Sonderkommando. Dans l`enfer des chambres à gaz
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Sonderkommando. Dans l`enfer des chambres à gaz
CHAPITRE II Le premier mois à Auschwitz-Birkenau Le train n’avait jamais sifflé en s’arrêtant durant le trajet. Donc, quand j’ai entendu ce sifflement si particulier et senti le train freiner brusquement, j’ai immédiatement compris que le convoi était enfin arrivé à destination. Les portes se sont ouvertes sur la Judenrampe, juste en face des entrepôts de pommes de terre. Mon premier sentiment a été le soulagement. Je ne savais pas combien de temps il aurait encore été possible de survivre dans ce train, sans plus rien à manger, sans espace, sans air ni commodités. Dès que le train s’est arrêté, des SS ont ouvert les portes du wagon et se sont mis à hurler : Alle runter .’ Alle runter Tout le monde descend ! Nous avons vu des hommes en uniforme pointant leurs mitraillettes et des bergers allemands aboyant sur nous. Tout le monde était assommé, engourdi par le voyage, et soudain des hurlements féroces, un boucan infernal pour nous déstabiliser, nous empêcher de comprendre ce qui se passait. Je me trouvais près de la porte, alors j’ai été parmi les premiers à sortir. J’ai voulu attendre près de la portière pour aider ma mère à descendre. Il fallait sauter, (( .’)) (( )) 59 Sonderkommando car le wagon était haut et le terrain en pente.. Elle n’était pas si âgée, mais je savais que le voyage l’avait durement éprouvée et je voulais la soutenir. Alors que je l’attendais, un Allemand est arrivé par-derrière et m’a donné deux gros coups de bâton sur la nuque. J’ai eu l’impression qu’il m’avait ouvert le crâne, tant les coups étaient violents. J’ai mis mes deux mains sur ma tete pour me protéger instinctivement. En le voyant s’apprêter à me frapper encore, je me suis précipité pour rejoindre les autres dans la file. Ils frappaient les gens dès leur arrivée ; pour se défouler, par cruauté et aussi pour qu’on perde nos repères et qu’on obéisse par peur, sans faire d’histoires. C’est ce que j’ai fait, et quand je me suis retourné pour essayer d’apercevoir ma mère, elle n’était plus là. Je ne l’ai plus jamais revue. Ni elle ni mes deux petites sœurs, Marica et Marta ... Comment s ést passée la sélection ? Dès la descente du train, les Allemands, avec leurs fouets et à force de coups, ont formé deux files, envoyant les femmes avec les enfants d’un côté, et tous les hommes sans distinction de l’autre. Avec un geste de la main, ils nous indiquaient : Münner hier und Frauen hier!)) Les hommes par ici et les femmes là-bas ! O n avançait comme des automates, répondant aux cris et aux ordres. (( (( )) \ A quelle distance vous trouviez-vous des femmes, vous pouviez encore les voir ? Au début, oui, mais très vite la foule est devenue si dense, et en même temps si structurée, que: je me suis 60 Le premier mois à. Auschwitz-Birkenau retrouvé, en très peu de temps, entouré uniquement d’hommes. De tous les hommes qui se trouvaient dans ce train, nous ne sommes restés que trois cent vingt après la sélection ’. Tout s’est passé relativement vite. Comme je l’ai dit, on n’avait pas le temps de penser. Dans ces situations, on se sent déboussolé, hors du monde. Les Allemands nous encerclaient avec des mitraillettes et des chiens. Personne ne pouvait sortir du rang. J’ai entendu dire que certains avaient reçu la bénédiction de leur père ou de leur mère. J’en suis heureux pour eux. Malheureusement, tout le monde n’a pas eu cette chance. Et vous, avez-vous réussi à rester au moins avec vos cousins ? Oui, nous sommes restés ensemble. Leur père et les autres, je ne les ai plus revus. Ils nous ont mis tout de suite en file, devant un officier allemand. Un autre officier est arrivé peu après. Je ne sais pas s’il s’agissait du fameux Dr Mengele, c’est possible, mais je n’en suis pas sûr. L’officier nous regardait à peine et faisait un geste avec son pouce indiquant Links, rechts Gauche, droite ! et selon la direction qu’il nous indiquait, on devait aller d’un côté ou de l’autre. (( .’ )) (( )) 1. Les archives du musée d’Auschwitz-Birkenau indiquent qu’après la sélection, sur les deux mille cinq cents Juifs déportés en même temps que Shlomo, trois cent vingt hommes sont entrés dans le camp avec les numéros d’immatriculation allant de 182440 à 182759, et trois cent vingt-huit femmes, enregistrées avec les numéros allant de 76856 à 77183. Tous les autres ont été immédiatement envoyés à la mort dans les chambres à gaz. 61