennes. Cet itinéraire de formation permet aux jeunes
gens de s’initier aux voyages internationaux tout en acquérant la connaissance du vieux
continent et en se familiarisant avec les diverses pratiques du commerce. Ces voyages
indissociables des activités économiques se poursuivent tout en laissant une place
importante à l’activité touristique mêlant curiosité et désœuvrement. Puis, avec le
développement de nouveaux moyens de communication et de transport, le tourisme tend
“à satisfaire, dans le loisir, un besoin culturel de la civilisation industrielle” (Boyer, 2005). Ainsi,
le touriste, par son désir de s’éloigner de la ville, va, durant son temps de loisir, se
rapprocher de la nature, en respirer l’air pur tout en se cultivant et en découvrant le
patrimoine culturel (Drouin, 2008). Le nautisme est acteur de cette évolution en
participant à la mise en tourisme des rivières de France.
4
Le Canoë Club (CC), créé en 1904, soutenu par le Touring Club de France (TCF) et le Yacht
Club de France (YCF), suit cette voie. Le club est accueilli dans les locaux parisiens du TCF
et du YCF lors des réunions, est invité à présenter ses activités sur leurs stands, comme
par exemple, au salon automobile de 1907 ou, toujours en 1907, au salon maritime de
Bordeaux. Le CC poursuit ses activités de propagande visant à développer le tourisme
nautique lors de l’exposition universelle de Bruxelles en 1910 et lors de réunions
nautiques organisées par le TCF et le YCF. S’adressant à un nombre restreint de
sociétaires (moins d’une centaine en 1906), le CC n’en est pas moins actif. Ses membres
explorent les rivières et identifient les difficultés qui entravent la navigation. Dans le
même temps le TCF, fort de ses 90000 membres (Larique, 2006), crée un Comité du
tourisme nautique en février 19041 et met en place des aménagements nautiques pour
permettre le développement de la navigation touristique. Il y a une réelle
complémentarité de vue entre ces grandes sociétés.
Belgeo, 3 | 2012
2
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
5
Constitué autour de la sociabilité à l’image des Grands Cercles du XIXe siècle (Agulhon,
1977 ; Grévy, 2003), le CC recrute ses adhérents dans les classes aisées par l’entremise du
parrainage. Issus de l’aristocratie, de la grande bourgeoisie et de la bourgeoisie (Hajek,
2007), ces canoéistes, hommes d’âge mûr, s’affirment en s’opposant aux autres types de
pratiques nautiques des bords de Marne (refus de l’image des “canotiers à canotières”,
refus de la compétition,…) qui utilisent périssoires, podoscaphes, yoles et outriggers pour
se divertir ou faire du sport en fin de semaine. Les membres du CC se tournent
résolument vers le tourisme en canoë, ils pratiquent dans un premier temps dans des
canoës français puis, dans un second temps, dans les canoës canadiens, plus solides et
plus maniables. Ainsi, les membres du club vont favoriser une pratique liant tourisme et
activité nautique.
Figure 1. Exploration de l’Eure en canoë français, 1910.
(ADC 152J22, collection Knecht)
6
Cette orientation transparaît jusque dans les statuts du club qui mettent en avant
l’encouragement au tourisme nautique, “mieux que cela même, une union de tous ceux
qui font leurs délices du tourisme sur l’eau, afin que leur groupement devienne un jour
une puissance capable de venir à bout de toutes les difficultés”2. Ainsi, très tôt les
membres du CC participent à la mise en tourisme du territoire en explorant, décrivant,
topographiant, photographiant les fleuves et rivières pour en permettre la navigation et
développer le tourisme en canoë.
7
Les canoéistes, ouvreurs des voies (Boyer, 2002), de routes liquides, compilent des
informations et les font partager aux autres adeptes des sports nautiques grâce au
bulletin mensuel du CC. Ils interviennent aussi lors des conférences organisées dans les
salons du YCF, du TCF, de la Société Française de Photographie et participent à la
sociabilité bourgeoise parisienne. Ces “conférences avec projections sont un des plus actifs et
des plus attrayants moyens de propagande”3. Elles prennent la forme de causeries à partir de
récits de croisières, de présentations d’excursions et d’explorations, conférences
entrecoupées d’intermèdes musicaux. Ces manifestations visent à faire connaître et à
encourager la diffusion de la pratique nautique dont l’expansion est favorisée par la
Belgeo, 3 | 2012
3
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
démocratisation des moyens de transport (notamment du chemin de fer (Csergo, 2004)),
les progrès de la technique et les moyens de communication (Bretin, 2002).
8
Ainsi, les membres du CC sillonnent les rivières de France et rendent compte de leurs
périples au travers de comptes-rendus dans le Bulletin mensuel du Canoë Club et de récits de
voyages. Une étude du Bulletin mensuel et des récits de croisières4 permettra de mettre en
lumière l’importance de cette forme de littérature de voyage dans la construction du
paysage et de ses représentations, cela permettra également de comprendre la façon dont
se structure le territoire, en d’autres termes la façon dont s’organise l’aménagement des
bords de rivières dans le but de favoriser le développement du tourisme nautique.
9
La période choisie constitue une opportunité pour analyser le développement du
tourisme nautique. En effet, le CC se met en place en 1904 pour valoriser le tourisme
nautique et se positionne contre les pratiques de confrontation, pratiques sportives et
compétitives mises en avant sur la Seine et la Marne par les sociétés nautiques d’aviron. Il
s’agit avant tout d’un tourisme cultivé regroupant des personnes de même origine sociale
et s’adonnant à la même passion pour le nautisme tout en explorant les rivières. En
rendre compte à travers les récits de croisières permet au canoéiste de se positionner
dans le club en tant qu’aventurier ou explorateur. Le cours d’eau devient un espace de
sociabilité (Vivier, 1999) et d’aventures. Cette pratique de loisir, qui s’adresse à des gens
aisés, perdure jusque dans les années 1920. En effet, en 1924, pour la première fois, le club
fait paraître dans les colonnes de son bulletin une proposition de classification des
rivières en fonction des difficultés et des caractéristiques physiques (pente, obstacles,
largeur, débit,…)5. A partir de cette date, même si la pratique du tourisme nautique
perdure, elle va peu à peu être supplantée par une course à la difficulté, à l’exploit
physique, prémices d’un virage sportif (Hajek, 2007).
