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Le management par le stress à France Télécom Note synthétique Anne-Marie Minella Octobre 2009 Privatisation et promesse sociale ____________________________________________________3 Des suppressions d’emploi massives _________________________________________________3 Des fonctionnaires indésirables ____________________________________________________________ 3 Les départs dits « naturels » à la retraite _____________________________________________________ 4 Le Congé de Fin de Carrière ______________________________________________________________ 5 La mobilité vers la fonction publique _______________________________________________________ 5 L’essaimage et le Projet Personnel Accompagné ______________________________________________ 6 Des reconversions intensives _______________________________________________________6 Les mobilités : une réussite pour l’entreprise _________________________________________________ 6 La mobilité est aussi géographique _________________________________________________________ 7 Et pour les salariés ? Départs obligés, mobilité forcée __________________________________8 Les moyens de pression__________________________________________________________________ 8 La mobilité : un principe supérieur _________________________________________________________ 9 Les réorganisations permanentes__________________________________________________________ 10 Les fermetures de sites _________________________________________________________________ 11 L’individualisation du travail _____________________________________________________11 L’isolement __________________________________________________________________________ 11 L’entretien individuel __________________________________________________________________ 12 Cadre ou exécutant ? ____________________________________________________________15 La précarité des cadres _________________________________________________________________ 15 Une courroie de transmission ____________________________________________________________ 16 L’animation des équipes ________________________________________________________________ 17 Un statut finalement difficile _____________________________________________________________ 17 Souffrance et stress ______________________________________________________________17 Le vécu des salariés ____________________________________________________________________ 17 Stress : alertes des médecins _____________________________________________________________ 19 Les suicides __________________________________________________________________________ 20 Que faire contre le stress ? ________________________________________________________21 Cellule d’écoute et médecine du travail_____________________________________________________ 21 Le personnel et les représentants du personnel _______________________________________________ 22 Convergence des actions ________________________________________________________________ 24 Privatisation et promesse sociale - Conclusion________________________________________24 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 2/2 Privatisation et promesse sociale Le 15 mars 1996, Alain Juppé, Premier ministre, adresse une lettre à Michel Bon, président de FT, pour l’informer officiellement d’une décision prise par son gouvernement : la réforme du secteur des télécommunications dans la perspective de son ouverture à la concurrence le 1er janvier 1998 et, en conséquence, la nécessité de faire évoluer le statut de France Télécom, alors exploitant public. Autrement dit, la nécessité d’en faire une société privée. Il confirme toutefois l’engagement, solennel, de l’Etat selon lequel « les agents de FT qui sont fonctionnaires conserveront leur statut de fonctionnaire de l’Etat et les garanties associées, en particulier la garantie de l’emploi». Cet engagement est communiqué à tout le personnel par M. Bon qui fournit à l’appui la copie de la lettre du Premier ministre. Un peu plus d’un an après, la loi du 26 juillet 1996 concrétise ces décisions et met en place la rupture annoncée dans l’histoire de France Télécom : à partir du 1er janvier 1997, l’entreprise devient une société anonyme et cède une partie de son capital aux investisseurs privés. La loi reprend l’engagement initial d’A. Juppé ; une nouvelle fois, le gouvernement assure que les fonctionnaires gardent leur statut au sein de la nouvelle entreprise qui pourra même en recruter jusqu’en 2002. Sans qu’il soit précisé, néanmoins, dans quelles proportions. FT reste contrôlée par l’Etat qui a l’obligation de détenir plus de la moitié de son capital. Ce point inscrit dans la loi est présenté comme un élément durable et une garantie supplémentaire pour le personnel. Parallèlement, la direction signe avec les syndicats un accord pour un dispositif de préretraite, le congé de fin de carrière. Une porte de sortie basée sur le volontariat pour les fonctionnaires qui souhaiteront quitter l’entreprise dans les années qui suivent. Avec la loi du 31 décembre 2003, le gouvernement en place s’autorisera à entamer les garanties initiales : il supprimera l’obligation pour l’Etat d’être majoritairement présent dans le capital de FT. Mais les textes énonceront une fois encore que la loi ne porte pas « atteinte aux garanties fondamentales qui sont aujourd'hui reconnues aux agents fonctionnaires de l'entreprise » : les fonctionnaires restent des fonctionnaires. La garantie du statut des fonctionnaires et le congé de fin de carrière sont présentés comme les deux éléments nécessaires et suffisants pour garantir l’emploi dans l’entreprise et régler en douceur la réduction des effectifs que syndicats et gouvernement savent inévitables. Rien ne semble donc devoir troubler fondamentalement la vie du personnel, pourtant au cœur même du changement radical que l’on impose à l’entreprise. Des suppressions d’emploi massives Des fonctionnaires indésirables Mais dès 1996, on ne fait plus carrière à FT. L’enjeu pour l’entreprise, c’est de réussir le plus vite possible sa reconversion de service public en une société privée internationale cotée en bourse. Dans ce contexte, la réalité vécue par le personnel ne sera pas celle de la continuité paisible. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 3/3 La mutation de l’entreprise s’appuie sur une réduction drastique des effectifs et une reconversion interne du personnel à grande échelle, et cela sans discontinuer depuis la privatisation en 1997 jusqu’à nos jours. L’objectif : compresser les effectifs des fonctionnaires, considérés comme indésirables dans une entreprise nouvellement soumise aux contraintes de la concurrence et de la cotation boursière, et par tous les moyens possibles, puisque le licenciement est exclu. Gouvernements et direction ont depuis le début planifié qu’un quart des agents fonctionnaires devraient encore être présents dans l'entreprise à la fin de l'année 2018, et que les derniers ne devraient pas la quitter avant 2035, s’ils ne font rien. La direction va employer tous les moyens pour accélérer ces départs. En 1997, France Télécom SA comptait 162 000 salariés1 dont 90% étaient des fonctionnaires. Onze ans après, en 2008, ils ne sont plus que 94 500 actifs 2 dont 70% de fonctionnaires. Plus de 65 000 personnes ont quitté l’entreprise. Evolution des effectifs à France Télécom 140 000 120 000 100 000 80 000 60 000 40 000 20 000 0 2 001 2 002 2 003 2004 2005 2006 2007 2008 Cadres actifs 32 985 32 633 32 101 32 953 33 082 34 250 34 997 35 559 Non cadres actifs 90 176 84 075 78 170 74 931 71 560 65 621 62 360 58 799 Source : les bilans sociaux de FTSA. Récemment encore, FT déclarait avoir atteint ses objectifs et supprimé 22 000 emplois entre 2006 et 2008, c’est-à-dire 1/5 de ses effectifs sur la période. Pour arriver à évacuer des dizaines de milliers de personnes qu’elle ne peut licencier, France Télécom compte sur les départs en retraite, mais elle a aussi mis au point des dispositifs complémentaires : - le Congés de Fin de Carrière (CFC) dès 1996 - la mobilité vers la fonction publique, l’essaimage et le Projet Personnel Accompagné (PPA) en 2003. Toutes ces mesures sont déclarées basées sur le seul volontariat des salariés. Elles sont ainsi présentées comme un accompagnement du personnel dans son évolution professionnelle par une entreprise soucieuse de ses responsabilités sociales. Les départs dits « naturels » à la retraite De 2001 à 2008, 13 000 personnes sont parties à la retraite, essentiellement des fonctionnaires employés et techniciens, c’est-à-dire non cadres. De 2009 à 2018, la direction table sur une moyenne de 30 000 départs supplémentaires. « Naturels » suppose en l’occurrence que seul l’âge décide de l’heure du départ, sans intervention de l’entreprise. 1 Les Echos – 4 décembre 2007 « Bilan social 2008 France Télécom SA » ; les chiffres incluent les flux entrants, dus notamment à l’intégration des filiales. 2 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 4/4 Or, ces départs incluent deux catégories de personnel pour lesquelles la retraite n’est pas une obligation, mais un droit ouvert à partir de 55 ans : les fonctionnaires qui ont assuré au moins 15 ans de service actif et les mères de trois enfants. En 2008, ils représentent 80% des départs. France Télécom aura tout intérêt à intervenir pour les convaincre d’utiliser leur droit. Le Congé de Fin de Carrière C’est un dispositif de retraite anticipée à partir de 55 ans qui propose une rémunération avantageuse et des indemnités de départ. Disponible 1997 à 2006, c’est la solution de départ la plus utilisée, adaptée à une population vieillissante à France Télécom, où les derniers recrutements importants se sont faits dans les années 70. Plusieurs milliers de personnes veulent déjà en profiter dans l’année qui suit sa création en 1996. Une preuve de succès peutêtre, mais déjà notée par Michel Delebarre dans son rapport3 au Premier Ministre en septembre 1997, comme « le signe d’un mal-être du personnel d’expérience à FT ». « A plusieurs reprises, en particulier venant du personnel technique, il nous fut demandé si on pouvait envisager que le CFC soit accessible au personnel de 53 ans, voire de 50 ans… »4. De 1996 à 2007, 42 0005 personnes partent ainsi en préretraite, en très grande majorité des fonctionnaires. Le document d’introduction de FT en bourse en 1997 évalue entre 50 000 et 60 000 le nombre de départs en retraite ou préretraite Au cours des dix années suivantes. « Grâce à notre programme de préretraite et de départs à la retraite, notre flexibilité dans les effectifs est considérable » précise M. Bon présentant l’opération aux investisseurs américains de Wall Street. 