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Groupement de Recherches Economiques
et Sociales
http://www.gres-so.org
IFReDE
&
LEREPS
Université Montesquieu-Bordeaux 4
Université des Sciences Sociales Toulouse 1
Cahiers du GRES
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire
urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de
mauvais appariement spatial ?
Frédéric GASCHET, Nathalie GAUSSIER
IFReDE-IERSO – GRES
Université Montesquieu Bordeaux IV
Avenue Léon Duguit
33608 PESSAC
[email protected]
[email protected]
Cahier n° 2003 - 14
Décembre 2003
Cahier du GRES 2003-14
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise:
quelle portée pour l'hypothèse de mauvais appariement spatial ?
Résumé
Cet article propose de tester la portée de l'hypothèse de mauvais appariement spatial sur
l'aire urbaine de Bordeaux. A partir d'une synthèse théorique de l'articulation
ségrégation urbaine-marchés locaux du travail, nous développerons un cadre d'analyse
permettant de mieux appréhender le rôle de la distance dans l'appréciation du mauvais
appariement spatial. Les résultats obtenus confirment l'existence d'effets différenciés de
friction spatiale, tout en soulignant leur impact limité sur les taux de chômage locaux.
Les effets de ségrégation urbaine et d'accès limité à la mobilité possèdent un pouvoir
explicatif plus important.
Mots-clé : Ségrégation résidentielle, mauvais appariement spatial, mobilité, chômage
Residential segregation and local labor markets within the Bordeaux
metropolitan area : which range for the spatial mismatch hypothesis?
Abstract
This article aims at providing a test of the spatial mismatch hypothesis on the Bordeaux
metropolitan area. Starting with a theoretical survey of the complex links between
residential segregation and local labor markets, we then propose a framework allowing
for a better understanding of the impact of physical distance on spatial mismatch. The
results confirm the existence of somewhat different effects of spatial friction depending on
the distance, but also underline the limited effect of spatial mismatch on local
unemployment rates. Factors such as the socio-economic composition of population and
mobility access have a more important explanatory power.
Keywords: residential segregation, spatial mismatch, mobility, unemployment
JEL : J15, J41, R14
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
Introduction
Cet article s'inscrit dans la lignée des travaux visant à évaluer la pertinence de
l'hypothèse de mauvais appariement spatial comme principe explicatif des phénomènes de
chômage massif et de pauvreté urbaine -voire de "ghettoïsation"- qui caractérisent certains
espaces urbains, objets des géographies prioritaires développées dans le cadre de la politique
de la ville en France.
La « spatial mismatch hypothesis » a été proposée pour la première fois par J. Kain
(1968) pour expliquer les taux de chômage particulièrement élevés des populations noires
résidant principalement dans le centre des villes américaines : elle articule le fonctionnement
du marché du logement à celui des marchés urbains du travail. L'explication proposée par
Kain opposait le processus de suburbanisation des emplois dans les grandes agglomérations
américaines à l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les populations des centres américains
d'accéder aux marchés résidentiels suburbains, cette situation réduisant ainsi fortement la
capacité de ces populations à saisir les opportunités d'emploi périphériques. La littérature
américaine reste d'ailleurs très marquée par ce rapprochement entre d'une part les mécanismes
de ségrégation résidentielle enfermant les populations de couleur dans les quartiers centraux
et d'autre part l'opposition entre les forts taux de chômage centraux et l'importance des
créations d'emplois dans les zones suburbaines.
Cette hypothèse fondatrice est aussi au cœur des programmes de recherche conduit à
partir des années 70 en Grande-Bretagne : les Inner Area Studies ont étendu la réflexion à
l'ensemble des populations à faibles revenus résidant dans les centres (Cheschire, 1979,
1981). La décentralisation des emplois vers les périphéries renforce la baisse de la demande
de travail dans les zones centrales. Le mauvais appariement s'étend aussi aux qualifications
professionnelles. Les populations des zones de chômage élevé sont en effet celles où les
caractéristiques des populations sont les plus défavorables : qualification faible, âge, structure
familiale...Les arguments développés dans les Inner Area Studies tendent à reconnaître aux
frictions spatiales un rôle primordial dans le fonctionnement des marchés urbains du travail et,
par conséquent, à admettre l'existence de « marchés locaux intra-urbains ». Cette
interprétation des différentiels de taux de chômage intra-urbains débouche sur des
recommandations politiques axées sur la dynamisation des zones les plus affectées : politiques
de développement local et politiques de qualification de la main d'œuvre (Needham, 1981)
mais aussi politiques urbaines et de transport visant à augmenter l'accessibilité des
populations fragilisées aux nouveaux pôles d'emplois suburbains (Hugues, 1995). Les
solutions à apporter seraient avant tout locales et localement déterminées. Il s'agit de favoriser
l'implantation (ou la relocalisation) d'emplois là où la demande de travail est insuffisante tout
en favorisant « l'employabilité » des populations concernées.
Nous retrouvons à l'évidence certains des principes qui ont présidé à la définition des
Zones Franches Urbaines en France, où des résultats empiriques de même nature ont été
obtenus : « les quartiers relevant de la Politique de la Ville comptent davantage de chômeurs
que la moyenne, et cela à tous les niveaux de la hiérarchie sociale, des cadres aux ouvriers
non qualifiés » (Tabard, 1993, p 10).
Si la réalité des processus de ségrégation des populations pauvres et/ou sous-employées
ne fait guère débat -aux Etats-Unis tout autant qu'en Europe et en France-, la question reste
posée d'évaluer le rôle du mauvais appariement spatial dans ce processus. A l'inverse des
Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, peu d'études se sont encore attachées, en France, à
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
examiner directement le lien entre ségrégation résidentielle et marchés urbains du travail, sauf
concernant l'Ile-de-France (Gobillon et Selod, 2002 ; Wenglenski, 2002). Ce lien prend
nécessairement appui sur une échelle territoriale dont nous proposons ici, dans le cadre d'un
modèle exploratoire sur l'aire urbaine bordelaise, de montrer comment il peut être appréhendé.
Dans un premier temps, nous rappellerons dans quelle mesure les controverses sur
l'hypothèse du mauvais appariement spatial (HMSA) posent la question de la modélisation du
lien entre ségrégation résidentielle et marchés urbains du travail. Nous soulignerons
notamment la complexité de la représentation du MAS et la difficulté de la prise en compte de
la distance aux opportunités d'emplois. Dans un second temps, nous testerons à partir de
l'exploitation de sources ANPE et de la prise en compte de zones d'étendue différentes
l'HMAS. Nous mettrons l'accent sur le rôle que la distance est susceptible de jouer dans
l'appréciation du MAS.
I- Les controverses autour de l'hypothèse de mauvais
appariement spatial (HMAS)
La profusion d'études appliquées a longtemps contrasté avec l'absence d'investigation
des fondements théoriques possibles des mécanismes sous-jacents à l'HMAS (Kain, 1992). Ce
déséquilibre tend à s'atténuer dans la dernière décennie en raison de la publication d'un certain
nombre de travaux de microéconomie urbaine proposant les fondements d'une articulation
théorique entre ségrégation résidentielle et appariement sur les marchés locaux du travail
(Gaschet, 1998 ; Gobillon et al., 2002).
