Burundi Un pays privé de soins de santé

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Burundi Un pays privé de soins de santé
Burundi
Un pays privé de soins de santé
© Didier Ruef
Avril 2004
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Introduction
Nous sommes dans un quartier populaire de la périphérie de Bujumbura. Un
quartier pauvre, comme beaucoup d’autres dans la capitale burundaise. Révérien y
attend du travail au coin d’une rue. En général, il porte les sacs des passants ou fait
un peu de jardinage. Les jours fastes, il peut gagner jusque 150 francs burundais
(Fbu), soit 0,15€. Rarement plus. A peine de quoi nourrir ses deux enfants.
Certainement pas de quoi les soigner quand ils sont malades alors qu’une simple
consultation au centre de santé de sa commune de Musaga peut coûter jusque
2000Fbu (2€).
Il raconte :
Ma femme est morte il y a quelques mois. Elle avait beaucoup de
fièvre et puis, elle s’est mise à vomir. C’était sans doute la malaria. Mais
je n’en suis pas sûr, elle ne s’est jamais rendue au centre de santé.
L’histoire de Révérien n’est pas un cas isolé au Burundi. Comme lui, ils sont près
d'un million de Burundais à ne pas avoir accès aux soins de santé
primaires pour des raisons financières. Et ce depuis février 2002, alors que le
gouvernement burundais – encouragé par la Banque mondiale et le Fonds
Monétaire International - mène une politique de recouvrement des coûts des
services de santé.
Face à la faible part du budget national alloué au secteur de la santé, le ministère
de la Santé ne voit pas d’autre choix que d’imposer à cinq millions de Burundais sur les 6.9 millions que compte le pays1 - une prise en charge de l’intégralité des
coûts de leurs soins de santé, c-à-d. des médicaments ainsi que des examens et
des actes médicaux. Le prix à payer par le patient dépendra donc de la maladie et
du traitement prescrit.
Concrètement, le prix moyen d’une consultation dans le système de recouvrement
des coûts s’élève à 2254Fbu (près de 2,3€), et peut atteindre plus de 3000Fbu (3€)
dans certains centres de santé. Aucun système efficace de protection des
indigents n’existe2.
Or la quasi-totalité des Burundais vivent dans une pauvreté absolue. Plus de 99%
d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté absolu de 1 USD par habitant
et par jour. Ils sont entre 85% et 90% à vivre avec moins de 1 USD par
semaine, qui correspond au seuil de pauvreté relatif défini pour le Burundi
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Le système de recouvrement des coûts est appliqué dans 12 des 17 provinces que compte le pays. Un
système alternatif a pu être développé dans différentes provinces du pays, avec la collaboration d'ONG
internationales (MSF, GVC). Une partie ou l’entièreté des centres de santé des provinces de Cankuzo,
Bujumbura rural, Makamba et Ruyigi pratiquent ainsi une participation forfaitaire allant de 50Fbu
(0,05€) à 300Fbu (0,3€).
Une autre ONG médicale, CORDAID pratique un système de partage des coûts de 50% dans la province
de Makamba. Cela signifie que les patients paient la consultation, les actes et 50% du prix officiel
CAMEBU pour les médicaments, la différence étant subsidiée par ECHO via l’ONG CORDAID.
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Dans le système de recouvrement des coûts, moins de 1% des patients possèdent une carte leur
donnant un accès gratuit aux soins de santé.
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Enquête de Médecins Sans Frontières
Dans ce contexte de précarité extrême, Médecins Sans Frontières (MSF) a mené
une enquête épidémiologique rétrospective à l’échelon national de novembre 2003
à janvier 2004, soit près de deux ans après l’introduction du système de
recouvrement des coûts au Burundi.
Cette enquête a permis à MSF de confirmer l’hypothèse selon laquelle une grande
proportion de la population du Burundi est exclue des soins de santé primaires à
cause des prix prohibitifs pratiqués dans le système de recouvrement des coûts.
Des objectifs plus spécifiques ont été poursuivis : mesurer la mortalité des
populations civiles au Burundi ; récolter des données fournissant des indications
concernant les dépenses et les revenus de ces populations ainsi que les stratégies
utilisées par les ménages pour faire face aux dépenses de santé.
Par ailleurs, les indicateurs d'accès aux soins dans le système de recouvrement des
coûts ont été comparés à ces des deux systèmes alternatifs.