6 Les prévisions ont été atteintes. Composition des départs à France Télécom SA entre 2001 et 2008 10 000 9 000 8 000 7 000 6 000 5 000 4 000 3 000 2 000 1 000 0 Autres départs Nouveaux CFC Départs retraite 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Source : les bilans sociaux de FTSA. La mobilité vers la fonction publique En 2003 Thierry Breton, alors PDG du groupe, à la recherche de nouvelles idées pour accélérer le départ des fonctionnaires, crée le dispositif intitulé « mobilité vers la fonction publique », ouvert pour cinq ans. Comme son nom l’indique, il favorise le transfert des fonctionnaires de France Télécom vers une des trois fonctions publiques - d’Etat, Territoriale ou hospitalière – 3 « Sur les enjeux d’avenir pour France Télécom », rapport au Premier Ministre, chapitre II. 3 septembre 1997 Ibid. 5 Les Echos, ibid. 6 « France Télécom se plie à Wall Street », L. Lamprière, Libération.fr, 1er octobre 1997 4 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 5/5 notamment en attribuant une aide financière équivalente à quatre mois de salaire brut. Un peu plus de 5 000 personnes ont ainsi quitté France Télécom7. L’essaimage et le Projet Personnel Accompagné L’essaimage accompagne ceux qui veulent créer ou reprendre une entreprise. Au départ, il concerne uniquement les entreprises du secteur des télécommunications, d’où son nom. Mais cette restriction a été rapidement supprimée et tous les secteurs sont acceptés, pour « optimiser le dispositif », c’est-à-dire augmenter le nombre des départs. Le « projet personnel accompagné » (PPA) aide le salarié à se reconvertir professionnellement à l’extérieur de l’entreprise, hors la création ou reprise de société. L’essaimage et le Projet Personnel Accompagné incluent des possibilités de formation, des moyens financiers, des expertises. En 2007, ils sont 726 à en bénéficier et 1460 en 20088. Même si les chiffres sont modestes, toutes les « niches » sont bonnes à exploiter pour atteindre les objectifs de compression des effectifs. Mobilité vers la fonction publique, essaimage et projet personnel accompagné, outre le fait qu’ils semblent mis au service du salarié pour l’aider à évoluer dans sa carrière sont d’autant plus sécurisants qu’ils garantissent un droit de retour dans l’entreprise. Ils sont relayés auprès du personnel par les managers, les responsables des ressources humaines et plus récemment par onze Espaces Développement, des agences réparties sur tout le territoire en 2006 pour favoriser le départ des salariés ou leur reconversion des métiers en décroissance aux métiers en développement. Difficile dans ces conditions de ne pas être informé. Mais toutes ces ressources ne sont pas mobilisées uniquement pour informer ou aider le personnel ; elles pousseront les populations ciblées, par la contrainte si nécessaire, à utiliser toutes les portes que l’entreprise leur ouvre vers la sortie. Parallèlement le recrutement porte sur quelques milliers d’embauches sévèrement contrôlées de cadres experts et essentiellement, sur plusieurs milliers de CDD ou temps partiels. Tous ces recrutements se font surtout dans le domaine de la vente et de la relation clients, conformément aux métiers devenus prioritaires dans le groupe. Le recrutement des fonctionnaires, évoqué dans les promesses initiales est insignifiant et l’ensemble de ces embauches est loin de compenser les dizaines de milliers de départs. La décroissance globale des effectifs en marche depuis 1996 n’a pas cessé depuis. Des reconversions intensives Les mobilités : une réussite pour l’entreprise La mutation de France Télécom en société privée s’accompagne non seulement d’une réduction massive des effectifs, mais également de besoins nouveaux en terme de métiers. Des techniciens réseau ont été recrutés en grand nombre dans les années soixante, puis au milieu des années 70, pour combler le retard de la France en termes d’équipement téléphonique. Une autre vague de recrutement, un peu moins importante, s’est opérée au dans les années 80, au moment de la modernisation et de l’informatisation du secteur des télécommunications. 7 8 Intranet de l’entreprise, site Anoo, 2009 Rapport sur l’évolution de l’emploi 2008 – périmètre UES FT-Orange Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 6/6 Au milieu des années 90, l’entreprise n’a plus besoin d’eux, le chiffre d’affaire lié à l’exploitation du réseau voix est destiné à décroître compte tenu de l’ouverture à la concurrence des télécommunications. M. Bon déclare en 1999 : « Ce sont eux qui ont construit le réseau des années 60. Ils étaient les princes de FT. Mais c’est une mauvaise idée qu’il y ait des princes et des valets dans une entreprise, nous sommes tous égaux. Moi-même je me considère comme le valet du client. »9 Il faut par contre développer la vente, celle de nouvelles technologies, l’internet et le mobile, et de nouveaux services pour de nouveaux usages. En 2004, 45% du personnel occupe un poste dans le domaine client et 26% dans le domaine des techniques de réseaux10. En 2009, ils sont respectivement 46,5% et 28,8%. En 2001, les techniciens et les employés, bien qu’en décroissance forte, sont encore 70 000. En 2008, leur nombre a été encore réduit de 45%, via les départs en retraite ou en CFC. En 10 ans, de 1997 à 2007, 40 000 sont reconvertis dans des emplois commerciaux11 en boutique ou dans les centres d’appels téléphoniques : le 1014, le 555 (mobile Ola), la hot line de Wanadoo, le 12 (les renseignements). Dans ces centres organisés en open spaces, se retrouvent pêle-mêle d’anciens comptables, secrétaires, techniciens du réseau, chargés de facturation, cinquantenaires la plupart du temps. Ils côtoient des jeunes de moins de 25 ans en CDD ou à temps partiel recrutés en grand nombre, mais volatiles. Les démissions sont légion. Dès 1999, M. Bon considère qu’il a réussi le passage de l’univers du monopole à celui de la concurrence. « En trois ans, 32 000 personnes ont changé d’emploi à l’intérieur de l’entreprise, soit près d’une sur quatre. C’est extraordinaire. »12 100 000 personnes au total ont changé de métier dans les 10 ans qui suivent la privatisation, et pour certaines plusieurs fois. Et les reconversions se poursuivent. De 2006 à 2008, elles se sont faites sur un rythme moyen de 2500 par an, ce qui permet à FT d’annoncer qu’elle a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés. « Il est impératif de pouvoir adapter les métiers pour disposer des compétences nécessaires. C’est la raison pour laquelle le Groupe met en œuvre des dispositifs nécessaires pour accompagner les collaborateurs dans cette transformation, en réaffirmant ses engagements d’employeur responsable » (RA 08) La mobilité est aussi géographique Conformément au statut de la fonction publique, les cadres de FT peuvent être mutés sur tout le territoire. Pour les employés, les techniciens et les agents de maîtrise la mobilité géographique est limitée au périmètre du bassin d’emploi. En 2008, pour 5000 salariés ont vu leur lieu de travail changer de département. Les non cadres représentent 38% de ces salariés alors qu’ils constituent 62% des effectifs13. En conséquence, l’entreprise s’emploie depuis plusieurs années à repousser les limites géographiques de la mobilité de cette catégorie du personnel. 9 « Malaise au pays de cocagne », article de H. Constanty, 6 mai 1999, sur express.fr « Dynamique d’évolution des métiers : y-a-t-il un risque de pénurie de compétences ? » , Institut des métiers de France Télécom, p. 40, 2006 11 « France Télécom : le dinosaure se réveille ». L’expansion.com, 1er janvier 2007 12 H. Constanty, Ibid. 13 « Rapport sur l’évolution des emplois UES Orange », 2008 10 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 7/7 En 1996, FT est organisé en cinquante directions régionales14 ; en 2006, elles ont réduites à neuf directions territoriales, élargissant du même coup la surface de mobilité. Cette mobilité géographique répond à un mouvement de centralisation : d’une organisation décentralisée couvrant largement le territoire avec des métiers variés, FT passe à une répartition concentrée sur quelques sites, opérant dans les grandes agglomérations et focalisés sur un deux métiers. La politique sociale de l’entreprise basée sur les départs massifs des fonctionnaires, quelques recrutements très sévèrement contrôlés et les reconversions intensives transforment la sociologie de FT : d’un service public où le personnel est essentiellement fonctionnaire, non cadre et technicien de réseaux, elle en fait une société concurrentielle où les métiers de la vente et de la relation clients dominent avec la montée des cadres et surtout des CDD, mais dans un climat de précarité général qui touche tout le personnel. Et pour les salariés ? Départs obligés, mobilité forcée 15 Les moyens de pression Au-delà du souci affiché par la Direction de favoriser les souhaits et l’évolution professionnelle de son personnel pour piloter cette gigantesque transformation, qu’en est-il de la réalité vécue par les salariés ? Pour atteindre les objectifs qu’elle s’est donnés dans la gestion des effectifs, l’entreprise ne se contente pas de faire appel à leur bonne volonté, elle utilise des méthodes coercitives et de pression psychologique : la mise au « placard »16, le déclassement et le harcèlement, les propos et attitudes vexatoire font partie de la panoplie des ressources couramment utilisées pour pousser les salariés à partir ou à se reconvertir. « On avait mis les gens seuls au sous-sol, sans fenêtre, dans des conditions épouvantables…parce qu’il fallait qu’ils soient volontaires pour partir. » 17 Les gens sont poussés sans ménagement en CFC ou à la retraite, en particulier s’ils ont 55 ans et leur service actif, de même que les mères de trois enfants. Tous ceux et celles qui ont le profil pour partir sont convoqués à répétition par la responsable mobilité qui n’hésite pas à chercher des arguments dans leur vie personnelle pour les convaincre. 