I-1. Les fondements théoriques
L'HMAS articule, dans sa formulation générique, deux logiques de nature différente :
des mécanismes de ségrégation résidentielle et des logiques liées à la friction spatiale sur les
marchés locaux de l'emploi. Plus qu'une présentation exhaustive des fondements théoriques
(voir par exemple Gobillon, Sélod et Zenou, 2002), il s'agit ici de mieux identifier la
complexité des interactions entre ces deux ordres de phénomènes. On distinguera par
conséquent les approches centrées sur la formation des structures ségrégées (1), celles
permettant d'expliquer l'impact de l'accès aux emplois sur les taux de chômage locaux (2), et
enfin certaines hypothèses permettant d'identifier "un effet de ghetto" (3).
I-1.1 Les mécanismes de ségrégation résidentielle
Trois approches peuvent être ici brièvement distinguées.
(i) La première reprend et approfondit la perspective ouverte par la Nouvelle Economie
Urbaine, en identifiant des stratifications par niveaux de revenu dépendant de l'accessibilité au
centre (Fujita, 1989). Cette approche a été enrichie récemment par la prise en compte de
l’existence d’aménités urbaines et péri urbaines dont l’accessibilité contribue à restructurer les
localisations résidentielles par niveau de revenus : ainsi en est-il des aménités liées aux
centres historiques (musées, rues piétonnes, etc …) qui permettent de rendre compte des
disparités de structures résidentielles entre villes européennes et américaines (Brueckner,
Thisse et Zenou, 1999), ainsi que des aménités périurbaines valorisées par les ménages se relocalisant hors des agglomérations (Cavailhés et al., 2003).
4
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
(ii) La seconde rattache l'apparition de villes ségrégées à l'existence d'externalités de
voisinage (Schelling, 1978 ; Bénabou, 1993). Ces travaux renvoient d’ailleurs plus
généralement aux comportements de fuite du centre évoquée dans la littérature américaine
sous le nom de « flight from blight » (Mieszkowsky et Mills, 1993 ; Mills et Lubuele, 1997).
Un flux initial de départs en provenance d'un quartier aux caractéristiques dégradées est
susceptible d'enclencher une dynamique cumulative associant dégradation du cadre bâti et
paupérisation des populations résidentes.
(iii) Enfin, l’apparition de structures ségrégées doit être rattachée à des processus liés à l’offre
de logements. On entend retrouver ici le rôle des politiques publiques dans l’implantation des
logements sociaux et les effets pervers des zonages urbains (Duranton, 1997). Le rôle des
propriétaires privés et des promoteurs dans leur stratégie de discrimination et/ou d’abandon de
certains îlots participe également à ces processus (mécanismes du filtering down et
phénomènes de vacance des logements).
La formation de structures ségrégées ne conduit pas mécaniquement à des phénomènes
de MAS. D'une part, il n'est pas rare de constater l'existence d'espaces ségrégés à proximité de
zones riches en emplois. D'autre part, la forte concentration des chômeurs sur certains espaces
peut résulter uniquement de mécanismes de ségrégation résidentielle, sans référence aux
problèmes d'accessibilité. Le sur-chômage de certains quartiers ne serait alors que le fruit d'un
effet de composition.
I-1.2 L'impact de l'accessibilité aux zones d'emploi comme déterminant
des taux de chômage locaux
Les processus de ségrégation peuvent conduire à un blocage des mobilités
résidentielles. Dans ce cas, la faible accessibilité aux zones d'emplois peut générer un surchômage dans les zones résidentielles ségrégées.
Cette hypothèse se fonde principalement sur trois séries d'arguments relatifs aux coûts
de transport, à l'efficacité de la recherche d'emploi, et à l'impact des segmentations spatiales.
(i)
Les coûts de transport prohibitifs liés aux trajets domicile-travail
En bloquant la mobilité résidentielle des populations, la ségrégation urbaine engendre
une augmentation des coûts de transports liés aux déplacements domicile-travail. Le salaire
net des coûts de transport auquel peuvent prétendre ces populations peut dès lors être inférieur
au salaire de réservation, surtout si les employeurs refusent de les compenser (Brueckner et
Martin, 1997).
L'impact de la distance sera ici amplifié par l'accès réduit à la mobilité des populations
concernées, qu'il s'agisse de la possession d'une automobile ou bien de la qualité de desserte
des transports collectifs. Taylor et Ong (1995) opposent ainsi spatial mismatch et automobile
mismatch, indiquant par là que le problème se situerait essentiellement dans l'accès à la
mobilité et non dans la disponibilité d'emplois au voisinage des zones résidentielles (Mignot
et al., 2001 ; Aguilera et Mignot, 2002). A contrario Martin (2001) évalue l'impact respectif
d'un rapprochement des emplois et d'une aide à la mobilité sur les conditions d'emploi des
populations ségrégées, en concluant, sur la base d'un modèle de simulation, à la supériorité
des politiques d'implantation d'emplois de proximité.
5
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
(ii)
L'impact de la distance sur l'efficacité de la recherche d'emploi
W. Simpson (1982, 1983, 1992) propose d'envisager la question de l'accessibilité aux
emplois en microéconomie urbaine à l'aide de la théorie du job search. Le raisonnement est
fondé sur la seule composante frictionnelle du chômage résultant de la durée de prospection
nécessaire pour s'informer des offres d'emploi et effectuer un choix en renonçant à poursuivre
cette recherche. L'intérêt de l'approche de Simpson est de fonder son analyse sur les modèles
de cycles d'équilibre de Lucas et Phelps. Les travailleurs sont répartis dans des sous-marchés
locaux (les «îles») au sein desquels les coûts de prospection sont nuls. Par contre lorsque la
prospection se fait sur d'autres marchés locaux elle devient coûteuse : collecte de
l'information, temps passé, déplacements...
La durée de prospection peut ainsi être liée à une recherche interne inefficace sur un
marché local et à la nécessité de prospecter d'autres marchés (chocs exogènes...). Il se
produira donc une augmentation du chômage dans les sous-marchés où les conditions locales
sont les plus mauvaises.
La qualification des travailleurs peut aussi jouer sur la taille des marchés et la durée de
prospection. Simpson différencie notamment le comportement des plus diplômés et des moins
diplômés : les premiers ont une zone de prospection plus large du fait de la raréfaction des
offres avec l’augmentation de la qualification et de l’accès à des réseaux personnels ou
professionnels qui n’existent pas ou peu pour les moins diplômés qui se retrouvent captifs des
agences publiques ou des travaux « hors marché ». Les moins diplômés sont par conséquent
plus sensibles aux conditions locales de l'emploi. Simpson conclue qu'il est possible d'atténuer
ce chômage frictionnel en répartissant mieux les emplois au sein de l'espace urbain.
La différenciation des comportements de prospection suivant la qualification peut être
rapprochée de l'étude des réseaux d'information utilisés par différents types de chercheurs
d'emploi. La notion de marché local de l'emploi pourrait alors s'appuyer sur l'usage de réseaux
d'information informels et circonscrits dans l'espace, auxquels des techniques de recherche
d'informations plus formelles ne pourraient être facilement substituées Rogers (1997).
