Droits et cultures en mouvements
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Droits et cultures en mouvements
groupes minorisés, le mouvement pour les droits humains Sous la direction de ments sociaux, les mouvements des minorités et des Francine Saillant et Karoline Truchon Cet ouvrage porte sur les interrelations entre les mouve- et les conceptualisations récentes de l’anthropologie et des état des lieux des avancées des larges mouvements sociaux et des mobilisations de divers groupes au Québec et ailleurs dans le monde sur le plan des droits. Les droits humains sont la manière dont, d’une part, les mouvements ont agi dans le champ des droits, sur les plans subjectif, stratégique, politique et la manière dont, d’autre part, les scientifiques des sciences sociales, notamment les anthropologues, ont finalement pris acte de ces formes d’action et les ont traduites à leur façon. Karine Bates Alain Bertho Sylvie Bodineau Michèle Clément Jacques d’Adesky Ghita El Khayat Azzouz Ettoussi Patrick Fougeyrollas Eric Gagnon Charles Gaucher Hélène Grandbois Lorraine Guay Martin Hébert Denise Helly Mondher Kilani Marie France Labrecque Droits et cultures en mouvements abordés en tant que pratiques sociales plurielles, discours, également d’aborder à travers une série de cas spécifiques, Karoline Truchon Droits et cultures en mouvements sciences sociales sur ces questions. Il se présente comme un actions symboliques et performatives. Cet ouvrage permet Sous la direction de Francine Saillant et Vivian Labrie Diane Lamoureux Joseph Josy Lévy Abdelwahed Mekki-Berrada David Moffette Nathalie Ricard Francine Saillant Jean J. Schensul Karoline Truchon Collection Illustration de couverture : Karoline Truchon Sociologie contemporaine Dirigée par Daniel Mercure Saillant et Truchon 1 Anthropologie/Ethnologie 13-01-16 11:36 Collection fondée et dirigée par Daniel Mercure La collection Sociologie contemporaine rassemble des ouvrages de nature empirique ou théorique destinés à approfondir nos connaissances des sociétés humaines et à faire avancer la discipline de la sociologie. Ouverte aux diverses perspectives d’analyse, « Sociologie contemporaine » s’intéresse plus particulièrement à l’étude des faits de société émergents. Liste des titres parus à la fin de l’ouvrage Droits et cultures en mouvements Droits et cultures en mouvements Sous la direction de Francine Saillant et Karoline Truchon Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : Diane Trottier ISBN : 978-2-7637-1542-1 PDF : 9782763715438 ePUB : 9782763715445 © Les Presses de l’Université Laval 2013 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 1er trimestre 2013 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XV Droits et cultures en mouvements – Une introduction . . . . . . . . . . . . . 1 Francine Saillant – Karoline Truchon Le plan de l’ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Première partie Ouvertures théoriques Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains . . . . . . . . . . . . . . . 7 Francine Saillant La question des droits humains au sein de l’anthropologie canadienne et québécoise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Anthropologie critique et vie sociale des droits . . . . . . . . . . . . . . . 15 Narrativité et performativité des droits dans l’espace public . . . . . . 17 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Chapitre deuxième La mouvance des droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Karine Bates Les droits humains et la question de l’universalité . . . . . . . . . . . . . 28 La prétention à l’universalité des droits humains . . . . . . . . . . 28 Qui est sujet de droit ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Petite histoire des droits de l’homme selon la Déclaration universelle de 1948 . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 VIII Droits et cultures en mouvements Les principes de l’état de droit moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33 Le système juridique moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Le principe de primauté du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 La question du pluralisme juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 La diversité des systèmes juridiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Pluralisme à l’intérieur de la bureaucratie juridique de l’État moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Chapitre troisième « Le droit d’avoir des droits » – Que faisons-nous politiquement lorsque nous revendiquons des droits ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Diane Lamoureux Grammaire des luttes contre l’injustice et la souffrance sociale . . . 42 Subjectivation politique, droits et démocratie . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 deuxième partie Des droits et des mobilisations collectives et transnationales Chapitre quatrième Les droits des peuples autochtones – Rapports avec l’État, mobilisation des instruments transnationaux de reconnaissance et nouvelles subjectivités politiques au Mexique et au Canada . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Martin Hébert Les Peuples autochtones, définition et état des droits . . . . . . . . . . 63 Les Peuples autochtones et l’État : institutions et droits au Canada et au Mexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 La mobilisation des instruments transnationaux . . . . . . . . . . . . . . 72 Conclusion : anthropologie, droits et Peuples autochtones . . . . . . . 75 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Table des matières IX Chapitre cinquième Personnes handicapées et droits humains : « Rien à notre propos sans nous » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Patrick Fougeyrollas – Charles Gaucher Contexte sociohistorique de l’émergence des droits en matière de handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 Handicap et droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 L’invisibilité du handicap dans les conventions internationales de droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Éliminer les statuts distinctifs, promouvoir l’universalité et préserver les différences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 De la concertation aux points de tension : l’exemple des revendications sourdes face à la Convention . . . . . . . . . . . . . . 91 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Chapitre sixième Droits humains et minorités sexuelles – Enjeux anthropologiques . . . . 101 Joseph Josy Lévy – Nathalie Ricard Les droits des minorités sexuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Les minorités sexuelles dans le droit international . . . . . . . . . . . . . 105 Les résistances juridiques et anthropologiques à l’adoption des droits humains pour les minorités sexuelles . . . . . . . . . . . . . . . 109 Droits humains et LGBT dans le contexte canadien et québécois . 114 Quelques jalons historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Des approches militantes et juridiques différentes au Québec et au Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .116 Les limites du discours sur les droits pour les LGBT . . . . . . . . . . . 