14 Rapport Delebarre, sept. 1997, chapitre 5.4 Ce chapitre s’appuie particulièrement sur l’étude « De l’art de programmer la maltraitance au travail » de N. Burgi, M. Crinon, S. Fayman, réalisée pour l’Observatoire du stress en octobre 2008. 16 Question d’un représentant du personnel lors d’un CE, au moment de la présentation du bilan social de la division : « Les salariés qui sont au placard, dans quelle catégorie les rangez-vous : les actifs, les inactifs, les actifs inactifs ? » Réponse de la direction : « Dans les actifs ».... 17 Sauf mention particulière, les témoignages sont extraits de l’étude « De l’art de programmer la maltraitance au travail ». 15 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 8/8 « Il y a eu une volonté délibérée de l’entreprise pour faire fuir les salariés, comme on n’était plus éligible pour la préretraite, on nous a harcelés pour migrer vers la fonction publique territoriale ou les reprises de commerce ».18 Certains apprennent du jour au lendemain que leur poste est supprimé ou que leur remplaçant vient d’arriver… Sans leur laisser le choix, FT « recase » ses fonctionnaires dans les centres d’appels pour assurer l’accueil des clients et la vente par téléphone. «Les conditions de travail y sont particulièrement déshumanisées : bruit, promiscuité, dépendance aux applications informatiques, travail sur écran toute la journée, standardisation maximale de la gestion des appels, agressivité des clients mécontents. » Des techniciens habitués à travailler à l’extérieur de manière autonome, souvent responsable d’une équipe, se retrouvent brutalement en open space, face à un écran d’ordinateur avec pour seul objectif, vendre à tout prix. Les salariés qui par malchance utilisent leur droit au retour après une mobilité vers la fonction publique, un essaimage ou un projet personnel accompagné, s’aperçoivent qu’ils ne sont pas les bienvenus. « Ils rassurent les gens en leur disant qu’ils peuvent revenir.(…) Sauf qu’il y a une réorganisation tous les six mois. Quand les personnes reviennent, ce n’est plus pareil, (…) elles ne sont pas prévues dans les effectifs. Donc la personne se retrouve dans un no man’s land ». Le rôle des Responsables des ressources humaines n’est pas de faire contrepoids sur le terrain. L’objectif prioritaire qui leur est assigné dans le nouveau management, c’est la réduction des effectifs et les reconversions; elles sont, à ce titre, devenues les partenaires privilégiés des managers. « Donc la politique des RH, c’est des moins : il faut que je fasse des moins ! Des moins ! Il faut supprimer du personnel, il faut supprimer du personnel (…) Il faut qu’on tombe à suffisamment peu de personnel pour faire plaisir aux marchés financiers, aux fonds de pension qui nous détiennent ». Quand aux espaces Développement, ils sont ironiquement appelés en interne « les espaces Dégagement », car ils ont eux aussi ont le même rôle et les mêmes objectifs : faire partir le plus de gens possible et surtout ceux qui sont jugés inaptes à toute reconversion interne. Leur réputation est telle que les gens en mobilité craignent de s’y inscrire, de peur d’être automatiquement orientés vers les centres d’appel. La mobilité : un principe supérieur Au-delà de la nécessité pour FT de reconvertir une grande partie de son personnel dans les métiers dont elle a besoin, l’entreprise a érigé la mobilité en valeur supérieure. Au bout de 3 ans, tout salarié a l’obligation de changer de poste, si une réorganisation ne lui a pas imposé de le faire avant. Selon la même enquête réalisée par l’Observatoire du stress, sur les 5 ans écoulés, les salariés ont connu en moyenne une mobilité fonctionnelle tous les 2 ans et 3 mois et une mobilité géographique tous les 2 ans et demi. Cette mobilité fonctionnelle ne tient compte ni des compétences, ni de l’expérience, ni des ambitions professionnelles des salariés. 18 « Projet de réorganisation du bas de marché, du milieu de marché et de la plate-forme Arte » Expertise AE Ouest Atlantique, cabinet Eretra, juin 2009, p. 11. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 9/9 « France Télécom ne connaît pas le parcours des salariés. Ils vous identifient par rapport à la dernière fonction exercée… Donc, il y a une perte énorme de savoir-faire. Ils recrutent beaucoup de sous-traitants alors que les capacités internes sont là. » On vous supprime d’abord votre travail en vous disant « Ca fait trop longtemps que vous êtes sur le même poste, qu’il faut bouger ». Ensuite, on vous envoie ailleurs pour faire une mission quelconque, histoire de vous dévaloriser….Au bout d’un ou deux ans maximum, on supprime le poste. Aujourd’hui, je travaille loin de chez moi à un poste qui ne correspond pas du tout à ma qualification ». Les postes sont supprimés mais ce sont les salariés eux-mêmes qui doivent s’en trouver un autre, sans égard pour les règles de mutation des fonctionnaires ou le Code du travail pour les salariés de droit privé. Cette pratique de la mobilité systématique prétend rendre les gens polyvalents, pour permettre au groupe de faire face à toutes les variations et évolutions d’activité, mais les aptitudes et les compétences d’un individu, par définition, ne sont pas infinies. « La mobilité est « un instrument de flexibilisation de la main d’oeuvre, autrement dit d’insécurisation des parcours de vie professionnelle, personnelle et familiale. » C’est aussi une « imposture, car ce que l’on propose aux agents de France Télécom, ce n’est pas une mobilité, mais de fortes chances de se retrouver sans emploi.»19 Les réorganisations permanentes Les suppressions d’emploi, la mobilité forcée s’appuient sur une stratégie de réorganisations permanentes supposées augmenter la rentabilité et l’efficacité et adapter l’entreprise aux variations du marché. Sur le terrain, elles se superposent, se contredisent, se brouillent les unes les autres. Voici, par exemple, la description de l’évolution du département Facturation des grands comptes : « Etape 1 : reprise de l’activité facturation de Lanester sur Ivry, reprise de l’activité facturation d’Angers sur Bordeaux et Massy, reprise de la facturation Haut Débit sur Lyon, redisposition des forces : déménagement à Ivry des équipes BA Data Managée, GI, IND et Gospel et redistribution des portefeuilles sur Ivry et Massy. En février, déménagement de l'équipe ITS dans les nouveaux locaux du site de Massy et en parallèle arrivée des collaborateurs ITS et CTM encore localisés sur le site de F. à partir du T2 2009. Phase 2 de la transformation : l’intégralité de CTM ramenée à Massy, L’équipe ITS s’implante sur deux sites : Ivry et Massy, l’une à Ivry, l’autre à Massy…. » Une seule chose reste évidente dans ces bouleversements perpétuels, la diminution des effectifs. «J’ai l’impression que derrière cette réorganisation se cache l’intention de réduire les effectifs (…) A chaque fois, on réduit plusieurs entités qui gèrent un marché, on réorganise le marché (…) et il y a moins de monde pour traiter le même marché. »20 Parfois, une restructuration n’est pas encore finie qu’elle est déjà remplacée par une autre. Elles « ne tiennent aucun compte des conséquences des suppressions d’effectifs et des mobilités sur les conditions pratiques de la réalisation du travail (coordination, process, compétences, prévisions…). Il en découle des dysfonctionnements opérationnels tels que l’inadaptation des 19 20 N. Burgi, M. Crinon, S. Fayman, ibid. Expertise Eretra, p. 55. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 10/10 personnels restants, la rupture de transmission des savoir-faire, la déstabilisation de la répartition des tâches, la désorganisation du travail. » 21 Les fermetures de sites Les fermetures de sites se multiplient et contraignent le personnel la plupart du temps à un double changement : changement de lieu de travail et changement de métier. D’une organisation décentralisée où le territoire est couvert par de multiples sites, FT passe à une organisation centralisée qui réduit les activités techniques ou commerciales à quelques sites couvrant une large zone géographique, voire un seul site pour tout la France. Pour la direction, en restreignant les ressources matérielles et humaines, la concentration réduit les dépenses, favorise la prise de décision unique et le contrôle. Pour les salariés, elle raréfie les emplois, surtout en province ; s’ils veulent rester sur place, ils sont contraints de se rabattre sur les quelques, et bien souvent le seul métier disponible localement, car les sites restants se spécialisent sur tel ou tel type d’activité; et la plupart du temps, ils augmentent leur temps de trajet. La plate-forme de services ARTE – accueil téléphonique des clients professionnels sur toute la France – a été créée Nantes, puis déplacée à Rennes, puis son retour à Nantes annoncé pour être annulé à la dernière minute. Le déménagement d’un site, d’un service est toujours synonyme de dégradation des conditions matérielles de travail, par l’allongement des temps de transport, le développement des open spaces, la