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!Kenya : Pourquoi l’enseignement de la langue maternelle est positif pour l’économie du
Kenya
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PAR JOHN KARIUKI, 13 février 2014
OPINION
En Afrique du Sud, juste avant l’indépendance, je regardais une série télévisée dans laquelle un
patron blanc tendait un journal en anglais à un employé noir pour lui montrer un article.
Mais l’employé chargé du nettoyage lui répondait qu’il ne savait pas lire l’anglais. Une
discussion s’en était suivie.
Patron : « Comment se fait-il que vous ne parliez qu’une seule langue ? »
Employé : « Monsieur, combien de langues parlez-vous ? »
Patron : (avec un peu de fierté) Je parle quatre langues : anglais, afrikaans, allemand et
français. »
Employé : (visiblement pas impressionné) « J’en parle neuf. »
Et il les citait, toutes des langues locales. Ensuite il faisait remarquer au patron, très étonné,
que celui-ci n’avait jamais considéré les langues locales comme des éléments importants dans
le pays, mais qu’il serait bien obligé de les prendre en compte dans la nouvelle réalité politique.
On assiste à un scénario similaire au Kenya où le ministère de l’Education évalue la place de
nos langues maternelles dans le système éducatif. Cette initiative a reçu autant de soutien
qu’elle a suscité de désaccords.
Pour ses détracteurs, elle aggravera le tribalisme négatif et pourrait même nuire à la qualité de
l’enseignement.
Mais ceux qui proposent cette politique rejettent ces deux arguments et estiment au contraire
qu’elle aura d’énormes avantages pour les enfants, en termes de qualité d’apprentissage et,
plus encore, d’image d’eux-mêmes au niveau culturel. Ils estiment que les langues maternelles
sont importantes pour façonner une société capable de se gérer elle-même en appliquant des
solutions locales. Ils ne les considèrent pas seulement comme un outil d’apprentissage, mais
également comme un outil de survie dont les bienfaits inhérents seront durables.
Dans un article publié la semaine dernière, le sénateur Martha Wangari a maintenu ses
objections. Elle considère la langue maternelle comme un facteur non pertinent dans la société
émergente. « Cela perturbera un environnement homogène dans lequel nous avons déjà
beaucoup de Wangari et d’Achieng qui ne parlent pas leur langue maternelle » a-t-elle déclaré.
Mais pour le Dr Magoiga Seba, anthropologue qui milite de longue date pour la promotion des
langues locales en parallèle avec les valeurs culturelles, cette opinion est dénuée de
fondement.
Il aimerait que cette politique soit appliquée pour diffuser les valeurs qui renforcent l’identité aux
niveaux individuel et national, et dissipent la perception négative de notre héritage. « Le fait
qu'un grand nombre de jeunes élevés en milieu urbain ne sachent pas parler leur langue
maternelle devrait être un sujet de préoccupation et pas de fierté. Nous devons relever le défi et
faire preuve de résolution pour corriger cette anomalie » a-t-il déclaré.
Pendant que le pays attend la mise en oeuvre de la nouvelle approche en matière d'éducation
des enfants, le ministère de la Culture élabore actuellement une politique culturelle complète.
« Je préside le comité qui travaille sur le volet linguistique, apportant ainsi un complément du
ministère de l’Education à cette politique » a déclaré le Professeur Kimani Njogu, spécialiste en
linguistique et plus particulièrement en kiswahili.
Il a déjà de l’expérience dans ce domaine, ayant participé au comité qui avait élaboré la
politique linguistique en Afrique du Sud, peu après son indépendance.
Au Kenya, la situation est totalement différente de nombreuses années après que les langues
locales aient progressivement disparu des écoles comme vecteur d’enseignement.
Elle se caractérise aussi par un parti pris néocolonial contre tout ce qui est d’origine kényane,
propagé par une élite centrée sur Nairobi qui a peur de perdre sa position dominante dans tous
les aspects de la vie.
