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LE JOURNAL D’INFORMATIONS DU CONSEIL RÉGIONAL DE L’ORDRE DES ARCHITECTES DE HAUTE NORMANDIE CROA HN : 111, Boulevard de l’Yser - 76000 Rouen - T : 02 35 71 46 88 - F : 02 35 88 70 71 [email protected] - Site Web : www.croahn.fr M.A. : 111, Boulevard de l’Yser - 76000 Rouen - T : 02 35 71 85 45 - F : 02 35 88 70 71 [email protected] - Site Web : www.mdahn.fr SEPT 2010 n°83 FORMATION MÉMOIRE : « Responsabilités et assurances » SUBJECTIVITÉ ET DÉVELOPPEMENT DURABLE ? Jeudi 25 juin 2009 __________ FORMATION CREPA 2009 – « INGÉNIERIE, ARCHITECTURE ET DÉVELOPPEMENT La Mutuelle des Architectes – Français fera2010 un rappel de nos responsabilités et nous DURABLE » - RÉSUMÉ POUR ARTICLE MD’A HTE NORMANDIE AOUT un grand nombre de conseils basés sur des exemples concrets dans le but MARC GOSSELINdonnera d’une prévention des sinistres. Derrière la définition apparemment simple, donnée au concept de développement durable, se cache une multitude d’interactions complexes. En effet, quelle que soit l’action ou l’activité humaine entreprise, les répercussions, les conséquences, les tenants et les aboutissants sont multiples, et toujours dépendants de conditions contextualisées dans le temps et l’espace, ne permettant souvent pas de transpositions directes. Or, l’ensemble de notre mode de fonctionnement et de raisonnement ne nous a pas habitué à traiter des problèmes de ce type. Nos repères culturels sont encore basés sur la recherche de solutions et sur une certaine stabilité des savoirs, notamment scientifiques. Dès lors, il apparaît bien souvent que le retranchement derrière toute une salve d’outils techniques et cartésiens rassucapacité de réappropriation de certains Public : Architectes re et classe les objectifs sur des bases fondamentaux architecturaux pour faire Intervenants : Pierre GUINOT, responsable de groupe à la direction des sinistres de la communes « reconnues ». La tendance naître la part de sensible et de subjectif MAF actuelle du « tout justifier » par un pa- qui qualifie unFRISON, espace à habiter, peuMaître Grégoire avocat intervenant pour la MAF Jean-Claude architecte et expert pour la MAF nel d’abaques, indices, organigrammes, vent mettreLEMONNIER, en exhergue des perspeccalculs divers et autres tableauxCoût normatives dépassant le cadre du quantifiable de la formation : 30 € (repas compris) tifs, sous une volonté objective et louable stricto sensu. Nombre de participants : 30 personnes au minimum de cerner des performances à atteindre, ne risque-t-elle pas à terme d’orienter la desEn y regardant près, les pionniers Lieu : Ordre Architectes 111 bld dede l’Yser 76000 ROUEN pensée architecturale sur des chemins que furent F. L. Wright, Alvar Aalto, Sverre Horaires : de 9H30 à 17H00 d’ « uniformisation » plus faciles et rasFehn et Hassan Fathy, ont ouvert la voie surants (économiquement, politiquesans plier sous la dictature de la technoPROGRAMME : ment, temporellement, etc), et de blo- logie pure. En se posant la question de des architectes et de leurs partenaires quer l’idée subjective du génie1-Les du responsabilités lieu savoirprofessionnelles ce que signifient les nouveaux en- La responsabilité décennale et les deux garanties annexes : la garantie de bon fonctionnement si chère aux architectes et concepteurs jeux de l’architecture « verte » ou « duraet la garantie de parfait achèvement ; d’espaces à vivre, à habiter ? - La responsabilité ble », s’agit de recentrer le débatcivile archicivileilde droit commun : la responsabilité contractuelle et la responsabilité civile délictuelle. tectural sur une donnée essentiellement Sans négliger ou nier les approches éthique, évacuant par là même toute no2- Assurances obligatoires des architectes et de leurs partenaires mathématiques et techniques - dans le obligatoire tion de de style, d’esthétique et technicité au à l’acte de construire ; L’assurance la responsabilité décennale des intervenants - L’assurance professionnelle obligatoire des architectes domaine de la construction, l’approche profit d’une démarche qui se ; veut plus L’assurance obligatoire de dommages à l’ouvrage. par des processus alternatifs -ou notre globale, transversale et sensible. DÉVELOPPEMENT DURABLE… ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE COMPLEXITÉ Les réflexions sur la pensée complexe lancées il y a une vingtaine d’années par E. MORIN montrent que l’approche analytique