Le SME

Transcription

Le SME
1
Chapitre 6 : L’intégration monétaire de
l’Europe
Introduction :
Les liens généraux entre intégration
commerciale, monétaire et politique.
Chronologie :
1958 : Accord monétaire européen : marges de
fluctuation de +/- 0.75% vis à vis du $
1961 : Robert MUNDELL développe la théorie des
ZMO
1969 : plan BARRE
1970 : rapport WERNER
1972 : création du serpent monétaire européen et
du FECOM
1976 : le franc quitte définitivement le serpent
monétaire européen
1979 : entrée en vigueur du SME avec 8 monnaies
1987 : Accords de NYBORG : les interventions infra
marginales deviennent multilatérales
1989 : adoption du plan DELORS sur l’Union
Economique et Monétaire en 3 étapes ; entrée de
la peseta dans le SME
1990 : rapport EMERSON sur les gains potentiels
de la monnaie unique ; libéralisation des
mouvements de capitaux en Europe ; réunification
allemande ; entrée de la livre dans le SME
1992 : signature du traité de MAASTRICHT ; la lire
et la livre quittent le SME
1993 : crise du SME et élargissement des bandes
de fluctuations à +/- 15%
1995 : entrée du schilling autrichien dans le SME ;
nom d’euro officiellement adopté
1996 : entrée du mark finlandais dans le SME,
retour de la lire italienne
1997 : adoption du Pacte de stabilité et de
croissance ; retour de la lire dans le SME
1999 : création de l’euro
2001 : entrée de la Grèce dans la zone euro
2002-2003 : la France et l’Allemagne affichent un
déficit public supérieur à 3% du PIB
2007 : entrée de la Slovénie dans la zone euro
2008 : entrée de Chypre et Malte dans la zone euro
2009 : entrée de la Slovaquie dans la zone euro
2011 : entrée de l’Estonie dans la zone euro
2011 : décote de 50% de la dette grecque
2012 : le taux de chômage en Espagne atteint 25%
I – L’échec du serpent monétaire
européen : 1972-1978
A – Les origines : les plans Barre et Werner
B – La raison immédiate de sa mise en
place : éviter la désorganisation de la PAC
C – Le fonctionnement : mécanismes, causes
de l’échec, enseignements
II – Le succès relatif du Système
Monétaire Européen : 1979-1999
A – Les mécanismes du SME : des taux de
change fixes mais ajustables, l’écu, les
interventions des banques centrales, les
mécanismes de solidarité
B – Le bilan : désinflation, baisse relative de
l’instabilité des changes, domination
monétaire de l’Allemagne, faible croissance
III – La marche vers l’Union
Economique et Monétaire
A – Pourquoi passer du SME à la monnaie
unique ?
B – Les 3 étapes de l’accession à la monnaie
unique
C – Les avantages et les coûts potentiels de
la monnaie unique
IV – La zone euro : une zone
monétaire optimale ?
A – Les critères des ZMO appliqués à la zone
euro
B – Les leçons de l’histoire : l’union politique
précède l’union monétaire
C – La tentative de coordination des
politiques budgétaires par le Pacte de
stabilité
V - L’euro : notre monnaie et notre
problème
A – Un premier bilan de l’euro
B - La crise en zone euro : les origines
C – La gestion de la crise de la zone euro
Conclusion
L’élargissement de la zone euro
1
2
Bibliographie:
• ElieCOHEN,Latentationhexagonale,Fayard,1996,chapitre7.
• AlainCOTTA,Sortirdel’eurooumouriràpetitfeu,Plon,2010.
• MichelDEVOLUY,L’Europemonétaire,Hachette,1996.
• PaulKRUGMAN,Economieinternationale,DeBoeck,1995,chapitre21.
• Jean-PierrePATAT,L’Europemonétaire,Ladécouverte,1990.
• PascalRICHEetCharlesWIPLOSZ,L’unionmonétairedel’Europe,Seuil,1993.
• Jean-JacquesROSA,L’erreureuropéenne,Grasset,1998.
• Jean-MarcSIROEN,Larégionalisationdel’économiemondiale,Ladécouverte,2004,
chapitreV.
• JérômeTROTIGNON,Economieeuropéenne,Hachette,1997.
Date d’entrée des pays dans la zone euro :
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
Allemagne
Autriche
Belgique
Espagne
Finlande
France
Irlande
Italie
Luxembourg
Pays-Bas
Portugal
1999
1999
1999
1999
1999
1999
1999
1999
1999
1999
1999
12
13
14
15
16
17
Grèce
Slovénie
Chypre
Malte
Slovaquie
Estonie
2001
2007
2008
2008
2009
2011
Membres du MCE II :
Danemark, Estonie, Lettonie, Lituanie.
Non membres du MCE II :
Royaume-Uni, Suède, Hongrie, Pologne, République tchèque, Bulgarie, Roumanie.
2
3
Citations :
Une monnaie continentale ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre
de 200 millions d’habitants. Cette monnaie unique remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés
monétaires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures de misères, variétés, qui sont autant de cause
d’appauvrissement.
Victor Hugo, 1855.
« L’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas »
Jacques Rueff, 1951
Ce qui est utile aux citoyens, ce n’est pas une monnaie unique, ce sont de bonnes monnaies, c'est-à-dire
essentiellement des monnaies non inflationnistes.
Pascal Salin. La vérité sur la monnaie, 1990.
« Il y a une chose dont je suis sûr : une monnaie unique (…) remplaçant toutes les autres monnaies européennes
n’existera pas encore à la fin du vingtième siècle ».
Milton Friedman, La monnaie et ses pièges, 1992
« Traité de Maastricht ou non, le climat économique et politique en Europe au milieu des années 1990 rend peu
vraisemblable la réalisation de l’Union au cours de ce siècle ».
Paul Krugman, 1994.
Nous aurons davantage de croissance, davantage d’emplois et nous lutterons mieux contre le
chômage grâce à la monnaie unique
Jean-Claude Trichet, 1996.
Des parités immuables sont dangereuses si les conditions économiques divergent entre pays membres, ce qui se
produit un jour ou l’autre.
Jean-Jacques Rosa, 1998
En fin de compte, cette construction à l’allure technocratique et progressant sous l’égide d’une sorte de
despotisme doux et éclairé, doit se transformer dans un projet porteur de sens.
Jacques Delors, Cathédrale de Strasbourg, 1999.
« Une union monétaire bien gérée, incluant aujourd’hui la plupart des pays de l’Union européenne, demain la
plupart des pays européens, engendrera un énorme bénéfice non seulement pour les Européens, mais aussi pour
le reste du monde, y compris les Etats-Unis1 ».
« Soyez sûrs que l’introduction de l’euro aura un impact extraordinaire bénéfique sur le développement des
transactions commerciales en Europe. Et donc sur vos économies2. »
Robert Mundell
Je sais très bien que le Pacte de stabilité est stupide, comme toutes les décisions qui sont rigides.
Romano Prodi, Président de la Commission européenne, 2002.
On ne peut pas faire coexister dans un système de taux de changes fixes des pays qui ont des productivités
différentes.
Charles Gave, JDF, 1/12/2010
La bataille menée par le gouvernement pour tenter de sauver l’euro est une bataille perdue, il faut avoir
l’honnêteté de le reconnaître. A force de nier la réalité, de vivre dans le déni, on ne s’est résolu que sur des
montants trop faibles, engagés tardivement.
Jacques Sapir, US Magazine, supplément au n°714 du 14 novembre 2011.
Les premiers pays qui quitteront l’euro s’en sortiront le mieux.
Joseph Stiglitz, 31/01/2012.
1
2
Wall Street Journal, mars 1998.
Capital, janvier 2000, p. 147.
3
4
Introduction :
Le lien entre intégration commerciale et intégration monétaire
- l’intégration commerciale et l’intégration monétaire de l’Europe apparaissent comme des
phénomènes complémentaires : en effet, l’intensification du commerce appelle une
certaine stabilité des taux de change
- l’intégration commerciale semble précéder l’intégration monétaire : au départ, l’Europe
s’est d’abord construite en délaissant la dimension monétaire. Le traité de la CEE en 1957
organisait la libre circulation des marchandises mais ne prévoyait pas la création d’une
union monétaire. Celle-ci ne paraissait pas indispensable car la stabilité monétaire était
vérifiée dans les faits en raison des accords de Bretton Woods. Seule exception : l’Accord
monétaire européen mis en place en 1958 prévoyait que les fluctuations des monnaies
européennes vis à vis du $ ne dépassent pas +/-0.75%.
Le lien entre intégration monétaire et intégration politique
L’histoire économique nous propose des exemples d’union monétaire (EU, Allemagne
au 19ème siècle) mais dans les deux cas l’union politique précède l’union monétaire. Différent
est le cas de l’UEM (Union économique et monétaire) en Europe car il n’y pas de
gouvernement européen. D’où de multiples interrogations sur le succès de l’UEM.
Comment alors expliquer l’intégration monétaire européenne ? Quelles sont ses origines
historiques ? Quelle est son mode de fonctionnement ? sa pertinence ?
I)
L’échec du serpent monétaire européen (1972-1978)
A) L’intégration monétaire, une idée dans l’air du temps à la fin des années 1960 : le plan
Barre et le rapport Werner
A la fin des années 1960, le système monétaire international devient instable, certains
pays devant dévaluer ou réévaluer leur monnaie. Dans ce contexte, les pays européens
souhaitent une plus grande stabilité des taux de change pour faciliter les échanges
commerciaux dans la CEE et pour se détacher de l’influence du dollar.
En 1969, la Commission européenne a présenté un plan (le « Plan Barre ») concrétisant
l’idée d’une monnaie unique, car le système de Bretton Woods montrait des signes de
tensions croissantes. Les chefs d’État ou de gouvernement ont demandé au Conseil des
ministres de définir, sur la base du Plan Barre, une stratégie en vue de la réalisation d’une
Union économique et monétaire (UEM). Le plan Barre propose d’ajouter une coordination
monétaire à la coordination économique.
Le Rapport Werner qui s’en est suivi et qui fut publié en 1970 proposait la création
d’une UEM en plusieurs phases à l’horizon de 1980. Il préconise la mise en place d’une union
économique et monétaire en trois étapes, le remplacement des monnaies nationales par une
monnaie unique, l’harmonisation des politiques économiques, la création d’un fonds européen
de coopération monétaire, la libération des mouvements de capitaux.
Ce rapport Werner fut accepté comme base de travail par les 6 pays de la CEE, mais il
suscita des craintes et des réserves du côté français (le gouvernement français préfère accepter
l’entrée du RU que la monnaie commune) et du côté allemand (peur d’importer de l’inflation).
4
5
Deux points de vus s’affrontent : la RFA considère que la lutte contre l’inflation est un
préalable à l’union monétaire, redoutant un système qui exonérerait les pays laxistes de toute
sanction ; la France pense qu’en progressant dans la voie d’une union monétaire les politiques
pourront s’harmoniser. Ces 2 conceptions se retrouveront en permanence dans tous les débats
sur la question. Seule la volonté politique de progresser vers l’union monétaire parviendra à
surmonter les divergences.
La crise du SMI va obliger à tout repenser.
B – La raison immédiate de sa mise en place : éviter la désorganisation de
la PAC
En décembre 1971, les accords de Washington augmentent les marges de fluctuation entre
le dollar et les autres monnaies du système de Bretton Woods à +/- 2,25%. Cet élargissement
des écarts présente un inconvénient : l’écart instantané entre deux monnaies européennes peut
aller jusqu’à 4,5% si une monnaie est au plancher et l’autre au plafond, et en cas d’inversion
des positions l’écart peut atteindre 9% (phénomène du cumul des marges). Or ces fluctuations
de taux de change portent préjudice au fonctionnement de la PAC (Politique Agricole
Commune).
La PAC garantit aux agriculteurs de la CEE un prix minimum pour leurs produits. Les
débuts de la PAC s’inscrivent dans une période de stabilité internationale des changes. Après
la dévaluation de franc le 10 août 1969, l’agriculture française devient plus compétitive que
l’agriculture allemande. Ainsi sont institués en 1969 des MCM (Montants compensatoires
monétaires) destinés à compenser cet effet en créant une taxe à l’exportation pour les produits
français et une subvention à l’importation pour les produits allemands. Après la réévaluation
du DM le 27 octobre 1969, un mécanisme symétrique est mis en place : une taxe à
l’importation et une subvention à l’exportation. Cet instrument devait être transitoire. Il sera
utilisé plus de 20 ans.
Résumons : les montants compensatoires permettent d’assurer l’unicité des prix agricoles
européens en contrepartie d’une neutralisation des effets des dévaluations et réévaluations.
Schéma des montants compensatoires
Ajustement monétaire
Type de MC
Rétablissement de l’unicité des prix
France
Dévaluation
MCM négatifs
Taxe à l’exportation
+ Subvention à l’importation
RFA
Réévaluation
MCM positifs
Subvention à l’exportation
+ Taxe à l’importation
La crise du SMI conduit à développer ces MCM et les généraliser à l’ensemble des
pays. Mais ces mesures sont complexes, coûteuses. Et aussi inéquitables : les prix des
consommations intermédiaires évoluent sans mécanisme correcteur, les agriculteurs français
connaissent l’inconvénient de la dévaluation (la hausse des prix des inputs) sans ses avantages
(la baisse du prix des exportations), ce qui attise la rancœur des agriculteurs français. Pour
diminuer ces MCM, les pays de la CEE ont décidé de diminuer les variations de change.
Comme m’indique Paul Krugman, la solution de 1er ordre eut été d’abandonner la PAC.
5
6
C – Le fonctionnement : mécanismes, causes de l’échec,
enseignements
Les accords de Bâle du 10 avril 1972 mettent en place le serpent monétaire européen
entre les pays membres de la CEE, rejoints pour quelques semaines seulement par le RU,
l’Irlande et le Danemark. L’entrée en vigueur aura lieu le 24 avril. Il est décidé que l’écart
instantané entre 2 monnaies de la CEE, par rapport à la grille des cours officiels bilatéraux, ne
peut excéder 2,25% (donc la marge est de +/-1.125%). Cela réduit de moitié la variation
possible des taux de change.
En même temps, les monnaies participantes doivent respecter individuellement la marge
fixée au niveau mondial par rapport au $ de +/-2,25%, soit 4,5% au total.. C’est cette double
contrainte qui fait évoquer l’image du « serpent dans le tunnel » : le serpent d’une épaisseur
de 2.25% se déplace à l’intérieur d’un tunnel d’une largeur de 4.5%.
- le tunnel représente la première contrainte : chaque monnaie doit rester dans le cadre de
+/-2,25% par rapport à sa parité officielle avec le $
- le serpent illustre la deuxième contrainte : deux monnaies européennes sont tenues de
respecter la marge maximum de 2,25%.
Le système repose sur l’action des banques centrales de la CEE, qui ont l’obligation
d’intervenir sur le marché des changes. Des crédits à court terme entre les banques centrales
sont prévus pour permettre le soutien des cours.
Ces interventions menées dans le cadre du fonctionnement du serpent sont coordonnées par le
Fonds Européen de Coopération Monétaire (FECOM) créé en octobre 1972 et en activité à
partir de juin 1973.
Cours en
dollar =
nombre
de dollars
par franc
ou par
mark
Le serpent monétaire européen
PLAFOND
Mark
+2.25%
Axe du
tunnel
-2.25%
Le franc sort du
serpent
PLANCHER
Franc
Avril 1972
Mars 1973
6
7
Les causes de l’échec :
A partir de mars 1973, suite à une nouvelle dévaluation du $ en février 1973, les pays
européens décident de laisser flotter leur monnaie vis à vis du $. Inconvénient : il n’y a plus
de tunnel ni d’axe de parités. Le serpent sort du tunnel. Dès lors, le serpent devient tributaire
de la monnaie la plus forte : le DM. Or, le flottement du dollar et sa dépréciation tirent le DM
vers le haut (il est en permanence sur le dos du serpent comme le montre le schéma précédent)
et la RFA refuse d’aider les monnaies les plus faibles.
De plus, le 1er choc pétrolier accentue les divergences de taux d’inflation et de déficit
extérieur : la RFA s’en sort mieux que France.
En outre, des politiques économiques divergentes nuisent au maintien de parités stables.
Comme on lie les monnaies et non le reste de la politique économique, les taux d’inflation
diffèrent. Entre 1974 et 1979, le taux d’inflation moyen en France a été de 11% par an, celui
de la RFA de 4,6%.
La £ anglaise et la lire s’en retirent dès 1972. Le franc le quitte en janvier 1974, pour le
rejoindre en juillet 1975 et s’en écarter définitivement en mars 1976 (relance Chirac en 1975).
Fin 1978, le serpent se limite à une zone DM qui regroupe la RFA, les 3 pays du Bénélux et le
Danemark. Le flottement du franc provoqua la réaction suivante de F. Mitterrand : « La
politique française vient de s’aligner sur la politique américaine, on est retourné à la jungle
monétaire ».
Les enseignements de l’échec du serpent :
• l’incapacité des pays européens à harmoniser leur politique économique.
• l’asymétrie des interventions : ce sont les pays dont la monnaie se déprécie qui sont
tenues de réagir. Exemple : c’est la France qui devait intervenir pour défendre un
franc trop faible et non la RFA pour contenir un mark trop fort => épuisement des
réserves de la Banque de France.
Malgré des débuts très hésitants, cette coopération monétaire sera poursuivie par le SME à
partir de 1979 qui modifiera le fonctionnement du serpent sur 2 points essentiels : l’asymétrie
des charges de l’ajustement et l’absence d’axe de parité (ECU). L’histoire nous enseigne donc
que l’intégration monétaire ne se fait pas en un jour et passe par des échecs.
7
8
II) Le succès relatif du système monétaire européen : 1979-1999
Le SME fut conjointement proposé aux pays européens pas le Chancelier H.
SCHMIDT et le Président GISCARD. Il fut approuvé au sommet de Brême en juillet 1978 et
entrera en application le 13 mars 1979. C’est une étape cruciale dans la construction
européenne : il succède au serpent monétaire et il précède la monnaie unique.
Il a été conçu sous l’impulsion du couple franco-allemand dans un contexte de
flottement des monnaies et de forte inflation. La coopération monétaire a pour but d’établir
une zone de stabilité en Europe. Son succès n’était pas du tout assuré au départ : en 1979, les
taux d’inflation allaient de 2.7% en RFA à 12.1% en Italie.
Son existence est le résultat d’une volonté politique : la France accepte de se rapprocher
des conceptions allemandes en matière de politique économique et de faire rentrer le franc
dans une zone mark alors que la RFA se résignait à la coopération monétaire. Les politiques
monétaires adhéraient à « l’ardente obligation » européenne.
