Toutes les femmes sont des aliens, d`Olivia Rosenthal

Transcription

Toutes les femmes sont des aliens, d`Olivia Rosenthal
Chronique
Toutes les femmes sont des aliens, d'Olivia Rosenthal
La romancière et dramaturge Olivia Rosenthal publie un drôle d'objet littéraire qui, en trois essais sur des
films cultes, revient de manière ludique sur des thèmes incontournables de son œuvre.
Quoi de commun entre Alien, Bambi et Les Oiseaux d’
Hitchcock ? Difficile a priori de relier entre eux ces films,
qui appartiennent à des genres en apparence
irréconciliables. Pourtant, une chose au moins,
évidente, les rapproche : qu’il s’agisse de la mort de la
mère du petit faon, du surgissement de l’alien dans le
vaisseau spatial ou de l’accumulation des corbeaux sur
les jeux d’une cour d’école, ces trois films comportent
des scènes qui sont de véritables condensés de peur,
qui jouent avec des angoisses primordiales pour
imposer des images qui ne s’effacent jamais tout à fait
de notre mémoire.
Et encore, aborder ces trois œuvres selon le prisme de
la peur serait infiniment réducteur. Si Olivia Rosenthal
choisit de s’en emparer pour proposer trois courts
textes - entre le recueil de souvenirs intimes et l’essai
littéraire sur des mythes contemporains - c’est parce qu’
elles entrent en écho avec des thèmes qui parcourent
toute son œuvre : l’amour et le désir, la maternité, l’
identité sexuelle, les codes qui régissent la cellule
familiale…
Certes, ce qu’elle tire de ces films n’est pas toujours
fondamentalement nouveau. Ses réflexions sur Alien,
notamment, ne renouvelleront pas nécessairement les
représentations et les discours tenus sur le film de
Ridley Scott et sur ses trois suites : si on prend un grand
plaisir à retrouver quelques frissons en suivant à
nouveau l’histoire d’Ellen Ripley sous la plume d’Olivia Rosenthal, il n’est pas nécessaire de la lire pour se
rappeler ce qu’Alien dit des angoisses liées à la maternité - l’Alien, créature monstrueuse par excellence, ne
surgissant qu’après gestation dans un corps humain - ou du rôle qu’il attribue aux femmes, le personnage
incarné par Sigourney Weaver étant tout à la fois un modèle indépassable d’héroïne teigneuse et vaillante, et,
à chaque instant, un monstre en puissance. Toutes les femmes sont des aliens, dit le titre, et Ellen Ripley finira,
effectivement, dans les deux derniers épisodes de la tétralogie, par devenir une créature hybride, mi-femme
mi-monstre.
De même, ses notations sur le contraste entre les espaces intérieurs - le vaisseau dans Alien, la maison
dans les Oiseaux, tous deux symboliquement associés à une domesticité rassurante voire à un espace utérin
- et extérieurs, porteurs de menace, ne seraient que d’anodines évidences si elles n’entretenaient pas un
rapport aussi étroit avec ses précédents romans, notamment le dernier en date, Mécanismes de survie en milieu
hostile, qui prenait les apparences d’un curieux cauchemar dans lequel maisons familiales et chambres d’
enfant semblaient être la proie de dangers venus de l’extérieur. On ne peut s’empêcher, non plus, de penser
à Ils ne sont pour rien dans mes larmes, qui avait pour objet quatorze films cultes (des Parapluies de Cherbourg à
Douze hommes en colère) et leur impact sur l’imaginaire collectif mais aussi sur la vie intime de quatorze
personnages.
Si ces deux premiers textes (Toutes les femmes sont des Aliens et Les oiseaux reviennent) valent ainsi surtout,
mais pas seulement, pour ce qu’ils apportent à la lecture d’autres ouvrages de l’auteure, le troisième, Bambi
& Co est celui qui fonctionne le mieux de manière indépendante : plus ludique dans la forme et plus
audacieux dans ses thèses, celui-ci propose une approche quasi psychanalytique des dessins animés Bambi
et, suite à un drôle de jeu d’associations d’idées, le Livre de la jungle. Deux films dont les images ont
évidemment marqué des générations d’enfants mais dont le discours sur la famille, radicalement opposés,
mérite d’être réexaminé… Ainsi Bambi retrouve-t-il avec bonheur (et même une curieuse insouciance),
après la mort de sa mère, un père jusqu’alors absent, tandis que Mowgli quitte avec un brin de tristesse vite
refoulée une famille atypique (recomposée ? homoparentale ?) formée par une panthère au genre incertain
et un ours, pour retrouver la normalité rassurante d’une famille humaine. Olivia Rosenthal défend ces thèses
forcément un peu tirées par les cheveux avec une belle conviction, mêlant des réminiscences de son regard
naïf et enfantin au recul critique de l’adulte, et en tire des réflexions finalement riches et fécondes sur le
rapport des enfants à la norme.
L’approche d’Olivia Rosenthal, faite de digressions, d’étonnantes ruptures de rythme et de souvenirs
personnels, donne à ses textes un air de discussion à bâtons rompus des plus enthousiasmants. Stimulant et
résolument iconoclaste, ce petit essai hors-normes parvient à renouveler le regard que l’on portait sur des
objets terriblement familiers, donnant à nos souvenirs de ces quelques films une rafraichissante cure de
jouvence.
Sélection de références
"J'écris des récits de libération" - Le JDD, 14 février 2016
Interview d'Olivia Rosenthal à l'occasion de la publication de Toutes les
femmes sont des aliens.
"Je ne suis pas une lectrice naïve mais je suis une spectatrice naïve : je
pleure, je ris. Bref, je marche. Dans Toutes les femmes sont des aliens, je
me livre à une analyse des films et je raconte en même temps des
émotions primaires, comme celle ressentie lorsque j'ai vu Alien en salle
pour la première fois. J'aime quand on est à la fois dans la réflexion et
dans l'émotion."
On en parle... Sur Culturellement
vôtre
"Si l’auteure nous parle donc d’elle entre
les lignes, elle nous invite surtout, en
nous replongeant dans nos souvenirs de
cinéphiles, à nous interroger sur ce qui
nous touche et fait sens pour nous dans
ces grands classiques intemporels qui
ont jalonné notre vie. Et à replonger,
encore et toujours, à la découverte d’
émotions sans cesse renouvelées."
Sur le blog de la librairie Charybde
"Ce que la quatrième de couverture ne dit pas, c’est le miracle d’écriture
par lequel cette investigation d’un imaginaire (ramifié, multiple) et de son
pouvoir est conduite, à cent à l’heure, reproduisant avec fougue le
cheminement à la fois erratique et fulgurant d’un monologue intérieur qui
doit absolument se déverser, lorsqu’il s’agit – dans le cadre apparent d’
une conversation passionnée entre amis, à la sortie du cinéma ou en
revoyant ensemble pour la énième fois un film, précisément,mythique –
de structurer et de communiquer les réflexions et les sensations qui
surgissent, se dérobent et resurgissent."
Publié
le
25/05
/2016
LITTÉRATURE
Tags
:
Cyril Tavan
Fonction
:
essai
-
film d'animation
-
famille
-
femmes
A propos de
l'auteur
Bibliothécaire - Littérature française contemporaine et littérature
francophone

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