Une littérature construisant le paysage
10
Le récit de croisière n’est pas destiné au simple voyageur, ne représente pas seulement
“une utilité pratique … pour les étrangers, les hommes d’affaires et les nombreux
promeneurs qui aiment à parcourir et à étudier les beaux sites”6. Il ne s’agit pas
seulement de montrer, de façon exhaustive, au voyageur les lieux de visite et la manière
d’y vivre (Vajda, 2006). Le récit de croisière reste une production particulière prenant la
forme d’une correspondance, d’un journal ou d’un mémoire qui, même s’il découpe
l’exploration des rivières en étapes et consacre une partie du propos à l’hébergement, la
restauration et la description des monuments, permet aux auteurs de rendre compte de
leur implication dans le voyage. Les auteurs font partager leurs sentiments, leur vision du
voyage, leur façon d’avancer au milieu des paysages, descriptions rarement neutres qui
mettent en avant une “mythologie sauvage”.
11
La définition du récit de croisière transparaît dans plusieurs articles des bulletins du CC
parus entre juin 1906 et avril 1911. Il s’agit, d’une part, de définir les normes que doit
prendre un récit de croisières et d’autre part donner les modalités d’évaluation des récits
déposés. En effet, ces récits de croisières sont primés : un concours de récits de croisières
est organisé chaque année par le CC. Cette action est soutenue par le TCF et le YCF qui
offrent des médailles aux meilleures productions. Le premier prix est d’importance
puisque s’agit, par exemple en 1906, d’un canoë offert par Albert Glandaz7, fondateur du
CC, greffier en chef au tribunal de Paris, mais aussi et surtout propagateur des sports
nautiques. Il soutient financièrement le club et les sports nautiques en offrant des prix
Belgeo, 3 | 2012
4
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
mais aussi en essayant de lancer, comme c’est le cas en janvier 1909, la revue du tourisme
nautique.
12
Ces concours de croisières primés sont ouverts à tous les membres du CC. Les membres
qui veulent y prendre part et qui ne possèdent pas d’embarcations personnelles, peuvent
emprunter, pour une période ne pouvant dépasser un mois, les trois canoës mis à leur
disposition8. Le règlement impose aux candidats d’exécuter une croisière sur des rivières,
lacs, canaux, côtes de France ou à l’étranger. Ils doivent faire viser une feuille de route à
chaque étape par les représentants nautiques (clubs, sociétés ou membres du TCF). Ils
remettent à leur retour “un récit documenté, si possible illustré”.
13
Ainsi, parallèlement et complémentairement au récit, se développe une autre façon de
rendre compte du voyage : l’illustration par la photographie. Dès 1904, la photographie et
les cartes postales agrémentent les récits. Rapidement, elle va avoir toute sa place dans
les récits de croisières pour en marquer de façon très précise les temps forts. Les
canoéistes sont équipés d’appareils photographiques tels que le Vérascope Richard avec
retardateur, le Glyphoscope (1904) permettant la photographie stéréoscopique sur
plaques de verre ou simplement un Kodak. Ils gardent, ainsi, des traces de leur passage
qui témoignent de la véracité de leur expédition.
Figure 2. Photographie prise avec un Glyphoscope Richard sur la Sèvre nantaise 1911.
(ADC 152J25)
14
La photographie devient le témoin de l’expédition mais aussi le reflet de l’aménagement
des fleuves et rivières et fixe sur le verre les curiosités touristiques à visiter.
15
Ainsi, le récit répond à une forme particulière de littérature comme l’indique un article
d’Emile Dacier qui paraît dans le Bulletin mensuel du CC en août 1907. Il s’intitule “Qu’estce qu’un récit de croisière ?” et précise que “ce n’est pas tout de savoir ramer, il faut
encore savoir voir”. L’auteur insiste pour que le récit soit le résumé des impressions “du
voyage fait en bateau” et doit comprendre aussi les “impressions ressenties hors du
bateaux c’est-à-dire terrestres”. Il ne s’agit pas uniquement de dire “qu’on s’est levé tôt,
qu’on a mis [forcé] comme un sauvage, qu’on a bu sec et mangé dru”, mais bien d’attiser
le désir des autres membres du CC pour qu’ils naviguent sur la rivière explorée dont le
premier aura relevé les attraits.
16
Pour rendre l’information plus objective, des règles sont établies pour les récits et
comptes rendus de voyage. Yasmine Marcil (2007) montre qu’un certain consensus
s’établit dans cette littérature autour de trois normes : travail critique, volonté
Belgeo, 3 | 2012
5
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
d’information du lecteur et évaluation du récit proposé par les voyageurs. Ces
orientations se retrouvent dans les conseils donnés aux membres du CC désirant
participer au concours de récits de croisière. Ainsi, les explorateurs nautiques sont tenus
de multiplier les sources d’informations et de collecter les renseignements pratiques
permettant d’organiser le voyage. Ces données permettent aux touristes de s’arrêter dans
les lieux remarquables, de visiter les monuments et de contempler les paysages dignes
d’intérêt. Enfin, le récit de croisière est aussi “un guide d’un genre spécial” dans lequel
sont consignés les bons hôtels et les bonnes tables. En fait, Emile Dacier demande aux
canoéistes de sortir de leur embarcation, de s’écarter de la rivière pour aller, à pied, dans
les villages, visiter les églises, les châteaux pour en rendre compte. Il s’agit donc de voir,
de visiter et non simplement se référer au guide Joanne communément utilisé par les
touristes nautiques. Ainsi, répondre aux critères d’un récit de croisière permet d’éviter
les images inexactes, tronquées et de voir les objets avec trop de rapidité (Montègne,
2009). Il y a donc une certaine fascination mais aussi méfiance vis-à-vis des descriptions
de voyage qui ne rendrent pas toujours compte de la réalité.
17
L’inscription du récit de croisière dans ce cadre va avoir une incidence sur la construction
des paysages considérés comme un espace, un territoire et la représentation qu’il en est
fait. Comme l’indique Sophie Bonin (2001) la reconnaissance d’un territoire comme
paysage n’est qu’une facette de l’ensemble des représentions du territoire, facette qui a
l’avantage d’être conçue et perçue comme collective, partageable au sein de la société.
18
Les concours de récits de croisière participent à cette construction, à cette diffusion de la
représentation. Les modalités de sélection mises en place dans les concours de récits de
croisière renforcent encore cette orientation. Le jury, composé de membres de sociétés
nautiques ou touristiques, fait partie du réseau relationnel du CC (TCF, YCF, Fédération
des rameurs indépendants…). Le TCF est surreprésenté à travers son comité nautique et
l’association des amateurs photographes9. Il joue, dans ce cadre, son rôle qui est de
stimuler et valoriser des actions en faveur du développement du tourisme.