est insuffisante pour mener à terme des projets aux multiples ramifications auxquels le monde de l’architecture et de l’urbanisme est confronté. A l’heure où les neurosciences s’apprêtent à mettre en équation le cerveau humain, il est de plus en plus nécessaire de s’interroger sur cette notion de complexité qui se traduit à différents niveaux de l’activité humaine. Les nouvelles technologies participent aux différents niveaux de lecture et d’appréhension du monde qui nous entoure. Notre cerveau est soumis à des stimulis de plus en plus complexes au même titre que nos professions sont amenées à osciller au travers de disciplines aussi variées que pointues. L’idée de complexité, la prise de conscience des interactions, des interdépendances, des systèmes ouverts et dynamiques s’inscrivent dans un cadre historique d’évolution de la pensée. Les anciens repères, s’appuyant sur une vision cartésienne mécaniste de l’univers, sont balayés par l’apparition de notions telles que le désordre, le chaos, le flou, l’incertain, le contradictoire, l’aléatoire, le paradoxal. La linéarité, tant temporelle que spatiale, est également remise en question au profit de la notion de cycle. La complexité ouvre les portes d’une logique fonctionnant en réseau où les systèmes de rétroactions et de régulations diverses obligent à dépasser l’idée de système clos, tout en ayant conscience de la finitude de notre terre. La pensée holistique exprime une recherche d’équilibre entre rationalité et intuition. Autrement dit, elle mobilise à la fois l’hémisphère gauche de notre cerveau qui effectue des tâches logiques, linéaires, séquentielles et analytiques, et l’hémisphère droit qui synthétise plus qu’il n’analyse [cf L’Homme aux deux cerveaux de Daniel PINK, Ed. Robert Laffont, 2007]. Le développement durable en tant que système complexe. Thèse de F. PELLAUD (Université de Genève) MÉMOIRE : suite Edgar MORIN considère que l’homme est partagé entre deux génies. D’un côté, le génie technologique nous permet d’anticiper, de former des projets et de les exécuter sur le long terme ; il fonctionne sur l’hémisphère gauche de notre cerveau, doué de rationalité et d’abstraction. C’est à lui que nous devons le développement de l’outil qui a fait passer l’humanité de la traction humaine puis animale à la traction mécanique, ou encore de la communication orale puis écrite à la communication virtuelle et numérique. De l’autre, le génie imaginatif qui se rapporte à la partie droite de notre cerveau, se caractérise par une capacité plus sensible d’inventivité. C’est ici que s’expriment notre sens esthétique, notre sensibilité, nos émotions, ou encore notre aptitude participative. Avec lui, nous inventons des histoires peuplées de chimères, des symboles ou autres représentations grâce auxquels nous formons notre vision du monde et donnons un sens à notre existence. particulière d’acteurs. Des indicateurs plus ou moins simples, en tout cas réputés fiables, clairs et parlant pour tout le monde. Les progrès scientifiques et leurs diverses applications sont les moteurs des transformations de nos sociétés contemporaines. La mondialisation des échanges accentue la prolifération des effets induits par les technosciences tant au niveau social, qu’économique et écologique. L’homme dans sa quête de maîtrise de son environnement est entré dans une espèce d’aliénation jubilatoire d’accumulation de défis technologiques. Une découverte en appelle une autre. L’exigence de nouveaux produits sources de profits pousse nos contemporains à aller toujours plus avant, et la course permanente à l’innovation semble ne plus pouvoir s’arrêter, entraînant dans son sillage de tristes conséquences collatérales inévitables. Le savoir va bien plus vite que la sagesse pour les conduire, d’où une perte de sens et de repères pour une part grandissante d’entre nous. ALIÉNATION DU TOUT JUSTIFIER… GÉNIE TECHNOLOGIQUE ET GÉNIE IMAGINATIF ? Calculs, bilans et autres analyses quantifiées sont-ils à prendre strictement à la lettre ? Le concepteur ne doit-il pas les regarder avec prudence, plutôt que leur donner une valeur impondérable et inévitable. Certes, ils donnent des indications, permettent de mieux comprendre les enjeux, mais, encore faut-il savoir les interpréter suivant un contexte spécifique. Nécessaires et indispensables pour Cartographie des connaissances, 2008, permettre à nos pratiques d’évoluer, les diMarco QUAGGIOTTO vers systèmes