projet d`introduction de la class action en france
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projet d`introduction de la class action en france
Droit des affaires PROJET D’INTRODUCTION DE LA CLASS ACTION EN FRANCE teurs eux-mêmes. La technique n’a donc rien d’extraordinaire au regard des principes classiques, surtout si on la compare à l’action syndicale conduite dans l’intérêt individuel d’un salarié. La réforme annoncée Références Le ministre de l’économie et des finances et le garde des Sceaux ont présenté le 12 septembre dernier les grandes lignes du projet de loi introduisant l'action de groupe dans notre droit : le premier, dans une réponse ministérielle (1), le second, dans un discours prononcé au Sénat lors d’un colloque sur l’action de groupe (2). 14 L’état du droit En principe, le droit d’action n’existe qu’au profit de celui qui a un intérêt personnel à agir. Il n’est pas admis qu’une personne agisse au nom de l’intérêt général, dont la défense incombe au ministère public, ou pour défendre les intérêts d’autrui : « nul ne plaide par procureur ». Cette exigence explique qu’à la différence des droits anglo-saxons qui consacrent la class action, le droit français ne reconnaisse pas à un particulier le droit d’exercer une action en justice pour représenter un groupe inorganisé de personnes placées dans la même situation. Cependant, comme bien souvent, le principe comporte des aménagements. Ainsi les associations de consommateurs peuvent agir devant les tribunaux pour les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs (article L. 421-1 du Code de la consommation), mais encore “en représentation conjointe” pour obtenir au nom de plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés (ce en quoi cette action n’est pas une class action), la réparation de préjudices individuels, causés par le fait d’un même professionnel (article L. 422-1 du Code de la consommation). Cette dernière action repose sur un mandat donné par des consommateurs concernés. L’action appartient donc aux consomma- R.F.C. 392 Octobre 2006 Il s’agirait d’introduire l’action de groupe dans le Code de la consommation, en complément des autres actions déjà ouvertes aux associations de consommateurs ; loi de procédure, elle ne modifie pas le fond du droit (exemple : pas de renversement de la charge de la preuve d’un droit). Le champ de l’action couvrirait la réparation des préjudices matériels subis par des consommateurs, en raison de manquements des professionnels à leurs obligations contractuelles. Seraient exclus les litiges dont la solution relève de la mise en œuvre de mécanismes de droit complexes (exemples : atteintes à l’environnement, préjudices corporels). Enfin ce type d’action ne concernerait que des litiges qui ne devraient pas excéder un certain montant par demande de consommateur ; le ministre de l’économie et des finances estime que cette somme, à fixer par décret, pourrait être de 2 000 €. Concernant le déroulement de la procédure, le juge se prononcerait, dans un premier temps, sur la responsabilité du professionnel, sans fixer le préjudice subi par les consommateurs. Si le professionnel est déclaré responsable, la décision ferait l’objet d’une publicité. Les consommateurs auraient alors un délai pour adresser au professionnel reconnu responsable une demande d’indemnisation. Il semble que seules les personnes ayant expressément indiqué leur volonté de rejoindre le groupe seraient finalement parties au procès (système dit opt in). Le professionnel (en fait 1. Rép. min. n° 101809, JOAN Q, 12 sept. 2006. 2. Discours du garde des Sceaux, colloque “Action de groupe”, Sénat, 12 septembre 2006. Comp. Faut-il une class action à la française ?, colloque avril 2005 CCI de Paris et MEDEF. 3. L’action de groupe ou class action en 10 points, CCI de Paris et MEDEF, mars 2006, p. 5. 4. L’action de groupe ou class action en 10 points, ibid. son assureur qui ne manquera pas d’augmenter ses primes) serait, quant à lui, tenu de répondre à cette demande par une offre d’indemnisation accompagnée d’un chèque. Si le consommateur l’accepte, il obtiendrait ainsi réparation de son préjudice. Si à l’expiration du délai imparti par le juge, certaines demandes d’indemnisation ne sont pas satisfaites, le juge statuerait selon une procédure simplifiée. Son impact pour l’économie A première vue le texte est mesuré. Il y a des limites en montant et procédurales. L’action permet d’assurer l’effectivité de l’indemnisation là où certains auraient renoncé individuellement. Il s’agit, face à la distribution de masse, d’une réponse (un jugement) à l’atomisation des consommateurs. Le recours collectif réduirait le coût des procédures pour les plaignants. Son effet dissuasif moraliserait certainement diverses pratiques commerciales (entente entre les opérateurs de téléphonie mobile, tarification bancaire, …). Le passage d’une action au profit des consommateur à un « moyen de pression auquel on donne la fonction normative ou prophylactique d’influencer les comportements » (3) n’est donc jamais éloigné. Cette conception, liée à la procédure accusatoire, fait qu’une personne privée endosse par delà ses intérêts ceux d’une collectivité. La publicité du mécanisme risque aussi de porter atteinte à la réputation d’une marque… qui peut être recherchée par un malveillant. De plus, par un phénomène bien connu, « les actions de groupe ou class actions ne pourraient pas se limiter aux seuls litiges de la consommation. Elles toucheraient (…) progressivement l’ensemble des activités et même la sphère publique, collectivités territoriales y compris. Aux États-Unis et au Canada, les class actions ont évolué pour s’appliquer à tous les types de dommages (corporels, contractuels, économiques, ...) affectant plus d’une personne » (4). Et c’est alors qu’apparaît le coût du système : le coût estimé serait d'environ 1,5 point de PIB aux Etats-Unis et de 1 point en moyenne dans les pays où les class actions sont mises en place, ce qui en France représenterait 165 milliards d'euros. ■ Stéphane PRIGENT Docteur en droit