Champs Visuels

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Champs Visuels
LE JOURNAL D’INFORMATIONS
DU CONSEIL RÉGIONAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES
DE HAUTE NORMANDIE
CROA HN : 111, Boulevard de l’Yser - 76000 Rouen - T : 02 35 71 46 88 - F : 02 35 88 70 71
[email protected] - Site Web : www.croahn.fr
M.A. : 111, Boulevard de l’Yser - 76000 Rouen - T : 02 35 71 85 45 - F : 02 35 88 70 71
[email protected] - Site Web : www.mdahn.fr
SEPT
2010
n°83
FORMATION
MÉMOIRE : « Responsabilités et assurances »
SUBJECTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
?
Jeudi 25 juin 2009
__________
FORMATION CREPA 2009 – « INGÉNIERIE, ARCHITECTURE ET DÉVELOPPEMENT
La Mutuelle
des Architectes –
Français
fera2010
un rappel de nos responsabilités et nous
DURABLE » - RÉSUMÉ POUR ARTICLE MD’A HTE
NORMANDIE
AOUT
un grand nombre de conseils basés sur des exemples concrets dans le but
MARC GOSSELINdonnera
d’une prévention des sinistres.
Derrière la définition apparemment simple, donnée au concept de développement durable, se cache une multitude
d’interactions complexes. En effet, quelle
que soit l’action ou l’activité humaine
entreprise, les répercussions, les conséquences, les tenants et les aboutissants
sont multiples, et toujours dépendants
de conditions contextualisées dans le
temps et l’espace, ne permettant souvent pas de transpositions directes. Or,
l’ensemble de notre mode de fonctionnement et de raisonnement ne nous a
pas habitué à traiter des problèmes de
ce type. Nos repères culturels sont encore basés sur la recherche de solutions
et sur une certaine stabilité des savoirs,
notamment scientifiques.
Dès lors, il apparaît bien souvent que le
retranchement derrière toute une salve
d’outils techniques et cartésiens
rassucapacité de réappropriation de certains
Public
: Architectes
re et classe les objectifs sur des bases fondamentaux architecturaux pour faire
Intervenants :
Pierre GUINOT, responsable de groupe à la direction des sinistres de la
communes « reconnues ». La tendance
naître
la part de sensible et de subjectif
MAF
actuelle du « tout justifier » par un pa- qui
qualifie
unFRISON,
espace
à habiter,
peuMaître
Grégoire
avocat
intervenant
pour la MAF
Jean-Claude
architecte
et expert pour la MAF
nel d’abaques, indices, organigrammes, vent
mettreLEMONNIER,
en exhergue
des perspeccalculs divers et autres tableauxCoût
normatives dépassant le cadre du quantifiable
de la formation : 30 € (repas compris)
tifs, sous une volonté objective et louable stricto sensu.
Nombre de participants : 30 personnes au minimum
de cerner des performances à atteindre,
ne risque-t-elle pas à terme d’orienter
la desEn
y regardant
près,
les
pionniers
Lieu : Ordre
Architectes
111 bld dede
l’Yser
76000
ROUEN
pensée architecturale sur des chemins que furent F. L. Wright, Alvar Aalto, Sverre
Horaires
: de 9H30
à 17H00
d’ « uniformisation » plus faciles
et rasFehn
et Hassan Fathy, ont ouvert la voie
surants (économiquement, politiquesans
plier
sous la dictature de la technoPROGRAMME :
ment, temporellement, etc), et de blo- logie pure. En se posant la question de
des architectes
et de leurs
partenaires
quer l’idée subjective du génie1-Les
du responsabilités
lieu savoirprofessionnelles
ce que signifient
les nouveaux
en- La responsabilité décennale et les deux garanties annexes : la garantie de bon fonctionnement
si chère aux architectes et concepteurs
jeux
de
l’architecture
« verte »
ou
« duraet la garantie de parfait achèvement ;
d’espaces à vivre, à habiter ? - La responsabilité
ble »,
s’agit
de recentrer
le débatcivile
archicivileilde
droit commun
: la responsabilité
contractuelle et la
responsabilité civile
délictuelle.