d’évaluation devront forcément muter et s’affiner au fur et à mesure de l’évolution de nos connaissances, avec le risque pour certains praticiens de tenir lieu d’outils de conception, plutôt que d’outils d’aide à la conception. La qualité durable d’un bâtiment ne peut se limiter à ces points spécifiques qui à coup sûr peuvent être évalués. Il y a forcément nécessité de s’intéresser à des critères fondamentaux moins quantifiables : la qualité spatiale, le beau, le désirable, les volumétries, les jeux de lumières, les sensations, l’atmosphère, etc. Tout ce qui fait que l’usager appréhende un lieu, un espace à vivre, permet de ressentir une qualité sensorielle évidente qui distingue chaque approche architecturale. Il s’agit pour le concepteur de trouver les équilibres intelligents qui porteront son projet vers une démarche et un mode de vie durable, plutôt que Page d’accueil du site Visual Complexity de créer un bâtiment HQE ou un écoquartier durable. Face à l’émergence de cette nouvelle comLa nécessité de quantifier ne peut par conséplexité, la volonté de contrôler et de maîtriser quent, se substituer ni à l’intelligence, ni à le réel reste le cheval de bataille des scienl’imagination. Elle ne fait que donner une matière plus rigoureuse et « rassurante ». Le ces et des techniques. La société a besoin d’indicateurs fiables et crée des outils en développement durable a besoin de tels insconséquence qui lui permettent d’objectiver truments, mais ce ne sont que des aides à la sa pensée. Le développement durable se décision, pas des instruments pour produire construit tous les jours, collectivement et entre la solution « miracle », pour prendre la décide plein pied dans ce nouveau champ de la sion à la place des concepteurs. complexité sociétale. Il lui faut donc des repèPour être reconnue et agir en responsable, res, des indices qui permettent de mesurer le l’architecture d’aujourd’hui a besoin de se chemin parcouru, de juger de la pertinence référer à des réseaux tissés au gré des réde telle ou telle politique, de tel ou tel effort flexions et des concertations. Nos modes de demandé aux citoyens ou à une catégorie pensée n’étant pas en phase avec la com- plexité de nos sociétés, l’architecture en tant que production ou process issue de cette complexité, a besoin de se sentir de quelque part, en des espaces relativement stables, appréhendables et appropriés pour la meubler de repères (signaux, indices) et valeurs qui l’inscrivent de plus en plus dans des démarches de « justifications mathématiques » dont les bureaux d’études se font les portes paroles. L’idée de développement durable en voulant s’inscrire et répondre aux maux de notre société, ne risque t-elle pas finalement de fermer les portes à une poésie plus aléatoire de notre monde… chiffres, labels, normes, quantités, etc … Que reste t-il pour l’aléatoire, le hiatus, la poésie, et tout ce qui relève du sensible ? « Si l’on fait fi de l’homme dans notre travail, artistique ou technologique, comment protéger les petits hommes dans notre monde moderne mécanisé ? » Discours du 3 janvier 1955 à l’académie de Finlande, - Alvar AALTO Complexe, la pensée architecturale dépend bien souvent de nos sensibilités et d’un panel de subjectivités à priori non quantifiables. L’objectivité aliénante du développement durable qui semble poindre aujourd’hui peutelle faire bon ménage avec la part de « je ne sais quoi » qui qualifie souvent la qualité spatiale produite, le ressenti de l’usager ? L’incessante recherche de consensus qui semble caractériser actuellement l’approche objective du développement durable témoigne de la volonté « politique » sous-jacente de supprimer tout rapport conflictuel (donc sensible) par du quantifiable, vérifiable (donc pragmatique). Or, toute situation paradoxale ne cesse de mettre en évidence les aspects antagonistes et pourtant si souvent complémentaires dont elle est formée. La croyance en une science toute puissante a tendance à masquer les problèmes liés à la gestion de l’incertitude. C’est cette part d’incertitude et de subjectif qui enrichira et qualifiera le projet. Une remise en question de notre pratique professionnelle et mode de pensée est donc à reconstruire en tenant compte de ces paradoxes et de ces ambiguïtés. Conseil Régional de l’Ordre des Architectes - 15 CHAMPS VISUELS n°83 • septembre 2010 - 14 FORMATION FORMATION MÉMOIRE : suite QUANTIFIER L’INQUANTIFIABLE ? L’utilisation