En combinant les politiques de coopération et les réalignements, le SME à réussit à
survivre et même à s’étendre, s’adjoignant l’Espagne en 1989, le RU en 1990, le Portugal en
1992. Il a survécu à la grave crise monétaire de 1992/1993 qui a vu la sortie du RU et de
l’Italie, puis l’élargissement des marges de fluctuation. Sa disparition semble être plutôt la
preuve de son succès puisqu’il s’effacera devant la monnaie unique, aboutissement de la
logique de coopération. Le SME peut être considéré comme l’antichambre de l’euro.
A) Les mécanismes du SME :
Le SME en bref :
Le SME comporte une grille de parités dans laquelle la valeur de chaque monnaie est
exprimée en chacune des autres. Une monnaie peut s’éloigner de son taux pivot à condition
que l’écart ne dépasse pas 2,5%. Quand une monnaie s’affaiblit au point de descendre à son
cours plancher, la Banque centrale est obligée d’intervenir en la rachetant sur le marché, en
principe en utilisant une autre monnaie du SME, mais dans la réalité le plus souvent en
vendant du dollar, ce qui est normal puisque les perturbations ont souvent pour origine les
mouvements de la devise américaine.
La Banque centrale d’une monnaie forte a l’obligation inverse d’empêcher sa devise de crever
son plafond. Mais vendre sa propre monnaie, pour racheter celle qui s’affaiblit, consiste à
faire crédit à la Banque centrale émettant cette dernière.
Ce système n’exclut nullement les changements de parité, qui sont décidés de concert.
1) Des taux de changes fixes mais ajustables :
Le SME est un système régional de changes fixes mais avec une marge de fluctuation
de +/-2,25% entre chaque monnaie.
En 1979, les marges furent fixées à +/- 2,25%, sauf pour la lire italienne bénéficiant
d’une marge de +/- 6% (le « boa ») jusqu’en 1990. Plus tard la peseta (1989), la £ (1990) et
l’escudo (1992) bénéficieront d’une marge de +/- 6%. Depuis août 1993, ces marges ont été
élargies à +/- 15%.
Les cours pivots officiels doivent être défendus par des interventions des banques
centrales sur les marchés des changes. Lorsque ces interventions ne parviennent plus à
maintenir les parités dans les limites fixées, on procède à un réalignement monétaire, sous la
condition d’un accord unanime entre participants.
8
9
Le graphique suivant montre 5 taux pivots différents ayant prévalu entre le franc et le
mark entre 1979 et 1984. Il montre aussi incidemment la perte de valeur du franc par rapport
au mark sur la période.
2) La naissance de l’ECU :
ECU signifie unité de compte européenne (European Currency Unit). Il reprend la
composition de l’ancienne unité de compte européenne (UCE) créée en 1975. C’est aussi la
monnaie d’or qui a circulé en Europe aux 16ème et 17ème siècles.
L’ECU aura 2 fonctions :
- étalon : utilisé dans le calcul de la grille des parités, dans l’indicateur de divergence
- instrument de règlement entre banques centrales
L’ECU se définit comme un panier de monnaies : sa valeur est calculée sur la base
d’une formule où intervient la valeur de chaque monnaie des pays de la CEE.
Ainsi, au 13 mars 1979, le jour de son apparition, l’ECU valait officiellement :
1ECU = 0.828DM +1.15FF +0.0885£ +10.9LI +0.286FL +3.66FB + 0.14FLUX +0.217DKR + 0.00759£IR
9
10
Pour chaque pays, cette pondération est déterminée par son PIB, son poids dans le
commerce intra-européen et sa quote-part dans le mécanisme de soutien monétaire. En 1979,
le DM contribuait à hauteur de 33%, le franc 20%, la £ 13%, le florin et le franc belge 10%.
Bien que le RU n’adhère pas au départ au SME, la £ entre dans la composition de
l’ECU et influence sa valeur. En 1979, 8 monnaies participent au SME. La peseta rentre en
1989 et l’escudo en 1992. Le schilling autrichien et le mark finlandais rentrent respectivement
dans le SME en 1995 et en 1996, sans rentrer dans la composition de l’ECU. La lire sortira
entre 1992 et 1996. La drachme grecque ne rentre qu’en 1998.
Suite au gel de la composition de l’ECU au 1er novembre 1993, conformément au traité de
Maastricht (article 109 G), la pondération n’a plus été modifiée.
Chaque monnaie a un taux pivot c’est à dire une parité en ECU. Par exemple, 1ECU=
6,40 francs au 6/03/1995. A partir de l’ensemble de ces taux pivots, on peut calculer les taux
pivots bilatéraux de chaque couple de monnaie : par exemple, 1ECU=6,40FF=1,91DM, le
cours pivot bilatéral du DM en franc est de : 1DM= 6,40/1,91= 3,35.
Les cours pivots peuvent être révisés mais avec l’accord unanime des autres pays (ce qui
n’était pas exigé dans le serpent). Il est vrai que la référence à l’ECU implique que toute
modification d’une parité entraîne automatiquement celle de toutes les autres.
3) la recherche d’une répartition équilibrée des charges d’intervention des banques centrales
Il faut ici distinguer les cours pivots bilatéraux et les cours pivots par rapport à l’écu.
* Le maintien des cours pivots bilatéraux impose des interventions symétriques de la part
des banques centrales, puisque deux monnaies sont directement et automatiquement
concernées. Par exemple, si le franc se déprécie par rapport au DM, les banques centrales
française et allemande doivent acheter des francs et vendre des DM. Les textes prévoient
explicitement que les interventions en monnaies nationale (en non en ECU) des pays
participants sont obligatoires lorsque les plafonds ou les planchers sont atteints. Les charges
d’intervention sur les marchés des changes sont réparties entre tous les pays participants. En
apparence car les pays à monnaie faible doivent puiser dans leurs réserves ou s’endetter alors
que les pays à monnaie forte accumulent des devises.
* Le maintien du cours pivot en écu pose une question un peu différente. Pour éviter ces
interventions aux limites des bandes de fluctuation, le SME prévoit un mécanisme d’alerte qui
se déclenche lorsque le taux de change franchit un seuil de divergence. Le seuil de
divergence représente 75% de l’écart maximal de divergence de chaque monnaie par rapport à
l’ECU.
Supposons que le franc atteigne sa limite de fluctuation de 2.25% vis à vis de toutes
les autres monnaies du panier. Puisque le franc ne fluctue pas avec lui-même, l’écart avec le
cours pivot en ECU est inférieur à 2.25%.
En prenant le franc en 1989 dont le poids est de 19% :
L’écart maximal de divergence entre le franc et l’ECU est de : 2,25%(1 – 0.19) = 1.823
Le seuil de divergence est alors de : 0,75% × 1,823 = 1,36%.
Par conséquent, la Banque de France devra intervenir lorsque le cours de l’écu en franc
s’écarte de +/- 1,36% du cours officiel. Les calculs effectués pour le DM donnent +/- 1,13%.
C’est ce seuil de divergence, véritable signal d’alarme, qui a été qualifié de « serpent à
sonnettes ». Le pays qui franchit ce seuil est présumé responsable et doit intervenir sur le
marché des changes.
Lorsque les cours plafond ou plancher sont atteints, les interventions sont dites
marginales, sont obligatoires et doivent être effectuées dans les monnaies communautaires
concernées. Lorsque les interventions ont lieu avant que le seuil de divergence ne soit atteint,
10
11
elles sont dites infra marginales, ne sont pas obligatoires et peuvent être effectuées dans des
monnaies non participantes, généralement en $.
Dans les interventions infra marginales, de 1979 à 1987, l’effort était asymétrique car il
reposait uniquement sur le pays à monnaie faible. Depuis les accords de NYBORG
(Danemark) de 1987, les interventions infra marginales sont multilatérales, à la demande du
pays à monnaie faible.
Dans la pratique, le seuil de divergence a été peu utilisé pour 2 raisons :
- les mesures à appliquer en cas de franchissement du seuil sont moins impératives, il joue
comme un signal, c’est à dire qu’il n’oblige pas à une action automatique quelconque.
- les seuils bilatéraux peuvent être atteints avant le seuil de divergence. Par exemple, le
franc peut être à son cours plancher face au DM sans pour autant franchir son seuil de
divergence avec l’écu.
4) Les mécanismes de solidarité :
Lorsqu’une banque centrale veut soutenir sa monnaie contre une autre devise, elle doit
vendre cette devise et acheter sa propre monnaie. Si elle ne possède pas suffisamment de
réserves de cette devise, elle peut les obtenir de diverses manières :
- Les crédits à très court terme entre banques centrales sont illimités. Les banques centrales
sont tenues d’accorder un crédit (dans leur monnaie) en principe illimité aux pays en
difficulté dont la monnaie atteindrait le plancher. A l’origine, ces crédits ne concernaient
que les interventions marginales et devaient être remboursés au bout de 45 jours. Depuis
l’accord de Nyborg de 1987, ces crédits peuvent porter sur des interventions intra
marginales et leur durée est portée a été portée à 75 jours.
- Les crédits à court terme du FECOM : ils sont plafonnés car proportionnels à la quote-part
de chaque pays auprès du FECOM, elle-même fonction des dépôts obligatoires en or et en
$. A l’origine, la durée des crédits était de 3 mois renouvelable 1 fois et leur montant était
plafonné à hauteur de la quote-part. Depuis les accords de Nyborg, la durée maximum est
de 9 mois et leur montant maximal est de 2 fois le montant de la quote-part.
- Les crédits financiers à moyen terme, de 2 à 5 ans, en cas de crise grave de la balance des
paiements, assortis de condition de politique économique.
Le FECOM :
L’ensemble de ces sommes libellées en ECU transite par le FECOM (Fonds Européen
de Coopération monétaire). Son conseil d’administration est composé des gouverneurs des
banques centrales et d’un membre de la Commission. Les banques centrales de chaque Etat
membre sont obligées de déposer au FECOM au minimum 20% de leurs avoirs en or et 20%
de leurs réserves en $. En contrepartie, le FECOM crédite les banques centrales d’un montant
en ECU.
Le FECOM fait la compensation des opérations de soutien intra communautaire. Une
banque centrale règle une dette en écus à une autre banque centrale en débitant son compte
auprès du FECOM, le compte de la banque créancière étant crédité d’autant. Il s’agit d’un
simple jeu d’écriture consistant en un crédit croisé (swap).
Des 3 fonctions traditionnelles de la monnaie, l’ECU n’assure que celle d’unité de
compte ; il ne réalise que très partiellement celle d’instrument de réserve (pour les banques
centrales, à proportion des avoirs déposés au FECOM) et celle d’instrument de règlement
(pour les dettes contractées entre banques centrales dans le cadre des mécanismes de crédit).
L’ECU ne constitue donc qu’un numéraire abstrait. L’ECU est un moyen de
comptabiliser des dettes et créances en monnaies nationales et un moyen d’exprimer les taux
de change.
11
12
B) Le bilan du SME :
Les résultats sont contrastés : l’inflation est maîtrisée, la coopération monétaire s’est
imposée, cependant la faible croissance, le chômage et les déficits publics persistent.
1) Une relative stabilité des taux de change :
L’Europe est devenue une zone de relative stabilité monétaire. Les dévaluations
compétitives ont été évitées. Le SME a absorbé le 2ème choc pétrolier, la volatilité du $ et le
krach boursier de 1987. D’après le rapport Emerson paru en 1991, la volatilité des cours des
monnaies du SME a été plus faible que celle des monnaies communautaires prises dans leur
ensemble, et plus faible que celle des monnaies de l'ensemble des pays industrialisés.
Variabilité des taux de change de chaque monnaie par rapport aux monnaies de 20 pays
industrialisés (somme pondérée des écarts-types des variations mensuelles, en %)
1979-1983
1984-1986
1987-1989
Mark
1.6
1.4
1.2
Franc
1.7
1.4
1.1
Lire
1,6
1,5
1,2
£
2.4
2.5
1.9
$ (USA)
2.3
2.6
2.4
Yen
2.9
2.7
2.4
Source : CEE, Marché unique, monnaie unique, 1990.
En 1993, suite à la crise du SME, les bandes de fluctuation furent élargies à 15%. Loin
de signaler sa mort, cet élargissement des marges permit de purger le système et de limiter la
spéculation.
La question des bandes de fluctuation peut s’envisager de 2 manières différentes :
1- D’un côté, des bandes de +/- 15% au lieu de +/- 1% comme dans Bretton Woods peuvent
être considérées comme un signe de faiblesse : c’est la démonstration que les autorités
auront du mal à maintenir la parité officielle et cela encourage la spéculation
2- D’un autre côté, de larges bandes de fluctuations peuvent réduire la spéculation car une
tension sur le marché des changes ne se traduira pas nécessairement par un changement de
parité dans la mesure où les autorités disposent d’une marge de manœuvre élevée pour
intervenir.
Cependant, les réajustements monétaires ont été nombreux : 16 de 1979 à 1985, 0 de 1987
à début 1992, 5 en 1992-1993. Le cours pivot du franc a été modifié 5 fois entre 1981 et 1986.
Les monnaies qui ont connu les variations les plus fortes entre 1979 et 1992 ont été :
la lire a été dévaluée de 24.9% (6 réajustements par rapport à l’écu)
le DM a été réévalué de 22.8% (7 réajustements)
le franc a été dévalué de 15.4% (5 réajustements)
La tenaille $/DM :
Le statut de monnaie forte confère au DM une position hégémonique à l’intérieur du
SME. La baisse du $ déstabilise le SME : le DM monte et s’apprécie par rapport aux autres
monnaies. Soit il faut réviser les cours pivots, soit aligner plus étroitement la politique
monétaire sur l’Allemagne. Comme les autres pays sont, aux yeux des investisseurs, moins
12
13
crédibles que la RFA, ils doivent pour attirer les capitaux accepter un taux d’intérêt plus
élevé ; c’est la « prime de risque ».
2) La désinflation :
L’Europe a connu un fort mouvement de désinflation dans les années 1980. Quel est le
lien avec le SME ?
Les politiques monétaires se sont arrimées à l’Allemagne, la politique monétaire de la
RFA ayant servi de point d’ancrage aux politiques économiques des autres pays.
La notion de crédibilité est au cœur de l’explication. La crédibilité des autorités
monétaires est définie par le degré de confiance des agents économiques dans la capacité des
autorités à mener à bien la politique annoncée. Cette notion est intimement liée à celle de
cohérence inter-temporelle initiée par Kydland et Prescott. En matière de lutte contre
l’inflation, les décisions annoncées doivent être crédibles pour que la désinflation soit
effective, en raison des anticipations des agents. Or les autorités sont tentées de ne pas tenir
leurs engagements pour diminuer le chômage.
Il faut trouver un moyen pour les inciter à ne pas infléchir leur politique de désinflation
au cours du temps, ce qui permettra de rendre la politique de faible inflation crédible. Cette
crédibilité peut être acquise en se pliant volontairement à une contrainte extérieure, comme
celle du SME. La RFA joue un rôle clé dans ce processus car les autres pays accrochent leur
monnaie au DM pour importer la crédibilité de la politique monétaire allemande.
La Bundesbank a pour principal objectif la sauvegarde de la monnaie ; elle a des
pouvoirs et des règles de nomination qui la rendent indépendantes du pouvoir politique
(nomination du président et des membres pour 8 ans, irrévocable, par le président de la
République, sur proposition du gouvernement, après avis du Conseil).
Le SME a forcé les pays européens à converger en matière d’inflation. C’est
l’« argument de discipline ». Cela a permis à des pays comme la France de retrouver une
compétitivité internationale et l’excédent commercial.
13
14
D’ailleurs dans un système de type SME, les dévaluations sont dramatisées
(contrairement au flottement). Ainsi à partir de 1983, la France a choisi de mener une
politique de rigueur plutôt que de quitter le SME. A l’inverse, le RU plus sûr de lui-même, a
longtemps considéré que la contrainte du SME ne s’imposait pas. Mais en 1990, son adhésion
au SME s’explique aussi par l’échec de sa politique solitaire de lutte contre l’inflation (10%
contre 3% en France).
M. Friedman observe que l’ancrage du franc au DM « revient à dire que les Français
ont plus confiance dans la politique monétaire allemande que dans la leur propre. (…) Au
fond, l’expression ‘politique du franc fort’ constitue un bel exercice d’autosuggestion. Bien
loin de traduire, comme les termes semblent l’indiquer, une inébranlable confiance en soi,
elle parait plutôt refléter un étrange complexe d’infériorité en matière monétaire ; complexe
qui s’efforce de se dissimuler sous un vocable avantageux mais quelque peu dérisoire 3»
Toutefois, ce mouvement de convergence en termes d’inflation ne peut être attribué au
seul SME car il dépasse ses limites géographiques : les USA et la Japon ont connu des
performances comparables, voire même meilleurs en matière de stabilité des prix, comme le
montre le tableau suivant.
Taux d’inflation annuel
Union européenne
1961-1970
3.9
1971-1980
10.6
1981-1990
6.5
1991-1997
3.6
Source : Commission européenne.
Etats-Unis
2.6
7.1
4.8
2.7
Japon
5.6
8.1
2.0
1.1
3) La domination monétaire de l’Allemagne
Dans un système de changes fixes où la mobilité des capitaux est parfaite, la politique
monétaire des pays n’est pas autonome. C’est le triangle d’incompatibilité de MUNDELL. Il
existe cependant une exception : parmi les n pays qui participent aux changes fixes, l’un
d’entre eux a un degré de liberté supplémentaire. A travers le modèle MUNDELLFLEMING, on montrera la dépendance de la politique monétaire des autres pays vis à vis de
l’Allemagne.
3
Géopolitique, n° 53, printemps 1996
14
15
Le graphique suivant reprend les courbes IS et LM. A gauche nous avons l’Allemagne ;
à droite nous avons un autre pays du SME. Les courbes BP sont horizontales car la mobilité
des capitaux est supposée totale.
L’asymétrie des politiques monétaires dans le cadre du SME
i
LM1
i
LM1
LM0
LM0
i1
b
i0
BP1
a
b*
BP0
c*
a*
IS1
IS
Allemagne
Y
Autres pays
IS0
Y
Partons d’une situation d’équilibre représenté par les points a et a*. Supposons que
l’Allemagne décide de réduire sa masse monétaire pour combattre l’inflation. Cela se traduit
par un déplacement vers la gauche de LM, le nouvel équilibre est b avec un nouveau taux
d’intérêt. Celui-ci va s’imposer dans les autres pays européens car si le taux restait à son
niveau d’origine, les capitaux partiraient et le taux de change fixe serait menacé. Autrement
dit, la nouvelle courbe BP passe par b et se prolonge sur la partie droite du graphique.