(iii)
Le rôle des segmentations spatiales
Reconnaissant la persistance de zones de très fort chômage dans des aires
métropolitaines affichant par ailleurs de très fortes créations d'emplois, Boyle (1998) propose
de modéliser le fonctionnement des marchés du travail comme la superposition de deux types
de systèmes d'emplois radicalement différents pouvant amplifier les processus de
segmentation spatiale : le marché régional/métropolitain, dynamique et ouvert aux emplois
qualifiés, pourrait ainsi entrer en compétition avec des marchés locaux plus fermés dans les
lesquels les actifs utilisent une information de proximité sur les opportunités d'emploi. Les
zones les plus en difficulté seraient ainsi déconnectées de la dynamique métropolitaine de
l'emploi.
On distingue dans la littérature deux mécanismes associés à cette segmentation
spatiale :
- Un effet d'éviction selon lequel les créations d'emplois donnent lieu à des migrations de la
main d'œuvre métropolitaine composée d'actifs très mobiles recherchant les meilleures
opportunités d'emploi au détriment des populations « captives » localisées à proximité de
ces emplois. Ainsi les créations d'emploi peuvent être satisfaites par un afflux de migrants
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Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
au détriment des populations locales, dont le taux de chômage n'est pratiquement pas
affecté1.
- Un effet de captivité selon lequel les populations ayant un emploi sur les micro-marchés de
proximité ne peuvent accéder aux opportunités d'emploi plus importantes offertes par le
marché régional (et notamment suburbain). Cette mobilité contrainte, tant professionnelle
que géographique, rejaillit sur les populations sans emploi qui ne peuvent profiter des
opportunités d'emplois libérées par les actifs déjà employés.
I-1.3 Ségrégation résidentielle et "effet ghetto"
La ségrégation résidentielle peut enfin être associée à un "effet ghetto" : la
concentration des populations à faible revenus dans certains quartiers peut engendrer un surchômage indépendamment de la distance aux emplois. On retrouve ici deux types de
mécanismes:
(i) Les effets de discrimination territoriale à l'embauche (redlining) (Zenou et Boccard,
2000)
(ii) La production d'externalités négatives de voisinage transitant par les interactions
sociales au sein des zones résidentielles ségrégées.
La littérature illustre notamment :
-
L'impact d'une faible mixité sociale sur le déroulement de la scolarité : les
phénomènes de contournement de la carte scolaire peuvent être associés à une dégradation
des résultats des enfants scolarisés dans les quartiers ségrégés (Arnott et Rowse, 1987 ;
Sélod, 2002).
-
La faiblesse des réseaux sociaux mobilisables dans la recherche d'emploi (O'Reagan et
Quigley, 1998)
-
L'effet de concentration conduisant, au delà d'un certain seuil, à l'imitation des
comportements déviants : Crane (1991) a développé une théorie "épidémique" de la
formation des ghettos urbains, en insistant sur l'effet de contagion des problèmes sociaux et
leur diffusion cumulative à travers les interactions de voisinage.
I-1.4 Synthèse
Les différentiels intra-urbains de chômage peuvent être imputés à trois effets :
(i)
Un effet de ségrégation résidentielle pure : le sur-chômage de la zone considérée est
uniquement du à un effet de concentration de populations au chômage : on retrouve ici
le double effet de la ségrégation sur le marché du logement et l'effet de composition de
la population active résidente.
1
BARTIK (1991) estime, dans le cas de Chicago, que 78% de la croissance de l'emploi profite à ce type de
populations, 6% seulement de ces emplois créés étant destinés aux populations locales inscrites au chômage.
7
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
(ii)
Un effet de mauvais appariement spatial : en bloquant la mobilité résidentielle des
populations à faible revenus, la ségrégation urbaine produit un éloignement entre
résidence et emploi qui augmente la friction spatiale.
(iii)
Un effet "de ghetto" : s'il y a bien production d'un sur-chômage spécifique à la zone,
ce dernier n'est pas directement lié à l'accessibilité physique aux emplois.
Il faut par ailleurs noter que l'effet de MAS doit être, à proprement parler, distingué des
phénomènes d'accès limité aux moyens de transport (motorisation, transport en commun),
même si ces mécanismes interagissent.
Dans la suite de ce travail, expérimenté sur une aire urbaine, nous nous attacherons
uniquement aux deux premiers effets, laissant l'identification d'un effet de ghettoïsation à des
investigations ultérieures2.
I-2. Comment mesurer l'effet du MAS ?
Deux catégories de tests ont été développées dans la littérature. Nous montrerons
toutefois que les tests fondés sur la mesure des durées de déplacements sont peu valides. En
conséquence nous nous attacherons davantage aux conditions de formulation adéquate de
l'utilisation de mesures directes de l'accessibilité aux emplois.
I-2.1 La faiblesse des tests fondés sur les déplacements domicile-travail
Sur la base de l'intuition de Kain, plusieurs travaux ont avancé l'hypothèse selon
laquelle la vérification de l'HMAS implique d'identifier des distances/temps de déplacements
plus longs pour les populations victimes des processus de ségrégation.
Cette méthodologie conduit toutefois à des conclusions contradictoires. Mc Lafferty et
Preston (1996) de même que Gabriel et Rosenthal (1996) trouvent une vérification de
l'HMAS dans l'allongement des durées de déplacements des minorités. A l'inverse, Gordon et
al. (1989) n'identifient aucun effet significatif, de même que Taylor et Ong (1995).
Ihlanfeld et Sojkist (1998) relèvent deux sources de biais possibles :
(i)
La longueur des déplacements des ménages urbains est étroitement liée à leur
revenu: c'est là d'ailleurs une des conclusions du modèle monocentrique standard.
(ii)
Le MAS peut ne pas produire d'allongement des distances domicile-travail si
l'inadéquation des modes de transport (taux de motorisation, transports publics) rend
impossible l'accès aux emplois trop éloignés.
Il faudrait ajouter d'ailleurs que l'allongement des distances de déplacements peut être
liée, pour les populations non ségrégées, à la recherche d'aménités résidentielles localisées.
Mais la critique la plus définitive est formulée par DeRango (2001) qui montre, sur la
base d'un exemple fictif, que le MAS peut produire aussi bien un allongement qu'un
2
Ce type d'analyses sera conduit à partir de données infra-communales, plus appropriées.
8
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
raccourcissement des distances domicile-travail, selon le taux de décroissance du nombre
d'opportunités d'emplois avec la distance à la zone de résidence.
I-2.2 L'utilisation de mesures directes d'accessibilité aux opportunités
d'emplois
Les premières tentatives de vérification de l'HMAS sur la base d'une mesure directe de
l'accessibilité aux emplois souffrent d'un certain nombre d'insuffisances. Certaines de ces
études sont en effet fondées sur des mesures trop globales des déséquilibres centre-banlieue.
De même l'utilisation de mesures d'accessibilité aux emplois pondérée par la distance s'avère
insuffisante : elle ne permet de capter l'effet de concurrence sur les marchés locaux du travail.