tectural
sur une donnée essentiellement
Sans négliger ou nier les approches
éthique, évacuant par là même toute no2- Assurances obligatoires des architectes et de leurs partenaires
mathématiques et techniques - dans
le obligatoire
tion de de
style,
d’esthétique
et technicité
au à l’acte de construire ;
L’assurance
la responsabilité
décennale
des intervenants
- L’assurance professionnelle
obligatoire
des architectes
domaine de la construction, l’approche
profit d’une
démarche
qui se ; veut plus
L’assurance obligatoire de dommages à l’ouvrage.
par des processus alternatifs -ou
notre globale, transversale et sensible.
DÉVELOPPEMENT DURABLE… ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE COMPLEXITÉ
Les réflexions sur la pensée complexe lancées il y a une vingtaine d’années par E.
MORIN montrent que l’approche analytique
est insuffisante pour mener à terme des projets aux multiples ramifications auxquels le
monde de l’architecture et de l’urbanisme
est confronté. A l’heure où les neurosciences
s’apprêtent à mettre en équation le cerveau
humain, il est de plus en plus nécessaire de
s’interroger sur cette notion de complexité
qui se traduit à différents niveaux de l’activité
humaine. Les nouvelles technologies participent aux différents niveaux de lecture et
d’appréhension du monde qui nous entoure.
Notre cerveau est soumis à des stimulis de
plus en plus complexes au même titre que
nos professions sont amenées à osciller au
travers de disciplines aussi variées que pointues.
L’idée de complexité, la prise de conscience
des interactions, des interdépendances, des
systèmes ouverts et dynamiques s’inscrivent
dans un cadre historique d’évolution de la
pensée. Les anciens repères, s’appuyant sur
une vision cartésienne mécaniste de l’univers,
sont balayés par l’apparition de notions telles
que le désordre, le chaos, le flou, l’incertain,
le contradictoire, l’aléatoire, le paradoxal. La
linéarité, tant temporelle que spatiale, est
également remise en question au profit de
la notion de cycle. La complexité ouvre les
portes d’une logique fonctionnant en réseau
où les systèmes de rétroactions et de régulations diverses obligent à dépasser l’idée de
système clos, tout en ayant conscience de la
finitude de notre terre.
La pensée holistique exprime une recherche
d’équilibre entre rationalité et intuition. Autrement dit, elle mobilise à la fois l’hémisphère
gauche de notre cerveau qui effectue des
tâches logiques, linéaires, séquentielles et
analytiques, et l’hémisphère droit qui synthétise plus qu’il n’analyse [cf L’Homme aux
deux cerveaux de Daniel PINK, Ed. Robert
Laffont, 2007].
Le développement
durable en tant que
système complexe.
Thèse de F. PELLAUD
(Université de Genève)
MÉMOIRE : suite
Edgar MORIN considère que l’homme est
partagé entre deux génies. D’un côté, le génie technologique nous permet d’anticiper,
de former des projets et de les exécuter sur
le long terme ; il fonctionne sur l’hémisphère
gauche de notre cerveau, doué de rationalité
et d’abstraction. C’est à lui que nous devons
le développement de l’outil qui a fait passer
l’humanité de la traction humaine puis animale à la traction mécanique, ou encore de
la communication orale puis écrite à la communication virtuelle et numérique. De l’autre,
le génie imaginatif qui se rapporte à la partie
droite de notre cerveau, se caractérise par
une capacité plus sensible d’inventivité. C’est
ici que s’expriment notre sens esthétique, notre sensibilité, nos émotions, ou encore notre
aptitude participative. Avec lui, nous inventons
des histoires peuplées de chimères, des symboles ou autres représentations grâce auxquels nous formons notre vision du monde et
donnons un sens à notre existence.
particulière d’acteurs. Des indicateurs plus
ou moins simples, en tout cas réputés fiables,
clairs et parlant pour tout le monde.
Les progrès scientifiques et leurs diverses
applications sont les moteurs des transformations de nos sociétés contemporaines.