19
Les critères d’évaluation des productions littéraires marquent aussi l’importance donnée
à la construction du paysage par les explorateurs nautiques :
• Point de vue de la navigation et du tourisme, les renseignements et observations recueillis
(maximum : 100 points)
• Importance du voyage, considérée au point de vue de la distance parcourue et de la difficulté
du parcours (maximum : 50 points)
• Valeur littéraire du récit (maximum : 50 points)
• Illustration (maximum : 50 points)
• Présentation générale du rapport (maximum : 50 points)10.
20
Au regard de ces critères il apparaît rapidement que le voyage et la difficulté du parcours
sont minorés par rapport à sa narration. Il s’agit bien de mettre une aventure en
littérature : la réalisation de l’exploration reste le support d’une production de récit.
L’objectif est double, il s’agit d’abord de permettre la reproduction du parcours en
donnant des informations sur la navigation et, aussi et surtout, sur les modalités de
réalisation du voyage. D’autre part les récits doivent, comme le dit P-V. Stock dans un
article du Bulletin de CC intitulé “Sur un récit de croisière en canoë”11, constituer de
véritables joyaux littéraires, des chefs-d’œuvre d’expression, d’images originales, de
bonhomie, d’humour, mettant en avant une “charmante et fine observation”. Il s’agit bien
au-delà du respect des modalités de concours, de mettre en littérature le paysage, de le
Belgeo, 3 | 2012
6
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
construire. C’est un réel travail sur les représentations, les discours, la place des paysages
dans la construction du monde (Claval, 2003).
Représentations et mythification du milieu naturel
21
“Tout voyageur s’engage concrètement avec son corps dans une série de trajectoires qui
sillonnent un espace donné : il traverse une certaine région en se livrant à des
observations aussi bien tout au long de sa marche que dans certains points éminents où il
s’arrête. La relation entre les parcours matériellement effectués par le voyageur et les
parcours que celui-ci décrit dans son récit n’est (forcément) pas directe. En d’autres
termes, la mise en intrigue des déambulations du voyageur résulte d’une réélaboration
inventive des itinéraires effectivement accomplis lors du voyage” (Stopani, 2009). Ainsi, le
voyage nautique participe à une représentation du milieu naturel. Les explorateurs
nautiques réinventent les contrées qu’ils explorent pour magnifier leur randonnée et la
rendre extraordinaire au regard de l’espace urbain qu’ils viennent de quitter. La rivière
devient à la fois support de pratique (Clary, 1976) et lieu de rupture utopique par rapport
à l’univers urbain (Bourdeau, 2007). Il y a une véritable construction touristique des
rivières et des rives autour de valeurs associées aux sites, aux paysages, à l’esthétisme et
la patrimonialisation (Equipe MIT, 2011, pp. 212-215).
22
Les fleuves et les rivières en ce début de XXe siècle sont pollués, souillés par les égouts en
aval des villes, parfois ils sont laissés à l’abandon depuis que le rail a supplanté le
transport fluvial (Kunz, 1992), les berges et prairies se transforment avec
l’industrialisation qui, comme le montre Noëlle Gerome (1996) dans son étude sur la
SNECMA (Société Nationale d’Etude et de Construction de Moteurs d’Avions) et
Gennevilliers, devient un obstacle à la navigation. Or, même si ces faits sont parfois
relevés dans les récits de voyage, les canoéistes, dans leur grande majorité, présentent
d’une façon idyllique et romantique le monde qui les entoure. Par exemple, la pollution
des eaux est minorée par rapport à la description des paysages. Les récits de croisières
mentionnent les inconvénients liés à la pollution comme les rejets des papeteries ou des
entreprises de rouissage12, mais, dans cette première partie de siècle, les canoéistes
mettent surtout en avant la nécessité d’aménager les rivières pour les rendre accessibles
aux touristes nautiques.
23
Cela transparaît lors des préparatifs au voyage qui ressemblent assez à ceux d’une
expédition dans les colonies13. Les informations rassemblées avant le départ ne sont pas
fiables, les cartes et le Bottin ne sont pas à jour. Ainsi, les canoéistes, dans des canoës
lourdement chargés, sont confrontés à des obstacles imprévus qui retardent leur
progression sur la rivière. Equipés pour être autonomes lorsqu’il faut pallier le manque
d’hébergement, les explorateurs entassent le matériel au fond du bateau : les conserves et
les ustensiles de cuisine rejoignent le sachet de braises du boulanger (rapidement
remplacé par le fameux réchaud à pétrole Primus, réchaud des navigateurs des années
1900) au milieu de la tente, du matelas pneumatique et du chariot pliable qui permet de
rouler le canoë sur les chemins empierrés lorsque les passages sont infranchissables. A
cela il faut ajouter le matériel photographique et le nécessaire à la prise de notes.
Belgeo, 3 | 2012
7
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
Figure 3. Le canoë est lourdement chargé, Ain 1913.
(ADC 152J25, collection Monneret)
24
Le terme d’explorateur n’est pas usurpé pour caractériser ces “ouvreurs de voies”, qui vont
compiler des informations et les faire partager. Cependant cela reste un mythe entretenu
par les membres du club qui, malgré les difficultés inhérentes à l’exploration des rivières
de France, ne se séparent pas de leur costume de nage [de navigation] lorsqu’il faut
parcourir le ruban d’eau mais le troquent rapidement contre des habits de ville aux
étapes gastronomiques et lorsqu’il faut, le soir venu, trouver un hébergement. En fait,
cette exploration nautique relève d’une part d’une certaine urbaphobie, une
condamnation de la ville (Marchand, 2007 ; Baubérot & Bourillon, 2009), qui pousse les
classes aisées à sortir de la ville pour retrouver la nature et d’autre part d’une volonté
d’imposer les codes urbains au monde rural. En effet, alors que la nature et la campagne
sont encensées, la vie au grand air montrée comme source de régénération, les touristes
nautiques participent, à travers leurs récits, à la sélection des hôtels et restaurants
permettant de retrouver aussi le confort de la vie citadine.
25
Au-delà du mythe de l’exploration, la rivière, le canoë, les villages font aussi l’objet d’un
autre mythe qui vise à les personnifier, à en faire des personnages imaginaires. Cette
personnification renforce la notion du danger, de la difficulté. Ainsi, le ravin devient
“effroyable, noir et profond”, les gorges “inaccessibles”, le village “malheureux” 14 parce
que construit au bord d’un précipice. Ces attributs vont même jusqu’à humaniser les
éléments du voyage : dans les rapides on retient le canoë avec une corde comme on le
ferait d’un chien attaché à une laisse15, de même le passage difficile d’un rapide devient
un combat contre un ennemi implacable, la rivière.