D'autres d'études plus récentes utilisent, comme mesure indirecte de l'accessibilité aux
opportunités d'emplois les temps de déplacements moyens des actifs ayant un emploi dans la
zone dont on cherche à expliquer le taux d'emploi : la méthode repose sur l'hypothèse selon
laquelle si des emplois sont disponibles à proximité, les temps de trajets des actifs occupés
devraient être plus courts. Cette méthode, initiée par Ihlanfeld et Sojkist (1990), conduit le
plus souvent à des résultats fortement significatifs3. Elle est néanmoins soumise à de
nombreuses critiques. D'une part, les durées moyennes sous-estiment les différences
d'accessibilité, les résidents pouvant être contraints dans leurs possibilités de mobilité. D'autre
part, cette méthode conduit à ignorer, par construction, la nature très ou peu qualifiée des
emplois dont les distributions ne sont pas nécessairement comparables.
La prise en compte de l'accessibilité aux opportunités d'emplois repose sur trois
exigences4 :
(i)
Intégrer les effets de compétition locale pour l'emploi. La seule prise en compte de
l'accessibilité des résidents aux emplois ne tient pas compte des densités résidentielles
et demande de mobiliser les taux d'emplois par actif résident.
(ii)
Considérer l'adéquation des emplois offerts avec les qualifications détenues par les
résidents. C'est à ce type de démarche que se rattache la mesure de l'écart entre les
distributions des CSP des actifs au lieu de travail et au lieu de résidence effectuée par
Tabariés (1997) sur plusieurs zones de la région parisienne afin de différencier la
dynamique des différents espaces de l’agglomération, et notamment l’opposition entre
l’est et l’ouest.
(iii)
Mesurer directement, autant que possible, les opportunités d'emplois et non l'emploi
total, qui peut être relativement peu corrélé avec le nombre d'offres d'emplois au cours
d'une année (Ihlanfeld et Sojkist, 1998).
Le travail d'Immergluck (1998) satisfait aux deux premiers critères. Il définit les taux
d'emploi des populations sur de très petites zones résidentielles tout en adoptant des aires
d'emploi beaucoup plus larges pour chacune de ces zones, se rapprochant ainsi du concept
« d' employment field » proposé par Harris et Bloomfield (1997). Il peut ainsi traiter le
rapport emplois/résidents comme variable exogène au taux d'emploi de chaque zone
résidentielle. Immergluck montre ainsi sur Chicago, que le niveau de l'emploi, pris isolément,
n'a qu'un impact modéré sur les taux d'emploi locaux. Il ne devient déterminant que combiné
3
4
voir le survey de Ihlanfeldt et Sojkist (1998).
voir le survey de Ihlanfeldt et Sojkist (1998).
9
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
à un rapport emplois/résidents favorable ainsi qu'à une relative adéquation entre les emplois
offerts et les qualifications des résidents de la zone.
Le travail d'Immergluck, comme d'ailleurs celui de Cooke (1996), ne remplissent
toutefois pas la troisième condition. Raphaël (1998) de même que Rogers (1997) proposent
d'utiliser l'emploi en taux de variation, et obtiennent des résultats beaucoup plus significatifs
que ceux obtenus avec l'emploi en niveau: le motif en serait une meilleure capture du
potentiel réel des opportunités d'emploi. Raphaël (1998) confirme d'ailleurs que les résultats
deviennent non significatifs ou de faible intensité lorsque qu'il utilise les variables d'emploi en
niveau.
II- Test de l'HMAS sur l'aire urbaine de bordeaux
L’aire urbaine bordelaise produit un cadre d’analyse intéressant pour tester les
arguments théoriques de l’hypothèse de MAS. D’une part, il s’agit d’un espace sur lequel le
chômage et l’offre d’emploi sont caractéristiques de phénomènes de ghettoisation, de
« trappes » et de zones de friction dont la tension peut se comprendre à l’aide des temps de
transport à la ville centre (Gaussier, Lacour, Puissant, 2003) ou d’un effet d’appartenance à
des territoires urbains de nature institutionnelle comme la CUB et l’agglomération bordelaise
(Puissant, Gaussier, 2000, 2001). D’autre part, il s’agit d’un espace pour lequel nous
disposons simultanément, à l’aide de l’association des fichiers de l’ANPE et de ceux de
l’INSEE en 1999, de données communales détaillées sur le fonctionnement et les
caractéristiques des marchés locaux du travail qui permettent de répondre aux exigences
empiriques associées à l’HMAS quant à la prise en compte et la mesure de l’accessibilité aux
opportunités d’emplois.
II-1. Le modèle testé et les données
Pour envisager l’HMAS, nous avons posé les bases d’un modèle exploratoire qui vise à
mettre en évidence l’influence de la distance sur les taux de chômage communaux à partir
d’une représentation du fonctionnement des marchés locaux du travail. Après avoir présenté
la structure du modèle, nous détaillerons les sources de données à partir desquelles il sera
testé ainsi que les variables explicatives finalement retenues.
II-1.1 Modèle et hypothèses
Sur la base des fondements théoriques précédents, nous proposons de tester le rôle de
l’effet de ségrégation résidentielle pure et celui associé à une friction spatiale issue d’un
mauvais appariement. La spécificité du modèle tient à la volonté d’expliquer le niveau des
taux de chômage communaux avec et sans variables de friction (II-1.1.1) et de montrer le rôle
de la distance dans l'appréciation du MAS (II-1.1.2).
II-1.1.1 La structure du modèle
Le modèle global vise à comprendre le niveau des taux de chômage communaux à partir
d’un faisceau de variables regroupant un ensemble de caractéristiques que pose la littérature
sur l’HMAS. Ces variables sont regroupées selon des thèmes dominants qui appartiennent à la
mise en évidence d’un effet de ségrégation résidentielle pure (SRP), d'un effet de mobilité
contrainte (MC) et d’un effet de Mauvais Appariement Spatial (MAS) :
10
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
Taux de chômage = f ( SRP, MC, MAS)
• La SRP décrit à la fois les mécanismes de ségrégation sur le marché du logement et
les caractéristiques des populations ségrégées. On retient :
(i)
la nature des logements comme la part de HLM, la part de propriétaires, la part de
résidences individuelles ou le pourcentage d’emménagement antérieurs à une date
donnée. On s’attend à ce que ces variables jouent positivement sur le taux de chômage
en captant les contraintes pesant sur la localisation résidentielle des populations les plus
exposées au risque de chômage.
(ii)
Les caractéristiques de la population comme le sexe, l’âge, la formation ou le
revenu des ménages. On s’attend à ce que le chômage soit positivement corrélé avec des
proportions importantes de population jeunes, peu diplômées et au revenu modeste. La
place des femmes sur le marché du travail pourra aussi être questionnée.
• L’accès à la mobilité (MC) souligne la capacité limitée des ménages à se déplacer
(leur équipement en automobiles par exemple) ou celle des actifs occupés à utiliser différents
modes de déplacement comme la voiture, les transports en commun ou à combiner différents
modes de transport. On s’attend à ce que ces variables jouent elles aussi positivement sur le
taux de chômage en caractérisant de véritables freins à la mobilité pour les ménages non
équipés en voiture par exemple.
