Cinema_Jeux_Video
Transcription
Cinema_Jeux_Video
L'intermédialité Cinéma / Jeu Vidéo Red Dead Redemption ou le Western en pixels Aprin Maxime Master 1 ICREA Table des matières 1. Le jeu vidéo, rejeton du New Hollywood Un bref tour d'horizon des origines socio-économiques du jeu vidéo..........................................................................................................................................4 1.Une diversification des domaines d'activités : Le cas Atari comme précurseur...........................4 2.Les liens thématiques entre jeu vidéo et cinéma...........................................................................6 2. Red Dead Redemption : Quand le jeu vidéo s'empare des clichés du Far West d'Hollywood.........7 1.L'évolution des clichés du Western au cinéma.............................................................................7 3. Red Dead Redemption, le Western en pixels....................................................................................9 1."First they shoot you then they rob you *chuckles*. Great country." .........................................9 2.Le Contenu comme base solide à l'immersion...........................................................................12 4. Conclusion......................................................................................................................................13 Le jeu vidéo, dont l'origine se situe vers les années 1950, avec le développement de jeux comme OXO et Tennis for Two, est aujourd'hui un média largement diffusé disposant d'un modèle économique fort et indépendant. Mais le jeu vidéo est aussi un média en devenir, un média en mutation et dont l'identité est encore floue. De par ses origines, étroitement liées aux conglomérats cinématographiques hollywoodiens du « New Hollywood », et de par la forme qu'il prend aujourd'hui : l'interactivité, l'immersion, le narrativité de plus en plus prégnantes des jeux actuels, le jeu vidéo est en situation d'intermédialité. L'intermédialité se définit comme telle : une situation où un média se définit par ses liens avec d'autres médias. Une situation, donc, où un média est dans une crise identitaire. En quoi le jeu vidéo est-il aujourd'hui dans une situation d'intermédialité? Premièrement, comme nous l'avons avancé précédemment, par ses origines. Le fait que nombre des pionniers du jeu vidéo furent issus de conglomérats hollywoodiens est à souligner et à analyser pour bien comprendre cette situation d'intermédialité. Deuxièmement, les jeux en eux-mêmes puisent souvent leur inspiration, leur contenu, dans le cinéma, sans compter les différentes adaptations, dans un sens comme dans l'autre. Enfin, les réalisations vidéo-ludiques empruntent régulièrement au cinéma, que ce soit dans leur forme visuelle, leur contenu ou/et leur schéma narratif. Dans ce dossier, nous ferons un rapide tour d'horizon des liens entre jeu vidéo et cinéma, liens qui le placent en situation d'intermédialité. Liens socio-économiques donc mais aussi liens techniques et liens narratifs. Pour que le lecteur situe le propos de ce dossier, nous commencerons par un bref tour d'horizon des origines socio-économiques du jeu vidéo. Pour ce faire, nous nous baserons sur le livre d'Alexis Blanchet : « Des pixels à Hollywood » et sur l'Histoire. Pour de plus amples informations nous ne pouvons que conseiller au lecteur de lire cet ouvrage, véritable mine d'information sur les liens entretenus entre jeu vidéo et cinéma des années 70 à aujourd'hui. Puis, pour illustrer cette première partie, nous nous attacherons à étudier l'adaptation faite d'un genre cinématographique bien précis : le Western. Cette étude se fera au travers d'une adaptation précise : Red Dead Redemption. N.B : Le lecteur trouvera en annexe un tableau récapitulatif des adaptations principales de jeu vidéo au cinéma, et de films en jeux vidéos. 1 Le jeu vidéo, rejeton du New Hollywood Un bref tour d'horizon des origines socio-économiques du jeu vidéo L'histoire de Hollywood peut se scinder en deux parties distinctes. L'avant 1970 et l'après 1970. En somme, les historiens parlent du « Vieux Hollywood » et du « Nouvel (New) Hollywood ». Cette césure s'explique par la crise touchant les studios de cinéma hollywoodiens dès les années 50. L'année 1970 est, pourJoël Argos, le point central entre les deux Hollywood. Ce point est « la fin d'une des graves crises cycliques de l'industrie du film [causée par] l'arrivée de nouveaux appareils audiovisuels [et] la TV des années 50 [qui] viennent concurrencer le cinéma. »1 Les années 70 marqueront l'avènement d'un nouveau type de cinéma, redonnant corps et souffle à Hollywood, par le biais de films comme Easy Rider, Bonnie and Clyde, ou encore les films de Georges Lucas ; Les dents de la mer et Star Wars. Des films faits selon une nouvelle vision du cinéma, plus « entertainment » qu'avant, ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui BlockBusters ou Film Grand Public. Face à une telle crise, les acteurs de l'industrie cinématographique décident alors de diversifier leurs activités. Le jeu vidéo trouve sa place dans l'économie médiatique. 