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Le management par le stress à France Télécom
Note synthétique
Anne-Marie Minella
Octobre 2009
Privatisation et promesse sociale ____________________________________________________3
Des suppressions d’emploi massives _________________________________________________3
Des fonctionnaires indésirables ____________________________________________________________ 3
Les départs dits « naturels » à la retraite _____________________________________________________ 4
Le Congé de Fin de Carrière ______________________________________________________________ 5
La mobilité vers la fonction publique _______________________________________________________ 5
L’essaimage et le Projet Personnel Accompagné ______________________________________________ 6
Des reconversions intensives _______________________________________________________6
Les mobilités : une réussite pour l’entreprise _________________________________________________ 6
La mobilité est aussi géographique _________________________________________________________ 7
Et pour les salariés ? Départs obligés, mobilité forcée __________________________________8
Les moyens de pression__________________________________________________________________ 8
La mobilité : un principe supérieur _________________________________________________________ 9
Les réorganisations permanentes__________________________________________________________ 10
Les fermetures de sites _________________________________________________________________ 11
L’individualisation du travail _____________________________________________________11
L’isolement __________________________________________________________________________ 11
L’entretien individuel __________________________________________________________________ 12
Cadre ou exécutant ? ____________________________________________________________15
La précarité des cadres _________________________________________________________________ 15
Une courroie de transmission ____________________________________________________________ 16
L’animation des équipes ________________________________________________________________ 17
Un statut finalement difficile _____________________________________________________________ 17
Souffrance et stress ______________________________________________________________17
Le vécu des salariés ____________________________________________________________________ 17
Stress : alertes des médecins _____________________________________________________________ 19
Les suicides __________________________________________________________________________ 20
Que faire contre le stress ? ________________________________________________________21
Cellule d’écoute et médecine du travail_____________________________________________________ 21
Le personnel et les représentants du personnel _______________________________________________ 22
Convergence des actions ________________________________________________________________ 24
Privatisation et promesse sociale - Conclusion________________________________________24
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
2/2
Privatisation et promesse sociale
Le 15 mars 1996, Alain Juppé, Premier ministre, adresse une lettre à Michel Bon, président de
FT, pour l’informer officiellement d’une décision prise par son gouvernement : la réforme du
secteur des télécommunications dans la perspective de son ouverture à la concurrence le 1er
janvier 1998 et, en conséquence, la nécessité de faire évoluer le statut de France Télécom, alors
exploitant public. Autrement dit, la nécessité d’en faire une société privée. Il confirme toutefois
l’engagement, solennel, de l’Etat selon lequel « les agents de FT qui sont fonctionnaires
conserveront leur statut de fonctionnaire de l’Etat et les garanties associées, en particulier la
garantie de l’emploi». Cet engagement est communiqué à tout le personnel par M. Bon qui
fournit à l’appui la copie de la lettre du Premier ministre.
Un peu plus d’un an après, la loi du 26 juillet 1996 concrétise ces décisions et met en place la
rupture annoncée dans l’histoire de France Télécom : à partir du 1er janvier 1997, l’entreprise
devient une société anonyme et cède une partie de son capital aux investisseurs privés. La loi
reprend l’engagement initial d’A. Juppé ; une nouvelle fois, le gouvernement assure que les
fonctionnaires gardent leur statut au sein de la nouvelle entreprise qui pourra même en recruter
jusqu’en 2002. Sans qu’il soit précisé, néanmoins, dans quelles proportions. FT reste contrôlée
par l’Etat qui a l’obligation de détenir plus de la moitié de son capital. Ce point inscrit dans la
loi est présenté comme un élément durable et une garantie supplémentaire pour le personnel.
Parallèlement, la direction signe avec les syndicats un accord pour un dispositif de préretraite,
le congé de fin de carrière. Une porte de sortie basée sur le volontariat pour les fonctionnaires
qui souhaiteront quitter l’entreprise dans les années qui suivent.
Avec la loi du 31 décembre 2003, le gouvernement en place s’autorisera à entamer les garanties
initiales : il supprimera l’obligation pour l’Etat d’être majoritairement présent dans le capital de
FT. Mais les textes énonceront une fois encore que la loi ne porte pas « atteinte aux garanties
fondamentales qui sont aujourd'hui reconnues aux agents fonctionnaires de l'entreprise » : les
fonctionnaires restent des fonctionnaires.
La garantie du statut des fonctionnaires et le congé de fin de carrière sont présentés comme les
deux éléments nécessaires et suffisants pour garantir l’emploi dans l’entreprise et régler en
douceur la réduction des effectifs que syndicats et gouvernement savent inévitables. Rien ne
semble donc devoir troubler fondamentalement la vie du personnel, pourtant au cœur même du
changement radical que l’on impose à l’entreprise.
Des suppressions d’emploi massives
Des fonctionnaires indésirables
Mais dès 1996, on ne fait plus carrière à FT. L’enjeu pour l’entreprise, c’est de réussir le plus
vite possible sa reconversion de service public en une société privée internationale cotée en
bourse. Dans ce contexte, la réalité vécue par le personnel ne sera pas celle de la continuité
paisible.
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
3/3
La mutation de l’entreprise s’appuie sur une réduction drastique des effectifs et une
reconversion interne du personnel à grande échelle, et cela sans discontinuer depuis la
privatisation en 1997 jusqu’à nos jours. L’objectif : compresser les effectifs des fonctionnaires,
considérés comme indésirables dans une entreprise nouvellement soumise aux contraintes de la
concurrence et de la cotation boursière, et par tous les moyens possibles, puisque le
licenciement est exclu. Gouvernements et direction ont depuis le début planifié qu’un quart des
agents fonctionnaires devraient encore être présents dans l'entreprise à la fin de l'année 2018, et
que les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035, s’ils ne font rien. La direction va
employer tous les moyens pour accélérer ces départs.
En 1997, France Télécom SA comptait 162 000 salariés1 dont 90% étaient des fonctionnaires.
Onze ans après, en 2008, ils ne sont plus que 94 500 actifs 2 dont 70% de fonctionnaires. Plus
de 65 000 personnes ont quitté l’entreprise.
Evolution des effectifs à France Télécom
140 000
120 000
100 000
80 000
60 000
40 000
20 000
0
2 001
2 002
2 003
2004
2005
2006
2007
2008
Cadres actifs
32 985
32 633
32 101
32 953
33 082
34 250
34 997
35 559
Non cadres actifs
90 176
84 075
78 170
74 931
71 560
65 621
62 360
58 799
Source : les bilans sociaux de FTSA.
Récemment encore, FT déclarait avoir atteint ses objectifs et supprimé 22 000 emplois entre
2006 et 2008, c’est-à-dire 1/5 de ses effectifs sur la période. Pour arriver à évacuer des
dizaines de milliers de personnes qu’elle ne peut licencier, France Télécom compte sur les
départs en retraite, mais elle a aussi mis au point des dispositifs complémentaires :
- le Congés de Fin de Carrière (CFC) dès 1996
- la mobilité vers la fonction publique, l’essaimage et le Projet Personnel Accompagné (PPA)
en 2003. Toutes ces mesures sont déclarées basées sur le seul volontariat des salariés. Elles
sont ainsi présentées comme un accompagnement du personnel dans son évolution
professionnelle par une entreprise soucieuse de ses responsabilités sociales.
Les départs dits « naturels » à la retraite
De 2001 à 2008, 13 000 personnes sont parties à la retraite, essentiellement des fonctionnaires
employés et techniciens, c’est-à-dire non cadres. De 2009 à 2018, la direction table sur une
moyenne de 30 000 départs supplémentaires. « Naturels » suppose en l’occurrence que seul
l’âge décide de l’heure du départ, sans intervention de l’entreprise.
1
Les Echos – 4 décembre 2007
« Bilan social 2008 France Télécom SA » ; les chiffres incluent les flux entrants, dus notamment à l’intégration
des filiales.
2
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Or, ces départs incluent deux catégories de personnel pour lesquelles la retraite n’est pas une
obligation, mais un droit ouvert à partir de 55 ans : les fonctionnaires qui ont assuré au moins
15 ans de service actif et les mères de trois enfants. En 2008, ils représentent 80% des départs.
France Télécom aura tout intérêt à intervenir pour les convaincre d’utiliser leur droit.
Le Congé de Fin de Carrière
C’est un dispositif de retraite anticipée à partir de 55 ans qui propose une rémunération
avantageuse et des indemnités de départ. Disponible 1997 à 2006, c’est la solution de départ la
plus utilisée, adaptée à une population vieillissante à France Télécom, où les derniers
recrutements importants se sont faits dans les années 70. Plusieurs milliers de personnes
veulent déjà en profiter dans l’année qui suit sa création en 1996. Une preuve de succès peutêtre, mais déjà notée par Michel Delebarre dans son rapport3 au Premier Ministre en septembre
1997, comme « le signe d’un mal-être du personnel d’expérience à FT ». « A plusieurs reprises,
en particulier venant du personnel technique, il nous fut demandé si on pouvait envisager que le
CFC soit accessible au personnel de 53 ans, voire de 50 ans… »4. De 1996 à 2007, 42 0005
personnes partent ainsi en préretraite, en très grande majorité des fonctionnaires.
Le document d’introduction de FT en bourse en 1997 évalue entre 50 000 et 60 000 le nombre
de départs en retraite ou préretraite Au cours des dix années suivantes. « Grâce à notre
programme de préretraite et de départs à la retraite, notre flexibilité dans les effectifs est
considérable » précise M. Bon présentant l’opération aux investisseurs américains de Wall
Street. 6 Les prévisions ont été atteintes.
