Plaidoyer pour une rupture douce - Conseil de développement de

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Plaidoyer pour une rupture douce - Conseil de développement de
Pistes d’évolution sur le Conseil de Développement de Grenoble Alpes Métropole Note d’étonnement (18/03/204) -­‐ Alain Faure -­‐ http://enigmes.hypotheses.org/ Cette note est composée de deux étonnements très distincts : d’une part un commentaire sur le déroulé des débats internes consacrés à l’évolution du C2D et d’autre part une réflexion plus générale sur l’enjeu métropolitain dans les élections municipales de mars 2014 en France (texte rédigé suite au débat public organisé par l’AHGGLO et le C2D le 27 février à la Maison des Agriculteurs et intitulé « En 2015, une métropole pour 440 000 habitants »). Conseil métropolitain : plaidoyer pour une rupture douce Les réunions qui ont alimenté la réflexion sur l’évaluation du C2D et sur l’éventualité de transformations conséquentes à l’horizon 2015 ont permis de mesurer une dynamique et des attentes. La dynamique concerne la disponibilité et la confiance des membres qui ont répondu à l’enquête et qui se sont impliqués dans les trois groupes de travail. Il est assez rare qu’une « institution » soit en capacité de discuter sereinement de son avenir quand les réformes envisagées bousculent potentiellement en profondeur son fonctionnement et affectent même ses finalités. Les trois séances de brain storming révèlent une appétence à la réflexion et une ouverture d’esprit qui expriment, dans cette période institutionnelle mouvementée, une forme de sagesse collective. Il faut souligner que ces jugements dissocient avec lucidité l’exercice d’autocritique (le constat des performances limitées de la structure) des remarques plus qualitatives sur la qualité et la convivialité des échanges en interne au C2D. Notons aussi que la petite équipe qui fait tourner la structure (Emilie Bossuet, Nadia Wolf et Sonia Rullière) n’est certainement pas étrangère à cette impression de force tranquille dégagée au fil des analyses, tant la préparation, l’animation et le compte-­‐rendu des réunions se sont enchainés avec précision et efficacité. Les attentes concernent essentiellement des enjeux de fond. Il n’y a pas d’angoisses sur l’avenir du conseil ni de tensions entre ses membres pour le fonctionnement au quotidien ou le leadership. En revanche, tous les diagnostics évoquent avec insistance des carences et des zones d’ombre concernant l’utilité et l’impact des actions menées ces dernières années au sein du C2D. Dans ce cadre, l’importance des fragmentations, des inégalités et des exclusions qui freinent l’élan métropolitain de la région grenobloise constitue une préoccupation centrale, à la fois parce qu’elle questionne la capacité d’intervention de Grenoble Alpes Métropole dans ce domaine et parce que la problématique touche à des enjeux fondamentaux en termes de cohésion sociale et de citoyenneté. C’est autour de ce constat que s’est progressivement construite l’hypothèse qu’il fallait sans doute envisager une rupture et un recentrage des activités du C2D sur son cœur de métier, à savoir l’analyse des problèmes de société jugés « difficiles », méconnus ou insuffisamment pris en compte à l’échelon métropolitain. Le C2D doit bien sûr continuer à promouvoir et à conforter sa mission d’interface centrée sur le dialogue en réseau et sur la circulation de l’information entre les associations, les habitants et la Métro. Mais les discussions engagées dans les trois groupes de travail ont aussi permis de mieux formaliser deux possibles nouvelles orientations : d’une part une écoute spécifique centrée sur le public des invisibles et des sans-­‐voix vivant dans la région grenobloise (donner la parole), d’autre part une mise en récit et une médiatisation volontariste des problèmes collectifs jugés cruciaux (lancer des alertes). Ces deux défis sont politiques au sens premier du terme : ils visent à défendre une conception dynamique et communicante de la démocratie locale, dynamique qui se situe en complément indispensable avec les instruments classiques de démocratie participative et représentative. Ce diagnostic part du constat et de la conviction qu’il faut prendre au sérieux la défiance qui éloigne les individus de la politique dans des nombreux pans de la vie locale. Le recentrage vise à structurer, à côté des dispositifs classiques de participation et d’évaluation des politiques publiques, des espaces d’écoute et de médiation qui pensent l’extrême diversité du monde métropolitain à cette échelle (et donc pas seulement avec des approches sectorielles ou micro-­‐localisées). En concentrant son énergie et ses compétences sur une fonction d’alerteur, le C2D s’aventure certes en terres inconnues mais il me semble qu’il s’agit plutôt d’une rupture douce, dans la mesure où elle ne dépare pas avec l’état d’esprit dans lequel les actions du C2D ont été menées jusqu’à présent. L’orientation prolonge par exemple le tempo original impulsé au fil des Rencontres Métropolitaines, notamment dans cette façon impertinente et interterritoriale de raconter la région grenobloise en combinant des questions existentielles, des indignations et des aspirations communes. On retrouve d’ailleurs cet imaginaire en formation au fil des mots qui composent l’abécédaire (art, ballades, désirs, découvertes, diasporas, éclats, randonnées, rythmes, zut…). Pour aller à l’essentiel, cette orientation part de l’idée que pour faire métropole, les habitants doivent apprendre à se connaitre et à partager des émotions ensemble. Avec son « bureau stratège », ses « membres aiguillons » et ses « membres associés », le conseil métropolitain peut devenir une arène privilégiée pour mettre en récit