1 Une diversification des domaines d'activités : Le cas Atari comme précurseur Atari, entreprise centrale dans le vidéo-ludisme, par les consoles conçues et qui ont accompagnées les premières générations de joueurs mais également devenu éditeur et ayant œuvré à certains des jeux les plus plébiscités de ces dernières années,est un cas exemplaire de lien entre jeu vidéo et cinéma. Son histoire remonte aux années 1970. En 1969 très exactement, la Warner Communication Inc. (W.C.I.) est acheté par le conglomérat américain Kinney National Services Inc.. En 1972, Kinney scinde ses activités en deux parties distinctes. La première, National Kinney, regroupe les activités historiques de l'entreprise : le BTP, la construction de Parking, les concessions funéraires. La seconde, placée sous le contrôle de W.C.I., regroupe les activités d' « entertainment ». C'est à cette occasion que W.C.I. S'offre, entre autre, Atari, de même qu'un club de soccer, ou une compagnie spécialisée dans le jouet. Ce rachat ne se situe pas dans une volonté forte de faire des jeux vidéos, mais, comme le dit Alexis Blanchet « une composante parmi tant d'autres, impliquée dans une vaste stratégie de diversification des activités liées aux loisirs et aux divertissements ». Une diversification portant ses fruits, puisque seulement 4 ans après son rachat, Atari pèse près de 30 % du C.A. De la W.C.I.. S'en suivront les sorties des premières bornes d'arcade estampillées Atari, puis des micro-ordinateurs Atari 400 et 800. Le jeu vidéo fonctionne si bien qu'en 1983 Atari pèsera 2 milliards de dollars pour un revenu net d'opération de 323 millions de dollars. Le cas d'Atari et de la W.C.I. est le premier exemple d'une longue série de liens entre cinéma et jeu vidéo. Plus tard, divers conglomérats de la communication tenteront également leur chance dans le domaine du jeu vidéo. Nous trouverons donc, au fil des ans, des sociétés comme la MGM, (historiquement spécialisée dans le cinéma), Universal, présent dans le domaine du disque, des communications, la télévision et le cinéma. Le jeu vidéo ayant connu une crise au milieu des années 80, certains conglomérats s'en détachèrent, pour y revenir ensuite sous couvert de nouvelles sociétés. C'est le cas de Disney qui a possédé jusqu'à5 entreprises liées directement au jeu vidéo avant de finalement créer Disney Interactive Media Group, seule société restante aujourd'hui. 1 Augros Joël, Économie du cinéma américain, p. 59 Le paysage contemporain des conglomérats de la communication liés aux jeux vidéos est celuici 1: Majors ou Conglomérats de la Communication Paramount / Viacom Entreprises liées au domaine vidéo-ludique appartenant à la Major ou au même conglomérat que la Major Sega (1969-1983) / Paramount Technology Group (1990-) / Paramount Interactive (19931995) / Viacom New Media (1993-1998) / Paramount Digital Entertainment (2008-) Universal / MCA Universal Games (1979-1987) / Vivendi Universal Games (2001-2006) / Vivendi Games (2006-2008) / Activision Blizzard (2008-) Warner Bros. Communication / Time / Warner Atari (1976-1984) / Atari Games (1984-1985) / 3DO Company (1993-1997 prise de participation) / Time Warner Interactive (19911997) / Warner Bros. Interactive (2004-) RCA RCA (1977-) Columbia / Sony William's (1977) / Sony Imagesoft Inc. (19911996) / Sony Computer Entertainement (1995-) CBS CBS Electronics (1981-1984) / CBS Software (1983-1985) 20th Century Fox 20th Century Fox Video Games (1982-1983) / Fox Interactive (1994-2004) / Fox Sports Interactive (1998-2002) The Walt Disney Company Walt Disney Computer Software (1988-1995) / Buena Vista Interactive inc. (1992-2001) / Disney Interactive (1995-1998) / Buena Vista Games (2001-2007)/ Disney interactive Studio (2007-2008) / Disney Interactive Media Group (2008-) Metro Goldwyn Mayer (M.G.M.) MGM Interactive (1995-1998, activités d'édition) / MGM Interactive (1998-, gestion de licence) Dream Works SKG Dream Works Interactive (1996-2002) Société de Production Editeur ou développeur de jeu vidéo Lucasfilm Ltd. Lucasfilm games (1984-1989) / LucasArts (1989-) Trimark Pictures inc. Trimark Interactive (1994-1996) 1 Tableau tiré de Alexis Blanchet , Des pixels à Hollywood, p.90, Pix'n love Éditions, Avril 2010 Ce tableau illustre les liens entre les deux médias avec, comme le dit Alexis Blanchet, « une certaine irrégularité de la politique de ces majors vis à vis du jeu vidéo 1 ». Le fait est que ces majors s'adaptent aux turbulences du secteur. La preuve donc que le jeu vidéo ne constitue qu'une diversification de domaine de ces conglomérat sans jamais être leur activité principale. : « certaines majors reconstituent à intervalles réguliers des structures dédiées au développement et/ou à l'édition de jeux, au gré des variations de croissance du secteur et des perspectives de développement du marché »2. 