• Pour capter l’effet du MAS, nous avons sélectionné deux variables indépendantes,
l’une relative aux opportunités d’emplois et représentée par la tension offres d’emplois /
demandes d’emplois, l’autre liée à l'appariement professionnel sur ces marchés et représentée
par le taux d’emplois appartenant aux PCS ouvriers ou employés par actif résident de même
PCS.
On s’attend à ce que la tension (O/D) joue négativement sur le taux de chômage
communal dans la mesure où plus la tension est élevée, plus les demandeurs d’emploi
localisés dans cette zone devraient avoir de choix parmi les offres enregistrées. L'utilisation
d'une statistique d'offre, et non de statistiques d'emploi global en niveau ou en variation,
permet de disposer d'un indicateur direct d'opportunités de postes ouverts. La spécification
d'un ratio offre/demande permet de capter l'effet de concurrence locale pour l'obtention d'un
emploi, comformément aux remarques précédentes.
De la même façon, on s’attend à ce que les taux d’emplois par actif résident ouvriers ou
employés (E/A) jouent négativement sur les taux de chômage communaux, en soulignant
ainsi le rôle de l’ancrage territorial des marchés locaux du travail dans les processus
d'appariement professionnel pour les actifs les moins qualifiés. Plus le taux d’emplois pour les
faibles qualifications augmente, plus les potentialités d’emplois peuvent être élevées dans la
zone considérée et induire une baisse du taux de chômage. Nous reprenons ainsi à notre
compte l'hypothèse d'une sensibilité plus forte des catégories les moins qualifiées au MAS,
ainsi que l'importance d'un bon appariement local en termes de qualifications, en plus de
l'appariement global.
11
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
II-1.1.2. La prise en compte de la distance et les variables d'appariement
spatial
Suivant le raisonnement de Simpson (1992) et d’Immergluck (1998), nous proposons de
traiter la question de l’accessibilité aux emplois (emplois au lieu de travail) et aux
opportunités d’emploi (offres enregistrées) à l’aide de la définition de zones qui constituent
une représentation, selon leur étendue, des marchés locaux du travail. Si l’on suppose en effet
que ces zones sont parfaitement étanches –Simpson reprend les îles de la parabole de Phelps-,
en considérant qu’il est moins coûteux en transport et en recherche d’information de chercher
un travail proche de son lieu de résidence, alors il devient nécessaire de tester l’influence de
« petites aires » sur le taux de chômage communal. Pour ce faire nous avons défini des aires
circulaires de rayon identiques centrées sur chacune des communes et susceptibles de contenir
les déterminants de zonages locaux du travail.
Compte tenu de l'importance accordée à l'effet de la distance dans la formulation de
l'HMAS, il est surprenant de constater l'absence de tentative d'appréciation de l'intensité du
MAS suivant la distance considérée. Certaines études utilisent un zonage calqué sur celui des
zones de résidence (Gobillon et Sélod, 2002). D'autres utilisent une aire d'emplois potentiels
plus large que la zone de résidence mais fondée sur une distance fixe : Immergluck (1998)
utilise ainsi des aires de 2 miles de rayon. Une dernière catégorie d'études mobilise des
mesures gravitaires de l'accessibilité, en pondérant les opportunités d'emplois par la distance
à la zone de résidence, le coefficient de friction spatiale retenu demeurant néanmoins fixe
(Rogers, 1997).
L’originalité de notre raisonnement consiste donc à définir des aires circulaires de plus
en plus larges pour mesurer l’impact de ces variables sur les taux de chômage communaux.
Ces zones ont été définies selon un pas croissant de 2.5 Km jusqu’à l’étendue de 15 km. Bien
que ce pas soit arbitraire, cette mesure permet de délimiter des zonages "locaux" au sens où ils
restent de taille inférieure au marché régional5. L’intérêt de la démarche réside dans la volonté
de mettre en évidence le rôle de la distance sur le MAS. Les limites que pose actuellement
cette approche sont de trois ordres :
-
D’une part, la distance considérée est une distance à vol d’oiseau, sans lien direct avec
la structure (directions, coûts) des mobilités développée sur ce territoire.
-
D’autre part, il existe des effets de bords inhérents à la définition du territoire d’étude
et dont il conviendra d’appréhender plus avant l’effet.
-
Enfin, plus la distance est élevée, plus l'ensemble des zones concentriques, centrées
sur chaque commune, tendent à converger.
En conclusion ce sont 28 variables qui ont été construites pour expliquer a priori, et
selon les hypothèses théoriques formulées, l’HMAS.
5
Cette distance est compatible avec la durée moyenne perçue des déplacements en voiture qui s'établit à 18
minutes en 1998, selon l'enquête Transports de l'INSEE.
12
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
II-1.2 Les données utilisées
La base de données construite pour estimer l’hypothèse de MAS est constituée, pour
l’année 1999, de données relatives à l’aire urbaine bordelaise selon la définition du zonage en
aire urbaine de l’INSEE en 1999. Elle décline donc des caractéristiques de population,
d’emplois et d’actifs pour l’ensemble des 210 communes de l’aire urbaine constituée d’un
pôle urbain que l’on peut associer aux 51 communes de l’agglomération bordelaise et à une
couronne périurbaine, formée suivant la définition de l’INSEE, de communes rurales ou
d’unités urbaines dont au moins 40% de la population résidente ayant un emploi travaillent
dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.
L’intérêt de notre démarche réside dans le croisement de trois sources de données
communales :
- Les coordonnées des communes repérées à partir du logiciel MAPINFO, considérées
comme le centre d’aires circulaires de rayon k kilomètres permettant de définir les zones à
partir desquelles le rôle de la distance sera étudié. Le repérage des zones, selon des distances
euclidiennes, présente l’avantage d’envisager l’hypothèse de MAS dans la distance, mais il
laisse de côté la question de l’existence et du déroulement de logiques institutionnelles
spécifiques ou celle de l’existence de directions de déplacement privilégiées, autorisées ou
renforcées par la présence d’une infrastructure routière par exemple. La distance n’apparaît ici
que dans sa dimension structurante d’un espace dont les propriétés sont identiques quel que
soit le lieu considéré.
- Les données issues de l’exploitation principale et complémentaire du Recensement
Général de la Population de l’INSEE, permettant d’appréhender, selon différentes
caractéristiques, la population active et les emplois pour mettre en évidence la disjonction
entre les lieux de résidence et de travail, des caractéristiques sur le logement ou encore les
modalités de transport de la population active occupée.
- L’usage de données de l’ANPE concernant l’offre et la demande d’emploi par
commune présente l'avantage de fournir un indicateur direct des opportunités d'emplois
offertes au cours d'une période. Elle souffre en contrepartie de leur dépendance vis-à-vis du
dispositif de déclaration (inscription et enregistrement) à l’ANPE. Le nombre de chômeurs et
le taux de chômage correspondent aux Demandeurs d'Emploi en Fin de Mois de catégories6 1
et 6 déclarés auprès de l'ANPE au 31 décembre 1999. Ces données nous limiteront donc à une
analyse d’une population au chômage très spécifique qui laisse de côté les demandeurs à la
recherche de contrats à durée déterminée, l’intérim ou encore les demandeurs très qualifiés
par exemple. Si les DEFM sont des stocks, les données d’offre quant à elles sont des flux, et
sont donc difficilement comparables aux demandes. Pour lever cet écueil et construire un
indicateur de tension qui ait du sens, l’offre est constituée par le cumul des propositions
déclarées à l’ANPE de juin à décembre 1999. Elle est déclinée selon le niveau de formation.