Notons encore que des problèmes d'accès similaires ont été soulevés au niveau des
hôpitaux du pays, mais ceux-ci n'ont pas (encore) été investigués
Résultats de l’enquête
Les résultats de l’enquête menée par MSF sont alarmants. Ils démontrent que le
système de recouvrement des coûts est totalement inadapté au niveau de vie de la
population. En témoigne notamment la fréquentation des centres de santé qui a
fortement chuté depuis l’augmentation de la tarification.
Exclusion de la consultation et du traitement
Le système de recouvrement des coûts, utilisé dans les quatre cinquièmes du pays
et concernant environ 5 millions de personnes, exclut près d’un million de
personnes des soins de santé. Selon l’enquête menée par MSF, plus de 17% de
la population ne se rend pas à une simple consultation, principalement pour des
raisons financières (82% de ces malades ne consultent pas par manque d’argent).
A cela, il faut ajouter que parmi les patients qui ont trouvé le moyen financier de
payer la consultation, certains (quelque 4.8%) n’ont pas l’argent nécessaire pour
financer un traitement ou seulement partiellement. Or sans argent, pas de
médicaments!
C’est ce qu'a vécu Jean-Marc, 18 ans, souffrant d'une fièvre et qui a d’abord
hésité avant de consulter le centre de santé du quartier de Jabé à Bujumbura
Mairie. Dans ce centre de santé, soumis au système de recouvrement des coûts,
une simple inscription à la consultation coûte 150Fbu (0,15€). Il a récolté l’argent
nécessaire à la consultation mais n’a plus de quoi financer son traitement.
Cela fait déjà une semaine que j'ai de la fièvre. Mais je n'avais pas
assez d'argent pour aller me faire soigner. Je suis originaire de Gitega,
une province du centre du pays. Je suis arrivé à Jabé il y a quelques
mois pour chercher un petit boulot et de quoi survivre. Je vends du
charbon pour le compte d'un homme du quartier et je partage un
logement avec quelques amis que nous payons 5000Fbu (5€) par mois.
Je mange quand je peux. Mais avec la seule vente de charbon, je n'ai
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pas toujours assez pour me payer à manger. Alors, quand je suis tombé
malade, j'ai d'abord attendu de voir si mon état de santé allait
s'améliorer tout en continuant à travailler pour gagner de l'argent. Mais
ce matin, je me sentais vraiment trop mal alors je me suis rendu au
centre de santé du quartier. Je ne sais pas très bien de quoi je souffre.
Vous pouvez lire le diagnostic, si vous voulez. Tout ce que je sais, c'est
que ce n'est pas la malaria. Le test rapide était négatif. L'infirmière m'a
simplement demandé si j'avais des médicaments à la maison pour me
soigner. J'ai répondu que oui, mais ce n'est pas vrai. De toute façon, je
n'ai pas assez d'argent pour en acheter. Je vais donc attendre que ma
fièvre passe sans vraiment me soigner. Et si cela ne va pas mieux dans
quelques jours, j'emprunterai de l'argent à quelqu'un. Mais je ne sais
pas encore à qui.
Recours à des moyens extrêmes pour payer la consultation
Pour payer la consultation et se soigner, la majeure partie des Burundais sont
contraints de recourir à des moyens extrêmes, tel l'endettement ou la vente d'un
bien, les poussant dans une pauvreté encore plus grande. Dans les régions
concernées par le système de recouvrement des coûts, 81.5% des patients sont
en effet obligés de s’endetter ou de vendre récoltes, terres, ou bétails,
pour payer leurs soins de santé.
Le recours à l’endettement auprès d’un centre de santé est une pratique courante
dans le pays. Les titulaires de ces structures signalent d’ailleurs une forte
augmentation des patients s’endettant au niveau de leur centre. Les patients ont
recours à l’endettement aussi bien à l’hospitalisation que pour une simple
consultation ambulatoire, pour lesquelles les sommes varient fortement.
Dans ce contexte de précarité extrême, certains comportements des titulaires des
centres de santé sont souvent contraires aux droits de l’homme et à la dignité des
populations. Afin de récupérer les dettes, les titulaires confisquent des pièces
d’identité ou saisissent les biens de patients. Parfois, les patients sont contraints de
travailler - sur le champ du centre de santé, par exemple - pour rembourser leur
dette.