et en mouvement ce destin partagé et cette façon décloisonnée d’inventer la cité. Municipales 2014 en France, le saut dans l’inconnu En première lecture, les élections municipales de 2014 se préparent au rythme de nos passions françaises pour la démocratie locale : un cocktail de projets, de promesses, d’alliances, de ralliements et d’indignations. Les listes s’y dévoilent et les professions de foi s’y déclinent avec conviction, enthousiasme et une sorte de jubilation associant les élans locaux à un idéal national. Ce temps fort électoral délivre des indications précieuses sur le rapport presque charnel que les Français entretiennent avec le pouvoir, d’autant plus lorsqu’ils le critiquent ou le fustigent. Les premières émotions et l’entrée en politique se construisent souvent à cette occasion, dans une communion initiatique où chaque société locale raconte un esprit des lieux. C’est aussi le moment où des personnalités se mettent à l’épreuve de leur popularité, rêvant à voix haute de trophées pour leurs concitoyens et de destin national. Mais méfions-­‐nous des apparences : derrière cet engouement conforme à deux siècles de démocratie locale se dessine peut-­‐être une transformation souterraine assez inédite concernant le lien qui attache les individus à la démocratie et à la puissance publique. Deux indices méritent notamment attention parce qu’ils sont en passe de brouiller notre équation municipaliste de l’intérêt général made in France. Le premier concerne l’émergence de revendications sur la place de l’usager qui sont beaucoup plus pulsionnelles et radicales que par le passé. Ce sont paradoxalement les rhétoriques « citoyennes » les plus militantes qui ouvrent cette brèche en diffusant un droit d’indignation immédiat, permanent, court-­‐termiste, exclusif et sans appel face aux institutions et aux représentants élus. A l’instar du mouvement des bonnets rouges en Bretagne ou de celui des cinq étoiles en Italie, on en trouve mille expressions dans les réseaux sociaux sur le Web, dans les comités d’habitants et au cœur des programmes électoraux : les diagnostics sont affichés comme légitimes dès lors que c’est la vox populi qui les porte et dès lors qu’ils paraissent « pleins de bon sens ». Ainsi en est-­‐il des plaidoyers vigoureux sur la baisse des impôts, la sauvegarde des services publics, la souveraineté des communes rurales, le refus de la densification urbaine, les résistances à toute pensée planificatrice… C’est cette même dynamique qui promeut le libre-­‐
arbitre des individus pour consommer, se déplacer, se divertir, s’entraider et se protéger. Ces revendications micro-­‐
locales d’émancipation individuelle sont très stimulantes et séduisantes parce qu’elles ont la saveur du combat collectif, mais elles se retrouvent en porte à faux (voire en contradiction) avec la partition collégiale que les communes jouent traditionnellement avec les partenaires sociaux, avec les autres niveaux de collectivités locales et avec les services de l’Etat. Le second indice concerne précisément l’évolution supracommunale de l’action publique. Comme partout en Europe, les pouvoirs municipaux engagent depuis deux décennies une lente mutation sur leurs leviers d’action, au sens où leur capacité d’organisation et d’orientation des services publics se réorganise à l’échelle de périmètres qui les dépassent largement (une agglomération, un bourg, un bassin d’activité, un espace protégé…). Ces recompositions ne sont pas uniquement fonctionnelles, elles modifient aussi le rôle des élus locaux en leur conférant une mission de médiation plus stratégique qu’opérationnelle. Or la campagne municipale fait globalement l’impasse sur cette mutation (ou du moins elle s’en saisit mal), comme si le maire et ses colistiers étaient toujours élus pour représenter et pour gouverner sur leur strict territoire. Ce schéma mental perpétue une tradition clientéliste et catégorielle qui conçoit la proximité comme un gage d’efficacité dans la production des services rendus à la population et à ses groupes organisés. Sous-­‐entendu : les connexions se feront naturellement au cœur des arènes politiques départementales et régionales, à l’Assemblée nationale et à Bruxelles. Or la situation est tout autre : sur tous les grands défis de société pointés dans les professions de foi (le développement, la solidarité, la sécurité, la culture, la mobilité…), les réponses se construiront dorénavant essentiellement à l’échelle métropolitaine, sur ce vaste périmètre fragmenté où les tensions, les inégalités et les injustices sont les plus criantes et appellent un positionnement éthique et des solutions d’ensemble. Il s’agit véritablement d’un saut dans l’inconnu car les Français éprouvent les pires difficultés à énoncer les responsabilités politiques liées à cette complexe métropolisation de la société française. Les deux indices repérés (une démocratie pulsionnelle, un palier municipal sans pouvoir de décision) ne signifient pas la fin des passions politiques mais ils révèlent un malentendu qui doit faire réfléchir. Aux quatre coins du territoire, on fait l’éloge de l’hyper proximité citoyenne et on dénonce volontiers l’impuissance publique en instruisant le procès des technocraties métropolitaines et régionales. Pourtant, les élans visionnaires sur la solidarité et sur la fraternité passent nécessairement par des pactes et des projets cristallisés au niveau de chaque métropole. C’est bien à cette vaste échelle interterritoriale que nous pourrons inventer des récits et des programmes d’action audacieux pour une société moins inégalitaire et plus confiante, pour une cité politique qui transcende les trente six mille et un nombrils municipaux. 

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