Belgeo, 3 | 2012
8
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
Figure 4. Passage de rapide en canoë canadien, Noisiel 1910.
(ADC 152J21)
26
“Avant de s’engager dans la cascade un conseil de guerre est tenu à bord. Des félicitations
sont adressées à l’ennemi loyal qui se dresse contre nous sans fard, à visage découvert. On
va piquer droit sur lui par un étroit chenal vierge de rochers, on le contournera sur la
droite, d’un brusque détour et puis on se rejettera dans son axe pour continuer. On part,
le canoë danse dans les remous, l’écueil est à cinq mètres à peine, on va virer pour le raser
sur la droite. Brusquement, au lieu d’effectuer la manœuvre convenue, l’équipier avant
rejette sa pagaie à droite et ”en met“16 désespérément. Son compagnon a compris, il y a
trahison, un écueil invisible obstrue la passe à droite, Il faut détourner le canoë sur la
gauche, cela dans une cascade, avec l’étrave déjà sur l’écueil”17. Dans ce cas, la rivière est
considérée comme hostile et l’homme doit se battre pour vaincre les difficultés. Ainsi, le
cours d’eau devient vivant, est humanisé. Le lyrisme des membres du CC met en avant le
danger, et le caractère imprévisible, furieux18, colérique19 de la rivière. Il y a une force qui
s’empare des éléments et qui impose aux canoéistes de respecter la nature. Le canoéiste
se mesure au divin, aux forces naturelles (Conchon, 1997) et en ce sens ses aventures
nautiques deviennent des exploits.
27
Dans le même temps, le récit de croisière met en avant des valeurs plus paisibles. La
rivière tranquillise l’explorateur nautique citadin, lui permet de retrouver la quiétude
qu’il a perdue dans les bruits de la ville industrielle et dans l’accélération du temps de ce
début du XXe siècle. La croisière fluviale devient aussi, pour le canoéiste, un voyage
intérieur pendant lequel la lecture du passé s’effectue au regard de la sensibilité du
présent (Amirou, 2000 ; Hartog, 2003 ; Equipe MIT, 2011). Alors que le culte de la vitesse
amène le voyageur à perdre le goût d’une visite approfondie des contrées (Schéou, 2007),
le tourisme nautique, comme le tourisme ferroviaire à petite vitesse de la fin du XIXe
siècle (Blancheton, Marchi, 2011), permet, de par le rythme lent du déplacement, la
découverte du paysage, le contact avec la vie des rivières. Pour ces touristes, le cours
d’eau devient volupté, grâce et fraîcheur20. La promenade enchante les sens, apaise. En
Belgeo, 3 | 2012
9
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
parcourant le fleuve, le navigateur longe les rives verdoyantes qui renferment le secret de
la sérénité. La descente du cours d’eau est empreinte de romantisme et devient synonyme
de rêverie et de sensibilité. Cette vision relève des parcours effectués par les canoéistes
sur les portions calmes des rivières. Ces descriptions permettent de renforcer, par
opposition, la dangerosité des parties avals du cours d’eau ou d’accentuer la palingénésie
de l’homme sortant de la ville trépidante.
28
Ainsi, le paysage se construit autour du mythe du retour à une nature sauvage, hostile à
l’homme, nature qu’il faut dompter. Cette nature influe sur la lecture des paysages qui
deviennent sombres, inquiétants et dangereux mettant en avant la force des éléments et
l’angulosité des reliefs. Parallèlement, une autre approche se développe, liée à la croisière
nautique, dans laquelle le relief disparaît, les plaines verdoyantes et ensoleillées
s’installent. Les villages et le petit peuple des fleuves s’activent. En fait, la vie autour des
rivières est décrite en faisant référence aux industries et petites manufactures installées
le long des berges laissant transparaître la nostalgie du passé, d’un passé respectant le
rythme de la nature.
Aménagement des rivières pour en permettre
l’exploration
29
Avant 1914 les rivières sont souvent mal entretenues et encombrées par des obstacles de
tout ordre limitant et entravant la navigation. Le TCF va accompagner, à travers son
Comité nautique, le développement du tourisme nautique en militant pour la suppression
de la règlementation “imparfaite, fantaisiste et arbitraire”21 qui limite le développement
du tourisme nautique. En fait, le comité nautique du TCF se donne pour programme
d’aménager les rivières et les ports pour assurer la continuité de la rivière et permettre
les haltes. Il œuvre pour la sécurisation des rivières (Levet-Labry, 2011) en repérant et
balisant les dangers auxquels peuvent être confrontés les touristes nautiques. Son action
va même plus loin puisque, loin de se limiter aux explorations en canoës manœuvrés à la
rame, le comité nautique du TCF souhaite développer le tourisme nautique à moteur.
Ainsi, il mène une campagne permettant de déployer sur le territoire des centres
d’approvisionnement en carburant pour les yachts à moteurs. Dans la même logique, le
TCF souhaite identifier et favoriser le développement des structures hôtelières
permettant l’accueil des touristes aux étapes. La volonté d’Albert Glandaz, vice président
du YCF et membre fondateur du comité nautique du TCF, est d’ouvrir de nouveaux
espaces de pratique : “L’excursion en rivière, si elle était pratiquée davantage, ouvrirait à
notre activité un champ nouveau infiniment plus varié [que l’entraînement qu’effectue le
canotier aux points habituels de rassemblement]. Nos rivières, nos canaux, pénètrent
partout, en toutes contrées comme les veines en l’organisme”22. Pour cela, le comité
nautique du TCF va mettre en œuvre une politique d’aménagement dont le CC sera le
maître d’œuvre. Et c’est encore Albert Glandaz, fondateur du CC, qui donne la mesure de
l’exploration des rivières françaises puisque dès 1904 il envisage la couverture du
territoire à partir de la région parisienne. Il considère que les récits nautiques doivent
donner des informations sur les parcours et participer ainsi à la diffusion de l’activité en
étendant les explorations “vers les rivières plus excentriques”. Ces explorations
nautiques doivent amener les membres du CC à identifier les dangers et les difficultés des
parcours et doivent aussi être une source d’informations sur le développement
socioéconomique du territoire français. Il répond en cela au TCF qui ne cache pas ses
Belgeo, 3 | 2012
10
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
ambitions lorsqu’il fixe les objectifs du tourisme nautique : “On s’instruit en voyageant.
