L`ère de l`après

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L`ère de l`après
Elections législatives
7ème circonscription du Bas-Rhin, région de Saverne et Alsace Bossue
L’ère de l’après-Zeller
Emmanuel Viau
DNA, 3 juin 2012
Il y a bientôt trois ans disparaissait subitement Adrien Zeller. L’enfant chéri du pays, député
pendant 25 ans, maire de Saverne pendant 24 ans et président de Région, tenait son territoire
d’une main de fer toujours gantée de velours. Depuis, la contrée est déchirée entre ses fils
spirituels qui se disputent un héritage lourd à porter. Cette élection est l’occasion de solder le
passé.
Il était une fois un père qui tenait sa maison d’une main ferme, mais avec bienveillance, du moins,
selon toutes les apparences. Un père souriant et chaleureux, mais qui savait aussi être sévère. Sous
son autorité, chacun avait sa place. Chacun avait son rôle à jouer. Puis un jour, sans crier gare, la
mort l’a emporté, laissant ses fils spirituels orphelins de cette figure imposante, tantôt haïe, tantôt
adorée.
Vers la fin de son règne, pourtant, le père Adrien (car c’est de lui qu’il s’agit) avait eu maille à partir
avec l’un de ses héritiers, à qui il avait en 2001 confié les clefs de sa mairie. Une fois premier
magistrat, Thierry Carbiener, maladroit ou trop pressé de se libérer de la tutelle de son mentor, a
voulu aller plus loin : en 2007, il s’est présenté aux législatives face au député sortant Émile Blessig,
mis en selle en 1998 par le même Adrien Zeller. Tout cela, sans avoir son accord. Il lui en cuira : dès
le premier tour, il est battu par KO, le sortant rempilant aisément avec 60,5 % des voix. Car ce n’est
pas impunément que l’on s’attire la colère du père…
L’année suivante, aux municipales, la riposte est prête. Encouragé par Zeller, le député Émile Blessig
se lance dans la course et remporte une seconde victoire, aux points celle-là, mais décisive : privé
d’un deuxième round à la mairie, sans plus de mandat, Thierry Carbiener est aux abois.
Quelques semaines plus tard, le nouveau maire a l’occasion de porter le coup de grâce à son frère
ennemi. Frappé par le cumul des mandats, Émile Blessig choisit alors de laisser son siège de
conseiller général. Mais le candidat qu’il soutiendra, inexpérimenté, est battu de justesse lors de la
cantonale partielle par… Thierry Carbiener.
Dans un picaresque échange de sièges, l’ancien maire est donc devenu conseiller général à la place
de l’ancien conseiller général devenu maire. La situation pourrait être comique. Elle devient
embarrassante pour les habitants d’un territoire désormais divisé entre deux fortes volontés. Deux
héritiers qui, malgré la disparition du mentor à l’été 2009, continuent de se déchirer. Au conseil
municipal de Saverne, les séances se suivent et se ressemblent, qui voient le maire Blessig et le chef
de l’opposition Carbiener en venir aux mots, dans une ambiance à couper au couteau.
Puis l’an dernier, le conseiller général de Saverne, remettant son siège en jeu, est facilement
reconduit à l’assemblée départementale, battant sèchement une candidate UMP sans grande
notoriété soutenue par le maire de Saverne. Son ancrage territorial désormais bien établi, Thierry
Carbiener attend son heure.
Tremblement de terre dans le paysage local : le député se retire
Alors que tous s’attendaient à l’ultime combat entre les frères ennemis du conseil municipal savernois,
tremblement de terre dans le paysage local : le député Émile Blessig, pourtant clairement reparti en
campagne, annonce qu’il renonce à briguer un quatrième mandat. Après 14 ans passés à
l’Assemblée nationale, il parle de prendre du recul et met en selle Patrick Hetzel. Haut fonctionnaire,
directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, ce proche de François
Fillon fait valoir un remarquable carnet d’adresses parisien. Mais, à quelques semaines de l’échéance
législative, les militants, qui s’étaient déjà rangés derrière le sortant, sont un peu déboussolés. On
parle d’un parachutage de Paris, chez les candidats adverses mais aussi dans les rangs de l’UMP
locale. Démentant vigoureusement une quelconque ingérence du Premier ministre, le candidat Hetzel
tout juste investi fait valoir ses racines à Sarre-Union et sa maîtrise du dialecte, Émile Blessig, comme
président de son comité de soutien, comptant (un peu trop ?) sur sa réserve de voix savernoise pour
assurer l’équilibre des voix du territoire entre plaine (région de Saverne) et plateau (Alsace Bossue).
