« Le vert pour le vert est en train de passer de mode »

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« Le vert pour le vert est en train de passer de mode »
ÉTANC HÉITÉ. INF O # 32 décem bre 2 01 1
P i e r r e D ar m e t
T ÉM OIN
« Le vert pour le vert est en train
de passer de mode »
Pierre Darmet, chef de produits innovations
végétales, Les Jardins de Gally.
b a s ti e n c a n y
Les toitures extensives sont aujourd’hui
presqu’exclusivement plantées de sédums
peu gourmands en eau et adaptés aux faibles
épaisseurs de substrat. Depuis trois ans, on
assiste toutefois à de nouvelles demandes qui
s’orientent vers une diversification de la gamme
végétale. Cela a commencé sur quelques mètres
carrés de toiture avec des architectes souhaitant
recréer des bouts de paysage. Désormais ce sont
les maîtres d’ouvrage publics qui réfléchissent à
apporter davantage de biodiversité sur les toits
verts.
pa r c o u r s
Ingénieur agronome (spécialité
horticulture) et titulaire d’un
3e cycle en intelligence économique,
Pierre Darmet a notamment réalisé
une étude pour le compte de
l’interprofession Val’hor sur la mise
en place d’une stratégie pour la
« Cité Verte » visant à faire valoir la
place du végétal en ville auprès des
décideurs. Il a ensuite intégré
Les Fermes de Gally pour
accompagner le développement des
projets innovants de la branche
B to B, Les Jardins de Gally, et
favoriser leur mise sur le marché.
Pourquoi ce nouvel intérêt sous l’angle de la
biodiversité ?
P D Il fait écho au renforcement depuis une
dizaine d’années des politiques de conservation
et de restauration des écosystèmes. La France
s’est dotée en 2004 d’une stratégie nationale
dans ce domaine mise à jour en 2010 à l’occasion
de l’année internationale de la biodiversité.
Elle intègre de nombreuses dispositions des lois
de Grenelle 1 et 2 en instaurant notamment
le concept de trame verte et bleue. Il s’agit de
restaurer ou de créer des continuités écologiques
permettant à la fois aux espèces de se maintenir
mais aussi de circuler par le biais de continuités
écologiques. En ville, les toits verts peuvent
apporter des réponses à ces enjeux. C’est un
sujet sur lequel nous travaillons depuis quelques
années. En 2010, nous avons installé plusieurs
surfaces expérimentales sur le toit du palais de
Chaillot dans le 16e arrondissement parisien.
Nous y testons différents systèmes extensifs
et semi-intensifs afin de développer la palette
végétale. Parallèlement, les Jardins de Gally se
sont associés à un travail de recherche mené
avec le Muséum national d’histoire naturelle
en partenariat avec le conseil général de SeineSaint-Denis. L’objectif était de recenser les
toitures-terrasses végétalisées existantes dans
le département et de caractériser celles qui se
révèlent les plus favorables à l’accueil de la
biodiversité.
É.I
L’intérêt des maîtres d’ouvrage
pour les toits verts se renouvelle.
Élargissement de la gamme
végétale, biodiversité et même
outil pédagogique favorisant le
lien social : la végétalisation se
découvre de nouvelles valeurs
d’usage.
É TA N C H É I T É . I N F O En tant qu’entreprise du
paysage, comment a évolué ces dernières années
votre intervention sur les toitures-terrasses ?
P i e r r e D a r m e t Il y a encore une quinzaine
d’années, les jardins de Gally travaillaient
principalement sur des projets d’aménagement
de toitures-terrasses jardins et sur des ouvrages
capables de recevoir des charges de terre
importantes. Le développement des techniques
de végétalisation extensive associant des
substrats légers à des complexes drainants a
permis de conquérir davantage de surfaces et de
bâtiments. Mais il a aussi conduit à généraliser
une forme de monoculture.
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TÉMOIN
P i e r r e Da r m e t
É TA N C HÉ IT É . I N FO # 3 2 d éc emb re 2 011
« Avec l’aménagement extérieur, on peut tout à la fois raconter
une histoire avec des végétaux aux propriétés particulières mais
aussi concevoir une signature végétale propre à une entreprise. »
É . I Quels ont été les résultats de cette étude ?