C’est notre France avec ses cultures, ses productions, ses industries, ses ressources qui
défilent sous nos yeux. Tout un cours de géographie économique… au cours de l’eau”. En
effet, les transformations du paysage apparaissent à travers les récits de croisières,
transformations qui s’inscrivent dans la modification des représentations du monde
moderne.
30
Ainsi, on voit s’établir une complémentarité entre les explorations de rivières effectuées
par le CC et leur mise en tourisme par le TCF. Lorsque les membres du CC identifient une
difficulté ou un danger, une demande est faite au TCF qui essaie d’y remédier en faisant
disparaître tous les obstacles sur “les routes liquides”23. Les canoéistes repèrent les
parcours et rendent compte des difficultés. Les membres du CC proposent des
aménagements que le TCF finance, comme par exemple en 1906 : “Le Comité du tourisme
nautique du T. C. F. a décidé, sur la demande de notre vice-président M. G. Colle, de faire
poser immédiatement un disque rouge, près de l’île Saint-Martin, à Pontoise, à proximité
du déversoir de l’Oise. Les canotiers sauront gré au TCF de cette mesure, qui leur
signalera le danger de ce déversoir que rien n’indiquait jusqu’à présent”24. Le bulletin du
CC est le témoin de ce travail commun. Les dangers sont marqués, ils concernent les piles
de pont immergées, les barrages et déversoirs25. Des aménagements sont effectués. Des
pontons d’accostage sont créés26 pour permettre aux touristes nautiques de débarquer en
toute sécurité près des villages et profiter des hébergements ou tout simplement sortir
les canoës de l’eau avant d’effectuer un portage nécessaire pour éviter un passage
dangereux. Le TCF équipe aussi les barrages de “passe canots”27 permettant d’installer des
chariots sur rail pour transporter les lourds canoës chargés de leur équipement. Enfin des
poteaux indicateurs sont implantés28 sur les berges pour faciliter la navigation.
31
Ces aménagements sont nécessaires car les croisières s’effectuent avec des canots pontés,
dotés d’un siège à coulisses. Ils sont rapides mais fragiles, lourds et difficilement
manœuvrables. Il est difficile de passer les rapides, les barrages et de hisser les
embarcations sur les berges empierrées. Les embarcations lourdement chargées
accentuent les difficultés de la rivière : les portages sont malaisés et deviennent vite
pénibles. Il faut, lorsque la difficulté est trop importante, débarquer, décharger le bateau
pour le recharger quelques centaines de mètres plus loin. Il est donc important dans les
premières années du club de participer avec le TCF à l’aménagement des rivières. Ainsi,
les descriptions des installations favorisant le développement du tourisme nautique sont
prégnantes dans les récits de croisière jusqu’en 1911. Les récits mettent aussi en avant les
difficultés, les embarcadères, les écluses. L’éclusage est un élément important du voyage.
Il permet de mener à bien le voyage mais est soumis au bon vouloir des éclusiers ou de
l’ingénieur des Ponts et Chaussées qui peuvent, parfois, abuser de leur autorité et
retarder l’avancée de l’expédition.
32
Pour parfaire le relevé des informations nécessaires à la reproduction de la descente de
rivière, hôtels et garages à bateaux doivent être identifiés pour construire l’itinéraire. Les
étapes sont calculées pour offrir un temps de repos aux canoéistes fourbus par une
descente de rivière parfois longue et difficile. Elles permettent également quelques visites
de sites remarquables (châteaux, églises, points de vue…). Les haltes se situent dans des
villes de moyenne importance pouvant mettre à disposition hébergement et lieu de
stockage pour l’embarcation. Elles servent aussi à tisser des liens avec d’autres sociétés
nautiques et avec les délégués du TCF qui signent la feuille de route. Elles permettent de
passer des accords avec les hôteliers pour obtenir des conditions favorables
Belgeo, 3 | 2012
11
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
d’hébergement comme c’est le cas lors de la croisière Contamin sur la Marne, l’Aisne et
l’Oise en 1906 : “Après diner, le propriétaire de l’hôtel signe un accord avec le CC pour le
garage et demande même son admission dans la société. Tous ceux de nos camarades qui
passeront à Toutevoye feront bien de s’y arrêter, ils y trouveront bon gîte et bon accueil
pour eux et leur embarcation”29. Faisant suite à cela, dès août 1906, le bulletin du CC établi
la liste des garages à bateaux recommandés qui permettent de laisser en sécurité les
canoës tout en ayant un accueil convenable. Ils se situent parfois, comme nous l’avons vu,
dans des hôtels, à l’exemple de celui de M. Fétillieux à Saint-Adrien près de Rouen (Seineinférieure) qui offre gratuitement le garage si le canoéiste descend dans son hôtel. Il
semble qu’il existe une corrélation importante entre la diffusion par le CC du canoë sur le
territoire et l’existence de lieux d’accueil, qu’il s’agisse des garages ou des hébergements.
A travers les récits de croisière il devient possible de découvrir l’émergence d’une
organisation touristique le long des rivières avec, comme points de repères, les étapes
journalières. L’étape, le temps de navigation et l’écluse deviennent des éléments
essentiels du voyage. Des hôtels, restaurants et garages à bateaux sont référencés et
participent au maillage touristique déjà engagé, quelques années auparavant, par le TCF
avec la bicyclette et l’automobile.
33
L’arrivée du canoë canadien, d’abord importé puis construit en France, va transformer la
pratique et par voie de conséquence la représentation de la difficulté et des nécessités
d’aménagement. Moins rapide mais plus léger et robuste il permet d’étendre le rayon
d’action des canoéistes. Les accostages peuvent se faire sans que des aménagements
particuliers soient nécessaires. Sa maniabilité permet d’explorer le cours supérieur des
rivières, parties plus étroites et plus tourmentées. Les récits de croisières rendent compte
de cette transformation. Le camping, hébergement léger, se développe car il permet une
certaine autonomie aux explorateurs. Depuis 1905, le TCF essaie de mettre à la mode
l’hébergement sous toile. Le camping est mis en avant par le CC lorsqu’il s’agit de
promouvoir le canoë canadien30. Cependant sa diffusion est lente. En février 1907 la
première publicité parait dans le bulletin du CC et la première descente utilisant le
camping “à grande échelle” est relatée en décembre 1907 dans les pages du Bulletin du
CC. Le baron Henri de Lormais en compagnie de Jean Lintz, à bord du canoë Titi, réalisent
la descente de la Seine de Courbevoie à La Bouille en ne dormant que deux nuits sur les
six à l’hôtel. Le camping a été le mode d’hébergement privilégié par cette expédition.