2 Les liens thématiques entre jeu vidéo et cinéma Comme nous venons de le voir, la production, l'édition et donc l'économie du jeu vidéo s'est construite autour et par les conglomérats (ou majors) de la communication. Qu'en est il des contenus? Le contexte est celui d'une Amérique des années 70. Les comics, la science-fiction, le jeu de rôle règnent. La culture est à la contre-culture. De plus, il ne faudra pas attendre bien longtemps pour voir sortir sur grand écran le premier Star Wars, le premier Indiana Jones , la nuit des morts vivants de Gorges A. Romero, ou encore lire les ouvrages de H.P. Lovercraft, ou Bruce Sterling. Mais, comme le dit A. Blanchet « un autre nom est fréquemment mis en avant, celuir de J.R. Tolkien »3 L'imaginaire vidéo-ludique est empreint de ces références. La raison est simple, ceux qui font les jeux vivent cette époque pleinement, et vont chercher leurs idées dans cet inépuisable vivier imaginatif. De plus, la culture jeu-vidéo s'apparente, depuis presque toujours, à la culture « Geek » et/ou aux « Nerds », cultures ayant donné ses lettres de noblesses au jeu de rôle, à la science-fiction et à l'héroic fantasy. Ainsi, dès 1975, Atari développe et édite la borne d'arcade JAWS directement inspirée des dents de la mer, de Spielberg, mais intitulée autrement en raison d'un problème de droits. Cette borne remporte un vrai succès et est un point central dans les liens thématiques liant jeuxvidéos et cinéma. Par la suite, de nombreux autres jeux en rapport direct avec certains films seront édités et produits (V. tableau des adaptations vidéo-ludique en film et des adaptations cinématographique en jeux vidéos en annexe de ce dossier). Nous retrouverons alors Indiana Jones : Raiders of the Lost Ark, et tiré directement du film éponyme, Star Wars, Idem, mais également Les Gremlins, Les Simpsons, Terminator et Robocop etc... Avec les prises de parts de plus en plus importantes que les Majors auront dans le domaine vidéo-ludique au fil des années, l'acquisition de droit sera moins problématique. Dans de nombreux cas, la Majors éditera ellemême le jeu tiré du film dont elle a les droits par la société de jeu lui appartenant. Cette configuration nous amène aujourd'hui à des jeux Harry Potter pour chaque opus sorti au cinéma ou bien à toute la saga du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson adaptée en jeux vidéos. Si dans bien des cas les adaptations sont éponymes, il arrive également que les jeux vidéos soient des créations originales construites autour d'une thématique portée par le cinéma. Par exemple : Le Western. De 1975, avec la sortie de la borne d'arcade Gunfight par Midway et sa reprise thématique du duel de cow-boys à 2009 et la sortie de Red Dead Redemption par Take2 sur les consoles « next-gen », le western fascine et est un vivier inépuisable pour les concepteurs. Toujours, néanmoins, en respectant certains codes faisant que le joueur sait où il se situe. Ces codes se traduisent par divers caractéristiques essentielles à l'imaginaire du western : le duel, les étendues sauvages et désertiques, les desperados mexicains, les attaques de banques etc... Red Dead Redemption est à ce sens un film vidéo-ludique, prenant ses références tant dans les films de Coppola que dans le jeu d'acteur et l'aura de John Wayne ou Clint Eastwood. 1 Alexis Blanchet , Des pixels à Hollywood, p.91, Pix'n love Éditions, Avril 2010 2 Idem. 3 Idem. p.98 2 Red Dead Redemption : Quand le jeu vidéo s'empare des clichés du Far West d'Hollywood. 1 L'évolution des clichés du Western au cinéma En 1939, le cinéma voit arriver sur ses écrans « La Chevauchée Fantastique » de John Ford, maître du Western de l'époque classique d'Hollywood. En 2010, la société d'édition de jeu vidéo Rockstar sort, par l'intermédiaire de sa branche Rockstar San Diego, Red Dead Redemption, jeu d'action aventure centré sur le western et plébiscité par la communauté des joueurs. Entre ces deux œuvres, soixante-dix ans de clichés, stéréotypes et archétypes accumulés sur le Far West. Sur Wikipédia l'encyclopédie libre, nous pouvons lire ces quelques mots : « Le terme de western a été appliqué postérieurement à la littérature et à la peinture et désigne aujourd'hui toute production artistique influencée par l'atmosphère et les