Un peu plus de 130 toits verts ont été identifiés,
ce qui représente environ 0,1 % de la surface
de toiture du département. Sur l’ensemble de
ces végétalisations, 95 % sont de type extensif
et composés à plus de 80 % de sédums. Il a été
constaté que ces toitures présentent un indice
de biodiversité nettement plus faible comparé
aux complexes semi-intensifs et intensifs. Ce
n’est évidemment pas une surprise. Car c’est
précisément l’un des rôles des sédums dont le
pouvoir couvrant vient limiter l’implantation de
plantes invasives mais aussi, en contrepartie,
d’autres espèces locales. On parle d’ailleurs de
plantes de fermeture. Ce constat peut toutefois
varier selon la hauteur, l’âge de la toiture, son
exposition au vent et selon le type d’entretien
effectué. L’épaisseur, la nature du substrat ainsi
que la mise en œuvre des végétaux sont également
des facteurs clés. De fait, les végétalisations semiintensives offrent une diversité végétale plus
large compte tenu de la hauteur des complexes
et du mode de plantation. Sur ces toitures,
on ne recherche pas une couverture totale et
immédiate de la surface ce qui permet à une
flore spontanée de s’implanter. Nous cherchons
aujourd’hui à passer à une étape supplémentaire
avec l’introduction de végétaux indigènes. Des
organismes comme le Muséum national d’histoire
naturelle et l’association Plante & Cité mènent
également des études dans ce sens. Sans retomber
dans des logiques de toitures jardins, il est possible
d’apporter davantage de biodiversité en préférant
une épaisseur de substrat d’au moins 10 cm et
en faisant varier sa composition et sa structure.
Cette diversité est aussi favorable à la faune qui va
trouver dans cette hétérogénéité des milieux des
zones de refuge.
PD
L’installation de ruches sur les toits participe-telle à la même démarche ?
PD Dans les développements récents, nous
associons souvent l’installation d’une toiture avec
É.I
celle d’une ruche ou d’abris pour les insectes
auxiliaires ou polinisateurs. Ces dispositifs sont
surtout des symboles de biodiversité. Ils nous
permettent d’impliquer les maîtres d’ouvrage,
les entreprises ainsi que les collectivités dans la
mise en place de nouvelles pratiques d’entretien.
Dans ce contexte, continuer à utiliser des
insecticides ou des herbicides tout en produisant
du miel devient absurde. Ce type de démarche
est également l’occasion de recréer des équilibres
écologiques plus forts et donc peut-être de
modifier la composition même de l’espace. Mettre
en place une gamme végétale plus diversifiée à
côté d’une ruche a ainsi plus de sens qu’un simple
tapis vert au sol ou en toiture. Le « vert pour le
vert » est en train de passer de mode, y compris
chez les maîtres d’ouvrage tertiaires. Ceux-ci
cherchent aujourd’hui des leviers pour donner du
sens à la vie en entreprise et créer du lien entre
les salariés. Dans leurs projets d’aménagement ou
de réaménagement, les sociétés nous demandent
désormais de donner une valeur d’usage aux
toits-terrasses. L’installation de ruches ou des
bacs potagers en toitures permet d’apporter des
outils pédagogiques qui favorisent le lien social.
Avec l’aménagement extérieur, on peut tout à la
fois raconter une histoire avec des végétaux aux
origines et aux propriétés particulières mais aussi
concevoir une signature végétale propre à une
entreprise.
On est loin de l’esthétique traditionnelle du toitterrasse jardin…
PD On ne cherche plus à reproduire ce que
l’on fait au sol. Il y a un travail sur les formes,
le mobilier et la revendication d’une certaine
urbanité. Les concepteurs expliquent souvent
que le paysage ne se limite pas au végétal
mais concerne également notre rapport à l’eau
et au ciel. De ce point de vue, les toituresterrasses constituent un formidable terrain
d’expérimentation. l
É.I
01
02
01
Le mobilier design et la couleur
s’invitent désormais sur les terrasses.
02
Chez Vente-Privée, des ruches
ont été installées sur une toitureterrasse inaccessible mais visible par
les collaborateurs.

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