La mondialisation des échanges accentue
la prolifération des effets induits par les technosciences tant au niveau social, qu’économique et écologique. L’homme dans sa quête
de maîtrise de son environnement est entré
dans une espèce d’aliénation jubilatoire d’accumulation de défis technologiques. Une découverte en appelle une autre. L’exigence de
nouveaux produits sources de profits pousse
nos contemporains à aller toujours plus avant,
et la course permanente à l’innovation semble ne plus pouvoir s’arrêter, entraînant dans
son sillage de tristes conséquences collatérales inévitables. Le savoir va bien plus vite que
la sagesse pour les conduire, d’où une perte
de sens et de repères pour une part grandissante d’entre nous.
ALIÉNATION DU TOUT JUSTIFIER… GÉNIE
TECHNOLOGIQUE ET GÉNIE IMAGINATIF ?
Calculs, bilans et autres analyses quantifiées
sont-ils à prendre strictement à la lettre ? Le
concepteur ne doit-il pas les regarder avec
prudence, plutôt que leur donner une valeur
impondérable et inévitable. Certes, ils donnent des indications, permettent de mieux
comprendre les enjeux, mais, encore faut-il
savoir les interpréter suivant un contexte spécifique. Nécessaires et indispensables pour
Cartographie des connaissances, 2008,
permettre à nos pratiques d’évoluer, les diMarco QUAGGIOTTO
vers systèmes d’évaluation devront forcément
muter et s’affiner au fur et à mesure de l’évolution de nos connaissances, avec le risque
pour certains praticiens de tenir lieu d’outils
de conception, plutôt que d’outils d’aide à la
conception.
La qualité durable d’un bâtiment ne peut se
limiter à ces points spécifiques qui à coup sûr
peuvent être évalués. Il y a forcément nécessité de s’intéresser à des critères fondamentaux moins quantifiables : la qualité spatiale,
le beau, le désirable, les volumétries, les jeux
de lumières, les sensations, l’atmosphère, etc.
Tout ce qui fait que l’usager appréhende un
lieu, un espace à vivre, permet de ressentir
une qualité sensorielle évidente qui distingue
chaque approche architecturale. Il s’agit pour
le concepteur de trouver les équilibres intelligents qui porteront son projet vers une démarche et un mode de vie durable, plutôt que
Page d’accueil du site Visual Complexity de créer un bâtiment HQE ou un écoquartier
durable.
Face à l’émergence de cette nouvelle comLa nécessité de quantifier ne peut par conséplexité, la volonté de contrôler et de maîtriser
quent, se substituer ni à l’intelligence, ni à
le réel reste le cheval de bataille des scienl’imagination. Elle ne fait que donner une
matière plus rigoureuse et « rassurante ». Le
ces et des techniques. La société a besoin
d’indicateurs fiables et crée des outils en
développement durable a besoin de tels insconséquence qui lui permettent d’objectiver truments, mais ce ne sont que des aides à la
sa pensée. Le développement durable se
décision, pas des instruments pour produire
construit tous les jours, collectivement et entre la solution « miracle », pour prendre la décide plein pied dans ce nouveau champ de la sion à la place des concepteurs.
complexité sociétale. Il lui faut donc des repèPour être reconnue et agir en responsable,
res, des indices qui permettent de mesurer le l’architecture d’aujourd’hui a besoin de se
chemin parcouru, de juger de la pertinence référer à des réseaux tissés au gré des réde telle ou telle politique, de tel ou tel effort
flexions et des concertations. Nos modes de
demandé aux citoyens ou à une catégorie pensée n’étant pas en phase avec la com-
plexité de nos sociétés, l’architecture en tant
que production ou process issue de cette
complexité, a besoin de se sentir de quelque
part, en des espaces relativement stables,
appréhendables et appropriés pour la meubler de repères (signaux, indices) et valeurs
qui l’inscrivent de plus en plus dans des démarches de « justifications mathématiques »
dont les bureaux d’études se font les portes
paroles.