réduction des espaces sociaux : local médical, cafétéria, restaurants d’entreprise. Cette organisation du travail sert une logique financière décidée en haut lieu. Il faut répondre aux attentes des actionnaires, c’est-à-dire réduire les coûts, dont le personnel considéré comme une charge, et sans cesse augmenter la rentabilité de l’entreprise pour reverser une grande partie des bénéficies sous forme de dividende. « Avec une bonne performance opérationnelle et un cash-flow organique de 8 milliards d’euros, le groupe réalise en 2008 l’ensemble de ses objectifs ».22 La moitié de ces bénéfices – 4 milliards – est reversé aux actionnaires…. Au détriment du personnel. Ils sont sur une stratégie strictement financière (…) Et malheureusement, ce sont des visions à très court terme et qui doivent avoir une rentabilité maximum à très court terme (…) Alors, la fidélisation des clients – j’exagère un peu – est quelque chose qu’ils savent que c’est nécessaire, cependant ils vont l’assurer que si le client est un très, très gros client ». L’individualisation du travail L’isolement Les formes de management qui se sont imposées à France Télécom créent et s’appuient sur un élément essentiel : l’individualisation généralisée du rapport au travail. Les restructurations et mobilités permanentes cassent les réseaux humains. L’organisation regroupe les gens dans des équipes volatiles autour de projets dont la durée est par définition limitée dans le temps et la géométrie infiniment variable. Dans ce grand groupe qu’est France Télécom, les membres d’une même équipe peuvent être dispersés à différents endroits du territoire. Les nouveaux outils de communication – téléphones mobile, conférence téléphonique à plusieurs avec partage de fichiers sur ordinateur, courriels – pallient cet éclatement sur le plan opérationnel, pas sur le 21 22 N. Burgi, M. Crinon, S. Fauman, ibid. Présentation à la presse des résultats 2008 par France Télécom Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 11/11 plan humain. Et la raréfaction des postes instaure la compétition entre les individus. « Ils nous ont rendu individuels et égoïstes, on en vient à se dire : surtout pas moi et tant mieux si c’est un autre. » « On ne se parle plus avec certains collègues, il n’y a même plus de bonjour. C’est comme si on ne se connaissait plus. Il y a des clans qui se forment. L’ambiance est exécrable. » Les gens sont d’autant plus isolés que, parallèlement et toujours pour des raisons d’économies, FT mène une politique de réduction des ressources d’assistance : les ressources humaines et le réseau médico-social. Conformément au mouvement général dans l’entreprise, les Ressources Humaines sont centralisées et spécialisées sur les questions jugées prioritaires, formation et recrutement, par exemple. Les responsables locales du personnel – à de rares exceptions près, le métier est féminin – ont disparu et une partie de leurs fonctions est reportée sur les managers. L’administration quotidienne – notes de frais, demande de congés, de matériel… - se fait via des applications informatiques centralisées où le salarié saisit les informations nécessaires. Le manager valide les demandes dans l’application. Pour les questions d’ordre général, l’entreprise a mis à la disposition des salariés des centres d’appels téléphoniques. Les interlocutrices ne sont jamais les mêmes. Le contact humain qui constituait un aspect important de la fonction RH a progressivement disparu. Le maillon le plus local des Ressources Humaines aujourd’hui, ce sont les « Business Partners RH » dont le rôle est d’assister les managers. Comme leur nom l’indique, elles sont focalisées sur le business plus que sur les femmes et les hommes et leur fonction essentielle consiste à rappeler les directives centrales et à les faire appliquer : réduction des effectifs, reconversion forcée sur les métiers prioritaires, respect du budget des rémunérations. Les ressources médico-sociales subissent la même évolution : raréfaction des ressources et standardisation. Plusieurs médecins dénoncent dans leur rapport une situation qui ne leur permet pas d’exercer dans des conditions satisfaisantes. Le réseau des assistantes sociales est lui aussi touché. Auparavant, les RH de proximité signalaient systématiquement aux assistantes sociales certains événements : arrêt de travail prolongé, demandes répétées d’acompte sur le salaire, mutation, etc. Aujourd’hui, ces signalisations ne se font plus. « Le Service Social du Travail se trouve donc réduit à « limiter les dégâts », en essayant de suivre le dossier des salariés qui le sollicite »23 . Ou à glaner des informations sur les salariés en difficulté au gré des rencontres ou des alertes spontanées de leur environnement professionnel. La nouvelle organisation rend le travail préventif des assistantes sociales de plus en plus difficile. En même temps qu’il isole les individus, le management tend à leur demander toujours plus, et d’une manière paradoxale, car il prétend responsabiliser chacun, mais sur tâches et dans des situations souvent décidées sans lui et qui lui laissent de moins en moins de liberté. L’entretien individuel joue un rôle clé dans ce processus. L’entretien individuel Au service du salarié ? Selon les termes officiels, l'entretien individuel est pour le salarié une « rencontre privilégiée » avec son manager. Il a lieu deux fois par an et lui permet « de formaliser son projet professionnel et d’être accompagné par l’entreprise dans ses évolutions ». Tous les salariés de France Télécom doivent, théoriquement, avoir cet entretien au début de chaque semestre. Y 23 Gabriele Djebril, www.observatoiredustressft.org, sept. 2009 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 12/12 compris les managers qui sont « double-face » : mis à part le PDG, tout manager est nécessairement dépendant d’un autre. De manière plus concrète, l’entretien sert à : - Faire le bilan des tâches – les objectifs - qui ont été attribuées à chacun sur le précédent semestre - Définir ceux qu’il devra atteindre sur le semestre à venir Tous les éléments importants de la vie professionnelle dépendent de l’atteinte, ou non, de ces objectifs : l’évaluation des compétences du salarié, le montant de la part variable des vendeurs et, pour les salariés de droit privé, la part variable des cadres, les augmentations de salaire et les promotions. Tous les éléments d’appréciation et de reconnaissance du salarié, et, à terme, son évolution professionnelle, sont en jeu au moment de l’entretien individuel et ne semblent dépendre que de sa capacité à les atteindre. Mais la réalité est plus complexe. Des objectifs qui tombent de haut Comme toutes les décisions structurantes, les objectifs à atteindre sont définis de manière centralisée au plus haut niveau du groupe et déclinés le long des lignes hiérarchiques dans toutes les entités jusqu’à la base. Quelle que soit la diversité de leur formulation, ils n’ont fondamentalement qu’un seul but : la croissance du bénéfice qu’ils déclinent selon deux axes : réduction des coûts et développement du chiffre d’affaire. Orientés sur le court terme, ils génèrent des ordres et des situations contradictoires : on contraint les salariés à changer de métier, mais il n’y a pas de budget pour les former ; on pousse au développement permanent de nouveaux produits, mais le système d’information n’est pas à même de les intégrer ; on revoit en profondeur l’organisation des équipes commerciales en même temps qu’on augmente fortement leurs objectifs de vente. Les injonctions sont souvent paradoxales. Un vendeur témoigne : « Et même si c’est facile pour l’entreprise de dire « Il est interdit de téléphoner au volant », vu les trajets qu’on doit faire, on est souvent au téléphone y compris en voiture (…) Si on veut optimiser notre temps, on est obligé de travailler pendant les temps de trajet.24 » Et la pression ne cesse de s’intensifier. D’annuels les objectifs sont devenus semestriels et pour certains populations, en particulier les équipes commerciales, ils sont trimestriels, voire hebdomadaires ou quotidiens.25 « Les objectifs ont toujours augmenté, si c’est 5 là, il faudra faire 6, après faudra faire 7. On a l’impression qu’ils ne sont jamais satisfaits, quoi qu’on fasse…Moi, j’ai de plus en plus de mal » « Appeler, appeler, appeler pour vendre des produits. Pas ce dont les gens ont besoin, mais ce que veut vendre l’entreprise.(…) Il faut appeler et savoir que dans 80% des cas, on va se faire jeter. La direction a comme seule réponse : « On a des objectifs.26» Alors que le document support de l’entretien précise que les objectifs fixés au salarié doivent être « mesurables, atteignables et réalistes », la fracture entre des objectifs abstraits qui viennent d’en haut et leur réalisation pratique fait qu’ils sont souvent inatteignables et irréalistes. On doit faire avec des directives qui laissent peu de liberté et des moyens inadaptés ou insuffisants. Selon l’enquête de l’Observatoire du stress27 montre que 3 salariés sur 4 déclarent que les procédures et les objectifs ne sont pas adaptés à leur activité ou sont complexes et/ou contradictoires. 7 sur 10 sont en désaccord avec leurs supérieurs sur la 24 Expertise Eretra, juin 2009, p. 39 Le nombre de visite en clientèle pour les Vendeurs Responsables de Compte dans le cadre du programme MEF depuis le 2e trimestre 2009 26 Expertise Eretra, p. 47. 27 Enquête effectuée auprès des salariés de France Télécom en octobre 2007 25 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 13/13 pertinence des objectifs ou considèrent qu’ils ne leur laissent pas le temps de faire correctement leur travail. 