Jérôme ATTAL - Pascale Jeanne Morisseau

Transcription

Jérôme ATTAL - Pascale Jeanne Morisseau
Entretien avec un dandy : Portrait de Jérôme ATTAL, réalisé le 3 novembre 2003, par
Pascale Jeanne MORISSEAU, présidente du collectif d’artistes DINOSAURS.
A l’occasion de sa prochaine série de concerts au HOUSE of LIFE (ancien Chesterfield
Café), les 12, 13, et 14 novembre 2003, nous avons demandé à Jérôme ATTAL, auteur,
chanteur de charme et dandy parisien, de bien vouloir répondre à certaines questions
que nous nous posons sur son personnage fort et incontournable de la jeune chanson
française, dite indépendante, et de son engagement artistique.
HOUSE OF LIFE – 124 rue de la Boëtie – 75008 Paris – 22H00 – Entrée LIBRE
DINOSAURS : Quand et comment as-tu commencé à écrire des chansons ?
Jérôme ATTAL : Quand j’ai commencé à devoir parler aux filles.
D : En tant qu’auteur et interprète, ne ressens-tu pas le manque de composer toimême ? Comment travailles-tu avec tes musiciens (Cyrille Fournel, Frédéric Rouet et
Mathieu Zazzo) ?
JA : Parfois, j’écris des mélodies sur des bases musicales ou sur des boucles qu’ont
travaillés mes musiciens, mais, étant piètre musicien moi-même, je leur fais
confiance pour traduire, creuser et faire aboutir en chanson mes émotions et mes
envies.
D. : Tu présentes la particularité de rédiger un journal intime (1998-2003) que tu
mets à jour plusieurs fois par semaine sur internet. Qu’est-ce qui a motivé un tel
choix, et quelles ont été tes influences ?
JA : Au départ, c’était un moyen de rendre attractif le site, de faire venir les gens pour
découvrir notre musique, mais c’était un prétexte, puisque j’écrivais depuis
longtemps mon journal intime sur des carnets. C’est un travail aussi important que
celui des chansons. Quand j’ai une émotion ou des choses à raconter, j’ai le choix
entre les chansons ou le journal. Ou un texto pour la fille dont je suis amoureux. Et si
je ne suis pas amoureux, un texto pour virer quelqu’un à la Star Academy, sauf que je
crois qu’on ne vire pas les gens à la Star Academy, mais qu’on les sauve. Comme quoi
le PAF est christique.
www.jerome-attal.com
D. : Faire un journal, était-ce pour pallier un manque de reconnaissance du monde de
la chanson, comme le besoin vital d’exister quand même, indépendamment de tout
système ?
JA : Non, c’est un exercice qui me convient. Au début, c’était marrant, parce que ça
expliquait ce monde un peu compliqué de l’entrée en chanson, et puis rapidement, on
s’en fout un peu. Ca déborde le côté anecdotique.
D. : Considères-tu ce journal comme une œuvre à part entière ?
JA : Oui.
D. : Ce qui me frappe quand je le lis, c’est ton amour de l’art et des filles. Tu racontes
tes rencontres, tes liens, tes coups de cœur et tes détresses, ce qui t’inspire, et le fruit
de ta création. D’avancer ainsi à visage supposément découvert n’est-il pas difficile à
gérer dans tes relations avec les autres ?
JA : Ce n’est pas tant ce que je raconte que le point de vue que j’adopte. J’essaie
d’échapper au trivial et de faire en sorte de blesser le moins de monde possible. Ca
n’est pas de la retenue. C’est juste ma façon d’écrire.
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D. : Nous savons combien l’amour propre rend susceptible. Il a dû forcément arriver
que ton œuvre journal soit mal perçue par certains. As-tu des regrets spécifiques ?
JA : Non.
D. : Comment les autres vivent-ils leur propre célébrité à travers la tienne ?
JA : Par exemple, David, qui est un ami proche, et donc un personnage récurrent du
journal, a l’intelligence de ne pas s’offusquer de ce que je lui fais dire, et même, de ce
qu’il n’a pas dit en vrai et que j’invente au moment où j’écris.
D. : Peut-on dire que les autres rentrent dans ta fiction ?
JA : Non.
D. : Tes secrets ne sont plus des secrets, et pourtant, tu me donnes l’impression
d’avancer avec un masque, d’être dans l’unité qui n’est pas une nudité ? Comment
expliques-tu cette force et ce paradoxe ?
JA : Nietzsche a dit : « Tout ce qui est profond avance masqué ». C’est pour ça que je
me fais engueuler régulièrement quand je téléphone à des filles qui ne peuvent pas
identifier mon numéro (mais qui sont agréablement surprises quand même).
D. : Comment expliques-tu que j’ai eu envie de faire ton portrait juste après avoir vu
l’exposition consacrée à Jean COCTEAU au Centre Pompidou à Paris ?
JA : Parce que j’ai des plus belles mains que Jean Cocteau. On dit d’ailleurs : un
cocktail, des cocteau. Quand on demandait à Cocteau : « S’il y avait le feu chez vous,
qu’est que vous sauveriez ? ». Cocteau répond : « Et bien, s’il y avait le feu chez moi,
je sauverais le feu ».
D. : Comme moi, tu vas souvent voir des expositions. Et pourquoi n’y va-t-on jamais
ensemble ?
JA : C’est faux. On s’est rencontré à l’exposition Garouste à la Fondation Cartier, et
c’était très chouette. C’était comme une cabane d’enfant. On pouvait rentrer à
l’intérieur et en faire le tour. C’était un peu comme l’amour.