118 Le mariage homosexuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 L’homonationalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Les défis des communautés LGBT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Le droit d’asile des LGBT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 X Droits et cultures en mouvements troisième partie Des mobilisations émergentes des droits Chapitre septième Féminisme, féminicides et outils internationaux en matière de droits humains – Le cas de Ciudad Juárez, au Mexique . . . . . . . . . . 133 Marie France Labrecque L’État qui tue ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Les féminicides à Ciudad Juárez : de quoi s’agit-il ? . . . . . . . . . . . . . 134 La société civile revendique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 La portée des instruments internationaux des droits humains . . . . 138 Distinguer droits et justice sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 Conclusion : l’État qui tue et l’État patriarcal . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 Chapitre huitième Perspectives sur les droits des enfants – Sur le cas des « enfants soldats » en République démocratique du Congo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Sylvie Bodineau Genèse des droits et de la protection des enfants . . . . . . . . . . . . . . 150 Débats anthropologiques autour des droits de l’enfant . . . . . . . . . . 153 La question spécifique des enfants soldats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 Les bases juridiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 Les interventions de protection des enfants soldats . . . . . . . . 155 Figures de l’enfance au cœur des discours des acteurs de protection des enfants soldats en République démocratique du Congo . . . . . . 156 Le phénomène des enfants « kadogos » en République démocratique du Congo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 Programmes de protection relatifs aux enfants soldats en RDC 157 Valeurs et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 Représentations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 Politiques et programmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Perspective diachronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Sortir des cadres pour faire évoluer les droits de l’enfant . . . . . . . . 161 Éléments d’une anthropologie renouvelée des droits de l’enfant . . 163 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Table des matières XI Chapitre neuvième Généalogie et mobilisation autour des droits en santé mentale – De la vie sociale à la vie politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 Michèle Clément – Lorraine Guay – Hélène Grandbois Des droits humains aux droits de la personne ayant un problème de santé mentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 La position de la communauté internationale à l’égard des droits humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 L’architecture des droits touchant plus particulièrement les personnes ayant un problème de santé mentale . . . . . . . . . 171 La vie sociale des droits en santé mentale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 Les premiers moments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 La naissance des groupes de défense des droits en santé mentale 178 La reconnaissance politique de la défense des droits . . . . . . . . 181 Les piliers de la défense des droits en santé mentale au Québec 185 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 quatrième partie Tensions et résistances dans la mise en œuvre des droits Chapitre dixième Le langage des droits en direction d’un Québec sans pauvreté – Quelques jalons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 Vivian Labrie Un apport de l’action citoyenne : le langage des droits dans la Proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté (2000) . . 203 Un impact sur l’action publique ? Le langage des droits dans la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion (2002) et ce qui s’ensuit (2003-2010) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale . 205 Le premier plan d’action (2004-2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 Prendre la mesure de la pauvreté : un avis du CEPE sur les indicateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Le second plan d’action (2010-2015) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 Et maintenant ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 XII Droits et cultures en mouvements Chapitre onzième Droits et politiques publiques de promotion des Afro-descendants au Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215 Jacques d’Adesky Inégalités et discrimination raciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216 Mouvement Noir et mesures contre la discrimination raciale . . . . . 217 Démarcation des terres des communautés issues des quilombos et discrimination positive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221 Égalité des chances au travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 Réparation et dette morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 Chapitre douzième Droits précaires, déchirures émotionnelles et résilience des migrantes subsahariennes en transit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Abdelwahed Mekki-Berrada – David Moffette – Mondher Kilani – Azzouz Ettoussi – Denise Helly – Jean J. Schensul – Ghita El Khayat Sécurisation et externalisation des frontières . . . . . . . . . . . . . . . . . 230 Le contexte inhospitalier au Maroc et les pressions européennes 230 Sécurisation des frontières euro-méditerranéennes . . . . . . . . . 233 La recherche en cours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 L’équipe et sa posture théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Rabat, capitale du Maroc et lieu d’investigation . . . . . . . . . . . 235 Résultats préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Profil sociodémographique des répondantes . . . . . . . . . . . . . . 237 Expériences traumatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 Détresse émotionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245 Chapitre treizième Les droits des usagers des services de santé et des services sociaux – Interrogations, réception, contractualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 Éric Gagnon – Michèle Clément Interrogations et inachèvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 Des droits subjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 Le langage des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 Inachèvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Table des matières XIII Réception et résistances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 Le bien de la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262 Remises en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Contractualisation et saturation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265 Normaliser les conduites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 Rationalisation et saturation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270 cinquième partie Remarques finales Chapitre quatorzième Le droit à l’État ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Alain Bertho Mondialisation, État, Nation, Droit : la question du peuple . . . . . 276 Squatteurs et sans-papiers : l’État choisit les sujets de droit ? . . . . . . 