Cependant, il faut attendre les années 1912 pour voir ce type d’hébergement31 apparaître
réellement dans les récits de croisières. A cette période un débat s’installe dans le Bulletin
du CC sur la nécessité et l’utilité du camping. Ce débat va opposer partisans et détracteurs
du camping jusqu’en 1924. Malgré les réticences, l’élan est donné et de nombreuses
croisières s’effectuent avec ce mode d’hébergement, canoë et camping semblant faire
cause commune dans la découverte de l’activité de plein air32. L’hébergement en camping
met en avant la quête du pittoresque et de l’aventure, prend une place importante dans la
découverte de nouveaux territoires de jeu (Sirost, 2001, 2002) et permet un accès plus aisé
au bassin supérieur des rivières. Dans l’après-guerre, il devient une alternative qui
permet de réduire sensiblement les coûts de logement des expéditions nautiques.
L’arrivée dans les villages avec un canoë constitue une aubaine et une attraction à
laquelle tous les villageois veulent assister33. Les canoéistes dynamisent le commerce local
pour refaire leurs vivres : aubergistes et meuniers, fermiers se mobilisent pour fournir
pain, œufs et vin aux randonneurs nautiques. Cependant les réactions sont différentes
lorsque les canoéistes s’installent pour camper. Objets de curiosité (Tissandier, 2001),
parfois considérés comme des “Romanichels”34, des voleurs ou des espions35, ils sont
Belgeo, 3 | 2012
12
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
régulièrement contrôlés par la maréchaussée à la demande des habitants. Néanmoins, le
lien entre le canoë et le camping, ténu au début, devient plus solide. Il va donner la
possibilité d’ouvrir des parcours dans les hautes rivières, provoquant une inflexion de
l’activité nautique vers une pratique plus sportive.
34
Ces transformations dans la pratique marquent les récits. Dans un premier temps, il est
fait éloge de la modernisation, du développement des industries et manufactures sur les
bords de rivières. Le modernisme est mis en avant avec les constructions de centrales
hydrauliques. Le cours d’eau est présenté comme producteur d’activités industrielles et
de richesses36. Le récit permet de repérer le développement de l’activité humaine le long
des rives. En ce sens il est la marque de la transformation du paysage et de la société
humaine. Le passage à la société moderne se lit à travers le développement des industries
liées à la houille blanche et à l’abandon des activités traditionnelles de la rivière.
35
La Première Guerre Mondiale va transformer le paysage. Certaines infrastructures
anciennes sont détruites pour rendre les voies navigables et normaliser les canaux. C’est
le cas de certains ponts anciens dont l’arche était trop basse pour permettre le passage de
convois fluviaux37. De même, progressivement les moulins et autres constructions liées
aux activités rurales disparaissent au profit de barrages industriels et d’usines. Les
constructions modernes transforment la rivière, la canalisent, l’endiguent pour prévenir
les inondations. Les récits notent ces transformations. Les constructions et bâtiments
anciens sont mis en avant dans les descriptifs comme des éléments du paysage, des points
de repères et non plus comme difficultés. Les usines modernes ne sont plus considérées
comme les vecteurs d’entrée dans le monde moderne mais plutôt comme des verrues
dans le paysage (“elles dressent leurs menaçantes carcasses”38). Les descriptions se
tournent vers les villages traditionnels. Il existe une réelle nostalgie de la période
heureuse d’avant 1914 où la rivière était encore à redécouvrir. Dans le même temps, la
pratique du canoë se transforme et s’oriente vers l’exploration des hautes rivières comme
s’il s’agissait de rester proche d’une nature sauvage plus difficile d’accès à la modernité.
Les basses rivières sont explorées, les conditions de pratique évoluent et permettent
d’ouvrir l’accès aux hautes rivières. Alors que la pratique se développe et se démocratise,
les premiers guides à usage exclusif des canoéistes paraissent à l’initiative du TCF et avec
l’aide du CC. Ils vont avoir un format plus pratique, plus facile à transporter lors des
explorations nautiques. Ils vont aussi devenir plus précis, permettant le développement
d’une pratique plus sportive initiée entre autres par le classement des rivières effectué en
1924 par le CC en fonction des difficultés de navigation. Les récits perdent leurs
caractéristiques initiales et deviennent, peu à peu, des guides techniques focalisés sur les
difficultés liées à la pratique sportive.
Conclusion
36
Le récit de croisière a été, pour le Canoë Club, un des moyens utilisés pour développer,
avec l’aide du Touring Club de France, le tourisme nautique sur le territoire. Il apparaît
rapidement, notamment à travers les concours de récits de croisière, que la narration de
l’aventure prend plus d’importance que le voyage et ses difficultés objectives. Il s’agit de
mettre en avant les attraits d’un parcours et de rendre le voyage proche des
représentations de la nature que se font les citadins. Ainsi, le travail sur le mythe d’une
nature sauvage à explorer construit le paysage en rendant l’exploration nautique
aventureuse au regard de l’espace urbain occupé habituellement. La randonnée nautique
Belgeo, 3 | 2012
13
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
devient un exploit physique mais aussi un voyage intérieur pendant lequel le canoéiste se
confronte avec le passé et son passé. L’inconnu devient source de curiosité et d’exploit.
Cet exploit est construit, comme le récit. En effet, un travail important est effectué pour
aménager physiquement les rivières, en faciliter l’exploration et permettre une
reproduction des parcours. Ainsi, d’une part le récit de croisière met en avant le mythe
mais aussi participe à la construction d’une mise en sécurité des descentes.
37
La classification des rivières en fonction du niveau des difficultés en 1924 met un frein à
cette pratique nautique touristique. Les récits de croisières changent et deviennent des
guides plus techniques dans lesquels le paysage disparaît peu à peu au profit d’une
description des difficultés techniques. Cette évolution vers la pratique de la descente des
hautes rivières va de pair avec le développement de l’activité sportive. L’activité se
transforme, la confrontation entre les canoéistes et la nature devient la règle. Il s’agit de
vaincre les difficultés et non plus parcourir les rivières pour l’attrait des paysages. La
sportivisation de la pratique du canoë marque la seconde partie du XXe siècle et débouche
sur une multiplication des activités avec la mise en avant du risque. L’homme passe d’une
confrontation à l’inconnu à une confrontation avec la mort.
