Les Femmes de l`ombre

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Les Femmes de l`ombre
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« LES FEMMES DE L’OMBRE »
Lors du Congrès départemental du 14 mars 2009, Brigitte AXELRAD, Présidente de la SFACS, a centré son
discours sur le parcours de trois femmes pendant la Résistance. Vous trouverez ci-après son allocution
rendant hommage à ces « trois femmes de l’ombre »…
Dans le compte-rendu de notre dernière réunion, Monique Piquard, notre secrétaire, a écrit : « La
SFACS démontre par son action que la femme joue un rôle important dans le civisme et dans le
devoir de mémoire. »
Pour vous exposer ce thème qui est au centre de notre action, j’ai choisi de vous parler
aujourd’hui du rôle trop souvent méconnu joué par les femmes dans une période
particulièrement difficile et significative de notre Histoire, la Résistance. Je rappelle à cet égard
que nous avions fait en 1986 une exposition sur « Le rôle des femmes dans la Résistance » qui
avait tourné dans les lycées et collèges de Grenoble, de Voiron, et de leurs environs.
Soixante-cinq ans après la Libération de la France, alors que disparaissent progressivement les
derniers témoins, le rôle des femmes dans la Résistance reste encore à écrire.
Voici comment l’Encyclopédie Wikipédia présente les femmes dans la Résistance en 2009 :
« Seule une minorité très restreinte prend part à la lutte armée…. Les femmes sont généralement
cantonnées à des rôles subalternes, elles sont peu nombreuses dans les maquis de France… »
Je ne m’aventurerai pas dans la recherche du pourquoi de telles affirmations, mais je voudrais
pendant ces quelques minutes rectifier cette erreur et cette injustice à leur égard.
Mon intention est ici de faire apparaître les femmes dans la Résistance, non seulement pour
affirmer qu’elles y étaient, et que, sans elles, rien n’aurait pu se faire, mais d’abord et surtout
pour montrer qu’elles ont apporté dans cette période de défaite, d’oppression et d’humiliation,
l’exemple de leur courage et de leur humanité.
La guerre de 14/18 par l'étendue de la mobilisation (8 Millions d'appelés) a conduit les femmes à
remplacer les hommes dans les champs comme dans les usines. Une fois la guerre finie, laissant
derrière elle 1.300.000 morts, elles ont assumé à nouveau leurs responsabilités. La guerre de 40 a
mobilisé également environ 8 millions d'hommes et si les pertes ont été moindres, les femmes,
une fois encore, ont suppléé à l’absence des hommes prisonniers pendant près de 5 ans. Les
femmes ne se contenteront pas de remplacer les hommes absents, mais le conflit les amènera à
s’engager.
On les appellera les femmes de l’ombre.
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Leur participation consistera d’abord à offrir une cache aux Résistants, à les nourrir, à émettre
des messages ou à cacher des armes. Puis, elles entreront dans les réseaux et feront
d’irremplaçables agents de liaison, telles que Lily Fagot à Voiron ou notre amie Lisette Brun,
dans la région de Vif. Enfin, quelques-unes d’entre elles, telles Ariel ou Marie-Jeanne, feront
partie de groupes-francs, équipées et armées comme les hommes, prenant les mêmes risques et
assurant les mêmes responsabilités. La guerre finie, ces femmes reviendront dans leur foyer, et
reprendront discrètement leurs anciennes activités.
Mais les femmes restent modestes et discrètes sur leur rôle.
Quand on les interroge sur leur action pendant ces périodes, elles nous disent comme Gabrielle
Genevey ou Lisette Brun : « Oh ! Moi, je n’ai rien à dire ! » Ou encore : « On a fait ce qu’on avait à
faire. »
Pour les hommes, la lutte dans la Résistance va dans le sens des valeurs masculines : le
courage militaire, le port des armes, le risque d’être blessés ou tués pour défendre la Nation et la
Patrie.
Pour les femmes, participer à la Résistance est un choix plus difficile encore, parce qu’elles se
doivent de protéger leur foyer et leurs enfants. La société de cette époque ne leur a pas donné
des droits égaux à ceux des hommes. En 1939, la femme ne bénéficie d’aucun droit civique et
continue à être considérée comme une mineure. Les femmes acquerront le droit de vote en 1945.