Composition des départs à France Télécom SA entre 2001
et 2008
10 000
9 000
8 000
7 000
6 000
5 000
4 000
3 000
2 000
1 000
0
Autres départs
Nouveaux CFC
Départs retraite
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Source : les bilans sociaux de FTSA.
La mobilité vers la fonction publique
En 2003 Thierry Breton, alors PDG du groupe, à la recherche de nouvelles idées pour accélérer
le départ des fonctionnaires, crée le dispositif intitulé « mobilité vers la fonction publique »,
ouvert pour cinq ans. Comme son nom l’indique, il favorise le transfert des fonctionnaires de
France Télécom vers une des trois fonctions publiques - d’Etat, Territoriale ou hospitalière –
3
« Sur les enjeux d’avenir pour France Télécom », rapport au Premier Ministre, chapitre II. 3 septembre 1997
Ibid.
5
Les Echos, ibid.
6
« France Télécom se plie à Wall Street », L. Lamprière, Libération.fr, 1er octobre 1997
4
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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notamment en attribuant une aide financière équivalente à quatre mois de salaire brut. Un peu
plus de 5 000 personnes ont ainsi quitté France Télécom7.
L’essaimage et le Projet Personnel Accompagné
L’essaimage accompagne ceux qui veulent créer ou reprendre une entreprise. Au départ, il
concerne uniquement les entreprises du secteur des télécommunications, d’où son nom. Mais
cette restriction a été rapidement supprimée et tous les secteurs sont acceptés, pour « optimiser
le dispositif », c’est-à-dire augmenter le nombre des départs.
Le « projet personnel accompagné » (PPA) aide le salarié à se reconvertir professionnellement
à l’extérieur de l’entreprise, hors la création ou reprise de société. L’essaimage et le Projet
Personnel Accompagné incluent des possibilités de formation, des moyens financiers, des
expertises. En 2007, ils sont 726 à en bénéficier et 1460 en 20088. Même si les chiffres sont
modestes, toutes les « niches » sont bonnes à exploiter pour atteindre les objectifs de
compression des effectifs.
Mobilité vers la fonction publique, essaimage et projet personnel accompagné, outre le fait
qu’ils semblent mis au service du salarié pour l’aider à évoluer dans sa carrière sont d’autant
plus sécurisants qu’ils garantissent un droit de retour dans l’entreprise. Ils sont relayés auprès
du personnel par les managers, les responsables des ressources humaines et plus récemment par
onze Espaces Développement, des agences réparties sur tout le territoire en 2006 pour favoriser
le départ des salariés ou leur reconversion des métiers en décroissance aux métiers en
développement. Difficile dans ces conditions de ne pas être informé. Mais toutes ces ressources
ne sont pas mobilisées uniquement pour informer ou aider le personnel ; elles pousseront les
populations ciblées, par la contrainte si nécessaire, à utiliser toutes les portes que l’entreprise
leur ouvre vers la sortie.
Parallèlement le recrutement porte sur quelques milliers d’embauches sévèrement contrôlées
de cadres experts et essentiellement, sur plusieurs milliers de CDD ou temps partiels. Tous ces
recrutements se font surtout dans le domaine de la vente et de la relation clients, conformément
aux métiers devenus prioritaires dans le groupe. Le recrutement des fonctionnaires, évoqué
dans les promesses initiales est insignifiant et l’ensemble de ces embauches est loin de
compenser les dizaines de milliers de départs. La décroissance globale des effectifs en marche
depuis 1996 n’a pas cessé depuis.
Des reconversions intensives
Les mobilités : une réussite pour l’entreprise
La mutation de France Télécom en société privée s’accompagne non seulement d’une réduction
massive des effectifs, mais également de besoins nouveaux en terme de métiers. Des
techniciens réseau ont été recrutés en grand nombre dans les années soixante, puis au milieu
des années 70, pour combler le retard de la France en termes d’équipement téléphonique. Une
autre vague de recrutement, un peu moins importante, s’est opérée au dans les années 80, au
moment de la modernisation et de l’informatisation du secteur des télécommunications.
7
8
Intranet de l’entreprise, site Anoo, 2009
Rapport sur l’évolution de l’emploi 2008 – périmètre UES FT-Orange
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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Au milieu des années 90, l’entreprise n’a plus besoin d’eux, le chiffre d’affaire lié à
l’exploitation du réseau voix est destiné à décroître compte tenu de l’ouverture à la concurrence
des télécommunications. M. Bon déclare en 1999 : « Ce sont eux qui ont construit le réseau des
années 60. Ils étaient les princes de FT. Mais c’est une mauvaise idée qu’il y ait des princes et
des valets dans une entreprise, nous sommes tous égaux. Moi-même je me considère comme le
valet du client. »9 Il faut par contre développer la vente, celle de nouvelles technologies,
l’internet et le mobile, et de nouveaux services pour de nouveaux usages. En 2004, 45% du
personnel occupe un poste dans le domaine client et 26% dans le domaine des techniques de
réseaux10. En 2009, ils sont respectivement 46,5% et 28,8%.
En 2001, les techniciens et les employés, bien qu’en décroissance forte, sont encore 70 000. En
2008, leur nombre a été encore réduit de 45%, via les départs en retraite ou en CFC. En 10 ans,
de 1997 à 2007, 40 000 sont reconvertis dans des emplois commerciaux11 en boutique ou dans
les centres d’appels téléphoniques : le 1014, le 555 (mobile Ola), la hot line de Wanadoo, le 12
(les renseignements). Dans ces centres organisés en open spaces, se retrouvent pêle-mêle
d’anciens comptables, secrétaires, techniciens du réseau, chargés de facturation,
cinquantenaires la plupart du temps. Ils côtoient des jeunes de moins de 25 ans en CDD ou à
temps partiel recrutés en grand nombre, mais volatiles. Les démissions sont légion.
Dès 1999, M. Bon considère qu’il a réussi le passage de l’univers du monopole à celui de la
concurrence. « En trois ans, 32 000 personnes ont changé d’emploi à l’intérieur de l’entreprise,
soit près d’une sur quatre. C’est extraordinaire. »12 100 000 personnes au total ont changé de
métier dans les 10 ans qui suivent la privatisation, et pour certaines plusieurs fois. Et les
reconversions se poursuivent. De 2006 à 2008, elles se sont faites sur un rythme moyen de
2500 par an, ce qui permet à FT d’annoncer qu’elle a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés.
« Il est impératif de pouvoir adapter les métiers pour disposer des compétences nécessaires.
C’est la raison pour laquelle le Groupe met en œuvre des dispositifs nécessaires pour
accompagner les collaborateurs dans cette transformation, en réaffirmant ses engagements
d’employeur responsable » (RA 08)
La mobilité est aussi géographique
Conformément au statut de la fonction publique, les cadres de FT peuvent être mutés sur tout
le territoire. Pour les employés, les techniciens et les agents de maîtrise la mobilité
géographique est limitée au périmètre du bassin d’emploi. En 2008, pour 5000 salariés ont vu
leur lieu de travail changer de département. Les non cadres représentent 38% de ces salariés
alors qu’ils constituent 62% des effectifs13. En conséquence, l’entreprise s’emploie depuis
plusieurs années à repousser les limites géographiques de la mobilité de cette catégorie du
personnel.
9
« Malaise au pays de cocagne », article de H. Constanty, 6 mai 1999, sur express.fr
« Dynamique d’évolution des métiers : y-a-t-il un risque de pénurie de compétences ? » , Institut des métiers de
France Télécom, p. 40, 2006
11
« France Télécom : le dinosaure se réveille ». L’expansion.com, 1er janvier 2007
12
H. Constanty, Ibid.
13
« Rapport sur l’évolution des emplois UES Orange », 2008
10
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
7/7
En 1996, FT est organisé en cinquante
directions régionales14 ; en 2006, elles ont
réduites à neuf directions territoriales,
élargissant du même coup la surface de
mobilité. Cette mobilité géographique
répond
à
un
mouvement
de
centralisation :
d’une
organisation
décentralisée couvrant largement le
territoire avec des métiers variés, FT
passe à une répartition concentrée sur
quelques sites, opérant dans les grandes
agglomérations et focalisés sur un deux
métiers.
La politique sociale de l’entreprise basée
sur les départs massifs des fonctionnaires, quelques recrutements très sévèrement contrôlés et
les reconversions intensives transforment la sociologie de FT : d’un service public où le
personnel est essentiellement fonctionnaire, non cadre et technicien de réseaux, elle en fait une
société concurrentielle où les métiers de la vente et de la relation clients dominent avec la
montée des cadres et surtout des CDD, mais dans un climat de précarité général qui touche tout
le personnel.
Et pour les salariés ? Départs obligés, mobilité forcée 15
Les moyens de pression
Au-delà du souci affiché par la Direction de favoriser les souhaits et l’évolution professionnelle
de son personnel pour piloter cette gigantesque transformation, qu’en est-il de la réalité vécue
par les salariés ? Pour atteindre les objectifs qu’elle s’est donnés dans la gestion des effectifs,
l’entreprise ne se contente pas de faire appel à leur bonne volonté, elle utilise des méthodes
coercitives et de pression psychologique : la mise au « placard »16, le déclassement et le
harcèlement, les propos et attitudes vexatoire font partie de la panoplie des ressources
couramment utilisées pour pousser les salariés à partir ou à se reconvertir.