9 sur 10 déclarent que les objectifs de travail ne tiennent pas compte de leur avis. Mais peu importe que le salarié soit d’accord ou pas avec le contenu de son entretien, la communication dans l’entreprise est à sens unique : du haut vers le bas, et c’est la validation par le manager qui met un terme à l’échange. Il n’est pas prévu de recours en cas de désaccord ; si le salarié s’adresse au manager du niveau supérieur ou à la responsable Ressources Humaines, il a peu de chances d’être entendu car tous ont les mêmes directives. Compte tenu des enjeux autour des flux de personnel, les mobilités et les suppressions de poste sont également quantifiées de manière macroscopique dans les hautes sphères de l’entreprise et gérées comme des objectifs à atteindre. « Les directeurs doivent avoir tant d’essaimés dans leur périmètre. C’est-à-dire que tout est bon pour faire partir, pour avoir son chiffre. Donc, quelqu’un va dire : « J’aimerais bien… » qui va se renseigner sur l’essaimage par exemple, (…) on va lui mettre la pression {pour qu’il parte}. » L’entretien individuel du salarié en mobilité forcée se réduit la plupart du temps à faire le point sur l’avancement de cette mobilité dont on lui laisse la responsabilité ; généralement, il n’a plus de bilan de compétences, plus d’objectifs à atteindre et en conséquence plus de part variable, plus d’augmentation si c’était le cas. Une mise à l’écart et des pressions supplémentaires pour le pousser ailleurs. La mise en place généralisée des objectifs est un moyen de quadrillage de l’entreprise et de contrôle : on s’assure en permanence que la progression du travail de chacun est bien celle qui est attendue pour les atteindre et, sinon ont fait les interventions nécessaires pour « garder le cap ». La rémunération Quand aux budgets des augmentations et des parts variables, ils sont eux aussi définis de manière centralisée ; ils sont en décroissance régulière au profit de l’intéressement et de participation, qui pour l’entreprise ont l’avantage d’être directement assujettis à ses résultats. Ces budgets réduits ne permettent pas de valoriser d’autres populations que celles qui sont estimées prioritaires, les jeunes recrutés, par exemple, ou de réduire des inégalités trop criantes. Pour les autres, quel que soit leur mérite et le niveau d’appréciation de leur entretien, la reconnaissance n’est pas acquise. D’autant que le montant de la part variable comprend une part individuelle liée aux résultats du salarié, mais aussi une partie dite collective qui dépend des réalisations de la direction d’appartenance, selon une formule complexe et incontrôlable. Bref, il est impossible pour le salarié d’avoir une compréhension claire du lien entre ses résultats d’une part et sa rémunération et son parcours professionnel, d’autre part. Jusqu’en 2000, j’étais « exceptionnel » d’après ma responsable, c’est-à-dire que je faisais plus que ce qu’ils attendaient de moi, je travaillais beaucoup et en plus j’étais dans un service où il y avait une partie technique et une partie commerciale. Je faisais les deux….Donc j’ai été gratifié exceptionnel. J’ai eu aucune promotion depuis 10 ans que je suis à France Télécom. » Ce qui n’empêche pas l’entreprise d’attendre de lui qu’il soit toujours surperformant. Le lien entre les résultats et la rémunération variable d’un cadre en est un exemple éloquent. Pour un cadre de premier niveau (Dbis), la rémunération individuelle peut aller jusqu’à 10 % de son salaire, en fonction de ses résultats. Mais si le salarié a atteint tous les objectifs qui lui étaient assignés, elle ne représentera au plus que 5.6% de son salaire. S’il dépasse ses objectifs de Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 14/14 manière totalement exceptionnelle, elle peut aller jusqu’à 7.5% de son salaire. La grille d’équivalence s’arrête là. Le véritable rôle de l’entretien individuel Contrairement à ce que laisse croire la direction, l’entretien individuel n’est pas un dispositif qui permet au salarié de s’impliquer dans et de construire son parcours professionnel, ni même d’être apprécié selon ses compétences propres et ses mérites ; c’est bien plutôt un outil qui permet de verrouiller, au niveau de chacun, les directives venues du plus haut niveau de la hiérarchie et de contribuer à leur contrôle continu. Il relève d’un management qui, tout en prétendant que l’individu est seul responsable de son destin professionnel, l’enferme dans des contraintes décidées de manière centralisée et occulte qui lui laissent de moins en moins de liberté. Par contre, il lui fait porter l’échec éventuel entre ces choix faits « ailleurs » de manière autoritaire et l’impossibilité de leur réalisation dans le travail quotidien. Car les décisions prises par le management central ne peuvent, par essence, être remises en cause. Dans ces conditions, l’entretien individuel a de fortes chances d’être non pas un moment d’écoute réciproque et de construction professionnelle partagée, mais un moment que le salarié appréhende, générateur de tension, sinon de conflit. Cadre ou exécutant ? Les cadres ont en général la réputation d’être chouchoutés par leur entreprise et à France Télécom, ils constituent le groupe en croissance ; comment vivent-ils cette profonde transformation de France Télécom ? A première vue, ils semblent avoir une place enviable dans l’entreprise. Pour toute décision importante, le salarié est renvoyé à son supérieur hiérarchique qui semble décider seul de tout ce qui détermine la vie de son équipe : il définit les objectifs à atteindre, décide des formations à suivre, d’accepter ou non le temps partiel, le télétravail… Parallèlement, il apparait surprotégé par l’entreprise et aucune tentative de remise en cause de ses faits et gestes ou de ses décisions ne semble pouvoir aboutir. Même les excès de zèle et les cas de harcèlement avérés sont niés par les voies de recours. En 2008, à la Direction des services aux entreprises, un cas de harcèlement sexuel confirmé par le témoignage de collègues et l’intervention de l’Inspection du travail n’a jamais été reconnu par l’entreprise qui s’est contenté de muter le manager fautif. La précarité des cadres Cependant, les managers ne sont pas aussi puissants que le discours officiel le laisserait croire. La précarité de l’emploi sous toutes ses formes les concerne aussi. Ils sont eux aussi touchés par les suppressions de postes et les reconversions forcées. Les cadres fonctionnaires quinquagénaires ont subi les pressions au départ, en CFC, en PPA ou en essaimage, ces deux dernières mesures leur étant d’ailleurs plus particulièrement destinées. Ils continuent à subir les pressions à la mobilité. Sur la période récente qui va de 2004 à 2008, 22% des cadres en moyenne sont dits « inactifs », c’est-à-dire pour la presque totalité d’entre eux en CFC ou en mobilité vers la fonction publique. C’est le même pourcentage que celui des non cadres28. 28 « Bilans sociaux France Télécom SA » Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 15/15 « Nous sommes témoins de la pression mise sur les cadres supérieurs pour leur imposer une mobilité interne ou externe pour un objectif affiché de fluidité de l’emploi. Dans un contexte où les postes de cadres supérieurs se raréfient au sein de l’entreprise, où le contexte de l’emploi national est plus que morose, les pressions exercées sont mal vécues.29 Accompagné…vers la sortie Il arrive, nouveau chef d’équipe, cadre dynamique et déterminé. Il réorganise tout à sa façon, persuadé que l’entreprise a besoin de lui, échafaudant l’avenir qui l’attend. Ses nouvelles fonctions le ramènent de la province à Paris, il est sur le bon chemin. 3 mois après, le poste qu’on lui avait quasiment promis comme la suite naturelle de son parcours se libère plus tôt que prévu… mais pour un autre. Ses certitudes vacillent, il ne se sent plus à la bonne place. Il saisit l’occasion quelques mois plus tard d’une nouvelle fonction dans une nouvelle entité. Mais son supérieur, lui-même arrivé depuis peu, part en le laissant seul sur un nouveau projet, sans appui, sans ressources. Ses certitudes sont définitivement des doutes. 6 mois après, il quitte France Télécom pour monter un projet personnel accompagné. Une courroie de transmission Soumis aux turbulences de la mobilité et de la raréfaction des postes, le manager voit son rôle évoluer dans l’entreprise. Il perd la connaissance de l’activité et des métiers de ses équipes. Il est devenu la courroie de transmission d’une stratégie sur laquelle on ne le consulte pas. Les cadres dirigeants sont de moins en moins impliqués dans la définition de la stratégie de l’entreprise, les cadres de proximité dans sa déclinaison opérationnelle. Avec, pour corollaire une perte d’autonomie pour tous et l’augmentation des tâches de contrôle. « L’objet de l’activité de management est devenu l’information des décisions stratégiques, à savoir, l’énonciation des objectifs à atteindre. Les managers ne cherchent plus à travailler avec les agents sur comment réaliser les objectifs et surmonter avec eux les obstacles (…) Ils se contentent de répéter les objectifs à atteindre et de vérifier systématiquement l’état d’avancement dans l’atteinte de ces objectifs. »30 Cette dégradation du rôle du cadre à France Télécom est en phase avec une tendance générale dans le monde de l’entreprise. Selon un sondage réalisé par Inergie entre novembre 2008 et mars 200931, 79% des cadres se définissent avant tout comme des relais entre la direction et leur équipe et même 63% comme des exécutants. « Faute d’implication dans sa définition, 65% des managers se déclarent peu en phase avec la stratégie de leur entreprise et 54% peu motivés par elle. » Les cadres doivent l’incarner mais sans disposer d’une réelle latitude décisionnelle et bien souvent, ils n’ont pas les moyens nécessaires pour faire ce que l’on attend d’eux. Cette situation augmente leur charge de travail et les laisse écartelés entre des objectifs énoncés comme des impératifs catégoriques et une politique sévère et continue de réduction des moyens matériels et humains. Mais l’entreprise pratique sans difficulté les injonctions paradoxales. « Le problème c’est qu’on vous fait partir les meilleurs, ceux qui ont un potentiel pour partir ailleurs. Qui ne sont d’ailleurs pas toujours les plus motivés pour partir ailleurs, mais qui sont ceux qui vous donnent le plus de productivité. Donc vous, vous retrouvez à faire avec des gens qui sont de moins en moins productifs, et on vous demande d’en faire de plus en plus. Auquel cas, n’importe quel être humain normalement constitué, à un moment donné, vous commencez à péter les plombs. » 29 Conclusion du « Rapport d’activité 2008 » des médecins de la Direction Territoriale Centre-Est Expertise Eretra, p. 40. 