La sous-estimation du rôle des femmes dans la Résistance se retrouve dans les manuels
d’histoire, avec seulement 2 à 3% des noms cités dans ces ouvrages.
Même le grand colloque international du CNRS, en 1974, sur le thème de « La Libération de la
France », est muet sur le rôle des femmes.
On notera cependant que le colonel Rol-Tanguy a déclaré dès la Libération : « Sans elles, la
moitié de notre travail eût été impossible ».
Pour leur rendre hommage, et parce que rien ne parle mieux que les exemples, je voudrais vous
rappeler le souvenir de trois femmes de l’ombre, choisies parmi beaucoup d’autres : Marie
Reynoard, Paulette Jacquier et Gabrielle Genevey.
MARIE REYNOARD
Elle fut surnommée la « flamme de la Résistance ».
Elle a été pour tous les Résistants un exemple de courage et
honorée du nom d’une rue à Grenoble, le 22 Février 1968.
Née à Bastia en 1897, élève à l’Ecole Normale Supérieure de
Sèvres, agrégée de lettres, elle fut nommée professeur au Lycée
Stendhal, à Grenoble. Dès 1940, elle réunit les premiers
Résistants dans son petit appartement, rue Fourier. Elle rencontre
Henri Fresnay et entre au mouvement Combat, comme Gabrielle
Genevey ou Ariel.
Malgré sa santé fragile, elle multiplie les actions de résistance.
Elle est arrêtée une première fois le 4 octobre 42, pour menées
gaullistes. Libérée, elle reprend son action en changeant
plusieurs fois de nom : Claude, Renée Rousseau, Claire
Grasset…
C’est sous le nom de Claire Grasset qu’elle mourra.
En effet, arrêtée en mai 43, elle est déportée en février 44 avec un convoi de 960 femmes à
Ravensbrück. Sa résistance continuant dans le camp, les SS lancent contre elle un de leurs
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chiens. Cruellement mordue, ses plaies s’infectent. Elle a 48 ans quand elle s’éteint, en janvier
45.
Il a fallu attendre 1948 pour apprendre ce que furent ses derniers instants. C’est une lettre remise
à Paul Dreyfus par Gabrielle Giffard (Ariel dans la résistance), présidente des anciens de Combat,
qui le raconte. Alors qu’on voulait lui faire avaler une poudre empoisonnée, elle a lutté pour ne
pas la prendre. La gardienne yougoslave l’a frappée et 2 infirmiers SS l’ont achevée. C’était le 28
janvier 1945, Grenoble était déjà libre depuis août 44.
Lorsque j’étais élève au lycée Stendhal, je passais tous les jours en rang avec mes camarades
dans l’escalier d’honneur, devant la plaque commémorant sa mémoire. Mon amie Monique
Sorita, élève comme moi au Lycée Stendhal, s’en souvient sûrement elle aussi.
PAULETTE JACQUIER
Dès 1940, Paulette Jacquier, jeune femme idéaliste, n'a qu'une idée
en tête, résister. En 42, elle crée un petit groupe de Résistants à La
Frette, trouve des armes et commence aussitôt à combattre
l'occupant et ses collaborateurs, tout en transmettant à Londres les
mouvements des troupes ennemies, ainsi que l'inventaire de leurs
installations. Très vite, elle devient une cible prioritaire de l'ennemi.
La milice réussit à l'identifier, la dénonce aux Allemands et en mai
44, la Gestapo cerne la ferme de son père. Par sécurité, elle est
hébergée chez une voisine et arrive à s'échapper. Ce "jeu du chat et
de la souris" va encore durer presque deux mois.
A la mi-juillet 44, venant en aide à un groupe de Résistants, elle est
arrêtée par un groupe de P.P.F. Ce dernier la remet à la Feld
Gendarmerie de Bourgoin. Malgré un interrogatoire "musclé", ses
tortionnaires nazis et français ne sont pas sûrs d'avoir mis la main
sur la vraie Marie-Jeanne. Craignant de ne pouvoir se taire plus longtemps, elle décide de
s'évader et en pleine nuit, à l'aide d'une corde improvisée, elle se laisse glisser par la fenêtre.