On est alors confronté à la réaction des autres pays qui se retrouvent devant 3
possibilités :
1- sortir du SME : lourd de conséquence au niveau politique
2- rester dans le SME et accepter la politique monétaire restrictive allemande : baisse de la
masse monétaire et déplacement de LM vers la gauche jusqu’à obtenir le point b*. Il se
produit une réduction de l’activité économique qui n’était pas désirée, qui a été « imposé »
par la domination de l’Allemagne dans le mécanisme du SME
3- dévaluer. Si la courbe en J fonctionne, la dévaluation entraîne une augmentation des
exportations vers l’Allemagne et une baisse des importations, et déplace la courbe IS vers
la droite : on atteint le point c*. Si la courbe en J ne fonctionne pas, en raison de l’inflation
importée par exemple, le volume des exportations et des importations reviendra à son
niveau initial, comme la courbe IS. On revient au point a*.
Finalement, le pays doit accepter de suivre la politique monétaire allemande s’il désire rester
dans le SME. Cet alignement des politiques monétaires a fait du SME une zone mark.
Ce fonctionnement asymétrique et non coopératif illustre assez bien le comportement de
la France. Pour maintenir sa crédibilité, elle n’a pas voulu dévaluer par rapport au DM et a
suivi la politique monétaire allemande. D’où le maintien de taux d’intérêt élevés pour
maintenir la stabilité des changes. Une coopération est toujours possible : elle signifierait que
l’Allemagne et ses partenaires décident ensemble de leur politique monétaire, ce qui
correspond graphiquement à un déplacement simultané des courbes LM, respectant l’égalité
des taux d’intérêt entre les pays. Le passage à la monnaie unique en 1999 résout ce problème
ou est censé le résoudre.
15
16
La politique consistant à lier le franc au mark a souvent été qualifiée de monétariste.
D’après Friedman, cela constitue un contresens absolu puisque le monétarisme est partisan
des changes flottants alors que la politique de la Banque de France est celle des changes
administrés.
Les pays du SME autres que l’Allemagne en sont venus à détenir des DM dans leurs
réserves et à les utiliser comme moyen d’intervention quand leur taux de change s’éloignait
trop de la parité officielle du DM. Le SME fonctionnait de manière aussi asymétrique que
Bretton Woods, à la différence que le pays leader avait une inflation inférieure à la moyenne
des autres pays. Mais au détriment de l’activité et de l’emploi. Les Français furent sensibles à
deux reprises aux arguments hostiles au SME et à l’UEM, une première fois en 1982-1983,
une deuxième fois en 1992-1993.
L’autre politique :
Fin 1982 début 1983, le président Mitterrand va prêter l’oreille aux partisans d’une autre
politique économique : il s’agit de laisser flotter le franc en le sortant du SME, de manière à
pouvoir dévaluer franchement sans avoir à négocier avec les Allemands, baisser les taux
d’intérêts, désendetter les entreprises et faire repartir l’investissement.
Tenant de l’ « autre politique », Jean Denizet écrit dans l’Expansion, 9/09/1983 : « (…)
Aujourd’hui, nous avons retrouvé des réserves, nos échanges extérieurs se sont redressés. Ne
perdons pas un centime pour défendre une parité mathématique indéfendable. Quittons
momentanément le SME. Choisissons un palier raisonnable du rapport dollar/franc et
défendons le : nous achèterons ainsi des dollars et des marks. Nous acquerrons une marge de
compétitivité supplémentaire vis-à-vis de l’Allemagne ».
Mitterrand se laissera persuader que le flottement est la pire des choses. Par tradition,
l’inspection des finances, la Banque de France et le Trésor sont attachés aux parités fixes. Ce
que ces institutions savent faire, c’est négocier des dévaluations avec le partenaire allemand.
Le flottement est pour elles une aventure sur laquelle elles n’auront pas prise.
Les effets collatéraux de la réunification allemande :
Pour éviter l’inflation née de la réunification, l’Allemagne augmenta ses taux d’intérêt
au début des années 1990. De décembre 1991 à septembre 1992, la Bundesbank a maintenu
ses taux courts à un niveau très élevé, au dessus de 9,5%, provoquant une explosion du SME.
En 1992-1993, les autorités monétaires françaises ont du relever les taux d’intérêt à court
terme, lesquels avoisinaient les 12%, démarche pénalisant la croissance et entrainant une
hausse du chômage (1991-1993). On a assisté alors au phénomène d’inversion de la courbe
des taux, les taux courts étant supérieurs aux taux longs (qui avaient tendance à baisser du fait
de la désinflation mondiale). Cette situation encourage les placements liquides à court terme
(Sicav monétaires) et décourage la prise de risque à long terme.
La politique monétaire de la France a alors été critiquée par de nombreux économistes,
comme Jean-Paul Fitoussi, dans Le débat interdit. L’économiste français Olivier Blanchard4,
enseignant au MIT, publiait en mars 1993 dans le journal Le Monde un article sévère pour la
politique économique de la France : « Ce ne sont pas des objectifs rigides et l’obstination qui
rendent une politique crédible, c’est le jugement par les marchés que le gouvernement
poursuit une politique cohérente et sera capable de s’y tenir. C’est pourquoi la politique
actuelle n’est en fait pas crédible : les marchés estiment que son coût politique va devenir
trop élevé et anticipent un changement à venir ».
Philippe Simonnot recommandait de laisser flotter le mark, ce qui permettrait de baisser
les taux en France pour desserrer le nœud coulant qui étouffe l’économie5.
4
5
« Pour un changement de politique économique », Le Monde, 16 mars 1993, p. 34.
« Laissons flotter le mark », Le Monde, 16 mars 1993, p. 35.
16
17
Jean-Jacques Rosa observe lui aussi que la politique monétaire restrictive – due à
l’alignement du franc sur le mark – est le premier facteur de chômage et fait en plus un
parallèle les années 1930 : « Le Traité de Maastricht qui institua le nouveau système de
changes fixes en Europe figurera dans les manuels d’histoire comme l’erreur ou, pis encore,
la faute de 1991, au même titre que les politiques déflationnistes des années 1930, et en
particulier celles des pays du Bloc or »6. Dans les années 1930, le maintien de l’étalon or a
aggravé la crise. Dans les années 1990, l’étalon mark a aggravé le chômage. Dans les années
1930, les pays qui sont sortis le plus tôt de l’étalon or ont mieux tiré leur épingle du jeu,
comme dans les années 1990 sont qui sont sortis du SME (Royaume-Uni dans les deux cas).
Le tableau suivant montre que la France a le taux d’inflation le plus bas en 1991 mais le
taux d’intérêt réel le plus élevé ; elle n’est pas vraiment récompensée de ses efforts en matière
de désinflation avec 3 millions de chômeurs.
Taux d’intérêt à long terme en 1991 (moyenne sur l’année) :
Taux d’inflation Taux d’intérêt nominal Taux d’intérêt réel
2.9
9.5
6.6
France
3.5
8.5
5.0
Allemagne
6.4
11.4
5.0
Italie
5.8
9.9
4.1
Royaume-Uni
4.2
8.2
4.0
Etats-Unis
3.3
6.5
3.2
Japon
Source : Principaux indicateurs économiques, OCDE, février 1992.
4) Faible croissance et chômage élevé
La convergence des taux de croissance s’est plutôt réalisée vers le bas. La croissance
des pays du SME a été plus faible que celle des pays de la CEE non adhérents (RU, Espagne,
Portugal) ou des autres pays industriels. De 1979 à 1987, le taux annuel de création d’emplois
fut de 0,1% dans la CEE, 9 fois moins qu’au Japon, 16 fois moins qu’aux EU. En raison des
rigidités sur les marchés du travail, le chômage de longue durée représente 50% du chômage
total dans la CEE au début des années 1990 contre 6% aux Etats-Unis et 19% au Japon.
Taux de
Taux de
Taux de
croissance
croissance
croissance
annuel moyen
annuel moyen annuel moyen
du PNB 1979du PNB 1983- du PIB 19901982
1990
1999
1,5
2,7
2,1
CEE
0,4
3,5
3
USA
4,0
4,5
1,7
Japon
Source : OCDE (1991), Perspectives Economiques.
-
6
Taux de
chômage
en 1979
Taux de
chômage
en 1990
5,5
5,8
2,1
8,4
5,5
2,1
Le SME n’entraine pas non plus de convergence entre pays membres :
disparité du taux de chômage : 1,3% au Luxembourg et 16,2% en Espagne en 1990
pas d’harmonisation des politiques budgétaires : l’Italie et la Grèce s’enfoncent dans le
déficit public, l’Allemagne et le Danemark équilibrent leur budget
disparité du solde courant : excédent élevé en Allemagne et aux NL, déficit au RU, En
Italie et en Espagne, jusqu’en 1990.
Jean-Jacques Rosa, L’erreur européenne, 1998, Grasset.
17
18
III) La marche vers l’Union Economique et monétaire : 1990-1999
A) Pourquoi passer du SME à la monnaie unique ?
1) Supprimer les effets pervers de la liberté de capitaux :
Dès 1987, le rapport Padoa-Schioppa notait que la liberté des capitaux était
incompatible avec la stabilité des changes et l’autonomie des politiques monétaires nationales.
En février 1988, le ministre des Affaires étrangères allemand, Hans-Dietrich Genscher publie
un mémorandum intitulé « Pour la création d’un espace monétaire européen et d’une banque
centrale européenne ». Le mémorandum Genscher débouche sur la création d’un comité de
réflexion, présidé par jacques Delors, crée en juin 1988 au sommet de Hanovre.
L’Acte unique européen signé en 1986 met en place un grand marché européen à partir
du 1er janvier 1993, notamment pour les services financiers et les capitaux. La libéralisation
des mouvements de capitaux est devenue effective le 1er juillet 1990 pour 8 pays (dont la
France), avec un régime transitoire pour l’Irlande et les pays du Sud jusqu’à fin 1992. Or la
liberté de mouvement des capitaux accroît deux effets jugés non désirables :
- la spéculation contre certaines monnaies du SME est plus forte en cas de crise
- la politique monétaire est encore moins indépendante (théorème de Mundell).
La monnaie unique évite ces deux problèmes. De ce point de vue, c’est la mobilité des
capitaux qui crée le lien entre le Grand Marché et la monnaie unique.
La thèse du déséquilibre créateur exposée par Elie Cohen7 théorise ce phénomène et le
replace dans un contexte historique plus large. Chaque étape de l’intégration européenne crée
un déséquilibre économique et politique dont les victimes aspirent à sortir par le « haut »,
d’où la nécessité d’une avancée supplémentaire de la construction européenne.
* début des années 1980, déclin industriel européen => acte unique européen signé en 1986
* à la fin des années 1980, marché unique => libertés de mouvements de capitaux => le
système de parités fixes peut déraper (été 1993) => monnaie unique.
* aujourd’hui, monnaie unique => union politique
En même temps, cela pose un problème de légitimité car les promoteurs de l’euro
refusent tout débat sur les modalités de la construction européenne. « L’élaboration du traité
de Maastricht a été conforme à la démarche suivie de longue date par la Commission de
Bruxelles qui consiste à retarder indéfiniment tout débat approfondi en présentant chaque
nouvelle mesure comme une étape indispensable et inéluctable, s’inscrivant dans le droit fil
des mesures précédentes et dont le rejet entraînerait l’anéantissement de tous les efforts
consentis jusqu’alors. La prise en compte des objections qui peuvent être formulées est
chaque fois reportée à une prochaine étape, et ainsi de suite. Les décisions passées sont ainsi
sans cesse avalisées tout simplement parce qu’elles constituent l’état de choses existant, et les
contraintes mêmes qui en résultent servent à justifier de nouvelles mesures qui sont
présentées comme une simple institutionnalisation de règles appliquées de facto
précédemment. Dans ce processus, le moment n’est jamais opportun pour s’interroger sur le
caractère optimal de la stratégie adoptée. A fortiori, toute interrogation sur les avantages et
inconvénients qu’il y aurait à choisir une autre stratégie est strictement prohibée. 8» souligne
André Grjebine, économiste à la Fondation nationale des sciences politiques.
7
Elie Cohen, La tentation hexagonale, la souveraineté à l’épreuve de la mondialisation,
Fayard, 1996.
8
Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992/4, n°71, p. 16.
18
19
2) Remédier à l’asymétrie constatée dans le SME :
Argument majeur des Français pour faire l’UEM : remédier à l’asymétrie constatée dans
le SME au profit du mark. Le comité Delors fait suite à une demande française d’ailleurs, le
gouvernement français estimant avoir subi les plus forts effets asymétriques du SME, et
espérant un rééquilibrage des positions.
Selon A. Grjebine, l’unification monétaire est pour la France un moyen privilégié de
diluer la suprématie économique et monétaire de l’Allemagne dans une communauté dont ce
pays ne serait qu’une des parties prenantes. Pour Alain Cotta, l’idée de derrière la tête de nos
inspecteurs des Finances est de déterminer, enfin, eux aussi, la politique monétaire
européenne, une fois l’unification réalisée. Cette ambition tient selon lui de l’arrogance.
3) Le lien avec la réunification allemande :
Elie Cohen explique que l’Allemagne obtint le soutien des européens pour la
réunification et en échange s’engagea sur l’UEM. En 1990, à Rome, l’Allemagne accepte le
partage du pouvoir monétaire avec 11 autres nations contre des règles du jeu allemandes
(BCE indépendante et entièrement dédiée à la lutte contre l’inflation).
« Certes, on peut dire que l’unification allemande a accéléré le processus de l’UEM,
mais sans oublier que ce projet a été relancé avant la chute du mur de Berlin et comme
venant couronner, en quelque sorte, l’effort d’intégration économique réalisé avec succès
grâce à l’objectif 92 du marché unique et à l’Acte unique » précise Jacques Delors9.
L’Allemagne n’a pas gagné grand-chose dans cette affaire puisqu’elle accepte de
partager le contrôle de sa monnaie, qui était devenue la base de son succès. Et surtout de le
partager avec des pays dont le casier judiciaire en matière d’inflation est bien chargé.
André Grjebine donne une raison supplémentaire. Il était plus simple, techniquement
parlant, de construire l’Europe monétaire que l’Europe sociale et l’Europe de la défense.
L’Europe monétaire sert d’alibi aux déficiences des dirigeants européens en d’autres
domaines (diplomatie, armée). « En réalité, faute de s’entendre sur la mise en commun des
aspects qui, selon le principe de subsidiarité, devraient pourtant l’être, les promoteurs de la
construction européenne se sont rabattus sur ceux qui étaient les plus faciles à adopter en
raison de leur technicité. Alors que le caractère symbolique d’une monnaie unique est en effet
très séduisant, la technicité du problème voile ses inconvénients... du moins tant que
l’expérience n’en a pas été faite. A contrario, on imagine les débats et les contestations que la
création d’une armée européenne aurait suscités. L’Europe monétaire sert ainsi d’alibi aux
déficiences des dirigeants européens en d’autres domaines. Or, comme on va tenter de le
montrer, passer dans un proche avenir à la monnaie unique en ignorant les différences
sociales et structurelles entre les pays membres ne procède pas d’une saine application du
principe de subsidiarité. 10»
Le rapport Delors est présenté en avril 1989 et sera adopté au sommet de Strasbourg en
décembre 1989, un mois après la chute du mur de Berlin. Il est basé sur l’idée que l’union
économique et l’union monétaire doivent se renforcer mutuellement. Il ressemble fort à
l’ancien plan Werner de 1970 et propose 3 étapes pour atteindre la monnaie unique. Aucun
calendrier précis n’est fixé pour le passage d’une étape à l’autre.
9
Le Monde, 28 avril 1998.
Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 18.
10
19
20
B) Les 3 étapes de l’accession à la monnaie unique :
-
La 1ère étape (engagement du processus) : 1990 à 1993
la liberté totale des mouvements de capitaux
une coopération renforcée entre banques centrales
une coordination renforcée des politiques économiques
chaque Etat doit rendre sa banque centrale indépendante
Pendant cette étape, les responsables de la CEE se mirent d’accord à Maastricht en
décembre 1991 pour amender le Traité de Rome. Le traité de Maastricht signé en février
1992 comporte plusieurs volets majeurs :
- il fonde l’Union européenne, laquelle entre officiellement en vigueur en novembre 1993
- il comporte l’Union politique (politique étrangère et de défense commune)
- il arrête le cadre juridique et le calendrier pour la mise en place de l’UEM, en reprenant
les grandes lignes du rapport Delors et fixe au plus tard au 1er janvier 1999 la réalisation
de la monnaie unique.
Le Traité de Maastricht ne pouvait entrer en vigueur avant que les membres ne l’aient
fait ratifier par un vote du parlement ou un référendum. Or, en juin 1992, les Danois rejetèrent
le Traité. En septembre les parités du SME furent soumises à de vives attaques spéculatives.
En 1993, les Danois acceptèrent un second référendum sur le Traité de Maastricht
après avoir obtenu de renoncer à participer à la monnaie unique. Le Parlement britannique fit
de même à une majorité très étroite. Danemark et RU bénéficient du droit de ne pas intégrer
l’UEM (clause d’ « opting out »), à la différence de leurs partenaires qui y sont obligés suite
au vote du Conseil européen.
Comment la réunification monétaire allemande a désorganisé le SME
Kohl, contre l’avis de la Bundesbank, annonce l’union monétaire avec l’est en 1990.
Pour lui, les problèmes d’intendance étaient secondaires, l’occasion était historique.
Le taux de 1 pour 1 entre le deutsche mark et l’ost mark a concerné l’épargne
individuelle dans la limite de 2 000 marks pour les moins de 15 ans, 4 000 marks pour les 1560 ans et de 6 000 marks au-delà de 60 ans, les salaires, loyers et autres paiements
périodiques. Le taux de 1 pour 2 a concerné le reste de l’épargne individuelle, les créances et
dettes. Visiblement, ce taux correspondait à une surévaluation du mark de l’Est car avant la
chute du mur sur le marché noir, le taux de change allait jusqu’à 1 DM pour 20 ost mark.
Karl Otto Poehl, président de la Bundesbank, critiqua cette décision et annonça des
problèmes qui survinrent (transferts massifs, difficultés à l’Est, inflation). En effet, avec ce
taux de change surévalué, les produits de l’Est ne sont pas compétitifs, entrainant fermeture
d’usines et chômage. Ce qui impliqua un coût budgétaire élevé pour l’Ouest, les sommes
transférées à l’Est s’élevant à 5% du PIB sur plus de 10 ans. Comme le gouvernement de
Kohl ne voulait pas augmenter les impôts, la réunification fut financée par la dette. Ce
stimulus fiscal entraîna des tensions inflationnistes.
La Bundesbank demande à Kohl de réévaluer le mark pour baisser les tensions
inflationnistes. La France refuse, ne voulant pas remettre en cause la parité DM/franc pour
des raisons de prestige national. Pour lutter contre l’inflation, la Bundesbank poussa les taux
d’intérêt à la hausse. Cette décision plaça ses partenaires devant un dilemme : resserrer leur
propre politique monétaire pour maintenir des changes fixes ou dévaluer leur monnaie par
rapport au DM. S’étant engagé dans le processus d’UEM, les gouvernements augmentèrent
leur taux d’intérêt ce qui accentua la récession économique. Les marchés pressentant que cette
politique n’était pas tenable, il s’ensuit une forte spéculation et les crises du SME en 1992 et
1993.