poncifs de la représentation cinématographique du Far West ». Ce sont justement ces « poncifs » qu'il importe de mettre en exergue. Des poncifs tirés de l'imaginaire du Far West historique et matérialisés par le cinéma. Hollywood est très friand de Western. Ce genre à donné quelques-uns des plus grands succès cinématographiques, que ce soit « La charge héroïque »(1949), ou « Règlement de comptes à OK Corral » (1957) pour la période dite « classique », « Le bon, la brute et le truand »(1966) et « La mort était au rendez-vous »(1967) pour le « western spaghetti » ou bien encore des films cultes tels «Mon nom est personne»(1973) et « Il était une fois dans l'Ouest »(1969). Des productions plus récentes ont vus le jour par des films tels que « Impitoyable »(1992) de Clint Eastwood, « Mort ou Vif »(1992) de Sam Raimi ou encore « 3h10 pour Yuma »(2007) de James Mangold. Cette époque est appelée le « Western Crépusculaire », du fait de la noirceur dans le traitement des thèmes abordés. Ces différentes périodes ont chacune amenés leur lot de représentations types du Far West et du Western. De nombreux glissements se sont installés dans la représentation du héros, du méchant, du shérif, du desperado,des femmes, de la justice et de la bravoure. Nous tenterons, par le biais du tableau suivant, de donner une typologie précise de certains clichés du Western. Cliché Le Héros Époque classique Western Spaghetti Vertueux et courageux Complexe, parfois mauvais et violent Western Crépusculaire Figure de l'antihéros Le Méchant Sordide, abjecte et lâche Souffre de tares, Brutal, violent et moche physiquement meurtrier et intérieurement Les femmes Vertueuses et travailleuses, pures et douces Prostituées, alcooliques et fumeuses, sachant se défendre Souvent l'égal des hommes, violentes et déterminées L'idée de justice Fort honneur, aide désintéressée pour le Bien et la justice Justice violente et intéressée, souvent obtenue par de sombres moyens Entre la vertu la plus totale et la conception de justice très « personnelle » Le manichéisme Très fort Absent Fluctuant Rapt, vol, pillage Meurtre, viol, kidnapping, torture Violence, meurtre, destruction Les moyens du méchant Ce tableau, basé sur une sélection de clichés que, pour les besoins de ce dossier, nous avons jugés majeurs dans la réalisation du film de Western nous montrent une réelle évolution des mœurs au travers des époques. Le point culminant de la violence et de la vilénie contenue dans ce genre cinématographique étant atteint durant la période du Western Spaghetti, avec des films tels que « Le Bon, la brute et le truand » ou « Django ». L'époque moderne semble, pour sa part rentrer dans les codes du cinéma d'action actuel. La différence majeure est que le Western n'est aujourd'hui plus un genre très populaire mais une sous-catégorie du film d'action. De plus, ce qui pouvait choquer durant les années 70 ne choque plus, ou moins, aujourd'hui. Le héros est l'avatar ayant subi le plus grand nombre de changement dans sa personnalité et sa représentation. Les codes de vertus en vogue dans les années 50 ont peu à peu glissés vers une plus grande violence, une « schizophrénie juridique » (ou une vision personnelle et souvent fluctuante de la justice). Le film de Western est bien entendu habité d'autres stéréotypes qui ne sont pas abordés dans ce tableau. Nous pourrions par exemple citer la représentation des natifs américains, les Indiens d'Amérique, l'attaque de banque, les attaques de diligences ou de trains. Important de noter également certains objets ou codes phares dans la constitution de tout Western au rang desquels le Colt, la Winchester, le duel ou encore les scènes de rixe dans les Saloons. Ce dossier ne portant pas sur le Western à part entière mais sur son adaptation en jeu vidéo, et notamment par le biais de Red Dead Redemption, nous n'aborderons pas ici toutes les caractéristiques du genre. Pour de plus amples informations sur ce thème le lecteur pourra se tourner vers des ouvrages tels que Le Western de Patrick Brion, aux éditions Liber, Le Western . Approches - Mythologies - Auteurs - Acteurs – Filmographies, écrit collectivement sous la direction de Raymond Bellour, collection Tel et édité chez Gallimard ou encore à la collection « Les Petits Cahiers », Les Cahiers du Cinéma, les écrits de Clélia Cohen, très justement nommés Le Western. En conclusion nous pouvons répéter que le Western est « le genre d'entre tous les genres du cinéma américain le plus ancien et le plus jeune 1 ». Ancien car présent depuis les débuts d'Hollywood, l'aidant à se faire ses lettres de noblesse, lui donnant sa superbe. Jeune car perpétuellement en mutation, perpétuellement en renouvellement d'identité. Le Western s'articule autour de thèmes et d'images précises, mais les traite différemment selon chaque film produit, selon chaque époque traversée. Les films des années 50 ont distillés leur représentation aux films des années 70. Ces derniers se les sont appropriées pour les transformer et les insuffler à leur tour aux films des années 90. Le Western est un genre cinématographique de transmission. Il n'est alors pas étonnant de voir le jeu vidéo s'emparer à son tour des clichés donnés par 70 ans de Western pour les transformer à sa guise et selon les codes de son époque. Ainsi naît Red Dead Redemption. 