L’idée de développement durable en voulant
s’inscrire et répondre aux maux de notre société, ne risque t-elle pas finalement de fermer les portes à une poésie plus aléatoire
de notre monde… chiffres, labels, normes,
quantités, etc … Que reste t-il pour l’aléatoire,
le hiatus, la poésie, et tout ce qui relève du
sensible ?
« Si l’on fait fi de l’homme dans notre travail,
artistique ou technologique, comment protéger les petits hommes dans notre monde
moderne mécanisé ? »
Discours du 3 janvier 1955 à l’académie de
Finlande, - Alvar AALTO
Complexe, la pensée architecturale dépend
bien souvent de nos sensibilités et d’un panel de subjectivités à priori non quantifiables.
L’objectivité aliénante du développement durable qui semble poindre aujourd’hui peutelle faire bon ménage avec la part de « je ne
sais quoi » qui qualifie souvent la qualité spatiale produite, le ressenti de l’usager ?
L’incessante recherche de consensus qui
semble caractériser actuellement l’approche
objective du développement durable témoigne de la volonté « politique » sous-jacente
de supprimer tout rapport conflictuel (donc
sensible) par du quantifiable, vérifiable (donc
pragmatique). Or, toute situation paradoxale
ne cesse de mettre en évidence les aspects
antagonistes et pourtant si souvent complémentaires dont elle est formée.
La croyance en une science toute puissante
a tendance à masquer les problèmes liés
à la gestion de l’incertitude. C’est cette part
d’incertitude et de subjectif qui enrichira et
qualifiera le projet. Une remise en question
de notre pratique professionnelle et mode
de pensée est donc à reconstruire en tenant
compte de ces paradoxes et de ces ambiguïtés.
Conseil Régional de l’Ordre des Architectes - 15
CHAMPS VISUELS n°83 • septembre 2010 - 14
FORMATION
FORMATION
MÉMOIRE : suite
QUANTIFIER L’INQUANTIFIABLE ?
L’utilisation d’outils et de méthodes quantitatives en architecture est loin de prendre en
considération le caractère subjectif qui qualifie un espace. La mesure ne reflète pas ce
que l’on voit ou ce que l’on ressent. Dès lors
chercher à évaluer l’inquantifiable devient
une aventure périlleuse qui pourtant semble
vouloir prendre peu à peu son essor de par
l’évolution notamment des connaissances en
neurosciences ou par le biais de critères économiques et sociologiques de plus en plus
pris en compte. L’hégémonie de la mesure
analytique et cartésienne dont on subit les effets à l’heure actuelle, a encore de beaux jours
devant elle : manque de pratiques, approche
pas encore généralisée et ni systématique,
besoin de prise de recul et de vérification…
mais il ne fait aucun doute que la frénésie
d’évaluation et d’expertise exponentielle risque d’aboutir à d’ahurissantes élucubrations
visant à quantifier l’inquantifiable et à mesurer
l’incommensurable.
Quand on voit le contexte actuel du développement durable dans le domaine de la
construction (dans d’autres domaines également), il apparaît que d’une manière généralisée sous des airs de prises de bonne
conscience généralisée, il n’en reste pas
moins qu’une arrière-pensée marchande est
avant tout la principale motivation. A l’instar
d’une mode, le développement durable fait
vendre et consommer, au risque de se contredire et de créer des situations paradoxales
qui embrouillent le commun des mortels.
Les lobbies industriels autant qu’énergétiques
ont largement compris le caractère fécondant
et rémunérateur de ce nouveau courant idéologique, structurant ainsi des dispositifs de
normes opposables qui cadrent et régissent
la « physicalité » de l’art de construire. Qu’en
est-il de l’inquantifiable et de la subjectivité
qui pour le moment semble leur échapper ?
L’art de vivre ensemble – d’habiter ensemble
– et la qualité d’usage feront-t-ils à leur tour
l’objet d’une valeur immobilière exploitable
transposée en normes, critères d’évaluation ?