« On avait mis les gens seuls au sous-sol, sans fenêtre, dans des conditions
épouvantables…parce qu’il fallait qu’ils soient volontaires pour partir. » 17
Les gens sont poussés sans ménagement en CFC ou à la retraite, en particulier s’ils ont 55 ans
et leur service actif, de même que les mères de trois enfants. Tous ceux et celles qui ont le
profil pour partir sont convoqués à répétition par la responsable mobilité qui n’hésite pas à
chercher des arguments dans leur vie personnelle pour les convaincre.
14
Rapport Delebarre, sept. 1997, chapitre 5.4
Ce chapitre s’appuie particulièrement sur l’étude « De l’art de programmer la maltraitance au travail » de N.
Burgi, M. Crinon, S. Fayman, réalisée pour l’Observatoire du stress en octobre 2008.
16
Question d’un représentant du personnel lors d’un CE, au moment de la présentation du bilan social de la
division : « Les salariés qui sont au placard, dans quelle catégorie les rangez-vous : les actifs, les inactifs, les
actifs inactifs ? » Réponse de la direction : « Dans les actifs »....
17
Sauf mention particulière, les témoignages sont extraits de l’étude « De l’art de programmer la maltraitance au
travail ».
15
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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« Il y a eu une volonté délibérée de l’entreprise pour faire fuir les salariés, comme on n’était
plus éligible pour la préretraite, on nous a harcelés pour migrer vers la fonction publique
territoriale ou les reprises de commerce ».18
Certains apprennent du jour au lendemain que leur poste est supprimé ou que leur remplaçant
vient d’arriver… Sans leur laisser le choix, FT « recase » ses fonctionnaires dans les centres
d’appels pour assurer l’accueil des clients et la vente par téléphone. «Les conditions de travail y
sont particulièrement déshumanisées : bruit, promiscuité, dépendance aux applications
informatiques, travail sur écran toute la journée, standardisation maximale de la gestion des
appels, agressivité des clients mécontents. » Des techniciens habitués à travailler à l’extérieur
de manière autonome, souvent responsable d’une équipe, se retrouvent brutalement en open
space, face à un écran d’ordinateur avec pour seul objectif, vendre à tout prix. Les salariés qui
par malchance utilisent leur droit au retour après une mobilité vers la fonction publique, un
essaimage ou un projet personnel accompagné, s’aperçoivent qu’ils ne sont pas les bienvenus.
« Ils rassurent les gens en leur disant qu’ils peuvent revenir.(…) Sauf qu’il y a une
réorganisation tous les six mois. Quand les personnes reviennent, ce n’est plus pareil, (…)
elles ne sont pas prévues dans les effectifs. Donc la personne se retrouve dans un no man’s
land ».
Le rôle des Responsables des ressources humaines n’est pas de faire contrepoids sur le terrain.
L’objectif prioritaire qui leur est assigné dans le nouveau management, c’est la réduction des
effectifs et les reconversions; elles sont, à ce titre, devenues les partenaires privilégiés des
managers.
« Donc la politique des RH, c’est des moins : il faut que je fasse des moins ! Des moins ! Il faut
supprimer du personnel, il faut supprimer du personnel (…) Il faut qu’on tombe à suffisamment
peu de personnel pour faire plaisir aux marchés financiers, aux fonds de pension qui nous
détiennent ».
Quand aux espaces Développement, ils sont ironiquement appelés en interne « les espaces
Dégagement », car ils ont eux aussi ont le même rôle et les mêmes objectifs : faire partir le plus
de gens possible et surtout ceux qui sont jugés inaptes à toute reconversion interne. Leur
réputation est telle que les gens en mobilité craignent de s’y inscrire, de peur d’être
automatiquement orientés vers les centres d’appel.
La mobilité : un principe supérieur
Au-delà de la nécessité pour FT de reconvertir une grande partie de son personnel dans les
métiers dont elle a besoin, l’entreprise a érigé la mobilité en valeur supérieure. Au bout de 3
ans, tout salarié a l’obligation de changer de poste, si une réorganisation ne lui a pas imposé de
le faire avant. Selon la même enquête réalisée par l’Observatoire du stress, sur les 5 ans
écoulés, les salariés ont connu en moyenne une mobilité fonctionnelle tous les 2 ans et 3 mois
et une mobilité géographique tous les 2 ans et demi. Cette mobilité fonctionnelle ne tient
compte ni des compétences, ni de l’expérience, ni des ambitions professionnelles des salariés.
18
« Projet de réorganisation du bas de marché, du milieu de marché et de la plate-forme Arte » Expertise AE
Ouest Atlantique, cabinet Eretra, juin 2009, p. 11.
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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« France Télécom ne connaît pas le parcours des salariés. Ils vous identifient par rapport à la
dernière fonction exercée… Donc, il y a une perte énorme de savoir-faire. Ils recrutent
beaucoup de sous-traitants alors que les capacités internes sont là. »
On vous supprime d’abord votre travail en vous disant « Ca fait trop longtemps que vous êtes
sur le même poste, qu’il faut bouger ». Ensuite, on vous envoie ailleurs pour faire une mission
quelconque, histoire de vous dévaloriser….Au bout d’un ou deux ans maximum, on supprime le
poste. Aujourd’hui, je travaille loin de chez moi à un poste qui ne correspond pas du tout à ma
qualification ».
Les postes sont supprimés mais ce sont les salariés eux-mêmes qui doivent s’en trouver un
autre, sans égard pour les règles de mutation des fonctionnaires ou le Code du travail pour les
salariés de droit privé. Cette pratique de la mobilité systématique prétend rendre les gens
polyvalents, pour permettre au groupe de faire face à toutes les variations et évolutions
d’activité, mais les aptitudes et les compétences d’un individu, par définition, ne sont pas
infinies.
« La mobilité est « un instrument de flexibilisation de la main d’oeuvre, autrement dit
d’insécurisation des parcours de vie professionnelle, personnelle et familiale. » C’est aussi une
« imposture, car ce que l’on propose aux agents de France Télécom, ce n’est pas une mobilité,
mais de fortes chances de se retrouver sans emploi.»19
Les réorganisations permanentes
Les suppressions d’emploi, la mobilité forcée s’appuient sur une stratégie de réorganisations
permanentes supposées augmenter la rentabilité et l’efficacité et adapter l’entreprise aux
variations du marché. Sur le terrain, elles se superposent, se contredisent, se brouillent les unes
les autres. Voici, par exemple, la description de l’évolution du département Facturation des
grands comptes :
« Etape 1 : reprise de l’activité facturation de Lanester sur Ivry, reprise de l’activité
facturation d’Angers sur Bordeaux et Massy, reprise de la facturation Haut Débit sur Lyon,
redisposition des forces : déménagement à Ivry des équipes BA Data Managée, GI, IND et
Gospel et redistribution des portefeuilles sur Ivry et Massy. En février, déménagement de
l'équipe ITS dans les nouveaux locaux du site de Massy et en parallèle arrivée des
collaborateurs ITS et CTM encore localisés sur le site de F. à partir du T2 2009. Phase 2 de la
transformation : l’intégralité de CTM ramenée à Massy, L’équipe ITS s’implante sur deux sites
: Ivry et Massy, l’une à Ivry, l’autre à Massy…. »
Une seule chose reste évidente dans ces bouleversements perpétuels, la diminution des
effectifs.
«J’ai l’impression que derrière cette réorganisation se cache l’intention de réduire les effectifs
(…) A chaque fois, on réduit plusieurs entités qui gèrent un marché, on réorganise le marché
(…) et il y a moins de monde pour traiter le même marché. »20
Parfois, une restructuration n’est pas encore finie qu’elle est déjà remplacée par une autre. Elles
« ne tiennent aucun compte des conséquences des suppressions d’effectifs et des mobilités sur
les conditions pratiques de la réalisation du travail (coordination, process, compétences,
prévisions…). Il en découle des dysfonctionnements opérationnels tels que l’inadaptation des
19
20
N. Burgi, M. Crinon, S. Fayman, ibid.
Expertise Eretra, p. 55.
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personnels restants, la rupture de transmission des savoir-faire, la déstabilisation de la
répartition des tâches, la désorganisation du travail. » 21
Les fermetures de sites
Les fermetures de sites se multiplient et contraignent le personnel la plupart du temps à un
double changement : changement de lieu de travail et changement de métier. D’une
organisation décentralisée où le territoire est couvert par de multiples sites, FT passe à une
organisation centralisée qui réduit les activités techniques ou commerciales à quelques sites
couvrant une large zone géographique, voire un seul site pour tout la France. Pour la direction,
en restreignant les ressources matérielles et humaines, la concentration réduit les dépenses,
favorise la prise de décision unique et le contrôle. Pour les salariés, elle raréfie les emplois,
surtout en province ; s’ils veulent rester sur place, ils sont contraints de se rabattre sur les
quelques, et bien souvent le seul métier disponible localement, car les sites restants se
spécialisent sur tel ou tel type d’activité; et la plupart du temps, ils augmentent leur temps de
trajet. La plate-forme de services ARTE – accueil téléphonique des clients professionnels sur
toute la France – a été créée Nantes, puis déplacée à Rennes, puis son retour à Nantes annoncé
pour être annulé à la dernière minute. Le déménagement d’un site, d’un service est toujours
synonyme de dégradation des conditions matérielles de travail, par l’allongement des temps de
transport, le développement des open spaces, la réduction des espaces sociaux : local médical,
cafétéria, restaurants d’entreprise.