38
Les pratiques à risques se diversifient (nage en eau vive, raft, hautes rivières, …)
repoussant sans cesse les limites du possible. Malgré cette orientation sportive, le
tourisme nautique, après avoir été mis en veille pendant le dernier quart de siècle semble
redevenir une pratique partagée sous le vocable du loisir nautique. Cette pratique
participe à l’offre d’activités de loisirs des stations touristiques. Cette orientation se
retrouve dans la diversification des clubs, notamment celle du Canoë Club de France,
héritier du CC, qui aujourd’hui compte parmi ses adhérents environ 40 % de participants
à une activité de loisir et de détente.
BIBLIOGRAPHIE
AGULHON M. (1977), Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848. Etude d’une mutation de sociabilité,
Armand Colin.
AMIROU R. (2000), Imaginaire du tourisme culturel, Presses Universitaires de France.
BAUBEROT A., BOURILLON F. (2009). Urbaphobie, la détestation de la ville aux XIX e et XXe siècles, Paris,
Bière.
BERTHO-LAVENIR C. (1999), La roue et le stylo, Comment sommes-nous devenus touristes ?, Odile Jacob.
BLANCHETON B., MARCHI J.-J. (2011), “Le développement du tourisme ferroviaire en France
depuis 1870”, Histoire, économie & société, 3, 30e année, pp. 95-113.
BONIN S. (2001), “Paysages et représentations dans les guides touristiques : La Loire dans la
collection des Guides Joanne, Guides Bleus (1856 à nos jours)”, L’Espace géographique, 30, 2,
pp. 111-126.
Belgeo, 3 | 2012
14
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
BOURDEAU P. (2007), “Les sports de nature comme médiateurs de l’entre-deux ville –montagne”,
in MONTEVENDI-WEBER L., DESCHENEAUX C., TRANDA-PITTION M., Campagne-ville, le pas de deux,
Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, pp. 27-36.
BOTTI L., PEYPOCH N., SOLONANDRASANA B. (2008), Ingénierie du tourisme. Concepts, méthodes,
applications, De Boeck.
BOYER M. (2002), “Comment étudier le tourisme ?”, Ethnologie française, XXXVII, pp. 393-404.
BOYER M. (2005), Histoire générale du tourisme du XVIe au XXIe siècle, Paris, Harmattan.
BRETIN K. (2002), “Avènement des sports nautiques à Châlon-sur-Saöne (1877-1960). La
modernisation de la société à la rencontre des traditions”, Sciences et Motricité, 45, pp. 67-84.
CLARY D. (1976), “Tourisme et aménagement régional”, Annales de Géographie, 85, 468, pp. 129-154.
CLAVAL P. (2003), Paris et Londres au XIXe siècle. Représentations dans les guides et récits de voyages,
Paris, Hancock, CNRS Editions.
CONCHON A. (1997), “Introduction”, Hypothèses, 1, pp. 67-75.
CSERGO J. (1995), “Extension et mutation du loisir citadin, Paris XIX e-début XXe”, in CORBIN A.,
L’avènement des loisirs 1850-1960, Aubier, pp. 121-167
CSERGO J. (2004), “Partie de campagne. Loisirs périurbains et représentation de la banlieue
parisienne fin XVIII-XIXe siècle”, Sociétés et représentations, 17, 1, pp. 15-50.
DROUIN M. (2008), “Ouvrir les canaux à de nouveaux publics, le patrimoine comme médiateur du
tourisme nautique”, Téoros, pp. 85-88.
EQUIPE MIT (2011), Tourisme 3. La révolution durable, Belin.
GASTINEL A. (1894), Les égouts de Paris, Paris, Jouve.
GEROME N. (1996), “Une emprise industrielle hégémonique : le SNECMA”, in FOURCAUT, La ville
divisée, Créaphis.
GREVY J. (2003), “Les cafés républicains de Paris au début de la Troisième République. Etude de
sociabilité politique”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 50, 2, pp. 52-72.
HAJEK S. (2007), Histoire culturelle d’une société nautique : le Canoë Kayak Club de France 1904-2004,
Thèse de 3e cycle, Université Paris V.
HAJEK S., MARSAC A. (2008), “Les récits de croisière : développement d’une culture touristique du
canoë dans la France de l’entre-deux-guerres”, Loisir et société, 31, 2, pp. 233-265.
HARTOG F. (2003), Régimes d’historicité, Seuil.
HERBIN J. (1983), “Les loisirs de proximité des habitants de trois villes alpines : Grenoble, Annecy
et Chambéry”, Norois, 120, pp. 597-610.
HOIBIAN O. (2000), Les alpinistes en France 1870-1950 : une histoire culturelle, L’Harmattan.
KNAFOU R., STOCK M. (2003), article “tourisme”, in LEVY J., LUSSAULT M., Dictionnaire de
géographie du tourisme, Belin.
KUNZ A. (1992), “Voies navigables et développement économique”, Histoire, économie et société, 11,
1, pp. 13-17.
LACASSAGNE A. (1891), L’hygiène à Lyon. Compte-rendu des travaux du Conseil d’Hygiène Publique et de
Salubrité du département du Rhône, Lyon, Storck.
Belgeo, 3 | 2012
15
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
LARIQUE B. (2006), L’économie du tourisme en France des années 1890 à la veille de la Seconde Guerre
Mondiale. Organisation et développement d’un secteur socio-économique, Thèse de doctorat d’histoire,
Université Bordeaux III.
LEVET-LABRY E. (à paraître), Aménager les rivières et réduire les risques pour développer le tourisme
nautique en France (1904-1924), Vertigo.
MARCHAND B. (2007), L’urbaphobie en France depuis 200 ans : très bref résumé, Colloque “Ville Mal
Aimée, Ville à Aimer”, Château de Cerisy-la-Salle, 5-12 juin 2007.
MARCIL Y. (2007), “La fureur des voyages. Les récits de voyage dans la presse périodique
(1750-1789)”, Réseaux, 141-142, 2, pp. 378-381.
MILLET B. (2000), “Le grand tour, un paysage photographique”, La pensée de midi, 3, 3, pp. 63-68.
MONTEGNE G. (2009), “Parcours romains, parcours méditerranéens : L’impact du voyage à Rome
dans la construction des territoires au siècle des Lumières”, Rives méditerranéennes, 34, 3,
pp. 45-56.
OMT (1995), Concepts, définitions and classifications for tourim statistics, Technical manual n 1, Madrid,
World Tourisme Organisation.
ROCHE D. (2003), Humeurs vagabondes : de la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris,
Fayard.
SCHEOU B. (2007), “De la tyrannie de la vitesse à l’eurythmie : le temps d’exister, Application au
voyage touristique”, Téoros, Automne 2007, pp. 15-24.