3 Red Dead Redemption, le Western en pixels Red Dead Redemption (R.D.R.) est sorti en France le 21 mai 2010. Édité par RockStar Games, filiale de la société Take2 interactive inc. Et développé par RockStar San Diego. Sorti simultanément sur la Playstation3 de Sony et la Xbox360 de Microsoft, le jeu s'est écoulé à plus de 6,9 millions de copies de mai 2010 à juillet 2010, participant du coup au bénéfice de 9,6 1Le Western . Approches - Mythologies - Auteurs - Acteurs – Filmographies collectif Dir. Raymond Bellour, coll. Tel, ed. Gallimard. 1993 millions d'euros enregistré par la société sur le dernier trimestre 2010 1. RockStar est également connu pour être le développeur historique de la série Grand Theft Auto, souvent sujette à polémique dans l'actualité internationale. 1 "First they shoot you then they rob you *chuckles*. Great country2." L'action de R.D.R se situe en 1911. La grande conquête de l'Ouest sauvage touche à sa fin. Les peuples indiens sont « civilisés », la colonisation de l'ouest avance à grand pas, et la révolution industrielle donne son lot de trains, automobiles et autres avancées technologiques. Le jeu se déroule dans une zone fictive de l'ouest américain, le long de la frontière mexicaine. La narration débute avec l'arrivée en « steamboat »(bateau à vapeur) du héros dans la ville de BlackWater. Le générique, largement inspiré des génériques de films, se joue alors sans que le joueur ne puisse influer sur son déroulement. On y voit le héros, John Marston, encadré par deux agents gouvernementaux (fictifs) s'apparentant à ceux (réels) de la Pinkerton National Detective Agency3. Les trois hommes parcourent la ville de BalckWater silencieusement jusqu'à la gare ferroviaire où John Marston prend le train, seul. Durant le voyage, le joueur ne peut toujours pas influer sur le déroulement des évènements, mais ceux-ci se font plus présents. Les autres voyageurs discutent entre eux, racontant divers anecdotes, souvent violentes, sur la région et ses environs. Le voyage se termine, John Marston est à Armadillo, ville fictive de cow-boys. Le joueur peut alors diriger son personnage et rentrer dans l'aventure. Le scénario nous apprend que John Marston est un ancien bandit, tueur et pilleur de banque. Repenti depuis la rencontre avec sa femme et la naissance de son garçon, il cherche à échapper à son ancienne vie. C'est sans compter sur les agents gouvernementaux, lui ordonnant de reprendre les armes pour tuer ses anciens compagnons de bande les uns après les autres, sous peine d'assassiner sa propre famille. John Marston se retrouve avec les souvenirs d'une vie qu'il a abandonné, et arpente le chemin de la rédemption. Ce pitch n'est pas sans rappeler certains côtés du Western de 1992 : « Impitoyable » dans lequel Clint Eastwood porte la double casquette de réalisateur et d'acteur. Dans ce film, Eastwood prend les traits d'un tueur de sang froid repenti, souhaitant réaliser une dernière affaire juteuse, pour donner une chance à ses propres enfants. Mais outre le scénario en lui-même, c'est le monde de R.D.R qui concentre le plus de clichés sur le Western, directement tirés du cinéma. Le héros, tout d'abord, est une concentration de clichés visuels. Sa tenue est celle classique du cow-boy. Ceinture à Holster, bottes à éperons, chapeau à larges bords, bandoulière de munitions, seconde ceinture à large boucle. Armé d'un colt et d'une carabine Winchester, arborant de violentes cicatrices sur son visage, cet homme pourrait parfaitement faire partie d'un film de Ford, Leone ou Eastwood. John Marston est un cow-boy violent, sans foi ni loi, armé et imposant. En intégrant de tels clichés visuels, émanant directement des représentations données par 70 ans de cinéma autour du Far West, les développeurs de RockStar San Diego placent entre les mains du joueur un cow-boy authentique et parfaitement identifiable dans l'univers qu'ils livrent. Notons d'ailleurs son étrange ressemblance avec Clint Eastwood dans Josey Wales, hors1 Sources gamekult.com, vgchartz.com et Rockstargames.com 2 « D'abord ils le tuent puis ils te dévalisent *glousse*. Quel grand pays. » Prononcé par le protagoniste de R.D.R lorsque celui-ci voit un cadavre au