d’outils et de méthodes quantitatives en architecture est loin de prendre en considération le caractère subjectif qui qualifie un espace. La mesure ne reflète pas ce que l’on voit ou ce que l’on ressent. Dès lors chercher à évaluer l’inquantifiable devient une aventure périlleuse qui pourtant semble vouloir prendre peu à peu son essor de par l’évolution notamment des connaissances en neurosciences ou par le biais de critères économiques et sociologiques de plus en plus pris en compte. L’hégémonie de la mesure analytique et cartésienne dont on subit les effets à l’heure actuelle, a encore de beaux jours devant elle : manque de pratiques, approche pas encore généralisée et ni systématique, besoin de prise de recul et de vérification… mais il ne fait aucun doute que la frénésie d’évaluation et d’expertise exponentielle risque d’aboutir à d’ahurissantes élucubrations visant à quantifier l’inquantifiable et à mesurer l’incommensurable. Quand on voit le contexte actuel du développement durable dans le domaine de la construction (dans d’autres domaines également), il apparaît que d’une manière généralisée sous des airs de prises de bonne conscience généralisée, il n’en reste pas moins qu’une arrière-pensée marchande est avant tout la principale motivation. A l’instar d’une mode, le développement durable fait vendre et consommer, au risque de se contredire et de créer des situations paradoxales qui embrouillent le commun des mortels. Les lobbies industriels autant qu’énergétiques ont largement compris le caractère fécondant et rémunérateur de ce nouveau courant idéologique, structurant ainsi des dispositifs de normes opposables qui cadrent et régissent la « physicalité » de l’art de construire. Qu’en est-il de l’inquantifiable et de la subjectivité qui pour le moment semble leur échapper ? L’art de vivre ensemble – d’habiter ensemble – et la qualité d’usage feront-t-ils à leur tour l’objet d’une valeur immobilière exploitable transposée en normes, critères d’évaluation ? Il semble que cela en prenne le chemin, comme nous le montrent certains travaux en cours du CTSB, par exemple, autour de la Haute Qualité d’Usage, nouveau label parmi les labels. Bien entendu, certains diront que du moment que cela fait avancer les choses, c’est toujours bon à prendre. Mais ne soyons pas dupes, le « bon à prendre » rapporte et ne s’applique qu’à une vision une nouvelle fois limitée à la cellule individuelle ou au mieux à l’échelle d’un groupe afin d’en tirer un bénéfice immédiat… pour ce qui en est de la société et des civilisations au sens large, tout reste à faire. La pensée holistique aussi louable soit-elle n’est pas encore monnaie courante, et la pratique quotidienne prouve combien le chemin à parcourir est escarpé. Dans cette perspective, les tentatives d’approche quantitative de la réception sensorielle ou qualitative d’une construction sont à attendre. HÉDONISME, PLAISIR, ÉMOTION… POUR UNE QUALITÉ DE VIE SUBJECTIVE DURABLE « Réfugiés dans villes, blindés dans nos voitures, en sécurité sur nos routes asphaltées ou dans nos maisons chauffées et climatisées, nous nous sommes détachés de ce qui est au cœur de l’humanité : nos racines biologiques, qui plongent dans le monde naturel, la relation psychique avec la diversité des formes de vie, l’ancrage dans de beaux paysages et la fraternité avec le monde animal. » Une écologie du bonheur, E. LAMBIN L’architecture « verte » puise maintenant ses modèles dans la vision vertigineuse des microcosmes biologiques, des macrocosmes de l’astrophysique, dans les énigmes fractales, la complexité croissante de l’intelligence artificielle et les spirales de la manipulation génétique. Cette prise en compte de nouveaux champs, associée à la crise environnementale actuelle, interroge notre rapport avec notre milieu. Au travers d’approches sophistiquées ou plus traditionnelles, différents courants architecturaux se positionnent et cherchent des solutions. Dans un premier temps, il semble que chacun des acteurs de l’acte de construire doit se soumettre au dictat du tout justifier quantitativement. Mais la complexité de notre rapport à l’environnement et les structures sociétales actuelles nous conduisent à ouvrir notre champ de vision sur une approche multicritère et holistique des disciplines autour de l’acte de construire. Il ne s’agit plus d’avoir une démarche unidirectionnelle mais bien au contraire d’ouvrir les champs des possibles, même si