6
Les DEFM de catégorie 1 et 6 regroupent des personnes sans emploi immédiatement disponibles, tenues
d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi et à la recherche d'un emploi à durée indéterminée à temps
plein. Elles peuvent exercer ou avoir exercé au cours du mois précédent une activité occasionnelle ou réduite
n'excédant pas 78 h par mois (catégorie 1) ou de plus de 78 h par mois (catégorie 6).
13
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
La principale limite de cette démarche réside dans la possibilité d’un cumul d’offres
identiques non satisfaites d’un mois sur l’autre7.
Si la particularité de la base de données ANPE est de reposer sur une information très
fine, on dispose par exemple des offres et des demandes par niveaux de qualification, de
formation ou par métiers, celle-ci peut très vite décroître à partir du moment où l’on raisonne
au niveau communal. En vertu de la déontologie statistique, toute quantité d’offre et de
demande inférieure à 5 n’a pas été retranscrite. Donc plus le détail des informations est fin
(pour une modalité donnée ou par croisement de modalités) plus l’information retenue sera
fruste. La chute d’information et donc de variété de l’analyse, est vite rencontrée dans de
petites communes pour lesquelles l’offre enregistrée est très faible. Le croisement des fichiers
de l’ANPE et de l’INSEE conduit ainsi finalement à ne retenir que 174 communes de l’aire
urbaine8.
7
Cet effet de masse, alors qu’il serait censé traduire une atonie du marché du travail, pour lequel les offreurs ne
trouvent pas de demandeurs, pourrait être compris à tort, comme un effet surévalué du dynamisme communal.
8
Par conséquent, nous avons renoncé ici à tester le modèle sur des taux de chômage par catégorie.
14
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
Tableau 1. Résumé statistique des variables dépendantes et indépendantes
Variables
Tcglobal
Description- définition
Taux de chômage global, (DEFM) ANPE 1999, (Population active) INSEE 1999
Moyenne
0,13
Ecart-type
0,04
HLM
Part de logements (résidences totales) HLM en 1999, INSEE 1999
0,04
0,09
INERTIE
Part en 1999 des ménages de la commune ayant emménagé avant 1990, INSEE 1999
0,57
0,07
P0VOIT
Part des ménages ne possédant pas d'automobile en 1999
0,09
0,05
P ACO TC
Part des actifs ayant un emploi et utilisant les transports en commun en 1999, INSEE 1999
0,03
0,03
P ACT FEM
Part des femmes dans la population active en 1999, INSEE 1999
0,45
0,02
P ACT JEUN
Part des jeunes dans la population active en 1999, INSEE 1999
0,08
0,02
P ACT PRIM
Part des actifs de formation primaire (CEP, BEPC…avant terminale) dans la population active en 1999, INSEE 1999
0,49
0,04
P ACT ETRANG
Part des étrangers dans la population active en 1999, INSEE 1999
0,03
0,03
O/D Km
Tension globale (offres d’emploi / demandes d’emploi) sur la zone de rayon Km centrée sur chaque commune, ANPE 1999
Km = 2.5
Km = 5
Km = 7.5
Km = 10
Km = 12.5
Km = 15
0,68
0,70
0,71
0,70
0,67
0,68
1,08
0,96
0,74
0,55
0,26
0,22
0,50
0,53
0,56
0,60
0,62
0,66
0,26
0,22
0,22
0,23
0,23
0,23
E/A
Km
(OUV+EM) Taux d’emploi par actifs de type ouvriers et employés, INSEE 1999
Km = 2.5
Km = 5
Km = 7.5
Km = 10
Km = 12.5
Km = 15
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
A partir d’un ensemble de 28 variables supposées explicatives du niveau des taux de
chômage communaux et s’inscrivant dans les enjeux théoriques fixés dans la définition du
modèle de l’HMAS, l’étude de la matrice de corrélation conduit à ne retenir ici que les
variables définies et représentées dans le tableau 1.
II-2 Résultats et commentaires
Alors que le taux de chômage de l’aire urbaine de Bordeaux avoisine les 13%, la
disparité des taux de chômage et des situations communales peut nous éclairer sur la structure
des processus de MAS à l’œuvre sur le territoire. En effet, si 57% des ménages ayant
emménagés avant 1990 sont présents en moyenne dans chaque commune, c’est qu’il existe
nécessairement des phénomènes d’inertie résidentielle qu’il convient de mettre en évidence.
De même, la structure de la population active (49% d’actifs de formation primaire, 45% de
femmes) est susceptible de porter un effet de composition associé à un phénomène de
ségrégation résidentielle. Enfin, si la tension liée aux opportunités d’emploi par demandeurs
atteint en moyenne son maximum sur des zones de 7.5 Km autour de chaque commune et si
les possibilités d’appariement qualitatif que représente le taux d’emploi par actifs ouvriers et
employés augmente avec l’étendue des zones (cf moyennes dans tableau 1), c’est qu’il existe
aussi des processus complexes de friction spatiale c'est-à-dire d’attachement au lieu de
résidence et d’éloignement aux emplois.
II-2.1 La validation de l'HMAS
Le modèle a été estimé par les moindres carrés ordinaires pour chacune des six
distances étudiées. Les résultats sont présentés dans le tableau 2. Les coefficients de
détermination ajustés sont systématiquement supérieurs à 0.5, indiquant une capacité
explicative globale satisfaisante.
Le modèle étant construit sur l'ajout successif de trois blocs de variables explicatives, il
convient de reprendre cet ordre dans le commentaire des résultats.
La première colonne du tableau 2 présente les résultats obtenus en omettant les
variables de MAS : elle permet d'apprécier la capacité explicative des variables de ségrégation
pure et de mobilité contrainte.
Parmi les variables de ségrégation par le logement, seule la variable relative à la part de
logement HLM apparaît significative, avec le signe attendu : la proportion de HLM dans une
commune a tendance à augmenter le chômage local. Par contre, la variable d'inertie
résidentielle n'apparaît pas significative.
Concernant les effets de composition de la population, la proportion de moins de 25 ans
comme celle d'actifs ayant obtenu un diplôme de niveau primaire sont significatives avec le
signe attendu : elles ont un impact positif sur le taux de chômage de la commune.
Le coefficient attaché à la part des femmes dans la population active est fortement
significatif mais avec un signe négatif : cet effet provient du niveau inférieur du taux d'activité
des femmes par rapport aux hommes, ce qui signifie qu'elles sont moins susceptibles de se
déclarer au chômage. Un résultat similaire est d'ailleurs obtenu par Immergluck (1998). On
notera qu'un biais potentiel peut résulter d'un processus d'autocensure des populations
16
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
féminines, renonçant à s'inscrire au chômage faute d'opportunités locales d'emploi9. Prises
ensembles, les variables de ségrégation résidentielle pure expliquent 39% de la variance.
