Prédation des poissons migrateurs par le silure en Loire

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Prédation des poissons migrateurs par le silure en Loire
Prédation des poissons migrateurs par le silure en Loire
C. Boisneau1, N. Belhamiti²
1
CITERES Université de Tours, ² AADPPMFEDLA
Le Silure glane est un poisson originaire d’Europe de l’Est et d’Asie de l’Ouest, maintenant
présent dans presque tous les pays européens. Du fait de nombreuses introductions et de la
diffusion naturelle, le silure est désormais installé sur la quasi-totalité du territoire français. Il
peut mesurer plus de 2,5 m pour une centaine de kilos. C’est une espèce plastique
acceptant des conditions écologiques variables. Réputé pour être opportuniste, ce poisson
carnivore consomme bien souvent une large partie du spectre de la faune du lieu où il vit.
Dans un écosystème, l’introduction et l’établissement d’une espèce prédatrice, de taille plus
grande que les autochtones, conduit celle-ci à devenir le nouveau super prédateur du réseau
trophique. C’est, semble-t-il, le cas du silure dans l’ouest de l’Europe et sur la Loire où les
poissons migrateurs, ayant atteint une taille refuge contre les prédateurs d’origine, se
retrouvent désormais des proies potentielles pour cette espèce nouvellement arrivée.
Sur la base des interrogations des pêcheurs professionnels, la question de la place du silure
dans le réseau trophique en Loire et de son impact sur les poissons migrateurs est posée.
L’objet de ce travail a été de vérifier l’hypothèse d’une consommation de poissons
migrateurs amphihalins, en parcours libre, c'est-à-dire en l’absence d’obstacles à la
migration. En effet, les obstacles, même équipé d’ouvrages de franchissement, font fonction
de concentrateur de proies pour les prédateurs et ceci favorise la prédation des poissons
migrateurs par le silure. En l’absence d’obstacles, les proies sont moins concentrées
spatialement et les silures sont supposés pratiquer un comportement de recherche des
proies parmi les espèces localement les plus abondantes.
Caractérisation de la population du silure en Loire : âge, taille, masse et sexe
Lors de cette étude, 264 silures ont été capturés, de l’amont de Nantes à Sancerre soit
environ 430 km. Tous ces individus ont été mesurés et pesés, 100 ont pu être sexés. 124
paires d’otolithes et 125 échantillons de tissus de nageoires pour analyse des isotopes des
protéines ont été prélevés de juillet 2012 à septembre 2013. L’échantillonnage a été conduit
sur la base des captures des pêcheurs professionnels en eau douce dans le cadre de leur
activité habituelle.
Relation taille-masse silures sexés
100
y = 6E-06x3,005
R² = 0,9979
90
80
70
y = 5E-06x3,0511
R² = 0,9949
60
PT (kg)
La relation taille-masse montre une très forte
croissance pondérale à partir de 60 cm de
longueur. Une différence significative a été
mise en évidence entre les mâles et les
femelles (figure 1).
50
Mâles
40
30
20
10
0
0
20 40 60 80 100 120 140 160 180 200 220 240 260 280
LF (cm)
Figure 1 : Relations taille-masse pour les
silures sexés en Loire
L’estimation de l’âge des silures a été
réalisée par otolithométrie et analyse
des vertèbres. Celle-ci montre une
bonne corrélation linéaire entre taille
et âge avec cependant de grosses
variabilités de taille pour une même
valeur d’âge. Les silures peuvent
atteindre des âges très élevés, par
rapport aux autres espèces de
poissons, jusqu’à 18 ans (figure 2).
Âge estimé en fonction de la taille
Taille (cm)
300
280
260
240
220
200
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
y = 14,655x + 15,411
R² = 0,8896
Age otolithe (année)
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Figure 2 : Relation taille-âge estimée pour 58
silures échantillonnés en Loire
Régime alimentaire et place dans le réseau trophique
L’indice de remplissage des 274 individus échantillonnés pour les contenus stomacaux (en
Loire) est de 17%, soit 47 individus.