Le recours à l'emprisonnement des patients, parfois laissés sans soins à l'intérieur
du centre de santé, constitue également l’une des pratiques extrêmes visant à
obliger ces personnes à payer leur facture. Certaines ONG, ou d’autres acteurs
civils, remboursent alors tout ou partie de la dette de ces personnes pour obtenir
leur libération.
Clémentine, 18 ans, vient d'accoucher au centre de santé de Cibitoke, un centre
de santé privé agréé, qui pratique le système onéreux de recouvrement des coûts
de 150%. Pendant une semaine, elle est restée emprisonnée dans le centre de
santé de son quartier jusqu’à ce que des proches payent la facture.
J'ai accouché le 13 mars dernier au centre de santé de Cibitoke.
J'avais eu des contractions en pleine nuit et je me suis donc rendue au
centre de santé le plus proche de chez moi. Après l'accouchement, on
m'a présenté une facture de 30.900Fbu (30,9€). Je n'avais pas d'argent
pour payer cette somme. Je suis orpheline. Mon père est mort quand
j'étais encore un bébé et ma mère a été tuée sous mes yeux au début
de la guerre civile en 1993. Je vis chez un membre de ma famille
éloignée et je n'ai pas d'argent. J'ai arrêté mes études quand je suis
tombée enceinte. Le père de mon enfant non plus n'a pas d'argent. Il
m'a d'ailleurs quittée quand il a appris que je devais payer 30.900Fbu
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(30,9€) pour l’accouchement. Comme je n’avais pas de quoi payer cette
somme, j'ai été emprisonnée dans le centre de santé. La titulaire a
exigé que je paye, sinon elle m'empêcherait de sortir. Pendant une
semaine, je suis restée comme ça, en détention, sans soin et sans
nourriture. Ce sont mes voisines de chambre qui partageaient leurs
repas avec moi et m'aidaient à me laver. Je souffrais d'anémie et mon
bébé avait des problèmes respiratoires et digestifs. Mais personne ne
nous soignait. Finalement, des amis ont réussi à rassembler une partie
de la somme pour me faire sortir du centre. Je devrai les rembourser,
mais je ne sais pas comment. Une autre partie a été prise en charge par
une association nationale de défense des prisonniers. Mais je dois
encore 6.000Fbu (6€) au centre de santé qui a facturé ma semaine de
détention. Maintenant, je suis sortie mais je dois rembourser beaucoup
d'argent et puis, mon bébé est toujours malade. Il a de la diarrhée. Mais
je n'ai pas d'argent pour le soigner.
Les patients attendent trop longtemps avant de consulter
Le délai de consultation pour un problème de santé qui pourrait être facilement
traité au premier stade peut avoir comme conséquence une détérioration de la
maladie et parfois un besoin de traitements plus complexes.
Dans le système de recouvrement des coûts, pour des raisons essentiellement
financières, la plupart des foyers se rendent à la consultation uniquement s’ils
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jugent la situation assez grave . Cette attitude peut se révéler dangereuse dans la
mesure où ces foyers n’ont aucune connaissance en diagnostic et peuvent se
présenter dans le centre de santé ou à l’hôpital trop tardivement. Cette pratique
pourrait être un des facteurs expliquant les taux de mortalité inquiétants pour la
malaria qui ont été constatés dans le système de recouvrement des coûts.
La plupart des malades n'ont aucune alternative pour accéder aux soins. Les
patients qui en ont la force se déplacent parfois vers des structures à tarifs moins
élevés afin d'éviter de payer les montants onéreux que réclament les centres privés
ou les structures appliquant le système de recouvrement des coûts. Quitte parfois à
devoir marcher plusieurs heures avant d'atteindre le centre plus abordable
financièrement.
C'est le cas de Félix, originaire de la commune de Bugenyuzi qui est venu avec ses
deux enfants jusqu'au centre de santé de Rusamaza (province de Karuzi). Malades
tous les trois, ils ont mis deux heures sous la pluie pour arriver.
