cours macro LEA (partie 1)
Transcription
cours macro LEA (partie 1)
UNIVERSITE DE PARIS X – NANTERRE TELEDIX LEA 1ER CYCLE B1LNTR24 INTRODUCTION A LA MACRO-ECONOMIE Cours rédigé par Guillemette de LARQUIER1 2004-2005 Avant-propos aux étudiants de Télédix............................................................................................................... 2 1. Introduction générale ....................................................................................................................................... 2 A – Micro-économie versus Macro-économie .................................................................................................... 3 B – L’économie résumée en un syllogisme......................................................................................................... 4 C – Un premier modèle macro-économique ....................................................................................................... 4 2. Agents et flux du circuit économique .............................................................................................................. 6 A – La double circulation des flux ...................................................................................................................... 6 B – La représentation macro-économique selon la Comptabilité nationale ........................................................ 8 1. Les catégories d’agents de la Comptabilité nationale ................................................................................ 8 2. Les opérations et les agrégats de la Comptabilité nationale .................................................................... 10 3. Le calcul des soldes : capacités et besoins de financement ...................................................................... 12 C – La richesse nationale créée et à distribuer .................................................................................................. 14 D - Conclusion en une égalité fondamentale..................................................................................................... 19 3. Les fonctions de l’État .................................................................................................................................... 20 A – La fonction de production non marchande ................................................................................................. 21 1. De l’État producteur aux dépenses gouvernementales ............................................................................. 21 2. Les biens collectifs .................................................................................................................................... 21 B – La fonction de redistribution ...................................................................................................................... 24 1. Prélèvements et prestations....................................................................................................................... 24 2. Assistance versus Assurance ? .................................................................................................................. 26 C – Deux résultats des actions publiques .......................................................................................................... 29 1. La distribution des revenus ....................................................................................................................... 29 2. L’équilibre budgétaire des APU : ............................................................................................................. 31 4. Consommation, épargne et investissement ..............................................................Erreur ! Signet non défini. A – L’arbitrage consommation/épargne....................................................................Erreur ! Signet non défini. 1. Définitions......................................................................................................... Erreur ! Signet non défini. 2. L’acte premier : consommer ou épargner ?...................................................... Erreur ! Signet non défini. 3. La propension à consommer est-elle immuable ? ............................................. Erreur ! Signet non défini. B - Investissement des entreprises ............................................................................Erreur ! Signet non défini. 1. Investissement de remplacement / investissement net ....................................... Erreur ! Signet non défini. 2. Pourquoi l’investissement est-il si fluctuant à court terme ? ............................ Erreur ! Signet non défini. 5. Les politiques économiques et leurs théoriciens ......................................................Erreur ! Signet non défini. A – La croissance ......................................................................................................Erreur ! Signet non défini. 1. Perspective historique....................................................................................... Erreur ! Signet non défini. 2. Les facteurs de la croissance ............................................................................ Erreur ! Signet non défini. B - Le carré « magique » de Kaldor ..........................................................................Erreur ! Signet non défini. 1. Pourquoi éviter un solde commercial déficitaire ? ........................................... Erreur ! Signet non défini. 2. Deux fléaux macro-économiques : chômage et inflation .................................. Erreur ! Signet non défini. C – Les grandes écoles de pensée économique et leurs prescriptions de politiques économiques.......... Erreur ! Signet non défini. 1. Physiocrates contre mercantilistes.................................................................... Erreur ! Signet non défini. 2. Les classiques (1770-1870)............................................................................... Erreur ! Signet non défini. 3. Les néo-classiques............................................................................................. Erreur ! Signet non défini. 4. Les keynésiens ................................................................................................... Erreur ! Signet non défini. 5. Les marxistes..................................................................................................... Erreur ! Signet non défini. 1 Maître de conférences à l’Université de Paris X – Nanterre, [email protected] Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Avant-propos aux étudiants de Télédix J’ai essayé de rédiger ce cours de la manière la plus pédagogique qu’il m’était possible en le destinant à des non économistes. Mais, attention, l’économie demeure une discipline dont la technique et les raisonnements demandent un réel apprentissage qui sera peut être difficile pour certains. L’économie est certes présente partout dans notre quotidien : on en fait, on en parle, on la subit. Mais, entre ce que l’on perçoit communément des phénomènes monétaires ou marchands qui nous entourent et la discipline universitaire qui cherchent à rationaliser l’ensemble de ces phénomènes, il y a souvent un gouffre pour le non averti. Dans ce cours, j’ai essayé d’enchaîner les idées, les concepts et les chapitres avec logique. L’idéal serait que l’étudiant(e) apprenne ce cours à l’aide d’un crayon pour repérer chaque étape logique et se réapproprier ainsi les raisonnements économiques (simples) qu’il doit acquérir. Un bon exercice pour tester sa compréhension est de reproduire l’ensemble de ces enchaînements. Un certain nombre de données statistiques sont mobilisées dans ce cours : elles sont là pour illustrer les raisonnements (aider à mieux comprendre la théorie) et pour donner aussi un aperçu chiffré de la situation macro-économique française, en comparaison avec d’autres pays (en particulier les États-Unis). Personne n’a à connaître par cœur ces tableaux et graphiques mais leur ordre de grandeur et leur tendance, si. Enfin, pour compléter ce cours, on peut lire avec profit le numéro 315 des Cahiers français (jui-août 2003, La Documentation française, Comprendre l'économie - 1. Concepts et mécanismes) qui cadre parfaitement avec le programme de cette introduction à la macroéconomie. La lecture des Cahier français n° 317 (nov-déc 2003, La Documentation française, Comprendre l'économie – 2. Problèmes et débats contemporains) est également conseillée si on veut aller plus loin. Enfin, l’étudiant(e) est invité(e) à s’aider d’un dictionnaire d’économie, car certains des concepts économiques que j’utiliserai seront, peut-être à tort, considérés connus et non explicitement définis. Il y a pléthore de ce genre d’ouvrage, l’un des plus récents est celui de Claude-Danièle Echaudemaison (Dictionnaire d’économie, Nathan). 1. Introduction générale Ce cours n’est pas destiné aux économistes ! Il a été conçu comme une initiation aux principaux concepts macro-économiques (PIB, redistribution des revenus, balance extérieure, déficit budgétaire, inflation, etc.). Il est important de les maîtriser puisqu’ils sont utilisés par un grand nombre d’acteurs (hommes politiques, chefs d’entreprise, syndicats, ONG, journalistes) pour « mesurer » ou « peser » l’état d’un pays, d’une branche professionnelle, d’un continent. On attend de ces concepts une rigueur scientifique, une objectivité, bref une neutralité qui permettent des comparaisons internationales (pour répondre à des questions telles que « le niveau de vie des Britanniques est-il supérieur ou inférieur à celui des Français ? »). En fait, les concepts macro-économiques sont étroitement liés à la représentation des économies occidentales telle que proposée par la Comptabilité nationale. C’est pourquoi ce cours s’attachera au maximum à reprendre les définitions de la Comptabilité nationale et sa représentation en circuit des flux économiques. Et comme la consolidation des Comptes nationaux s’est faite à l’époque où la théorie économique dominante était celle issue des travaux de John Maynard Keynes, implicitement les bases de cette initiation à la macro-économie seront keynésiennes. Université de Paris X – Nanterre 2 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Dans cette introduction, nous introduisons l’approche macro-économique. Puis nous verrons que « faire de la macro-économie » nécessite une opération de réduction de la « réalité » conditionnée aux hypothèses que l’on a sur le fonctionnement de la société. A – Micro-économie versus Macro-économie Pourquoi dans les universités enseigne-t-on dans des cours séparés la micro-économie et la macro-économie ? Pour la même raison qui justifie que parfois on a besoin d’un plan de métro, et parfois d’une mappemonde pour le même type de problème : localiser un endroit. Pour savoir où se trouve la station Sablons, l’information exhaustive sur les latitudes du reste de la Terre de la mappemonde est inutile (l’information que je cherche est noyée dedans et ne peut apparaître) ; en revanche, pour situer la Colombie par rapport à la France, ce sont les informations détaillées du plan du métro parisien qui sont sans valeur (l’information que je cherche est en-dehors du plan). Regardons alors ce qu’apporte chacune des deux approches en économie. L’approche micro-économique consiste à se placer au niveau de l’individu (de manière virtuelle car on étudie un personnage idéalisé par la science économique, dont le motif d’action se résume à chercher le plus de satisfaction possible contre le moins de peine possible). L’homo oeconomicus plongé dans un univers de rareté (ses ressources et son budget sont limités) cherche à atteindre le plus d’objectifs possibles (eux, sont illimités). Pour cela il doit arbitrer, renoncer à certains objectifs (« pour acheter l’appartement de mes rêves, dans les 15 ans à venir je décide de consacrer 33% de mon salaire au remboursement de mon emprunt et donc d’amputer d’autant ma consommation courante »). L’économiste imagine ainsi quel est le comportement d’un agent dit rationnel dans tel ou tel contexte défini par des contraintes techniques ou budgétaires. Cette approche est essentiellement hypothético-déductive, et donne lieu à des travaux souvent formalisés, mathématiques. En adoptant une approche macro-économique, on se place au niveau d’une économie territoriale, une nation. On construit des agrégats, à savoir l’addition ou l’agrégation d’une multitude d’actions et de décisions individuelles de même type non coordonnées (on somme toutes les consommations en euros des ménages français). Puis, par le biais d’observations chiffrées, on cherche à établir des relations stables entre ces agrégats (la consommation des ménages français est égale à 85% des revenus des ménages français), alors même qu’aucune rationalité individuelle n’est derrière cette relation (aucun individu n’a choisi sciemment le pourcentage 85%). C’est un effet de composition : de la multitude des actions décentralisées, pensées par 60 millions de cerveaux incontrôlables, on suppose