Dans l’autre camp, on s’aperçoit dans le même temps que le « boulevard » parfois prédit à Thierry
Carbiener, suite au retrait du sortant, n’est pas sans obstacle. Il s’évertue par exemple à prendre ses
distances avec François Bayrou et ses incartades présidentielles à gauche, mal tolérées dans une
contrée viscéralement droitière. Thierry Carbiener, qui s’est présenté sous l’étiquette UDF-Modem en
2007, rappelle d’ailleurs à qui veut l’entendre qu’il est de centre-droit, n’a pas cotisé au Modem et
reste fidèle à la mémoire de l’ancienne UDF, un parti qu’il voudrait voir ressusciter à travers une
Alliance des centres qui lui a valu récemment l’appui de membres du Nouveau Centre… enfin pas
tous. Certains faisant plutôt le choix du conseiller régional NC Laurent Burckel, bombardé suppléant
du candidat UMP et par ailleurs farouche adversaire de Thierry Carbiener au sein du conseil
savernois, où il est adjoint aux sports.
La légitimité centriste, ainsi fort disputée au sein d’une famille qui reste éparpillée, l’est d’autant plus
qu’un candidat du Centre pour la France, Pierre Schweitzer, s’est récemment joint à la danse,
soutenant François Bayrou et taclant explicitement Thierry Carbiener.
Cela dit, le conseiller général de Saverne peut compter sur un allié original : Denis Lieb, seul candidat
régionaliste à se présenter en Alsace sous la bannière Unser Land, a clairement indiqué son intention
de le soutenir en cas de second tour. L’ancien conseiller général de Sarre-Union, redoutable machine
de campagne pratiquant le porte-à-porte comme personne et trublion avéré, s’est même permis, en
clôture d’un récent meeting UMP animé par le président de Région Philippe Richert, de surprendre
tout le monde en sautant sur l’estrade pour faire chanter la Marseillaise à l’assistance.
Sa façon de railler les élites et de tenir ses meetings entièrement en dialecte pourrait lui valoir une
partie des voix de droite, surtout en Alsace Bossue. Et son positionnement identitaire régional, à
l’écart des extrêmes puisqu’il prône essentiellement une Europe des régions, pourrait toutefois séduire
une partie des électeurs du Front national.
Division à droite... et déchirements à gauche
Le candidat bleu Marine, Laurent Gnaedig, encore peu connu dans le secteur, peut néanmoins
prétendre à la triangulaire au second tour en profitant des divisions de la droite. Phénomène dont
l’impact est pourtant à relativiser, puisque division il y a, mais d’un très gros gâteau, le vote pour
Nicolas Sarkozy représentant 70 % des voix au second tour de la présidentielle.
C’est dire si la gauche a du souci à se faire. Après la débandade de 2007, alors que le PS national
avait réservé la circonscription à une femme au détriment du candidat local qui, dégoûté, avait claqué
la porte de la section locale, voilà que le parti refait le coup. Jugeant la circonscription « pas gagnable
», selon les mots mêmes de socialistes locaux, le PS national a encore sacrifié la section locale à la
e
parité. Mais cherchez la femme : dans la 7 , elle se fait toujours attendre. Si bien que, de rumeurs en
déchirements internes, les militants, en l’absence de candidate, ont choisi en dernière minute de
soutenir Michèle Comte, d’EELV, au détriment de la candidate du Front de gauche Bénédicte
Herrgott. Il aura donc fallu une crise pour que les deux forces politiques de gauche officialisent enfin
leur union sur le territoire. Michèle Comte, qui n’en demandait pas tant, se met du coup à envisager
une présence au second tour, confortée par le petit 29 % de François Hollande au deuxième tour de
la présidentielle.
Les problèmes de la ruralité
Dans ce Far West alsacien, où l’on ne retrouve que 96,1 habitants au km 2 (pour une moyenne
régionale de 221,9km 2), les enjeux sont axés sur les problèmes de la ruralité. En Alsace Bossue
notamment, la population décroît, des commerces ferment, on peine à trouver des médecins. Une
situation qui contraste avec celle des environs de la ville-centre, Saverne, où l’on continue à accueillir
des jeunes couples travaillant à Strasbourg.
Ici, on tient à sa forte identité locale, faite d’un taux de chômage toujours bas à 6,2 %, d’une mixité
protestante et catholique, ajoutée à une pratique assidue du dialecte. Mais on a compris aussi que,
dans cette législative, ce sont moins les idées qui feront débat que la personnalité des candidats...
Le combat final n’ayant pas lieu, certains se prennent désormais à rêver d’un paysage politique local
pacifié. Thierry Carbiener a indiqué son intention de quitter l’opposition à la mairie s’il est élu, alors
qu’Émile Blessig y restera jusqu’en 2014, même s’il ne fait pas mystère du fait que la charge lui pèse.
Ami sincère pour certains, adversaire redoutable pour d’autres, Adrien Zeller avait su garder la
sympathie de la population. Tant et si bien qu’aujourd’hui encore, dans le cadre de cette législative
savernoise, on entend bien souvent prononcer son nom.