La dictée pour les Nuls - Jean

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La dictée pour les Nuls - Jean
La dictée pour les Nuls
Salon du livre de Paris
Samedi 27 mars 2010
Texte de Jean-Joseph Julaud, auteur de
Ciel, ma dictée !
Éditions First
Annales des crues centennales
En une demi-heure, il y a trois semaines et demie, une espèce de
maelstrom enragé mettait violemment sens dessus dessous les côtes
vendéennes. Quelles qu’en soient les raisons, et quelque tragiques qu’en
aient été les conséquences, ces apogées imprévus des colères de Téthys,
épouse du dieu Océan, ne doivent pas faire oublier les emportements
d’Alphée, le dieu des fleuves. En effet, pendant les deux mille ans qui nous
ont précédés, les crues de la Seine se sont succédé au rythme de quatre ou
cinq par siècle, la plus spectaculaire datant de mille neuf cent dix. Cette
année-là, le 20 janvier, les Parisiens se sont doutés que la Seine s’était laissé
prendre d’assaut, en amont, par ses affluents débordants.
Malgré l’exhaussement des rives, le boulevard Haussmann, l’hôpital
des Quinze-Vingts, qu’avaient envahis les eaux, ont subi le même drame que
mille autres lieux de la capitale. Dans des sortes de galiotes pilotées par de
soi-disant mariniers, les descendants des Parisii se sont alors empressés de
charger des bric-à-brac à transporter au sec : tableaux de maîtres aux
maries-louises gondolées, aquarelles avec des passe-partout boursouflés, et
même les Dahlias de Cézanne tremblotant dans leur vase de Delft, tout cela
au milieu d’écritoires cassées, de chrysanthèmes fanés ou de planisphères
écornés. Il fallut deux mois pour que la Seine regagnât son lit. En ce
moment, elle dort, pâlotte, elle grelotte. Jusqu’à sa prochaine ribote ?
Jean-Joseph Julaud
Mars 2010