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A Paris, un lycée privé sous influence intégriste
16/04/2014 19:41
15 avril 2014
A Paris, un lycée privé sous
influence intégriste
Devant Gerson, dans le XVIe arrondissement de Paris, le 15 avril. (Photo Pierre Andrieu. AFP)
ENQUÊTE. Des élèves sous le choc après un prêche anti-IVG, des profs
candidats à la mutation… le groupe scolaire Gerson, dans le XVIe
arrondissement, serait noyauté par l’Opus Dei.
Par SYLVAIN MOUILLARD
Le groupe scolaire privé Gerson, dans le XVIe arrondissement parisien, est-il en train de
passer aux mains des catholiques intégristes, au point que la mairie de Paris a demandé
hier une enquête au rectorat ? Tout est parti de la révélation par Europe 1, lundi, de
l’intervention de l’association anti-avortement Alliance Vita lors d’un cours de catéchèse. La
violence des propos tenus ce jeudi 3 avril a choqué. «Une fille, par exemple, qui prend la
pilule du lendemain, ne sait pas s’il y a fécondation. Elle est donc considérée comme "semimeurtrière". En revanche, une fille qui avorte commet un "homicide volontaire"», a raconté
une élève de terminale à la radio. Philippe (1), professeur au lycée, se souvient de ces
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adolescents «choqués, en pleurs». «Tous les jeudis matins depuis le début de l’année, ils
se lèvent la boule au ventre car ils savent qu’ils vont subir une heure de lavage de cerveau
lors de ce cours de caté. Ils parlent d’endoctrinement, de vision rétrograde de la religion
catholique.»
Pour de nombreux connaisseurs de Gerson, enseignants et parents d’élèves, l’épisode
d’Alliance Vita n’est pourtant que la «partie émergée de l’iceberg». Ils évoquent un
établissement «noyauté» par une direction proche du catholicisme le plus traditionaliste, et
l’influence grandissante de l’Opus Dei. «Les ennuis ont commencé il y a trois ans, raconte
Thierry, enseignant au collège. Avant, Gerson était connu pour son ouverture par rapport
aux autres établissements du quartier, plus élitistes. On accueillait des élèves de tous
niveaux et de toutes confessions.»
Fine fleur. En 2011, Philippe Person, professeur d’histoire à Gerson depuis une dizaine
d’années, devient directeur du groupe scolaire. Ses détracteurs ne sont pas tendres avec
lui. «C’est un homme d’extrême droite, tranche un prof. Ceux qui lui résistent sont à ses
yeux des gauchos et des rouges.» Rapidement, Person - qui n’a pas répondu aux
sollicitations de Libération - fait le ménage autour de lui. Il s’entoure d’une doublette très
marquée politiquement. Virginie Maury, ancienne directrice du collège privé Les Vignes à
Courbevoie - un établissement privé hors contrat lié à l’Opus Dei -, reprend les mêmes
fonctions au sein du lycée Gerson. L’intéressée, ancienne professeure d’anglais et
«surnuméraire» [membre, ndlr] de l’Opus Dei, n’a pas donné suite à nos demandes
d’entretien. A son côté, on retrouve le père Cyril Gordien. Cet ecclésiastique, aumônier du
collège et du lycée, est un proche des cercles de la Manif pour tous. On le retrouve parmi
«plus d’une cinquantaine de grandes figures qui ont marqué le combat pour la famille»
dans l’Agenda pour tous, un opuscule rassemblant la fine fleur du genre : Tugdual Derville,
secrétaire général d’Alliance Vita et porte-parole de la Manif pour tous, Béatrice Bourges
(Printemps français) ou encore Alain Escada (Civitas). Le père Gordien, lui aussi peu
loquace sur son action, est à l’origine de la venue, en toute discrétion, d’Alliance Vita à
Gerson. Fin janvier, il avait également organisé une conférence auprès d’élèves de sixième
avec un membre de la Fondation Jérôme Lejeune, un lobby anti-IVG. Dans un premier mail
aux parents, il est expliqué que l’objectif sera de «rappeler aux élèves les fondements et la
nécessité du respect et de l’accueil de toute vie humaine depuis son commencement».
Devant certaines réactions inquiètes, les débats sont - officiellement - recentrés sur
l’accompagnement des «enfants handicapés».
Le directeur Philippe Person se défend pourtant de toute dérive à Gerson, rappelant son
attachement à «la liberté de conscience de chacun». Selon lui, les engagements «privés»
de «deux membres de la communauté éducative» à l’Opus Dei «n’interfèrent pas en quoi
que ce soit […] dans l’enseignement dispensé dans notre établissement». L’homme ne dit
rien, en revanche, sur le climat délétère qui règne à Gerson. Depuis plusieurs mois, tracts,
pétitions et courriers énervés rythment la vie du groupe scolaire. Le 30 mars, un mail
anonyme est même envoyé à 250 parents d’élèves. «Une école catholique sous contrat a-telle le droit de se servir de l’établissement et des enfants comme tremplin
d’endoctrinement ?» demande le texte, évoquant une propagande «insidieuse». La
communauté éducative est elle aussi en effervescence. Une quinzaine de professeurs, sur
les quelque 75 du secondaire, ont demandé leur mutation pour la rentrée prochaine.
Plusieurs dossiers pour harcèlement ont été déposés à la médecine du travail.
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Particules. Face à cette agitation, la direction diocésaine de l’enseignement catholique
parisien, sollicitée par de nombreux parents, a fini par réagir. Fin janvier, elle a mené une
visite de tutelle au sein du groupe scolaire. Plus de 70 personnes sont interrogées, parfois
hors les murs, en garantissant leur anonymat. La parole se libère. Jean-François Canteneur,
adjoint au directeur diocésain, reconnaît avoir découvert une «partie de la communauté
éducative en crise». Il décrit le trio Person-Maury-Gordien comme «une belle équipe»,
voulant «bien faire», mais «pas assez prudente sur sa communication». «Ce n’est pas
gênant que certains aient des engagements personnels forts, tant que le dialogue n’est pas
rompu», ajoute-t-il. Balayant toute volonté de «couper des têtes», il se fait pourtant plus
ferme : «Il va falloir que ça bouge, parce que ça flotte un peu à Gerson. Le management
peut être amélioré, ainsi que le projet d’établissement.»
Au cœur des débats : le recrutement des élèves. Pour de nombreux interlocuteurs
interrogés, l’actuelle direction tend à privilégier un «certain sociotype». «Les noms à
particules sont de plus en plus représentés, alors que les enfants de confession juive ou
musulmane tendent à se raréfier», dénonce un professeur. «Cet effet de microcosme et
d’entre-soi, dont Gerson était préservé, se renforce», ajoute un père de famille. JeanFrançois Canteneur, représentant diocésain, admet à mots couverts que cette tentation
existe. «Mais ça ne peut pas être un objectif caché», dit-il. Reste que le diocèse semble
pour l’heure plutôt impuissant à ramener le calme dans l’établissement. «On espère que
l’agitation médiatique le fera bouger», conclut un parent.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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