277 Le symbole du drapeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 Insalubrité ou péril imminents : des protections juridiques inopérantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 Une reconnaissance précaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279 Construire le sujet de droit dans la mobilisation . . . . . . . . . . . 279 2011 : nouvelles figures constituantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280 Printemps arabe : une révolution sans prise de pouvoir . . . . . . 280 Indignés : une convergence constituante . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 Y’en a marre : l’exigence citoyenne du « nouveau type de sénégalais » (NTS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 Un droit à l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284 Glossaire de chartes, conventions, déclarations, traités et autres outils de régulation de droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285 Remerciements C et ouvrage fut rendu possible par différentes formes de soutien et de collaboration. Il faut d’abord noter la possibilité qui fut offerte de créer, à titre expérimental, le cours Droits et cultures en mouvements au sein du département d’anthropologie de l’Université Laval. Nous souhaitons aussi remercier les membres de l’Équipe de recherche Érasme pour leur réflexion stimulante et leur engagement au sein de ce projet. Mesdames Jacynthe Leblanc et Isabelle Fleury, qui ont mis ces textes en forme, nous ont également soutenues d’une manière professionnelle et efficace. Notre relectrice, Madame Anne-Hélène Kerbiriou, nous a apporté ses éclairages précis et essentiels. On ne saurait passer sous silence l’appui indéfectible du CÉLAT et de la direction de l’Équipe de recherche Érasme. Nous remercions également tous les auteurs de l’ouvrage qui ont cru, avec nous, en la qualité et en l’importance de ce travail collectif. Enfin, nous sommes redevables aux Presses de l’Université Laval pour leur soutien à ce projet. Droits et cultures en mouvements Une introduction Francine Saillant – Karoline Truchon L ’ouvrage que nous proposons est issu d’un cycle d’activités de recherche et d’enseignement ayant pour objet la vie sociale des droits dans les mouvements sociaux contemporains. Ce cycle inclut d’abord un cours qui fut dispensé pour la première fois au département d’anthropologie de l’Université Laval en 2011, lequel fut suivi d’un colloque. Les titres du cours, du colloque et de cet ouvrage portent le même nom afin de marquer la relation intime entre tous ces contenus fortement imbriqués. De façon plus spécifique, cet ouvrage porte sur les interrelations entre les mouvements sociaux, les mouvements des minorités et des groupes minorisés, le mouvement pour les droits humains et les conceptualisations récentes de l’anthropologie et des sciences sociales sur ces questions. Il s’agit, de notre point de vue, de proposer une sorte d’état des lieux des avancées des mouvements sociaux et des mobilisations de divers groupes au Québec et ailleurs dans le monde sur le plan des droits, de même que des développements les plus récents pour leur étude. Il s’agit aussi d’aborder, dans une perspective critique, les droits humains en tant que pratiques sociales plurielles, discours, actions symboliques et performatives. Au-delà d’une anthropologie juridique centrée sur la comparaison de systèmes, ou d’une perspective théorique limitant l’apport de l’anthropologie à une critique culturelle des droits de type relativiste, ou encore à celle de la simple advocacy, cet ouvrage permet d’aborder, du moins l’espérons-nous, à travers une série de cas spécifiques, la manière dont, d’une part, les mouvements ont agi dans le champ des droits, sur les plans subjectif, stratégique, politique et la manière dont, d’autre part, les scienti fiques des sciences sociales, notamment les anthropologues, ont finalement pris acte de ces formes d’action et les ont traduites à leur façon. 2 Droits et cultures en mouvements La série d’analyses que contient l’ouvrage fournit des exemples venant du Québec mais aussi de plusieurs régions de monde (notamment le Mexique, le Brésil, le Congo, le Maroc) et des composantes tant locales, nationales que transnationales des mouvements. Des études sur les femmes, le handicap, les questions raciales, les réfugiés, les allosexualités, l’autochtonie, la pauvreté, la santé mentale, la vieillesse, les enfants, sont rassemblées de même que des synthèses théoriques et des prospectives pour l’étude des droits humains et de leur pratique dans l’actuel et le futur. L’ouvrage s’inscrit aussi dans la tradition de l’engagement des anthropologues du Québec, sachant que dans nombre des causes abordées par les auteurs, ces derniers ont souvent joué et jouent toujours un rôle majeur dans l’avènement des droits et de la citoyenneté effective des groupes qu’ils étudient. Les organisatrices de l’ouvrage désiraient de ce point de vue combler un manque en réunissant ces derniers dans un ouvrage permettant de souligner leur apport, tout en assurant la présence de plusieurs générations d’auteurs et de plusieurs perspectives et méthodes. Le plan de l’ouvrage Une première section de l’ouvrage Ouvertures théoriques porte sur les aspects épistémologiques de l’anthropologie des droits humains et son émergence, de même que les fondements qui sont les siens, là où se croisent sur le plan disciplinaire, la philosophie politique, le droit et l’anthropologie ellemême (Saillant, Lamoureux, Bates). Trois parties suivent cette première série d’études, qui constituent pour l’ensemble un regard panoramique et prospectif depuis les cas qui enrichissent les propositions initiales de cet ouvrage. Un premier ensemble de textes regroupés sous le thème Des droits et des mobilisations collectives et transnationales réfère à des groupes qui sont marqués par des mouvements forts et très visibles sur la scène sociale, de même qu’à leurs composantes transnationales. Il s’agit des Autochtones (Hébert), des personnes handicapées (Fougeyrollas et Gaucher) et des personnes allosexuelles (Lévy et Ricard). Les auteurs proposent une analyse approfondie des racines historiques des mouvements et de leurs ramifications de même que des perspectives anthropologiques de leurs expressions dans la mouvance des droits humains. Un deuxième ensemble de textes regroupés sous le thème Des mobilisations émergentes des droits présente une série de travaux conduits autour de problématiques plus récentes, notamment celle du féminicide (Labrecque), des enfants soldats (Bodineau) et enfin des personnes souffrant de problèmes de Droits et cultures en mouvements Une introduction 3 santé mentale (Clément, Guay et Grandbois). Bien sûr la question du féminicide ne saurait être comprise sans sa relation au mouvement des femmes et au féminisme ; il en est de même du cas des enfants soldats qui trouve une part de son schéma de compréhension dans le champ plus vaste des droits de l’enfant. Enfin, la question de la santé mentale ne peut faire l’économie de l’histoire de la folie. C’est pourquoi les propos des auteurs nous entraînent dans les sillons et les liens que tracent ces problématiques spécifiques. Le troisième ensemble de textes regroupés sous le thème Tensions et résistances dans la mise en œuvre des droits nous permet de saisir, sous différents angles et par des méthodes diversifiées, les