La Bataille d`Angleterre

Transcription

La Bataille d`Angleterre
1- Des croix noires dans le ciel
Sous une tente de la base aérienne de Tangmere, dans
le sud de l’Angleterre, le pilot officer (sous lieutenant)
Yann Kermadec reposait tout habillé sur son lit de
camp. Il portait un uniforme en drap de laine, couleur
gris bleu. Une rangée de boutons centrale fermait la
veste, serrée à la taille par une ceinture en tissu, à
boucle. De part et d’autre, quatre larges poches à revers.
Deux ailes cousues de couleur blanche, surmontées
d’une couronne, ornait la poitrine gauche. Un liseré bleu
ceinturait le bas des manches. Demi-bottes fourrées aux
pieds. Au cou un foulard blanc, lâche. Il était en
readiness. Une sonnerie aigrelette de téléphone retentit.
Il étendit le bras pour décrocher. Une voix douce lui
parvint.
– Okidoc Maggy, répondit-il en raccrochant.
– Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? demanda en français son
compagnon de chambrée, le warrant officer first class
(adjudant-chef) Stanislas Siminsky.
– Scramble gueula Kermadec.
Les deux hommes se levèrent d’un bond et coururent
vers leurs Hurricane.
– Pourquoi on roule à gauche dans ce pays ? demanda
Yann à Sally quand ils quittèrent Falmouth en direction
de Londres.
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– Mes compatriotes te répondraient : pourquoi vous
roulez à droite ? Ce sont les Anglais qui ont raison,
darling, le cœur de l’homme est à gauche.
– Pas le mien, il est à droite.
– Je crains que dans ce cas les médecins de la Royal
Air Force ne t’acceptent pas comme pilote.
À bord d’une Triumph décapotable, entièrement
peinte en gris, ils serpentaient à travers la campagne
anglaise.
– Miss O’Brien ne m’avait-elle pas dit qu’elle ne se
déplaçait qu’en Rolls dans son beau pays ?
– Trop gourmandes en essence, je les ai remisées
jusqu’à la fin de la guerre. Trop ostentatoires également.
Nous sommes en guerre, mon chéri. Le moment n’est
plus d’étaler ses richesses.
– Il te faudra alors écraser ton opulente poitrine et
raser ta luxuriante chevelure.
Elle tourna la tête vers son passager, les yeux brillants
de malice :
– Jamais un Anglais n’aurait osé me faire un tel
compliment.
Ils croisèrent un convoi militaire puis ne tardèrent pas
à buter sur un autre. Impossible de dépasser. Vitesse de
30 mph maintenue rigoureusement, ainsi que
l’espacement entre les véhicules. Yann songea à
l’immense pagaille qui avait régné sur les routes de
France pendant la campagne militaire.
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– Si quelques Stuka arrivaient à passer, ils feraient un
massacre.
– Les gens ici ne s’en rendent pas compte, malgré tous
les récits qui sont parus dans les journaux.
Yann alluma une cigarette. Sur la plate-forme bâchée
du Bedford roulant devant eux, des soldats, très jeunes,
leur adressaient de temps à autre des signes amicaux. La
lenteur du déplacement devenait pesante.
– Quel est le programme ? demanda-t-il.
– Toujours aussi pressé, mon Yann.
– Je n’ai pas traversé la Manche pour le seul plaisir de
te voir !
– Moi qui avais la naïveté de le croire !
Il sourit et lui enserra le cou de sa main droite. Elle
réagit par quelques torsions de la tête, pendant que des
sifflements partaient du camion les précédant.
– Tu as raison, dit-elle soudain : c’est insupportable.
À peine avaient-ils fait cinq miles sur l’A 39. Lassés
de traîner derrière le convoi, ils décidèrent de s’arrêter.
Une des nombreuses Nelson Inn du Royaume Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les accueillit. La
propriétaire, une grosse blonde à l’air revêche, regarda
Sally remplir la fiche. Mr et Mrs O’Brien avait-elle
inscrit. En France, on aurait demandé une pièce
d’identité, voire le livret de famille. La carte d’identité
n’existait pas au Royaume Uni. De plus, émettre le
moindre doute au sujet d’une déclaration eût été
incorrect, même si on était persuadé du contraire.
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– Que je suis heureuse Yann ! Tu ne peux pas savoir !
– Si.
– Toujours aussi content de lui, mon homme, à ce que
je vois !
– Voudrais-tu que je change ?
– Surtout pas !
Sally, telle une chatte repue, s’étirait de tout son long.
– Et toi ?
– Moi quoi ?
– Je sais qu’il n’est pas de bon ton pour une jeune fille
comme il faut de poser ce genre de questions et encore
moins de ce côté-ci du Channel, mais... tu ne m’as
jamais dit ce que je t’apportais réellement.
– Tu veux vraiment le savoir ?
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