20
21
1992 : 1ère crise du SME.
La crainte du refus français au référendum en septembre 1992 encouragea la spéculation. Les
opérateurs anticipaient la dévaluation des monnaies faibles. Le 11 septembre 1992, la
Bundesbank dépensa 24 MM de DM pour défendre la lire, mais elle fut dévaluée de 7%.
Premier changement de parité depuis 1987.
Le mardi 15 septembre, le président de la Bundesbank Helmut Schlesinger déclara
qu’un réalignement des parités était nécessaire pour alléger les tensions macro-économiques
au sein du SME. Le 16 septembre, la £ et la lire sortirent du SME. L’Espagne dévalua la
peseta et réintroduisit le contrôle des changes. Fin 1992, l’escudo fut dévalué, et la peseta une
nouvelle fois. Début 1993, la livre irlandaise fut dévaluée, ainsi que l’escudo et la peseta.
Eté 1993 : 2ème crise du SME.
Pendant l’été 1993, suite à un nouveau désaccord sur les taux d’intérêt entre
l’Allemagne et les autres pays, la spéculation reprit. Pour le seul vendredi 30 juillet 1993, la
Bundesbank vendit 50 MM de DM pour défendre le franc pendant que la Banque de France
vendait la totalité de ses réserves. A partir d’août 1993, les bandes de fluctuations furent
portées à 15% : ce fut la seule solution pour éviter une dévaluation du franc.
A cette époque, la future monnaie unique suscitait de vives réserves sur sa faisabilité et
sa légitimité. Milton Friedman écrivait dans La monnaie et ses pièges, 1992 : « (…) Il y a une
chose dont je suis sûr : une monnaie unique (…) remplaçant toute les autres monnaies
européennes n’existera pas encore à la fin du vingtième siècle ».
Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste, déclarait en 1995 : « la course à la
monnaie unique n’unit pas, elle divise. Elle divise à l’intérieur de chacun des pays en
accroissant la fracture sociale. La course à la monnaie unique a plongé l’Europe dans une
récession dont elle n’arrive pas à sortir : désinflation conduisant à la déflation (…),
surévaluation de près de 30% du mark et des monnaies qui s’y rattachent, maintien, en
France surtout, de taux d’intérêt artificiellement élevés, pénalisant l’investissement et
l’emploi. (…). La monnaie unique divise entre eux les peuples de l’Europe. L’Allemagne (…)
est conduite à vouloir durcir encore les critères déjà éreintants de passage à la monnaie
unique. (…). L’Italie et l’Espagne feront antichambre ainsi que tous les pays de l’Europe du
sud. La Grande-Bretagne et le Danemark se tiendront sur la réserve11 ».
-
-
11
La 2ème étape (la convergence) : 1994 à 1998
la création de l’Institut Monétaire Européen, embryon de la future banque centrale
européenne. Il reprend les fonctions du FECOM qui est dissous. Il doit renforcer la
coopération entre banques centrales, superviser le SME et préparer la création de la
monnaie unique et de la BCE. La monnaie unique est baptisée « euro » en décembre 1995.
les pays sont tenus de respecter les 5 critères de convergence définis lors du Traité de
Maastricht s’ils veulent adopter la monnaie unique.
1. la stabilité des prix : le taux d’inflation d’un pays ne doit pas dépasser de plus de 1,5
point le taux d’inflation moyen des 3 Etats les moins inflationnistes.
2. la convergence des taux d’intérêt : le taux d’intérêt des obligations d’Etat à long terme
ne doit pas dépasser de plus de 2 points le taux d’intérêt moyen des 3 Etats membres
ayant les plus faibles taux d’intérêt.
3. le déficit public ne doit pas excéder 3% de son PIB.
4. la dette publique ne doit pas excéder 60% du PIB.
5. l’appartenance au SME depuis 2 ans au moins, sans dévaluation.
La monnaie qui désunit, Le Monde, 17 octobre 1995, p. 16.
21
22
Le contrôle des déficits publics recouvre deux autres obligations, qui doivent être
maintenus en phase 3 :
- la prohibition pour les banques centrales de fiancer les déficits publics.
- la clause d’absence de solidarité, stipulant que chaque Etat membre est seul responsable des
engagements de son secteur public.
Les critères de Maastricht ont fait l’objet de diverses polémiques. Voici les principales.
Ces critères sont fondés sur la notion de convergence nominale alors que la théorie des
zones monétaires optimales, depuis les premiers travaux de Robert Mundell (1961),
met l’accent sur la notion de convergence réelle (productivité, compétitivité,
croissance, emploi, PIB par habitant, solde extérieur). Grjebine souligne ironiquement
qu’« Avec de tels critères, on peut imaginer que le Portugal stagnant de Salazar
aurait été félicité et que l’Italie ou la France des années cinquante et soixante
auraient été stigmatisées, malgré leur remarquable expansion durant ces années ».
Les critères 3 et 4 sont définis en termes de limites absolues à ne pas dépasser. Ces
derniers ont été proposés dans une période de croissance (1991). Ce sont des critères
de situation plus que de convergence. Aussi le Traité de Maastricht prévoit qu’ils
puissent être appréciés en tendance, de manière souple.
Le critère des 3% de déficit public a été jugé arbitraire. Pourquoi ce seuil ? Michèle
Saint Marc, directeur de recherche au CNRS, rappelle que le seuil des 3% correspond
à la règle d’or des finances publiques selon laquelle « seules les dépenses
d’investissement peuvent être financées par l’emprunt ; or l’investissement public
dans la zone euro s’était élevé à 3% du PIB entre 1974 et 1991. 12» Charles Gave13
donne une autre explication : si les taux d’intérêt sont à 5%, avec une dette maximale
de 60% du PIB, le service de la dette représentera 3% du PIB et donc le solde primaire
sera en équilibre
Le fétichisme de ces critères : « Une construction européenne qui transforme les modalités
définies en valeur suprême, aux dépens d’un meilleur épanouissement des populations
concernées, tôt ou tard leur apparaîtra inacceptable. 14» écrivait André Grjebine en 1992.
Ces critères ont été qualifiés de monétaristes. C’est vrai pour la lutte contre l’inflation
mais c’est faux quand on sait que les monétaristes préconisent les changes flottants.
La notion de convergence est sujette à caution car plusieurs pays peuvent converger
vers une moyenne plus ou moins désirable. Ainsi, Dominique Strauss-Kahn
constatait : « Converger, c’est avoir des déficits budgétaires proches. Mais cela ne
veut pas dire obligatoirement entre 0% et 3% du PIB. On a confondu une obligation
technique et économique de convergence et un principe libéral qui voulait que cela
converge à un niveau très bas. Si deux ou trois pays ont un déficit budgétaire de 4%
du PIB, ils ont parfaitement convergé. Et c’est suffisant 15».
En Allemagne, Helmut Schmidt, ancien chancelier de la RFA, publiait en 1996 une
lettre ouverte adressée au président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, lui reprochant,
par sa politique monétaire trop dure et ses trop grandes exigences sur les critères
d’adoption de la monnaie unique, de risquer de faire capoter le projet de monnaie
unique, de faire apparaître l’Allemagne comme arrogante, et d’avoir des effets
économiques fâcheux .« Est-ce qu’en 1930, 1931, 1932, votre prédécesseur à la
Reichsbank ne nous a pas précipité dans le malheur d’un chômage massif à cause de
12
Le Figaro, 19 novembre 1999.
L’Etat est mort, vive l’Etat, Bourin, p. 104,
14
Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 17.
15
Libération, 31 janvier 1996.
13
22
23
cette même idéologie monomaniaque déflationniste, avec les conséquences politiques
affreuses que l’on connaît ?16 ». Il évoquait aussi la « mégalomanie allemande » à
propos du Pacte de stabilité voulu par Théo Waigel, ministre des Finances allemand.
Effet des critères de Maastricht
Effectivement, il y a eu convergence des taux d’intérêt à long terme pour les pays
européens, durant la période 1995-1999, avec des taux d’intérêt quasi égaux à partir de la fin
1998. On peut y voir un effet de la volonté de respecter le critère de Maastricht.
Cependant, d’après les opposants à l’euro, la marche vers la monnaie unique a couté à
la France un million de chômeurs entre 1992 et 1998. De 1992 à 1998, la France a connu un
taux de croissance annuel moyen du PIB de 1.7% contre 3.1% pour la Royaume-Uni, qui a
quitté la SME en 1992 et renoncé à l’euro. Lorsque la France et le Royaume-Uni étaient tous
deux dans le SME en 1992, leurs taux de chômage étaient comparables, respectivement à
10.4% et 10.2%. Six ans plus tard, en 1998, leurs taux de chômage sont respectivement égaux
à 11.8% et 6.5%.
Jean-Jacques Rosa fustigeait en 1998 les politiques déflationnistes inadaptées - alors
que l’inflation avait complètement disparu - qu’il comparait à celles suivies dans les années
1930 : « Les parités de change ‘définitivement fixes’ jouent aujourd’hui pour les pays de
l’Euroland le même rôle que le bloc or dans l’entre-deux-guerres17 ».
L’examen de passage
En 1991, quand ces critères ont été présentés, seuls 3 pays de l’UE (sur 12) les
respectaient : le Danemark, la France et le Luxembourg.
En mai 1998, le Conseil européen a désigné 11 pays remplissant les conditions
nécessaires pour participer à l’euro dès le 1er janvier 1999. Le Danemark et le RU ont fait
jouer la clause d’« opting out », qui leur permet de ne pas participer à l’euro, même s’ils
satisfaisaient les 5 critères.
Les critères ont été appliqués avec souplesse. Certains pays ne respectant pas certains
critères, il a été décidé de les apprécier en tendance. Par exemple, l’Italie avait en 1997 une
dette publique de 123,2% du PIB, soit plus du double du seuil autorisé, mais le Conseil a
considéré que l’Italie était sur la bonne voie car elle avait baissé par rapport à l’année
précédente (123,7%). Concernant le critère de la dette publique, 6 pays sur les 11 ne
respectaient par le critère de Maastricht. Heureuse flexibilité ou laxisme préoccupant ?
-
-
La 3ème étape (mise en place de l’euro) : janvier 1999
Le passage à l’euro (1 euro = 1ECU), avec des taux de conversion irrévocablement fixés
par rapport aux 12 monnaies européennes18 (1 euro = 6.55957F = 1.95583 DM). Les
transactions interbancaires, les opérations de change et les émissions d’obligation d’Etat
se font en euros dès 1999.
La création de la BCE et du système européen de banques centrales (= BCE + les Banques
centrales nationales). La politique monétaire est décidée par le conseil des gouverneurs de
la BCE ; il comprend les gouverneurs des banques centrales qui participent à l’UEM et les
membres du directoire. Le directoire comprend 6 membres : le président, le vice-président
et 4 directeurs ; ils sont tous nommés par le Conseil européen (chefs d’Etat et de
gouvernement), d’un commun accord, en fonction de leurs compétences. Leur mandat est
16
Le Monde, 9 novembre 1996.
Danger immédiat, Le Figaro, 4 septembre 1998.
18
Le franc disparaît. C’est une très vieille monnaie qui remonte à Jean Le Bon (1319-1364). Elle avait été
frappée pour payer l’énorme rançon du roi, tombé prisonnier des Anglais après la bataille de Poitiers (1356).
« Franc » signifie « libre », comme dans « franc-tireur » ou « affranchir ».
17
23
24
de 8 ans, non renouvelable. Les réunions sont confidentielles, mais leurs résultats peuvent
être rendus publics.
3 articles montrent que la BCE a été bâtie sur le modèle de la Bundesbank :
article 104 : interdit à la BCE d’accorder des crédits aux collectivités publiques
article 105 : l’objectif de la BCE est de maintenir la stabilité des prix
article 107 : indépendance vis-à-vis du pouvoir politique : « ni la BCE, ni une banque
centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni
accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des
Etats membres ou de tout autre organisme. En retour, ces derniers s’engagent à respecter ce
principe et à ne pas chercher à influencer les membres du système européen de banques centrales
(SEBC) dans l’accomplissement de leurs missions ».
-
La circulation des billets et pièces en euros à partir de janvier 2002
C) Les avantages et les coûts potentiels d’une monnaie unique :
Le rapport Emerson (1990) de la Commission européenne, Marché unique, Monnaie
unique, en évalue les avantages et les coûts.
1) Les avantages de la monnaie unique
a) Les gains liés à la circulation d’une seule monnaie :
La suppression des coûts de transaction sur les devises : calculs de conversion,
commissions (gains évalués à 0,5% du PIB de l’UE).
La suppression des coûts de couverture de change liés au recours aux marchés à terme
et aux marchés dérivés19. En l’absence de risque de change, le capital s’investira dans
les secteurs les plus productifs au niveau de l’UE.
Le renforcement de la transparence et de la concurrence : la monnaie unique est un
complément et un stimulant du marché unique.
La disparition des dévaluations compétitives opérées dans d’autres Etats
La disparition des attaques spéculatives sur les marchés des changes et l’inutilité de
détenir des réserves de change
b) Les gains liés à la disparition de l’asymétrie inhérente au SME :
La participation par chaque banque centrale à la politique monétaire : celle-ci est
désormais placée sous la gestion de la Banque centrale européenne où les gouverneurs
de chaque banque centrale sont représentés alors qu’avec le SME elle était placée de
fait sous la gestion de la Bundesbank ; il semble préférable de participer au processus
de décision que de devoir le subir. L’euro apparaît comme un moyen de sortir de la
zone mark.
L’élimination de la prime de risque sur les taux d’intérêt, correspondant au risque de
perte en capital si un pays dévalue sa monnaie. Ce risque est jugé d’autant plus élevé
pour les pays traditionnellement inflationnistes (France, Italie). Les autorités
monétaires de ces pays doivent maintenir des taux d’intérêt plus élevés que les taux
allemands pour attirer les investisseurs. En cas de monnaie unique, ce risque est nul et
les taux d’intérêt peuvent baisser, stimulant la demande et l’investissement.
19
L’importance de ce gain est à relativiser. Ainsi le PDG de Peugeot Citroën, Jacques Calvet, faisait remarquer
que les frais de change et de couverture à terme représentaient moins d’un demi-millième de son chiffre
d’affaires.
24
25
Ces gains concernent peu l’Allemagne. D’où le marché : les autres pays européens
acceptent la réunification allemande (1990) et l’Allemagne accepte une monnaie unique,
malgré l’hostilité des dirigeants de la Bundesbank.
c) L’accession au rang de monnaie internationale :
Disparition des coûts de conversion pour les Européens engagés dans le commerce
international
Marché plus large et rémunérateur pour les banques européennes.
Redistribution du seigneuriage au profit de l’Europe et au détriment des USA.
La création de l’euro permettra de nous affranchir de l’influence monétaire des EtatsUnis et de doter l’Europe d’une grande monnaie internationale, a déclaré Lionel Jospin à
l’Assemblée nationale le 21 avril 1998.
Dans un entretien au Monde en 199620, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de
France, énonçait les quatre raisons pour lesquelles l’euro devait être un atout majeur pour
l’économie française.
« D’abord, parce que nous aurons un grand marché unique européen, enfin achevé, à l’instar du
marché des Etats-Unis, sans aucun « frottement » ni risque monétaire, sans aucun coût de
transaction.(…) Nous aurons davantage de croissance, davantage d’emplois et nous lutterons mieux
contre le chômage grâce à la monnaie unique.
Ensuite, parce que les citoyens français de sentiront partout chez eux en Europe, en pouvant utiliser
une seule monnaie partout où ils iront. L’ambition de l’Union européenne, c’est de faciliter la vie de
nos concitoyens, la vie des gens. C’est particulièrement vrai pour les jeunes, pour lesquels il n’y a
plus de frontières…
En troisième lieu, parce que l’euro contribuera progressivement à nous immuniser contre les
fluctuations mondiales de change : au sein même de l’Europe par la vertu de la monnaie unique ; à
l’extérieur par l’utilisation progressive de l’euro comme monnaie de compte pour les importations et
les exportations européennes.
Enfin, parce qu’en créant un très grand marché financier profond et liquide en Europe on offre aux
opérateurs du monde entier l’occasion d’investissements très attractifs et donc à l’économie
européenne des conditions de financement meilleures ».
2) Les coûts potentiels :
Les coûts d’une monnaie unique sont connus : il s’agit de l’abandon de l’autonomie
monétaire, de la liberté de conduire une politique monétaire indépendante et de se servir du
taux de change comme instrument de politique économique. Le débat pour ou contre l’euro
s’assimile au vieux débat entre monnaie unique ou taux de change flexibles.
Ces coûts ont été mis en avant par les eurosceptiques, le terme regroupant des
positions différentes suivant les pays.
Pour les Britanniques, l’UEM est une entreprise constructiviste créant une fédération
artificielle, antilibérale, bridant les marchés, au profit de bureaucrates apatrides et
irresponsables. Thatcher reprochait au rapport Delors de transférer la souveraineté nationale
vers des organismes communautaires planificateurs et bureaucratiques. Le projet britannique
était fondé sur le principe de concurrence entre les monnaies (Hayek). Les monnaies
nationales seraient maintenues, une monnaie commune circulerait parallèlement aux
monnaies nationales. Le marché déterminerait la monnaie victorieuse.
Pour les Allemands, on ne touche pas à un ordre monétaire et une monnaie - le mark qui a fait ses preuves en ayant vaincu l’hyperinflation, été plébiscité par les marchés, à
l’origine d’une longue prospérité et indépendant du pouvoir politique. La monnaie unique doit
couronner la convergence réelle préalable.
20
Le Monde, 24 décembre 1996, p. 17.
25
26
Les Danois et les Suédois mettent en avant le refus du modèle fédéraliste et la défense
du modèle social scandinave et l’Etat providence.
Les eurosceptiques français ont un discours souverainiste basé sur la volonté de
préserver l’Etat nation, le refus de la politique monétariste et la nécessité de maintenir le
privilège de battre monnaie.
Le point de vue des économistes américains sur l’euro :
- Martin Feldstein21, de Harvard, expliquait dès 1992 que l’euro pourrait contrarier le
développement des échanges intracommunautaires. L’intégration économique favorise des
spécialisations étroites. Les inconvénients de la spécialisation ne pourront plus être
contrecarrés par une politique monétaire nationale ; dès lors la spécialisation deviendra
moins séduisante et les gains potentiels de l’échange s’en trouveront réduits.