SIROST O. (2001), “Les débuts du camping en France : du vieux campeur au village de toile”,
Ethnologie française, XXXVII, 2, pp. 607-620.
SIROST O. (2002), “Se mettre à l’abri ou jouer sa vie ? Eléments d’une culture sociale du risque”,
Sociétés, 77, pp. 5-15.
STOPANI A. (2009), “De l’itinéraire au territoire : Pratiques et mises en représentation de
l’espace”, Rives méditerranéennes, 34, 3, pp. 11-26.
TISSANDIER A. (2001), “Les débuts du camping en Auvergne”, Ethnologie française, XXXVII, 2,
pp. 641-650.
VAJDA J. (2006), “Paris en huit jours : À la découverte de la ville à travers les guides, les journaux
pour touristes et les récits de voyage, 1855-1937”, Sociétés & Représentations, 21, 1, pp. 255-273.
VIVIER C. (1999), La sociabilité canotière : la société nautique de Besançon, Paris, L’Harmattan.
WAGNER A-C. (2007), “La place du voyage dans la formation des élites”, Actes de la recherche en
sciences sociales, 170, 5, pp. 58-65.
NOTES
1. Revue mensuelle du TCF, février 1904.
2. Bulletin mensuel du Canoë Club, avril 1906.
3. Bulletin mensuel du Canoë Club, mai-juin 1908.
4. Archives de Créteil (ADC), cote 152J.
5. Bulletin du CC, octobre 1924 et novembre 1924.
6. Chaix Napoléon, Indicateur officiel des environs de Paris, n° 27, 1859.
Belgeo, 3 | 2012
16
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
7. Albert Glandaz est membre fondateur du Canoë Club en 1904. Il fut aussi président de la
Fédération des Sociétés d’Aviron, vice-président du Yacht Club de France, membre fondateur du
Comité Nautique du Touring Club de France, membre du Cercle de Voile de Paris et président du
Comité National de Sports (l’un des ancêtres du Comité National Olympique et Sportif Français)
entre 1910 et 1911. Il est l’un des mécènes des sports nautiques en France.
8. Bulletin mensuel du CC, juin 1906.
9. Bulletin mensuel du CC, mars 1908.
10. Bulletin mensuel du CC, mai-juin 1908.
11. Bulletin mensuel du CC, février 1907.
12. Carnet du canoéiste, Le Loir, Bulletin du CC, n° 55, septembre 1910. Carnet du canoéiste,
Quelques rivières du Cotentin, Bulletin du CC, n° 49, mars 1910.
13. Croisière en petite Seine et haute Seine, 1909, ADC 152J24.
14. Boulade M-J., La Creuse et la Vienne en canoë de Fresselines à Chinon, Imprimerie
commerciale et agricole de Compiègne, 1910, p. 29.
15. "Le canoë est tenu comme on le ferait d’un chien attaché à une laisse "(ADC 152J125 L’Ain par
Monneret 1913.
16. "En met" : Le canoéiste pagaie avec force.
17. ADC 152J25 Ain, récit de croisière de Monneret 1913.
18. ADC, carton 152J26 : Creuse 1913.
19. ADC, carton 152J25 : Ain 1913.
20. Bulletin mensuel du Canoë Club, août 1907.
21. Revue mensuelle du TCF, février 1904.
22. Revue mensuelle du TCF, mars 1904.
23. Bulletin mensuel du CC, avril 1906.
24. Bulletin mensuel du CC, mars 1906.
25. Bulletin mensuel du Canoë Club, juin 1907.
26. Bulletin mensuel du Canoë Club, mai 1906.
27. Revue du TCF, août 1909. ADC, carton 152J16 : En Canoë, la descente de la Garonne d’Agen à
Bordeaux, 1904.
28. Bulletin mensuel du Canoë Club, août 1907.
29. ADC, carton 152J23 : H. & L. Contamin, Croisière sur la Marne, Aisne, Oise, 1906.
30. Bulletin mensuel du CC, septembre 1906.
31. Bulletin mensuel du CC, octobre 1912.
32. Bulletin mensuel du C.C., août 1912, septembre 1912, juin-juillet 1922, septembre 1922
33. ADC, Carton 152J25 : Ain 1913.
34. ADC, Carton 152J 25 : L’Ain, 1913, p 25-27.
35. En 1903, trois canoéistes allemands désirant descendre le Doubs, la Saône et le Rhône sont
arrêtés par la gendarmerie et sont pris pour des espions car ils naviguaient sans permis. Bulletin
mensuel du Canoë Club, juin 1906.
36. Bulletin mensuel du CC, janvier 1911.
37. Bulletin mensuel du CC, octobre 1919.
38. Ibid.
Belgeo, 3 | 2012
17
Exploration touristique des rivières de France, entre description et mythific...
RÉSUMÉS
Les récits de croisière constituent une littérature qui révèle le développement du tourisme
nautique. La redécouverte des rivières françaises, effectuée par des citadins aisés, relève de
mythes qui vont fonder l’action de ces touristes : le retour à la nature et la personnification des
éléments. Il s’agit de mettre en avant l’exploit de ces citadins, qui sortent des villes, et sont
confrontés à la nature et au monde rural. La confrontation entre un monde idéalisé et un
territoire transparaît dans les récits. Les aménagements des rivières constituent la partie visible
du rapport du citadin à la nature. L’espace à explorer doit être aménagé pour permettre au
citadin de pratiquer une activité proche de l’élément naturel. Mais cet espace ne doit pas prendre
les traits de la ville qu’il vient de quitter.
Travel stories constitute a literature that reveals the development of nautical tourism. The
rediscovery of French rivers, carried out by well-off city dwellers, is based on myths about the
return to nature and the personification of the elements. It’s a matter of highlighting the feat of
these townsmen, who leave the cities and face nature and rural life. The confrontation between
an idealized world and a territory shows through the stories. The development of the rivers
constitutes the visible part of the relationship between the city dwellers and nature. The space to
explore must allow the city dwellers to go in for an activity closely related to nature. But this
space should not take the features of the city he has just left.
INDEX
Mots-clés : récits de voyage, tourisme, paysage, rivière, nature, mythe
Keywords : travel stories, tourism, landscape, river, myth
AUTEUR
ERIC LEVET-LABRY
Université Paris-Est, Laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs, E.A. 3350, 5 boulevard
Descartes Champs sur Marne, 77454 Marne-la-Vallée, [email protected]
Belgeo, 3 | 2012
18