D. : Pourquoi a-t-on du mal à te voir vivre ailleurs qu’à Paris ?
JA : Parce que j’ai perdu quelque chose dans le Triangle des Bermudes formé par les
trois boulevards qui sont : Saint-Germain, Raspail et Saint-Michel. Et il faut
absolument que je retrouve cette fille.
D. : Il y a quelques temps, tu me disais être dans l’écriture de nouvelles, as-tu trouvé
un éditeur pour te publier ?
JA : La Revue Bordel chez Flammarion a publié une nouvelle qui s’appelle
« Triptyque d’un soir de juin ».
D. : Que penses-tu du monde de l’édition littéraire ?
JA : Je trouve ça drôle de jouer au jeu des sept différences avec le monde de la
musique.
D. : De celui l’industrie du disque ?
JA : Et bien je trouve que c’est amusant de jouer au jeu des sept différences avec le
monde des livres.
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D. : Tu as placé des textes chez des interprètes dits célèbres, comment t’y es-tu pris ?
JA : En écrivant des textes avec les mains de Jean Cocteau sur un Macintosh.
D. : Florent PAGNY chante l’un de tes textes, « Mon amour oublie que je l’aime »,
comment le vis-tu ?
JA : Je trouve que c’est une belle chanson, qui lui va bien.
D. : La dernière fois que je t’ai croisé sur scène le 07 juin 2001, c’était lors de la sortie
de mon dernier disque autoproduit « Les noisettes folles » sur la péniche 6/8, avec le
recul, qu’as-tu pensé de cette soirée ?
JA : Le problème d’une péniche, c’est que plus tu recules, plus tu risques de tomber à
la baille.
D. : Je t’avais proposé de participer à mon projet poético-musical parallèle à
s’intituler « Promenades au Phare », autour de la chanson anglaise que j’ai écrite le 9
juin 2001, « The Lighthouse In Your Heart », tu as accepté tout de suite, pourquoi ?
JA : Et bien parce que je trouve l’enthousiasme poétique. Et puis on a fait une très
belle chanson. Moi, j’ai juste ramené ma gueule pour dire mon texte, mais la chanson
est très belle. C’est un peu comme l’expression : ramener sa gueule pour fumer. Moi,
c’est pareil. J’ai ramené ma gueule pour dire mon texte.
D. : J’ai lu que cette chanson te faisait penser à Margueritte DURAS (ce qui était
d’ailleurs très flatteur pour moi), peux-tu nous parler de l’engouement que tu as pour
cet écrivain ?
JA : Cette chanson me fait surtout penser au « Navire Night » de Duras que je cite
dans la chanson. Mais, dans cette chanson, il y a aussi « Les Hauts de Hurlevent ». Et
il y a aussi le pot de tarama Marks & Spencer que je mangeais en écrivant cette
chanson, mais qui, comme Margueritte, n’est plus. Et après, on s’étonne que les
chansons soient tristes.
D. : J’ai eu l’idée de te faire écrire un poème que tu aurais incrusté vocalement à
l’intérieur de la chanson elle-même, comme une surimpression. Tu as écris ce poème
magnifique « Le phare ». Depuis, cette voix, que tu avais enregistrée au Studio
DINOSAURS, a disparu par accident, et il ne reste de cette version que celle que tu as
chargée sur ton site. Je t’en avais fait baver ce jour-là, qu’as-tu pensé de mes
méthodes de travail ?
JA : Spécialement dictatoriales. Mais, une dictature éclairée !
D. : Que penses-tu de l’éthique DINOSAURS ?
JA : Ce que j’en sais ne me semble pas du tout préhistorique.
D. : Pour en revenir à ta série de concerts au HOUSE of LIVE, tu y joueras trois soirs
d’affilée. C’est le résultat d’un tremplin qui s’est effectué là-bas en juin dernier et que
tu as gagné. Aimes-tu à ce point la compétition ?
JA : Déjà j’aime beaucoup ton accent écrit quand tu dis « House of live ». Et puis, la
compétition, je n’y fais jamais attention.
D. : Je me souviens d’un autre tremplin où tu étais opposé à ELLYSGARDEN, le
groupe rock de la chanteuse Cyrille LE MEVEL (aujourd’hui renommé CATTLEYA),
que je connaissais par ailleurs pour avoir fait des chœurs sur deux de mes précédents
albums. A l’époque, j’avais trouvé cela fratricide. De plus, le tremplin organisé par la
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chaîne télévisuelle était pipé. Tu avais perdu, même si le nombre des voix en ta faveur
disait le contraire, parce que ton image ne correspondait pas à ce qu’attendait le
public de cette chaîne. Des réactions ?
JA : J’ai toujours eu un destin d’homme d’état (d’âme).
NB : CATTLEYA sera en concert au HOUSE of LIVE, le 07/11/2003 à 19H30.
D. : Maintenant, tu peux me le dire, comment t’es venu ta sublime chanson « Le
jeune homme changé en arbre » qui m’a fait tant pleuré ?
JA : Le titre est d’un conte des frères Grimm, mais moi qui suis fils unique, je ne suis
jamais tombé dessus. Par contre, le titre s’incorporait bien avec mes préoccupations,
et j’en ai fait une chanson d’amour qui raconte que l’on peut rester sur le bord de la
vie de quelqu’un qu’on aime. Mais je le déconseille très fortement parce que quand on
est un jeune homme changé en arbre, c’est un peu mal venu de se prendre un platane.
D. : Enfin, as-tu de nouvelles chansons ?
JA : Ah, oui, mademoiselle !
D. : De nouveaux projets ?
JA : Gombrovicz a écrit un truc génial à une question de ce genre : « Quels sont vos
futurs projets », et il a répondu : « La tombe ». Et moi, je vais répondre : « La
virgule ».
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