Il semble que cela en prenne le chemin,
comme nous le montrent certains travaux en
cours du CTSB, par exemple, autour de la
Haute Qualité d’Usage, nouveau label parmi
les labels. Bien entendu, certains diront que
du moment que cela fait avancer les choses,
c’est toujours bon à prendre. Mais ne soyons
pas dupes, le « bon à prendre » rapporte et
ne s’applique qu’à une vision une nouvelle
fois limitée à la cellule individuelle ou au
mieux à l’échelle d’un groupe afin d’en tirer
un bénéfice immédiat… pour ce qui en est
de la société et des civilisations au sens large,
tout reste à faire.
La pensée holistique aussi louable soit-elle
n’est pas encore monnaie courante, et la pratique quotidienne prouve combien le chemin
à parcourir est escarpé. Dans cette perspective, les tentatives d’approche quantitative de
la réception sensorielle ou qualitative d’une
construction sont à attendre.
HÉDONISME, PLAISIR, ÉMOTION…
POUR UNE QUALITÉ DE VIE SUBJECTIVE
DURABLE
« Réfugiés dans villes, blindés dans nos
voitures, en sécurité sur nos routes asphaltées ou dans nos maisons chauffées et
climatisées, nous nous sommes détachés
de ce qui est au cœur de l’humanité : nos
racines biologiques, qui plongent dans le
monde naturel, la relation psychique avec la
diversité des formes de vie, l’ancrage dans
de beaux paysages et la fraternité avec le
monde animal. »
Une écologie du bonheur, E. LAMBIN
L’architecture « verte » puise maintenant ses
modèles dans la vision vertigineuse des microcosmes biologiques, des macrocosmes
de l’astrophysique, dans les énigmes fractales, la complexité croissante de l’intelligence
artificielle et les spirales de la manipulation
génétique. Cette prise en compte de nouveaux champs, associée à la crise environnementale actuelle, interroge notre rapport
avec notre milieu. Au travers d’approches
sophistiquées ou plus traditionnelles, différents courants architecturaux se positionnent
et cherchent des solutions. Dans un premier
temps, il semble que chacun des acteurs de
l’acte de construire doit se soumettre au dictat
du tout justifier quantitativement. Mais la complexité de notre rapport à l’environnement
et les structures sociétales actuelles nous
conduisent à ouvrir notre champ de vision
sur une approche multicritère et holistique
des disciplines autour de l’acte de construire.
Il ne s’agit plus d’avoir une démarche unidirectionnelle mais bien au contraire d’ouvrir
les champs des possibles, même si pour cela
il nous faut revenir à certains fondamentaux
oubliés qui conditionnent notre qualité de vivre ensemble : s’abriter, se réunir, dialoguer,
échanger, communiquer, etc.
S’agissant des finalités plus que des modalités du développement durable en architecture, mieux vaut un instant délaisser les
quantifications mathématiques qui s’épuisent
à justifier un objet construit, pour retrouver
la réalité du vivant avec son langage, ses
dynamiques, ses tensions et ses surprises.
Parce que nous construisons avant tout pour
l’homme, il s’agit donc, de proposer l’élaboration d’un critère de qualité environnemental
plus complexe et plus approfondi, où utilité et
beauté, aspects quantifiables et non quantifiables, performances immédiates et promesses
futures sont imbriqués, et ce, dans un profond
respect du substrat naturel qui fonde notre
existence même.
Pour reprendre les termes d’Ezio MANZINI,
l’idée est de proposer « une culture capable de réaliser des « artefacts » qui soient,
comme autrefois, « faits avec art » ; autrement dit, des produits nés du souci du détail,
de l’amour pour la vie des choses dans leur
relation avec les hommes et l’environnement
– des produits qui seraient des expressions
subtiles et profondes de l’intelligence, de la
créativité et de la sagesse humaine. »
MÉMOIRE : suite
« Le climat, ses intempéries, les matériaux,
leurs propriétés, la stabilité, ses lois, l’optique, ses déformations, le sens éternel et
universel des lignes et des formes imposent des conditions qui sont permanentes.
La fonction les usages, les règlements, la
mode imposent des conditions qui sont passagères. C’est par la construction que l’architecte satisfait aux conditions tant permanentes que passagères. (…) L’architecte est
un poète qui pense et parle en construction.