pour cela il nous faut revenir à certains fondamentaux oubliés qui conditionnent notre qualité de vivre ensemble : s’abriter, se réunir, dialoguer, échanger, communiquer, etc. S’agissant des finalités plus que des modalités du développement durable en architecture, mieux vaut un instant délaisser les quantifications mathématiques qui s’épuisent à justifier un objet construit, pour retrouver la réalité du vivant avec son langage, ses dynamiques, ses tensions et ses surprises. Parce que nous construisons avant tout pour l’homme, il s’agit donc, de proposer l’élaboration d’un critère de qualité environnemental plus complexe et plus approfondi, où utilité et beauté, aspects quantifiables et non quantifiables, performances immédiates et promesses futures sont imbriqués, et ce, dans un profond respect du substrat naturel qui fonde notre existence même. Pour reprendre les termes d’Ezio MANZINI, l’idée est de proposer « une culture capable de réaliser des « artefacts » qui soient, comme autrefois, « faits avec art » ; autrement dit, des produits nés du souci du détail, de l’amour pour la vie des choses dans leur relation avec les hommes et l’environnement – des produits qui seraient des expressions subtiles et profondes de l’intelligence, de la créativité et de la sagesse humaine. » MÉMOIRE : suite « Le climat, ses intempéries, les matériaux, leurs propriétés, la stabilité, ses lois, l’optique, ses déformations, le sens éternel et universel des lignes et des formes imposent des conditions qui sont permanentes. La fonction les usages, les règlements, la mode imposent des conditions qui sont passagères. C’est par la construction que l’architecte satisfait aux conditions tant permanentes que passagères. (…) L’architecte est un poète qui pense et parle en construction. (…) L’édifice, c’est la charpente munie des éléments et des formes imposées par les conditions permanentes qui, le soumettant à la nature, le rattachent au passé et lui confèrent la durée. » Contribution à une théorie de l’architecture, A. PERRET (Paris 1952) Pour que l’on parle réellement de développement durable, cette adhésion morale ne doit-elle pas être intéressée, épicurienne et même hédoniste…L’émotion est gratuite en ressources naturelles, et favorable au bien vivre. Chaque société, chaque citoyen, peut la rechercher dans son jardin. Partagée, elle crée des complicités, des réseaux d’amitié, des solidarités... au delà de tous registres de calculs. Si l’on considère la notion d’ « habiter » fondamentale en architecture, la question est de produire autour de chacun un espace le plus généreux, le plus accessible, le plus confortable possible. De tout temps, l’architecture s’est inventée de l’intérieur vers l’extérieur (ou vice versa), de l’espace individuel jusqu’à la fabrique de la ville, sans discontinuité, autour d’un dénominateur commun : la personne. L’architecture est une discussion, un échange qui vise avant tout à qualifier chaque espace, puis définir les relations entre eux. La représentation qui implique la quantification (échelle, mesure, performance, quantité de matières, surfaces, volumes…) vient ensuite. On enrichit, on simplifie, etc. L’objectif est de créer un contexte spatial qui pose la question de l’usage et de sa qualité: le confort. L’enjeu actuel pour l’ingénierie est de réfléchir, à budget donné, à la manière de faire le maximum. Le challenge est désormais économique : comment produire plus avec moins ? Or, fondamentalement, rien ne pousse dans ce sens. La tendance actuelle à suréquiper, favorisée par les normes et l’application mécanique des standards, semble oublier l’échelle de l’individu qui « habite » et pratique l’espace. Combien d’ « usines à gaz » voient le jour sous prétexte du développement durable ? Mettre un pull-over, ouvrir les fenêtres deviennent des pratiques presque honteuses et abjectes… une insulte à la raison pour reprendre les mots de R. RICCIOTTI. L’architecture est épicurienne : elle attrape ce qui passe à sa portée pour en tirer parti. L’architecture se vit, se pratique, s’habite. La gadgétisation qui semble contenter un grand nombre de maîtres d’ouvrage tant il est aisé de communiquer dessus, ouvre les portes d’un assistanat de l’espace qui ne se réfère qu’à des outils de mesures, des sondes qui placent la personne au cœur d’un système technologique de plus en plus complexe qui lui échappe dans sa pratique quotidienne. A l’heure où l’on parle de qualité