Les deux variables décrivant les contraintes pesant sur l'accès à la mobilité apparaissent
également fortement significatives et présentent le signe attendu. La part de ménages sans
voitures a un impact important sur les taux de chômage locaux, de même que la part des actifs
employés empruntant les transports en commun pour se rendre à leur travail : ce résultat
reflète les contraintes d'accessibilité pesant sur les ménages empruntant les transports en
commun, dont la desserte est plus sélective.
L'ajout de ces variables au modèle précédent augmente substantiellement le pouvoir
explicatif, le R² ajusté passant de 0.39 à 0.48. Par ailleurs, le tableau 3 présente les résultats
des tests de redondance pour tous les blocs de variables hormis celles de SRP. Les résultats
confirment la non redondance de ces deux variables par rapport aux caractéristiques de la
population et des logements.
Enfin, en dépit de la prise en compte des effets de ségrégation et d'accès à la mobilité, la
prise en compte des variables décrivant le MAS apparaissent toutes les deux significatives10 et
ont le signe attendu :
Une augmentation du nombre d'offres par demandeur au voisinage de la commune exerce un
effet négatif sur les taux de chômage. De même, une augmentation du nombre d'emplois par
actifs de PCS ouvriers ou employés au voisinage de la zone favorise l'emploi des résidents
locaux. On peut vérifier par ailleurs que les deux variables ne sont pas redondantes : les
statistiques du F et du log de la vraisemblance sont significatives à 1% (tableau 3, deuxième
colonne) pour la variable d'appariement professionnel. L'hypothèse d'un double effet
d'appariement spatial associant tension globale offre/demande et effet d'appariement
professionnel se trouve donc confirmée.
Par ailleurs, l'augmentation du pouvoir explicatif du modèle est significative. Avec un zonage
à 2.5km, le R² ajusté passe de 0.48 à 0.59. Les tests de redondance du tableau 3 confirment
que ces variables ajoutent de l'explication à la prise en compte des seules variables de SRP et
de MC. L'effet de MAS apparaît donc doublement confirmé : il subsiste un effet de surchômage au delà du seul effet de composition d'une part, et même au delà des seules
contraintes de mobilité.
Il reste à apprécier la magnitude des trois catégories de variables. Il est utile, à cet égard,
de recourir aux coefficients standardisés, présentés au tableau 4. De ce point de vue, l'impact
des variables de MAS apparaît relativement modéré. Ainsi, une augmentation d'un écart type
(σ) de la tension offre demande génère une baisse du taux de chômage de 0.12 σ, soit 0.41%.
De même, un accroissement du taux d'emplois par actif ouvrier ou employé d'un σ engendre
une baisse du chômage de 0.16 σ, soit 0.56%. Une augmentation combinée des deux variables
d' 1σ conduit donc à une baisse du chômage de 0.97%.
9
L'utilisation, non retenue ici, des taux d'activité à la place des taux de chômage, permettrait de lever ce biais.
Une discussion plus précise de l'impact de la distance de calcul de ces variables est proposée par la suite.
10
17
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
Tableau 2. Estimation par les MCO du modèle global, selon la distance aux communes
Tcglobal
Distance (km)
V. indépendantes
C
HLM
INERTIE
P ACT FEM
Coef
0.2877
0.1946
-0.0445
-0.5126
P ACT JEUN
P ACT PRIM
0.3728
0.1180
tcglobal
Modèle de base
t
Coef.
4.57*
0.2859
**
6.09*
0.0616
**
-1.18 -0.0016
4.86* -0.6003
**
3.97*
0.2071
**
2.15*
0.1374
*
0.95 0.0373
0.1816
0.4461
0.0779
P ACT ETRANG
P0VOIT
P ACO TC
O/D Km
E/A(OUV+EM)
N
174
R² ajusté
0.3969
* :p<0.1 ** p<0.05 *** : p<0.01
tcglobal
2.5
t
Coef.
tcglobal
5
t
Coef.
4.80*** 0.3356 6.31*** 0.3258
tcglobal
7.5
tcglobal
10
tcglobal
12.5
t
Coef.
t
Coef.
t
Coef.
6.04***
0.2932
5.06***
0.3128
5.33*** 0.2968
15
t
Coef.
t
5.01***
0.3146 5.45***
1.55
0.0540
1.54
0.0587
1.63
0.0811
2.06**
0.0849
2.11**
0.0732
1.81*
0.0637 1.65*
-0.04
-0.0007
-0.02
0.0142
0.43
0.0142
0.40
0.0000
0.00
0.0098
0.28
0.0061
-5.91*** -0.6617 -7.15*** -0.6673 -6.98*** -0.5495 -5.47***
2.55**
0.0687
0,81
0.0791
2.70*** 0.1242 2.66*** 0.1309
-5.58*** -0.5290
-5.25*** -0.5233
5.31***
0.92
0.2124
2.34**
0.1684
1.81*
0.1967
2.02**
0.1518
2.72***
0,1298
2,52**
0.0996
1.93**
0.0926
1.78*
0.0857 1.71*
0.48
0.0772
1.10
0.0761
1.07
3.35*** 0.2464 4.99*** 0.2246 4.56***
3.24*** 0.5118 4.15*** 0.5777 4.42***
-0.0040 -2.30** -0.0043 -2.40**
-0.0220 -2.64*** -0.0206 -1.74*
174
174
174
0.4845
0.5877
0.5732
18
-0,5619
0.18
0.1114
1.38
0.1629 3.078***
0.5421 3.72***
-0.0078 -2.74***
-0.0304 -2.13**
174
0.5179
0.0797
0.99
0.1393 2.49***
0,5682 3,86***
-0.0089 -2.38***
-0.031
-3.12**
174
0,5136
0.0914
0.1372
0.5638
-0.0194
-0.0235
1.57
1.15
0.0823 1.07
2.37*** 0.0965 1.68*
3.96*** 0.6426 4.51***
-2.09** -0.0295 -2,7***
-1.61 -0.0244 -1.7*
174
174
0,5140
0,5322
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
Tableau 3. Tests de variables redondantes, F et logarithme de la vraisemblance
Variable
Variables
de
mobilité
E/A ouvempl
2.5 km
Variables
de MAS
Variables
de MAS
Variables
de MAS
Variables
de MAS
Variables
de MAS
Variables
de MAS
2.5km
5km
7.5km
10km
12.5 km
15 km
Statistique F
15.20***
6.99***
7.73***
4.70**
6.70***
5.91***
5.99***
9.40***
Log de la
vraisemblance
29.43***
7.31***
15.77***
9.76***
13.75***
12.18***
12.3***
18.99***
* :p<0.1 ** p<0.05 *** : p<0.01
Tableau 4. Coefficients standardisés* des variables significatives à 10%
Distance (km)→
Variables
indépendantes↓
Modèle de base
β
β
2.5
5
7.5
10
12.5
15
β
β
β
β
β
β
0,1951
0,2043
0,1761
0,1532
HLM
P0VOIT
0,2379
0,3228
0,2943
0,2134
0,1825
0,1798
P ACO TC
0,3428
0,3933
0,4439
0,4166
0,4366
0,4333
0,4938
P ACT FEM
-0,4132
-0,4554
-0,4593
-0,3782
-0,3867
-0,3641
-0,3602
P ACT JEUN
0,1396
0,1432
0,1135
0,1326
P ACT PRIM
0,1657
0,1498
0,1579
0,1565
0,1201
0,1117
0,1033
O/D Km
-0,1190
-0,1134
-0,1594
-0,1353
-0,1374
-0,1820
E/A(OUV+EM)
-0,1573
-0,1266
-0,1880
-0,1945
-0,1473
-0,1562
* Les coefficients standardisés sont les coefficients β calculés en multipliant les coefficients issus de la régression
par le ratio de l’écart type de la variable indépendante sur l’écart type de la variable dépendante.