qu’il sort quelques relations stables entre quelques grands types d’actions (produire, consommer, investir, épargner, etc.). On néglige les décisions individuelles (qu’importe ce qui les a motivées), on ne retient que le résultat agrégé. Un dernier exemple : une approche micro-économique du chômage insisterait sur la recherche d’emploi d’un individu en fonction du montant de son indemnité, alors qu’une approche macro-économique chercherait à mesurer le coût du chômage en indemnités versées par l’UNEDIC et en manque à gagner en termes de capital humain (travailleurs) non occupé. Pour les deux approches, une opération de réduction de la « réalité » est nécessaire. On se donne un modèle économique, c’est-à-dire un modèle réduit de cette « réalité » qu’aucune intelligence humaine ne peut maîtriser dans son ensemble et dans ses détails. Qu’est-ce qui peut résumer la « réalité » française ? L’augmentation du nombre d’immatriculations de voitures neuves, la durée moyenne d’ensoleillement de la Charente-Maritime, le nombre de morts du cancer des poumons ? Dans cette énumération, la raison peut nous aider à juger ce qui est pertinent ou non (et encore ! chacun de ces facteurs a un impact économique, Université de Paris X – Nanterre 3 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier touristique ou de santé publique). Mais avant tout, pour réduire cette « réalité » inextricable, il y a des choix théoriques à faire, c’est-à-dire des hypothèses à formuler sur le fonctionnement de la société et sur ce qui la décrit de manière fondamentale (les autres éléments n’apportant qu’une information inutile, voire parasitaire). Ainsi, l’économiste crée-t-il des modèles théoriques en retenant certains éléments et en en écartant d’autres qu’il juge négligeables, et il ne peut faire cela sans révéler sa « conception du monde » (par exemple, il peut estimer que seuls les marchés régulent l’emploi, que l’État n’est qu’une contrainte externe, et il se contentera d’introduire un prix rigide, le SMIC, pour représenter son action). B – L’économie résumée en un syllogisme Le lecteur aura donc compris qu’il n’existe pas une mais plusieurs théories économiques (le dernier chapitre du cours en fera un tour d’horizon). Néanmoins, je vais ici proposer une description de l’économie en un syllogisme2 assez général qui vise à englober toutes les approches. 1. À une époque donnée, la production est d’un niveau Y. 2. Or, étant donné les règles sociales en vigueur, il y a distribution de cette production Y entre les catégories économiques d’agents ; puis, entre eux, les individus peuvent échanger ce qu’on leur a distribué. 3. Par conséquent, chaque individu i détient une part yi de la production et peut l’utiliser comme il le souhaite : consommation ou investissement. La production est le point de départ, c’est une donnée technique qui varie suivant les périodes de l’Histoire et leurs connaissances, c’est une donnée historique. La distribution est une donnée sociale, c’est ici qu’apparaissent les rapports entre les catégories économiques ou classes sociales. L’échange est une donnée se situant à un niveau inter-individuel. L’utilisation du produit est le point final, c’est une donnée individuelle : soit le produit disparaît définitivement, c’est l’épuisement du produit (la consommation), soit il est réinjecté dans le processus de production de la période suivante (l’investissement). On peut, sans beaucoup se tromper, dire que la micro-économie ne fait pas entrer les deux premiers niveaux dans son champ d’analyse et que la macro-économie néglige l’autonomie des deux derniers. Selon cette dernière, ce qui se passe au niveau individuel ou interindividuel est déterminé par les niveaux supérieurs : l’Histoire, les règles sociales de distribution des fruits de la production. Donc, même si l’utilisation de ce qui a été produit reste la finalité de l’économie, il suffit de connaître les structures macro-sociales pour mesurer cette étape globale ; on considère inutile à l’analyse la connaissances des décisions individuelles et autonomes d’utilisation du produit. C – Un premier modèle macro-économique Nous allons présenter ce qu’on peut considérer comme un des tout premiers modèles macro-économiques : le tableau économique de Quesnay (1758). Ce modèle, paradoxalement parce qu’aujourd’hui il est obsolète, achève notre argumentation introductive sur le caractère contingent d’un modèle économique. Le tableau économique de Quesnay est limité à la société du XVIIIe siècle qu’il reproduit et entravé des a priori théoriques de la physiocratie, mouvement français auquel appartenait son concepteur (cf. chapitre 5). La leçon à en retenir 2 On rappelle qu’un syllogisme est une déduction formelle telle que, deux propositions étant posées (majeure, mineure), on en tire une troisième (conclusion), qui est logiquement impliquée par les deux précédentes (ex. Tous les hommes sont mortels; or, Socrate est un homme; donc Socrate est mortel). Université de Paris X – Nanterre 4 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier sera donc qu’aucun modèle macro-économique n’est universel ou hors de l’histoire3, et pas plus celui de la Comptabilité nationale actuelle que celui de Quesnay. François Quesnay est médecin à la cours de Louis XV, mais à l’époque où la science n’est pas encore fortement spécialisée, il se prend d’intérêt pour les flux économiques qui irriguent la société tel le sang qui circule dans le corps humain. Il publie le tableau économique en 1758 (non pas sous la forme représentée ci-dessous, mais sous la forme d’un tableau de chiffres) et quelques articles dans l’Encyclopédie de Diderot. Quesnay propose un modèle économique qu’il veut scientifique ; avec le recul, on peut apprécier sa réduction de la société française sous l’Ancien régime. Économiste physiocrate, il considère l’agriculture comme la principale source de richesses. A la question « qu’est-ce qui crée de la valeur ? », la réponse est « la terre ». En effet, vous semez un grain, vous en récolterez cinquante : il y a bien création (ou production, première étape de notre syllogisme). En revanche, l’artisanat ou l’industrie ne crée pas, il y a uniquement transformation. De la sorte, Quesnay distingue trois classes d’agents économiques qu’on peut ordonner selon leur utilité créatrice : (i) les producteurs (les agriculteurs), la classe utile qui extrait des richesses de la terre ; (ii) l’industrie, (les artisans, marchands et industriels), les « stériles » qui ne font que transformer les richesses naturelles ; et (iii) les propriétaires, (l’aristocratie et le clergé, propriétaires fonciers traditionnels), les « parasites » qui perçoivent des loyers et des fermages et les dépensent. La distribution des richesses produites va se faire en suivant un circuit propre aux rapports sociaux de cette société. Comme point de départ, supposons que les producteurs ont créé des produits agricoles pour une valeur de 5 écus. Ils conservent une part de cette production, à hauteur de 2 écus, pour leur propre alimentation et pour semer et produire l’année prochaine. Ils doivent verser des loyers et fermages à leurs propriétaires pour une valeur de 2 écus et ils achètent des produits manufacturés pour 1 écu : les agriculteurs injectent ainsi des revenus dans le circuit. Avec les 2 écus perçus, les propriétaires ne créent et ne transforment rien, ils ne font que consommer, 1 écu de produits agricoles et 1 écu de produits manufacturés. Les industriels grâce aux 2 écus de produits manufacturés qui leur ont été commandés, peuvent acheter pour 2 écus de produits agricoles qu’ils consomment ou transforment. On peut vérifier dans le schéma ci-dessous (où les rectangles figurent les classes d’agents et les flèches leurs échanges), que tous les flux se compensent entre ceux qui correspondent à des entrées (production, loyers, commandes) et ceux qui correspondent à des sorties (achats). C’est le principe fondamental des représentations en circuit que l’on va approfondir dans le chapitre suivant. Schéma 1. Le tableau économique de Quesnay 2 Propriétaires 1 Producteurs 1 2 2 Industrie 1 Le modèle de Quesnay appartient à l’histoire des théories économiques et nous est de peu 3 contrairement à la prétention des modèles micro-économiques qui considèrent la figure et la rationalité de l’homo oeconomicus comme constantes dans le temps et l’espace. Université de Paris X – Nanterre 5 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier d’utilité pour comprendre notre société de consommation mondialisée. Néanmoins, l’exposé de ce modèle doit alerter le lecteur sur le fait que la macro-économie à laquelle ce cours veut l’initier est appelée également à vieillir et à être remise en question avec l’évolution sur le long terme des sociétés. Et ce qui est vrai d’une variabilité dans l’histoire l’est également d’une variabilité dans l’espace. Une fois encore, la macro-économie de ce cours est formatée par les définitions de la Comptabilité nationale, forgée dans le courant du XXe siècle dans les instituts nationaux de statistiques des pays occidentaux, marqués par la concurrence des marchés et le rôle régulateur et de redistribution de l’État. Cela peut-il se transposer, sans pertes dans l’analyse, à des économies différentes, où par exemple le salariat et sa protection sociale ne sont pas la norme ? Dans le chapitre 2, les bases de notre modèle macro-économique sont exposées. Dans les chapitres 3 et 4 sont étudiés les comportements des trois agents principaux : la production non marchande et la redistribution de l’État, la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. Dans le chapitre 5, on abordera en quelque sorte le résultat de toutes ses activités économiques : la croissance. Si nous contribuons tous à la croissance, malheureusement, la croissance ne se décrète pas : nous listerons les écoles théoriques4 et les politiques macroéconomiques de court terme qu’elles préconisent ou non. Enfin, des comparaisons internationales viennent étayer chaque chapitre. Nos sources de données sont essentiellement l’Institut National des Statistiques et des Études Économiques (INSEE) et l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). À la date de rédaction de ce document (décembre 2004), nos données les plus récentes sont selon les cas 2002 ou 2003. 2. Agents et flux du circuit économique Ce chapitre doit permettre au lecteur de saisir l’ensemble du circuit économique d’une nation telle que la France : une économie qui crée des richesses dans l’agriculture, l’industrie et les services et les distribue via la rémunération du travail et du capital, cette distribution étant ensuite modifiée par la redistribution orchestrée par l’État. A – La double circulation des flux Pour bien se familiariser avec une représentation en circuit des flux économiques, imaginons une économie simplifiée constituée uniquement d’agents privés, sans pouvoirs publics et sans relations avec l’étranger (économie fermée). Les agents sont repérés selon leur fonction ou activité économique (consommer ou produire) et non plus selon leur classe sociale. Les ménages offrent une marchandise particulière, leur travail ; leur revenu est donc le salaire. Grâce à ce revenu, ils consomment des biens de consommation finale (CF). Les entreprises produisent les biens de consommation finale, à l’aide de travail, de biens d’équipement (K ou capital fixe5) et de biens de consommation intermédiaires (CI ou capital circulant6). Ils doivent également produire ces deux types de biens. 4 autres que l’école keynésienne qui inspire déjà fortement la présentation des précédents chapitres. Est qualifié de capital fixe le capital qui ne disparaît pas lors du processus de production : bâtiments techniques, machines-outils, photocopieuses, etc. 6 Est qualifié de capital circulant le capital qui disparaît lors du processus de production : électricité, planches de bois, trombones, etc. 5 Université de Paris X – Nanterre 6 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Il y a entre ces deux catégories d’agents deux types de flux : réels et monétaires. Les flux réels correspondent aux transferts de marchandises. Les flux monétaires en sont la contrepartie monétaire. Comme c’est une contrepartie, cela vient en double. Schématiquement, ci-dessous, à toute flèche en trait plein (transfert de marchandises) correspond une flèche inverse en pointillés (en euros par exemple). Le plus souvent, on ne retient que les flux monétaires, car nous sommes dans des économies monétaires où la grande majorité des échanges sont monétarisés (donnent lieu à une contrepartie en argent). Schéma 2. Le circuit d’une économie simplifiée. Dépenses de CF = 11000 Dépenses de CI = 6000 Biens de CF Ménages Biens de CI Entreprises Biens d’ équipement Heures de travail Investissement = 2000 Salaires = 12000 Procédons à présent au bilan budgétaire de chaque catégorie d’agent. Les ménages sont en capacité de financement, les entreprises en besoin de financement. En effet, les ménages ont des revenus de 12000 € et dépensent 11000 €, il leur reste 1000 € (12000-11000) avec lesquels ils sont capables de financer « autre chose ». Quant aux entreprises, elles ont rémunéré du travail pour 12000 €, elles ont acheté 6000 € de bien de consommation intermédiaire et ont investi pour 2000 € en biens d’équipement, leurs dépenses totales s’élèvent donc à 20000 €. Par ailleurs, leur chiffre d’affaires (ou la recette de leurs ventes) s’élève à 19000 € : 11000 € pour la vente aux ménages de bien de consommation finale, 6000 € pour la vente à des entreprises utilisatrices de biens de consommation intermédiaire et 2000 € pour celle de biens d’équipement à des entreprises investissant. Les entreprises ont donc besoin de 1000 € pour financer ce qu’elles ont dépensé en trop (20000-19000). Schéma 2b. Le circuit complété. Dépenses de CF = 11000 Dépenses de CI = 6000 Biens de CF Biens de CI Épargne = 1000 Ménages Entreprises Titres Heures de travail Biens d’ équipement Investissement = 2000 Salaires = 12000 Or, comme ce circuit est fermé (ni État, ni pays étranger), seuls les ménages peuvent satisfaire le besoin de financement des entreprises. On ajoute donc à notre schéma un échange supplémentaire : des titres ou actions des entreprises contre l’épargne des ménages7. Dans un circuit économique sain, les flux monétaires s’équilibrent, capacités de financement et besoins de financement doivent se compenser. Ce principe est fondamental. 