Cette organisation du travail sert une logique financière décidée en haut lieu. Il faut répondre
aux attentes des actionnaires, c’est-à-dire réduire les coûts, dont le personnel considéré comme
une charge, et sans cesse augmenter la rentabilité de l’entreprise pour reverser une grande
partie des bénéficies sous forme de dividende. « Avec une bonne performance opérationnelle et
un cash-flow organique de 8 milliards d’euros, le groupe réalise en 2008 l’ensemble de ses
objectifs ».22 La moitié de ces bénéfices – 4 milliards – est reversé aux actionnaires…. Au
détriment du personnel.
Ils sont sur une stratégie strictement financière (…) Et malheureusement, ce sont des visions à
très court terme et qui doivent avoir une rentabilité maximum à très court terme (…) Alors, la
fidélisation des clients – j’exagère un peu – est quelque chose qu’ils savent que c’est
nécessaire, cependant ils vont l’assurer que si le client est un très, très gros client ».
L’individualisation du travail
L’isolement
Les formes de management qui se sont imposées à France Télécom créent et s’appuient sur un
élément essentiel : l’individualisation généralisée du rapport au travail. Les restructurations et
mobilités permanentes cassent les réseaux humains. L’organisation regroupe les gens dans des
équipes volatiles autour de projets dont la durée est par définition limitée dans le temps et la
géométrie infiniment variable. Dans ce grand groupe qu’est France Télécom, les membres
d’une même équipe peuvent être dispersés à différents endroits du territoire. Les nouveaux
outils de communication – téléphones mobile, conférence téléphonique à plusieurs avec partage
de fichiers sur ordinateur, courriels – pallient cet éclatement sur le plan opérationnel, pas sur le
21
22
N. Burgi, M. Crinon, S. Fauman, ibid.
Présentation à la presse des résultats 2008 par France Télécom
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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plan humain. Et la raréfaction des postes instaure la compétition entre les individus.
« Ils nous ont rendu individuels et égoïstes, on en vient à se dire : surtout pas moi et tant
mieux si c’est un autre. » « On ne se parle plus avec certains collègues, il n’y a même plus de
bonjour. C’est comme si on ne se connaissait plus. Il y a des clans qui se forment. L’ambiance
est exécrable. »
Les gens sont d’autant plus isolés que, parallèlement et toujours pour des raisons d’économies,
FT mène une politique de réduction des ressources d’assistance : les ressources humaines et le
réseau médico-social.
Conformément au mouvement général dans l’entreprise, les Ressources Humaines sont
centralisées et spécialisées sur les questions jugées prioritaires, formation et recrutement, par
exemple. Les responsables locales du personnel – à de rares exceptions près, le métier est
féminin – ont disparu et une partie de leurs fonctions est reportée sur les managers.
L’administration quotidienne – notes de frais, demande de congés, de matériel… - se fait via
des applications informatiques centralisées où le salarié saisit les informations nécessaires. Le
manager valide les demandes dans l’application. Pour les questions d’ordre général,
l’entreprise a mis à la disposition des salariés des centres d’appels téléphoniques. Les
interlocutrices ne sont jamais les mêmes. Le contact humain qui constituait un aspect important
de la fonction RH a progressivement disparu. Le maillon le plus local des Ressources
Humaines aujourd’hui, ce sont les « Business Partners RH » dont le rôle est d’assister les
managers. Comme leur nom l’indique, elles sont focalisées sur le business plus que sur les
femmes et les hommes et leur fonction essentielle consiste à rappeler les directives centrales et
à les faire appliquer : réduction des effectifs, reconversion forcée sur les métiers prioritaires,
respect du budget des rémunérations.
Les ressources médico-sociales subissent la même évolution : raréfaction des ressources et
standardisation. Plusieurs médecins dénoncent dans leur rapport une situation qui ne leur
permet pas d’exercer dans des conditions satisfaisantes. Le réseau des assistantes sociales est
lui aussi touché. Auparavant, les RH de proximité signalaient systématiquement aux assistantes
sociales certains événements : arrêt de travail prolongé, demandes répétées d’acompte sur le
salaire, mutation, etc. Aujourd’hui, ces signalisations ne se font plus. « Le Service Social du
Travail se trouve donc réduit à « limiter les dégâts », en essayant de suivre le dossier des
salariés qui le sollicite »23 . Ou à glaner des informations sur les salariés en difficulté au gré des
rencontres ou des alertes spontanées de leur environnement professionnel. La nouvelle
organisation rend le travail préventif des assistantes sociales de plus en plus difficile.
En même temps qu’il isole les individus, le management tend à leur demander toujours plus, et
d’une manière paradoxale, car il prétend responsabiliser chacun, mais sur tâches et dans des
situations souvent décidées sans lui et qui lui laissent de moins en moins de liberté. L’entretien
individuel joue un rôle clé dans ce processus.
L’entretien individuel
Au service du salarié ?
Selon les termes officiels, l'entretien individuel est pour le salarié une « rencontre privilégiée »
avec son manager. Il a lieu deux fois par an et lui permet « de formaliser son projet
professionnel et d’être accompagné par l’entreprise dans ses évolutions ». Tous les salariés de
France Télécom doivent, théoriquement, avoir cet entretien au début de chaque semestre. Y
23
Gabriele Djebril, www.observatoiredustressft.org, sept. 2009
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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compris les managers qui sont « double-face » : mis à part le PDG, tout manager est
nécessairement dépendant d’un autre. De manière plus concrète, l’entretien sert à :
- Faire le bilan des tâches – les objectifs - qui ont été attribuées à chacun sur le précédent
semestre
- Définir ceux qu’il devra atteindre sur le semestre à venir
Tous les éléments importants de la vie professionnelle dépendent de l’atteinte, ou non, de ces
objectifs : l’évaluation des compétences du salarié, le montant de la part variable des vendeurs
et, pour les salariés de droit privé, la part variable des cadres, les augmentations de salaire et les
promotions. Tous les éléments d’appréciation et de reconnaissance du salarié, et, à terme, son
évolution professionnelle, sont en jeu au moment de l’entretien individuel et ne semblent
dépendre que de sa capacité à les atteindre. Mais la réalité est plus complexe.
Des objectifs qui tombent de haut
Comme toutes les décisions structurantes, les objectifs à atteindre sont définis de manière
centralisée au plus haut niveau du groupe et déclinés le long des lignes hiérarchiques dans
toutes les entités jusqu’à la base. Quelle que soit la diversité de leur formulation, ils n’ont
fondamentalement qu’un seul but : la croissance du bénéfice qu’ils déclinent selon deux axes :
réduction des coûts et développement du chiffre d’affaire. Orientés sur le court terme, ils
génèrent des ordres et des situations contradictoires : on contraint les salariés à changer de
métier, mais il n’y a pas de budget pour les former ; on pousse au développement permanent de
nouveaux produits, mais le système d’information n’est pas à même de les intégrer ; on revoit
en profondeur l’organisation des équipes commerciales en même temps qu’on augmente
fortement leurs objectifs de vente. Les injonctions sont souvent paradoxales. Un vendeur
témoigne :
« Et même si c’est facile pour l’entreprise de dire « Il est interdit de téléphoner au volant », vu
les trajets qu’on doit faire, on est souvent au téléphone y compris en voiture (…) Si on veut
optimiser notre temps, on est obligé de travailler pendant les temps de trajet.24 »
Et la pression ne cesse de s’intensifier. D’annuels les objectifs sont devenus semestriels et pour
certains populations, en particulier les équipes commerciales, ils sont trimestriels, voire
hebdomadaires ou quotidiens.25
« Les objectifs ont toujours augmenté, si c’est 5 là, il faudra faire 6, après faudra faire 7. On a
l’impression qu’ils ne sont jamais satisfaits, quoi qu’on fasse…Moi, j’ai de plus en plus de
mal »
« Appeler, appeler, appeler pour vendre des produits. Pas ce dont les gens ont besoin, mais ce
que veut vendre l’entreprise.(…) Il faut appeler et savoir que dans 80% des cas, on va se faire
jeter. La direction a comme seule réponse : « On a des objectifs.26»
Alors que le document support de l’entretien précise que les objectifs fixés au salarié doivent
être « mesurables, atteignables et réalistes », la fracture entre des objectifs abstraits qui
viennent d’en haut et leur réalisation pratique fait qu’ils sont souvent inatteignables et
irréalistes. On doit faire avec des directives qui laissent peu de liberté et des moyens inadaptés
ou insuffisants. Selon l’enquête de l’Observatoire du stress27 montre que 3 salariés sur 4
déclarent que les procédures et les objectifs ne sont pas adaptés à leur activité ou sont
complexes et/ou contradictoires. 7 sur 10 sont en désaccord avec leurs supérieurs sur la
24
Expertise Eretra, juin 2009, p. 39
Le nombre de visite en clientèle pour les Vendeurs Responsables de Compte dans le cadre du programme MEF
depuis le 2e trimestre 2009
26
Expertise Eretra, p. 47.
27
Enquête effectuée auprès des salariés de France Télécom en octobre 2007
25
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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pertinence des objectifs ou considèrent qu’ils ne leur laissent pas le temps de faire correctement
leur travail. 9 sur 10 déclarent que les objectifs de travail ne tiennent pas compte de leur avis.
Mais peu importe que le salarié soit d’accord ou pas avec le contenu de son entretien, la
communication dans l’entreprise est à sens unique : du haut vers le bas, et c’est la validation
par le manager qui met un terme à l’échange. Il n’est pas prévu de recours en cas de désaccord ;
si le salarié s’adresse au manager du niveau supérieur ou à la responsable Ressources
Humaines, il a peu de chances d’être entendu car tous ont les mêmes directives.