(…) L’édifice, c’est la charpente munie des
éléments et des formes imposées par les
conditions permanentes qui, le soumettant à
la nature, le rattachent au passé et lui confèrent la durée. » Contribution à une théorie de
l’architecture, A. PERRET (Paris 1952)
Pour que l’on parle réellement de développement durable, cette adhésion morale ne
doit-elle pas être intéressée, épicurienne et
même hédoniste…L’émotion est gratuite en
ressources naturelles, et favorable au bien
vivre. Chaque société, chaque citoyen, peut
la rechercher dans son jardin. Partagée, elle
crée des complicités, des réseaux d’amitié,
des solidarités... au delà de tous registres de
calculs.
Si l’on considère la notion d’ « habiter » fondamentale en architecture, la question est de
produire autour de chacun un espace le plus
généreux, le plus accessible, le plus confortable possible. De tout temps, l’architecture s’est
inventée de l’intérieur vers l’extérieur (ou vice
versa), de l’espace individuel jusqu’à la fabrique de la ville, sans discontinuité, autour d’un
dénominateur commun : la personne.
L’architecture est une discussion, un échange
qui vise avant tout à qualifier chaque espace, puis définir les relations entre eux. La
représentation qui implique la quantification
(échelle, mesure, performance, quantité de
matières, surfaces, volumes…) vient ensuite.
On enrichit, on simplifie, etc. L’objectif est de
créer un contexte spatial qui pose la question
de l’usage et de sa qualité: le confort. L’enjeu
actuel pour l’ingénierie est de réfléchir, à budget donné, à la manière de faire le maximum.
Le challenge est désormais économique :
comment produire plus avec moins ? Or,
fondamentalement, rien ne pousse dans ce
sens. La tendance actuelle à suréquiper, favorisée par les normes et l’application mécanique des standards, semble oublier l’échelle
de l’individu qui « habite » et pratique l’espace. Combien d’ « usines à gaz » voient le
jour sous prétexte du développement durable ? Mettre un pull-over, ouvrir les fenêtres
deviennent des pratiques presque honteuses
et abjectes… une insulte à la raison pour reprendre les mots de R. RICCIOTTI.
L’architecture est épicurienne : elle attrape
ce qui passe à sa portée pour en tirer parti.
L’architecture se vit, se pratique, s’habite. La
gadgétisation qui semble contenter un grand
nombre de maîtres d’ouvrage tant il est aisé
de communiquer dessus, ouvre les portes
d’un assistanat de l’espace qui ne se réfère
qu’à des outils de mesures, des sondes qui
placent la personne au cœur d’un système
technologique de plus en plus complexe qui
lui échappe dans sa pratique quotidienne. A
l’heure où l’on parle de qualité d’usage dans
l’art de construire, n’est-il pas encore temps
de s’interroger sur ces pratiques consuméristes normalisées et de retrouver certains
gestes simples, voire d’en inventer, afin de réduire cette emphase technologique et mettre
l’homme dans une position d’acteur de l’espace, plutôt que de subissant.
Qu’allons-nous prioritairement financer sur
le principe de qualité, des m2, des matériaux,
de l’isolation, de la climatisation ? La qualité
a un grand défaut, elle ne se mesure pas
avec un litre, ou une chaîne d’arpenteur. Elle
s’apprécie en fonction des circonstances, de
la culture des utilisateurs, de leur capacité à
en tirer profit. Cette appréciation nécessite du
temps, de la confrontation, du dialogue, de
l’usure et de l’usage. Elle implique un effort
qui place l’usage au cœur du débat, et c’est
bien normal puisque, quel que soit le produit,
c’est finalement sur son utilité et sa capacité
à répondre à une attente qu’il doit être jugé
(société du chiffre et de consommation).
Revenir à la qualité d’usage n’est pas spontané, ni chose facile car souvent elle fait appel
à des notions sensorielles et subjectives difficiles à faire rentrer dans des abaques « rassurantes » et objectives.
Des raisonnements partiels viennent souvent
troubler le jeu. On parle souvent du « coût
global », en associant le coût de la construction et celui du fonctionnement du bâtiment.