7 Ces derniers, principalement salariés, sont finalement aussi capitalistes : ils possèdent une part du capital de l’entreprise. Université de Paris X – Nanterre 7 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Pour finir avec cette section, appliquons le syllogisme de l’introduction générale à cette économie (Production - Distribution – Échange – Utilisation) : 1. Qui produit ? Les entreprises avec deux types de facteurs de production : travail et capital (fixe et circulant). 2. Comment distribue-t-on la richesse ? Essentiellement par le biais des salaires : il s’agit d’une société salariale, avec une part d’actionnariat salarié. 3. Comment se font les échanges de marchandises ? Ce niveau n’apparaît pas dans l’analyse macro-économique. On peut supposer que cela se fait sur des marchés concurrentiels, cela ne change rien au tracé du circuit. 4. Qui consomme et investit ? Là encore aucun détail individuel n’est pris en compte. Néanmoins, on retrouve la différence fondamentale entre consommation (CF et CI) d’une part et investissement d’autre part, selon que les marchandises disparaissent ou sont réinjectées dans le processus de production de la période suivante. L’esprit et les principes ayant guidé la construction de ce modèle simplifié se retrouvent dans la représentation macro-économique de l’économie française élaborée de manière beaucoup plus complexe par l’INSEE. B – La représentation macro-économique selon la Comptabilité nationale La Comptabilité nationale est une représentation chiffrée de l’activité économique d’un pays. En conséquence, la Comptabilité nationale est un modèle, une opération de réduction de la « réalité » mobilisant un certain nombre d’hypothèses et de conventions (de calculs et de définitions). En fait, la Comptabilité nationale établie au moment de la Seconde Guerre mondiale est très inspirée de la représentation de l’économie que l’on peut tirer de La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes (1936). Pour permettre des comparaisons dans le temps (la France d’aujourd’hui avec celle de l’Après-guerre) et dans l’espace (entre pays de la zone euro), les conventions comptables doivent être communes et stabilisées. • Au niveau de l’Organisation des Nations Unies, il existe des principes généraux qui établissent un vocabulaire commun aux Nations de l’ONU pour comparer leur performances ou difficultés économiques. • Depuis 1995, la Comptabilité nationale est harmonisée au niveau européen : elle permet des comparaisons directes entre États-membres de l’Union Européenne. Il s’agit du SEC95 (Système européen de comptabilité 1995). On va retrouver les principes exposés dans la section A : • distinguer les catégories d’agents selon leur fonction ou activité économique principale et non selon leur classe sociale, • ne retenir que les flux monétaires, mesurés en euro par exemple (on écarte donc toutes les activités non marchandes ne générant pas un versement monétaire8), • calculer au final les capacités et les besoins de financement qui doivent se compenser. 1. Les catégories d’agents de la Comptabilité nationale On s’intéresse aux agents d’une économie délimitée dans l’espace et dans le temps. Dans 8 Typiquement, la préparation d’un repas dans un restaurant est un service économique comptabilisé contrairement à celle d’un repas pris chez soi. Le premier service est payé, le second est gratuit. De manière générale, la production domestique est négligée par la Comptabilité nationale. Université de Paris X – Nanterre 8 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier l’espace, le territoire de la France correspond à la somme de la métropole, des Départements d’Outre-Mer9 et des enclaves territoriales10 françaises à l’étranger, somme à laquelle on soustrait les enclaves étrangères en France. Pour le temps, on prend traditionnellement l’année civile comme unité (il existe aussi des comptes trimestriels). En fait, la Comptabilité nationale est plus « territoriale » que « nationale ». Elle ne concerne pas les agents de nationalité française, elle concerne les « résidents », principalement les personnes physiques ayant leur domicile principal dans le territoire délimité et les personnes morales pour leurs seuls établissements dans le territoire11. Les résidents sont regroupés en cinq secteurs institutionnels. Chaque secteur ou catégorie est caractérisé par : i) sa fonction ou activité économique principale : à quoi sont employées ses ressources ? ii) la nature et l’origine de ses ressources principales. On parle également des emplois et des ressources de chaque secteur institutionnel. LES MENAGES - Catégorie des agents dont l’activité principale économique est la consommation. Toute personne physique appartient donc à la catégorie des ménages. Notons que, par convention, un ménage comprend tous les individus vivant sous un même toit (les ordres religieux, les patients longuement hospitalisés, les prisonniers, les personnes âgées vivant en permanence en maisons de retraite forment des ménages collectifs). Leurs ressources sont constituées de la rémunération de leur participation au processus de production au titre de travailleurs et de capitalistes. Ils possèdent ainsi tous les facteurs de production. Il les louent aux entreprises et reçoivent en échange salaires, intérêts (rémunération des obligations) et dividendes (rémunération des actions). LES SOCIETES NON FINANCIERES ou SNF (appelées communément entreprises) Catégorie des agents qui produisent et vendent des biens et services marchands et non financiers. On dit qu’un bien est marchand dès lors qu’il est vendu un prix supérieur à son coût de production12 : il s’agit donc d’un bien rentable, sur lequel l’entreprise fait un bénéfice. Les entreprises ne consomment pas mais transforment les ressources13. Enfin, les bénéfices (chiffres d’affaires moins les coûts) sont leurs ressources. LES SOCIETES FINANCIERES ou SF (appelées communément banques et intermédiaires financiers) - Catégorie des agents qui collectent, transforment et répartissent des moyens de financement et/ou gèrent des produits financiers. Ils servent d’intermédiaires entre les agents bénéficiant d’une capacité de financement et ceux en besoin de financement. Leurs ressources correspondent à un autre type de bénéfice : la différence entre les intérêts reçus et les intérêts versés. LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ou APU (l’État, les collectivités locales et les institutions de la protection sociale) - Catégorie des agents ayant deux fonctions principales : (i) celle de producteur : la production de biens et services non marchands (leur prix de vente est inférieur au coût de production) ; et (ii) une autre qui est absolument spécifique aux APU : la redistribution des revenus, à savoir la collecte des prélèvements obligatoires et le 9 En revanche, on exclut les Territoires d’Outre-Mer. Ambassades, bases militaires ou scientifiques. 11 Les usines de Renault en Amérique du Sud ne sont pas comptabilisées. 12 Plus exactement, la Comptabilité nationale considère que le prix doit être supérieur à la moitié de son coût de revient ou de production. 13 Sauf à considérer leur consommation intermédiaire de capital circulant. 10 Université de Paris X – Nanterre 9 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier versement de prestations. Leurs ressources proviennent essentiellement des prélèvements obligatoires. LES INSTITUTIONS SANS BUT LUCRATIF AU SERVICE DES MENAGES ou ISBLM (associations, fondations, etc.) – Catégorie des agents, ni entreprises, ni État, qui fournissent des services non marchands aux ménages. Leurs ressources sont constituées des cotisations volontaires des ménages et des subventions des APU. Outre ces cinq secteurs institutionnels résidents, on définit un secteur composé de tous les non-résidents qui ont eu un échange économique avec au moins un secteur résident. On le qualifie de manière assez large de RESTE DU MONDE. Appartiennent au Reste du Monde le touriste japonais qui achète une carte postale au bas de la Tour Eiffel, une entreprise allemande qui verse un dividende à des actionnaires résidant en Bretagne, ou une administration publique américaine qui reçoit le paiement d’une taxe de la part de viticulteurs charentais qui exportent leur cognac. Emplois et ressources du Reste du Monde sont par construction totalement hétérogènes. 2. Les opérations et les agrégats de la Comptabilité nationale L’ensemble des flux monétaires sont répartis en trois grands types d’opérations : - les opérations sur biens et services ; - les opérations de répartition ; - les opérations financières. Les opérations sur biens et services retracent l’origine des biens et services (production nationale ou importation) et leurs utilisations (consommation, investissement, exportation). Les opérations de répartition décrivent les opérations de distribution et de redistribution du revenu ainsi que des flux de revenu avec le Reste du Monde. Les opérations financières sont relatives à la création des moyens de paiement, placement et financement. Comme déjà dit en introduction générale, quand on somme toutes les opérations d’un type donné, on obtient une grandeur économique, un agrégat. Par exemple, si on somme toutes les opérations d’achat de biens de consommation finale, on obtient l’agrégat consommation des ménages. A présent, on pourrait représenter l’ensemble des flux agrégés entre les six secteurs institutionnels à la manière des schémas 2 et 2b de la section A. Cela représenterait une difficulté graphique inutile à notre propos. C’est donc une représentation alternative que l’on va adopter qui insiste sur l’enchaînement logique des opérations économiques agrégés : de la production à l’utilisation, en passant par la distribution et les échanges (cf. schéma 3). Première évidence, nos économies modernes sont des économies productives (nos richesses ne proviennent pas de la chasse et de la cueillette comme dans les économies primitives). Donc le point de départ est la production Y. La production est l’activité économique socialement organisée consistant à créer des biens et services s’échangeant habituellement sur le marché et/ou obtenus à partir de facteurs de production s’échangeant sur le marché14. Comme on mesure la production Y non pas en tonnes mais en euros, cela revient à mesurer en fait le chiffre d’affaires de l’ensemble des unités productives. Il faut tenir compte du fait que certains biens produits x vont être immédiatement intégrés dans la production d’autres biens y ; de même, le coût d’achat des x est intégré dans le prix de vente des y. Comme dans l’agrégat Y on comptabilise le chiffre d’affaires générés par les 14 Cette définition permet d’englober les biens et services marchands et non-marchands mais exclut les productions domestiques. Université de Paris X – Nanterre 10 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier biens x et les biens y, en quelque sorte les biens x comptent deux fois ! Pour mesurer les richesses nouvelles effectivement créées, ou valeur ajoutée (VA), il faut diminuer la production totale de tous les biens (capital circulant) qu’on a produits et utilisés pour produire dans la même période. Ou encore la valeur ajoutée rend compte du fait que pour produire il a fallu détruire (la consommation intermédiaire déjà abordée, CI) : VA = Y – CI. Cette valeur ajoutée nous donne la taille du gâteau à se répartir entre tous les membres de la société. Dans un mode de production capitaliste, la distribution se fait selon le principe de la rémunération des facteurs de production : le travail et le capital. Donc chaque membre reçoit un certain niveau de revenu du travail ou de la propriété en fonction de sa participation au processus de production en tant que salarié ou capitaliste : on les qualifient de revenus primaires ou fonctionnels. À ce stade, si on regarde comment les revenus sont distribués dans la population, on parle de répartition primaire des revenus. Schéma 3. L’enchaînement simplifié des agrégats de la Comptabilité nationale en l’absence du Reste du Monde15 Y : Production CI VA TVA Revenus de la propriété Revenus du travail revenus primaires T Prélèvements obligatoires revenus disponibles FBCF E P CF Ainsi toute la VA est distribuée aux ménages (sauf les taxes sur la valeur ajoutée, ou TVA, qui vont aux APU). On considère que rien ne reste aux entreprises, car les revenus appartiennent à des personnes physiques, les entreprises elles-mêmes appartiennent aux actionnaires inclus dans les ménages16. 