réalités de groupes tels que les personnes en situation de pauvreté (Labrie), les Noirs (d’Adesky), les personnes réfugiées (Mekki-Berrada et ses collaborateurs) de même que les personnes âgées (Gagnon et Clément). Dans cette section, les apports des méthodes (analyse de discours, de politiques, approche herméneutique, par exemple) prennent une place de choix. Il semble que l’analyse de la vie sociale des droits, bénéficient de méthodes diversifiées pour son observation. Par ailleurs, cette section regroupe des travaux tous effectués au sein de mouvements sociaux relativement jeunes quand à leur formation, ou même encore en voie de s’organiser. Le dernier texte du volume, celui de Bertho, s’inscrit comme une réflexion sur le rôle de l’État face aux revendications contemporaines pour les droits humains. Sans être une conclusion au sens propre du terme, l’essai proposé par l’auteur a le mérite de revenir sur quelques questions transversales ouvertes par les collaborateurs de la première section en même temps qu’il prolonge le regard en direction d’événements récents tels que, par exemple, le mouvement des Indignés. Première partie Ouvertures théoriques Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains Francine Saillant 1 L es droits humains2 représentent une question centrale dans les sociétés contemporaines. Le XXe siècle aura été pour certains le siècle des droits au sens où, au cours de cette période, se déroulèrent des drames majeurs et surtout des génocides qui ont été à l’origine de la création d’instruments légaux dont on ne peut négliger la portée, soit la création du droit humanitaire international avec les Conventions de Genève, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et enfin, plus récemment, la création de la Cour pénale internationale3. Durant les Trente glorieuses, nombre d’États, bon gré mal gré, ont accepté les termes du droit humanitaire international et de la Déclaration, en les cautionnant et en acceptant les principes et les valeurs de ces instruments. Non pas que les États aient tous véritablement intégré à leurs agendas les lois et programmes qui auraient pu en découler, mais on doit noter que cette question des droits humains est devenue de plus en plus 1. Département d’anthropologie, Université Laval ; membre de l’Équipe de recherche Érasme et CÉLAT. 2. L’expression « droits humains » a été ici retenue plutôt que celle de droits de l’homme ou de droits de la personne. Cette expression a l’avantage de mieux respecter les deux genres humains. L’expression « droits de l’homme » a été conservée en référence au contexte juridique de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948, et l’expression « droits de la personne » au contexte juridique canadien actuel. L’expression « droits humains » renvoie également plus explicitement à la traduction des human rights tels que les conçoit Mark Goodale (2000a, 2000b), c’est-à-dire à une vision plus ouverte et globale que simplement légale. 3. Pour les Conventions de Genève, voir le site de la Croix-Rouge internationale (http :// www.icrc.org/fre/war-and-law/treaties-customary-law/geneva-conventions/index. jsp) ; pour la Déclaration universelle des droits de l’homme, voir le site des Nations Unies (http ://www.un.org/fr/documents/udhr/) ; pour la Cour pénale internationale, voir http ://www.icc-cpi.int/Menus/ICC ?lan=fr-FR 8 Première partie Ouvertures théoriques sensible dans les cercles internationaux et les débats politiques, en même temps que la société civile a su s’en emparer de manière remarquable, suffisamment pour que nombre de nouveaux outils, assortis à la Déclaration universelle, se soient développés, intégrant plusieurs sous-groupes qui avaient semblé effacés derrière l’universalisme abstrait de l’homme des droits de l’homme. Les mouvements sociaux qui ont été présents à l’issue des Trente glorieuses et de l’enrichissement collectif de l’après-guerre ont certes renforcé cette tendance, en évoluant depuis des perspectives classistes, puis identitaires et de plus en plus vers celle des droits humains. C’est aussi dans ce contexte que les droits humains sont pour leur part devenus plus que jamais un langage transnational qui permet la traduction multiforme des exactions et manques face aux droits les plus fondamentaux. Depuis une quinzaine d’années maintenant, les droits humains comme champ d’étude ont pris un essor fulgurant ; bien sûr ils ont fait débat dans les sciences juridiques, mais le transfert de ces débats vers les sciences sociales, et surtout l’engouement de ces dernières, est plus récent, en particulier dans une discipline comme celle de l’anthropologie. Durant de nombreuses années, l’anthropologie a fait du droit une question attachée à une anthropologie juridique qui fut longtemps l’apanage des juristes et des ethnologues ouverts au comparatisme, mais pas nécessairement aux droits humains. Bien sûr, nombre de monographies traditionnelles ont consacré plusieurs chapitres au droit coutumier des « sociétés traditionnelles » et plus récemment au pluralisme juridique des sociétés coloniales, mais cela est bien différent du propos que nous abordons ici, celui des droits humains4. 4.En effet, nous distinguons ici l’anthropologie des droits humains de celle de l’anthropologie juridique. Des auteurs tels que Alliot (2003), Eberhard (2006), Le Roy (1999), Rouland (1990) ou encore Vanderlinden (1996) ont défini tour à tour l’anthropologie juridique, son histoire, ses principaux courants. L’anthropologie juridique, dont la tradition est ancienne en anthropologie, est associée étroitement au droit comparé qui naît au XIXe siècle et dont la tradition évolue aujourd’hui vers le pluralisme juridique. Cette forme d’anthropologie s’est surtout développée dans les contextes de colonisation ou de relations interethniques. Rouland (1999 : 7) en donne une définition précise : « Discipline qui, par l’analyse des discours (oraux ou écrits), pratiques et représentations, étudie les processus de juridicisation propres à chaque société, et s’attache à découvrir les logiques qui les commandent… L’anthropologie juridique ne borne point son champ à l’étude des sociétés lointaines ou “ exotiques ”. Elle se veut aussi une réflexion sur notre propre Droit. Elle part du principe qu’une connaissance conjointe des systèmes juridiques traditionnels et modernes est indispensable à la constitution d’une authentique science du Droit ». L’anthropologie des droits humains s’inscrit pour sa part dans l’observation des articulations entre les mouvements sociaux, la globalisation et le transnationalisme et enfin, la diffusion et l’appropriation du langage et des outils des droits humains par les acteurs des mouvements selon leurs diverses localisations. Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains 9 En effet, la mouvance internationale et transnationale des droits humains chaque jour davantage appropriés par des sociétés qui leur semblaient opaques ne peux qu’interpeller l’anthropologie et les disciplines voisines. Pendant longtemps, la discipline refusa l’idée qu’il puisse exister une chose telle qu’un langage universel pouvant inclure l’ensemble des peuples et nations du monde, considérant que cela allait a contrario des préceptes de la discipline elle-même, à savoir cette idée que les cultures sont uniques et ne peuvent être chapeautées par un langage commun. L’origine de ces instruments, occidentale et européenne, a été aussi jugée problématique par des anthropologues qui voyaient dans « l’imposition » d’une déclaration universelle une nouvelle forme de colonialisme. Récemment, soit à la toute fin des années 1990, la discipline a quelque peu ajusté ses positions. Elle a remis en cause son credo relativiste et s’est ouverte à la possibilité d’un réexamen critique à la fois de ses valeurs disciplinaires mais aussi de l’universalisme aveugle des outils internationaux, cela en proposant que des positions intermédiaires et plus nuancées puissent être développées. C’est ainsi qu’au cours des années 2000, un certain nombre de publications majeures sur les droits humains en anthropologie, voire sur la possibilité d’une anthropologie des droits humains, ont vu le jour. Au sein de cette nouvelle perspective, l’idée était de voir naître une anthropologie des droits humains qui les aborderaient comme pratiques sociales, discursives et performatives plutôt que limités à une simple écriture technique de textes juridiques. Les nouvelles perspectives ainsi ouvertes en anthropologie se sont traduites par la multiplication des publications dans les revues généralistes et plus particulièrement dans le champ des droits humains. On ne saurait passer sous silence les publications dans les revues Current Anthropology et American Anthropologist (voir sur ce point Goodale 2006a, 2006b) sur la question des droits humains, puis d’ouvrages aussi fondamentaux que ceux de SheperHugues et Bourgois (2004), Merry (2006), Goodale et Merry (2007), Goodale (2009), mais aussi en Europe Hastrup (2001a, 2001b) et Rude-Antoine et Chrétien-Vernicos (2009). De riches propositions ont été faites par Goodale (2006a, 2006b) et ses collaborateurs, en particulier Merry (Goodale et Merry 2007), quant aux avenues que pourraient prendre cette anthropologie des droits humains. Dépassant la vision portée par l’éternel débat relativisme/ universalisme, ces auteurs en sont venus à tracer les contours d’une anthropologie non limitée au rôle de critique aveugle des droits humains en tant que construction de l’hégémonie occidentale et universaliste, ou encore à cet autre rôle de défenseur des cultures « uniques, fragiles et menacées », notamment face à cette hégémonie. Il a ainsi fallu reconnaître le problème posé par cette hégémonie (réelle) du discours des droits humains et de son régime de moralités. 10 Première partie Ouvertures théoriques Il a aussi fallu reconnaître la complexité des connaissances à développer en lien avec les pratiques, les discours et les idéologies associées aux droits humains. Il est vrai, certains groupes n’adhèrent pas à ces discours et à ces préceptes car ils reflèteraient mal leurs ontologies, alors que d’autres, au contraire, s’en nourrissent en combinant le plus souvent les ontologies locales et les logiques universalistes des droits humains, en les adaptant localement. Plusieurs auteurs ont adopté une position similaire (Asad 2000 ; Hastrup 2003, 2001a, 2001b ; Merry 2006 ; Mutua 2002 ; Wilson 2009, 2001) et proposé de s’appuyer sur des approches de tradition critique pour l’analyse des usages hégémoniques des droits, mais aussi des formes d’appropriations stratégiques ou circonstanciées par des groupes minoritaires ou minorisés ; ils proposent également de participer au travail d’élaboration et d’élargissement des cadres normatifs des droits (les textes), entre autres afin de rendre visibles les facteurs qui à ce jour ont limité l’accès aux droits collectifs ou ont rendu problématique les imbrications harmonieuses entre droits et cultures. Il s’agirait dès lors de développer une approche critique des droits humains qui soit sensible à leur caractère perfectible, et d’ouvrir à un travail collaboratif entre collectivités et minorités, société civile, experts, gouvernants ; il s’agirait également de mettre au point des méthodes innovantes ou plus adaptées. On ne pense surtout pas à limiter le rôle de l’anthropologue à celui de traducteur des idiosyncrasies culturelles ou encore de médiateur de l’idéologie des droits humains, mais plutôt de l’ouvrir à des approches moins normatives (entendre ici d’ordre strictement juridico-politique), moins dichotomiques (basées sur l’opposition universalisme/relativisme), ceci afin de laisser place aux discours et aux pratiques des acteurs des droits humains, incluant les anthropologues eux-mêmes. Et bien sûr avec eux d’autres spécialistes des sciences sociales. Bref, de déborder du formalisme des textes et de leurs applications légalistes et d’entrer dans le vif des discours et des pratiques multi-situés et qui ont cours dans diverses sociétés. L’anthropologie, par ses approches localisées et situées, permet donc d’offrir des réponses en ramenant les pratiques liées aux droits au cœur de la vie sociale, là où par exemple ils se fabriquent ou se défont, sont appropriés ou transformés et réécrits. L’anthropologie et avec elle d’autres corps disciplinaires, est susceptible de confronter le droit aux questions de pluralité, d’interculturalité et d’incommensurabilité qui traversent la vie sociale en nous rappelant à quel point les catégories du langage et de l’expérience ne sont pas si facilement réductibles à celles du droit et, qui plus est, celles des droits humains. Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains 11 La question des droits humains au sein de l’anthropologie canadienne et québécoise Le développement important qu’a connu l’anthropologie des droits humains au cours de la première décennie du XXIe siècle nous amène à questionner la place d’une telle anthropologie au sein des anthropologies canadienne et québécoise. Le Canada est un pays identifié internationalement à la question des droits humains. Ce pays a longtemps cherché à se montrer protecteur des droits des minorités, droits qu’il affirmait dans sa Charte des droits et libertés qu’il adoptait en 1982, charte enchâssée dans la Constitution du pays. Cette charte est aussi articulée à la Loi sur le multiculturalisme de 1988 puisque, dans l’esprit de la Loi, la Charte doit permettre de promouvoir la diversité et le vivre-ensemble entre la majorité et les minorités. La Canada se veut aussi un bon élève des institutions du droit humanitaire international, ce qui a fait de lui dans sa tradition et encore aujourd’hui un pays d’accueil des immigrants et des réfugiés. Le Canada s’est aussi montré en exemple pour l’instauration des droits des minorités et des minorisés, si on pense aux droits des femmes, des gays, des handicapés et aussi des droits des demandeurs d’asile, quoique dans ce dernier cas les choses se soient fortement fragilisées avec les conséquences du 11 septembre 2001, puis avec les élections successives d’un gouvernement conservateur depuis 2006. L’anthropologie canadienne a souvent été décrite comme une anthropologie marquée par l’engagement envers les populations étudiées, engagement qui se définit par une ferme tradition dans le domaine de l’anthropologie appliquée et dont le constat a été maintes fois fait par Harrisson et Darnell (2006). On peut dès lors se demander comment ont pu ou non converger dans le champ des droits humains et des nouvelles perspectives qui se dessinent ces deux héritages que représentent, d’une part, la tradition politique canadienne et, d’autre part, la tradition anthropologique d’engagement envers les minorités. Ceci peut être fait par un bref examen des publications anthropologiques existantes et portant sur les droits5. L’examen des publications parues dans les principaux périodiques scientifiques du pays en anthropologie nous permet de constater que l’anthropologie canadienne a largement souscrit à la vision théorique relativiste en matière de droits et de droits humains. La méfiance de la 5. Le dépouillement systématique des publications anthropologiques québécoises et canadiennes à vocation généraliste et prenant pour objet central le droit des minorités a été entrepris. Il s’agit des revues Anthropologica (1955-2010), Anthropologie et sociétés (19762010) et Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie (1963-2010). La comptabilité annuelle de leurs publications a été faite de façon à faire ressortir la présence et l’évolution de la thématique des droits, des droits des minorités et des droits humains. Les titres et les résumés ont servi de repères pour inclure les articles à l’ensemble. 