- Feldstein soutenait en 1997 que « Au lieu d’accroitre l’harmonie et la pais entre
Européens, l’UEM et l’intégration politique attendue conduiront plus sûrement à
davantage de conflits au sein de l’Europe et avec les Etats-Unis 22». Car selon lui, les
pays membres vont s’opposer sur les buts et les méthodes de la politique monétaire de la
BCE (divorce entre Allemands et Français notamment). Ces oppositions seront ensuite
exacerbées par les différences de conjoncture entre pays. Ce qui contribuera à une
défiance croissante des peuples à l’égard de l’euro et de l’Europe, et la multiplication des
conflits sans fin sur le partage du pouvoir. Pour préserver leur modèle social, les
Européens vont se protéger derrière des barrières protectionnistes.
- Robert Mundell, de Columbia, l’euro est un facteur de prospérité et de paix. Il écrivait en
1997 : « Une union monétaire bien gérée comprenant la plupart des pays membres de
l’UE aujourd’hui, l’essentiel des nations européennes demain, apportera un bénéfice
considérable pour les peuples d’Europe, mais aussi pour les peuples du reste du monde,
les Américains en particulier ». Les Européens tireront avantage « d’une politique
monétaire commune assurée par les meilleurs esprits que l’Europe peut réunir ».
21
22
Martin Feldstein, « The case against E.M.U.”, The Economist, 13 juin 1992, pp. 19 à 22.
Foreign Affairs, novembre-décembre 1997.
26
27
IV) La zone euro : une zone monétaire optimale ?
A) Les critères des ZMO appliqués à la zone euro
A l’origine, le débat sur les ZMO, initié en 1961 par Robert Mundell, visait à éclairer le
choix entre les changes fixes et flottants. Il s’agissait de savoir à partir de quel moment deux
ou plusieurs pays ont intérêt à se lier entre eux par un système de changes fixes. La mise en
place de la monnaie unique n’étant qu’une forme radicale du passage aux changes fixes.
Une zone monétaire optimale (ZMO) est une région géographique dans laquelle il
serait bénéfique d'établir une monnaie unique ou des changes fixes.
La disparition de l’ajustement par le taux de change suppose le fonctionnement d’autres
modes d’ajustement en cas de chocs asymétriques. Analysons ces différents modes
d’ajustement analysés par les économistes, c'est-à-dire les critères des ZMO.
1) La mobilité des facteurs de production (Mundell23, 1961)
En présence d’un choc, l’ajustement pourrait se réaliser par des mouvements de
facteurs, et plus particulièrement du travail. Un choc négatif pesant sur la demande globale en
France provoquerait une baisse de la demande de travail ; l’excédent de main d’œuvre
pourrait alors se déverser en Allemagne.
Or en Europe la mobilité du travail est faible. Les différences de langue et de culture la
découragent entre les pays européens. Il existe aussi des obstacles institutionnels : un chômeur
qui va dans un autre pays d’Europe pour chercher du travail risque de perdre ses droits à
prestations. Jouent aussi la non reconnaissance universelle des diplômes, l’existence d’un
salaire minimal et les frais entrainés par l’achat et la vente d’un bien immobilier.
Comme le montre le tableau suivant, la mobilité est plus grande aux USA que dans
chaque pays européen, et donc à fortiori entre les pays européens :
Personnes changeant de région de résidence en 1986 (en % de la population totale)
GB
France
Allemagne
Italie
Japon
USA
1.1
1.3
1.1
0.6
2.6
3.0
Source : OCDE, Perspectives d’emploi de l’OCDE, juillet 1990, tableau 3.3.
Barry Eichengreen (1990) a montré que les différences régionales de chômage sont
beaucoup plus faibles et moins persistantes aux EU que dans l’UE. Olivier Blanchard et
Lawrence Katz (1992) ont montré qu’aux EU le chômage régional était éliminé presque
entièrement par la mobilité des travailleurs, ce qui n’est évidemment pas le cas en Europe !
L’OCDE notait à la fin des années 1990 qu’il n’y a que 5,5 millions de ressortissants de l’UE,
sur un total de 370 millions, qui résident dans un autre Etat membre, soit 1,5% de la
population. Selon Bourguinat, il n’y a pas plus de mobilité de travail dans la zone euro
qu’entre la zone euro et l’extérieur.
Dans les années 1960, Robert Mundell prend position dans le débat sur les taux de
change. A la différence de Friedman, partisan des monnaies flottantes, Mundell se prononce
en faveur des parités fixes. Il justifie la fixité par son désir de faire peser sur les banques
centrales des contraintes suffisantes pour les dissuader de jouer avec leur monnaie. Il a reçu le
prix Nobel d’économie en 1999. Sollicité par des journalistes de Libération pour savoir s’il
était le père de l’euro, il a répondu : « C’est un peu fort. Peut-être le parrain, peut-être un des
parrains ».
23
Mundell R., “A theory of optimum currency areas”, American Economic Review, 51, 1961.
27
28
2) L’intensité des échanges commerciaux dans la zone : MacKinnon24 (1963)
Le principal avantage des changes fixes est de réduire les incertitudes, de diminuer les
coûts de calcul et de transaction résultant des changes flottants. Ces gains sont d’autant plus
élevés que les pays de la zone échangent intensément entre eux.
De plus,
lus, en cas de choc asymétrique dans un pays, on va assister à une baisse de la
demande, une baisse des prix, et une relance des exportations. Si le pays est ouvert, l’effet de
relance sera fort. En revanche, si le pays est clos, l’effet de relance sera faible.
faible.
Ce critère éclaire le choix des petits pays comme les Pays-Bas,
Pays Bas, l’Autriche, très liés
lié
commercialement à l’Allemagne, qui ont longtemps privilégié un lien fixe avec le mark.
Il est plutôt satisfait en Europe car le commerce régional est fort,, il s’élève à 72% des
exportations,, contre 51% en Asie et 48% en Amérique du Nord, 26% en Amérique du Sud.
Le critère de MacKinnon nous permet en outre de savoir à partir de quand un pays a
intérêt
êt à adopter une monnaie unique.
unique Le passage à la monnaie unique apporte en effet des
bénéfices liés à la baisse des coûts de transaction, comme nous venons de le voir, mais aussi
des coûts proviennent du fait que le pays renonce à utiliser sa politique monétaire et son taux
de change pour stabiliser son économie en cas
cas de choc économique. Cette perte de stabilité
économique diminue avec le degré d’intégration économique.
économi
Comme le montre le graphique
suivant, une union monétaire est préférable si le degré d’intégration est fort.
Gains
ains et pertes pour un pays qui rejoint
rejoin une zone de changes fixes
La crise finlandaise permet d’illustrer l’intérêt des changes flottants en cas de faible
intégration économique, et donc par effet de miroir, le coût des changes fixes.
Entre 1991 et 1993, le PIB de la Finlande – pays spécialisé
lisé dans le bois et exportant
beaucoup vers l’ex-URSS - s’est
’est effondré de 12% à cause de la chute de l’URSS. Comment
l’économie s’est-elle ajustée ? Le mark finlandais s’est déprécié de 28%, les exportations ont
augmenté de 24% et la croissance est revenue
revenu à 4,5% en 1994.
En modifiant son taux de change,
change un pays peut réussir à absorber les effets perturbateurs
de chocs économiques.. Ceci est impossible en changes fixes.
24
MacKinnon R. “Optimum currency areas”, American Economic Review, 53, 1963.
28
29
3) La similarité des structures économiques : Kenen25 (1969)
Idée de base : l’union monétaire est viable si elle rassemble des pays ayant des
structures suffisamment proches les unes des autres de manière à ce que tout choc
asymétrique soit absorbé sans recours à des modifications de change.
La similarité des structures économiques procure deux avantages. D’une part, la
probabilité de rencontrer un choc asymétrique diminue au fur et à mesure que les structures
des économies nationales convergent. Dans le cas extrême où les économies sont identiques,
elles subissent les mêmes chocs. D’autre part, un choc exogène sur un secteur particulier ne
nécessitera pas d’ajustement de grande ampleur, vu que l’économie n’est pas concentrée dans
ce secteur. Ce critère est donc synonyme de diversification de la production nationale.
A contrario, une spécialisation excessive rend plus vulnérable aux chocs. Par exemple,
un pays mono-exportateur aurait intérêt à adopter les changes flottants pour amortir
l’instabilité du cours des matières premières. De même, la Finlande, spécialisée dans le bois, a
pu sortir de la crise de 1991 suite à la chute de l’URSS grâce à la dévaluation.
Un choc économique correspond à une modification brutale et non anticipée de l’offre ou
de la demande globale d’un pays. Il peut être interne comme un dérapage salarial, une
modification de politique économique, une catastrophe naturelle. Il peut être externe comme
la hausse du prix du pétrole ou une appréciation de la monnaie d’ancrage.
Les chocs sont asymétriques s’ils affectent différemment les pays. La hausse du prix du
pétrole tend à dégrader la balance courante des pays importateurs de pétrole mais améliore
celle des pays exportateurs.
Ex : en 1968, la France, suite à une hausse brutale des salaires, a connu un choc asymétrique interne. Les déséquilibres qui ont suivi ont été corrigés par la dévaluation de 1969.
Quand un choc asymétrique survient, les effets sont différents et le taux de change peut
servir à absorber les effets de ce choc. La dévaluation fait baisser le prix des biens exportés,
du point de vue de l’étranger, accroit les exportations et l’offre nationale. Mais cet effet
positif est limité voire annulé par le fait que la dévaluation accroit le prix des biens importés.
En résumé :
1- seuls des chocs asymétriques peuvent être corrigés par une variation des taux de change
2- la probabilité de rencontrer des chocs asymétriques diminue au fur et à mesure que les
structures des économies nationales convergent
3- les effets réels d’une dévaluation apparaissent seulement dans le court terme.
Quid du respect de critère ? Les pays européens ne sont pas totalement dissemblables
dans leur structure, comme le montre l’importance du commerce intra-industriel. Cependant,
l’Europe du Nord est plus riche en capital et travail qualifié que l’Europe du Sud. Le marché
unique européen peut soit éliminer ces différences en redistribuant le capital et le travail à
travers l’Europe, soit encourager la spécialisation régionale pour exploiter les économies
d’échelle et les avantages comparatifs. A terme, la synchronisation des cycles pourrait se
réduire.
Barry Eichengreen et Tamin Bayoumi26 trouvent beaucoup plus d’uniformité dans les
réactions des Etats composant les Etats-Unis qu’au sein de la CEE et ce, aussi bien pour des
chocs d’offre ou de demande. Les divergences entre pays européens ne se sont pas réduites au
cours du temps.
25
Kenen P., “The theory of optimum currency areas : an eclectic view”, in Mundell et Swoboda, Monetary
problems of the international economy, Chicago University Press, 1969.
26
« Shocking Aspects of European Monetary Unification », National Bureau of Economic Research, Working
Paper, n°3949, Cambridge, Massachusetts, 1992.
29
30
4) L’intégration budgétaire (Johnson27, 1969)
L’ajustement s’opère ici par des transferts budgétaires des régions prospères vers les
régions touchées par un choc. Cet ajustement implique une certaine centralisation budgétaire,
d’où le nom de fédéralisme fiscal donné parfois à ce critère.
Mais le pouvoir de taxation dont dispose l’UE est très limité. Le budget européen ne
représente que 1,27% du PIB communautaire et il est déjà alloué en grande partie à des
dépenses structurelles (PAC, fonds structurels). Les Européens sont-ils prêts à accepter des
transferts budgétaires aussi élevés qu’en Allemagne suite à la réunification ?
Pour ce critère, la comparaison avec les USA est éclairante. Selon Jeffrey Sachs et
Xavier Sala-i-Martin28, en moyenne, pour un dollar de revenu perdu, un Etat américain voit
diminuer le prélèvement fiscal de 35 cents, et les transferts fédéraux augmentent de 3 cents.
Au total, le revenu d’un Etat en récession, après redistribution, ne baisse que de 62 cents pour
1 $ de revenu perdu. Autrement dit, aux USA une baisse du revenu par tête de 1 dollar est
absorbée à hauteur de 40% grâce au système fédéral. L’absorption du choc passe surtout par
une réduction notable des taxes fédérales pour l’Etat affecté plutôt que pas une hausse des
transferts. En Europe, une récession de 1 $ diminue le prélèvement fiscal de 0,5 cent en
moyenne. On peut donc affirmer que ce critère n’est pas actuellement respecté en zone euro.
Les inconvénients d’une monnaie unique avec redistribution budgétaire :
Par Jean-Luc Migué, Monnaies et politique : le débat oublié29.
« (…) dans un régime de changes flottants entre monnaies circulant librement, entreprises
et individus peuvent librement détenir leurs actifs dans la monnaie de leur choix. Les autorités de
chaque pays n’ont pas d’autre choix que de se conformer à ce que désirent les citoyens. Lorsqu’un
gouvernement mène une politique économique irresponsable, il incite les mécontents à choisir une
autre monnaie, ce qui en fait apparaître clairement le coût à tous et l’affaiblit politiquement. (…)
Un régime d'union monétaire avec transferts compensatoires n'incite à aucun ajustement,
et ne peut donc pas exercer l'influence stabilisante qu'on lui prête. Il déplace seulement le point
d'impact du coût d'ajustement : des régions ou pays qui se comportent de la manière la plus
irresponsable en économie vers celles ou ceux qui sont les plus efficaces parce qu'ayant adoptées
les politiques économiques les plus libérales. La seule existence d'un mécanisme de transferts
financiers centralement coordonnés neutralise les processus d'ajustement. Il en résulte un
problème d'aléa moral qui joue de la même manière que l'on soit dans un régime monétaire à
monnaie unique ou à plusieurs monnaies. (…)
Ce n'est pas parce que l'on a un marché unique que celui-ci doit nécessairement
s'accompagner d'une monnaie unique ou d'arrangements de coopération et d'harmonisation
particuliers. Pas plus qu'il n'est nécessaire de ne plus avoir qu'une seule politique sociale, ou une
seule langue. En tout état de cause, comme il n'existe aucun moyen de deviner par avance ce que
seraient les limites de la zone monétaire optimale, il n'y a que le mécanisme de découverte du
marché qui peut nous dire si nous avons besoin d'une ou plusieurs monnaies. Si les avantages que
l'on prête à l'existence d'une monnaie unique européenne, ou au nom desquels certains sont prêts
à abandonner l'utilisation d'une monnaie canadienne propre - sont aussi grands qu'on le dit (en
raison des économies d'échelle et de coûts de transaction qui y sont liés), il n'y a pas de souci à se
faire : c'est vers cela que le marché tendra naturellement. Mais entretemps, la présence d'une libre
concurrence entre plusieurs monnaies - tant qu'elle ne sera pas neutralisée par l'intervention
discrétionnaire d'une autorité supranationale - aura au moins contribué à protéger nombre de gens
contre les méfaits de décisions nationales économiquement erronées. (…)
Il est préférable que les décisions économiques et monétaires demeurent du ressort national
dans la mesure où cela implique que les gouvernements restent soumis à des disciplines
concurrentielles éliminées par le passage à l'union. Paradoxalement c'est en maintenant la
souveraineté monétaire au niveau des autorités nationales que l'on a relativement moins de risque
de voir les pouvoirs publics s'engager dans des politiques de redistribution économiquement
perverses. »
27
Johnson H.G., “The case for flexible exchange rates”, Federal Bank of Saint Louis Review, 51 (6), 1969.
Xavier Sala-i-Martin & Jeffrey Sachs, 1991. "Fiscal Federalism and Optimum Currency Areas: Evidence for
Europe From the United States," NBER Working Paper No. 3855.
29
http://www.euro92.com/edi/bull/archives/arch23migue.htm
28
30
31
5) L’intégration financière : Ingram (1969)
La mobilité des capitaux permet le financement des déficits publics par les épargnants des
autres pays, en particulier grâce au marché des titres à long terme, sans pression sur les taux
d’intérêt. Cependant, on peut émettre une réserve quant à la pertinence de ce critère :
l’ouverture des marchés ne garantit pas l’afflux spontané de fonds privés vers un pays
subissant un choc. Sur l’exemple des Etats-Unis, A. Atkeson et T. Bayoumi (1993) montrent
que la forte intégration des marchés financiers multiplie les mouvements de capitaux, mais
sans pouvoir les orienter de façon significative vers les régions connaissant des déséquilibres
conjoncturels.
6) Les autres critères :
- le même niveau d’inflation (Haberler et Fleming, 1971) L’effet "Balassa-Samuelson" revient
à considérer que l'égalisation des prix par le taux de change, c'est-à-dire la détermination du
taux de change selon la parité des pouvoirs d'achat (PPA), ne peut se faire qu'entre des
économies ayant le même niveau de développement et d'efficacité du capital et de la maind’œuvre, les pays en retard connaissant systématiquement une inflation plus forte que les pays
avancés. Par conséquent, une union monétaire ne peut associer que des pays économiquement
semblables.
- le critère des préférences homogènes : les objectifs de politique économique des différents
gouvernements doivent converger, notamment en matière d’inflation. Cooper (1977).
Kindelberger (1986)
- la synchronisation des cycles économiques : car derrière la monnaie unique, la politique
monétaire est uniforme, que ce soient les taux d’intérêt à court terme auxquels se refinancent
les banques ou le taux de change.
- le caractère endogène des critères d’optimalité (Frankel et Rose, 1998) : une union
monétaire, initialement non optimale, peut progressivement le devenir si le nouveau régime
fait converger les taux d’inflation, favorise l’intégration commerciale, accroit la corrélation
des revenus entre pays et finalement renforce leur capacité d’absorption des chocs.
L’unification monétaire impose des contraintes qui mettent en route un engrenage vers
l’unification économique.
Bilan :
A la question : diriez-vous, aujourd’hui, que l’Europe est devenue une zone monétaire
optimale ? le prix Nobel Robert Mundell répondait en 2000 : « Plus ou moins. Une zone
monétaire optimale, c’est forcément quelque chose d’assez relatif. Je dirais que c’est plutôt
un objectif qu’un état définitif. Elle implique une bonne mobilité de la main-d’œuvre et du
travail. De toute façon, je ne vois ça moi-même que comme une théorie et les théories n’ont
qu’une fonction, bien limitée : nous aider à penser une réalité. Il ne faut pas s’y accrocher
religieusement. Ce qu’on retiendra, à l’avenir, c’est que l’Europe s’est dotée d’une monnaie
unique, forte, qui constituera un pôle d’attraction de plus en plus irrésistible pour la livre et
toutes les autres monnaies du continent. Pour les pays de l’ancien bloc communiste, l’euro va
devenir un phare, qui va les attirer comme des papillons. Il sera bien plus stable que ne
l’étaient vos anciennes monnaies nationales, y compris le mark allemand.30 »
Pourtant, si on analyse objectivement les différents critères, en Europe le degré
d’unification n’est pas assez grand pour la fixité des taux de change, la mobilité du travail
n’est pas suffisante, les structures économiques trop hétérogènes, les transferts fiscaux trop
faibles. Inversement, aux USA, le facteur travail migre facilement vers les régions en
30
Capital, janvier 2000, p. 147.