15 Les cases grisées correspondent à des ressources qui disparaissent définitivement. Concrètement, il reste bien des liquidités dans la trésorerie des entreprises. C’est une hypothèse économique de considérer que cet argent appartient aux ménages actionnaires qui, bien sûr, ne le consommeront pas en tant qu’individus, mais l’épargneront et l’investiront par l’intermédiaire des entreprises. 16 Université de Paris X – Nanterre 11 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Or, nos économies modernes sont non seulement productives mais aussi marquées par l’action de l’État-providence ou État social (cf. distinction chapitre 3). L’activité de redistribution des revenus de l’État (une des deux fonctions des APU) modifie la répartition primaire des revenus par des prélèvements monétaires (T) sur les revenus d’une part et des réallocations monétaires d’autre part. À cette nouvelle étape, on peut observer la répartition secondaire des revenus. Maintenant les ménages vont pouvoir consommer des biens de consommation finale (CF). Nous verrons chapitre 4 qu’à ce niveau il existe un arbitrage lors de l’utilisation du revenu : soit on consomme, soit on épargne. L’épargne (E) permet une autre utilisation du revenu : l’investissement (ou formation brute de capital fixe, FBCF). Les Sociétés financières jouent leur rôle d’intermédiaire en rapprochant l’épargne placée des ménages aux besoins des entreprises qui investissent. La FBCF est privée et publique car les APU investissent également pour produire les années suivantes. Le schéma ci-dessus est simplifié car non seulement la part de chaque secteur institutionnel n’apparaît pas, mais encore l’économie représentée est fermée, c’est-à-dire non ouverte au Reste du Monde. Il faudrait au minimum ajouter cinq types d’opération : • une partie de la production Y est exportée et sort du territoire (flux d’exportation X) ; • en sens inverse, les résidents français importent des biens et services non financiers du Reste du Monde qui viennent s’ajouter à la production nationale (flux d’importation M) ; • une partie de la valeur ajoutée est versée au Reste du Monde (aux salariés et aux actionnaires non résidents) ; • s’ajoutent aux revenus primaires des résidents des revenus provenant du Reste du Monde (versement de salaires et de revenus de la propriété) ; • enfin, il ne faut pas oublier les taxes et impôts versés et reçus entre le Reste du Monde et les APU françaises. Pour finir, on vérifie que l’on retrouve dans ce schéma les trois types d’opérations énumérées plus haut : • les opérations sur biens et services : les flux agrégés Y, CI, CF, FBCF, X et M ; • les opérations de répartition : VA, Revenus de la propriété, Revenus du travail, taxes, redistribution, revenus disponibles. • les opérations financières : l’intermédiation entre l’épargne et les besoins d’investissement, l’intermédiation entre la capacité/besoin de financement de la France et le besoin/capacité de financement du Reste du Monde (ce qui suit). 3. Le calcul des soldes : capacités et besoins de financement Au final, en confrontant l’agrégat épargne à l’agrégat FBCF, on peut mesurer si la France (la Nation et non pas seulement l’État) est en capacité ou non de financer intégralement ses investissements pour produire dans le futur. Si la France vivait en autarcie, les résidents devraient s’autofinancer entre eux (comme dans l’économie du schéma 2b). Comme ce n’est pas le cas, on considère que l’on peut soit emprunter soit prêter au Reste du Monde. Ainsi, en 2002, la France est en capacité de financement (grâce à l’épargne importante de ses ménages qui fait plus que compenser les déficits publics de l’État) à hauteur de 21,5 milliards d’euros. Par convention on en déduit que le Reste du Monde est en besoin de financement de la même somme : nous pouvons lui prêter nos moyens de financement par l’intermédiaire des Université de Paris X – Nanterre 12 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier SF. En 2003, la France s’est trouvée en besoin de financement à hauteur de 2,3 milliards d’euros, ce qui ne s’était pas produit depuis dix ans (cf. graphique 1), cette fois-ci le Reste du Monde est en capacité de financement. Tableau 1. Capacité (+) ou besoin (-) de financement des secteurs institutionnels français en 2002 et 2003 – en milliards d’euros : 2002 2003* ménages + 78,3 +67,5 Sociétés Non Financières - 15,6 -20,7 Sociétés financières + 7,5 Administrations publiques - 49,8 -64,6 Institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLM) + 0,5 total national Reste du Monde * 21,5 +14,3 +1,2 -2,3 - 21,5 +2,3 prévisions Dans le graphique 1, on voit que le bilan de la Nation France dépend essentiellement de comment se compensent les soldes de deux secteurs institutionnels : les ménages et les APU, les premiers ayant tendance à dégager une capacité de financement, les secondes étant en déficit depuis le début des années 1980. Graphique 1. Capacité (+) ou besoin (-) de financement des secteurs institutionnels français de 1978 à 2003 – en milliards d’euros (données INSEE) 100,0 80,0 ménages 60,0 40,0 nation 20,0 SF 0,0 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 -20,0 SNF -40,0 -60,0 APU -80,0 A la lecture du graphique 2, on voit qu’il n’existe pas de corrélation évidente entre capacité / besoin de financement et vitalité ou grandeur économique. Le Japon est une Nation en capacité de financement malgré la crise qui la touche depuis le début des années 1990. Quant aux États-Unis, la plus grande nation commerçante, ils sont les débiteurs du Reste du Monde ; de fait, les États-Unis sont actuellement la grande pompe aspirante de l’épargne mondiale. Et qui hésiterait à leur prêter son argent, étant donné leur capacité productive, à défaut de capacité de financement ? Université de Paris X – Nanterre 13 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Graphique 2. Capacité (+) ou besoin (-) de financement de quatre pays de l’OCDE de 1987 à 2002 – en pourcentage du PIB 5,0% 4,0% 3,0% 2,0% 1,0% 0,0% 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 -1,0% -2,0% -3,0% -4,0% FRANCE ITALY JAPAN UNITED STATES C – La richesse nationale créée et à distribuer Dans les chapitres 3 et 4, nous étudierons plus en détails les comportements de redistribution, de consommation et d’investissement. Auparavant, nous allons nous attarder sur le point de départ : d’où vient la valeur ajoutée ? Quelle richesse crée-t-on qui délimite l’ensemble des possibles de la consommation, de l’investissement et de la redistribution : bref, ce que communément nous avons déjà appelé la taille du gâteau à se partager ? On a déjà dit que la valeur ajoutée nationale VA se mesure en déduisant les consommations intermédiaires de la production. Soit en 2002 : VA = Y – CI ≈ 1 521 milliards d’euros. Soit en 2003 : VA = Y – CI ≈ 1 557 milliards d’euros. On tient compte ainsi de la destruction du capital circulant dans le processus de production, on pourrait aussi considérer l’usure du capital fixe, qui sans disparaître, vieillit et devra être remplacé à terme. On distingue alors la VA nette de la VA brute. VA nette = VA brute – amortissement du capital fixe Sans plus d’indication, tous les agrégats de la comptabilité nationale sont établis « en brut », sans tenir compte de l’usure des machines. Par conséquent, quand on écrit VA, il faut comprendre valeur ajoutée brute. Loin des hypothèses restrictives de Quesnay, on considère que la richesse est créée par l’ensemble des unités productives réparties entre trois grands secteurs : primaire, secondaire et tertiaire. Le secteur primaire regroupe toutes les activités d’extraction des ressources naturelles (blé, poissons, minerais, etc.). Le secteur secondaire, ou industrie, regroupe les activités qui transforment ces ressources pour en faire des biens manufacturés. Enfin, les activités restantes constituent le dernier secteur, dit tertiaire – hétérogène par construction – leur point commun serait la fourniture de services ; la richesse produite est immatérielle17. 17 Par exemple, un coiffeur ne coupe pas des cheveux (ce qui pourrait être considéré comme la transformation d’une matière première naturelle, les cheveux) il vend une coupe de cheveu, une allure, concept totalement immatériel. Université de Paris X – Nanterre 14 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier En France, on considère qu’existent quelque 2,4 millions d’entreprises privées18, 1500 entreprises publiques19, et 400 000 exploitations agricoles20. En 2002, les entreprises (hors agricultures) se répartissent entre industrie et services (marchands et non marchands) à hauteur respectivement de 23,6 % et 76,4 %. La contribution de chaque secteur à la valeur ajoutée nationale reflète cette répartition : Tableau 2. Part dans la valeur ajoutée de chaque secteur de production en 2002 Primaire 3.1% Industrie 26.5% Services marchands et non marchands 70.4% Encadré 1. La taille des entreprises françaises En France, on compte 2 350 000 entreprises privées (hors agriculture et finances), soit 14 millions de salariés. Répartition par taille : Les très petites (25,9% des salariés) : 1 140 000 entreprises de 0 salarié. Les PME (63,1% des salariés) : 1 050 000 entreprises de 1 à 9 salariés. soit près de 93% des entreprises 140 000 entreprises de 10 à 49 salariés Les grandes (11% des salariés) : 20 000 entreprises de 50 à 199 salariés 4 000 entreprises de 200 à 499 salariés soit près de 7% des entreprises 2 000 entreprises de plus de 500 salariés soit moins de 1% des entreprises Données UNEDIC La répartition de la main-d'œuvre française entre les trois secteurs est équivalente. Tableau 3. Répartition de la main d’œuvre (2002) - Milliers de personnes et % Agriculture 978.3 3.9% Industrie 5459.6 21.9% Services marchands et non marchands 18486.7 74.2% Ce tableau est le résultat d’une évolution très nette sur le long terme (cf. graphique 3) : d’abord la lente érosion de la part de la main-d'œuvre occupée dans le secteur primaire puis son effondrement après la Seconde Guerre mondiale, et cela s’est fait certes au profit de l’industrie (Révolution industrielle du XIXe siècle), mais surtout au profit des services. 18 Une entreprise dispose d’une autonomie stratégique et financière, elle peut comprendre un ou plusieurs établissements. L’établissement est la plus petite unité de production considérée, qui dépend toujours d’une entreprise. 19 en diminution du fait des privatisations. 20 si on exclut toutes les parcelles de moins de 12 hectares, qui peuvent être exploitées de manière privée. Université de Paris X – Nanterre 15 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Graphique 3. Extrait de Thélot et Marchand, Le travail en France (1800-2000), Nathan. Encadré 2. Quelques données INSEE sur la population occupée française en 2001 Population active occupée – c’est-à-dire ayant un emploi – (en milliers) : 13 437 hommes (dont 5,3 % à temps partiel), 10 881 femmes (dont 30,5 % à temps partiel) Taux d’emploi (part des actifs occupés dans la population des plus de 15 ans) : 68,9 % des hommes ; 55,6 % des femmes Statut des emplois (en milliers) : 2 830 indépendants ; 14 299 en contrat à durée indéterminée (CDI) ; 4 540 fonctionnaires ou assimilés ; 1 987 contrat à durée déterminée (CDD) ; 428 intérimaires ; 273 apprentis. Durée habituelle moyenne de travail des salariés (heures par semaine) : 38,8 pour les hommes ; 23,4 pour les femmes A ce stade, on peut calculer la productivité par tête de chaque secteur. Au niveau national, tous secteurs confondus, en 2002, en considérant une VA de 1521 milliards d’euros et une population occupée de 24,3 millions, on estime à 62 600 € la valeur ajoutée par chaque travailleur (≈ 1521 ). 