Si je suis ici c'est parce que chez nous une consultation au centre de
santé coûte très cher. Les frais s'élèvent à 1500Fbu (1,5€) par
personne. Or nous sommes trois à être malades en même temps dans
la famille. Mes deux fils et moi avons de la fièvre et toussons beaucoup
depuis plusieurs jours. Je n'aurais jamais eu assez d'argent pour payer
trois fois 1500Fbu que m'aurait coûté la consultation au centre de santé
de Bugenyuzi . Alors je suis venu jusqu'ici où j'ai payé 900Fbu (0,9€)
pour nous trois. Nous sommes venus à vélo et avons mis deux heures
parce que j'ai eu quelques problèmes avec le vélo. Notre famille vit très
pauvrement. J'ai une femme et cinq enfants. Nous vivons très mal à
cause de la santé et la pauvreté à la maison. Je suis cultivateur, je
travaille dans les champs des autres pour avoir un peu d'argent afin de
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Dans le système de recouvrement des coûts, 36% des malades qui considèrent leur état de santé
comme « peu grave » n’ont pas consulté, principalement par manque d’argent (pour 58.7% d’entre
eux). 14.5% des malades qui jugent leur état de santé comme grave ne se présentent toujours pas à la
consultation (pour 91% d’entre eux par manque d’argent).
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vivre. Quand je trouve du travail, je gagne 200Fbu (0,2€) par jour et je
travaille parfois deux ou trois fois par semaine. Mais certaines semaines,
il arrive que je n'ai pas un sou.
Conséquences médicales
Depuis l’augmentation de la tarification, la fréquentation des centres de santé a
fortement chuté. Les taux de mortalité, supérieurs au seuil d’alerte, sont élevés
dans tout le pays4. La première cause de mortalité étant la malaria, endémique
dans le pays.
Rappelons-nous le témoignage de Révérien, qui compte parmi ceux qui ont perdu
un proche des suites d’une malaria faute d’argent. Il vit dans le quartier de Musaga,
à Bujumbura Mairie. Dans cette partie du pays, les soins de santé sont payants
avec un système de recouvrement des coûts.
Ma femme est morte il y a quelques mois. Elle avait beaucoup de fièvre et
puis, elle s’est mise à vomir. C’était sans doute la malaria. Mais je n’en suis
pas sûr, elle ne s’est jamais rendue au centre de santé. Par manque d'argent.
Je n’ai même pas de quoi nourrir mes deux enfants, comment pourrais-je
payer le prix d’une consultation? Je pensais qu'elle finirait par guérir. Ce ne fut
pas le cas. Après quatre mois dans cet état, elle est finalement morte.
D’autres problèmes liés au système de tarification en place ont été constatés en
termes de qualité et de rationalité des soins. Le paiement par comprimé ou autre
unité de médicaments incite à des traitements contraires aux protocoles nationaux,
des cures incomplètes ou sous-dosées. Ceci affecte non seulement l’efficacité de la
prise en charge mais inclut d’autres désavantages potentiels comme le
développement de résistances. C'est ainsi qu'un médicament moins cher est
prescrit lorsque le protocole prévoit un traitement plus efficace mais plus coûteux.
Précarisation des foyers
Pour la quasi-totalité des populations - surtout rurales - vivant dans une pauvreté
absolue, l'argent qu'elles consacrent à la santé aggrave davantage encore leur
précarité.
Une consultation dans un centre de santé pratiquant ce système de recouvrement
des coûts s'élève en moyenne à 2254Fbu (près de 2,3€). Cela signifie qu’une
personne souffrant d’une pathologie banale – mais potentiellement grave – peut
débourser jusque douze fois5 ce qu’elle gagne en une journée de travail
dans un champ pour se soigner. Le revenu quotidien moyen se situe entre
250Fbu et 400Fbu (0,25€ et 0,4€) en fonction des régions et de la saison et les
possibilités de trouver un travail restent très aléatoires et ne dépassent pas deux à
trois jours par semaine.
Siméon n'a rien. Pas d'argent, pas d'emploi, juste quelques vêtements, une famille
à nourrir… et une petite fille de trois ans, brûlée au second degré.
Il y a quelques jours, en rentrant chez moi, j’ai retrouvé ma fille de
trois ans brûlée au second degré par de l'eau bouillante, renversée par
mégarde par son frère de cinq ans. J’étais très inquiet, et j’ai emmené
ma petite fille au centre de santé de mon quartier du sud de Bujumbura.
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Ces taux sont particulièrement préoccupants au sein des populations vivant dans les zones concernées
par le système de recouvrement des coûts, où les taux de mortalité s'élèvent à 1.6/10.000/jour, alors
que le seuil d'alerte est de 1 décès/10.000/jour. Les enfants sont particulièrement touchés. En effet,
pour les moins de cinq ans, les taux de mortalité s'élèvent jusqu'à 4.9/10.000/jour selon les régions,
dépassant ainsi nettement le seuil d’alerte de 2/10.000/jour.
