Rapport régional 11 L`ARTISANAT DANS L`ECONOMIE INDIENNE
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Rapport régional 11 L`ARTISANAT DANS L`ECONOMIE INDIENNE
Rapport régional 11 L'ARTISANAT DANS L'ECONOMIE INDIENNE par T.N. Sing, Président, Bureau de l'artisanat panindien 1. Invariablement, dans l'artisanat traditionnel des villages et des villes indiens, apparaît le sens artistique de l'artisan. L'esprit créateur de l'artiste peut être découvert même dans les articles artisanaux employés quotidiennement dans nos maisons. Articles utilitaires, ils tirent leur origine des besoins de tous les jours, mais ils sont aussi des pièces décoratives. Les fragments de poteries découverts par les archéologues dans différentes parties de l'Inde prouvent que. cinq cents ans avant J.C.? même les plus anciennes avaient leur touche artistique. Cela manifeste la continuité des décors et des formes des articles de terre cuite depuis l'époque de Harappa et Mohenjo Daro jusqu'à nos jours. Ce fait serait encore illustré par la comparaison des jouets découverts dans les ruines de Harappa avec ceux qui sont vendus en Inde aujourd'hui. Les trouvailles archéologiques appartenant aux différentes périodes de notre histoire font ressortir la nature tradi- , tionnelle de notre artisanat. En dépit du fait que beaucoup de nos métiers manuels sont limités par la tradition, à travers les âges, l'artisan indien a, par son génie et son imagination, diversifié la fraîcheur et l'agrément de ses productions. 2. Dans les domaines urbain et rural, nos articles traditionnels artisanaux harmonisent l'utilité et la beauté artistique; par suite de cette combinaison, nos artisans ont trouvé des marchés croissants dans les régions prospères de la communauté nationale aussi bienqu'à l'étranger. Cependant, le fait que, aujourd'hui, un nombre., toujours plus grand de clients demandent davantage à leur valeur;décorative qu'à leur utilité justifie les efforts engagés en Inde, au cours des dernières années, pour la production d'articles de caractère artistique. Les agences de développement spécialisées, instituées par le gouvernement de l'Inde, ont dès lors essayé de consacrer davantage d'énergie et d'attention à l'artisanat d'art afin que ses produits deviennent compétitifs sur le marché, davantage par leur valeur esthétique et décorative que par leur caractère utilitaire. Ainsi s'explique le fait que. nous trouvions des agences de promotion,comme le Bureau de l'artisanat panindien, essentiellement orientées vers le développement de l'artisanat d'art. 3. Après l'indépendance, nous avons fondé une organisation panindienne; il lui a été demandé de développer la fabrication des articles utilitaires et des objets d'art dans les industries villageoises et les petites industries. Il apparai ssa it en effet - 355 - - 2 - nécessaire de disposer d'organismes spécialisés pour s'occuper des différentes sortes de produits artisanaux. Actuellement, ces institutions existent ; Bureau des petites industries. Comité des industries rurales, Commission des industries villageoises et du khadi, Bureau du tissage manuel et Bureau de l'artisanat panindien. 4. Dans notre pays au très riche héritage artisanal et à la forte population d'artisans, il est naturel qu'en même temps les planificateurs prennent des dispositions favorables au développement industriel à grande échelle des industries complexes et modernes et qu'ils cherchent à réduire la pauvreté et le chômage en modifiant l'économie industrialisée de sorte qu'elle serve aussi l'expansion et la croissance de l'artisanat. Le fait est que les articles artisanaux indiens, en dépit de cent cinquante ans de compétition avec ceux des grandes industries modernes, ont montré une vitalité remarquable et qu'ils ont même réussi à élargir leur marché et à fixer la préférence des clients sur beaucoup d'entre eux. Prenez pour exemple les fabriques de tissage à la main. Bien qu'en Inde la production par métier manuel représente un cinquième de celle d'un métier mécanique, le marché va croissant pour les tissus faits à la main qui, à cause de leur solidité, de la permanence de leur qualité artistique et de l'excellence de leurs dessins ont obtenu la faveur d'un grand nombre d'acheteurs judicieux. Dans une faible mesure, grâce à l'assistance et aux encouragements du gouvernement, les prix de ces produits demeurent compétitifs. 