24.3 Tableau 4. Productivité ou valeur ajoutée par tête en 2002 par secteur Primaire ≈ 49 750 € par personne occupée Industrie ≈ 75 700 € par personne occupée Services marchands et non marchands ≈ 59 400 € par personne occupée La hiérarchie en termes de productivité est traditionnelle : le secteur le moins utilisateur de main-d'œuvre (l’industrie qui crée 26,5% de la VA mais n’occupe que 21,9 % de la maind'œuvre) a la plus forte productivité, tandis que le secteur le plus consommateur de maind'œuvre (le secteur primaire qui crée 3,1 % de la VA mais avec 3,9 % de la main-d'œuvre) est le moins productif. Université de Paris X – Nanterre 16 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Encadré 3. La productivité du travail Plusieurs définitions de la productivité du travail existent. Sans doute la plus immédiate estproduction elle : . En fait, on peut remplacer la production par la valeur ajoutée, afin de ne pas sur-évaluer volume de travail la productivité des secteurs ayant de fortes consommations intermédiaires. La difficulté restante est d’estimer le volume de travail. Le plus couramment, on retient l’effectif (le nombre de personnes travaillant) ou bien le volume horaire (le nombre de personnes × le nombre d’heures travaillées par chacune). Soit : La productivité par tête ou par salarié : La productivité horaire : production VA ou . effectif effectif production VA ou . effectif × durée effectif × durée Deux remarques : La durée à prendre en compte est la durée effective et non la durée légale. Le dénombrement des effectifs pose problème dans l’hypothèse où l’entreprise a recours à des travailleurs intérimaires : si ceux-ci sont recensés dans la société de travail temporaire qui les emploie, la productivité de l’entreprise où ils sont effectivement productifs sera sur-évaluée (puisqu’une partie de la main d’œuvre ne sera pas décomptée) et la productivité de la branche services aux entreprises sera sous-évaluée. Nous avons jusqu’à présent toujours utilisé le terme de valeur ajoutée, car il nous semble plus parlant en terme de richesses créées. Il faut enfin passer à un autre concept, différent en termes comptables mais que l’on va utiliser de manière équivalente en termes économiques : le Produit intérieur brut21 (ou PIB). Il rend peut-être mieux compte du gâteau produit par la Nation France. Précisément, la définition du PIB est : PIB = somme des VA + (impôts – subventions sur les produits) + (droits de douanes) Cette définition du PIB est dite selon l’optique du produit ou des ressources ou encore de l’offre. Dans ce cours de macro-économie et non de Comptabilité nationale, nous allons négliger les taxes et impôts et considérer dorénavant que PIB = somme des VA sectorielles, c’est-à-dire la création de l’ensemble des unités productives. Ainsi, en France (2002), on a créé des richesses à hauteur de 1521 milliards d’euros et nous étions 61 231 milliers de personnes. Potentiellement, de manière égalitaire, on pouvait donc donner à chaque résident 24 840 € par an. Il s’agit du PIB par tête qui nous renseigne sur ce qu’on peut faire au maximum comme répartition égalitaire : étant donné ce qu’est notre population occupée, ce qu’elle produit, on ne peut pas attribuer à chaque résident 25 000 € ! C’est en quelque sorte une épreuve de réalité. Alors comparons notre ensemble des possibles à celui de quelques autres pays de l’OCDE. 21 Le lecteur sait maintenant que le qualificatif de « brut » vient du fait que l’on néglige l’amortissement du capital fixe. On retrouve cette précision également dans FBCF : formation « brute » de capital fixe. Quand rien n’est spécifié, par défaut, l’agrégat est « brut ». Université de Paris X – Nanterre 17 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Tableau 5. PIB par tête en dollars américains en 2002 (prix et taux de change courants)22 Allemagne 24100 Espagne 16200 Japon 31300 Portugal 11700 Autriche 25500 États-Unis 36100 Luxembourg 47200 Royaume-Uni 26400 Canada 23100 France Danemark 32100 Italie 23400 Mexique 6300 Suisse 37400 20400 Pologne 4900 Turquie 2600 En fait, si on est scrupuleux, les richesses à se distribuer en France ne correspondent pas au PIB mais au Revenu National, avec : Revenu national = PIB + revenus reçus du Reste du Monde – revenus versés au Reste du Monde Par conséquent, le PIB, ce sont les nouvelles richesses créées par le pays mais qui peuvent être distribuées hors du pays. Le Revenu national, ce sont les nouvelles richesses dont dispose le pays (qui ont pu être créées à l’étranger). PIB et Revenu national étant toujours très proches, on raisonne le plus souvent en termes de PIB. Enfin achevons cette section en abandonnant les répartitions virtuelles et en détaillant la répartition effective du PIB ou de la VA entre revenus de la propriété, revenus du travail et taxes (cf. schéma 3). Ce qui a été produit va être distribué, d’où une autre manière d’écrire le PIB comme la somme des revenus qu’il engendre. L’écriture comptable exacte, dite selon l’optique des revenus, est : PIB = rémunérations des salariés + excédent brut d’exploitation + (impôts – subventions sur la production et les importations) L’excédent brut d’exploitation (EBE) est l’agrégat de la Comptabilité nationale correspondant aux bénéfices des entreprises et entrepreneurs individuels (après paiement des revenus du travail et des taxes sur la production). C’est donc l’EBE qui fait la rémunération des actionnaires. Approximativement ces dernières années en France, 56% du PIB ou de la VA reviennent aux travailleurs, 40% aux capitalistes23 et 4% aux APU (bien sûr, cela ne fait pas tous les impôts, les revenus sont imposés à leur tour). Tableau 6. Répartition de la valeur ajoutée en France de 1994 à 2000 et 2002. En % de la Valeur ajoutée 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2002 Rémunération des salariés 56,6 56,2 56,8 56,5 55,7 56,6 56,9 57,2 Impôts sur la production 4,3 4,3 4,6 4,6 4,6 4,4 4,2 3,7 Excédent brut d’exploitation 40,4 40,5 39,9 39,9 40,7 40 39,8 39 Source INSEE Une comparaison avec quatre autres pays de l’OCDE est instructive (graphique 4). D’une part, on observe partout une grande stabilité de la part du revenu du travail dans le partage du gâteau économique dans chaque pays. En fait, cette répartition relève plus des structures et coutumes sociales (ce que l’on estime juste comme rémunération du travail) que des marchés du travail même très dynamiques. D’autre part, c’est dans les pays anglo-saxons pourtant 22 En tenant compte de la différence de pouvoir d’achat dans chaque pays par rapport aux États-Unis, certains écarts s’estompent. Par exemple, le PIB par tête de la Turquie devient 6400 $, celui du Danemark 29200 $ et celui de la France 27300 $. 23 N’oublions pas que l’on peut être travailleur et capitaliste en même temps. Université de Paris X – Nanterre 18 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier réputés plus libéraux et capitalistes que la part des revenus du travail est la plus importante ! Certes aux Etats-Unis, cela est dû à une plus faible imposition sur la production, mais au Royaume-Uni, la part de l’EBE dans le PIB (la part des richesses créées destinées aux détenteurs du patrimoine) est plus faible qu’en France (graphique 5) ! Au moment de cette rédaction, nous n’avons pas les données OCDE 2002 pour le Japon, notons néanmoins que dans ce pays aussi la part des rémunérations dans le PIB est un peu plus élevée qu’en France. Graphique 4. La part du revenu du travail dans le PIB dans cinq pays de l’OCDE de 1987 à 2002 65,0% 60,0% 55,0% 50,0% 45,0% 40,0% 35,0% 30,0% 25,0% 20,0% 1987 1988 1989 FRANCE 1990 1991 1992 GRÈCE 1993 1994 1995 ITALIE 1996 1997 1998 ROYAUME-UNI 1999 2000 2001 2002 ÉTATS-UNIS Graphique 5. Répartition du PIB dans cinq pays de l’OCDE en 2002. 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% ÉTATS-UNIS FRANCE Rémunérations du travail GRÈCE Impôts sur la production ITALIE ROYAUME-UNI Excédent brut d'exploitation D - Conclusion en une égalité fondamentale Nous allons ici résumer l’économie modélisée dans ce chapitre en une équation se restreignant aux opérations sur les biens et services. Il s’agit de confronter en une seule ligne ce qu’il y a de disponible sur le territoire et ce à quoi cela est employé. Ou encore, nous allons résumer le syllogisme de l’introduction générale en ne retenant que les deux étapes extrêmes (la production et l’utilisation) et en faisant abstraction des règles de distribution et d’échange propre à chaque économie. De quoi dispose-t-on ? Des ressources de l’économie : la production Y et les importations M. Comment cela est-il utilisé ? Les emplois de l’économie : les exportations X, les Université de Paris X – Nanterre 19 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier consommations intermédiaires CI, les consommations finales CF, et la formation brute de capital fixe FBCF. Comme rien ne se perd dans le circuit, tout se transforme, on doit avoir l’égalité fondamentale : Emplois = Ressources C’est-à-dire : CI + CF + FBCF +X = Y + M Ce qu’on peut réécrire : CF + FBCF + X - M = Y - CI En négligeant les taxes sur les produits et les droits de douanes, on reconnaît à droite de cette égalité la définition du PIB selon l’optique des ressources. Par conséquent : PIB = CF + FBCF + X - M Il s’agit de la définition du PIB selon l’optique des emplois ou de la demande. Vérifions le respect de l’égalité « emplois/ressources » pour 2002 et 2003 (en milliards d’euros) : 2002 : PIB = 1521 ; CF = 1196,2 ; FBCF = 293,4 ; X – M = 411,6 – 380,2 = 31,4, il s’agit du solde ou de la balance commerciale ; on a bien 1196,2 + 293,4 + 31,4 = 1521. 2003 : PIB = 1557 ; CF = 1243,2 ; FBCF = 293,8 ; X – M = 402 – 382 = 20 ; on a bien 1243,2 + 293,8 + 20 = 1557. Récapitulons : le PIB selon l’optique du produit nous dit d’où vient le PIB (l’offre de biens et services marchands et non marchands), le PIB selon l’optique des revenus nous renseigne sur son partage entre travail, capital et État, et le PIB selon l’optique des emplois nous dit à quoi il est employé (la demande de biens et services marchands et non marchands pour consommer ou investir en France ou à l’étranger). Nous retrouvons notre enchaînement Production – Distribution – Utilisation24. À chaque étape correspond une décomposition différente du même gâteau économique, le PIB. 3. Les fonctions de l’État Avant d’étudier le comportement des agents privés dans le chapitre 4, il nous semble judicieux de présenter les fonctions de l’État. En effet, nos économies modernes sont, certes, des économies de marché, mais fortement marquées par les interventions de l’État. La consommation des ménages et, dans une certaine mesure, l’investissement des entreprises dépendent des politiques publiques. La preuve en est que dans le schéma général du chapitre précédent, la redistribution intervient avant l’utilisation du produit. On rappelle que l’État, plus exactement les Administrations publiques (APU) au sens de la Comptabilité nationale ont deux fonctions principales : celle de producteur de biens et services non marchands et celle de redistribution des revenus. Chacune fera l’objet d’une section. Le macro-économiste attribue à l’État une troisième fonction, celle de régulation de 24 Comme en macro-économie, nous n’étudions pas le détail des marchés, le niveau Échange est négligé. Université de Paris X – Nanterre 20 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier l’économie25. Nous aborderons cette question dans le dernier chapitre. A – La fonction de production non marchande Les APU sont des producteurs très particuliers. La Comptabilité nationale considère que leurs productions sont aussi leurs dépenses. D’autre part, les économistes cantonnent leur production à celle de biens intrinsèquement, matériellement, très spécifiques (mais non moins nombreux). 1. De l’État producteur aux dépenses gouvernementales Les APU produisent des services publics consommés par les ménages. Il s’agit de la partie socialisée de la consommation des ménages. Certains de ces services publics sont individualisables comme la santé ou l’éducation nationale. En effet, chacun peut mesurer sa consommation de santé publique, qu’il consomme gratuitement ou quasi-gratuitement. D’autres de ces services publics sont non individualisables comme la justice, la police, ou la défense nationale. Que le lecteur essaye de mesurer sa consommation personnelle en ces trois services ! Comme ces biens sont non marchands (gratuits ou quasi-gratuits26), ce que produit l’État est un coût, une dépense. Par ailleurs, en tant que producteurs, les APU investissent, achètent des biens d’équipement. C’est également un coût. Par conséquent, on peut se donner un nouveau concept, les dépenses gouvernementales27 G. Si on décompose la consommation finale (CF) entre consommation privée des ménages (C) et consommation publique des APU (Cg), si de même on distingue investissement privé des entreprises (I) et investissement des APU (Ig), on a G = Cg + Ig. On en déduit une autre écriture du PIB selon l’optique des emplois. On sait que : PIB = CF + FBCF + X – M (avec les notations introduites au chapitre précédent) Comme : CF = C + Cg et FBCF = I + Ig On a donc : PIB = PIB = C + Cg + I + Ig + X – M Finalement : PIB = C + I + G + X – M L’État en tant que producteur de biens et services non marchands correspond à une dépense dans l’économie, une des manières d’employer nos richesses.28 2. Les biens collectifs La question ici est : Pourquoi la fourniture de certains biens et services n’est-elle pas assurée par le marché mais par l’État ? La réponse des économistes nécessite que l’on introduise un nouveau concept, celui de bien collectif. Attention ce qualificatif de collectif ne signifie pas « bien produit par l’État » (ce serait donner la solution avant de poser le problème !) ; il s’agit de caractériser intrinsèquement un bien, qu’il soit produit de manière privée ou publique. La remarque vaut également pour les biens qualifiés de privés, car pour clairement définir ce 25 par le biais de politiques économiques qui, en fait, jouent essentiellement avec les leviers de la production non marchande ou de la redistribution. 