12 Première partie Ouvertures théoriques discipline envers les droits humains, soit pour cause de relativisme, soit pour cause d’hégémonisme, a été similaire au Canada, en Europe et aux États-Unis. On ne peut donc se réclamer d’une école d’anthropologie des droits humains au Canada comme on parle d’une école d’anthropologie médicale ou des études autochtones ou féministes. On ne peut non plus parler d’un courant d’études affirmé sur les pratiques entourant les droits humains ou la vie sociale des droits, comme on le remarque actuellement chez notre voisin américain, et cela bien que le contexte politique et culturel eût pourtant été favorable à de telles orientations6. En 1999, l’American Anthropological Association (AAA) a mis sur pied le Comité pour les droits humains, lequel résultait des positions renouvelées de la discipline et de la prise en compte des expériences pratiques des jeunes anthropologues dans les ONG, notamment autour des questions autochtones et des questions de genre, ce qui se traduisait par une mise à distance du relativisme convenu et par une reconnaissance de la légitimité de l’engagement de ses membres en relation avec les expériences de discrimination et d’assujettissement de nombre de communautés au sein desquelles ils travaillaient. Au Canada, la société canadienne d’anthropologie (CASCA) ne dispose pas d’instances de ce type et n’a pas réagi clairement, en tant qu’association, à ce repositionnement théorique. La situation de la CASCA est cependant fort différente de celle de l’AAA en termes de membership et de structure, et sans doute les deux contextes sont-ils difficilement comparables. L’examen des publications canadiennes en anthropologie par le biais des périodiques scientifiques est tout à fait éloquent. La Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie (Canadian Review of Sociology and Anthropology), publiée depuis 1963, ne fit paraître jusqu’en 2000 que 19 articles sur le thème plus général des droits et, fait intéressant, un seul article sur les droits humains, celui de Frideres et Reeves (1989), et finalement très peu d’articles sur les droits des minorités. On peut mentionner à titre d’exemples ceux de Hartnagel, Creechan et Silverman (1985) et celui de Rayside et Bowler (1985), respectivement sur l’opinion publique autour du droit à l’avortement et sur celle du droit des gays. La revue Anthropologica, qui paraît depuis 1955, ne fit paraître que 11 articles sur les droits jusqu’en 2000. Le premier fut celui de Bruce Trigger sur le droit coutumier huron (1963). Un numéro spécial, celui de Worby et Rutherford (1997), a abordé la question de la transformation du continent africain et 6. Il existe toutefois du côté du domaine du droit proprement dit un courant important de réflexion sur le pluralisme juridique auxquels des anthropologues collaborent à l’occasion ; voir par exemple Goulet (2010). Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains 13 du passage des États nations aux États de droits, des sujets coloniaux aux sujets citoyens. Plusieurs des 11 articles parus durant cette période furent intégrés à ce numéro. Quant à la revue Anthropologie et Sociétés, dont la série débute en 1976, ce sont 17 articles qui voient le jour jusqu’en 2000. Les deux premiers portaient sur le droit comparatif et le droit coutumier (Lee 1983 ; Douyon 1984). Un numéro spécial vit le jour en 1989, sous la direction de Mikaël Elbaz, sur le thème Cultures, ordres et désordres juridiques et au sein duquel la majorité des 17 articles de la période étaient associés. Ainsi, aussi bien la revue Anthropologica que la revue Anthropologie et Sociétés ont été plutôt silencieuses, pendant de nombreuses années, à propos du thème des droits humains, tout comme d’ailleurs l’ont été leurs consœurs américaines entre 1948, date de la publication de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et 1993, date de la parution du célèbre article d’Ellen Messer qui appelait à une autre vision de la discipline face à la question (Goodale 2006a). Cet état de fait n’a toutefois pas empêché qu’il se produise au Canada depuis les années 2000 une certaine remontée des travaux sur les minorités et les minorisés et au sein de laquelle il est permis de saisir l’engagement des anthropologues canadiens envers ces groupes, conformément aux propos de nos collègues Harrison et Darnell (2006). D’abord, en matière autochtone, on note que depuis l’an 2000 les anthropologues canadiens qui ont publié des articles sur les droits ont été surtout ceux qui ont critiqué le régime juridique canadien de même que les décrets et accords touchant le territoire et la gestion des ressources naturelles. Au moins la moitié des publications touchant les droits et rédigées par les anthropologues se sont concentrées sur cette question7 (voir, par exemple, dans la revue Anthropologica, Asch 2001, 2007 ; Pulla 2003 ; Goetze 2005 ; Feit et Spaeder 2005 ; Coombe 2007 ; Goulet 2010 ; voir aussi dans la revue Anthropologie et Sociétés, Charest 2003 ; Goulet 2006 ; Viventi 2008). Cette position ramène l’anthropologie canadienne des droits à celle d’observateur critique de l’encadrement des Autochtones par le régime hérité de la Loi sur les Indiens, une Loi datant de 1876 et encore effective aujourd’hui, et de critique d’une gouvernance qui contredit, a fortiori, la réputation du Canada comme « champion des droits humains », toutes les minorités ne se valant pas au pays champion du multiculturalisme. Cette tendance révèle il est vrai l’évolution des relations entre les Autochtones et les autorités du pays. La logique des droits y est donc abordée comme la logique 7. On ne saurait s’étonner du fait que les revues spécialisées en études autochtones regroupent naturellement le plus grand nombre de ces publications. Notre examen porte toutefois sur les revues généralistes. C’est dans la revue Anthropologica, suivie d’Anthropologie et Sociétés, que le plus grand nombre de publications sur les droits des Autochtones voit le jour. 14 Première partie Ouvertures théoriques oppressive d’une majorité blanche et colonisatrice sur une minorité opprimée posée comme une exception juridique. Les travaux sur les autres minorités que celles des Autochtones sont plus rares ou