Ici, là-bas et ailleurs : écritures de l`espace dans l`œuvre de Graham

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Ici, là-bas et ailleurs : écritures de l`espace dans l`œuvre de Graham
Ici, là-bas et ailleurs : écritures de l’espace dans l’œuvre de Graham Swift
Graham Swift est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands écrivains
britanniques contemporains : en 1983, Granta l’a placé dans sa liste des meilleurs jeunes
romanciers et le succès de Waterland ainsi que le Booker Prize qu’il a reçu pour Last Orders
en 1996 n’ont fait que confirmer ce statut. L’intérêt que Swift porte à la question de l’espace
est notamment souligné dans son recueil Making an Elephant composé d’essais renvoyant à
un lieu qui raconte une histoire ou rappelle un souvenir. Le roman Waterland associa la
fiction de Swift aux paysages des Fens et à la campagne anglaise, mais la mer et les littoraux
forment également un motif récurrent de son œuvre, tout comme la ville de Londres qui est la
scène de plusieurs ouvrages. Swift semble ainsi à mi-chemin entre l’attention que certains
romanciers britanniques contemporains comme Zadie Smith ou Hanif Kureishi portent à
l’urbain, et une autre tendance, notamment illustrée par Robert Macfarlane, qui ramène la
fiction à l’espace rural.
Au-delà de la nécessité d’un décor dans lequel l’auteur fait évoluer l’action, les textes
de Swift sont empreints d’un sens du génie du lieu proche de celui que l’on peut trouver dans
l’œuvre de Thomas Hardy, où le lieu modèle le destin des personnages ainsi que l’intrigue. La
manière dont Swift s’approprie cette tradition est dès lors à examiner, afin de déterminer de
quelle façon il s’en distingue. Parfois décrits comme des exemples de l’anglicité, les textes
qui constituent le corpus de thèse ne font que de brèves et rares incursions en-dehors du
territoire familier de l’Angleterre : il s’agit souvent de récits de l’espace quotidien mis en
mouvement par les images de déplacements, situant régulièrement les personnages dans des
espaces qui rappellent les non-lieux qu’analyse Marc Augé : les autoroutes, les aéroports, les
hôpitaux, les prisons, les magasins. Les banlieues qui apparaissent dans Tomorrow,
Shuttlecock, The Sweet Shop Owner ou encore The Light of Day forment un autre lieu investi
par Swift qui semble fasciné par cet espace intermédiaire ou cette forme d’entre-lieu situé à
mi-chemin entre la ville et la campagne. Toutefois, l’ailleurs est parfois également décrit par
le biais de l’Egypte dans Last Orders, la Grèce dans Out of This World, ou encore à travers
l’absence induite par la disparition de l’être aimé. Ainsi, l’écriture de Swift semble être
toujours à la recherche d’un lieu à évoquer, soulignant les paradoxes d’un espace changeant et
insaisissable, pris dans une tension entre là-bas et ici, entre l’immensité du monde, le lieu
lointain que l’on ne peut qu’imaginer, et la localité, le lieu proche chargé de souvenirs.
L’étude des écritures de l’espace s’attachera à explorer ces différentes dimensions, y compris
à l’échelle de la sphère domestique en incluant par exemple l’espace du foyer, de la rue, des
magasins. En outre, la fréquence dans les récits des lieux clos, en particulier des hôpitaux et
des prisons, exprime l’isolement de personnages pris dans un espace à part qui les met à
l’écart de la société. Le statut intermédiaire de ce type d’endroit, entre lieu et non-lieu, peut de
plus être rapproché de la notion de paratopie développée par Dominique Maingueneau : en
théorisant l’appartenance problématique à un espace, ce concept permet de s’interroger sur la
possibilité ou l’impossibilité pour les personnages d’habiter un lieu. Ainsi, en analysant la
manière dont la narration construit l’espace, il s’agira de déterminer si ce dernier est
caractérisé par son instabilité, ce qui rendrait impossible l’appartenance à un lieu. Cette
instabilité dérive-t-elle d’un statut intermédiaire du lieu, espace de l’entre-deux, ou
correspond-elle à un non-lieu qui définirait l’espace swiftien ?
L’étude des écritures de l’espace chez Swift doit permettre de déterminer quel espace
peut être qualifié de non-lieu et quel rôle il remplit dans l’économie du texte. Les figures de
marginaux isolés dans des espaces hors normes conduiront à analyser l’esthétique de l’écart
dans les récits, notamment à travers la représentation de l’exilé. L’instabilité entre des espaces
ouverts et fermés permettra d’examiner les motifs du déplacement et de l’inertie au sein des
textes. L’entre-deux se situe en effet également dans ce paradoxe entre le mouvement suggéré
par l’itinéraire de certains personnages, et l’immobilité induite par d’autres espaces. Il s’agira
alors d’examiner de quelle manière le non-lieu oscille entre ces deux pôles, et d’en analyser
les conséquences, notamment sur le rythme du récit. En outre, la notion d’espace
intermédiaire évoque les limites entre les divers lieux évoqués : l’articulation entre le lieu qui
représente les racines et l’espace de l’inconnu fournit une autre modalité de l’exploration de
l’espace dans les récits de Swift. Ce travail sera également guidé par l’analyse du motif de
l’eau, omniprésent dans les textes de l’auteur, qui peut abolir les limites entre les espaces en
les brouillant, ou représenter le lieu signifiant recherché par les personnages.
Le corpus de thèse comprend la totalité des textes publiés par l’auteur (romans,
nouvelles, essais et poèmes) et va de 1980 à 2014, ce qui doit permettre d’analyser l’évolution
de la question de l’écriture de l’espace au fil du temps, les textes les plus récents invitant à
porter un nouveau regard sur l’intégralité de l’œuvre de Swift. Ce travail s’appuiera sur les
études consacrées à l’espace romanesque et à la géographie littéraire, ainsi que sur les apports
de la géocritique : par l’étude des représentations associées aux lieux, cette approche invite à
aborder la perception de l’espace dans sa polysensorialité, c’est-à-dire dans une perspective
multiple, qui fait du lieu un paysage olfactif, visuel, mais également sonore. Grâce aux
théories élaborées notamment par Michel de Certeau et Yi-Fu Tuan, il s’agira également
d’examiner de quelle manière peuvent se distinguer les concepts de « lieu » et d’ « espace ».
En outre, l’étude de l’espace vécu, comme celui de la maison que Gaston Bachelard expose
dans La Poétique de l’espace, permettra de revenir sur les distinctions entre espace intérieur et
espace extérieur, afin de comprendre ce que peut signifier la notion de paysage intérieur dans
l’écriture de Swift. Par ailleurs, l’intérêt que plusieurs auteurs contemporains portent à la
psychogéographie peut offrir un autre point de vue sur l’expérience de l’espace. Cette théorie
fondée par Guy Debord et les situationnistes dans les années 1960 prend son ancrage dans
l’espace urbain, et propose d’explorer la relation qui unit l’esprit au lieu, par le biais de
marches menées au hasard dans la ville de Paris : le groupe donna à cette démarche le nom de
« dérive », concept qui se rattache à l’esthétique du flâneur. Ces déplacements sont
d’ordinaire limités à l’espace de la ville, mais il serait intéressant de voir s’ils peuvent être
évoqués dans celui de la campagne, si largement décrit par Swift, et si la dérive se manifeste
dans les déplacements des personnages. La recherche se basera également sur les analyses
critiques de l’œuvre de Swift ainsi que sur les divers entretiens qu’il a accordés, afin
d’identifier la nature du lien qui unit son écriture à l’espace.

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