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Le sens des troubles du comportement
CYRIL HAZIF-THOMAS
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RÉSUMÉ/ABSTRACT
PSYCHOGÉRIATRE, INTERSECTEUR DE GÉRONTOPSYCHIATRIE, CH BOHARS, CHU DE BREST.
Aborder les troubles cognitifs et du comportement de la personne âgée démente implique d’inscrire aussi bien la démence
dans l’histoire des idées médicales que dans celle de ceux qui la font! Il s’agit notamment de retracer l’évolution de la notion
de folie et de démence, tant dans l’institution que dans la famille, dans la mesure où la question se pose d'emblée de clairement faire le partage de ce qui revient à la vieillesse et à la maladie, à la personnalité et aux interactions avec l’environnement
ou aux processus cognitifs.
MOTS CLÉS: Maladie d’Alzheimer – Contact vital – Bientraitance – Potentiel d’autonomie.
THE MEANING OF BEHAVIOURAL DISORDERS
In order to gain an insight into cognitive and behavioural disorders in the demented elderly subject, it is important to examine
not only dementia in the light of the history of medical concepts but also in the context of those who make history! It is necessary to retrace the evolution of the notion of madness and dementia in medicine and within the family, given that it is vital to
clearly distinguish ageing, disease, personality and interactions with the environment or cognitive processes.
KEYWORDS: Alzheimer’s disease – Vital contact – Treating patients well – Potential for independence.
N’est-il pas utopique de vouloir
la disparition complète de tous les
comportements perturbateurs ?
Est-il possible d’inscrire le patient
dans une certaine routine protectrice, dans une régulation psychosociale raisonnable, dans une proximité affective rassurante, et un
encadrement familial fonctionnel ?
Les troubles du comportement
seront d’autant moins prégnants
qu’ils seront d’autant plus acceptés et « tolérés » et mieux canalisés dans un rituel de soins, un suivi
bien balisé, une recherche instituée de bientraitance. Bientraitance
qui ne peut faire l’économie du sens
de la parole soignante : « La fonction de solidarité de la parole assure
la pérennité de l’autre. On est toujours humain lorsqu’un autre
humain vous reconnaît comme tel.
Dément ou même mort, c’est la
parole de l’autre qui vous rend
encore humain dans le souvenir »
(Zarifian). Rendre encore humain
dans le souvenir ou rendre ce qu’il
y a d’humain dans le présent pour
que cela fasse souvenir, que cela
vienne, sous le devenir, faire support au présent et l’offrir dans sa
dimension de contact vital est le
grand enjeu du soin à ces patients
parfois plus amnésiques de l’avenir que du passé.
Ainsi, si existe une agitation en
situation de contrainte (toilette,
habillage…), on préfèrera ne pas
raisonner le malade mais proposer une autre activité, tout en respectant les habitudes prises pendant les soins en question et en
favorisant un abord respectueux des
choix du patient, avec l’idée de réintroduire le temps afin qu’existe une
place pour le désir. L’indifférence
face à ce potentiel d’autonomie ou
ces réactions d’appel à l’aide et le
peu de cas qui est fait de l’affectivité dans la maladie démentielle,
même à la marge, est une des clés
du sens des troubles du comportement. Cette apparente absence
face à ce qu’il reste de sens dans
l’homme dément fait écho à l’indifférence affective de ce dernier,
pourtant souvent remarquablement
adaptée à sa situation lorsqu’elle
lui permet d’amortir les coups et
les chocs existentiels. Auparavant
réduite à l’égoïsme et à un ressenti
marginal, la vie affective du patient
dément est centrée sur les objets
accumulés à portée de main et de
sens, « compagnons tardifs » par
lesquels le malade reconstruit un
fonctionnement antérieur où un des
proches de sa vie passée vient
prendre place de façon imaginaire.
Si bien que lorsqu’est apprécié le
retournement de la psyché vers ses
pôles perceptifs et sensoriels, l’affectivité suit un cheminement qui
pour passer à l’expression sous un
mode hallucinatoire n’en reste pas
moins bien réel. Pour autant le
savoir affectif persiste plus longtemps que les capacités langagières et selon Le Gouès : « Il (le
patient) fonctionne comme un voyageur en terre étrangère, à qui il
n’est pas nécessaire de connaître
la langue autochtone pour s’assurer que ceux qui la parlent sont
bienveillants ou hostiles ». Qu’en
est-il de chacun de nous d’ailleurs
en terre étrangère lorsque tout un
chacun vous semble incompréhensible et que personne ne fait de cas
de vos émotions ? La question est
donc de replacer cette problématique du sens des troubles dans
celle plus large du sens de la vie,
et de s’interroger sur le sens du
vieillissement aussi bien. La personne âgée qui vieillit bien est une
LA REVUE FRANCOPHONE DE GÉRIATRIE ET DE GÉRONTOLOGIE • OCTOBRE 2010 • TOME XVII • N°168
Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer
Actes du 3e Colloque International. Paris. 2010
Approches non-médicamenteuses de la maladie d’Alzheimer
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personne âgée dont le « souffrir »
ne s’arrête pas à elle-même (Lévinas). Cette compassion, cette
ouverture à la transcendance et à
sa descendance, est une motivation essentielle à la construction
d’une anticipation positive dans
l’âge avancé. On donnera quelques
exemples qui montrent que cette
fonction peut être conservée ce qui
remet en cause les théories affirmant l’atteinte irréversible de la
conscience de soi chez le patient
dément. En se reprenant là où elle
est vulnérable pour consolider
autrui, elle sauve son avenir et
échappe à l’étiquette de personne
vulnérable qui fait d’elle une personne sous protection ad vitam
aeternam. Le dernier sursaut anticipatoire n’est-il pas d’ailleurs de
dire adieu, y compris adieu à toute
protection, fut-elle la plus
humaine ? « La vulnérabilité, c’est
le pouvoir de dire adieu à ce monde.
On lui dit adieu en vieillissant ».
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RÉFÉRENCE
[1] [email protected]
[2] HAZIF-THOMAS C. Demain, la psychogériatrie, ouvrage collectif, collection géront’au présent.
[3] LE GOUÈS G. La psycholyse. Actualités Psychiatriques, 1987 ; 8 : 76-81.
[4] LÉVINAS E. De Dieu qui vient à l’Idée.
Libraire philosophique J. Vrin, Paris 1992:
134.
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