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Ce ratio a été calculé en tenant compte des revenus et du coût des soins de chaque ménage.
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Mais l'infirmier a refusé de nous recevoir. Je n’avais pas d’argent pour
payer la consultation. J’ai donc dû ramener mon enfant sans soin à la
maison. Et puis, je n’ai pas eu le choix que d'emprunter 2000Fbu (2€) à
des voisins pour me rendre à la consultation. J’ai aussi acheté quelques
médicaments au marché noir. Tous les jours, je rembourse 150Fbu
(0,15€) des 250Fbu (0,25€) que je gagne quotidiennement en portant
des sacs. Il me reste 100Fbu (0,1€) pour nourrir ma famille. Ce n’est
pas beaucoup !
Conclusions
Le conflit a encore des conséquences sur la pauvreté et la mortalité
Les résultats de notre enquête démontrent que malgré le début de stabilisation
politique au Burundi, les taux de mortalité de la population, très précarisée, restent
extrêmement préoccupants, dépassant les seuils d'alerte.
La violence a provoqué une raréfaction des produits et des services, des problèmes
d’approvisionnement et de transport, une augmentation des vols, des destructions
de biens de familles. Même si la violence s’arrête, ses conséquences, elles, se
prolongeront dans le temps.
Ce lien entre pauvreté et santé est maintenant bien connu. Des populations dans
un dénuement extrême et qui souffrent de malnutrition deviennent malades plus
rapidement et meurent plus vite des conséquences de leur maladie. Ce lien simple
entre pauvreté et maladie est rappelé par la Commission Macroéconomie et Santé
de l’OMS, qui confirme que la santé est un pré-requis au développement
économique.
Près d’un million de Burundais n’ont pas accès aux soins de santé
L’étude démontre que le système de recouvrement des coûts au Burundi exclut
près d’un million de personnes des soins de santé primaires. L’effet de la politique
de recouvrement des coûts sur l’exclusion est telle que le droit à la santé, inscrit
dans la politique nationale du ministère de la Santé, est mis en péril.
Parmi les foyers qui parviennent à payer le prix de la consultation, 80% sont
contraints, pour dégager de l’argent, de recourir à des solutions extrêmes, tels que
l'endettement auprès du voisinage, la vente d’une partie de la récolte, du bétail ou
d’une parcelle de terre…
Alors que plus de 85% de Burundais vivent avec moins de 1USD par personne et
par semaine, dans le système actuel, le coût des soins de santé (actes,
médicaments, tests de laboratoire) est totalement à la charge des patients. L’Etat
n'intervient que dans les infrastructures et les salaires tout à fait insuffisants. Or les
populations burundaises n’ont pas la capacité de supporter ces coûts. Le prix
humain de cette politique de recouvrement des coûts est majeur et largement
sous-estimé.
L’accès aux soins pour tous nécessite des moyens appropriés
Le budget du ministère de la Santé en 2003 était évalué à 2,2% du budget total.
Ces dépenses indispensables pour la santé ne peuvent être assumées par le seul
budget national.
Imposer un système de recouvrement des coûts à une population qui n'est toujours
pas sortie de dix ans de guerre civile revient en réalité à lui en faire payer deux fois
le prix: une fois le prix de la guerre et de son cortège de violences, de massacres et
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d'exactions et une fois le prix de la paix, avec les pressions de bailleurs de fonds
qui leur demandent, pour survivre, de sacrifier le peu qu'ils ont.
Il est de la responsabilité des bailleurs de mobiliser plus de fonds en
matière de soins de santé et de s'assurer qu’ils soient utilisés pour garantir
un meilleur accès aux soins.
A la conférence des bailleurs de fonds de Bruxelles qui s’est tenue en janvier 2004,
les pays donateurs ont promis des montants qui s’élèvent à environ 810 millions
d’euros, soit 1.032 milliard USD. Les thèmes discutés lors de la conférence ont
principalement été axés sur la démobilisation, le retour et la réinsertion des
réfugiés et déplacés.