Compte tenu des enjeux autour des flux de personnel, les mobilités et les suppressions de poste
sont également quantifiées de manière macroscopique dans les hautes sphères de l’entreprise et
gérées comme des objectifs à atteindre.
« Les directeurs doivent avoir tant d’essaimés dans leur périmètre. C’est-à-dire que tout est
bon pour faire partir, pour avoir son chiffre. Donc, quelqu’un va dire : « J’aimerais bien… »
qui va se renseigner sur l’essaimage par exemple, (…) on va lui mettre la pression {pour qu’il
parte}. »
L’entretien individuel du salarié en mobilité forcée se réduit la plupart du temps à faire le point
sur l’avancement de cette mobilité dont on lui laisse la responsabilité ; généralement, il n’a plus
de bilan de compétences, plus d’objectifs à atteindre et en conséquence plus de part variable,
plus d’augmentation si c’était le cas. Une mise à l’écart et des pressions supplémentaires pour
le pousser ailleurs.
La mise en place généralisée des objectifs est un moyen de quadrillage de l’entreprise et de
contrôle : on s’assure en permanence que la progression du travail de chacun est bien celle qui
est attendue pour les atteindre et, sinon ont fait les interventions nécessaires pour « garder le
cap ».
La rémunération
Quand aux budgets des augmentations et des parts variables, ils sont eux aussi définis de
manière centralisée ; ils sont en décroissance régulière au profit de l’intéressement et de
participation, qui pour l’entreprise ont l’avantage d’être directement assujettis à ses résultats.
Ces budgets réduits ne permettent pas de valoriser d’autres populations que celles qui sont
estimées prioritaires, les jeunes recrutés, par exemple, ou de réduire des inégalités trop
criantes. Pour les autres, quel que soit leur mérite et le niveau d’appréciation de leur entretien,
la reconnaissance n’est pas acquise. D’autant que le montant de la part variable comprend une
part individuelle liée aux résultats du salarié, mais aussi une partie dite collective qui dépend
des réalisations de la direction d’appartenance, selon une formule complexe et incontrôlable.
Bref, il est impossible pour le salarié d’avoir une compréhension claire du lien entre ses
résultats d’une part et sa rémunération et son parcours professionnel, d’autre part.
Jusqu’en 2000, j’étais « exceptionnel » d’après ma responsable, c’est-à-dire que je faisais plus
que ce qu’ils attendaient de moi, je travaillais beaucoup et en plus j’étais dans un service où il
y avait une partie technique et une partie commerciale. Je faisais les deux….Donc j’ai été
gratifié exceptionnel. J’ai eu aucune promotion depuis 10 ans que je suis à France Télécom. »
Ce qui n’empêche pas l’entreprise d’attendre de lui qu’il soit toujours surperformant. Le lien
entre les résultats et la rémunération variable d’un cadre en est un exemple éloquent. Pour un
cadre de premier niveau (Dbis), la rémunération individuelle peut aller jusqu’à 10 % de son
salaire, en fonction de ses résultats. Mais si le salarié a atteint tous les objectifs qui lui étaient
assignés, elle ne représentera au plus que 5.6% de son salaire. S’il dépasse ses objectifs de
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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manière totalement exceptionnelle, elle peut aller jusqu’à 7.5% de son salaire. La grille
d’équivalence s’arrête là.
Le véritable rôle de l’entretien individuel
Contrairement à ce que laisse croire la direction, l’entretien individuel n’est pas un dispositif
qui permet au salarié de s’impliquer dans et de construire son parcours professionnel, ni même
d’être apprécié selon ses compétences propres et ses mérites ; c’est bien plutôt un outil qui
permet de verrouiller, au niveau de chacun, les directives venues du plus haut niveau de la
hiérarchie et de contribuer à leur contrôle continu.
Il relève d’un management qui, tout en prétendant que l’individu est seul responsable de son
destin professionnel, l’enferme dans des contraintes décidées de manière centralisée et occulte
qui lui laissent de moins en moins de liberté. Par contre, il lui fait porter l’échec éventuel entre
ces choix faits « ailleurs » de manière autoritaire et l’impossibilité de leur réalisation dans le
travail quotidien. Car les décisions prises par le management central ne peuvent, par essence,
être remises en cause. Dans ces conditions, l’entretien individuel a de fortes chances d’être non
pas un moment d’écoute réciproque et de construction professionnelle partagée, mais un
moment que le salarié appréhende, générateur de tension, sinon de conflit.
Cadre ou exécutant ?
Les cadres ont en général la réputation d’être chouchoutés par leur entreprise et à France
Télécom, ils constituent le groupe en croissance ; comment vivent-ils cette profonde
transformation de France Télécom ? A première vue, ils semblent avoir une place enviable
dans l’entreprise. Pour toute décision importante, le salarié est renvoyé à son supérieur
hiérarchique qui semble décider seul de tout ce qui détermine la vie de son équipe : il définit les
objectifs à atteindre, décide des formations à suivre, d’accepter ou non le temps partiel, le
télétravail… Parallèlement, il apparait surprotégé par l’entreprise et aucune tentative de remise
en cause de ses faits et gestes ou de ses décisions ne semble pouvoir aboutir. Même les excès
de zèle et les cas de harcèlement avérés sont niés par les voies de recours. En 2008, à la
Direction des services aux entreprises, un cas de harcèlement sexuel confirmé par le
témoignage de collègues et l’intervention de l’Inspection du travail n’a jamais été reconnu par
l’entreprise qui s’est contenté de muter le manager fautif.
La précarité des cadres
Cependant, les managers ne sont pas aussi puissants que le discours officiel le laisserait croire.
La précarité de l’emploi sous toutes ses formes les concerne aussi. Ils sont eux aussi touchés
par les suppressions de postes et les reconversions forcées. Les cadres fonctionnaires
quinquagénaires ont subi les pressions au départ, en CFC, en PPA ou en essaimage, ces deux
dernières mesures leur étant d’ailleurs plus particulièrement destinées. Ils continuent à subir les
pressions à la mobilité. Sur la période récente qui va de 2004 à 2008, 22% des cadres en
moyenne sont dits « inactifs », c’est-à-dire pour la presque totalité d’entre eux en CFC ou en
mobilité vers la fonction publique. C’est le même pourcentage que celui des non cadres28.
28
« Bilans sociaux France Télécom SA »
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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« Nous sommes témoins de la pression mise sur les cadres supérieurs pour leur imposer une
mobilité interne ou externe pour un objectif affiché de fluidité de l’emploi. Dans un contexte où
les postes de cadres supérieurs se raréfient au sein de l’entreprise, où le contexte de l’emploi
national est plus que morose, les pressions exercées sont mal vécues.29
Accompagné…vers la sortie
Il arrive, nouveau chef d’équipe, cadre dynamique et déterminé. Il réorganise tout à sa façon,
persuadé que l’entreprise a besoin de lui, échafaudant l’avenir qui l’attend. Ses nouvelles
fonctions le ramènent de la province à Paris, il est sur le bon chemin.
3 mois après, le poste qu’on lui avait quasiment promis comme la suite naturelle de son
parcours se libère plus tôt que prévu… mais pour un autre. Ses certitudes vacillent, il ne se sent
plus à la bonne place. Il saisit l’occasion quelques mois plus tard d’une nouvelle fonction dans
une nouvelle entité. Mais son supérieur, lui-même arrivé depuis peu, part en le laissant seul sur
un nouveau projet, sans appui, sans ressources. Ses certitudes sont définitivement des doutes. 6
mois après, il quitte France Télécom pour monter un projet personnel accompagné.
Une courroie de transmission
Soumis aux turbulences de la mobilité et de la raréfaction des postes, le manager voit son rôle
évoluer dans l’entreprise. Il perd la connaissance de l’activité et des métiers de ses équipes. Il
est devenu la courroie de transmission d’une stratégie sur laquelle on ne le consulte pas. Les
cadres dirigeants sont de moins en moins impliqués dans la définition de la stratégie de
l’entreprise, les cadres de proximité dans sa déclinaison opérationnelle. Avec, pour corollaire
une perte d’autonomie pour tous et l’augmentation des tâches de contrôle. « L’objet de
l’activité de management est devenu l’information des décisions stratégiques, à savoir,
l’énonciation des objectifs à atteindre. Les managers ne cherchent plus à travailler avec les
agents sur comment réaliser les objectifs et surmonter avec eux les obstacles (…) Ils se
contentent de répéter les objectifs à atteindre et de vérifier systématiquement l’état
d’avancement dans l’atteinte de ces objectifs. »30
Cette dégradation du rôle du cadre à France Télécom est en phase avec une tendance générale
dans le monde de l’entreprise. Selon un sondage réalisé par Inergie entre novembre 2008 et
mars 200931, 79% des cadres se définissent avant tout comme des relais entre la direction et
leur équipe et même 63% comme des exécutants. « Faute d’implication dans sa définition, 65%
des managers se déclarent peu en phase avec la stratégie de leur entreprise et 54% peu motivés
par elle. » Les cadres doivent l’incarner mais sans disposer d’une réelle latitude décisionnelle et
bien souvent, ils n’ont pas les moyens nécessaires pour faire ce que l’on attend d’eux. Cette
situation augmente leur charge de travail et les laisse écartelés entre des objectifs énoncés
comme des impératifs catégoriques et une politique sévère et continue de réduction des moyens
matériels et humains. Mais l’entreprise pratique sans difficulté les injonctions paradoxales.