31 Sondage réalisé sur la France, auprès de 1776 managers 30 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 16/16 L’animation des équipes Dans ces conditions, les managers peuvent avoir quelque mal à être responsables, innovants, impliqués, et même « charismatiques » vis-à-vis de leurs équipes comme l’entreprise le leur demande. Il n’est pas facile d’être charismatique quand on annonce à une personne que ses objectifs sont figés ou que sa demande de promotion n’est toujours pas prise en compte, qu’elle n’aura pas d’augmentation de salaire ou que son poste est supprimé, qu’elle doit s’en trouver un autre, et que ce n’est plus la peine de lui attribuer des objectifs. Et le brassage social permanent ne facilite pas l’animation d’une équipe où l’on trouve de jeunes apprentis de passage, des CDD, des fonctionnaires rodés ou des salariés de droit privé, régis par des textes et des lois différentes, avec des cultures et des expériences différentes, parfois salariés d’une filiale avec des accords sociaux, des conventions, des systèmes de rémunérations, des usages différents. Et certains ont même un autre manager s’ils sont aussi, comme c’est souvent le cas, membre d’une équipe temporaire autour d’un projet ponctuel. Un statut finalement difficile Comme tout le personnel, les cadres subissent la précarité de l’emploi, une augmentation de la charge de travail et le contrôle accru de leur activité. Et si la direction renvoie le salarié à son manager pour tout et n’importe quoi, ce n’est pas la confirmation que la hiérarchie est un système arbitraire et irrationnel (« à la tête du client »), même s’il en prend les formes de temps en temps ; c’est surtout parce que le manager doit être le garant de la déclinaison des directives centrales sur le terrain. Sans la participation des cadres à tous les niveaux pour appliquer la stratégie dans les rouages de l’entreprise, le pouvoir central perdrait beaucoup de son efficacité. En conséquence, leur rôle a subi une évolution que beaucoup perçoivent comme une dévalorisation. La fonction d’encadrement est devenue beaucoup plus difficile, voire impossible, en raison d’une certaine forme de rupture entre le manager et ses équipes, mais aussi parce qu’il est délicat de faire passer une stratégie dans laquelle on n’a pas été impliqué ou de réguler le stress alors qu’on y est soi même de plus en plus soumis. Souffrance et stress Le vécu des salariés En 2003, Marie-Claude Beaudeau, sénatrice en charge du dossier France Télécom collecte, via internet, près de 4000 messages décrivant la détresse d’une part importante du personnel. Début 2004, elle dépose une question écrite au Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à la tribune du Sénat : «Le degré de souffrance au travail croît dans des proportions inquiétantes depuis plusieurs années, y dit-elle. (…) Le stress est général : c'est d'ailleurs ce que confirment les rapports annuels de la médecine de prévention ». Un sondage effectué par l’Observatoire du stress auprès du personnel de France Télécom en 2007 montre que le niveau de stress est particulièrement élevé dans l’entreprise : 66% des salariés se déclarent stressés et 16% en situation de détresse. Selon un second sondage portant plus particulièrement sur les séniors en 2008, ce sont 76% des plus de 45 ans qui se déclarent stressés. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 17/17 Le travail est une activité épanouissante qui permet à celui qui l’exerce de progresser et de se réaliser, en faisant appel notamment à son inventivité ; elle lui donne sa place dans un cadre collectif et social. A France Télécom, le travail est souvent une source de frustrations. Chacun est de moins en moins autonome, de moins en moins créatif. Les réunions d’équipe servent plus à assurer une communication du haut vers le bas et un contrôle continu qu’une construction collective de l’activité. « Les réunions d’équipe sont fréquentes, mais on s’exprime de moins en moins. C’est un simulacre de dialogue.32 » Les gens sont déstabilisés par la suppression des postes, la multiplication et l’opacité des réorganisations. « Je suis rentré récemment d’un arrêt maladie ; je n’ai plus de poste et mon manager à changé. C’est très déstabilisant. La politique de France Télécom est de faire du moins, il faut que le personnel parte.33 » Beaucoup sont démotivés par l’inadéquation de leurs compétences et de leur fonction, par un nouveau poste qui ne correspond à ce qui leur a été promis ou dont le contenu varie sans cesse, et par l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. « Toute mon expérience accumulée, tout mon expertise a été balayée. Moi, je suis un pion qu’on déplace, je ne compte pas au nom de mon expérience accumulée, qui me conférait une place. Moi, employé chez FT, je ne me sens plus concernée parce qu’on a fait en sorte que je ne le sois plus. 34 » Dans les centres d’appels téléphoniques, la reconversion forcée a des résultats négatifs sur la santé du personnel. « Pour mes anciennes collègues qui y sont [au 10 14] c’est catastrophique, plusieurs personnes sont sous antidépresseurs, des personnes sont arrêtées, des personnes joviales se sont éteintes ou aigries, certaines sont à la limite de la rupture. » Le métier de téléconseiller est particulièrement usant. Les crises de larmes, les « pétages de plomb », les départs impromptus des lieux de travail sont fréquents. De 2006 à 2008, le turn over des jeunes embauchés à temps partiel dans ces centres d’appel va croissant. Retour de manivelle : cette mobilité n’est pas de celles qui sont souhaitées par FT dont les centres d’appel ont une image très négative. Au printemps 2009, l’entreprise se voit attribuer le Label Responsabilité Sociale pour ses plateaux téléphoniques. Mais des suspicions pèsent sur la justification de cette attribution et un document interne montre que les critères de sélection ont été revus à la hausse pour justifier cette attribution. « La réalité vécue par les salariés aujourd’hui dans les centres clients du groupe France Télécom ne correspond pas aux attentes du label. (…) Le discours client, la rigidité des procédures, la réduction de l’autonomie qu’impose l’entreprise réduit le salarié à n’être qu’une mécanique.35 » Beaucoup de fonctionnaires sont pris dans les contradictions que leur impose la nouvelle culture de l’entreprise. Mais, ils ne sont pas les seuls. 32 N. Burgi, M. Crinon, S. Fayman, ibid. p. 79 Extrait du PV d’un CHSCT exceptionnel à l’USEI Ile-de-France, mai 2009 34 Expertise ISAST. 35 Lettre ouverte à l’Association pour la promotion et le développement du Label Responsabilité Sociale, SUD, 5 janvier 2009 33 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 18/18 « Je suis rentré fonctionnaire après un concours. On passait au tribunal et on jurait de ne jamais utiliser les renseignements qu’on avait sur l’abonné pour lui nuire (…) Quand vous restez dans l’éthique d’origine, vous n’êtes plus dans la ligne de la boîte. On ne nous dit pas d’abuser du client, mais les objectifs sont tels que l’on va presque nécessairement à l’encontre des intérêts du client. Dans la vente, au départ on avait un rôle de conseiller et aujourd’hui, on me demande de faire du chiffre.36 » Les situations sont culpabilisantes, car, comme l’écrit P. Deveize, les individus vivent comme une responsabilité personnelle une situation de malaise dont les causes véritables sont dans les choix d’organisation collective. Beaucoup vivent avec un sentiment de peur global : la peur de ne pas y arriver, la peur de perdre leur emploi, la peur d’un avenir incertain. « On ne sait pas ce qui va tomber, mais il y a toujours quelque chose qui tombe… Et c’est rarement à l’avantage du salarié… Donc, au final, c’est la peur de l’inconnu. 37 » Pour se protéger, beaucoup se désinvestissent de leur travail, qu’ils ne considèrent plus que comme un moyen de gagner leur vie ; certains passent en temps partiel, qui n’est plus seulement le signe d’une recherche d’équilibre avec la vie privée, mais d’abord celui de leur retrait de la vie professionnelle. Des salariés, et le phénomène touche les cadres, se tournent vers l’activité syndicale et y trouvent les valeurs et l’épanouissement personnel qui ont déserté leur travail. Stress : alertes des médecins De nombreux médecins qui exercent à France Télécom signalent dans leur rapport que la santé mentale tient une place de plus en plus grande dans leur activité ; ils notent la croissance des consultations à l’initiative des salariés qui manifestent un malaise psychique lié, disent-ils euxmêmes, aux réorganisations incessantes, à la dévalorisation de leur métier, à la pression des objectifs au mépris de la qualité du travail, à la peur de perdre leur emploi. Ces visites concernent particulièrement les personnes reconverties vers les métiers prioritaires et celles qui font l’objet de restructurations trop fréquentes. Mais, ils alertent sur le fait que cette souffrance s’étend à l’ensemble du personnel. « A tous les niveaux hiérarchiques, nous rencontrons des individus qui ne se reconnaissent pas dans les formes dégradées imposées à leur activité au nom des contraintes économiques », écrit le Dr. Jean-Marc Le Mot au moment de sa démission en juin 2009. Le stress se manifeste alors par des états anxieux ou dépressifs, une fatigue chronique, des troubles du sommeil, des troubles musculo-squelettiques, des problèmes cardio-vasculaires, une consommation accrue d’alcool, de cigarettes, de tranquillisants et une augmentation des arrêts longue durée ou longue maladie. Les mêmes causes produisent les mêmes effets dans le monde du travail en général. Selon une enquête de l’ANACT, l'activité professionnelle reste la première source d'angoisse, avec quatre problèmes identifiés. Celui qui est le plus souvent cité est l'organisation (surcharge de travail, gestion de tâches simultanées, manque de temps pour souffler). La deuxième cause de stress ce sont les frustrations, c'est-à-dire les attentes non satisfaites en termes de rémunération et de reconnaissance. 