5. Pour quiconque étudie avec soin l'histoire du développement de l'artisanat en Inde ces dernières années, il paraît clair que l'artisan indien, soutenu et encouragé par une administration sympathique poursuivant une politique raisonnable en matière de fiscalité, d organisation du travail, de développement adéquat des projets, de facilités de crédit et de recherche de débouches commerciaux. peut, non seulement tenir sa place dans plusieurs secteurs industriels, mais encore augmenter sa production et gagner comparativement plus qu'autrefois. Aujourd'hui, le secteur du tissage manuel, à cause de sa capacité de production de types spéciaux de vêtements, dans des tissus dont les beaux dessins sont réalisables sur le métier, est en expansion croissante. La consommation interne de vêtements tissés main est passée, pendant les vingt dernières années, de 670 millions de mètres à 1.850 millions de mètres, en dépit de la vigoureuse croissance dans le pays du secteur des filatures de coton. Actuellement, nous exportons 40 millions de mètres de tissus main contre 9 millions de mètres il y a vingt ans. Parallèlement, nos différents artisanats produisant des articles de métal, des tapis, de la joaillerie font face à une demande qui croît à la fois sur les marchés intérieurs et étrangers. Les possibilités d'emploi qu'offre l'artisanat lui-même lui donnent une place spéciale dans l'économie indienne. Les personnes autoemployées constituent l'ossature d'une société; aussi les hommes appartenant aux métiers - 356 - - 3 - ont-ils toujours joui de prestige et d'importance dans toutes les sociétés humaines. Môme aujourd nui, l'artisan indien est surtout une personne qui fournit son propre capital et travaille elle-même pour fabriquer des produits et les vendre. L'artisan est un combiné d'entrepreneur, d'ouvrier et de vendeur. Une différence importante existe cependant entre l'artisan et le médecin ou tel autre profes• sionnel s son gain.moyen est comparativement beaucoup plus bas. Mais l'.artisan estime l'homme de métier qui possède des capacités spéciales, dont il sait que certaines ont été acquises après de nombreuses années de formation. 6. Sous l'impact des forces économiques modernes et des techniques scientifiques efficaces de production, l'artisanat a perdu sans arrêt du terrain pendant les cent cinquante dernières années. Au début de ce siècle. Gandhi réalisa que personne ne pouvait envisager avec sérénité l'extinction de l'artisanat car c'eût été priver des millions d'hommes de leurs moyens d'existence. Sous son influence, le développement intensif des industries villageoises devint un constituant vital de la liberté en Inde. Disposant de cette liberté, un pays arriéré comme l'Inde devait naturellement faire des plans d'industrialisation. Toutefois, les petites in. dustries villageoises continuaient d'occuper une place très importante dans ce programme de développement; environ sept aillions d'hommes gagnent aujourd'hui leur vie eh.Inde dans ce secteur. Je crois bon d-expliquer ici brièvement comment le Bureau de l'artisanat panindi en, avec lequel je suis lié, est organisé, quelle est sa structure et quelles sont ses fonctions. Cette institution centrale coordonne le programme de production des artisanats dans les différents Etats comme cela est prévu dans nos plans de cinq ans. Il apporte l'unité des règles et des règlements, il engage les projets de développement, il effectue des recherches, il garantit et lance, même directement, de nouveaux, programmes. C'est le catalyseur du développement général de l'artisanat dans le pays. Le Bureau de l'artisanat panindien fut. créé il y a dix-huit ans pour conseiller le. gouvernement sur les problèmes posés par les industries artisanales. Dans la période initiale, il sentit que la difficulté la plus importante que rencontraient les artisans était celle de la recherche de débouchés commerciaux car, dans leur situation, ils ne pouvaient coexister facilement avec les industries modernes. Le bureau comprit que des efforts devraient être tentés