dispersés. Les femmes, les handicapés, les gays, les réfugiés sont toutefois présents dans ces publications qui montrent les rapports complexes entre les mouvements sociaux et les revendications de droits, et certes, l’évolution du régime des droits dans le pays depuis les années 1980. Fait intéressant, le plus grand nombre de publications sur les minorités autres qu’autochtones sont parues depuis 2000 dans la Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie. Toutefois, fréquemment, les auteurs de ces publications sont des sociologues et non des anthropologues (voir par exemple dans cette revue, RollingsMagnusson 2004 ; Grekul 2008 ; Shaver et al 2011 ; Taylor et Peter 2011). Dans cette même revue, un deuxième article sur les droits humains voit le jour, celui de Clément (2011). Dans des revues comme Anthropologica et Anthropologie et Sociétés, ces questions apparaissent, mais de façon sporadique. Faut-il comprendre en cela que les anthropologues canadiens privilégient les Autochtones à toute autre minorité ? Qu’ils ont publié ailleurs que dans les revues canadiennes ou ailleurs que dans des revues d’anthropologie ? Les réponses à ces questions pourraient être oui mais on ne peut en être entièrement certain. On peut cependant affirmer que la tradition autochtoniste canadienne est si forte qu’elle domine très largement le paysage scientifique. Il est toutefois notable que les autres minorités que celles des Autochtones sont peu présentes dans les revues scientifiques généralistes en anthropologie, alors que ces dernières ont été fortement présentes dans l’actualité politique du pays, qu’elles ont joui de nouvelles lois venant modifier leur existence concrète, notamment depuis la Charte des droits et libertés, et qu’elles font partie des objets d’études prisés par nos collègues américains, tout ceci sans compter l’influence incontestable de la gauche culturelle. Un courant d’études qui fait exception à ce propos est celui, plus récent, des travaux conduits par des anthropologues canadiens sur l’humanitaire. On ne parle pas ici de la protection des minorités et de l’enchâssement de ces dernières dans la problématique des droits humains, par exemple à travers les mouvements minoritaires, mais plutôt des articulations entre logique des droits et logique humanitaire. On retrouve à ce chapitre un modèle hybride de travaux. Notons d’abord le cas où l’anthropologue se fait le critique du régime du droit humanitaire international, comme par exemple Pandolfi (2002) à propos du cas du Kosovo ; notons aussi le cas où l’anthropologue se fait l’observateur du déploiement du phénomène humanitaire global dans la variété de ses diverses expressions comme je l’ai fait moi-même lorsque je me suis penchée sur les réfugiés, le handicap ou les usages du témoignage dans les organisations Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains 15 (Saillant 2007a, 2007b ; Saillant et al. 2011). L’anthropologie canadienne s’est ainsi faite critique des institutions internationales du droit et de la guerre, comme elle a aussi cherché à comprendre la vie sociale des organisations humanitaires et leurs ramifications dans les méandres des mondes locaux. Là encore, la critique de la logique des droits et surtout celle du droit occidental de même que de la gouvernance qu’elle impose a dominé le tableau, un peu comme dans les études autochtones mais bien sûr tout autrement. Il ne faudrait pas oublier du tableau que nous brossons toutes les études des anthropologues effectuées sur l’une ou l’autre des minorités autres qu’autochtones mais qui n’ont pas pris les droits pour cibles de leurs études, préférant par exemple le focus des inégalités fondées sur le genre ou sur la race, sans toutefois déconsidérer la question des droits. On ne peut non plus oublier le fait que nombre d’études faites sur des minorités sont diffusées dans des revues spécialisées correspondant à des minorités spécifiques, revues interdisciplinaires par définition, et correspondant à des champs d’études eux aussi spécifiques, par exemple Canadian Review of Disability Studies, Études féministes, et tant d’autres. Enfin, toute une littérature grise issue des mouvements communautaires et des mouvements de base où œuvrent des anthropologues mériterait d’être citée et rendrait mieux justice à l’anthropologie canadienne et québécoise. Anthropologie critique et vie sociale des droits Revenons maintenant au développement de l’anthropologie des droits humains et aux avenues qui méritent dans le contexte du présent ouvrage une attention particulière. Nous nous arrêterons plus spécifiquement à deux d’entre elles, d’abord celle d’une anthropologie critique des droits humains et ensuite celle de la vie sociale des droits. Une anthropologie critique des droits humains s’inscrit dans la déconstruction des normes qui entourent les discours des droits humains et surtout leur universalisme. Cela, l’anthropologie l’a déjà fait avec ceci de différent qu’aujourd’hui les droits humains ont pris une place sans précédent dans les sociétés contemporaines, une place que déplorent certains auteurs et parmi eux Gauchet (2002), qui y voit un drame pour la démocratie et une perte de vision politique. La légitimité que signifie le recours aux droits humains par une diversité de plus en plus grande d’acteurs qui n’ont pas attendu les anthropologues pour s’y référer, incluant ceux que défendent les anthropologues eux-mêmes, ne peut laisser indifférent. Le travail de déconstruction ne peut maintenant se faire qu’avec une compréhension contextualisée des intentions des chercheurs et de leurs rapports avec les groupes étudiés. Les droits autochtones ou les droits des 16 Première partie Ouvertures théoriques populations afrodescendantes peuvent être relus dans les textes en examinant leurs travers universalistes, leurs dérives et leurs excès possible, mais ils peuvent aussi être examinés dans un but mélioratif et d’ancrage reflétant mieux les désirs et les espoirs des populations. Ceci parce que la légitimité des droits humains ne peut pas découler de son universalisme en soi mais de la manière dont ils émergent dans une communauté et dont ils sont incorporés à une culture locale. C’est ainsi qu’on pourra se demander aujourd’hui comment la pauvreté au Québec a pu prendre une signification différente à travers l’appareil critique des droits humains (voir Labrie dans le présent ouvrage), ou comment les handicapés se sont appropriés ce même discours (voir Fougeyrollas et Gaucher dans ce même ouvrage). Cela est-il seulement attribuable à un effet de mode et de vide politique, comme le pensent certains spécialistes, ou au fait que tous ces groupes ont trouvé par les droits une sorte de langage fournissant pour la première fois un dehors, une extériorité par rapport à la « tradition » et aux atavismes sociaux ? Et cela malgré les imperfections certaines de leurs outils et de leurs discours. Qu’y a-t-il en effet de commun dans le langage des droits humains et qui vient se répercuter de Bogota à Buenos Aires, de Berlin à Bangkok, de Dakar à Montréal, en particulier depuis les mouvements sociaux ? Cette ambiance nouvelle, cet esprit du temps des cultures contemporaines qui penchent vers les droits humains comme manière de traduire les réalités de l’exclusion et de l’inégalité pour certains groupes, ne saurait être reçue