sol. 3 Agence américaine privée de détectives créée par Allan Pinkerton en 1850. Son utilisation première fut d'espionner les Sudistes durant la guerre de Sécession, puis de faire respecter la loi dans le Far West. Après plusieurs massacres et scandales imputées à l'agence, la Pinkerton est devenue plus discrète. Elle fait aujourd'hui partie du groupe Securitas AB la-loi, 1976. Cette comparaison met en évidence le fait que Marston est calqué sur le cow-boy « type » incarné par Eastwood. La région jouable offerte par le jeu est extrêmement vaste. Elle est intégralement ouverte et d'une seule pièce. Cela signifie qu'il ne faut aucun temps de chargement pour passer d'une région à une autre, qu'aucune zone n'est instanciée 1 et que le joueur peut aller d'une extrémité à une autre sans aucune restriction physique. Sauf, bien entendu, les restrictions imposées par les « bords » de l'aire de jeu. Pour traverser la totalité du territoire jouable en partant de l'angle nord-est à l'angle sud-ouest, il faut compter près de 30 minutes de jeu à cheval. L'aire de jeu se compose de trois grandes régions. Toutes représentatives de l'imaginaire du Far West. En voici une rapide liste explicative. • New Austin : Cette zone se compose principalement de plaines désertiques et de déserts rocailleux où la seule végétation est faite de cactus et de mauvaises herbes. Dans ces zones arides et inhospitalières, joueur rencontrera des crotals, des coyotes et autres vautours. Les rares endroits civilisés qu'il croisera seront des villages typiques du Far West, à l'image d'Armadillo et de son Saloon peu avenant et des ranchs habités par des pionniers sans peur dans la plus pure tradition du « settler » américain. • Nuevo Paraiso : Cette zone est, comme son nom l'indique, la région mexicaine du jeu. Dans ces étendues sauvages situées de l'autre côté du Rio Bravo, le joueur pourra évoluer dans des décors désertiques sensiblement différents de ceux de New Austin car plus clairs et empreints d'une ambiance totalement différente. Il pourra également visiter la ville d'Escalera, abritant le « gouvernement » mexicain, en proie à une révolution dans le jeu. Enfin, la représentation religieuse du Mexique est représentée avec la mission de Las Hermanas, seul bâtiment religieux du jeu. 1 Les zones instanciées sont des zones fermées et secondaires, créées indépendamment de la zone principale de jeu. On peut par exemple imaginer un monde ouvert où se trouve une cave. Lorsque le jeu est instancié, le joueur entrant dans la cave devra attendre que le jeu charge cette cave. Il en sera de même lorsqu'il en ressortira. • West Elizabeth : Cette zone correspond à la partie « civilisée » du monde qui est offert au joueur. C'est dans ce territoire que se trouve la ville de BlackWater, point de départ du jeu. Mais c'est également dans cette région de grande plaines fertiles ou de cols enneigés que le joueur pourra trouver les bisons, animaux emblématiques de la représentation du Far West. Cette région cristallise l'idée même de « porte d'entrée » sur l'Ouest Sauvage; elle est à l'est de la zone jouable et au plus on avance vers l'ouest, au plus la végétation se raréfie, au plus les villes s'appauvrissent et au plus le chaos prend place. La route de John Marston est parsemée de rencontres. Alors que certains personnages l'aideront dans sa tâche, lui offrant aide et conseils, d'autres tenteront de le détourner de ses objectifs, voire même de le tuer. Le point commun entre amis et ennemis est leur forte stéréotypie. Au long de son aventure, le joueur rencontrera près d'une trentaine de personnages, aussi ne verrons nous que les plus fortement connotés. • Nigel West Dickens représente le bonimenteur, vendeur de potions magiques, d'élixirs rajeunissant et d'autres décoctions censés donner force et vigueur au plus faible des hommes. Le héros le rencontre alors que ce dernier est poursuivi par des civils très en colère. Ses élixirs ne fonctionnent pas, bien entendu. • Seth Briars est l'archétype du chercheur de trésor devenu fou à force d'échec. Il catalyse les « gold diggers » américains venus à l'Ouest pour trouver fortune. Ce personnage est extrêmement torturé, poussant son désir de creuser jusqu'à son paroxysme, allant jusqu'à déterrer les morts pour piller leurs dernières richesses. • Le Professeur Harold McDougal symbolise les historiques anthropologues européens venus dans l'Ouest américain pour étudier et comprendre les populations amérindiennes. À la manière d'un Eugène de Girardin ou Rudolph Friedrich Kurz. Il retournera à son Europe natale après avoir subi plusieurs démêlés violents avec ces mêmes indiens. McDougal représente également la science et les progrès fait à cette époque (1911) dans le domaine de la médecine et de la