pour procurer des facilités de commercialisation aux produits artisanaux. Le marchand intermédiaire avait jusqu'alors constitué la principale agence de recherche de débouchés de l'artisanat;:ceci avait entraîné l'avilissement du caractère artistique de beaucoup d'articles.. Il tendait à acheter des produits bon marché faciles à .vendre. La perte d'indépendance des artisans en avait résulté d'autant.plus qu'il leur était difficile d'apprécier l'intérêt usuraire qu'ils soldaient au commerçant pour les avances consenties. Le bureau a favorisé, pendant les deux dernières décades, l'augmentation du nombre des entrepôts artisanaux dans les différentes - 357 - - 4 - parties du pays, selon l'apport des produits à commercialiser et la capacité du consommateur de les payer à l'artisan un meilleur prix. La mise en place des entrepôts a résulté de la renaissance de beaucoup d'anciens articles artisanaux qui n'auraient pas été multipliés sans l'esprit d'initiative.manifesté par eux. Malgré tout aujourd'hui, le marchand intermédiaire continue d'occuper la scène parce que les entrepôts d'Etat ne sont pas suffisamment nombreux et qu'ils souffrent de certaines limitations qui ne jouent pas pour les marchands. 7. J'ai fait allusion à la nature du travail de l'artisan qui juxtapose la production et la recherche de débouchés. Il n'aura bientôt plus besoin de colporter ses produits comme il l'a fait jusqu'ici. Les organisations de recherche de débouchés commerciaux prendront soin d'orienter et de financer la production artisanale. Dans cet esprit, le bureau-a conseillé aux entrepôts des différents Etats de développer le contact direct avec les artisans, de les approvisionner en matières premières, de.les guider afin qu'ils suivent les goûts changeants du marché, d'acheter tout ce qu'ils produisent selon leurs possibilités d'emmagasinage et de vente. Ce dont l'artisan indien a le plus besoin aujourd'hui c'est à la fois d'unmarché assuré pour ce qu'il produit et de recettes raisonnables pour qu'il puisse en alimenter la fabrication. 8. Afin de protéger les articles artisanaux, des programmes de développement bien pensés doivent être établis et exécutés. Le bureau considère que les millions d'artisans forment la section de main-d'oeuvre autoemployée la plus nombreuse de la communauté indienne, ils constituent l'ossature de la société. Ils sont capables de produire une grande variété d'objets utilitaires en même temps qu'artistiques qui trouveront leur place dans les maisons des plus modestes aux plus cossues. En dépit de sérieuses circonstances adverses et d'une organisation inadéquate, le marché des produits artisanaux indiens occupe le sixième rang des exportations; si l'on y inclut les tissus faits à la main et les articles provenant des petites industries villageoises, ce secteur occupera probablement le quatrième rang de nos échanges avec l'étranger. Il est normal que le bureau fournisse son aide à l'artisan et avec la collaboration de la Banque d'Etat indienne .et des banques coopératives qui lui assurent des facilités de crédit. 9. Sans doute, un grand pas a été fait. Le travail le plus important que le Bureau de l'artisanat panindien et les organisations de caractère similaire aient réalisé se situe dans le domaine des centres régionaux dans quatre des régions de l'Inde. Environ 15.000 échnatillons et dessins, dont la majorité a été retenue pour une production à commercialiser, ont été préparés par le bureau; les centres régionaux n'ont pas seulement essayé d élaborer ces nouveaux projets en dehors des techniques anciennes mais ils ont aussi sauvé beaucoup de travaux traditionnels, en leur donnant - 358 - - 5 - une nouvelle vie par l'introduction de matériaux modernes et la diffusion de méthodes d'exécution plus efficaces. En vue du contrôle de qualité, le bureau a aussi encouragé une production qualitativement meilleure et le respect de standards d'exécution appropriés. 