36 37 Expertise Eretra, juin, p. 47. Expertise Eretra, p. 55. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 19/19 Les tensions avec la hiérarchie et entre collègues se placent en troisième position. A France Télécom, du fait de son histoire et de la présence largement majoritaire des fonctionnaires que l’entreprise ne peut pas licencier, les effets négatifs sur la santé mentale s’observent sur une plus grande échelle et de manière plus durable. Les suicides « Un de nos collègues, technicien à l’Unité d’Intervention de Bourgogne - Franche Comté, a mis fin à ses jours mardi 11 août. (…) Ce suicide succède malheureusement à d’autres, qui sont autant de situations particulières, souvent liées à de grandes difficultés personnelles. » L.P. Wenes, cadre dirigeant de France Télécom, fait cette déclaration en 2009 sur l’intranet de l’entreprise à la suite d’un suicide. Dès les premières lignes du communiqué, se glisse l’interprétation officielle de la direction : les suicides sont des cas isolés de salariés qui ont des problèmes personnels ; à d’autres occasions, elle évoque même leur fragilité psychologique. Plus clairement dit, ces tristes évènements n’ont rien à voir avec le travail et l’entreprise n’est pas responsable. Mais d’autres ne sont pas de cet avis, en particulier l’Observatoire du stress qui compte le suicide au nombre de ses sujets d’étude. Un recensement de cet organisme en août 2009 fait état de 23 suicides et 12 tentatives de suicides de janvier 2008 jusqu’en août 2009. Selon les analyses de l’Observatoire, ces suicides sont en lien avec les conditions de travail : pressions répétées au départ, à la mobilité, intensification de la charge, dévalorisation, individualisation. Plusieurs ont lieu dans les locaux professionnels. Selon le psychanalyste C. Dejours38, c’est un élément qui met nécessairement en cause le contexte du travail car ce type de suicide « est lié à la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l'évaluation individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. 39 » Un autre élément qui fait lien avec l’entreprise, ce sont les lettres laissées par certains. « Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause. Urgence permanente, surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise. Management par la terreur ! Cela m’a totalement désorganisé et perturbé. » Ce sont les premiers mots d’une lettre laissée après un suicide en juillet 2009. Quand les salariés survivent, ils mettent en cause l’entreprise ; l’entourage professionnel témoigne souvent dans le même sens. On note aussi que plus de la moitié de ces actes – suicides ou tentative - sont commis par des fonctionnaires techniciens quinquagénaires, ceux qui ont particulièrement souffert de la dévalorisation de leur métier et des reconversions forcées dans les fonctions commerciales. Enfin, la responsabilité de l’entreprise se manifeste également par la carence organisée du réseau des ressources humaines et du réseau médicosocial, pour des raisons d’économie. L’une des victimes, de retour d’un arrêt maladie, n’avait pas passé dans l’entreprise ses deux visites médicales obligatoires : la visite systématique tous les deux ans et celle qui doit se faire de retour d’un congé maladie supérieur à 21 jours. Les enquêtes effectuées par l’Observatoire, les alertes des médecins du travail, les expertises effectuées à la demande des CHSCT montrent qu’il existe un lien entre le travail et la souffrance et le risque fort qu’elle mène à des actes désespérés. 38 39 Directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l’action au C.N.A.M. Le monde.fr, article de C. Aizicovici, le 13 août 2009 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 20/20 Que faire contre le stress ? Cellule d’écoute et médecine du travail C’est en 2007 seulement, après 11 ans de privatisation intensive, que la direction de France Télécom semble vouloir reconnaitre le malaise de son personnel. Prenant exemple sur ce qui se fait dans d’autres entreprises, elle annonce la création de ce qui, selon elle, reste jusqu’à présent la preuve essentielle de son implication : les cellules d’écoute, onze au total, réparties sur tout le territoire. Leur composition est laissée à l’initiative des directions locales mais doit comprendre un médecin du travail, un assistant social, un représentant RH et deux représentants de salariés choisis. L’objectif de la cellule est d’« accueillir les demandes de personnes en situation de mal être ou de souffrance au travail, faire un diagnostic le plus juste possible de la situation, rechercher des solutions individuelles pouvant être innovantes. » La recherche de « solutions individuelles » manifeste la position officielle de la direction sur l’origine du mal être : les situations de conflit ou de stress sont des phénomènes liés aux personnalités en cause ou à des problèmes privés qui viennent « polluer » la vie professionnelle. Le Dr. Fraysse-Guiglini, médecin du travail n’est pas de cet avis. Cette cellule, constate-t-elle, s’appuie sur deux postulats, "le premier postulat est que la souffrance au travail est liée à un conflit (ex. salarié/manager) et la cellule va donc s’attacher à résoudre ce conflit en s’interposant comme médiateur entre les deux parties." Le deuxième postulat est que "le conflit est lié soit à une personnalité difficile de l’un des protagonistes (…) ou encore à une personnalité dangereuse.40” Pour le Docteur, ce type d’instance ne convient pas à France Télécom, car ce qui fait souffrir les salariés, ce ne sont pas des relations personnelles tendues avec leur manager et qui s’expliqueraient par le caractère excessif de l’un ou de l’autre, ce sont bien plutôt ”les réorganisations et restructurations qui se succèdent à un rythme soutenu quand elles sont mal accompagnées et qu’elles entraînent la perte du métier ou des savoirs faire niant alors l’identité professionnelle.” Ce sont aussi “les fermetures de services et de site qui obligent à des reconversions ou des relocalisations géographiques qui peuvent être douloureuses.” Alors que la direction garantit la confidentialité des échanges qui se font au sein des cellules, l’Ordre des médecins écrit : « Depuis quelque temps, fleurissent des cellules d’écoute dont bon nombre ont des pratiques qui nous paraissent condamnables.41» Notamment, précise-t-il, parce qu’elles ne respectent pas le secret médical. A France Télécom, six médecins42 ont refusé de participer à ces cellules pour des raisons déontologiques, mai aussi parce que c’est à leur poste qu’ils se sentent le plus à même d’agir. « En tant que médecins du travail de la DTCE, nous vous alertons régulièrement de l’impact sur la santé des salariés des réorganisations et des évolutions mises en place dans l’entreprise, écrivent-ils à leur direction." Ils pensent "plus judicieux d’engager la réflexion sur les organisations de travail afin d’essayer de repérer en quoi elles génèrent du mal-être, des difficultés. » 40 Lettre d’un médecin du travail à propos des cellules d’écoute à France Télécom, in « Orange Stressé », brochure de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées France Télécom – Orange, p. 141 41 Revue Médecins, N°5, juin 2009 42 A la Direction Territoriale Centre Est Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 21/21 Depuis plusieurs années, bon nombre de médecins à France Télécom ont multiplié les alertes sur la souffrance au travail. Plusieurs réclament des moyens supplémentaires et notamment, plus de temps pour recevoir et écouter les salariés ; mais surtout, ils demandent une politique de prévention qui intervienne en amont sur l’organisation générale du travail ; à l’opposé des cellules d’écoute qui laissent au salarié la responsabilité de se manifester, n’interviennent qu’une fois les dégâts installés et reportent la solution sur les individus puisque les causes sont en eux ou dans leur vie privée. Mais la direction de FT fait la sourde oreille. « Nous ne nous sentons pas écoutés par notre direction, écrit le Dr. S. Rochdi43, ne serait-ce qu’au travers des conclusions de nos rapports annuels d’activité et/ou de nos demandes légitimes de mise en conformité de nos locaux médicaux ». Les médecins eux-mêmes isolés sur différentes périmètres géographiques, débordés par l’ampleur de leur tâche et le manque de moyens, ont des difficultés à fédérer leurs travaux et leurs réflexions. Le personnel et les représentants du personnel C.E. et CHSCT 44 : une lutte continue Sur le plan social, l’année 2005 constitue une étape importante à France Télécom. Auparavant, encore cadré par la réglementation publique, le dialogue entre les syndicats et la direction se limitait essentiellement à la négociation d’accords et de conventions ; concernant sa stratégie et ses impacts sociaux, la direction n’avait aucune obligation d’en rendre compte aux organisations syndicales et se contentait de les informer à l’occasion. La mise en place, en 2005, des instances de représentations du personnel telles qu’elles sont définies par le code du travail va lui imposer des contraintes fortes et ouvrir potentiellement autant d’espaces de dialogue social que d’instances représentatives. On trouve ainsi dans l’entreprise, notamment, un Comité Central d’Entreprise, 21 Comités d’Etablissements (CE) et environ 400 CHSCT qui, heureusement s’adaptent à la situation sociale particulière de l’entreprise et ont vocation à représenter autant les fonctionnaires que les salariés de droit privé. La direction de France Télécom s’est vue ainsi obligée de présenter les éléments importants de la vie de l’entreprise – en particulier les restructurations et les fermetures de site – au Comité central, aux CE et aux CHSCT, de s’en expliquer, de livrer les informations demandées et d’attendre leur avis avant application. Mais, elle a aussi vite compris qu’elle pouvait se permettre soit d’ignorer la loi, soit de « jouer le jeu » sans pour autant faire des représentants du personnel de véritables partenaires sociaux. On ne compte plus le nombre de fois où elle « oublie » d’informer ou de consulter les CE et les CHSCT. Lorsqu’elle le fait, sa règle est de ne pas tenir compte de leurs avis et de leurs propositions. Il arrive très souvent – en toute illégalité - qu’elle mette en place ses projets avant que la procédure de consultation des représentants soit terminée. Autre pratique : le « saucissonnage ». L’entreprise découpe ses restructurations en projets plus petits ; cette tactique permet de les soustraire plus facilement au contrôle ou de saturer des CE déjà débordés ; il empêche une vision d’ensemble et la compréhension des objectifs à moyen et long terme. 