« Le problème c’est qu’on vous fait partir les meilleurs, ceux qui ont un potentiel pour partir
ailleurs. Qui ne sont d’ailleurs pas toujours les plus motivés pour partir ailleurs, mais qui sont
ceux qui vous donnent le plus de productivité. Donc vous, vous retrouvez à faire avec des gens
qui sont de moins en moins productifs, et on vous demande d’en faire de plus en plus. Auquel
cas, n’importe quel être humain normalement constitué, à un moment donné, vous commencez
à péter les plombs. »
29
Conclusion du « Rapport d’activité 2008 » des médecins de la Direction Territoriale Centre-Est
Expertise Eretra, p. 40.
31
Sondage réalisé sur la France, auprès de 1776 managers
30
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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L’animation des équipes
Dans ces conditions, les managers peuvent avoir quelque mal à être responsables, innovants,
impliqués, et même « charismatiques » vis-à-vis de leurs équipes comme l’entreprise le leur
demande. Il n’est pas facile d’être charismatique quand on annonce à une personne que ses
objectifs sont figés ou que sa demande de promotion n’est toujours pas prise en compte, qu’elle
n’aura pas d’augmentation de salaire ou que son poste est supprimé, qu’elle doit s’en trouver
un autre, et que ce n’est plus la peine de lui attribuer des objectifs. Et le brassage social
permanent ne facilite pas l’animation d’une équipe où l’on trouve de jeunes apprentis de
passage, des CDD, des fonctionnaires rodés ou des salariés de droit privé, régis par des textes
et des lois différentes, avec des cultures et des expériences différentes, parfois salariés d’une
filiale avec des accords sociaux, des conventions, des systèmes de rémunérations, des usages
différents. Et certains ont même un autre manager s’ils sont aussi, comme c’est souvent le cas,
membre d’une équipe temporaire autour d’un projet ponctuel.
Un statut finalement difficile
Comme tout le personnel, les cadres subissent la précarité de l’emploi, une augmentation de la
charge de travail et le contrôle accru de leur activité. Et si la direction renvoie le salarié à son
manager pour tout et n’importe quoi, ce n’est pas la confirmation que la hiérarchie est un
système arbitraire et irrationnel (« à la tête du client »), même s’il en prend les formes de temps
en temps ; c’est surtout parce que le manager doit être le garant de la déclinaison des directives
centrales sur le terrain. Sans la participation des cadres à tous les niveaux pour appliquer la
stratégie dans les rouages de l’entreprise, le pouvoir central perdrait beaucoup de son efficacité.
En conséquence, leur rôle a subi une évolution que beaucoup perçoivent comme une
dévalorisation. La fonction d’encadrement est devenue beaucoup plus difficile, voire
impossible, en raison d’une certaine forme de rupture entre le manager et ses équipes, mais
aussi parce qu’il est délicat de faire passer une stratégie dans laquelle on n’a pas été impliqué
ou de réguler le stress alors qu’on y est soi même de plus en plus soumis.
Souffrance et stress
Le vécu des salariés
En 2003, Marie-Claude Beaudeau, sénatrice en charge du dossier France Télécom collecte, via
internet, près de 4000 messages décrivant la détresse d’une part importante du personnel.
Début 2004, elle dépose une question écrite au Ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, à la tribune du Sénat : «Le degré de souffrance au travail croît dans des proportions
inquiétantes depuis plusieurs années, y dit-elle. (…) Le stress est général : c'est d'ailleurs ce
que confirment les rapports annuels de la médecine de prévention ».
Un sondage effectué par l’Observatoire du stress auprès du personnel de France Télécom en
2007 montre que le niveau de stress est particulièrement élevé dans l’entreprise : 66% des
salariés se déclarent stressés et 16% en situation de détresse. Selon un second sondage portant
plus particulièrement sur les séniors en 2008, ce sont 76% des plus de 45 ans qui se déclarent
stressés.
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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Le travail est une activité épanouissante qui permet à celui qui l’exerce de progresser et de se
réaliser, en faisant appel notamment à son inventivité ; elle lui donne sa place dans un cadre
collectif et social. A France Télécom, le travail est souvent une source de frustrations. Chacun
est de moins en moins autonome, de moins en moins créatif. Les réunions d’équipe servent
plus à assurer une communication du haut vers le bas et un contrôle continu qu’une
construction collective de l’activité.
« Les réunions d’équipe sont fréquentes, mais on s’exprime de moins en moins. C’est un
simulacre de dialogue.32 »
Les gens sont déstabilisés par la suppression des postes, la multiplication et l’opacité des
réorganisations.
« Je suis rentré récemment d’un arrêt maladie ; je n’ai plus de poste et mon manager à
changé. C’est très déstabilisant. La politique de France Télécom est de faire du moins, il faut
que le personnel parte.33 »
Beaucoup sont démotivés par l’inadéquation de leurs compétences et de leur fonction, par un
nouveau poste qui ne correspond à ce qui leur a été promis ou dont le contenu varie sans cesse,
et par l’impossibilité de se projeter dans l’avenir.
« Toute mon expérience accumulée, tout mon expertise a été balayée. Moi, je suis un pion
qu’on déplace, je ne compte pas au nom de mon expérience accumulée, qui me conférait une
place. Moi, employé chez FT, je ne me sens plus concernée parce qu’on a fait en sorte que je
ne le sois plus. 34 »
Dans les centres d’appels téléphoniques, la reconversion forcée a des résultats négatifs sur la
santé du personnel.
« Pour mes anciennes collègues qui y sont [au 10 14] c’est catastrophique, plusieurs
personnes sont sous antidépresseurs, des personnes sont arrêtées, des personnes joviales se
sont éteintes ou aigries, certaines sont à la limite de la rupture. »
Le métier de téléconseiller est particulièrement usant. Les crises de larmes, les « pétages de
plomb », les départs impromptus des lieux de travail sont fréquents. De 2006 à 2008, le turn
over des jeunes embauchés à temps partiel dans ces centres d’appel va croissant. Retour de
manivelle : cette mobilité n’est pas de celles qui sont souhaitées par FT dont les centres d’appel
ont une image très négative. Au printemps 2009, l’entreprise se voit attribuer le Label
Responsabilité Sociale pour ses plateaux téléphoniques. Mais des suspicions pèsent sur la
justification de cette attribution et un document interne montre que les critères de sélection ont
été revus à la hausse pour justifier cette attribution.
« La réalité vécue par les salariés aujourd’hui dans les centres clients du groupe France
Télécom ne correspond pas aux attentes du label. (…) Le discours client, la rigidité des
procédures, la réduction de l’autonomie qu’impose l’entreprise réduit le salarié à n’être qu’une
mécanique.35 »
Beaucoup de fonctionnaires sont pris dans les contradictions que leur impose la nouvelle
culture de l’entreprise. Mais, ils ne sont pas les seuls.
32
N. Burgi, M. Crinon, S. Fayman, ibid. p. 79
Extrait du PV d’un CHSCT exceptionnel à l’USEI Ile-de-France, mai 2009
34
Expertise ISAST.
35
Lettre ouverte à l’Association pour la promotion et le développement du Label Responsabilité Sociale, SUD, 5
janvier 2009
33
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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« Je suis rentré fonctionnaire après un concours. On passait au tribunal et on jurait de ne
jamais utiliser les renseignements qu’on avait sur l’abonné pour lui nuire (…) Quand vous
restez dans l’éthique d’origine, vous n’êtes plus dans la ligne de la boîte. On ne nous dit pas
d’abuser du client, mais les objectifs sont tels que l’on va presque nécessairement à l’encontre
des intérêts du client. Dans la vente, au départ on avait un rôle de conseiller et aujourd’hui, on
me demande de faire du chiffre.36 »
Les situations sont culpabilisantes, car, comme l’écrit P. Deveize, les individus vivent comme
une responsabilité personnelle une situation de malaise dont les causes véritables sont dans les
choix d’organisation collective. Beaucoup vivent avec un sentiment de peur global : la peur de
ne pas y arriver, la peur de perdre leur emploi, la peur d’un avenir incertain.
« On ne sait pas ce qui va tomber, mais il y a toujours quelque chose qui tombe… Et c’est
rarement à l’avantage du salarié… Donc, au final, c’est la peur de l’inconnu. 37 »
Pour se protéger, beaucoup se désinvestissent de leur travail, qu’ils ne considèrent plus que
comme un moyen de gagner leur vie ; certains passent en temps partiel, qui n’est plus
seulement le signe d’une recherche d’équilibre avec la vie privée, mais d’abord celui de leur
retrait de la vie professionnelle. Des salariés, et le phénomène touche les cadres, se tournent
vers l’activité syndicale et y trouvent les valeurs et l’épanouissement personnel qui ont déserté
leur travail.
Stress : alertes des médecins
De nombreux médecins qui exercent à France Télécom signalent dans leur rapport que la santé
mentale tient une place de plus en plus grande dans leur activité ; ils notent la croissance des
consultations à l’initiative des salariés qui manifestent un malaise psychique lié, disent-ils euxmêmes, aux réorganisations incessantes, à la dévalorisation de leur métier, à la pression des
objectifs au mépris de la qualité du travail, à la peur de perdre leur emploi. Ces visites
concernent particulièrement les personnes reconverties vers les métiers prioritaires et celles qui
font l’objet de restructurations trop fréquentes. Mais, ils alertent sur le fait que cette souffrance
s’étend à l’ensemble du personnel. « A tous les niveaux hiérarchiques, nous rencontrons des
individus qui ne se reconnaissent pas dans les formes dégradées imposées à leur activité au
nom des contraintes économiques », écrit le Dr. Jean-Marc Le Mot au moment de sa démission
en juin 2009.