Le Professeur Njogu perçoit des préjugés de classe dans les objections soulevées qui ont
grossièrement dénaturé ce programme pour essayer de l’affaiblir.
Selon lui, le concept est approuvé par l’Unesco et a été débattu à différents niveaux avant d’être
approuvé.
« La logique est que les enfants qui ne connaissent pas du tout l’anglais ne peuvent pas suivre
des consignes dans cette langue et comprennent mieux dans la langue qu’ils parlent déjà à la
maison. »
Mais en fin de primaire, ils devront avoir appris assez d’anglais pour être capables de
comprendre les enseignements dans cette langue, qui devra alors prendre le relais comme
langue d’enseignement.
Le Professeur Njogu s’inscrit en faux contre ceux qui prétendent que l’anglais ne sera pas du
tout enseigné au niveau primaire. Il explique que les élèves enrichiront progressivement leur
vocabulaire anglais jusqu’à ce qu’ils soient capables de communiquer et de comprendre les
consignes.
Le programme prend en compte les particularités de l’environnement urbain et, dans les
communautés multiethniques, les écoles utiliseront la langue locale.
On évitera ainsi d’exclure certaines communautés, comme par exemple à Juja où il existe une
forte communauté multiethnique qui parle kikuyu, la langue locale.
De même, les non-massaïs installés dans des endroits tels que Kajiado et Narok parlent
également la langue locale et cette tendance s’observe dans tout le pays.
Pour les grands centres urbains tels que Nairobi, Nakuru et Mombasa, la langue
d’enseignement sera le kiswahili.
Selon le Professeur Njogu, le tribalisme négatif n’est pas imputable à la langue mais plutôt aux
personnes mal intentionnées. « Les pires sentiments tribalistes au Kenya ont été exprimés en
anglais » a-t-il déclaré.
Pour les défenseurs de la culture, la langue maternelle est un socle de promotion générale des
cultures kényanes.
Ce qui est en accord avec une tendance mondiale accordant une grande importance à la
culture et incitant fortement les individus à exploiter leurs spécificités grâce à l’expression
culturelle.
Le passé récent a mis en évidence un renouveau progressif des langues locales,
principalement dans les divertissements. L’initiative du gouvernement s’efforce de les intégrer
dans l’enseignement lors des étapes cruciales d’apprentissage.
« Le défi à relever est que nous avons jeté à la poubelle nos valeurs et notre héritage culturels
depuis de nombreuses années, mais la question de la langue maternelle nous donne
aujourd'hui l’opportunité de revenir en arrière », a déclaré Ben Ole Koissaba.
Il est le membre fondateur et le coordinateur de l’association culturelle MAA, et prépare
actuellement un doctorat en anthropologie aux Etats-Unis.
L’argument est qu’un peuple éclairé sur le plan culturel est capable de trouver des solutions en
utilisant ses ressources locales et de développer une économie qui lui est propre.
Ce constat a été fait il y a quatre ans lorsque j’ai rencontré Sharon Freeman, conférencière
américaine, qui m’a parlé du riche héritage culturel qui peut être exploité pour un profit
économique.
« C’est un pays exotique au patrimoine varié grâce à ses différentes cultures et à sa botanique,
et il y a beaucoup de choses qui ne sont pas connues mais ont beaucoup de valeur à tous
points de vue » a déclaré Sharon Freeman.
Elle a cité les plantes et la médecine traditionnelle parmi les ressources collectives du pays qui
devraient être exploitées commercialement.
Pendant ses nombreuses années de travail, l’ethnographe Sultan Somji, alors basé au Kenya,
était découragé par le manque de soutien que recevaient ses travaux sur la culture, largement
centrés sur la résolution des conflits, qui selon lui avaient montré leur efficacité dans la
résolution de conflits interethniques au sein de communautés d’éleveurs.
Certaines de ses études ont été publiées dans son livre « Milk and Honey » et donnent des
exemples de ses expériences de résolution des conflits chez les Turkana. Il considère que ces
approches culturelles sont beaucoup plus efficaces pour résoudre les litiges entre
communautés.