d’usage dans l’art de construire, n’est-il pas encore temps de s’interroger sur ces pratiques consuméristes normalisées et de retrouver certains gestes simples, voire d’en inventer, afin de réduire cette emphase technologique et mettre l’homme dans une position d’acteur de l’espace, plutôt que de subissant. Qu’allons-nous prioritairement financer sur le principe de qualité, des m2, des matériaux, de l’isolation, de la climatisation ? La qualité a un grand défaut, elle ne se mesure pas avec un litre, ou une chaîne d’arpenteur. Elle s’apprécie en fonction des circonstances, de la culture des utilisateurs, de leur capacité à en tirer profit. Cette appréciation nécessite du temps, de la confrontation, du dialogue, de l’usure et de l’usage. Elle implique un effort qui place l’usage au cœur du débat, et c’est bien normal puisque, quel que soit le produit, c’est finalement sur son utilité et sa capacité à répondre à une attente qu’il doit être jugé (société du chiffre et de consommation). Revenir à la qualité d’usage n’est pas spontané, ni chose facile car souvent elle fait appel à des notions sensorielles et subjectives difficiles à faire rentrer dans des abaques « rassurantes » et objectives. Des raisonnements partiels viennent souvent troubler le jeu. On parle souvent du « coût global », en associant le coût de la construction et celui du fonctionnement du bâtiment. Mais on oublie de parler de son utilité. On sait que la qualité des ambiances offertes aux employés d’un bureau peut faire varier leur productivité de plus de 10%, en intégrant les maladies du travail et l’absentéisme. Il y a là des sommes d’argent considérables, et bien plus importantes (au moins cinq fois) que le prix à payer pour un surplus de qualité. Le projet subit un changement d’échelle. Au coût de l’équipement, on doit opposer sa valeur, marchande mais aussi d’usage. On sort alors d’une économie unijambiste, celle où l’on ne considère que les dépenses, pour retrouver l’équilibre sur deux jambes, avec d’un côté les dépenses, et de l’autre, en regard, les utilités, la valeur, les richesses créées. Une posture indispensable pour avancer sur la piste du développement durable.. A l’instar des travaux de la commission STIGLITZ, les critères d’évaluation d’un bâtiment vont sans semble-t-il prendre un chemin identique. Une marche inéluctable vers le tout quantifier pointe peu à peu son nez. D’ores et déjà, des chercheurs sont en passe de proposer de nouveaux indices à intégrer dans nos grilles d’évaluation…surtout lorsqu’il s’agit de vendre de la certification. Ne nous leurrons pas, le monde du bâtiment connaîtra son lot de critères relatifs à la qualité d’usage ou la qualité d’ « habiter ». Des acteurs de la certification comme le CTSB en France y travaillent déjà. Au Canada, le BEEFP (Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine) a mis en place toute une série de critères d’évaluation plus ou moins subjectifs afin de mesurer la valeur patrimoniale et historique de certains édifices. Alors que la pensée philosophique a longtemps réfléchi à la question de ce qui détermine la qualité de la vie, les récents progrès de la recherche ont donc abouti à des mesures à la fois nouvelles et crédibles. Ces recherches montrent un besoin d’aller au-delà de l’approche purement technicienne qui a encore de beaux jours devant elle. S’ils ne remplacent pas les indicateurs traditionnels, ces indices seront - j’ose espérer - une occasion d’enrichir les discussions et de ré-intégrer la personne et ses conditions de vie ou d’usage dans les différentes échelles où se traduit la société (nations, régions, villes, bâtiments…). Plus important encore, ces nouvelles mesures tout en restant critiquables (car elles devront l’être) offrent l’opportunité de dépasser la recherche statistique classique et sont l’occasion de mettre en cause la justification purement technocratique à outrance. Certaines d’entre elles reflèteront des conditions structurelles relativement peu changeantes dans le temps mais devront être adaptées selon les cultures et pratiques, d’autres sont plus sensibles aux modes en cours pourront être mises en oeuvre et pourront donc être suivies pour analyser les évolutions des usages sur des périodes de temps plus courtes. Les enjeux du développement durable sont multiples et font directement appel, tant à notre conscience, nos émotions, notre sensibilité, notre sens des responsabilités, qu’à nos