Le stress se manifeste alors par des états anxieux ou dépressifs, une fatigue chronique, des
troubles du sommeil, des troubles musculo-squelettiques, des problèmes cardio-vasculaires,
une consommation accrue d’alcool, de cigarettes, de tranquillisants et une augmentation des
arrêts longue durée ou longue maladie.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets dans le monde du travail en général. Selon une
enquête de l’ANACT, l'activité professionnelle reste la première source d'angoisse, avec quatre
problèmes identifiés. Celui qui est le plus souvent cité est l'organisation (surcharge de travail,
gestion de tâches simultanées, manque de temps pour souffler). La deuxième cause de stress ce
sont les frustrations, c'est-à-dire les attentes non satisfaites en termes de rémunération et de
reconnaissance.
36
37
Expertise Eretra, juin, p. 47.
Expertise Eretra, p. 55.
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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Les tensions avec la hiérarchie et entre collègues se placent en troisième position. A France
Télécom, du fait de son histoire et de la présence largement majoritaire des fonctionnaires que
l’entreprise ne peut pas licencier, les effets négatifs sur la santé mentale s’observent sur une
plus grande échelle et de manière plus durable.
Les suicides
« Un de nos collègues, technicien à l’Unité d’Intervention de Bourgogne - Franche Comté, a
mis fin à ses jours mardi 11 août. (…) Ce suicide succède malheureusement à d’autres, qui sont
autant de situations particulières, souvent liées à de grandes difficultés personnelles. » L.P.
Wenes, cadre dirigeant de France Télécom, fait cette déclaration en 2009 sur l’intranet de
l’entreprise à la suite d’un suicide. Dès les premières lignes du communiqué, se glisse
l’interprétation officielle de la direction : les suicides sont des cas isolés de salariés qui ont des
problèmes personnels ; à d’autres occasions, elle évoque même leur fragilité psychologique.
Plus clairement dit, ces tristes évènements n’ont rien à voir avec le travail et l’entreprise n’est
pas responsable.
Mais d’autres ne sont pas de cet avis, en particulier l’Observatoire du stress qui compte le
suicide au nombre de ses sujets d’étude. Un recensement de cet organisme en août 2009 fait
état de 23 suicides et 12 tentatives de suicides de janvier 2008 jusqu’en août 2009. Selon les
analyses de l’Observatoire, ces suicides sont en lien avec les conditions de travail : pressions
répétées au départ, à la mobilité, intensification de la charge, dévalorisation, individualisation.
Plusieurs ont lieu dans les locaux professionnels. Selon le psychanalyste C. Dejours38, c’est un
élément qui met nécessairement en cause le contexte du travail car ce type de suicide « est lié à
la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l'évaluation
individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. 39 »
Un autre élément qui fait lien avec l’entreprise, ce sont les lettres laissées par certains.
« Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause. Urgence
permanente, surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise.
Management par la terreur ! Cela m’a totalement désorganisé et perturbé. » Ce sont les
premiers mots d’une lettre laissée après un suicide en juillet 2009.
Quand les salariés survivent, ils mettent en cause l’entreprise ; l’entourage professionnel
témoigne souvent dans le même sens. On note aussi que plus de la moitié de ces actes –
suicides ou tentative - sont commis par des fonctionnaires techniciens quinquagénaires, ceux
qui ont particulièrement souffert de la dévalorisation de leur métier et des reconversions
forcées dans les fonctions commerciales. Enfin, la responsabilité de l’entreprise se manifeste
également par la carence organisée du réseau des ressources humaines et du réseau médicosocial, pour des raisons d’économie. L’une des victimes, de retour d’un arrêt maladie, n’avait
pas passé dans l’entreprise ses deux visites médicales obligatoires : la visite systématique tous
les deux ans et celle qui doit se faire de retour d’un congé maladie supérieur à 21 jours.
Les enquêtes effectuées par l’Observatoire, les alertes des médecins du travail, les expertises
effectuées à la demande des CHSCT montrent qu’il existe un lien entre le travail et la
souffrance et le risque fort qu’elle mène à des actes désespérés.
38
39
Directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l’action au C.N.A.M.
Le monde.fr, article de C. Aizicovici, le 13 août 2009
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
20/20
Que faire contre le stress ?
Cellule d’écoute et médecine du travail
C’est en 2007 seulement, après 11 ans de privatisation intensive, que la direction de France
Télécom semble vouloir reconnaitre le malaise de son personnel. Prenant exemple sur ce qui se
fait dans d’autres entreprises, elle annonce la création de ce qui, selon elle, reste jusqu’à
présent la preuve essentielle de son implication : les cellules d’écoute, onze au total, réparties
sur tout le territoire. Leur composition est laissée à l’initiative des directions locales mais doit
comprendre un médecin du travail, un assistant social, un représentant RH et deux
représentants de salariés choisis. L’objectif de la cellule est d’« accueillir les demandes de
personnes en situation de mal être ou de souffrance au travail, faire un diagnostic le plus juste
possible de la situation, rechercher des solutions individuelles pouvant être innovantes. » La
recherche de « solutions individuelles » manifeste la position officielle de la direction sur
l’origine du mal être : les situations de conflit ou de stress sont des phénomènes liés aux
personnalités en cause ou à des problèmes privés qui viennent « polluer » la vie
professionnelle.
Le Dr. Fraysse-Guiglini, médecin du travail n’est pas de cet avis. Cette cellule, constate-t-elle,
s’appuie sur deux postulats, "le premier postulat est que la souffrance au travail est liée à un
conflit (ex. salarié/manager) et la cellule va donc s’attacher à résoudre ce conflit en
s’interposant comme médiateur entre les deux parties." Le deuxième postulat est que "le
conflit est lié soit à une personnalité difficile de l’un des protagonistes (…) ou encore à une
personnalité dangereuse.40” Pour le Docteur, ce type d’instance ne convient pas à France
Télécom, car ce qui fait souffrir les salariés, ce ne sont pas des relations personnelles tendues
avec leur manager et qui s’expliqueraient par le caractère excessif de l’un ou de l’autre, ce
sont bien plutôt ”les réorganisations et restructurations qui se succèdent à un rythme soutenu
quand elles sont mal accompagnées et qu’elles entraînent la perte du métier ou des savoirs
faire niant alors l’identité professionnelle.” Ce sont aussi “les fermetures de services et de site
qui obligent à des reconversions ou des relocalisations géographiques qui peuvent être
douloureuses.”
Alors que la direction garantit la confidentialité des échanges qui se font au sein des cellules,
l’Ordre des médecins écrit : « Depuis quelque temps, fleurissent des cellules d’écoute dont bon
nombre ont des pratiques qui nous paraissent condamnables.41» Notamment, précise-t-il, parce
qu’elles ne respectent pas le secret médical. A France Télécom, six médecins42 ont refusé de
participer à ces cellules pour des raisons déontologiques, mai aussi parce que c’est à leur poste
qu’ils se sentent le plus à même d’agir. « En tant que médecins du travail de la DTCE, nous
vous alertons régulièrement de l’impact sur la santé des salariés des réorganisations et des
évolutions mises en place dans l’entreprise, écrivent-ils à leur direction." Ils pensent "plus
judicieux d’engager la réflexion sur les organisations de travail afin d’essayer de repérer en
quoi elles génèrent du mal-être, des difficultés. »
40
Lettre d’un médecin du travail à propos des cellules d’écoute à France Télécom, in « Orange Stressé », brochure
de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées France Télécom – Orange, p. 141
41
Revue Médecins, N°5, juin 2009
42
A la Direction Territoriale Centre Est
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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Depuis plusieurs années, bon nombre de médecins à France Télécom ont multiplié les alertes
sur la souffrance au travail. Plusieurs réclament des moyens supplémentaires et notamment,
plus de temps pour recevoir et écouter les salariés ; mais surtout, ils demandent une politique
de prévention qui intervienne en amont sur l’organisation générale du travail ; à l’opposé des
cellules d’écoute qui laissent au salarié la responsabilité de se manifester, n’interviennent
qu’une fois les dégâts installés et reportent la solution sur les individus puisque les causes sont
en eux ou dans leur vie privée.
Mais la direction de FT fait la sourde oreille. « Nous ne nous sentons pas écoutés par notre
direction, écrit le Dr. S. Rochdi43, ne serait-ce qu’au travers des conclusions de nos rapports
annuels d’activité et/ou de nos demandes légitimes de mise en conformité de nos locaux
médicaux ». Les médecins eux-mêmes isolés sur différentes périmètres géographiques,
débordés par l’ampleur de leur tâche et le manque de moyens, ont des difficultés à fédérer leurs
travaux et leurs réflexions.
Le personnel et les représentants du personnel
C.E. et CHSCT 44 : une lutte continue
Sur le plan social, l’année 2005 constitue une étape importante à France Télécom. Auparavant,
encore cadré par la réglementation publique, le dialogue entre les syndicats et la direction se
limitait essentiellement à la négociation d’accords et de conventions ; concernant sa stratégie et
ses impacts sociaux, la direction n’avait aucune obligation d’en rendre compte aux
organisations syndicales et se contentait de les informer à l’occasion. La mise en place, en
2005, des instances de représentations du personnel telles qu’elles sont définies par le code du
travail va lui imposer des contraintes fortes et ouvrir potentiellement autant d’espaces de
dialogue social que d’instances représentatives.