Ces thèmes sont cruciaux pour l’avenir du pays, mais l’avenir des secteurs de la
santé et de l’enseignement, également très important, n’a pas été discuté. La
ventilation des montants promis n’a actuellement pas été rendue publique
Recommandations
Un système de soins de santé accessible à tous
Au vu des résultats de l’enquête menée et de l’expérience accumulée sur le terrain,
MSF constate que, malgré la présence de nombreux acteurs, le système de
recouvrement des coûts exclut une grande partie de la population des soins de
santé primaires. En effet, comme ce système de tarification est d’application dans
la majorité des régions rurales, près d’un million de Burundais en sont
complètement exclus.
Vu la précarité dans laquelle vit la population, suite aux effets à long terme de la
guerre, une telle exclusion de la population est tout à fait inacceptable. Tout acteur
oeuvrant dans la santé doit réaliser à quel point cette exclusion est grave et tirer
les conclusions de ces résultats plus qu’inquiétants. Chaque acteur, qu’il soit
gouvernemental ou non-gouvernemental, opérationnel ou bailleurs de fonds, est
responsable de cette situation alarmante.
Vu la gravité de la situation aussi bien en termes de mortalité, de pauvreté
et d’exclusion des soins de santé essentiels, MSF s’engage à travailler à la
mise en œuvre de la gratuité des soins.
Ceci permettrait d’enlever un obstacle financier important à l’accès aux soins pour
la majorité des patients. En dehors de l’abolition d’un obstacle financier direct aux
soins, la gratuité peut offrir d’autres avantages. Par rapport aux autres systèmes,
les soins gratuits permettent d’éviter certains problèmes de gestion aux centres de
santé. En effet, vu l’extrême pauvreté du pays, les bénéfices générés par la vente
de médicaments représentent des intérêts financiers importants à plusieurs
niveaux. Un système gratuit permet d’éviter une mauvaise gestion financière du
centre de santé et des conflits générés par cette source de revenus dont les
populations bénéficient rarement.
Une attention particulière pour les vulnérables
Paradoxalement, alors que cette couche de la population nécessite un suivi de son
état de santé plus rapproché, ce sont les plus vulnérables qui ont le moins accès
aux services de santé primaires.
Contrairement aux propositions du document préparatoire de lutte contre la
pauvreté (rédigé à l’attention du FMI et de la Banque mondiale), l’objectif
d’assurer l’accès de ces populations aux soins de santé ne peut en aucun
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cas être un objectif à moyen terme mais doit constituer un objectif
immédiat.
D’abord pour une raison d’humanité. Le droit à la santé est un droit pour tous. Les
taux de mortalité démontrent que le non-accès aux soins de ces populations
mettent leur vie en danger. Ensuite pour une raison économique. La proportion de
ces vulnérables au Burundi est importante et risque de freiner le développement du
capital humain nécessaire à la croissance du pays.
Les systèmes en place actuellement ne protègent en rien les personnes vulnérables
et ne mitigent pas l’exclusion des personnes trop pauvres pour payer les soins. De
plus, les exemptions allouées ne correspondent pas aux caractéristiques de
vulnérabilité rapportées dans la population.
Une concertation de tous les acteurs sur l’accès financier aux soins
Offrir les soins de santé sans contribution financière directe par les patients
implique bien sûr que d’autres ressources financières soient allouées pour réaliser
des services de santé. Le gouvernement burundais, en fonction de son budget et de
l’aide extérieure reçue, peut mettre en place un système de soins de santé subsidié
dans le secteur public.
Dans l’objectif de discuter de manière approfondie de l’importance de la santé dans
le développement économique du pays et de mettre à la disposition du secteur de
santé les moyens nécessaires, l’accès financier aux soins de santé mérite une
réflexion spécifique et une coordination rapprochée entre tous les acteurs
concernés. Cette concertation doit exister tant sur le plan national qu’international
(ministère de la Santé, des Finances, de l’Intérieur, les bailleurs de fonds et les
ONG intéressées dans les secteurs de la santé et du développement économique).
A travers les résultats de l'enquête, il paraît évident que les populations
burundaises n’ont pas la capacité de supporter les coûts des soins de santé. Le prix
humain de cette politique de recouvrement des coûts doit faire réagir les bailleurs
de fonds concernés. Pour Médecins Sans Frontières, demander à une population
aussi précarisée de financer elle-même un système de santé - même primaire –
revient en effet à l’en exclure !
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le rapport intitulé « Accès
aux soins de santé – Résultats de trois enquêtes épidémiologiques »:
http://www.msf.be/fr/pdf/burundi_fr.pdf
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