Mais on oublie de parler de son utilité. On
sait que la qualité des ambiances offertes aux
employés d’un bureau peut faire varier leur
productivité de plus de 10%, en intégrant les
maladies du travail et l’absentéisme. Il y a là
des sommes d’argent considérables, et bien
plus importantes (au moins cinq fois) que le
prix à payer pour un surplus de qualité. Le
projet subit un changement d’échelle. Au coût
de l’équipement, on doit opposer sa valeur,
marchande mais aussi d’usage. On sort alors
d’une économie unijambiste, celle où l’on ne
considère que les dépenses, pour retrouver
l’équilibre sur deux jambes, avec d’un côté
les dépenses, et de l’autre, en regard, les utilités, la valeur, les richesses créées. Une posture indispensable pour avancer sur la piste
du développement durable..
A l’instar des travaux de la commission STIGLITZ, les critères d’évaluation d’un bâtiment
vont sans semble-t-il prendre un chemin
identique. Une marche inéluctable vers le tout
quantifier pointe peu à peu son nez. D’ores et
déjà, des chercheurs sont en passe de proposer de nouveaux indices à intégrer dans
nos grilles d’évaluation…surtout lorsqu’il
s’agit de vendre de la certification. Ne nous
leurrons pas, le monde du bâtiment connaîtra
son lot de critères relatifs à la qualité d’usage
ou la qualité d’ « habiter ». Des acteurs de la
certification comme le CTSB en France y travaillent déjà. Au Canada, le BEEFP (Bureau
d’examen des édifices fédéraux du patrimoine) a mis en place toute une série de critères
d’évaluation plus ou moins subjectifs afin de
mesurer la valeur patrimoniale et historique
de certains édifices.
Alors que la pensée philosophique a longtemps réfléchi à la question de ce qui détermine la qualité de la vie, les récents progrès de
la recherche ont donc abouti à des mesures
à la fois nouvelles et crédibles. Ces recherches montrent un besoin d’aller au-delà de
l’approche purement technicienne qui a encore de beaux jours devant elle. S’ils ne remplacent pas les indicateurs traditionnels, ces
indices seront - j’ose espérer - une occasion
d’enrichir les discussions et de ré-intégrer la
personne et ses conditions de vie ou d’usage
dans les différentes échelles où se traduit la
société (nations, régions, villes, bâtiments…).
Plus important encore, ces nouvelles mesures tout en restant critiquables (car elles devront l’être) offrent l’opportunité de dépasser
la recherche statistique classique et sont l’occasion de mettre en cause la justification purement technocratique à outrance. Certaines
d’entre elles reflèteront des conditions structurelles relativement peu changeantes dans
le temps mais devront être adaptées selon les
cultures et pratiques, d’autres sont plus sensibles aux modes en cours pourront être mises
en oeuvre et pourront donc être suivies pour
analyser les évolutions des usages sur des
périodes de temps plus courtes.
Les enjeux du développement durable sont
multiples et font directement appel, tant à
notre conscience, nos émotions, notre sensibilité, notre sens des responsabilités, qu’à
nos connaissances, notre compréhension du
monde, notre logique, notre imaginaire, notre capacité à nous projeter dans l’avenir, à
extrapoler, etc. Comprendre ce que signifie
le développement durable, percevoir les enjeux dont il est porteur, le contextualiser, l’apprivoiser pour qu’il entre dans notre sphère
privée et professionnelle, semblent donc des
éléments nécessaires pour permettre l’investissement individuel en faveur de la mise en
place de ce processus et espérer ainsi voir
naître l’implication et l’action indispensable à
son émergence.
Espérons que ces nouvelles valeurs contribueront à une re-valorisation et un re-positionnement de l’homme dans et en relation
avec son environnement. A nous architectes
et acteurs du bâtiment, de relever le défi et de
montrer qu’il sera encore possible de proposer des cellules de « rêves », respectueuses,
voire si possible réparatrices, de cet espace
public lessivé par nos agressions qu’est notre
planète.