31
32
expansion alors que celles en récession sont stimulées par des transferts fiscaux. Les
conséquences des chocs asymétriques ont donc tendance à se corriger d’eux-mêmes.
Pour se rassurer, on peut signaler que le Professeur Herbert Giersch, de l’Université de
Kiel, avait démontré, à partir des critères de Mundell, que la RFA elle-même ne constituait
pas une ZMO. Et Tootell a montré que les USA ne constituaient pas non plus une ZMO. Et
pourtant dans les deux cas circulait ou circule une seule monnaie.
Les Etats-Unis constituent-ils une ZMO ?
L’étude de Geoffrey Tootell publiée par la Banque Fédérale de Réserve de Boston en 1990
montre que 6 grandes régions constituent des ZMO à l’intérieur des USA : Far West, Sud-Est,
Farm Belt, Midwest, Etats atlantiques, New England. D’ailleurs la division du système de la
FED en 11 districts bancaires correspond à peu près à ces zones.
Gosh et Wolf, How many monies ? », NBER, 1994, aboutissent à la même conclusion. Ils
chiffrent les pertes de bien-être (substantielles) résultant de l’imposition d’une seule monnaie.
Avec 20 ou 30 monnaies, ces pertes seraient quasi nulles.
Pourtant, même si les USA ne sont pas une ZMO, ils sont pu conserver une monnaie unique
depuis plus d’un siècle. Pourquoi ?
- D’une part, la centralisation monétaire s’est faite plus d’un siècle après la centralisation
politique
- D’autre part, il existe un véritable fédéralisme fiscal : le revenu d’un Etat en récession,
après redistribution, ne baisse que de 62 cents pour 1 $ de revenu perdu
Source : Jean-Jacques Rosa, L’erreur européenne,
Pourquoi la zone euro fonctionne mal : le point de vue prophétique de V. Klaus :
Vaclav Klaus déclarait en 1998 : « Alors que les critères bien connus de Maastricht sont de
nature macroéconomique, la théorie des zones monétaires optimales est définie en termes
microéconomiques, ce qui est tout différent. Le niveau des déficits budgétaires ou de la dette publique
n’a aucune espèce de lien avec la rigidité des salaires ou la mobilité du travail. Il y a par contre une
relation possible entre ces deux domaines à travers la politique budgétaire et fiscale. Et je suis
d’accord avec ceux qui soutiennent que l’union monétaire nécessite une fiscalité fédérale pour
fonctionner correctement. (…)
Comme l’union monétaire élimine les variations nominales des taux de change nous devons
nous demander ce qu’il en est de la flexibilité des prix et des salaires et de la mobilité du travail en
Europe. Je ne pense pas qu’elles soient suffisantes à présent pour garantir un ajustement rapide des
taux de change réels. Et s’il en est ainsi il faut faire entrer la politique budgétaire et fiscale en ligne
de compte. Mais la politique budgétaire et se situe au cœur de la souveraineté nationale. C’est
pourquoi je suis persuadé que le débat sur l’union monétaire doit s’accompagner d’un débat sur
l’union fiscale et budgétaire de l’Europe. Et si je ne m’abuse un tel débat n’a pas encore commencé,
ou au moins pas de façon sérieuse. (…)
C’est ce qui explique que la question de la monnaie unique ne se limite pas à des
considérations d’économies sur les changes et les coûts de transaction. Il s’agit aussi de
représentation et de mécanismes politiques, et d’institutions appropriées.31 ».
Klaus prend l’exemple de l’ancienne Tchécoslovaquie, qui était une union monétaire. Le pays
était trop vaste pour constituer une zone monétaire optimale et il fallait envoyer de l’argent de la
Tchéquie vers la Slovaquie. Ces transferts étaient possibles grâce à l’union politique. Quand l’union
politique s’est dissoute en 1992, l’union monétaire n’a pas pu durer plus de six semaines.
Par conséquent, il est nécessaire de savoir si une union monétaire peut exister sans
union politique.
31
Le Figaro, 24 avril 1998, article paru initialement dans Central European Economic Review, 1998.
32
33
B) Les leçons de l’histoire : l’union politique précède l’union monétaire
L’unification monétaire accompagne les empires. La Rome de César impose une
monnaie commune en Europe, en Afrique et en Asie mineure. Charlemagne reproduit un
schéma analogue et les hommes partagent la même monnaie de la Tamise au Tibre. Charles
Quint (1500-1558) tente de construire une union monétaire dans ses terres germaniques. Les
nombreuses monnaies locales sont assises sur le marc de Cologne. Mais les seigneurs locaux,
jaloux de leur souveraineté, font échouer la mesure.
En 1753, l’Autriche, la Bavière et les Etats du sud de l’Allemagne, rejoints ensuite par
la Prusse, adoptent une monnaie commune, appelée thaler, au succès très relatif.
Au 19ème siècle, l’avènement d’Etats nations réclame l’harmonisation des monnaies.
Des unions monétaires vont se créer, certaines à l’échelle nationale (Italie, Allemagne),
d’autres à l’échelle internationale (Cf. l’union latine et l’Union monétaire scandinave).
La question ici est de savoir qui du politique ou du monétaire vient en premier. Le
tableau suivant nous permet de donner une réponse.
Zone
Union
monétaire
Union
Politique
Unification monétaire des
Etats-Unis
Etats Unis
1862
1776
Union allemande
Etats germaniques
1871
1871
Union italienne
Etats italiens
1926
1861
Union helvétique
Suisse
1850
1848
Union austro-allemande
Etats germaniques,
Autriche
1857 à 1867
Non
Union latine
Belgique, France,
Italie, Suisse
1865 à 1926
Non
Union scandinave
Norvège, Suède,
Danemark
1872 à 1931
Non
Pour les USA, l’Italie et la Suisse, l’Union politique précède l’Union monétaire. Pour
l’Union austro-allemande, l’Union latine et l’Union scandinave, l’Union monétaire s’est
réalisée sans Union politique préalable, mais elles toutes les trois périclité. Enfin reste le cas
allemand qui est plus complexe.
L’unification monétaire allemande
Le Zollverein est créé en 1834, c’est une union douanière entre 18 Etats qui formeront
en 1871 l’Allemagne unie. Au départ, chaque Etat possède sa propre monnaie. Certaines
disparaissent rapidement, mais 7 restent encore en circulation au milieu du 19ème siècle.
Il est prévu de définir une monnaie commune en complément de l’union douanière. Les
Etats du sud et du centre de l’Allemagne signent en 1837 l’accord de Munich, par lequel ils
fixent un titre unique pour le gulden (florin) et règlent ensemble les conditions de son
émission. Les Etats du Nord, emmenés par la Prusse, adoptent le thaler. La convention de
33
34
Dresde de 1938 établit un taux de change fixe entre le thaler au Nord et le Gulden au Sud, de
sorte qu’un gulden = 4/7 thaler.
Une monnaie commune voit le jour, le vereinsmünze, frappée en argent. Trop grosse,
elle sera peu utilisée. On est donc dans un système d’étalon argent et de changes fixes. Mais
dans les faits, ce n’est pas cette monnaie commune, mais le Thaler prussien qui deviendra
bientôt la monnaie la plus utilisée dans les paiements. Progressivement, il pénètre les Etats
allemands du Sud. Un traité monétaire est signé en 1857 avec l’Autriche, généralisant la
frappe du Thaler dans tous les Etats allemands et lui donnant cours légal.
En 1871-1873 est établi le mark-or, frappé par la Banque centrale de Prusse. Le thaler
prussien, le mark-banco de Hambourg et le florin bavarois se fondent dans le nouveau mark
bismarckien. La Reichsbank est mise en place en 1875.
1871 est aussi l’année de l’unification politique sous l’impulsion du chancelier
Bismarck.
Devant cette chronologie, Jutta Hergenhan32 soutient que « en Allemagne, l’unification
politique de la nation va de pair avec l’unification économique et monétaire. »
En revanche, l’historien Michel Hau33 soutient qu’« une véritable unification monétaire
de l’Allemagne se réalise donc longtemps avant l’unification politique de 1871 ». De même,
Jean-Charles Asselain34 soutient également que l’Union monétaire a précédé l’Union
politique :
« L’Allemagne des années 1830 connaît encore une véritable anarchie monétaire, caractérisée
par le cloisonnement des systèmes monétaires, une circulation étonnamment bigarrée de pièges
d’argent de tout calibre et de mauvais aloi dans de nombreux Etats, car c’est le visage que prend la «
mauvaise monnaie », autrement dit l’inflation dans un régime de monnaie métallique. La première
étape décisive de l’union monétaire, dès 1837-38, précède largement, comme le souligne Karl-Ludwig
Holtfrerich, et du même coup prépare l’unification politique trente ans plus tard. Elle porte sur la
standardisation des pièces d’argent, sur l’unification des normes de contenu métallique (et à la
réflexion on doit voir là la garantie déterminante contre le risque d’inflation en régime de monnaie
métallique) et sur l’instauration de rapports d’échanges simples et constants entre les monnaies des
différents Etats, en référence au mark d’argent de Cologne (et cela un tiers de siècle avant que le
mark ne devienne le nom de la monnaie allemande).
Par référence à la grille d’analyse développée vers 1990 à propos de l’unification monétaire
européenne, on peut reconnaître ici le stade correspondant à des taux de changes fixes et
irrévocables, cette première étape de l’unité monétaire ouvrant presque aussitôt sur la seconde, celle
de l’émergence d’une monnaie commune, à la suite de la création en 1847 de la banque centrale
prussienne et de l’expansion de la circulation dans toute l’Allemagne du thaler prussien. Ainsi l’unité
monétaire allemande se dessine très nettement dès avant la disparition des dénominations monétaires
propres aux différents Etats, et elle se construit autour de la plus forte (la plus stable et réputée
comme telle) des monnaies nationales, le thaler de la Prusse : ici le rapprochement avec la
construction monétaire européenne surgit de lui-même.»
Ces exemples montrent que la volonté politique est le meilleur gage de réussite en
matière d’intégration monétaire et que la présence d’un leader facilite le processus. L’histoire
ne prouve pas que des critères nominaux de convergence aient été les moteurs des intégrations
monétaires. Les unions monétaires, quand elles ne s’accompagnent pas d’une volonté
explicite d’intégration politique, finissent par disparaître. C’est l’exemple de l’Union latine.
32
http://www.notre-europe.eu/media/Probl5-fr_01.pdf
Michel Hau, Histoire économique de l'Allemagne XIXè -XXè siècles, éd : Economica collection économies
et sociétés contemporaines, 1994.
34
http://www.univ-orleans.fr/deg/GDRecomofi/Activ/colloquedugdr2000/pdf/g3-1.pdf
33
34
35
L’Union latine
Elle est créée en 1865 entre la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse, à l’initiative de
Napoléon III. Les monnaies de référence de chaque pays de l’Union ont le même poids d’or
fin, tout en gardant leur nom (franc français, franc suisse, lire) et leur symbole national. Ces
monnaies peuvent de la sorte circuler librement dans tous les pays de l’Union et il devient
possible de payer à Paris avec des lires ou des francs suisses.
Le précurseur de l’Union latine fur Napoléon 1er, qui avait imposé dans les pays soumis
à la France une référence monétaire commune : le Napoléon, une pièce de 5,801 grammes
d’or fin, d’une valeur de 20 francs. Dans une lettre à son frère Louis, roi de Hollande (et père
du futur Napoléon III), en 1806, il écrit : «Mon frère, si vous faites frapper de la monnaie, je
désire que vous adoptiez les mêmes divisions de valeur que dans les monnaies de France et
que vos pièces portent, d'un côté, votre effigie et, de l'autre, les armes de votre royaume. De
cette manière, il y aura dans toute l'Europe uniformité de la monnaie, ce qui sera d'un grand
avantage pour le commerce».
Après Waterloo et l'effondrement de l'Empire napoléonien, la référence au Napoléon est
provisoirement abandonnée. Mais la Belgique, en prenant son indépendance, en 1830, y
revient d'elle-même dans le souci d'asseoir sa monnaie sur une base solide. L'Italie fait de
même en procédant à son unification. Enfin, la Suisse, en 1851, introduit à son tour une pièce
de 20 francs suisses ayant les mêmes caractéristiques que ses consœurs (5,801 gr. d'or fin).
La convention de 1865 entérine ces évolutions. Elle laisse à ses signataires le droit de se
retirer de l'Union à leur guise. Dans les faits, de nombreux pays la rejoignent, à commencer
par la Grèce, le 8 octobre 1868. Au total, 26 pays adhèrent à l'Union latine, de l'Argentine à la
Finlande (à l'exception notable de l'Angleterre et de l'Allemagne).
L'Union latine va fonctionner pendant plusieurs décennies, illustrant le très haut niveau
d'intégration atteint par l'Europe à la fin du XIXe siècle. C'est l'une des périodes où les
Européens ont au plus haut point le sentiment d'appartenir à une communauté de civilisation,
unie par des valeurs et des croyances identiques. La Grande Guerre (1914-1918) va mettre à
mal cette solidarité. L'Union latine s'éteindra pour de bon le 1er janvier 1927
La convention admet, à côté de pièces en or, des monnaies divisionnaires en argent.
Mais ce bimétallisme va être mis à rude épreuve suite à l'enchérissement de l'argent par
rapport à l'or. Cet enchérissement de l'argent est la conséquence de l'arrivée en Europe de
grandes quantités d'or, du fait de la découverte d'importants gisements aurifères en Californie,
Sibérie, Australie et Afrique du Sud. Le choix de l’étalon est décisif : l’adoption du seul
étalon or aurait peut être facilité l’adhésion des pays d’Europe du Nord mais elle a été rejeté
par des nations qui craignaient de perdre leur souveraineté.
Avec l’euro, l’union monétaire s’est faite sans union politique
Les hommes politiques qui ont voulu l’euro pensaient que la réalisation de la monnaie
unique était la meilleure voie pour aboutir à un Etat européen, pour aller vers une Europe
politique et le fédéralisme. Ainsi pour J. Delors, la monnaie est vue comme « un projet de
saut collectif vers la création d’une Europe politique ». L’enchainement est le suivant :
Union commerciale => union monétaire => union politique
On retrouve ici la théorie du déséquilibre créateur : la BCE crée un vide de légitimité
politique que doit venir combler l’union politique. Le danger est de transformer un idéal en
contrainte. Pour J.-P. Chevènement, « le projet de monnaie unique est la dernière tentative de
l’idéologie post-nationaliste pour forcer les peuples dans la direction d’une union politique
dont le dessein leur avait été dissimulé35. » Pour Philippe Bénéton, « il s’agit de forcer la main
des peuples, d’imposer une intégration à grande échelle au nez et à la barbe des citoyens. 36».
35
36
France-Allemagne : parlons franc, Plon, 1996.
Hercule est un héros européen, Le Figaro, 3-4 mars 2012, p. 16.
35
36
Inversement, selon l’approche allemande, la monnaie a pour mission de couronner un
ensemble politique constitué. Pendant très longtemps, Kohl a dit qu’il ne fera pas la monnaie
unique sans l’union politique. Karl Otto Pöhl, ancien président de la Bundesbank, mettait en
garde en mai 1988 contre les illusions de la monnaie unique. Il pensait que ce projet
échouerait s’il n’était pas accompagné d’une étroite coordination des politiques économiques,
qu’il jugeait improbable. En effet, pour lui, rien de permet de garantir que les Européens
s’engagent sérieusement autour de concepts clés tels la stabilité des prix, l’indépendance de la
banque centrale, l’interdiction de financer les déficits par la planche à billets.
L’absence d’union politique se retrouve dans le graphisme des billets. Les ponts
symbolisent l’union entre les pays ; les portes et les fenêtres l’ouverture sur le monde. Pas de
monuments historiques, ni de personnages historiques, contrairement à la plupart des autres
monnaies. L’euro n’est pas ancré dans le passé. La seule référence à l’Europe est la carte de
l’Europe. L’histoire est oubliée. « Ces billets, on dirait des halls de gare, des portes ouvertes,
des endroits pour courants d’air. Avec Richelieu, vous savez où vous êtes. Là, on n’est nulle
part, on passe. Comme si l’Europe était en lévitation par rapport aux cultures nationales37 »
note Bernard Cassen, directeur du Monde diplomatique.
« L’iconographie choisie pour les billets européens est révélatrice d’une monnaie par
trop « technique » : pas d’empereur, pas de monarque, pas de reine d’Angleterre, pas de
George Washington, ni grand homme ni femme célèbre. Non. Des portes et des ponts, naïves
allégories des échanges auxquels doit présider cette nouvelle monnaie. On n’y verra pas âme
qui vive, pas un être humain, pas un citoyen, pas un sujet, pas de corps, pas de sexe…
Monnaie sans prince… 38» écrit le psychanalyste Roland Brunner. L’euro a un problème
d’identité.
Pour pallier l’absence de gouvernement européen, des tentatives de coordination des politiques
budgétaires ont été mises en œuvre.
C) La tentative de coordination des politiques budgétaires par le PSC
En face de la BCE, il n’y a pas d’interlocuteur unique, ce qui permettrait une
coordination serait plus efficace. Le flou institutionnel sur le partage des prérogatives
économiques entre la Commission européenne, l’Euro groupe et les gouvernements constitue
un point d’incertitude. L’Euro groupe est la réunion mensuelle (et informelle) des ministres
des Finances des États membres de la zone euro, en vue d’y coordonner leur politique
économique. Il a été créé par le Conseil européen en 1997 et son président est élu pour un
mandat de 2,5 ans (nouveauté apportée par le traité de Lisbonne de 2007). Le conseil Ecofin
(Conseil pour les Affaires économiques et Financières), réunit les ministres des Finances des
Etats membres de l’UE.
Le seul élément concret tendant à la coordination des politiques budgétaires est le
Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté au sommet d’Amsterdam en 1997, à la
demande du gouvernement allemand (Théo Waigel).
1) La logique du PSC :
Il incite les Etats de la zone euro d’avoir des budgets proches de l’équilibre ou
excédentaires. Il prévoit pour les pays qui laisseraient leur déficit public dépasser 3% de leur
PIB, des amendes pouvant atteindre 0,5% du PIB (sauf si le déficit résulte d’une baisse d’une
récession sévère, soit 2% du PIB). Comme le rappelle Michèle Saint Marc, le PSC ne prévoit
aucune contrainte sur la dette publique.
37
38
Le Monde, 23 novembre 2001, p. VI.
Le Monde, 23 novembre 2001, p. XVII.
36
37
Ce pacte est destiné à assurer la gestion saine des finances publiques dans la zone
euro, afin d’éviter que la politique budgétaire laxiste d’un Etat membre ne pénalise les autres
par le biais de son impact sur les taux d’intérêt de la zone. L’idée est qu’avec une politique
budgétaire rigoureuse, on aura un euro fort et le BCE pourra maintenir des taux d’intérêt bas.