10. Par son Centre de développement central, établi à Delhi et maintenant à Bangalore, le bureau a développé de nouvelles techniques dans les métiers traditionnels, il a introduit et fourni des outils et guidé les artisans dans la mise en oeuvre d'une technologie moderne. Il a rassemblé les matériaux utilisés depuis des temps immémoriaux par les artisans de villages ; le bambou, le rotin, l'argile, et il leur a-donné le moyen de produire à plus bas prix des objets adaptés aux besoins, de la vie moderne. Ce ne sont pas moins de quarante types différents d'outils et d'instruments divers qui ont été mis à la disposition des artisans les plus habiles. Des équipes de vulgarisation ont parcouru le pays, montrant aux artisans le bénéfice obtenu par l'emploi de ces outils et leur apprenant les méthodes d'exécution propres au travail des matériaux traditionnels comme des matériaux nouveaux. Bien que modeste, cet effort a été d'une grande portée. L'adoption par. nos artisans des méthodes de production recommandées a engendré la renaissance de l'artisanat indien dans les dernières années, renaissance qui soutient la promesse d'un progrès répondant à nos demandes pour l'avenir. 11. Un brillant futur attend l'artisanat dans les pays en voie de développement, non seulement par l'augmentation des exportations, mais aussi par l'apport de grâce et de bonheur dans les foyers modestes. Il est évident toutefois que le plus important dans l'artisanat n'est ni-l'augmentation de capital ni l'amélioration de l'outillage et des techniques mais l'homme derrière le tour du potier, l'homme derrière le métier à tisser, l'homme derrière les différents outils et leur maniement. Les objets artisanaux sont significatifs du triomphe de l'homme sur la matière; c'est dans la beauté de sa création que la personnalité de l'artisan trouve son expression authentique. Les artisans et les ouvriers manuels des pays en voie de développement pourront relever le défi de l'âge de la machine dans les prochaines décades si les conditions suivantes sont remplies s a) le caractère d'autoemployé de l'artisan individuel doit être maintenu et^renforcé de sorte que son génie puisse, par l'effort créateur, continuer de trouver un débouche pour ses produits; b) dans la^mesure du possible, l'artisan individuel doit être déchargé de la responsabilité de recherche de débouchés commerciaux, des soucis de la vente, du financement et de la fourniture des matières premières; son énergie pourra ainsi être - 359 - - 6 - utilisée à plein dans le travail créateur. L'établissement d'un entrepôt d'Etat, de coopératives de recherche de débouchés et toutes autres formes d'assistance de la communauté serviront ces objectifs; c) l'ouvrier et l'artisan doivent être aidés dans leur effort continu de perfectionnement technique par des recherches et une formation qui permettront à leurs fabrications de satisfaire les besoins et les goûts changeants du monde moderne. De telles études incombent à la communauté et non pas uniquement aux artisans individuels; d) la communauté devra fournir l'infrastructure nécessaire, les services culturels et sociaux, les facilités de travail et d'organisation; e) une politique fiscale judicieuse et réfléchie sera suivie par le gouvernement et les organisations semi-officielles; ils fourniront aux artisans les stimulations nécessaires. Si ces conditions sont remplies, je ne doute pas que l'artisanat et les petites industries villageoises continuent de jouer à l'avenir un rôle clef dans la construction économique des pays en voie de développement, en particulier chez ceux où la population est d'une forte densité. Notre expérience en Inde prouve que les industries artisanales et villageoises peuvent coexister et croître à côté des grandes industries modernes. Nous avons, pendant les deux dernières décades, mis à exécution avec un succès variable ce type d'industrie. Pour beaucoup d'entre nous, la croissance équilibrée et stable de l'économie nationale n'est pas possible sans l'expansion de ce secteur dynamique qui fournit, non seulement des possibilités d'emploi, mais aussi une fierté certaine à la partie de la communauté parvenant au même niveau de vie que les salariés et les employés. La génération actuelle, surtout dans les pays en voie de développement, doit faire face à de nombreux problèmes sociaux et économiques; je pense qu'un artisanat en croissance offrirait dans une certaine mesure une solution aux tensions dont nous sommes aujourd'hui les témoins. - 360 -