Les observations faites dans cette étude confortent les résultats obtenus antérieurement sur
d’autres écosystèmes aquatiques. Le silure est majoritairement piscivore, opportuniste mais
ne dédaigne pas des oiseaux ou des mammifères. Les poissons migrateurs anadromes
constituent une grande part de la biomasse consommée en parcours libre, l’hypothèse de ce
travail se trouve donc confirmée (tableau 1, figure 3).
Tableau 1 : Caractéristiques des classes de taille de silure et de leurs proies (N silures=47)
N° classe Classe de taille N silures
Occurrence Abondance
des proies
des proies
Biomasse
totale des
proies (g)
Nbre de
taxons
consommés
1
[0 -40 cm[
9
12
36
52
6
2
[40 -80 cm[
9
12
58
1510
6
3
[80 -120 cm[
9
13
24
3892
10
4
[120 -180 cm[
12
25
44
16325
14
5
> = 180 cm
8
17
185
15986
12
2
Biomasse de proies, silure de 0 à
40 cm
Orconectes
limosus
19%
Insectes
10%
Poisson
indet
10%
Orconectes
limosus
1%
Corbicules
13%
Orconectes
limosus
1%
Carassin
38%
Gammares
4%
Biomasse de proies, silure de 40
à 80 cm
Cyprinidés
45%
Mulet porc
33%
Goujon
19%
Rat
6%
Brème
commune
3%
Chevaine
5%
Lamproie
de Planer
1%
Sandre
9%
Cyprinidés
3%
Grèbe
huppé
7%
Poule
d'eau
2%
Cyprinidés
6%
Carassin
1%
Carassin
3%
Grande
alose
38%
Grande
alose
27%
Mulet porc
48%
Biomasse de proies, silure de 80 à
120 cm
Lamproie
marine
6%
Mulet porc
40%
Gardon
2%
Biomasse de proies, silure de 120
à 180 cm
Colvert
6%
Corbicules
2%
Saumon
63%
Grèbe
huppé
7%
Poule d'eau
2%
Lamproie
marine
Ablette 6%
4%
Biomasse de proies, silure de plus
de 180 cm
Gardon
1%
Mulet porc
9%
Figure 3 : Biomasses relatives des différents taxons proies pour les 5 classes de taille de silures
échantillonnés en parcours libre, en basse Loire et en Loire moyenne (N silures=47)
Figure 4 : Types de proies consommées par le silure. De gauche à droite, alose, ablettes et grèbe
huppé, gardon et corbicules, saumon atlantique
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Les analyses isotopiques confortent ces résultats. Le positionnement des silures varie avec
leur taille, plus ils sont grands, plus ils se rapprochent des poissons migrateurs anadromes
pour les concentrations en carbone et en soufre (figure 5).
Figure 5 : Biplots des valeurs des compositions isotopiques des silures (N=125) et des proies, ANA =
poissons migrateurs anadromes, CAT = poissons migrateurs catadromes = mulets, DUL = poissons
holobiotiques d’eau douce
Conclusion
Cette consommation importante de poissons migrateurs en période printanière montre la
grande plasticité et la grande opportunité alimentaire de cette espèce et n’est pas sans poser
question quant à son impact sur la communauté de poissons migrateurs ligériens. En effet,
ceux-ci sont consommés au droit des barrages mais également en l’absence de tout
obstacle. Même s’il n’est pas possible actuellement d’évaluer les densités de silures dans un
grand cours d’eau comme la Loire et donc d’estimer une pression de prédation sur les
espèces migratrices amphihalines, cette pression existe néanmoins. Or, la Loire accueille
une richesse exceptionnelle d’espèces migratrices amphihalines avec pas moins de 7
espèces classées « en danger ou vulnérables », selon les critères de l’UICN, le saumon,
l’anguille, la truite de mer, les deux espèces d’aloses (Grande alose et Alose feinte) et de
lamproies (fluviatile et maritime) et 2 autres espèces, le mulet et le flet. De plus, certaines de
ces espèces font l’objet de plans de restauration ou tout au moins de mesures de
surveillance dans le cadre du COGEPOMI du bassin de la Loire et des côtiers vendéens.
Des mesures de surveillance et de gestion du silure sont donc nécessaires dans l’objectif de
la maximisation des retours sur les zones de reproduction des saumons, aloses et
lamproies.
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