Il vise aussi à éviter un comportement de passager clandestin. Un pays ayant un fort déficit
accumulera de la dette publique, d’où un risque de perte de valeur de l’euro dont tous les pays
pourraient pâtir.
Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, voyait dans le PSC un moyen de
réfuter deux critiques contre la monnaie européenne :
1ère critique : une monnaie unique sans politique budgétaire unique : « Comme nous n’avons
pas de budget fédéral significatif, nous surveillons directement chacun des budgets
nationaux. »
2ème critique : pas d’aide automatique par le canal du budget en cas de choc asymétrique :
« En fixant comme objectif aux finances publiques de chaque pays d’être proches de
l’équilibre ou en excédent, le pacte apporte aussi une solution en cas de choc asymétrique :
chaque pays de la zone euro doit pouvoir répondre à un choc en utilisant lui-même la marge
de manœuvre budgétaire qu’il s’est donné en période normale. Le pacte est un élément
essentiel à la crédibilité de l’union économique et monétaire39 ».
-
-
-
-
-
39
2) Les limites du PSC :
Il diminue la flexibilité de la politique budgétaire face à des chocs asymétriques : le
président de la Commission européenne Romano Prodi, président de la Commission
européenne, déclara en 2002 : « Le Pacte de Stabilité est stupide, comme toutes les
décisions qui sont rigides ».
Il a un effet procyclique car il fait peser un fardeau supplémentaire sur les pays qui sont
déjà en difficulté. Stiglitz voit en lui en déstabilisateur automatique
Il décourage les investissements publics car en cas de frôlement des 3%, le gouvernement
réduit en premier les investissements publics que les dépenses courantes
Il ne fait pas différence entre les pays suivant leur niveau d’endettement : dépasser les 3%
de déficit public n’a pas les mêmes conséquences lorsque le ratio dette publique/PIB est
supérieur à 100% et lorsqu’il est aux environs de 60%
Il n’a pas été respecté : Ainsi, les cagnottes fiscales procurées par la croissance de la fin
des années 1990 n'ont pas servi à diminuer les déficits, mais à accroître les dépenses
(France). Ce qui est contraire à l’esprit du Pacte. Sur la période 2002-2004, 3 pays ont
dépassé la limite des 3% sans encourir de sanction : Allemagne, Portugal, France. Par le
recours à l’argument de la situation exceptionnelle, ces pays n’ont pas été sanctionnés.
Avec la crise de 2008, les déficits publics ont explosé le seuil des 3%. L’inapplication du
PSC mine sa crédibilité, d’où la volonté de le réformer.
3) L’assouplissement du PSC :
Prendre en compte la notion de déficit structurel, c’est à dire l’impact de la conjoncture
sur les comptes publics (accepté en 2003 par la Commission).
Exclure les dépenses qui constituent un investissement : R&D, nouvelles technologies,
infrastructures, éducation supérieure. Mais il est difficile de distinguer les bonnes
dépenses génératrices de croissance future des autres.
Appliquer le critère à l’ensemble de la zone euro et non pays par pays
Apprécier le respect du critère en tendance (on peut dépasser les 3% à condition de réduire
le déficit public)
Le Monde, 2 juillet 2002, p. 20.
37
38
V) L’euro, notre monnaie et notre problème
A) Un premier bilan de l’euro
L’Europe rêve de confirmer son autorité sur la scène internationale, avec des éléments d’unité et
de crédibilité appuyés par une monnaie rêvée (pensée) à Paris, construite à Bruxelles et frappée à
Francfort. A-t-elle atteint ses objectifs ?
Les effets positifs de l’Euro :
Pas de crise de change. Pas de dévaluations compétitives ni de turbulences des taux de
change intra-zone.
Une stabilité monétaire relative : inflation proche de 2%. « Nous pourrons considérer
que [l’euro]est un succès s’il est démontré que nous sommes parvenus à préserver la stabilité
des prix, que nous avons obtenu la confiance de l’opinion publique et que cette situation se
perpétue » avait déclaré Wim Duisenberg40, le premier président de la BCE. Le tableau
suivant, tiré d’Eurostat, montre cependant que la BCE n’a même pas réussi à atteindre son
objectif annuel d’inflation une fois deux en 14 ans.
1999
1,7
Inflation en zone euro, fin décembre de chaque année41
2000
2,5
2001
2,0
2002
2,3
2003
2,0
2004
2,4
2005
2,2
2006
1,9
2007
3,1
2008
1,6
2009
0,9
2010
2,2
2011
2,7
2012
2,2
Une intégration financière quasi-achevée. Les investisseurs ont les moyens de
diversifier plus efficacement leur portefeuille.
La montée progressive de l’euro comme monnaie internationale : la part de l’euro dans
les réserves étrangères de change est passée de 18% en 2000 à 27% en 2011.
Une plus grande synchronisation des cycles conjoncturels, selon la BCE.
Jean-Claude Trichet déclarait en 200642 : « L’euro est un remarquable succès. (…) Nous sommes
parvenus à offrir à 313 millions d’individus de la zone euro le niveau de confiance monétaire, de
crédibilité monétaire, le niveau de taux d’intérêt à moyen et long termes qui étaient le privilège d’une
partie d’entre eux seulement ».
Les effets négatifs de l’euro :
Un déficit de croissance
Taux de croissance annuel moyen de 1999 à 2010 :
• USA : 2.1%
• UE 25 : 1.5%
• UE 15 : 1.4%
L’échec du pacte de stabilité
Les critères de Maastricht n’ont pas été respectés, aucune sanction n’a jamais été appliquée en dépit de
68 violations de la règle de déficit excessif. Cette impunité est une faiblesse pour la zone euro qui perd
sa crédibilité.
Finances publiques en zone euro
2007
2008
2009
2010
Solde public
-0,7%
-2%
-6,3%
-6%
Dette publique
66,2%
69,9%
79,3%
85,1%
40
Le Figaro, 7/07/1998.
http://www.ecb.int/stats/prices/hicp/html/inflation.en.html
42
Entretien à La Tribune, 15 mars 2006, pp. 2 et 3.
41
38
39
L’impunité procurée par l’euro : le dérapage des finances publiques n’est plus
sanctionné par la dévaluation. Certains Etats ont pu se cacher derrière la monnaie
unique et ses taux d’intérêt bas pour émettre de la dette de manière excessive. L’euro
a tendance à encourager le vice et décourager la vertu. Les marchés des changes ne
sont plus là pour jouer les pères fouettards.
Des performances économiques divergentes, d’où une hétérogénéité accrue de l’UEM.
Loin de provoquer la convergence espérée, la mise en place de l’euro a, au contraire,
accentué le phénomène de divergence en termes de niveaux de vie, d’inflation,
d’évolution des couts salariaux ou de prix à l’exportation (Allemagne vs Italie).
• Cout du travail de 1999 à 2011 : +3,5% en France, -17,7% en Allemagne
•
-
-
-
Soldes courants cumulés depuis 1999 : 1 000 milliards d’euros d’excédents en
Allemagne, 650 milliards d’euros de déficits en Espagne, 290 milliards pour l’Italie.
• Taux d’inflation de 1999 à 2011 : + 23,7% en France contre 10,3% en Allemagne. Les
différences de taux d’inflation en zone euro peuvent s’expliquer par 3 facteurs :
L’écart de conjoncture : les différences de situation cyclique parviendraient à expliquer
jusqu’à 80% des écarts constatés selon une étude de la BCE en 2000.
L’effet Balassa-Samuelson ou effet de rattrapage : dans le secteur exposé à la
concurrence, d’importants gains de productivité ont lieu. Ce secteur connaît des hausses
de salaires, mais qui ne se traduisent pas par une poussée des prix, productivité oblige. Les
revendications et les salaires dans le secteur abrité conduisent, elles, à des augmentations
de prix. Un taux d’inflation plus élevé peut donc signifier des gains de productivité plus
élevés et un rattrapage salarial.
Des effets de structure : un marché du travail moins libéralisé, un taux d’emploi qui
n’augmente pas, une politique budgétaire laxiste.
• En termes d’innovation, les pays du Sud ont un déficit.
dépenses de R&D en % du PIB : 1 à 1,5% pour l’Italie et l’Espagne, 2% pour la France, 2,75%
pour l’Allemagne.
39
40
-
nombre de brevets : l’Allemagne fait la course en tête.
Brevets par million d'habitants
Slovénie
Slovaquie
Portugal
Pays-Bas
Luxembourg
Italie
Irlande
Grèce
Germany
France
Finlande
Estonie
Espagne
Chypre
Belgique
Autriche
Brevets par million
d'habitants
0
100
200
300
400
500
600
700
Source: WIPO Statistics Database and World Bank (World Development Indicators), December 2011.
40
41
•
•
L’Europe du nord est riche en travail qualifié, technologies, exportations. Les
exportations représentent 100% du PIB en Irlande contre 31% au Portugal et 21% en
Grèce. La croissance dans ces derniers pays dépend essentiellement de leur demande
interne, à savoir la demande publique et privée, une dynamique bloquée par les
programmes d’austérité.
L’euro renforce les forts : très peu d’analystes avaient prévu le fait que l’euro allait
accroitre l’hétérogénéité des structures productives de la zone euro. L’industrie et les
excédents commerciaux des pays du Nord se trouvent renforcés aux dépens des
régions du sud de l’Europe, en raison même de la monnaie unique. Ce dont témoigne
l’évolution du PIB par habitant, en volume, entre 2007 et 2010. Les Allemands sont
les seuls à s’être enrichis !
Allemagne
+ 0,3%
France
- 3%
Espagne
- 5,6%
Grèce
- 6,4%
Irlande
- 14%
Loin de favoriser la convergence, l’entrée de la Grèce dans la zone euro a
paradoxalement aggravé les divergences avec les autres économies, la baisse de la
compétitivité ayant été masquée par le surendettement.
André Grjebine avait anticipé cette divergence dès 1992 : « Pour ma part, je crains
[que le système monétaire défini à Maastricht] n’induise une divergence structurelle des
économies européennes. 43»
A l’opposé des hommes politiques européens, europhiles voire eurolâtres dans leur
grande majorité, il faut remarquer la lucidité des citoyens européens. A la question « A votre
avis, l’adoption de l’euro est-ce, pour votre pays, une opération globalement avantageuse qui
va nous renforcer pour l’avenir ou, à l’inverse, une opération globalement désavantageuse
qui va nous affaiblir ? », le solde des opinions n’était positif qu’à hauteur de 12% en
novembre 2005 (51% d’opinions favorables, 39% d’opinions défavorables)44.
43
44
« Les trois voies de la construction européenne », Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 56.
Eurobaromètre de la Commission européenne.
41
42
B) La crise en zone euro : les origines
1) Une crise envisagée ?
Florin Aftalion prévoyait dès 199945 l’échec de l’euro : une même politique monétaire
ne pourra être optimale pour l’ensemble de la région et un jour ou l’autre la BCE subira des
pressions irrésistibles pour mener une politique monétaire de relance et l’inflation repartira.
Opinion ultra minoritaire à l’époque. En effet, la pensée unique était alors totalement
favorable à l’euro, la possibilité d’une crise étant une question incongrue.
Par exemple, Patrick Artus, Directeur des études économiques de la CDC, déclarait en
1998 : « Il est évidemment extrêmement improbable qu’un pays européen devienne insolvable, fasse
défaut sur sa dette publique. (…) une crise de la dette publique ne peut pas être un problème durable.
Ceux qui pronostiquent des effets dramatiques en Europe de la disparition du prêteur en dernier
ressort vis-à-vis des Trésors sont donc dans l’erreur. De même, il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une
crise bancaire globale dans la zone euro, à laquelle la BCE répondrait par une politique monétaire
plus expansionniste 46».
2) Les causes de la crise :
Un complot anglo-saxon contre l’euro ?
« En devenant monnaie de réserve et étalon de valeur, la monnaie européenne met en cause le
droit de seigneuriage des Américains. Nous sommes arrivés au point de bascule 47» analyse Denis
Kessler, PDG de la Scor.
« Pour les Américains, l’alarme a été tirée le jour où les émissions obligataires libellées en euros
ont dépassé celles en dollars. D’où le déclenchement de l’offensive contre la monnaie européenne
pour enrayer cet engouement qui portait en germe la consécration de l’euro et la déstabilisation du
dollar » précise Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP.
Tout ceci est fort possible. Cependant, les attaques contre la monnaie unique sont des symptômes
de la crise de l’euro, non sa cause.
Un endettement public excessif
La disparition du risque de change avec la création de l'euro en 1999 a conduit à un
relâchement des disciplines budgétaire et fiscale des pays ayant déjà des déficits extérieurs et
à la hausse de l'endettement. Jusqu'au moment où les marchés - et avec eux les pays
excédentaires - se sont interrogés sur la solvabilité de certains des pays déficitaires.
Rendement des obligations d'Etat
Source : Fonds monétaire international.
45
Les Echos, 22 février 1999.
Patrick Artus, Le Figaro, 27/11/1998.
47
Source : Le nouvel Economiste, n°1850, du 15 au 21 septembre 2011.
46
42
43
La création de l'euro avait fait croire aux investisseurs que le risque des différentes
obligations souveraines était le même partout en Europe. Leurs rendements avaient donc
convergé de 2000 à 2007. La découverte de l'erreur en 2008 a rapidement creusé des écarts de
rendement (Cf. graphique précédent). « Même si la structure de l'Eurozone a permis aux
Grecs d'emprunter de l'argent comme s'ils étaient des Allemands, cela ne les a pas empêchés
de rembourser leurs dettes comme des Grecs" selon la formule truculente de Dan Denning48.
Comment la Grèce a utilisé sa dette ?
Sur les 360 milliards d'euros de dette accumulés ces 30 dernières années, l'essentiel a servi à
financer des dépenses courantes. Très peu a été utilisé pour investir et garantir une croissance
à plus long terme. Selon Thomas Moutos et Christos Tsitsikas, de l'université d'Athènes, la
hausse des déficits résulte d'une explosion des dépenses publiques, alimentée en particulier
par l'augmentation du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires. Entre 1976 et 2009, les
deux économistes relèvent que "le nombre de fonctionnaires a augmenté de 150%, alors que
sur la même période l'emploi privé progressait de seulement 34%". Résumons : la Grèce a été
cigale. Maintenant, elle ne peut plus payer.
Des divergences croissantes en matière de compétitivité
La politique budgétaire n’est pourtant pas seule en cause. Pour preuve, avant 2007, les
Allemands affichaient un déficit budgétaire record, alors que les Espagnols étaient à
l'équilibre.» Or, au final, c'est Madrid qui est aujourd'hui sanctionné par les marchés et non
Berlin. Les raisons de la crise viennent aussi de divergences croissantes en matière de
compétitivité entre les pays du noyau dur de la zone et les pays dits périphériques. Autrement
dit, si les pays périphériques n'arrivent pas à s'en sortir, ce n'est pas tant à cause du niveau trop
élevé de leur dette que de leur incapacité à générer une croissance solide. D’où l’importance
de la balance des paiements qui constitue un indicateur de la compétitivité d'un pays.
Une politique monétaire inefficace
L’inefficacité inévitable de la politique monétaire unique vient du fait qu’elle est
appliquée à des économies hétérogènes : taux trop bas pour des économies dynamiques et trop
élevés pour d’autres. Par exemple, en 2003, le taux d’intérêt de la BCE était de 2%. Comme
en Espagne l’inflation était de 4% cela donnait des taux d’intérêt à court terme négatifs et à
long terme nuls, d’où stimulation de l’endettement et le boom du marché immobilier. En
Allemagne, l’inflation n‘était que de 1%, ce qui entrainait des taux d’intérêt réels élevés.
L’euro est un costume trop grand pour certains pays et trop petit pour d’autres.
Un calcul économique faussé
Selon Charles Gave49, les créateurs de l’Euro ne se sont pas rendu compte qu’ils créaient
ce que Rueff appelait des « faux prix » partout et que ces faux prix avaient déclenché des flux
de capitaux gigantesques vers des endroits où ce capital est en voie de destruction,
puisqu’investi sur un faux prix. L’exemple parfait est, bien sûr, l’immobilier irlandais ou
espagnol financés par des emprunts que nul ne peut rembourser, ce qui fragilise les systèmes
bancaires. Voir sur ce sujet l’article de pascal Salin : « l’euro détruit le calcul économique ».
Enfin, pour Gérard Lafay50, la crise de l’euro provient de la divergence des taux
d’inflation à l’intérieur de la zone euro depuis sa création et de la surévaluation de l’euro qui
entraine une perte de compétitivité, la délocalisation des activités industrielles, une croissance
48
Chronique Agora, juin 2012.
Journal des Finances, 1/12/2010.
50
Le Figaro, 21 novembre 2011.
49
43
44
faible et un endettement croissant. Lafay préconise l’abandon de l’euro et la dévaluation de la
monnaie.
3) Le déroulement de la crise :
La crainte du non remboursement de la dette publique fait augmenter les taux
d’intérêt. Dans la crise que l'Europe traverse en ce moment, un taux d'emprunt 6,5% semble
être un funeste présage. Une fois qu'un pays a vu le rendement de ses obligations à 10 ans
atteindre voire dépasser les 6,5%, le défaut s'en suit presque aussitôt, et le pays doit demander
de l’aide à la BCE ou au FMI.
44
45
C) La gestion de la crise de la zone euro :
1) Le rôle de la BCE.
La crise de la dette européenne a donné l'occasion à la BCE de passer outre ses principes en
rachetant de manière massive les obligations des Etats en détresse. Sous l’impulsion de JeanClaude Trichet, la BCE a mis en place un programme de rachat de titres de dettes souveraines
des pays de la zone euro en mai 2010. Au prix de profondes divisions au sein de la BCE, qui
se sont soldées par la démission en 2011 de ses deux membres allemands, Axel Weber expatron de la Bundesbank et Jurgen Stark, ex-économiste en chef de la BCE. Ils s’opposaient
au programme de rachat obligataire massif d’obligations italiennes et espagnoles par la BCE.
La BCE devait se contenter de surveiller l’inflation : elle vole aujourd’hui au secours
des Etats en difficulté en rachetant leurs titres de dette par dizaines de milliards d’euro. Pour
rassurer son monde, Mario Draghi a déclaré le 1er décembre 2011 : « La BCE ne sera pas le
préteur de dernier ressort des Etats de la zone euro face à la crise de la dette. ». La différence
avec la FED est que la BCE n’intervient que sur le marché secondaire de la dette publique.
L’indépendance de la BCE
L’article 111 du traité de Maastricht empêche toute tentative de gestion politique de
l’euro, il stipule que le Conseil peut « formuler des orientations générales de politique de
change » mais que ces orientations ne peuvent affecter l’objectif principal qui est « le
maintien de la stabilité des prix ».
