Le métier d`artisan charpentier
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Le métier d`artisan charpentier
Les Cahiers de l’Urbanisme N° 76 Octobre 2010 92 92-93 Pascal Lemlyn Artisan charpentier Le métier d’artisan charpentier L’artisan n’a pas oublié ses rêves, il mène son travail comme il l’entend, il y met son cœur et ne compte pas ses heures. Son métier lui donne un plaisir qui transpire dans la matière qu’il travaille. Choisir J’avais pourtant terminé des études d’architecte, ainsi que les deux ans de stage nécessaires à la pratique du métier, mais je ne prenais aucun plaisir à décrire des choses que je ne maîtrisais pas, ni à vérifier le travail accompli par des hommes bien plus compétents dans leur ouvrage que le jeune diplômé que j’étais. J’ai quitté mes frustrations pour plonger dans les clichés de mon enfance : devenir un solide gaillard du genre saint Joseph qui taille des tonnes de poutres en chêne au millimètre et les lance dans l’espace pour porter des toitures ! L’heure était venue de choisir un métier et d’en assumer les conséquences. Apprendre La formation de charpentier n’existait pas réellement en Belgique, réduite tout au plus à un chapitre dans le programme de menuiserie. La France proposait une offre de formation bien plus complète. La filière des Compagnons du Tour de France m’est bien vite apparue comme la plus pertinente. Et c’est donc d’abord comme apprenti charpentier que j’ai partagé la vie des itinérants à la Fédération compagnonnique des Métiers du Bâtiment. Salariés en entreprise en tant qu’ouvriers, nous habitons, toutes corporations confondues, dans un siège compagnonnique, où nous assumons les tâches ménagères à tour de rôle. Nous nous conformons aux règles de vie en communauté. Les journées commencent tôt car les entreprises où nous sommes engagés se trouvent parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du siège. Certaines corvées sont accomplies avant l’embauche de 7h00. Tous les soirs, nous prenons nos repas ensemble, et assistons à deux heures de cours du soir. Les anciens nous dispensent des cours généraux, des cours de technologie et des exercices de trait de charpente. Il est vingt-deux heures trente et si nous ne tombons pas de fatigue, nous travaillons sur notre chef-d’œuvre. Les week-ends sont également bien remplis : les samedis, nous suivons des cours ou nous mettons en pratique le trait de charpente. Nous assistons également aux réunions de corporation auxquelles participent les compagnons sédentaires qui encadrent les itinérants. Les dimanches sont bien utiles pour avancer sur le chef-d’œuvre à terminer pour la Saint-Joseph… La richesse de l’apprentissage passe également par l’itinérance. Une à deux fois par an, nous changeons de ville et donc de siège, d’entreprise, et de compagnons d’itinérance. Sans cesse, il faut s’adapter, refaire ses preuves, et être confronté à d’autres façons de travailler. Chaque région a ses spécificités architecturales, ce qui nous permet de découvrir des techniques très variées. Pratiquer Après ce temps de voyage et de formation, j’ai quitté mon statut d’ouvrier pour m’installer en Belgique en tant qu’artisan indépendant. Tout était à faire : s’équiper en outillage, traiter avec les clients, concevoir les charpentes, faire les devis, la comptabilité… La plupart du temps seul, parfois avec un apprenti, je réalise tant des charpentes contemporaines que traditionnelles. La taille des chantiers est variable : du plus simple escalier à la construction d’une charpente nécessitant 50m3 de chêne, en tenant compte de la durée du chantier et de la patience du client… La pratique du métier passe autant par la réalisation de charpentes neuves que par la restauration de charpentes anciennes. Nos conceptions actuelles s’inscrivent d’ailleurs dans le temps et feront, pour certaines, partie du Patrimoine de demain. 93 Trait de charpente du colombier de la Paix-Dieu à Amay. © Pascal Lemlyn Les évolutions scientifiques et technologiques permettent d’ailleurs de porter un regard critique sur le bâti ancien et d’apporter un choix de solutions de restauration plus étoffé qu’auparavant. Aux côtés d’autres acteurs du Patrimoine, qu’ils soient historiens de l’art, architectes, ingénieurs, je participe à des études préalables et donne des avis techniques au sujet des charpentes étudiées. Cette pluridisciplinarité est très enrichissante, apporte des approches et points de vue complémentaires, et permet de rompre l’isolement propre aux artisans. C’est d’ailleurs ce sentiment d’isolement qu’ont en commun nombre d’artisans, qui a poussé à la création de cet outil de rencontre qu’est l’Union des Artisans du Patrimoine. La charpente reconstituée du colombier de la PaixDieu à Amay se dresse fièrement dans l’atelier du Centre des métiers du patrimoine de la Paix-Dieu. Elle attend patiemment la consolidation des maçonneries pour trouver sa place définitive. © Pascal Lemlyn Les sujets sont nombreux, la tâche est vaste, et la réalisation commune difficile car paradoxale : les artisans veulent briser leur solitude en s’institutionnalisant mais ceci se heurte à la manière toute personnelle qu’ils ont de s’impliquer dans leur travail et de gérer leurs outils. Une chose est sûre : ce qui caractérise l’artisanat, c’est la petite taille de ses moyens d’action, tout autant que l’excellence à laquelle il prétend. Transmettre Formateur en charpente à la Paix-Dieu depuis 2000, j’ai eu l’occasion de transmettre mon expérience en animant quelques semaines par an des stages thématiques. Ces stages de perfectionnement permettent d’aborder de manière théorique et pratique des sujets tels que l’étude du matériau bois, la restauration de charpentes en bois par le biais de greffes ou de «remplacement à l’identique», l’étude des différents types d’assemblages, l’étude du trait de charpente, la restauration de colombage et pans de bois… Un stage de plus longue haleine organisé sous la forme d’un chantier école a permis à cinq stagiaires de participer à la reconstitution intégrale de la charpente du colombier de la Paix-Dieu. Au bout de trois ans à raison d’une quarantaine de jours par an, la charpente se dresse fièrement dans l’atelier, et attend patiemment la consolidation des maçonneries pour trouver sa place définitive. Au delà de l’objet patrimonial reconstitué, c’est surtout un patrimoine de savoir-faire qui est transmis… Ce trajet, loin d’être terminé, me semble d’une richesse toujours renouvelée, justifiant amplement les efforts et les difficultés ; la récompense est au centuple !