43 Interview ; site de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom – Orange, octobre 2007. A démissionné en septembre 2007. 44 Comité d’Etablissement et Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de travail Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 22/22 En conséquence, les procès intentés à la direction par les instances de représentation du personnel sont continus et, dans la grande majorité des cas, ils sont gagnés. Et la direction n’est pas en reste. Tirant profit de leurs droits, les CHSCT font souvent appel à un expert pour les aider à évaluer les impacts d’une réorganisation ou d’une fermeture de site sur les conditions de travail, sur la santé. L’entreprise conteste ces décisions devant les tribunaux de manière systématique, arguant que les réorganisations n’ont pas d’incidence sur les conditions de travail. A une ou deux exceptions près, elle les perd. Le caractère systématique des contestations dans toutes les directions rappelle une fois encore que la politique de l’entreprise dans ses relations sociales est arrêtée en haut lieu et déclinée à l’identique dans toutes les directions. Contestation par France Télécom des demandes d’expertises des CHSCT – Quelques exemples récents - Demande d’expertise du CHSCT de l’UIA Paris à l’occasion d’une tentative de suicide début 2009 sur les liens entre organisation du travail et risques sur la santé du personnel ; FT débouté par le TGI de Paris, en mai 2009 - Demande d’expertise du CHSCT de l’Agence Entreprise Ouest Atlantique sur les projets de réorganisation du bas de marché, du milieu de marché et de la plate-forme Arte, en décembre 2008 ; FT débouté par le TGI en février 2009. - Demande d’expertise par le CHSCT du Centre Clients Orange et Renseignements (CCOR) Sud-Ouest Atlantique en avril 2008 sur la souffrance au travail ; FT débouté par le TGI de Bordeaux en septembre 2008. - Demande d’expertise par le CHSCT de l’UI Auvergne en avril 2008 sur un projet de réorganisation de la GTC (Gestion Technique Clients) : FT débouté par le TGI de ClermontFerrand en juin 2008, puis par la cour d’appel en février 2009. Sur le terrain Il existe d’autres types d’actions, collectives ou non ; des manifestations et des grèves locales en relation avec la fermeture d’un site, une restructuration ont lieu en permanence. Elles sont limitées, mais la convergence d’un certain nombre d’éléments peut avoir des conséquences inespérées. Au printemps 2009, l’Observatoire, avec l’appui de ses deux syndicats fondateurs CFE-CGC UNSA et SUD – décide d’une campagne d’information sur les suicides. Ses communiqués sont repris et commentés par la presse quotidienne nationale et régionale, les magazines, par les télévisions, sur de nombreux sites internet généralistes, ciblés, alternatifs… et par les internautes eux-mêmes, souvent des salariés de France Télécom. Ils font largement connaître l’existence de ces événements malheureux – y compris au personnel de l’entreprise – et élargissent l’audience du débat sur le lien entre organisation du travail et stress. A la suite de quoi, M. Barberot, Directeur des Ressources Humaines, promet d’ouvrir des négociations nationales pour décliner l’accord interprofessionnel sur le stress, la possibilité de négocier localement l’accompagnement du personnel lors de réorganisations, de recruter des médecins, des assistantes médicales et des RH de proximité… en précisant toutefois qu’il n’arrêtera pas les mouvements en cours. L’image de FT est en jeu et l’entreprise ne peut plus se contenter d’éluder la question de la souffrance au travail ou de la rejeter dans la sphère privée. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 23/23 Plus concrètement, à Morlaix (Finistère), après deux années de résistance, les salariés du centre d'appel obtiennent gain de cause en juillet 2009 : le transfert de leurs emplois à Brest est abandonné. Cette décision intervient après l'hospitalisation début juin d'un agent pour "traumatisme psychique" provoqué par la lecture d'un document relatif à sa mutation », indiquait la CGT dans un courrier adressé à la direction locale de France Télécom. Celle-ci indique qu’elle a renoncé à ce transfert en raison d'"un risque majeur pour la santé des personnels, et sur recommandation de l'inspection du travail.45 » A Montluçon aussi, la direction abandonne un projet de transfert en reconnaissant les risques psycho-sociaux qu’il présente. C’est la première fois que FT renonce à des projets de réorganisation en reconnaissant les risques associés sur la santé psychique du personnel. En octobre 2009, c’est à Cahors que le projet de fermeture du site et de transfert de l’activité à Montauban est abandonné. L’Inspection du travail venait d’envoyer un courrier à la nouvelle directrice territoriale, relayant un autre courrier du médecin du travail qui mentionnait plusieurs personnes en détresse psychosociale et qui alertait sur le fait qu’une mobilité imposée constituait un élément potentiellement aggravant. Convergence des actions Qu’elles viennent des salariés, médecins ou représentants du personnel, l’entreprise n’est jamais disposée à prendre en compte des résistances qui remettent en cause l’essence même de sa stratégie et ses relations idylliques avec les actionnaires. Mais l’activisme sur le terrain, le travail des représentants du personnel, « l’ingérence » de plus en plus fréquente de l’inspection du travail et de la Caisse d’Assurances Maladie à l’initiative des CHSCT finissent par porter leurs fruits. En même temps, dans la vie de tous les jours, des représentants du personnel, des salariés résistent à l’isolement. Ils s’écoutent, maintiennent leur réseau avec d’autres collègues, échangent leurs informations, décodent le discours de la direction, s’entraident. Ces actions collectives ou individuelles, expertes ou non, qui ramènent la question du malaise au travail sur le terrain des responsabilités de l’entreprise ou qui recréent la solidarité, l’empathie, le respect contribuent chacune à leur façon à (re)donner du sens à la vie professionnelle et à maintenir en chacun l’estime de soi et des autres. Privatisation et promesse sociale - Conclusion Lorsque le gouvernement et la direction de FT se sont solennellement engagés sur le maintien du statut des fonctionnaires au moment de la privatisation de l’établissement public, ils garantissaient l’absence de licenciement, mais ils taisaient volontairement tout le reste à venir : la baisse des effectifs, la flexibilité du personnel, la dévalorisation et la disparition des métiers historiques, l’individualisation. Ces événements étaient prévisibles dans une entreprise qui, pour se transformer en une société cotée en bourse, allait s’appuyer sur l’industrialisation à grande échelle avec ses caractéristiques essentielles : centralisation, standardisation, intensification du travail, organisation par les objectifs à atteindre, augmentation des contrôles. Les politiques et les dirigeants ont utilisé l’absence de licenciement et la réussite économique et financière de 45 Le Télégramme, 1er aout 2009 Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 24/24 l’entreprise pour donner d’elle une image positive et l’entretenir assidument, quitte à travestir par le discours et les déclarations appropriées les réalités sociales de leur politique. L’Etat, présent dans le capital ne fait pas contrepoids, il se comporte comme un actionnaire privé : il tire les profits financiers de la transformation sans état d’âme et fait même voter les lois qui favorisent ses intérêts d’actionnaire, en particulier sur le point crucial du statut des fonctionnaires. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 25/25 La Loi du 31 décembre 2003 leur ouvre la possibilité d’opter pour le statut de salarié de droit privé. Une modification des textes relatifs à la Fonction publique d’Etat votée en 2009 ajoute que le fonctionnaire dont l’emploi a été supprimé peut « être placé en situation de réorientation professionnelle ». Autrement dit, il faudrait changer de métier. Dans quelles conditions ? Ces lois et d’autres vont dans le même sens : faciliter la réduction des effectifs et leur flexibilité. En même temps, elles multiplient insidieusement pour les fonctionnaires le risque de perdre leur statut ou leur emploi et leur traitement ; elles ouvrent ainsi, de plus en plus, la voie au licenciement. Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom-Orange 26/26