On trouve ainsi dans l’entreprise, notamment, un Comité Central d’Entreprise, 21 Comités
d’Etablissements (CE) et environ 400 CHSCT qui, heureusement s’adaptent à la situation
sociale particulière de l’entreprise et ont vocation à représenter autant les fonctionnaires que les
salariés de droit privé. La direction de France Télécom s’est vue ainsi obligée de présenter les
éléments importants de la vie de l’entreprise – en particulier les restructurations et les
fermetures de site – au Comité central, aux CE et aux CHSCT, de s’en expliquer, de livrer les
informations demandées et d’attendre leur avis avant application.
Mais, elle a aussi vite compris qu’elle pouvait se permettre soit d’ignorer la loi, soit de « jouer
le jeu » sans pour autant faire des représentants du personnel de véritables partenaires sociaux.
On ne compte plus le nombre de fois où elle « oublie » d’informer ou de consulter les CE et les
CHSCT. Lorsqu’elle le fait, sa règle est de ne pas tenir compte de leurs avis et de leurs
propositions. Il arrive très souvent – en toute illégalité - qu’elle mette en place ses projets avant
que la procédure de consultation des représentants soit terminée. Autre pratique : le
« saucissonnage ». L’entreprise découpe ses restructurations en projets plus petits ; cette
tactique permet de les soustraire plus facilement au contrôle ou de saturer des CE déjà
débordés ; il empêche une vision d’ensemble et la compréhension des objectifs à moyen et long
terme.
43
Interview ; site de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom – Orange, octobre 2007. A
démissionné en septembre 2007.
44
Comité d’Etablissement et Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de travail
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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En conséquence, les procès intentés à la direction par les instances de représentation du
personnel sont continus et, dans la grande majorité des cas, ils sont gagnés. Et la direction n’est
pas en reste. Tirant profit de leurs droits, les CHSCT font souvent appel à un expert pour les
aider à évaluer les impacts d’une réorganisation ou d’une fermeture de site sur les conditions de
travail, sur la santé. L’entreprise conteste ces décisions devant les tribunaux de manière
systématique, arguant que les réorganisations n’ont pas d’incidence sur les conditions de
travail. A une ou deux exceptions près, elle les perd. Le caractère systématique des
contestations dans toutes les directions rappelle une fois encore que la politique de l’entreprise
dans ses relations sociales est arrêtée en haut lieu et déclinée à l’identique dans toutes les
directions.
Contestation par France Télécom des demandes d’expertises des CHSCT – Quelques
exemples récents
- Demande d’expertise du CHSCT de l’UIA Paris à l’occasion d’une tentative de suicide début
2009 sur les liens entre organisation du travail et risques sur la santé du personnel ; FT débouté
par le TGI de Paris, en mai 2009
- Demande d’expertise du CHSCT de l’Agence Entreprise Ouest Atlantique sur les projets de
réorganisation du bas de marché, du milieu de marché et de la plate-forme Arte, en décembre
2008 ; FT débouté par le TGI en février 2009.
- Demande d’expertise par le CHSCT du Centre Clients Orange et Renseignements (CCOR)
Sud-Ouest Atlantique en avril 2008 sur la souffrance au travail ; FT débouté par le TGI de
Bordeaux en septembre 2008.
- Demande d’expertise par le CHSCT de l’UI Auvergne en avril 2008 sur un projet de
réorganisation de la GTC (Gestion Technique Clients) : FT débouté par le TGI de ClermontFerrand en juin 2008, puis par la cour d’appel en février 2009.
Sur le terrain
Il existe d’autres types d’actions, collectives ou non ; des manifestations et des grèves locales
en relation avec la fermeture d’un site, une restructuration ont lieu en permanence. Elles sont
limitées, mais la convergence d’un certain nombre d’éléments peut avoir des conséquences
inespérées. Au printemps 2009, l’Observatoire, avec l’appui de ses deux syndicats fondateurs CFE-CGC UNSA et SUD – décide d’une campagne d’information sur les suicides. Ses
communiqués sont repris et commentés par la presse quotidienne nationale et régionale, les
magazines, par les télévisions, sur de nombreux sites internet généralistes, ciblés, alternatifs…
et par les internautes eux-mêmes, souvent des salariés de France Télécom. Ils font largement
connaître l’existence de ces événements malheureux – y compris au personnel de l’entreprise –
et élargissent l’audience du débat sur le lien entre organisation du travail et stress.
A la suite de quoi, M. Barberot, Directeur des Ressources Humaines, promet d’ouvrir des
négociations nationales pour décliner l’accord interprofessionnel sur le stress, la possibilité de
négocier localement l’accompagnement du personnel lors de réorganisations, de recruter des
médecins, des assistantes médicales et des RH de proximité… en précisant toutefois qu’il
n’arrêtera pas les mouvements en cours. L’image de FT est en jeu et l’entreprise ne peut plus
se contenter d’éluder la question de la souffrance au travail ou de la rejeter dans la sphère
privée.
Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange
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Plus concrètement, à Morlaix (Finistère), après deux années de résistance, les salariés du centre
d'appel obtiennent gain de cause en juillet 2009 : le transfert de leurs emplois à Brest est
abandonné. Cette décision intervient après l'hospitalisation début juin d'un agent pour
"traumatisme psychique" provoqué par la lecture d'un document relatif à sa mutation »,
indiquait la CGT dans un courrier adressé à la direction locale de France Télécom. Celle-ci
indique qu’elle a renoncé à ce transfert en raison d'"un risque majeur pour la santé des
personnels, et sur recommandation de l'inspection du travail.45 » A Montluçon aussi, la
direction abandonne un projet de transfert en reconnaissant les risques psycho-sociaux qu’il
présente. C’est la première fois que FT renonce à des projets de réorganisation en
reconnaissant les risques associés sur la santé psychique du personnel.
En octobre 2009, c’est à Cahors que le projet de fermeture du site et de transfert de l’activité à
Montauban est abandonné. L’Inspection du travail venait d’envoyer un courrier à la nouvelle
directrice territoriale, relayant un autre courrier du médecin du travail qui mentionnait plusieurs
personnes en détresse psychosociale et qui alertait sur le fait qu’une mobilité imposée
constituait un élément potentiellement aggravant.
Convergence des actions
Qu’elles viennent des salariés, médecins ou représentants du personnel, l’entreprise n’est
jamais disposée à prendre en compte des résistances qui remettent en cause l’essence même de
sa stratégie et ses relations idylliques avec les actionnaires. Mais l’activisme sur le terrain, le
travail des représentants du personnel, « l’ingérence » de plus en plus fréquente de l’inspection
du travail et de la Caisse d’Assurances Maladie à l’initiative des CHSCT finissent par porter
leurs fruits.
En même temps, dans la vie de tous les jours, des représentants du personnel, des salariés
résistent à l’isolement. Ils s’écoutent, maintiennent leur réseau avec d’autres collègues,
échangent leurs informations, décodent le discours de la direction, s’entraident.
Ces actions collectives ou individuelles, expertes ou non, qui ramènent la question du malaise
au travail sur le terrain des responsabilités de l’entreprise ou qui recréent la solidarité,
l’empathie, le respect contribuent chacune à leur façon à (re)donner du sens à la vie
professionnelle et à maintenir en chacun l’estime de soi et des autres.
Privatisation et promesse sociale - Conclusion
Lorsque le gouvernement et la direction de FT se sont solennellement engagés sur le maintien
du statut des fonctionnaires au moment de la privatisation de l’établissement public, ils
garantissaient l’absence de licenciement, mais ils taisaient volontairement tout le reste à venir :
la baisse des effectifs, la flexibilité du personnel, la dévalorisation et la disparition des métiers
historiques, l’individualisation.
Ces événements étaient prévisibles dans une entreprise qui, pour se transformer en une société
cotée en bourse, allait s’appuyer sur l’industrialisation à grande échelle avec ses
caractéristiques essentielles : centralisation, standardisation, intensification du travail,
organisation par les objectifs à atteindre, augmentation des contrôles. Les politiques et les
dirigeants ont utilisé l’absence de licenciement et la réussite économique et financière de
45
Le Télégramme, 1er aout 2009
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l’entreprise pour donner d’elle une image positive et l’entretenir assidument, quitte à travestir
par le discours et les déclarations appropriées les réalités sociales de leur politique.
L’Etat, présent dans le capital ne fait pas contrepoids, il se comporte comme un actionnaire
privé : il tire les profits financiers de la transformation sans état d’âme et fait même voter les
lois qui favorisent ses intérêts d’actionnaire, en particulier sur le point crucial du statut des
fonctionnaires.
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La Loi du 31 décembre 2003 leur ouvre la possibilité d’opter pour le statut de salarié de droit
privé. Une modification des textes relatifs à la Fonction publique d’Etat votée en 2009 ajoute
que le fonctionnaire dont l’emploi a été supprimé peut « être placé en situation de réorientation
professionnelle ». Autrement dit, il faudrait changer de métier. Dans quelles conditions ? Ces
lois et d’autres vont dans le même sens : faciliter la réduction des effectifs et leur flexibilité. En
même temps, elles multiplient insidieusement pour les fonctionnaires le risque de perdre leur
statut ou leur emploi et leur traitement ; elles ouvrent ainsi, de plus en plus, la voie au
licenciement.
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