Elle se blesse en tombant, parvient à rejoindre des amis, avant d'être prise en charge par la filière
d'Yvonne Gatel, qui la rapatrie au Chambaran. En représailles, les Allemands, furieux, incendient
quatre fermes de la Frette et fusillent deux otages dont son père, ancien de 14/18.
C'est dans un Lyon libéré que le 14 septembre 1944, le Général de Gaulle lui remet en ces termes
la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur avec citation à l'ordre de l'Armée : « Nature d'élite,
d'une modestie rare, d'une énergie indomptable et d'un courage exceptionnel, a été, par son
rayonnement et son exemple, un des flambeaux de la Résistance du Dauphiné. Émule de Jeanne
Hachette, est digne que son nom reste dans les mémoires comme celui d'une des plus pures et
des plus vaillantes filles de France. »
GABRIELLE GENEVEY
Elle est née en 1912. Elle a 28 ans quand la guerre est déclarée.
Elle entre d’abord au Ministère de la Justice puis à la Préfecture
de l’Isère comme responsable du Service des étrangers. Son mari
est militaire de carrière. En 1940, après une épopée héroïque sur
les falaises de Normandie où il est blessé, il rejoint le Général de
Gaulle à Londres. Il reviendra sur son ordre à Grenoble pour
encadrer des maquis du Dauphiné. Jusqu’à l’arrivée des
Allemands, en 43, et sous l’occupation italienne, Gabrielle
Genevey mène une vie presque sans histoire. A l’arrivée des
Allemands tout change. Alors s’installe la répression, la traque
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des juifs, et leur arrestation, hommes, femmes et enfants. Un matin, elle découvre dans le journal
l’arrestation à Lyon de familles entières, des mères avec leur enfant dans les bras. Ne pouvant
supporter ces actes sans rien faire, elle entre au mouvement Combat. Profitant de sa position,
elle fabrique des vrais faux papiers pour la Résistance, avec l’aide de son amie, secrétaire à la
Mairie de La Tronche.
Puis, lorsque la Gestapo entreprend le recensement des juifs étrangers sur l’ordre des
Allemands, elle prépare comme on le lui demande les listes destinées à leur arrestation. Elles
doivent comporter 4 à 10 familles par jour. Alors, chaque soir, bravant le danger, elle prend sa
bicyclette et va prévenir les familles concernées pour qu’elles fuient immédiatement avant d’être
arrêtées le lendemain matin à 4 heures du matin. Pendant 10 mois jusqu’à la Libération, elle
préviendra plus de 500 familles et sauvera ainsi 1500 personnes.
Un jour, une famille juive ne pouvant pas emmener leur petite fille dans la clandestinité, Gabrielle
Genevey recueille l’enfant, l’adopte avec de faux papiers avec la complicité de la Directrice de la
Pouponnière de Meylan, sœur du Doyen Gosse. La petite fille vivra avec elle jusqu’en septembre
1945, date à laquelle elle retrouvera ses parents. A 97 ans, Gabrielle Genevey avait encore, il y a
quelques mois, toute sa lucidité et toute sa combativité.
Madame Genevey nous a fait l’honneur de nous confier une partie de son engagement, pour
notre action de mémoire. Elle a été décorée de la médaille de la Résistance, de la Légion
d’honneur, de la Médaille des Justes...
Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait fait tout cela, elle m’a dit : « Oh ! Je n’ai pas fait
grand-chose, n’importe qui dans ma situation l’aurait fait. » Avait-elle eu peur en menant toutes
ces actions dangereuses : « Peur ? Non, nous n’avions pas peur, nous n’y pensions pas. »
Comme vous le voyez, les actions courageuses de ces femmes de l’ombre, dans le service de
leur pays, méritent d’être portées en pleine lumière et leur rôle d’être pleinement reconnu. C’est
l’une des pages blanches de notre histoire que nous nous devons d’écrire.
Nous menons à la SFACS, section féminine de l’UNC, une action sur la Mémoire, destinée à
recueillir de vive voix les témoignages de combattants des précédents conflits afin de perpétuer
leur souvenir auprès de nos enfants et de tous. Mais si nous nous intéressons beaucoup aux
témoignages des femmes, nous ne négligeons pas pour autant ceux des hommes et nous ne
voulons pas faire de différences.