recherche. Le joueur croisera également la route de desperados mexicains, souvent libidineux et moches et sales, gauches et stupides. Le gouvernement mexicain sera lui reprsenté sous les traits du général Allende, tyrannique et violent. L'occasion sera d'ailleurs donné au joueur de le destituer pour mettre un idéaliste à sa place. La suite du jeu nous apprendra que ce nouveau président est à son tour devenu un tyran. Le cliché de l'instabilité du Mexique est ainsi rendu dans le jeu. De la même manière, les amérindiens sont représentés dans le jeu sous le trait de rebelles et de criminels. Ils symbolisent les derniers souffles de la résistance indienne. Nous sommes en 1911, la loi Dawes régissant l'achat et le partage des terres indiennes est en vigueur depuis 1887, le massacre de Wounded Knee (1890), ayant conduit à la mort de 200 indiens Lakota par l'armée américaine est encore frais dans les esprits. La temporalité donnée par le jeu explique donc le comportement appliqué aux indiens. La violence et la barbarie dont ils font preuve envers les blancs. Enfin, les « actions contextuelles 1» offertes par le jeu rassemblent en elles-même une foule d'autres clichés sur le cow-boy, et le Far West. R.D.R est, comme nous l'avons dit précédemment, une jeu ouvert. Cela signifie que le joueur peut se laisser aller à explorer le monde, indépendamment de toute narration. Il peut, s'il le souhaite, passer son temps à jouer sans ne jamais suivre la trame du scénario. Le jeu propose donc une foule d'actions possibles à effectuer lorsque l'aventure est abordée dans cet esprit de liberté. Le joueur peut donc chasser, capturer des chevaux, braquer des banques ou des diligences tout comme attaquer un train et 1 Les actions contextuelles sont une gamme d'action que le joueur peut effectuer en rapport avec une situation donnée. Par exemple, si le joueur tue un loup, il pourra le dépecer. détrousser ses occupants. Il peut, par exemple, décider de se reposer dans un camp de fortune. Le jeu donnera alors à voir une animation stéréotypée. Le personnage établit un campement, autour d'un feu de camp sur lequel repose une casserole de « beans » ou flageolets. Cette animation fait directement écho à une scène de « Dead Man » réalisé par Jim Jarmusch(1995), dans laquelle Iggy Pop, travesti en femme se vante de cuisiner les meilleurs haricots qui soient alors qu'il campe avec deux de ses acolytes. De la même manière, les séquences de capture de chevaux au lasso respectent les représentations phares données par le cinéma sur le Western. Le héros suit le cheval qu'il désire dompter, lui lance le lasso dessus et tente alors de se hisser jusqu'à lui. Une fois qu'il a réussi, il monte sur le cheval et s'ensuit alors une scène de rodéo qui, lorsqu'elle est réussie, permet au joueur de profiter du cheval nouvellement capturé. Enfin, les scènes de duel sont celles qui, dans le jeu, suivent le plus les règles cinématographiques imposées. Le joueur est, assez souvent, harangué par un inconnu dans la rue. S'ensuit alors une insulte lancée à son égard. Le jeu offre alors le choix d'accepter ou de décliner le duel. Si le duel est accepté le jeu charge une animation dans laquelle on voit les deux personnages face à face et à une distance réglementaire. Le cadrage suit une certaine dynamique. Il se fixe sur la main du joueur, maintenue juste au-dessus de la crosse de son revolver., puis sur celle de son adversaire. La caméra se fixe ensuite sur le regard de l'adversaire, puis sur celui du protagoniste. Un décompte se fait alors entendre. Trois secondes plus tard, le joueur reprend le contrôle de son personnage et la rapidité fait son office. Les personnages dégainent et se tirent dessus. Le joueur a le contrôle du viseur, il peut alors décider s'il souhaite désarmer, estropier ou tuer son ennemi. Les duels ne durent rarement pas plus de quelques secondes. La tension transmise par les duels est assez palpable et même si c'est d'un jeu dont il s'agit, elle est fidèlement retranscrite et le joueur y est totalement immergé. 