Contacts : « L`Église orthodoxe face à la Tradition juive » Compte
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Contacts : « L`Église orthodoxe face à la Tradition juive » Compte
Contacts : « L’Église orthodoxe face à la Tradition juive » Compte-rendu de Jean Massonnet pour l'Amitié Judéo-Chrétienne de Lyon Le N° 216 de la revue française de l’orthodoxie, Contacts (Octobre –Décembre 2006), publie un dossier intitulé : « L’Église orthodoxe face à la Tradition juive ». Il faut souligner l’intérêt et la diversité de ces 137 pages ; on y découvre de magnifiques témoignages de solidarité de chrétiens orthodoxes avec le peuple juif, mais aussi la dénonciation d’un antisémitisme qui fait frémir, des analyses de la relation de l’orthodoxie avec le judaïsme, tant au point de vue théologique que politico-social, capables de susciter chez le lecteur un mélange assez complexe d’approbations chaleureuses et de questionnements insatisfaits. On ne s’étonnera pas de cela a priori, sachant que les relations judéo-chrétiennes, avec les profondes et difficiles problématiques théologiques qui les accompagnent, sont en devenir, dans un équilibre délicat dont le maintient nécessite une réflexion sans cesse renouvelée. Ce numéro de la revue Contacts mérite d’être souligné, car nos « contacts » avec l’orthodoxie ne sont pas si fréquents dans le cadre de l’AJC. Plusieurs articles témoignent d’une recherche des sources juives qui alimentent la théologie orthodoxe. Ainsi, Sandrine Caneri montre comment la liturgie byzantine plonge ses racines dans la prière juive ; la relation shabbat-dimanche est présentée dans le cadre d’une continuité déjà présente, avec le huitième jour, dans la pensée juive. Nous faisons aussi connaissance avec un grand théologien de l’orthodoxie, le père Lev Gillet, qui publia en 1941, en Angleterre : Communion dans le Messie, « études sur le rapport entre le judaïsme et le christianisme (Communion in the Messiah, Studies in the Relationship between Judaism and Chritianity, Lutterworth Press, Londres, 1942; 2002; 2003). Il s’efforce de montrer la convergence entre les deux confessions, dans une perspective d’attente eschatologique. Son effort pour essayer de situer la doctrine chrétienne de la Trinité face au judaïsme est remarquable, surtout si l’on tient compte de l’époque où il a écrit. Quoiqu’il considère « comme une erreur totale que de vouloir chercher dans la littérature rabbinique la conception chrétienne de la Trinité comme elle a été élaborée par les conciles du IVe s. », il ajoute aussitôt que « nous pourrions trouver quelque chose comme l’adumbratio ou la præfiguratio d’une conception trinitaire de Dieu, quoique strictement monothéiste » : recherche d’une cohérence nécessaire dans le cadre d’une indépassable différence… Une autre belle figure orthodoxe contemporaine du père Lev est représentée par Mère Marie (Élisabeth Kouzmina-Karavaïeva, 1891-1945), « poète et artiste, artisan éminent de la renaissance religieuse parmi l’intelligentsia russe ». Arrivée en France en 1941, elle devient présidente de l’Action orthodoxe ; dans de le cadre de cette association, elle sauve des juifs de France ; cela lui vaut d’être arrêtée par la Gestapo en 1943, avec son fils et d’autres membres du groupe ; elle meurt à Ravensbrück en 1945. Les notions des slavophiles et populistes russes expliquent son approche d’Israël comme personnalité vivante d’un peuple qui « se tient devant un Dieu qui l’a créé, et non devant un Dieu qu’il se serait créé », comme c’est le cas avec les idéologies contemporaines du nazisme et du communisme ; son désir de voir les Juifs se tourner vers le Christ semble être à comprendre dans une perspective plus eschatologique que purement historique. Il est accompagné par un véritable amour sacrificiel pour les Juifs, qui la conduit à s’identifier volontairement avec les victimes de la violence nazie. Sa mort comme martyre à Ravensbrück est en cohérence parfaite avec l’orientation profonde de sa vie. On entre dans un contexte fort différent, actuel et lourd d’inquiétude, avec le « Débat sur l’antisémitisme dans l’Église orthodoxe », mené par Stavros Zouboulakis et Thanassis Papathanassiou. Le premier rend compte du livre du métropolite de Corinthe Pantéléimon (Karanikolas) : Chrétiens et Juifs (1980), qu’il qualifie d’emblée d’« odieux écrit antisémite » ; le plus grave à ses yeux est la recension élogieuse que mérita cet ouvrage dans la revue Theologia (1997) sous la plume d’un professeur d’herméneutique de l’Ancien Testament à l’École théologique de l’université de Thessalonique. Cela nous donne l’occasion d’apprendre que Mgr Pantéléimon est docteur honoris causa de l’université d’Athènes, la distinction académique la plus haute ! Le second partenaire du débat tente de rééquilibrer les choses, sans nier l’existence de l’antisémitisme chez les chrétiens orthodoxes, mais en soulignant aussi des aspects qui vont en sens contraire. Il faut être reconnaissant aux éditeurs de la revue de la franchise avec laquelle ils offrent la description d’un état de choses qui n’est pas nécessairement gratifiant. Pour clore ce thème, il nous est proposé l’analyse du premier tome d’un livre de Soljenitsyne, (Deux siècles ensemble 1795-1995. Tome 1 : Juifs et Russes avant la révolution, Fayard, Paris, 2002, 562 p.). Les deux critiques de l’ouvrage s’entendent sur le fond : Soljenitsyne cherche à dédouaner l’Église russe et l’entourage du Tsar en reportant les charges d’antisémitisme sur les masses populaires (sur lesquelles l’Église n’avait plus d’influence) et sur les révolutionnaires. Gary Vachicouras expose les relations entre l’Église orthodoxe et le judaïsme qui se sont déroulées lors de cinq rencontres, de 1977 à 2003. Elles marquent certainement une volonté de rapprochement et de compréhension mutuelle : conscience qu’a l’Église orthodoxe de « sa continuité avec l’Ancien Israël », sans transfert d’élection, fidélité aux racines et ouverture à l’avenir. En revanche, on reste insatisfait des explications données par les orthodoxes sur le caractère anodin des expressions antijudaïques présentes dans les textes liturgiques. On très conscient en orthodoxie du caractère pédagogique de la liturgie, exprimé par l’adage lex orandi, lex credendi ; un travail de mise à jour s’impose donc.