26 Bien non marchand gratuit : l’entretien de la voirie. Bien non marchand quasi-gratuit : l’enseignement universitaire, les droits d’inscriptions étant loin de couvrir l’ensemble des frais et des salaires. 27 C’est un anglicisme plus large que les seules dépenses du gouvernement au sens français du terme. 28 C’est une écriture révélatrice de la place de l’État dans l’économie. Bien sûr la production des APU est également comptabilisée dans le PIB. Le lecteur à l’aise avec les égalités, aura compris que la consommation Cg est également comptabilisée dans le PIB en tant que production : la consommation des APU égale la valeur ajoutée des APU. Université de Paris X – Nanterre 21 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier qu’est un bien collectif, le plus simple est de le comparer à un bien privé sur deux points. La non-rivalité • Un bien privé est marqué par la rivalité : sa quantité diminue à l’usage. Exemple : un bœuf (une fois mangé, il ne peut plus nourrir personne), l’essence (ce que l’automobiliste a pris à la pompe a disparu pour les clients suivants). • Un bien collectif demeure entier quel que soit le nombre de personnes qui l’utilisent : il ne disparaît pas à l’usage. La consommation n’épuise pas le bien collectif. Exemple : un phare (ce n’est pas parce qu’un bateau voit la lumière d’un phare au loin que cela diminue la visibilité du phare pour les autres bateaux), un pont, un enseignement en amphithéâtre. La non-exclusion • Dans le cas d’un bien privé, il y a possibilité d’exclure le mauvais payeur, d’empêcher celui qui ne paie pas de profiter du bien en question (chaque fois où il est aisé de faire respecter le droit à la propriété privée). Il faut payer pour devenir propriétaire d’un bien (steak chez le boucher) ou bénéficiaire d’un service (ticket pour une projection cinématographique). • Dans le cas d’un bien collectif, il est généralement impossible – techniquement, politiquement ou économiquement – d’exclure un usager même s’il refuse de payer une partie des frais. Il est difficile d’exclure les bateaux dont les armateurs n’ont pas participé au financement du phare ; il est peu vraisemblable de commencer son cours après avoir exclu tous les étudiants qui viendraient sans s’être acquittés de leurs droits d’inscription (techniquement, il est trop long de vérifier ; politiquement, le comportement d’auditeurs libres dans un amphi n’est pas condamné dans le monde universitaire ; économiquement, l’enseignant n’est pas incité à le faire puisque son salaire n’est pas lié au nombre d’étudiants inscrits). Un bien collectif est donc intrinsèquement marqué par la non-rivalité et la non-exclusion. On craint alors que se produise un problème de passager clandestin généralisé. Que le lecteur s’imagine habitant la Côte d’Opale et possédant un petit bateau de pêche. Un magnifique phare doit être construit, une souscription est lancée : on propose de partager de manière équitable les frais de construction entre ceux qui seront volontaires. Que décidez-vous ? Le pêcheur prudent et serré budgétairement comprend vite où est son intérêt : ne pas être volontaire, de toute façon on ne pourra pas l’empêcher de profiter ultérieurement des services gratuits du phare. Quand bien même notre pêcheur est coopératif et prêt à participer à l’effort collectif, il ne peut s’empêcher d’être suspicieux : et si jamais il était le seul à être volontaire, aucune raison qu’il finance seul !! Certains voient leur intérêt à se comporter en passagers clandestins (consommer sans payer), d’autres soupçonnent leurs congénères de vouloir être passagers clandestins et d’avoir à en pâtir… Finalement, la souscription est un échec et le phare n’est pas construit. Dans le cas où le bien est totalement gratuit (il n’y a rien à financer), on parle de bien collectif pur. De manière emblématique, c’est le cas des poissons dans la mer : on peut en pêcher autant qu’on veut, ils se reproduisent gratuitement ! Le comportement de passager clandestin généralisé mène cette fois-ci à l’écumage du fond des mers et à la fin programmée du bien collectif pur… En d’autres termes, un bien collectif a : (i) une utilité collective élevée (puisqu’il satisfait non pas un seul mais plusieurs individus, parfois tous) ; mais (ii) une rentabilité privée faible. Ce second point est crucial. Du fait de la non-exclusion, il est pratiquement impossible d’exiger Université de Paris X – Nanterre 22 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier un prix de la vente d’un bien collectif. Du coup, aucune entreprise privée ne peut en escompter un profit. De la sorte, un bien collectif a toutes les chances d’entrer dans la catégorie des biens non marchands, car fondamentalement il est impossible de le vendre à un prix supérieur à son coût de production. Le marché ne peut pas garantir la production de biens collectifs, ce qui serait dommageable puisque leur utilité est grande. Déjà Adam Smith29 soulignait l’existence de ces biens collectifs qui, bien qu’ils présentent un avantage très élevé pour la société, sont tels que leur production n’est rentable ni pour un particulier ou un petit groupe. Si bien que personne ne les produit. Adam Smith, pourtant grand partisan du marché, reconnaissait alors que ce dernier ne pouvait résoudre le problème : c’est aux pouvoirs publics de les fournir. On dit que l’État vient pallier une défaillance du marché. Ainsi l’État est-il économiquement légitimé dans son intervention en tant que producteur30! D’autant plus, que pour résoudre le problème du passager clandestin qui veut consommer sans payer, un État démocratique a deux atouts : L’État bénéficie du « monopole de la violence » considéré légitime (Max Weber) : dans un État de droit, il est le seul à pouvoir prélever des sommes monétaires sur les ménages et sur les entreprises sans être accusé de racket. Par conséquent, s’il est difficile de faire payer à leurs prix réels certains biens collectifs, l’État peut néanmoins les financer par le biais des impôts auxquels aucun citoyen n’a le droit de se soustraire. Payer ses impôts revient à verser sa quote-part au financement des biens collectifs que l’on consomme par ailleurs. De plus, on peut aussi ajouter un argument de justice sociale, les impôts étant proportionnés aux revenus, chacun participe selon sa capacité contributive. Pour les biens privés, les entreprises savent quels biens et services correspondent à une véritable demande des ménages : ceux qu’ils vendent aisément à un bon prix. Dans le cas des biens collectifs, tout le monde en demande mais chacun est incité à être passager clandestin, donc le prix que l’on est prêt à payer n’est plus l’indice pertinent pour savoir si le bien collectif est désiré ! Heureusement, le mode de constitution d’un État démocratique permet de révéler malgré tout les préférences des ménages en termes de biens collectifs. Le gouvernement à la tête de l’État est élu à l’aune d’un programme politique, qui du point de vue de l’économiste peut être lu comme un programme de production et de financement de biens collectifs (ce qu’on appelle aussi des promesses électorales : plus d’école, moins de fonctionnaires, plus de sécurité, moins d’impôts, plus…, moins…, etc.). En choisissant une équipe et un programme, les électeurs choisissent les biens collectifs qui seront produits (et dans quelle quantité). Le concept de bien collectif est très important car il définit ce que le marché peut faire et où, au contraire, il est défaillant, et ce sans avoir besoin de recourir à des arguments extérieurs à l’économie même. L’État peut assurer sur son territoire la production de biens collectifs. Mais qu’en est-il des biens collectifs qui dépassent les frontières nationales ? On aborde là la question des biens collectifs mondiaux qui interroge de plus en plus l’économiste en cette période de mondialisation. Pour la sauvegarde des poissons dans la mer, le raisonnement tenu plus haut nous amènerait à prôner l’intervention d’une instance supra-nationale jouant le rôle d’un super-État mondial. 29 L’écossais Adam Smith (1723 - 1790) est sans doute l’économiste le plus important de l’histoire de l’économie. Ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) est le premier grand traité du capitalisme libéral. 30 On insiste sur le fait que dans ce raisonnement, aucun argument de justice sociale n’a été nécessaire pour justifier la production non marchande. Université de Paris X – Nanterre 23 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier B – La fonction de redistribution Notre État très présent et redistributif est souvent qualifié d’État-providence. On peut lui préférer le nom d’État social. Le terme d’État-providence « évoque une manne généreuse épandant ses bienfaits sur des sujets comblés » (Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, p. 431)31, ce qui, en toute objectivité, ne correspond pas à l’activité réelle des Administrations publiques dont beaucoup de leur temps est dévolu à vérifier les justificatifs des ayants-droits ou à traquer les fraudeurs. C’est pourquoi le terme d’État social rend mieux compte du véritable rôle de nos Administrations publiques : garantir une certaine sécurité à chacun ou encore réduire les risques. C’est pourquoi, après avoir présenté le principe des moyens dont usent les APU (prélèvements et prestations), nous traiterons de la protection sociale française. 1. Prélèvements et prestations Comme il a déjà été dit, la redistribution corrige la répartition primaire des revenus par des prélèvements monétaires d’une part et des réallocations monétaires d’autre part. L’objectif implicite étant une répartition des revenus disponibles plus égalitaire. On oppose en fait deux logiques gouvernant les prélèvements et les prestations : une logique verticale, une autre horizontale. L’objectif de la redistribution verticale est de resserrer l’éventail des revenus : procéder à une redistribution des hauts vers les bas revenus. Avec la redistribution horizontale, il ne s’agit plus de tenir compte des différences de revenus entre les ménages mais de compenser les charges que supportent certains ménages et d’autres non (des enfants, une maladie, etc.). Le débat sur les allocations familiales permet bien de saisir la portée de cette opposition. Les allocations familiales doivent-elles être dépendantes ou indépendantes du revenu des parents ? La logique horizontale veut que, comparé à un couple sans enfant, un couple avec enfants doit recevoir une prestation monétaire pour les aider à assurer leur éducation. La logique verticale défend l’idée qu’un enfant dans un ménage pauvre devrait susciter le versement d’une prestation plus élevée que celle destinée à un enfant élevé dans un ménage aisé. Une manière de combiner les deux logiques serait le versement d’une allocation non conditionnée au revenu des parents mais imposable. En fait, aussi faible que soit son revenu, le « pauvre » paie des impôts qui diminue son pouvoir d’achat (TVA, cigarette, Loto) et aussi élevé que soit son revenu, le « riche » reçoit des prestations qui l’augmentent (santé, école, culture). Détaillons à présent ces prélèvements (T) et ces prestations (P). • Dans la catégories des prélèvements, trois grandes classes de taxes : (i) les cotisations fonction de la rémunération du travail payées par les individus salariés et leur employeurs et versées aux Institutions de la protection sociale (et non pas à l’État stricto sensu), (ii) les impôts directs fonction de l’ensemble des revenus et de la structure du ménage versés à l’État et aux collectivités locales et (iii) les impôts indirects fonction de la consommation individuelle indépendamment du revenu et du ménage (versés à l’État). On appelle taux de prélèvements obligatoires le rapport du total des impôts directs et indirects et des cotisations sociales sur le PIB. En France, ce pourcentage est traditionnellement autour de 45%32, ce qui ne signifie pas : « sur 100 € de richesses créés, 45 € vont à l’État ! », mais 31 De plus il faut savoir que le terme d’État-providence a été inventé en France au XIXe siècle par ses adversaires, pour fustiger un État trop généreux qui devrait pourvoir à tout vis-à-vis d’individus non responsabilisés. 