Le tourisme est également concerné et même si le Kenya continue d’en tirer de bons profits,
son incapacité à développer des produits variés l’ont empêché d’en profiter pleinement.
A la fin d’un week-end passé avec un groupe d’illustrateurs de presse, j’ai demandé à l’une
d’entre eux qui travaillait au Figaro, journal français de premier plan, si elle serait prête à revenir
au Kenya.
Non, a-t-elle répondu, parce que le Kenya n'était pas une bonne expérience culturelle. Elle a
cité Bamako, au Mali, comme exemple de ce type d’expérience, avec notamment ses marchés
en plein air éclairés par des lanternes.
Les défenseurs de la culture affirment que, pour être mise en valeur, cette économie
multidimensionnelle a besoin que les langues locales soient bien maîtrisées car ce sont les
vecteurs par lesquels les informations sont transmises, à savoir les noms des plantes, les
concoctions et les autres éléments des cultures traditionnelles.
« En permettant à nos enfants de se familiariser avec leurs langues, nous leur donnons accès à
ces connaissances de leurs ancêtres et à tous leurs bienfaits inhérents » a déclaré Karuga
Kibe, anthropologue sur le campus de Chiromo.
Selon lui, les pays occidentaux développés en sont bien conscients et proposent leurs
programmes d’enseignement à leurs citoyens vivant à l’étranger.
« C’est la raison pour laquelle, au Kenya, la Suède, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni ont des écoles dans lesquelles les enfants de leurs ressortissants peuvent
apprendre leur langue et acquérir leurs valeurs dès les premières années de leur
apprentissage" a expliqué Karuga Kibe.
Dans l’ensemble, les enfants comme les adultes expriment de plus en plus le besoin de
connaître les langues locales, et nombreux sont ceux qui ont demandé la création d'institutions
enseignant ces langues.
Karuga Kibe estime que les kényans devraient être encouragés à former une véritable société
multiethnique dans laquelle les individus auraient l’opportunité d’apprendre la diversité des
langues locales de la même manière qu’ils apprennent les langues des autres parties du
monde.
Ils sont déjà de plus en plus nombreux à vouloir apprendre les langues locales, comme on le
constate au niveau social.
Pendant de nombreuses années, le propriétaire de la Wakioki Language School, James Mondo,
recevait essentiellement des volontaires américains envoyés en mission en zone rurale au
Kenya et qui apprenaient les langues parlées dans les régions où ils devaient travailler.
Mais depuis le début des années 90, une nouvelle clientèle s’est développée, composée de
membres de l’élite kényane désireux d’apprendre leur langue maternelle parce qu’ils ne
l’avaient pas fait lorsqu’ils étaient jeunes.
« La plupart d’entre eux, nés et élevés à Nairobi, avaient grandi en apprenant le Swahili ou
l’anglais, puis avaient éprouvé le besoin d’apprendre leur langue maternelle. D’autres se
lançaient dans la politique dans des circonscriptions rurales et voulaient en savoir assez pour
mener leurs campagnes dans les langues locales » a expliqué James Mondo.
Il a dû organiser un cours accéléré pour s’adapter à leur emploi du temps qui souvent leur
laissait peu de temps, mais ils ont utilisé le peu qu’ils avaient appris en le mélangeant avec
l’anglais pour combler leurs lacunes.
James Mondo a observé que la popularité croissante des rites de passage et des mariages
traditionnels a également créé une nouvelle demande concernant les langues locales, de la part
de personnes souhaitant connaître les coutumes concernant leurs pratiques tribales.
Il est vrai que l'application de la directive ministérielle risque de se heurter au manque
d'enseignants et le Dr Seba estime que cela risque d’entraîner des retards, même dans son
comté rural de Migori. Toutefois, il considère que cela ne doit pas être utilisé comme une
excuse pour retarder la mise en place du programme.
« Commençons là où les enseignants sont disponibles pendant que nous cherchons des
enseignants pour les endroits qui en manquent » a-t-il déclaré.
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