BIBLIOGRAPHIE CHOISIE
SOCIETE
Artefacts, vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel - Ezio Manzini - Ed. Les Essais, Centre Georges Pompidou, 1991.
Changer le monde, un guide pour le citoyen du
XXIème siècle - Ed. La Martinière, 2006.
Nous réconcilier avec la terre - Hervé René
Martin & Claire Cavazza - Ed. Flammarion, 2009.
Rapport de la Commission sur la mesure des
performances économiques et du progrès social - Joseph E. Stiglitz, Armatya Sen, Jean-Paul
fitoussi - 2009.
Repères pour un développement humain et solidaire - Paul Houée - Ed. Les Editions de l’Atelier,
2009.
Une écologie du bonheur - Eric Lambin, Les Essais du Pommier, 2009.
ARCHITECTURE
L’architecture écologique - Dominique GauzinMüller - Ed. Le moniteur, 2001.
GREEN, architecture now - Philip Jodidio - Ed.
Taschen, 2009.
Habiter écologique, quelles architecture pour
une ville durable ? Benoït Goez, Philippe Madec,
Chris Younès, Ed de La Villette, 2009.
H.Q.E. Rudy Ricciotti, Ed Transbordeurs, 2006
Indéfinition de l’architecture - Actes Sud / Cité
de l’architecture et du patrimoine, 2009
Traité de construction durable - Collectif, Ed Le
Moniteur, 2007
PHILOSOPHIE
L’architecture en théorie - Collectif, Ed. Jean Michel Place, 1996
L’invention du plaisir - Michel Onfray, Ed Grasset,
2002
Le Nouvel Ordre écologique, l’arbre, l’animal et
l’homme - Luc Ferry, Ed Grasset, 2002
Politique du rebelle, traité de résistance et d’insoumission - Michel Onfray, Ed. Grasset, 1997
FILMOGRAPHIE
Equilibrium
Film de science fiction de Kurt Wimmer (USA,
2002). « Dans une cité du futur, John Preston,
chargé de veiller au bon fonctionnement de la
société se révolte contre une loi interdisant aux
citoyens d’éprouver des sentiments… »
Origine
Fable écologique de Keiichi Sugiyama, d’après
une histoire d’Umanosuke Iida (Japon, 2006).
« 300 ans après notre ère, la Terre vit meurtrie
des blessures causées par l’inconscience de
l’homme. Le monde est désormais dominé par la
toute puissance des esprits de la forêt qui infligent à l’humanité leur colère pour les souffrances
passées. Dans ce nouveau monde, deux cités coexistent : Ragna qui œuvre pour le retour de la
civilisation, et la Cité Neutre, qui prône l’harmonie
avec la forêt. Mais le destin s’en mêle lorsque le
jeune Agito réveille par hasard Toola, une jeune
fille du temps passé. Le fragile équilibre qui régente cette Terre est à nouveau menacé… »
Soleil vert
Film d’anticipation de Richard Fleisher et Leigh
Taylor-Young (USA, 1973). « New York, 2022. Un
brouillard a envahi la surface du globe, tuant la
végétation et la plupart des espèces animales.
D’un côté les nantis qui peuvent avoir accès à la
nourriture rare et très chère. De l’autre, les affamés
nourris d’un produit synthétique, le Soleil, rationné
par le gouvernement… »
Wonderful days
Film de science fiction de Kim Moon-Saeng (Japon, 2003). « 2142, à l’issue de terribles guerres ayant engendré une catastrophe écologique, quelques milliers de riches survivants ont
construit Ecoban, une cité qui tire son énergie de
la pollution. Repliés sur eux-mêmes ils rejettent
les réfugiés contaminés qui créent alors la citée
voisine de Marr. Mais les séquelles de la guerre
commencent à s’estomper et la pollution baisse.
Craignant pour la survie d’Ecoban, ses dirigeants
décident d’incendier Marr afin de créer d’énormes
sources d’énergie et mettre fin du même coup
aux révoltent qui se multiplient… »
Conseil Régional de l’Ordre des Architectes - 17
CHAMPS VISUELS n°83 • septembre 2010 - 16
FORMATION

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