comme une autre forme d’universalisme venant se superposer à la première. Il faut comprendre au contraire que le défi d’une critique déconstructive qui se pose à nous est de venir modifier ce que Goodale (2006a) appelle l’humanisme normatif et de le muter en un pluralisme radical situé dans des réalités sociales et culturelles dynamiques. Un autre aspect important de la critique des droits humains est celui de la critique culturelle que sont en eux-mêmes les droits humains. Par la critique des ordres sociaux traditionnels et le rappel des discriminations de toutes sortes qui ont été la vie de nombreux groupes minoritaires et minorisés, de ceux qui plaident pour le droit d’avoir des droits comme le dirait Rancière (2005) (voir aussi Lamoureux dans cet ouvrage), de ceux qui expérimentent leurs discriminations à l’aune du présent des inégalités et des mémoires d’enfermement et de mise à l’écart, les pratiques entourant les droits humains ont favorisé un travail de distanciation culturelle dans les lieux les moins attendus. Des Dalit en Inde en passant par les homosexuels africains et les Mères de la place de Mai en Argentine, ils sont aussi arrivés chez les déficients intellectuels, les transsexuels, les enfants soldats, les prostitué/es. Il semble de ce point de vue prioritaire de reconceptualiser les droits humains comme processus sociaux, culturels, politiques et subjectifs et de poser la recherche sur de telles bases tout en faisant la Chapitre premier Pour une anthropologie critique des droits humains 17 différence entre les droits humains produits d’une culture hégémonique et les droits humains générateurs de pratiques de résistance et de luttes sociales. Afin de rejoindre cette forme de reconceptualisation, il semble que le travail qui nous incombe est celui de s’astreindre à poser sur les pratiques et discours reliés aux droits humains un regard ethnographique. Ce regard ethnographique suppose une plongée en profondeur dans les univers complexes qu’ils mobilisent, regard par exemple décrit par les auteurs du Manifeste de Lausanne (Saillant, Kilani et Grazer-Bideau 2011). L’ethnographie suppose la détextualisation des droits humains et leur abord en tant que processus, impliquant des acteurs situés et des sujets porteurs d’historicité. Elle suppose aussi une entrée dans l’univers des interactions de ces mêmes acteurs, de leurs rapports de pouvoir autant que de leurs relations de collaboration, de leur intersubjectivité. Par ailleurs, le travail de détextualisation (et de déconstruction) qui passe par les méthodes ethnographiques n’implique pas nécessairement que l’on perde de vue la dimension textuelle des droits humains, lesquels sont susceptibles d’être analysés en tant que discours. Le regard ethnographique dans le champ de l’anthropologie des droits est celui qui appréhende les droits humains en tant qu’objet complexe et mobile, susceptible de mobilisations et d’appropriations, de transformations et de négociations, de critiques aussi bien que d’hégémonismes. Le caractère complexe et mobile de cet objet des droits humains lui donne une large flexibilité sur le plan empirique et dans ses manifestations qui rejoignent aussi bien le sujet individuel que collectif, les groupes locaux que les réseaux transnationaux ou diasporiques, les milieux associatifs que les institutions multilatérales. La vie sociale des droits s’observe ainsi à travers les différentes façons dont les acteurs exposent, pratiquent, critiquent, s’approprient les droits humains et en font un usage stratégique selon diverses finalités. Les mouvements sociaux offrent un cadre particulièrement intéressant pour l’étude de la vie sociale des droits dans la mesure où, au sein de ces mouvements, s’exerce une mobilisation de la parole et de l’action qui donne à voir la scène de la narrativité et de la performativité des droits. Afin d’en saisir la portée, il convient de développer davantage cette question théorique de la narrativité et de la performativité, c’està-dire les expressions possibles de la mobilisation des droits dans l’espace public. Narrativité et performativité des droits dans l’espace public Le concept de témoignage contient en lui-même cette double valence de la narrativité et de la performativité du récit. Pour faire apparaître les droits 18 Première partie Ouvertures théoriques dans l’espace public depuis les mouvements sociaux, il convient d’en faire le récit. Or, le récit des droits passe par le témoignage. Trois approches du témoignage s’offrent à nous : la première serait celle qui considère le témoignage comme le produit d’une réalité institutionnelle normative et régulatrice, nécessaire au fonctionnement du dispositif légal. On peut ici donner en exemple le dispositif légal et humanitaire utilisé par diverses sociétés pour appliquer des lois censées protéger les réfugiés ou d’autres groupes « vulnérables ». La deuxième approche serait celle qui aborde le témoignage comme le produit d’un dispositif légal enchâssé dans un régime de vérité qui prédétermine la recevabilité ou non de ce qui est énoncé dans le témoignage. Ce dispositif serait une forme exemplaire de pouvoir/savoir utile aux sociétés de contrôle que sont les nôtres. Les réfugiés devant faire la preuve de la légitimité de leurs demandes face aux agents de l’immigration et aux autorités légales en sont par exemple les objets privilégiés. Les pauvres qui doivent prouver leur indigence devant des fonctionnaires du revenu minimum en sont aussi des exemples. Ces deux approches, régulatrice et de discours, possèdent leur valeur propre mais ont pour défaut, chacune à sa manière, d’enfermer le sens du témoignage et de mettre l’accent sur les contraintes de la capacité d’agir du témoin des exactions : le témoignage, d’un côté, doit servir la cause d’une vérité à établir, il ne peut qu’être instrumentalisé même si le résultat de l’action peut être vu comme potentiellement bénéfique ; il ne peut surtout que s’énoncer selon un style et un contenu précis (Hastrup 2003) ; le témoignage, d’un autre côté, ne peut être qu’un discours obligé produit par la contrainte du pouvoir/savoir (Fassin 2004). Dans ces deux cas, le sujet du témoignage n’arrive qu’à énoncer une vérité qui lui est externe, à se montrer impuissant devant des dispositifs qui le réifient et le rendent de surcroît incapable d’une narration ouverte sur les significations ancrées de sa vie et de l’environnement dans lequel il se trouvait et se trouve dorénavant. Il semble juste d’amplifier les significations de cette notion de témoignage en l’appréhendant en tant que pratique enchâssée dans la sphère du domaine public, pratique en communication avec de nombreuses autres sphères dont les services publics, les ONG, les milieux communautaires, les milieux professionnels de santé, les arts et les communications. La pratique du témoignage est ici celle de mouvements sociaux ou de secteurs sensibles de la société qui expriment les manquements, les absences ou les incomplétudes des droits de groupes minoritaires ou minorisés. Nous pourrions définir sociologiquement le témoignage, à la suite de Dulong (1998), comme une forme de « récit certifié par la présence à l’évènement annoncé ». La présence à l’évènement dont il est question, c’est la présence du témoin oculaire. Afin que l’acte du témoignage soit possible, deux protago-