2 Le Contenu comme base solide à l'immersion Si R.D.R fut aussi bien accueilli par la critique comme par les joueurs, c'est principalement pour son caractère immersif. Gamekult, l'un des sites d'informations sur les jeux vidéos principaux du net dit d'ailleurs à son sujet « Un héros débordant de charisme, un casting très riche, et des thèmes sérieux, voire graves, mais souvent abordés avec humour, permettent donc à Red Dead Redemption de plonger véritablement le joueur dans l'aventure avec un degré d'immersion sidérant. » ou encore, en guise de conclusion au test effectué sur le jeu à sa sortie « La richesse et la variété du gameplay, couplées à la cohérence d'un univers totalement fidèle aux codes du genre nous offre un jeu à la qualité rare. ». Ces codes, que nous avons mis en exergue dans la partie précédente sont, pour les testeurs de ce site, fidèlement retranscrits. C'est cette fidélité qui mène droit à l'immersion. Que ce soit par les repères historiques auquel il fait allusion (les premières automobiles, la science toute puissante, le déclin des cow-boys, la modernité etc...) ou encore par les reprises de la représentation livrée par 70 ans de cinéma, le jeu permet au joueur de se projeter dans cette partie de l'Histoire. De se projeter dans un western sur le déclin, un western sombre et agonisant où la violence règne en maîtresse. Les différents biais par lesquels cette immersion est réalisée ont tous leur importance propre. Le fait même de nommer les armes dont le héros peut s'équiper par leur nom réel, les actions contextuels allant du duel à la partie de poker ou encore au concours de boisson, les longues chevauchées au travers du désert américain et mexicain sont autant de caractéristiques prépondérantes dans l'immersion du joueur. L'interactivité permise dans les actions les plus banales (comme le concours de boisson ou la chasse au bison) ouvrent un champ des possibles toujours plus grand. Le joueur peut ainsi créer sa propre histoire en marge de la narration imposée par le scénario du jeu. Cette liberté d'action laisse ainsi le joueur libre de revisiter les clichés du western à sa manière, d'arpenter le monde qu'il lui est offert selon ses propres codes éthiques. Si le manichéisme (relatif) imposé par le scénario est présent, il est totalement exclu de toutes les actions entreprises en marge de celui-ci. Le joueur devient alors scénariste de sa propre aventure. Il peut envisager le western de la manière dont il l'entend, tout en se trouvant conforté dans sa représentation par des clichés particulièrement bien mis en scène. En somme, R.D.R permet deux sortes d'immersion. La première est celle donnée par le scénario. Le joueur se trouve par ce biais dans la peau de John Marston, suivant son histoire, s'y attachant et la faisant ainsi sienne. La seconde donnée par la liberté d'action et mouvement. Il se projette alors en tant qu'individu, indépendant de l'histoire de Marston, simplement représenté par son avatar, dans le far West des années 1911, le vivant à sa guise. 4 Conclusion En conclusion, R.D.R offre un cas d'intermédialité fort. Mobilisant près de 70 ans de clichés accumulés par le cinéma sur le Western, il les livre de manière complète et justes dans un jeu aux dimensions variables, aux possibilités immenses. Par la « machinima1 » qu'il mobilise, dans les scènes de duels et les scènes narratives, il colle aux films de Western les plus représentatifs du genre. Enfin, dans la liberté qu'il laisse aux joueurs pour arpenter l'univers crée par RockStar San Diego, il permet une re-médiation du film de western en offrant la possibilité à chacun de créer son aventure et de la vivre à sa manière. Le jeu vidéo est l'enfant, des fois délaissé, mais aussi chéri du cinéma. Les conglomérats de la communication ayant pris une part importante à sa création et son développement sont aujourd'hui forts des succès qu'il rapporte. Les liens de parenté du média cinéma avec le jeu vidéo ne sont, comme ce dossier tend à le démontrer, par uniquement économiques mais prennent également forme dans le contenu des expériences vidéo-ludiques crées depuis près de 50 ans. En puisant leurs idées et en adaptant les narrations du jeu vidéo à celles du cinéma, en adoptant des schémas économiques et des calendriers de sorties proches ou symétriques à ceux des industries cinématographique les concepteurs de jeu vidéo soudent les deux médias entre eux. De la même manière, l'enfant jeu-vidéo donne aujourd'hui à son père cinéma du contenu pour réaliser de nouveaux films, comme c'est le cas avec la série des Mortal Kombat, de Prince of Persia ou encore, dans l'avenir, avec la sortie du déjà plébiscité World Of Warcraft confié à Sam Raimi. L'intermédialité cinéma / jeu-vidéo est aujourd'hui largement utilisée. Alors que certains réalisent déjà des jeux qui sont plus des films que de l'amusement (Metal Gear Solid 4, Heavy Rain, qui contiennent plus de scènes vidéos que de partie de jeu à proprement parlé), d'aucun se posent la question, quel avenir pour le film interactif au cinéma, après l'essai probant réalisé en Allemagne en mars 2010 par le biais de Last Call2? 1 « Simuler les techniques cinématographiques traditionnelles à l'intérieur d'un espace virtuel interactif où les personnages et les évènements sont contrôlés par des logiciels », Marida Di Costa in entre cinéma et jeux vidéo : l'interface film, De Boeck / Ina 2009 2 http://blended.fr/2512/last-call-le-premier-film-interactif-au-cinema/