Noir mais marron - IEN Saint

Transcription

Noir mais marron - IEN Saint
Noir mais marron
Je finissais à peine de brosser la marmite avec du chiendent que j’entendis le bruit
sourd de l’amponga-bé.
- Ecoute ! Band’na y bat’ moring !
Nous nous levâmes d’un bond, comme attirés par une force surnaturelle et nos pas
nous menèrent jusqu’au rond. Là, des adolescents comme moi s’essayaient à la lutte.
Quand les combattants étaient jeunes, le rythme des tambours étaient
plus rapide et leurs sons plus clairs, comme ceux d’un djembé. Lorsque des
adultes entraient dans le rond, l’amponga-bé retentissait et le rythme ralenVocabulaire
tissait.
Amponga-bé
Un jeune Malgache du nom de Ratsy avait sorti du rond presque tous
:
les amateurs du coin. Il s’approcha de moi et me défia, d’abord du regard,
Gros tambour
Capor :
puis des gestes. Saphime me tenait par le poignet. Il se sentait défié lui ausesclave
noir,
si, mais il n’avait pas prévu de m’envoyer au combat, pas encore.
grand et fort
Cependant le son des tambours s’amplifiait, le rythme s’accélérait, mon
coeur battait au même rythme, j’étais presqu’en transe. La petite assemblée
oubliait ses malheurs quotidiens, la tête se vidait.
- Va! me dit Saphime.
Et avant de me lâcher le poignet, il enfonça doucement son poing sous mon plexus
et comprima ma respiration. Je soufflai lentement et repris mon souffle aussi calmement
que la situation le permettait.
Les tambours accélérèrent encore la cadence, ayant compris qu’ils avaient peut-être
affaire à deux capors. Pendant les rites, l’étalage de poussière du rond ne se limita pas à
mon nombril et à mes flancs. Je laissais glisser mes mains fermement, mais calmement,
sur tout mon corps. Le rythme effréné des tam-tams accéléra la procédure et le combat
commença rapidement.
Ratsy fit un saut périlleux, son fameux “ casse-cou santous’ ” et m’expédia les deux
talons vers le visage. Je l’évitai d’une simple rotation du tronc. Un murmure s’éleva dans
l’assemblée. Ratsy n’avait pas l’habitude de rater son entrée. Il fut un moment déconcerté
devant mon calme. Je soutins son regard et j’entendis :
- Dongomby ! chuchoté comme pour moi seul.
Je fis une projection de force en direction de la poitrine de mon adversaire, il recula
de trois bons pieds.
- Kopa tokana !
Mon talon partit en percussion sur le visage du jeune Malgache. Il tituba un instant et
voulut rejoindre le rond, mais les tambours cessèrent de battre. Les Anciens ne voulaient
pas de casse chez les jeunes.
Je goûtai à peine à la calebasse de raque pour respecter la tradition tandis que Ratsy en but une bonne lampée, laissant des rigoles dégouliner aux commissures de ses lèvres. Mon adversaire me jeta un regard de haine et serra les dents. Je m’étais fait un ennemi dans ma propre communauté. Je sortis du rond et me calai contre Saphime. Ses
yeux brillaient. Il était fier de moi.
Yves Manglou, Noir mais Marron, Les éditions du paille-en-queue noir, 2001.