connaissances, notre compréhension du monde, notre logique, notre imaginaire, notre capacité à nous projeter dans l’avenir, à extrapoler, etc. Comprendre ce que signifie le développement durable, percevoir les enjeux dont il est porteur, le contextualiser, l’apprivoiser pour qu’il entre dans notre sphère privée et professionnelle, semblent donc des éléments nécessaires pour permettre l’investissement individuel en faveur de la mise en place de ce processus et espérer ainsi voir naître l’implication et l’action indispensable à son émergence. Espérons que ces nouvelles valeurs contribueront à une re-valorisation et un re-positionnement de l’homme dans et en relation avec son environnement. A nous architectes et acteurs du bâtiment, de relever le défi et de montrer qu’il sera encore possible de proposer des cellules de « rêves », respectueuses, voire si possible réparatrices, de cet espace public lessivé par nos agressions qu’est notre planète. BIBLIOGRAPHIE CHOISIE SOCIETE Artefacts, vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel - Ezio Manzini - Ed. Les Essais, Centre Georges Pompidou, 1991. Changer le monde, un guide pour le citoyen du XXIème siècle - Ed. La Martinière, 2006. Nous réconcilier avec la terre - Hervé René Martin & Claire Cavazza - Ed. Flammarion, 2009. Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social - Joseph E. Stiglitz, Armatya Sen, Jean-Paul fitoussi - 2009. Repères pour un développement humain et solidaire - Paul Houée - Ed. Les Editions de l’Atelier, 2009. Une écologie du bonheur - Eric Lambin, Les Essais du Pommier, 2009. ARCHITECTURE L’architecture écologique - Dominique GauzinMüller - Ed. Le moniteur, 2001. GREEN, architecture now - Philip Jodidio - Ed. Taschen, 2009. Habiter écologique, quelles architecture pour une ville durable ? Benoït Goez, Philippe Madec, Chris Younès, Ed de La Villette, 2009. H.Q.E. Rudy Ricciotti, Ed Transbordeurs, 2006 Indéfinition de l’architecture - Actes Sud / Cité de l’architecture et du patrimoine, 2009 Traité de construction durable - Collectif, Ed Le Moniteur, 2007 PHILOSOPHIE L’architecture en théorie - Collectif, Ed. Jean Michel Place, 1996 L’invention du plaisir - Michel Onfray, Ed Grasset, 2002 Le Nouvel Ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme - Luc Ferry, Ed Grasset, 2002 Politique du rebelle, traité de résistance et d’insoumission - Michel Onfray, Ed. Grasset, 1997 FILMOGRAPHIE Equilibrium Film de science fiction de Kurt Wimmer (USA, 2002). « Dans une cité du futur, John Preston, chargé de veiller au bon fonctionnement de la société se révolte contre une loi interdisant aux citoyens d’éprouver des sentiments… » Origine Fable écologique de Keiichi Sugiyama, d’après une histoire d’Umanosuke Iida (Japon, 2006). « 300 ans après notre ère, la Terre vit meurtrie des blessures causées par l’inconscience de l’homme. Le monde est désormais dominé par la toute puissance des esprits de la forêt qui infligent à l’humanité leur colère pour les souffrances passées. Dans ce nouveau monde, deux cités coexistent : Ragna qui œuvre pour le retour de la civilisation, et la Cité Neutre, qui prône l’harmonie avec la forêt. Mais le destin s’en mêle lorsque le jeune Agito réveille par hasard Toola, une jeune fille du temps passé. Le fragile équilibre qui régente cette Terre est à nouveau menacé… » Soleil vert Film d’anticipation de Richard Fleisher et Leigh Taylor-Young (USA, 1973). « New York, 2022. Un brouillard a envahi la surface du globe, tuant la végétation et la plupart des espèces animales. D’un côté les nantis qui peuvent avoir accès à la nourriture rare et très chère. De l’autre, les affamés nourris d’un produit synthétique, le Soleil, rationné par le gouvernement… » Wonderful days Film de science fiction de Kim Moon-Saeng (Japon, 2003). « 2142, à l’issue de terribles guerres ayant engendré une catastrophe écologique, quelques milliers de riches survivants ont construit Ecoban, une cité qui tire son énergie de la pollution. Repliés sur eux-mêmes ils rejettent les réfugiés contaminés qui créent alors la citée voisine de Marr. Mais les séquelles de la guerre commencent à s’estomper et la pollution baisse. Craignant pour la survie d’Ecoban, ses dirigeants décident d’incendier Marr afin de créer d’énormes sources d’énergie et mettre fin du même coup aux révoltent qui se multiplient… » Conseil Régional de l’Ordre des Architectes - 17 CHAMPS VISUELS n°83 • septembre 2010 - 16 FORMATION