L’'euro avait un avantage initial colossal sur le dollar : il ne pouvait pas être manipulé
par une banque centrale à la solde d'un gouvernement. Il y a bien une banque centrale, mais il
avait trop de gouvernements qui tiraient chacun de leur côté. Hélas, "un hareng pourrit la
caque". Le hareng grec, le hareng espagnol, etc.
« La BCE héritera des statuts de la Bundesbank, ce qui est un excellent point de
départ. Mais elle n’héritera ni des hommes ni des traditions qui ont fait la réputation de la
banque centrale allemande. Et elle sera placée dans un environnement politique hétérogène,
où l’idée d’indépendance recevra des interprétations variées 51» écrivait Florin Aftalion,
professeur à l’ESSEC, en 1993. D’ailleurs, de toutes parts, on demande à la BCE de faire
marcher la planche à billets ; voici deux exemples :
• « Il est urgent que la BCE accepte de faire ce que font toutes les banques du monde,
c'est-à-dire acheter des titres de la dette souveraine pour garantir la solvabilité des
Etats. C’est ce qu’on appelle être un préteur en dernier ressort 52». Edouard Balladur,
ancien premier ministre, 2011.
• « La BCE doit garantir les dettes publiques de tous les pays membres.53 » Henri
Sterdyniak, économiste à l’OFCE, 2011.
2) La mutualisation des dettes
Les traités interdisaient que les Etats membres soient mis à contribution pour prendre en
charge les engagements financiers de l’un des leurs : ils ont pourtant fini par mettre au point un Fonds
Européen de Stabilité Financière (FESF) doté d’une capacité de 440 milliards d’euros, puis d’un
Mécanisme Européen de Stabilité (MES) doté de 700 milliards d’euros. Problème : le mal empire
puisque la dette des pays périphériques augmente. “Le fonds d’aide se contente simplement
d’acheter du temps de façon incroyablement coûteuse, mais il ne résout pas les problèmes54”,
se plaint Richard Sulik, leader du parti slovaque Liberté et Solidarité.
51
Le Monde, 12 janvier 1993, p. 35
Entretien au Figaro, 21/11/2011.
53
Pour, n°157, 12/2011, p. 23.
54
La Chronique Agora, 5/10/2011
52
45
46
« Face à la crise persistante de la zone euro, la solution est claire, nous dit-on : il
faut plus de fédéralisme. C'est vrai, quoi : si demain les dettes grecque, portugaise,
espagnole, italienne ou irlandaise étaient garanties par l'Allemagne, les pays aujourd'hui en
difficulté pourraient refinancer leur dette à taux réduit et le tour serait joué. Tout le problème
est qu'emprunter à taux bas, c'est précisément ce que l'appartenance à l'euro leur a permis de
faire depuis dix ans, avec les résultats que l'on sait. On peut donc comprendre les réticences le mot est faible - de l'Allemagne à accepter la création d'eurobonds, au vu de l'incapacité
passée des pays membres de la zone euro à s'imposer les disciplines qu'ils avaient
souscrites55 » observe avec bon sens Philippe Frémeaux.
3) L’austérité
Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l'austérité risque d'aller à l'encontre
du but recherche. Les plans d'austérité créent de l'inquiétude chez les citoyens : ces derniers
consomment moins, entraînant le ralentissement de l'économie et réduisant, in fine, les
recettes fiscales de l'État. Ce cercle vicieux est celui dans lequel sont plongés l'Espagne, la
Grèce et le Portugal, menacés d'une rechute en récession pour cause d'austérité excessive.
L’emploi risque de devenir un poste d’ajustement, estimait Gérard Lafay dès 1997 dans son
livre L’euro contre l’Europe. C’est effectivement quand on constate les taux de chômage en Espagne
(25% en 2013), en Grèce, voire en France.
4) Les tensions entre l’Allemagne et ses partenaires
Elles avaient été envisagées par André Grjebine avec 20 ans d’avance. « Les uns
espèrent que la monnaie unique fera régner dans tous les pays de la Communauté la
discipline anti-inflationniste dont la Bundesbank s’est faite le champion. Les autres comptent,
au contraire, sur la monnaie unique pour desserrer le carcan de la rigueur qu’impose
l’Allemagne à ses partenaires à travers le SME. Ils expliquent que le traité de Maastricht doit
être ratifié, malgré ses imperfections, quitte, ensuite, à l’appliquer d’une manière moins
conforme à l’orthodoxie qui a présidé à son élaboration (…).En juin 1992, un manifeste
signé par soixante-deux économistes allemands dénonçait l’’Europe laxiste’ qui selon eux
résultera du traité de Maastricht, la ‘culture se stabilité’ des Allemands étant loin d’être
partagée par tous. (…). Perçue comme une habileté par ses initiateurs, qui espèrent forcer la
main à leurs partenaires quand il s’agira de mettre en œuvre le Traité, les intentions cachées
et l’ambigüité qui caractérise sa rédaction sont porteuses d’une crise de la Communauté 56».
De la même manière, Maurice Allais, opposé au traité de Maastricht, pensait que
l’euro risquait de provoquer de graves difficultés entre la France et l’Allemagne : « Ou bien
l’Allemagne serait entraînée contre son gré dans une nouvelle inflation ou bien elle serait
amenée à faire sécession. Nul doute que l’opinion publique allemande en rendrait la France,
à l’origine du traité, responsable. Dans les deux cas l’union européenne, loin de favoriser le
rapprochement franco-allemand, n’aboutirait qu’à dresser à nouveau l’Allemagne contre la
France 57».
5) Sortir de l’euro ?
L’UEM prévoyait des conditions d’entrée mais en aucun cas des conditions de sortie. « Il est
facile de démanteler une union monétaire58 » selon Vaclav Klaus, Président de la République
tchèque, prenant l’exemple sur la Tchécoslovaquie dont l’union monétaire fut liquidée en une
semaine et de manière ordonnée. Tous les pays issus du démembrement de l'URSS l'ont fait.
55
Alternatives économiques, n°305, septembre 2011, p. 98.
Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 19.
57
Maurice Allais, Erreurs et impasses de la construction européenne, Editions Clément Juglar, 1992.
58
Conférence à l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, « Sauvons les démocraties en Europe », 2 avril
2012.
56
46
47
Du rouble, ils sont passés à des monnaies nationales. En une génération, une soixantaine de
pays sont sortis d'une union monétaire. Aussi, cette proposition, présentée comme horrible,
n'a rien que de très banal.
Pourtant, la pensée unique totalitaire (PUT) est farouchement hostile à la sortie de
l’euro. La sortie de l’euro n’est jamais envisagée ou alors est vue comme un épouvantail. La
note suivante du Crédit agricole en mai 2006 en est un bon exemple :
L’Italie hors de la zone euro ? Probabilité zéro
En juin 2005, au plus fort de la crise institutionnelle européenne, un ministre italien a tout
bonnement lancé l’idée que l’Italie devrait quitter l’UEM. Ce sujet depuis lors renaît
périodiquement. Certains se hasardent à évoquer la question en donnant des échéances point trop
éloignées *.
Dans l’UEM, l’Italie n’a plus la possibilité de recourir, comme elle le fit souvent dans le
passé, à la dévaluation de sa monnaie pour regagner un avantage de compétitivité, fut-ce
temporairement et au prix d’un surcroît d’inflation. Quelles seraient alors pour ce pays les
conséquences d’une sortie de l’UEM ? Une telle décision supposerait de réintroduire une lire à la
place de l’euro (ou alternativement d’instaurer un système de devises parallèles, mais qui
aboutirait sans doute à terme à la première option). Naturellement, la nouvelle lire serait dévaluée
par rapport à sa parité d’entrée dans l’UEM. Un ordre de grandeur de 25 % ne serait pas exagéré
compte tenu des évolutions relatives des coûts salariaux unitaires entre l’Italie et ses voisins,
surtout l’Allemagne, depuis 1999.
Une telle dévaluation aurait des effets dramatiques pour la situation des finances
publiques. Ipso facto, le ratio d’endettement public s’élèverait de près de 35 points jusqu’au
voisinage de 150 % du PIB. Le service annuel de la dette viendrait s’alourdir de plus d’un point et
demi de PIB. Les taux d’intérêt italiens seraient poussés à la hausse, à la fois par l’augmentation
de la prime d’inflation anticipée et la baisse de la qualité du crédit (et le probable downgrading des
agences de notation). Cet effet, à son tour, viendrait peser sur l’évolution future des déficits publics
et de leur financement. Par contagion, il dégraderait aussi les conditions de financement du secteur
privé. Quel que soit alors le réglage monétaire pratiqué par une Banque d’Italie retrouvant son
autonomie monétaire, le pays serait sûrement, dans ces conditions, acculé au défaut de paiement,
l’exemple souvent cité (même si les conditions sont différentes) étant l’Argentine après l’abandon
du currency board qui liait sa devise au dollar.
Mais alors, les détenteurs résidents de la dette italienne subiraient un tel choc de revenu
que l’effet macroéconomique négatif l’emporterait sur les bénéfices venant d’une restauration
temporaire de la compétitivité, bénéfices au demeurant hypothétiques compte tenu de la
dégradation des termes de l’échange. Les conséquences politiques d’une telle option se feraient
sentir sans doute dans l’ensemble de la zone euro. Ce scénario est tellement catastrophique que
nul dirigeant italien ne peut l’encourager, hormis peut être à la tribune d’un meeting politique.
Toutes les autres options sont préférables : celle de la « mort lente » où l’Italie continue de
décliner et de s’appauvrir, et surtout, celle du « sursaut » avec la mise en œuvre de réformes
structurelles radicales, aucune d’elles ne pouvant avoir un coût social aussi élevé qu’une sortie de
l’UEM. La même conclusion vaut pour les autres membres de l’UEM.
Source : Eclairages, mensuel de la Direction des Etudes économiques du Crédit Agricole, n°100, mai 2006, p. 3.
Il est intéressant de noter que l’auteur préfère le déclin et l’appauvrissement de l’Italie,
plutôt que la sortie de la zone euro.
PUT sur l’euro :
Point de vue de Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères allemand :
« Mettre fin à l’union monétaire (…) reviendrait à mettre fin au projet européen lui-même et
engendrerait le chaos. (…) Si la France est mise à genoux et si l’Allemagne n’est pas
47
48
résolument solidaire de son pays partenaire, avec tous les atouts dont elle dispose, ce sera
une véritable catastrophe 59»
Le même Joschka Fischer, un mois plus tard :
« Si l'union monétaire européenne se désagrège, il ne restera pas grand chose du marché
commun, ainsi que des institutions et traités européens. Nous devrons alors tirer un trait sur
60 ans de succès d'intégration européenne, ce qui aura des conséquences imprévisibles.
(…) La crise européenne ne résulte pas de 30 ans de néolibéralisme, de l'éclatement de la
bulle des actifs alimentée par la spéculation, de la violation des critères du traité de
Maastricht, d'une dette record ou des banques rapaces. Aussi importants soient ces facteurs,
l'Europe se trouve en difficulté du fait de l'absence d'un gouvernement commun à l'Union
européenne. 60»
Point de vue de Thomas Coutrot, coprésident d’ATTAC :
« Aujourd’hui, sortir de l’euro signifierait pour les pays du Sud accentuer la logique déjà à
l’œuvre, celle du dumping, en se dotant à nouveau de l’arme monétaire. On radicaliserait les
politiques de concurrence en essayant de récupérer par une dévaluation l’avantage compétitif
conquis par l’Allemagne et les pays du Nord. Ce serait aggraver la logique non coopérative
déjà dominante en lui ouvrant un nouvel espace, celui de la guerre monétaire. (…)
Si la Grèce devait sortir de l’euro, nul doute que cela créerait un effet domino, que d’autres
Etats suivraient, et qu’alors nous assisterions à une explosion de l’Europe : une crise
bancaire majeure, une aggravation de la spéculation, une récession dramatique. C’est
vraiment un scénario catastrophe. 61»
Point de vue d’Eric Le Boucher, directeur de la rédaction d’« Enjeux –Les Echos » :
« Jamais aucun pays, une fois rentré dans l’euro, ne le quittera. Malgré les pressions
considérables. Malgré les opinions publiques qui y pousseront pour abréger les souffrances
des plans d’austérité imposés. Jamais, parce que les souffrances d’une sortie seraient pires.
Jamais surtout parce que pour un gouvernement qui déciderait une sortie, ce serait un suicide
devant l’Histoire. Il laisserait la trace d’une honte nationale. Parce qu’enfin le tricot
européen se déferait rang par rang et que les autres, les grands pays, Allemagne et France,
ne pourront pas laisser faire. En bref, malgré leur force, les marchés, qui ne l’oubliez pas,
sont anglo-saxons, n’auront pas l’euro ! 62»
Les problèmes de l’euro doivent entrainer plus d’Europe.
« Dans le cadre européen, les insuffisances mises en évidence dans la passé récent (manque
de croissance, hétérogénéité) sont avant tout la marque d’un manque d’achèvement du
marché unique. (…). La conclusion, pour nous, s’impose : pas plus de monnaie unique, mais
plus de marché unique »63.
Modalité de fonctionnement de l’Europe : « Nous avons échoué, continuons ! »
59
Tribune dans Le Figaro, 5 septembre 2011, p. 18.
Project Syndicate, 27/10/2011.
61
US Magazine, supplément au n°714 du 14 novembre 2011, p. 9.
62
Les Echos, 19 novembre 2010.
63
Bruno Cavalier, Eclairages, mensuel de la Direction des Etudes économiques du Crédit Agricole, n°100, mai
2006, p. 6.
60
48
49
Conclusion :
En juillet 1998, les quatre Présidents des pays du Mercosur, lors de la déclaration d’Ushuaia,
affirment que « le processus d’approfondissement de l’union douanière doit être enrichi par de
nouvelles initiatives… qui pourraient faciliter dans le futur l’adoption d’une monnaie unique du
Mercosur ». Pourtant, jusqu’à présent, chaque pays du Mercosur a gardé sa monnaie. Jean-Marc
Siroën notait dès 2004 avec justesse que « l’exemple européen en faveur d’une union
monétaire n’a pas été suivi et a peu de chance de l’être, à cette échelle, dans les prochaines
années. Quelle grande puissance monétaire accepterait aujourd’hui, d’abandonner comme
l’Allemagne, sa souveraineté monétaire ? ».
L’élargissement de la zone euro :
Le 1er janvier 2001 la Grèce devient le 12ème pays à adopter l’euro. Entre 2007 et 2011,
5 pays ont rejoint la zone euro : Slovénie, Chypre, Malte, Slovaquie et Estonie.
3 pays de l’UE n’ont pas adopté l’euro : RU, Danemark, Suède. Ces pays sont des
monarchies où le sentiment national plus fort et l’abandon de la monnaie nationale est
considéré comme une perte de souveraineté. Mais l’explication est insuffisante puisque
l’Espagne et la Belgique sont aussi des monarchies et ont pourtant adopté l’euro.
D’après le traité de Maastricht, tous les pays de l’UE ont vacation à entrer dans l’euro.
Toutefois, le RU et le Danemark disposent d’une clause d’opting out leur permettent de
décider s’ils souhaitent ou non adhérer à l’UEM. La Suède ne dispose pas de cette clause.
Pour éviter de rentrer dans l’euro, la Suède ne participe pas au MCE II, condition pour
adhérer à l’euro.
Le MCE II, ou SME-bis, concerne les pays qui sont dans l’UE mais pas encore dans la
zone euro. Pour éviter qu’ils ne tirent trop d’avantages de la situation, il a été décidé qu’à
partir de 1999 serait institué un MCE II visant à limiter les variations de leur monnaie par
rapport à l’euro (+/- 15%) et à préparer leur adhésion à l’euro.
Le cas du Danemark et de la Suède
En 2000, le gouvernement danois organisa un référendum en vue d'une possible
adoption de l'euro. Le « non » l'emporta avec 53,2 % contre 46,8 % pour le « oui ». Les
Suédois ont eux aussi rejeté l’entrée dans la zone euro par un référendum en 2003 : 56% de
non, 42% de oui et 2% de blancs.
Dans ces deux pays, la population craint que l’adhésion à l’euro ne soit préjudiciable
au maintien d’un haut niveau de protection sociale et n’est pas très enthousiaste à l’idée de
rejoindre un groupe de pays dont les finances publiques dérivent.
Le cas de PECO
Dans ces pays, l’adhésion à l’euro a été longtemps vue comme un moyen de
parachever la transition vers l’économie de marché, après l’adhésion à l’Union européenne.
Techniquement, l’euro fait partie des acquis communautaires qu’ils sont dans l’obligation de
reprendre à leur compte, à condition d’être prêts le moment venu. Pour adopter l’euro, les
PECO doivent satisfaire à deux conditions : respecter les critères de convergences de
Maastricht, et avoir appartenu pendant au moins deux ans au système monétaire européen bis,
le dispositif qui encadre les fluctuations des monnaies nationales des pays de l’Union non
membres de la zone euro.
Le premier ministre tchèque, Petr Necas a déclaré en octobre 2011 : « Les gouvernement
tchèque et bulgare refusent absolument de fixer une date, parce que nul ne sait quel sera le
développement ultérieur de la zone euro », ajoutant pour justifier cet attentisme prudent : « Nous
voyons que l’Union monétaire en est en train de se transformer en union de transferts, voire une union
49
50
de dettes. » Même son de cloche de la part de Maek Belka, président de la Banque centrale polonaise :
« Regardez l’état de la zone euro ; on le fera quand elle sera en ordre. » D’autant que la Pologne, sans
l’euro, connaît une croissance de 3% que lui envient les pays de la zone qui l’ont adopté.
La République Tchèque ne veut pas mettre en péril sa bonne santé économique en volant au
secours des canards boiteux dépensiers, victimes aussi de l’euro, c’est ce qu’a déclaré le premier
ministre : « Notre position est catégorique ; personne n’est obligé de prendre l’argent de ses
contribuables pour le verser à celui qui n’est pas discipliné. Que les Etats ne dépensent pas plus que
ce qu’ils gagnent ! ».
L’attachement des Anglais à la livre sterling :
Le chancelier Gordon Brown a énoncé dans son discours sur l’UEM, le 27 octobre
1997, les 5 conditions d’entrée :
1- la convergence des cycles d’activité britanniques et européens
2- un degré de flexibilité adéquat pour faire face à un choc asymétrique
3- un impact favorable sur les investissements réalisés au RU
4- des effets positifs sur les services financiers
5- des retombées bénéfiques sur la croissance et l’emploi
Le 9 juin 2003, le chancelier Gordon Brown a annoncé que les conditions n’étaient pas
réunies, donc que le RU renonçait à organiser un référendum sur l’euro. Il est vrai que
l’opposition de l’opinion publique à l’euro ne se dément pas : en moyenne depuis le début des
années 1990, le camp des opposants représente entre 50% et 65% des sondés, soit le taux le
plus élevé de l’UE.
Fin – 2 mai 2013 – © Hermet.
50

Documents pareils