32 Notons que ce taux est volontairement orienté à la baisse : 44,7 % en 2001, 43,8 % en 2002 et 2003. Université de Paris X – Nanterre 24 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier signifie bien dans le circuit macro-économique : « sur 100 € de richesses créés, 45 € sont définitivement33 allouées aux résidents selon les directives de l’État ». Schéma 4. Le détail de la redistribution Rémunérations des salariés Revenus de la propriété Revenu primaire ou direct Cotisations sociales Prestations sociales Impôts directs Prestations fiscales Production des administrations publiques TVA et autres impôts indirects sur les ménages Revenu disponible global Le tableau 7 est fidèle à une hiérarchie des pays bien connue : les pays du Nord de l’Europe sont plus redistributifs et les pays anglo-saxons le sont moins. C’est pourquoi il est plus nouveau sans doute de regarder la décomposition de ces prélèvements obligatoires. Par exemple, il est intéressant de se rappeler que l’impôt sur le revenu en France est relativement faible, de noter que le Danemark est un pays très redistributif où le budget des Institutions spécialisées de la protection sociale est dérisoire, ou encore de vérifier que le fait de consommer des biens et services est peu taxé aux Etats-Unis (graphique 6). Tableau 7. Prélèvements obligatoires dans d’autres pays industrialisés en 2000 (%PIB) France 45,5 % Irlande 31,5 % Allemagne 37,8 % Italie 42,3 % Belgique 46,0 % Royaume-Uni 37,7 % Danemark 48,4 % Suède 53,3 % Espagne 35,3 % États-Unis et Japon ≈ moins de 30 % Graphique 6. Parts des principaux prélèvements obligatoires en 1999 (% du PIB) 60 50 40 30 20 10 0 France Allemagne Belgique Danemark Impôts sur le revenu et les bénéfices Espagne Irlande Italie Cotisations sociales Portugal RoyaumeUni Suède Etats-Unis Impôts sur les biens et services Japon Autres 33 « définitivement » par opposition à « temporairement » car ces 45 € ont d’abord été alloués temporairement selon la répartition primaire des revenus. Université de Paris X – Nanterre 25 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier • Dans la catégories des prestations, trois types de transferts : (i) les prestations sociales versées sous forme monétaire par les Institutions de la protection sociale (voir plus loin), (ii) les prestations fiscales qui correspondent à des prélèvements monétaires non effectués (des économies d’impôts telles la prime pour l’emploi) et (iii) la production des Administrations publiques. Cette dernière prestation peut surprendre. En fait, il s’agit d’une écriture comptable correspondant au raisonnement économique suivant. La production de biens collectifs des APU de la section précédente, sont en même temps leurs dépenses effectuées pour la partie socialisée de la consommation des ménages. Si l’État dépense 1000 € d’éducation nationale pour un ménage X, ce ménage ne paie pas, concrètement il n’y a pas d’échange monétaire. Mais pour pouvoir ré-attribuer à ce ménage ce que l’État dépense en son nom, virtuellement on considère que l’État verse 1000 € au ménage X qui le dépense simultanément en consommation d’éducation nationale. Par conséquent, le lecteur aura compris que l’agrégat national revenu disponible est plus élevé que la somme réelle des revenus détenus par les résidents après impôts et transferts. Il est gonflé de toutes les consommations de biens collectifs qui n’engendrent pas (ou quasi-pas, dans le cas de biens quasi-gratuits) d’échange monétaire mais qu’il faut bien financer. C’est un peu comme si une partie de notre porte-monnaie nous était inaccessible et gérée pour nous par l’État qui paye en notre nom la consommation collective. Après redistribution, le revenu disponible est donc largement socialisé et déconnecté du revenu primaire. Par ailleurs, près du tiers des revenus français provient aujourd’hui des prestations sociales. En 2002, le montant des prestations de protection sociale reçues par les ménages résidant en France s’est élevée à 443,3 milliards d’euros, soit un taux de redistribution sociale (ensemble des prestations sociales rapportées en pourcentage du PIB) de 29.1%. Dans les années 1950, ce taux était de l’ordre de 10 %. Tableau 8. Le poids des principales prestations en France en 2002 (% du PIB) Chômage 2% Insertion professionnelle 0,2% Survie 1,7% Maternité 0,4% Maladie 7,8% Famille 2,6% Invalidité 1,4% Logement 0,9% Accidents du travail 0,5% Pauvreté Vieillesse 11% (RMI essentiellement) 0,4% Le lecteur, s’il n’est pas insensible à l’actualité, ne devrait rien apprendre de ce tableau : la prestation la plus importante en France est celle pour le motif de vieillesse, en termes plus choisis pour les retraites, et cette part, comme les prestations de santé, est appelée à augmenter avec le vieillissement de la population. Les « érémistes », et même dans une certaine mesure les enfants, « ponctionnent » une part du gâteau finalement assez dérisoire. 2. Assistance versus Assurance ? Les prestations sont versées par les Institutions de la protection sociale34 aux ménages ayant 34 J’utilise sciemment l’expression de « protection sociale » plutôt que celle de « Sécurité sociale ». Cette dernière est limitée à trois Institutions : la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse, et la Caisse d’Allocation Familiale. Le domaine de la protection sociale est plus large Université de Paris X – Nanterre 26 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier subi un risque social, à savoir un événement susceptible de perturber l’existence de chacun et contre lequel la société choisit de protéger ses membres35. L’économiste spécialisé dans l’analyse de la protection sociale préférera le terme de revenus de remplacement pour qualifier ces prestations, car il se place du point du vue de ceux qui les reçoivent du fait de la réduction, suppression ou absence de revenus primaires suffisants. Indépendamment de l’effet vertical ou horizontal produit, deux grandes logiques d’attribution et de financement peuvent régenter le versement de ces revenus : celle de l’assistance et celle de l’assurance. Attribution et calcul : • Selon la logique de l’assurance, les revenus de remplacement sont versés aux individus qui ont cotisé à cette fin : il y a eu « ouverture de droits ». Le revenu de remplacement est proportionnel aux cotisations versées par l’ouvrant droits (fonction de la durée et du taux de cotisation), et cela quels que soient leurs besoins ou leurs autres revenus. • Selon la logique de l’assistance, l’attribution se fait au regard des autres ressources dont dispose l’individu pour atteindre un minimum vital. Le principe consiste à garantir un revenu minimum à chacun indépendamment de sa possibilité de cotiser ou non : le droit à une protection minimale est universelle. Le revenu minimum versé va dépendre de l’effort financier que la société consent à faire. Financement : • Selon la logique de l’assurance, le financement des revenus de remplacement est assuré par les cotisations des salariés et de leurs employeurs. L’assiette du prélèvement est la masse salariale. Il s’agit donc de « l’argent » du monde du travail, il est co-géré par les partenaires sociaux (syndicats de salariés et organisations patronales). • Selon la logique de l’assistance, c’est l’impôt qui finance les revenus minimums (il s’agit de l’effort de la société dans son ensemble et non pas seulement celui du monde du travail). Cette fois-ci la gestion est assurée par les représentants de la société dans son ensemble : les députés au parlement, bref l’État. Historiquement, la protection sociale obligatoire fondée sur le modèle de l’assurance est inventée en Allemagne par Otto von Bismarck dans les années 1880, la protection sociale obligatoire fondée sur le modèle de l’assistance est instaurée au Royaume-Uni dans l’après Seconde Guerre Mondiale sur les préconisations de William Beveridge. C’est pourquoi on parle indifféremment, d’une part, de logique bismarckienne ou d’assurance et, d’autre part, de logique beveridgienne ou d’assistance. Le système français de protection sociale créé en 1945 par Pierre Laroque est un modèle intermédiaire. La logique intermédiaire française : • La nature de la protection relève essentiellement de l’assurance (cotisations avec ouverture de droits pour les salariés ; cotisations des employeurs), mais selon le principe d’universalité revendiqué, les cotisations peuvent financer la protection de non-assurés sociaux (exemple des allocations familiales ou du RMI qui s’obtiennent comprenant l’UNEDIC pour les indemnités chômage et l’ensemble des caisses complémentaires professionnelles. 35 L’inventaire des risques sociaux est donc fonction du choix de chaque société : ici, accoucher est un risque social qui peut survenir dans la vie d’une femme salariée auquel cas elle est remboursée de son manque à gagner salarial ; là, par exemple encore en Suisse à la date du 22 septembre 2004, c’est un risque privé, à chacune de prévoir cette éventualité. Université de Paris X – Nanterre 27 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier sans ouverture de droits). Les risques sociaux sont : la maladie, la vieillesse, la famille et le chômage. • La gestion du budget de la protection sociale est confiée aux partenaires sociaux sous tutelle de l’État. En France, plus qu’un paritarisme, on peut y voir un tripartisme, étant donné l’importance du troisième acteur, public. Le Premier ministre, le ministre de l’économie et le ministre des affaires sociales ont un pouvoir de contrôle important. L’Assemblée nationale a pris beaucoup d’importance. Un projet de loi de financement de la sécurité sociale y est présenté chaque année depuis 199436. • Le financement fut d’abord alimenté uniquement par les cotisations sociales, puis peu à peu s’y ajoute l’impôt. Par exemple, une loi de 1991 invente un nouvel impôt destiné à la protection sociale, la contribution sociale généralisée (CSG), puis l’ordonnance du 24 janvier 1996 crée la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Assises sur l’ensemble des revenus d’activité, de remplacement et du patrimoine, elles ont une assiette nettement plus large que la seule masse salariale. Et contrairement aux cotisations, elles n’ouvrent aucun droit.37 • Les prestations servies sont proportionnelles aux cotisations versées lorsqu’elles relèvent de l’assurance ; elles correspondent à des minima sociaux quand elles sont versées sans ouverture de droit préalable au titre de la solidarité nationale : allocations familiales, RMI, CMU. Tableau 9. Comparaison des systèmes bismarckien, beveridgien et français. (issu de Batifoulier et Touzé, La protection sociale, Dunod, 2000). Systèmes Bismarckien Beveridgien Français Nature de la protection Professionnelle Universelle (assurance) (assistance) Assurance à vocation universelle Gestion confiée aux Partenaires sociaux Élus de la nation Partenaires sociaux avec tutelle de l’Etat Moyen de financement Cotisations sociales Impôts Cotisations sociales et impôts Prestations servies Proportionnelles au salaire et plafonnées Forfaitaires Proportionnelles avec minima sociaux Le diagnostic actuel sur le système français est, outre sa dérive financière, son rapprochement de plus en plus marqué avec le modèle beveridgien, alors qu’initialement il était proche du modèle allemand. Reprenons l’histoire de cette mutation. Après deux, voire trois, décennies de plein-emploi, la protection sociale française a dû faire face à la montée et la persistance d’un chômage de masse dans les années 1970. La part d’ouvrants droits diminue mécaniquement. On ne peut plus espérer atteindre l’objectif d’universalité de la protection par le biais du monde du travail. Il a fallu créer des revenus d’assistance forfaitaires : le RMI en 1988 et la CMU en 1999. La logique de l’assistance progresse alors. La crise de l’emploi entraîne aussi un problème financier : en pourcentage, on compte moins de cotisants pour plus de bénéficiaires (non seulement à cause du chômage, 36 Contrairement au projet de loi de finance du budget de l’État, la loi de financement de la Sécurité sociale n’a aucun caractère obligatoire, mais elle donne un caractère plus officiel aux souhaits de l’État. 37 Il existe d’autres impôts destinés au financement de la protection sociale : les taxes sur le tabac ou la bière à plus de 8 degrés, ainsi que la contribution sociale de solidarité à la charge des entreprises. Université de Paris X – Nanterre 28 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier mais aussi à cause de l’allongement de la vie et donc de la retraite). La solution la plus simple apparut être l’ajout d’un impôt. D’où la fiscalisation de la protection sociale française. En 1991, la CSG n’était prévue que pour aider au financement de la Caisse Nationale d’Allocation Familiale (depuis toujours relevant de l’assistance), mais depuis son usage s’est généralisé aux Caisses Nationales d’Assurance Maladie et Vieillesse38. La part de l’impôt dans le financement de la protection sociale française progresse donc (même si elle est encore minoritaire, cf. Tableau 10)39. À partir du moment où l’impôt est venu financer ainsi la Sécurité sociale, la place des représentants de la Nation, et non plus seulement des représentants des travailleurs et des employeurs, s’est renforcée. La CSG apparaît en 1991, la première loi de financement de la Sécurité sociale en 1994 ! C’est le principe « qui paie, gère » et le monde du travail n’est plus le seul à payer. Le rôle du parlement et du gouvernement semble de plus en plus important au détriment des partenaires sociaux, ce qui explique en partie le retrait du MEDEF et de la CGPME40 des caisses de Sécurité sociale (CNAM, CNAF, CNAV) en septembre 2001. Tableau 10. La fiscalisation du financement de la protection sociale Contributions au total du financement : 1990 2002 cotisations employeurs 42% 37% cotisations salariés 22% 17% 64% 54% impôts et taxes affectés 3.1% 19%* contributions publiques 13.9% 11.4% 17% 30.4% sous-total : sous-total : *La CSG représente en 2002 près des trois quarts des impôts et taxes affectés. Le fait que la protection sociale française relève de plus en plus de l’assistance est sans doute le reflet de ce qu’est aujourd’hui la société française : une société de consommateurs de moins en moins garantis d’un revenu primaire stable leur ouvrant des droits sur la société pour être protégés. C – Deux résultats des actions publiques Nous allons terminer sur l’ampleur des actions publiques en en présentant deux conséquences : (i) la répartition des revenus avant et après la redistribution, (ii) le solde budgétaire des APU. 1. La distribution des revenus Pour étudier la répartition des revenus entre les ménages français, un minimum de technique est requis. Soit un ménage dont le revenu mensuel primaire est 3 000 €. Bien sûr, cette somme ne garantit pas le même niveau de vie selon que le ménage compte un seul adulte ou deux adultes avec trois enfants. Il faut donc ajuster cette somme en fonction de la taille du ménage. Il existe des conventions internationales selon lesquelles le premier adulte compte pour une 38 Le lecteur remarquera que les noms de ces caisses qu’il doit bien connaître révèlent leur logique : le ‘A’ de CNAM et CNAV signifie Assurance, car elles fonctionnent sur le principe des cotisations et ouvertures de droits, alors que le ‘A’ de CNAF signifie Allocation, car cette caisse ne relève pas de l’assurance mais de l’assistance : allocations familiales et RMI créé en sein de la CNAF sont des allocations et non des indemnités pour ayantdroits. 39 En montant monétaire, toutes les contributions ont augmenté, mais la part des cotisations a baissé au profit du financement fiscal. 40 Mouvement des Entreprises de France et Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises, deux des trois représentants patronaux nationaux. Université de Paris X – Nanterre 29 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier unité de consommation, les adultes suivant pour 0,5 (du fait des économies d’échelle : la taille de l’appartement n’a pas besoin d’être multipliée par deux) et chaque enfant (<14 ans) pèse 0,3. Par conséquent, pour un ménage de deux adultes et de deux enfants, un revenu de 3 000 € 3000 correspond à = 3000 =1428,57 € par unité de consommation (U.C.). Pour un 1+0,5+2×0,3 2,1 célibataire sans enfant son revenu est 3 000 € par U.C. On normalise alors tous les revenus de tous les ménages français selon leur taille et on les ordonne du plus pauvre au plus riche. Puis on les groupe par paquet de 10%, soit dix déciles : les 10% les plus pauvres, les 10% suivants, …, les 10% les plus riches. Si on cumule les cinq premiers déciles, cela correspond aux 50% moins riches et le ménage juste en ce point est le ménage français médian : 50% des ménages français sont plus riches que lui et 50% plus pauvres. Le tableau 11 présente les répartitions de revenus mensuels par U.C. avant et après l’action redistributrice des APU. On peut apprécier l’effet « resserrement de l’éventail » des revenus. Le rapport entre le décile 1 et le décile 9 est égal à 6,4 avant redistribution : le moins riche des 10% ménages français les plus riches41 a un revenu mensuel par U.C. 6,4 fois plus grand que le moins pauvre des 10% ménages français les plus pauvres. Après redistribution ce rapport inter-décile descend à 3,3. Remarquez que le ménage médian est déjà suffisamment riche pour perdre au jeu de la redistribution : il passe de 1132 à 1095. Tableau 11. Répartition des revenus mensuels entre les ménages français en 1999 (en euros) déciles : Revenu avant transferts et impôts par U.C. Revenu après redistribution par U.C. D1 : 10% ont moins de 447 595 D2 : 20% ont moins de 656 748 D3 : 30% ont moins de 824 871 D4 : 40% ont moins de 975 981 D5 : 50% ont moins de 1132 1095 D6 : 60% ont moins de 1306 1229 D7 : 70% ont moins de 1511 1387 D8 : 80% ont moins de 1797 1609 D9 : 90% ont moins de 2304 1982 INSEE Les comparaisons internationales en la matière sont assez difficiles. Prenons un autre indice, à savoir le taux de pauvreté : les conventions internationales de statistiques qualifient de « pauvre » toute personne appartenant à un ménage dont le revenu par U.C. est inférieur à 60% du revenu par U.C. du ménage médian. Donc en France, en 1999, est pauvre celui/celle qui vit dans un ménage ayant un revenu par U.C. inférieur à 657 euros (=1095×0,60). De nouveau, mesurons l’effet de la redistribution dans le tableau suivant regroupant 13 pays de l’Union européenne en 1996. 41 En effet, le ménage à 90% est aussi le premier du décile des plus riches. Université de Paris X – Nanterre 30 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Tableau 12. Taux de pauvreté dans l’UE de 1996. Pourcentage de la Pourcentage de la population pauvre population pauvre avant redistribution après redistribution Pourcentage de la Pourcentage de la population pauvre population pauvre avant redistribution après redistribution Belgique 28 17 Italie 21 19 Danemark 30 11 Luxembourg 24 13 Allemagne 23 16 Pays-Bas 24 12 Grèce 23 21 Autriche 24 13 Espagne 26 19 Portugal 27 22 France 27 16 Royaume-Uni 32 19 Irlande 33 18 Le lecteur s’attardera à comparer l’efficacité relative des systèmes redistributifs de chaque pays. On attirera juste son attention sur un petit pays, le Danemark. Ce pays est riche, son PIB par tête est égal à plus de 30 000 $ (cf. chapitre précédent) soit un potentiel de partage des richesses plus grand qu’en France. En fait, l’économie privée danoise distribue les revenus de manière plus inégalitaire qu’en France : sans intervention de l’État, 30% des Danois seraient pauvres, au lieu de 27% en France. Or, le Danemark a fait le choix d’une protection sociale ambitieuse (taux de prélèvements obligatoires à près de 50%) financée par l’impôt (cf. graphique 6). Le Danemark présente donc un modèle assez original d’économie de marché « dure » avec une protection sociale fondée sur l’assistance qui redistribue fortement et, en termes de taux de pauvreté, ça marche. En contredisant Shakespeare, on peut donc dire que tout va bien dans le royaume du Danemark ! En revanche, la redistribution en Italie est presque sans effet sur sa pauvreté… 2. L’équilibre budgétaire des APU : Enfin, une autre mesure de l’activité publique est l’ampleur du déficit public qu’elle entraîne le plus souvent. Scrutons le solde du compte des APU. Si l’addition des dépenses G et des prestations versées P est égale aux impôts T, le budget public est équilibré. En revanche, si (G+P) > T, alors les APU sont en besoin de financement, et si (G+P) < T, elles dégagent une capacité de financement. Tableau 13. Éléments de la Comptabilité nationale 2002 pour les APU DEPENSES Dépenses de fonctionnement (pour la consommation socialisée des ménages) Cg Investissement public Ig Prestations et autres transferts P Intérêts de la dette Total des dépenses RECETTES Impôts Cotisations sociales Autres recettes d’activité (production, revenus de la propriété, transferts) Total des recettes T Capacité (+) ou besoin (-) de financement Université de Paris X – Nanterre milliards d’euros % PIB 296,7 19.5 47,3 422,1 48,4 814,4 3.1 27.8 5.4 53.5 410.3 278.5 27.0 18.3 78.1 5.1 766,9 -47,6 50.4 - 3.1 31 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier Graphique 7. Capacité (+) et besoin (-) de financement des APU dans cinq pays de l’OCDE de 1986 à 2003. 4,0 2,0 0,0 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 -2,0 -4,0 -6,0 -8,0 -10,0 Denmark France Japan Spain United States Les APU françaises sont structurellement en besoin de financement. On remarquera que le Danemark et l’Espagne sont arrivés à redresser la barre sur ces dernières années, contrainte de Maastricht oblige42. Mais le Danemark n’a pas pour autant remis en cause sa politique de redistribution. Si l’État américain est dans le rouge, c’est essentiellement dû aux dépenses de sécurité nationale et de guerre. Remarquons enfin le Japon : l’État a dû soutenir sa demande intérieure pour lutter contre la crise dont le Japon ne semble pas se sortir depuis le début des années 1990. D’où des dépenses publiques qui creusent une dette nationale impressionnante (cf. Tableau 14), mais c’est le prix cher payé par le secteur public pour que la Nation reste en capacité de financement (cf. graphique 2, chapitre 2). Tableau 14. Part dans le PIB de la dette publique dans plusieurs pays de l’OCDE Belgique Canada Danemark France Allemagne Grèce Irlande Italie Japon Luxembourg Pologne Portugal Espagne Royaume-Uni États-Unis 1987 128,7 71,5 73,3 40,1 41,8 53,0 111,9 97,3 76,4 .. .. 60,8 49,0 60,1 64,1 1992 140,3 89,9 76,0 44,7 41,8 87,8 92,6 125,0 68,7 5,5 .. 54,4 52,4 48,5 73,7 1997 130,5 96,2 73,4 68,2 61,8 108,2 64,6 131,2 100,3 6,8 45,6 59,1 80,8 60,8 70,9 2002 110,8 77,8 54,5 67,0 62,8 104,7 32,3 117,2 149,4 5,7 46,1 58,1 66,9 50,0 60,5 2003 105,1 75,6 50,1 71,1 65,1 103,0 32,8 116,7 157,3 4,9 51,3 60,1 65,0 51,6 62,8 Un déficit est un flux annuel. Cumulé cela devient une dette, nécessitant de verser des intérêts à ceux qui ont pu prêter un financement aux APU, résidents ou non résidents. Néanmoins, 42 Le déficit annuel ne doit pas dépasser 3% du PIB et la dette 60% du PIB. Université de Paris X – Nanterre 32 Introduction à la macro-économie Guillemette de Larquier sans affirmer qu’être endetté pour un État soit une bonne chose, le fait que la France ait une dette de 70% de son PIB ne la met pas dans le même danger qu’un particulier avec le même taux d’endettement. Contrairement à un individu, l’État n’est pas mortel ou n’a pas d’âge de fin d’activité et de départ à la retraite. L’horizon de la France est infini (sauf à programmer sa disparition), elle n’a donc pas à se désendetter au fur et à mesure, le maintien de son ratio suffit : en quelque sorte, l’État ne rembourse jamais sa dette et paie éternellement des intérêts.43 Dire que ce sont les générations futures qui paieront pour nous44 n’est pas non plus l’argument massif que l’on croit. Cela revient à nier l’investissement sur le long terme que représentent nos dépenses actuelles (investissement dans l’éducation des futurs actifs ou dans la recherche médicale pour les traitements qui seront efficaces dans une ou deux décennies) : pourquoi faudrait-il que la génération d’aujourd’hui paie pour les générations de demain ? Enfin, « Il ne servirait à rien de réduire le déficit budgétaire s'il s'ensuivait une fragilisation du secteur privé, c'est-à-dire si finalement l'action revenait à substituer un déficit privé à un déficit public. Un déficit privé peut avoir des conséquences irréversibles sur le destin des personnes (faillites d'entreprises, insolvabilité des ménages, etc.), même s'il n'est que conjoncturel. Les asymétries d'information font, en effet, que le marché du crédit est toujours caractérisé par des rationnements, une personne pouvant être empêchée d'emprunter si elle ne dispose pas des garanties suffisantes dans le présent, quand bien même ses perspectives d'avenir le lui permettraient. D'autres, pour lesquelles ces garanties existeraient, seraient contraintes d'emprunter à des taux d'intérêt bien plus élevés que ceux portant sur la dette publique. En un sens, en période de ralentissement de l'activité, le déficit budgétaire témoigne de ce que l'État emprunte à la place du secteur privé, avec, comme avantage pour la collectivité, de pouvoir le faire à un taux d'intérêt nettement inférieur. » (Jean-Paul Fitoussi, Le Monde daté du 29 avril 2004) De la sorte, l’endettement des APU françaises a peut-être permis aux ménages français d’être les champions mondiaux de l’épargne, l’État prenant à sa charge toute une partie de leurs consommations45. En revanche, aux États-Unis, le niveau d’épargne zéro des ménages peut s’expliquer aussi par une consommation socialisée bien inférieure à la nôtre. Il est temps de passer au chapitre suivant sur le comportement des ménages. 43 Pour enfoncer le clou : l’État n’est pas un ménage, donc quand les hommes politiques transposent les bons principes d’économie domestique (du père ou de la mère de famille soucieux(se) de l’équilibre de son budget), cela vient plutôt brouiller le débat économique ; c’est une métaphore certes accessible mais malheureusement fausse ! 44 Cf. l’effet ricardien, chapitre suivant. 45 La mauvaise nouvelle de 2003 est plutôt le besoin de financement de la nation France, la capacité de financement des ménages ayant chuté de 10% du PIB (cf. chapitre 2). Université de Paris X – Nanterre 33