L'ordre de grandeur obtenu est similaire à celui de Immergluck (1998), qui en
combinant la variation d' 1σ de trois variables de MAS, obtient une baisse de 1.2% du taux de
chômage. Une baisse d' 1σ de la part de ménages non motorisés engendre une baisse du
chômage de 1.12%.
II-2.2 Le rôle de la distance dans l'appréciation du MAS
Le rôle de la distance dans la construction des zones d'influence centrées sur chaque
commune questionne sur l’appréciation du MAS. Suivant le tableau 2, deux séries de
remarques mettent en perspective le rôle de la définition de telles zones, de tailles croissantes,
sur l’impact des variables de friction sur le taux de chômage communal.
19
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
II.2.2.1 La significativité des variables MAS selon la distance d'influence
En s’attachant aux niveaux de significativité des variables du MAS selon la distance, on
remarque tout d'abord, à partir des tests de redondance présentés au tableau 3, que ces
variables apportent de l'explication supplémentaire quelle que soit la distance. Ce résultats
pourrait apparaître contradictoire avec HMAS, souvent entendue comme un effet de
proximité. Cette intuition n'apparaît pourtant pas fondée ici.
On remarque de plus que la tension liée aux opportunités d’emploi par demandeurs reste
significative quelle que soit l'étendue de la zone d'influence alors que la tension associée aux
processus d’appariement par la qualification semble plutôt concerner de petites zones. Cette
remarque suscite deux commentaires principaux :
-
On confirme l’intérêt et le rôle de chacune de ces variables de tension dans
l’appréciation du MAS. La question de l’appariement semble en effet limitée dans la
distance par l’ancrage territorial des résidents selon leur niveau de qualification. Le
rôle de cette variable parait marginal au delà de 10 km. On retrouverait ici l'effet de
proximité.
-
Par contre l'effet de la tension offre/demande tend à se maintenir dans l'intervalle de
2.5km à 15 km : il y a donc un phénomène d'impact cumulatif dans la distance du rôle
de l'accessibilité aux opportunités d'emplois. Le maintien de la significativité à 15 km
confirme a posteriori que les tensions offre/demande restent discriminantes à cette
distance11.
-
Le test effectué ici à partir de la population des actifs ouvriers et employés semble
aller dans le sens de l’hypothèse théorique selon laquelle ils ont plus de chance d’être
captifs de petits marchés à l’inverse de catégories plus qualifiées. Pour valider cette
hypothèse, il faudrait toutefois confronter ces résultats avec ceux relatifs à des
populations qualifiées.
II.2.2.2 Intensité de l’impact des variables MAS selon la distance
L’étude des coefficients des variables MAS permet de préciser le jeu complexe de ces
deux variables et questionnent sur le rôle de la distance dans le processus de l’appariement.
Les coefficients font en effet apparaître une forte croissance de l’effet de ces variables sur les
taux de chômage communaux avec la distance. On constate notamment que les coefficients
estimés concernant la densité d’opportunités d’emploi par rapport à la demande passent de 0.004 à -0.029 lorsque l’on considère une distance d'influence de 2.5 Km ou de 15 Km autour
de la commune, ou encore de -0.022 (2.5km) à -0.031 (10km) lorsque l’on s’intéresse à l’effet
associé aux potentialités d’emploi par actifs de CSP ouvriers et employés.
Il convient toutefois de relativiser ces effets qui, pour être comparés, doivent tenir
compte des écart types des populations considérées. Le calcul des coefficients standardisés
dans la distance permet de pallier cet écueil.
11
Il serait d'ailleurs intéressant d'étendre l'intervalle de distance pour identifier à partir de quel seuil les tensions
tendent à converger et à perdre leur pouvoir discriminant sur les taux de chômage communaux.
20
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
On remarque ainsi que le taux de chômage décroît en moyenne de 0.182 σ (-0.7%)
lorsque la densité d’opportunités d’emploi par demandeurs croît d’un σ pour 15 Km
d’étendue autour de la commune, alors que cet effet passe à -0.4% pour 2.5 Km, soit une
augmentation de 75% de l'impact sur la diminution du chômage lorsque l'on multiplie la
distance par 6, en passant de 2.5km à 15km.
La progression de l'impact est nettement moins que proportionnelle à celle de la
distance prise compte, ce qui indique l'importance des tensions à proximité et l'effet marginal
plus limité des tensions à plus grande distance12. Un calcul d’élasticité similaire pour les
densités d’emploi par actifs résidents ouvriers et employés montre que le gain maximum est
réalisé entre 2.5 km et 10 km mais ,ne génère qu'une diminution de l'impact sur le taux de
chômage de 28% .
L'effet cumulatif évoqué plus haut reste plus marqué pour la tension offre/demande, ce
qui confirme le caractère plus localisé des désajustements de qualification.
Conclusion
Le modèle présenté permet de mettre en évidence les effets de la ségrégation urbaine
pure, de la mobilité contrainte et de la friction c'est-à-dire l’éloignement résidents – lieux ou
opportunités de travail sur le MAS. L’intérêt de notre démarche est double.
Il réside en premier lieu dans la construction d’un indicateur qui traduit des opportunités
d’emplois par demandeurs à l’aide de données ANPE. L’intérêt de cet indicateur est souligné
par de nombreux auteurs alors que faute d’être disponible, il n’est jamais utilisé.
Il réside ensuite dans la mise en évidence de l’intérêt de travailler sur des zones
d’étendues variables. Cette approche montre qu’il est possible de mesurer des impacts
différenciés concernant les variables de friction sur le taux de chômage et questionne ainsi sur
l’intérêt d’introduire plus finement la distance dans les travaux de cette nature.
Si les résultats que l’on a mis en évidence convergent vers ceux qui se dégagent de la
littérature et questionnent sur le rôle de la distance dans l’appréciation du mauvais
appariement spatial, ils restent toutefois contraints par des limites inhérentes à notre
démarche.
Les données ANPE en premier lieu, à l’échelle de l’aire urbaine de Bordeaux,
deviennent rapidement frustes si l’on s’intéresse à des catégories spécifiques des offres
enregistrées (peu qualifiées, sans formation requises…). Nous n’avons ainsi pas retenu les
résultats des tests sur l’impact des variables de mauvais appariement spatial sur le taux de
chômage des jeunes (R² aj = 0.06) ou des individus de formation de niveau primaire (R² aj =
0.33). Ces tests gagneraient à être conduits sur un espace plus restreint (l'agglomération), ce
qui suppose de disposer d'un maillage infra-communal. Nous avons privilégié ici une
approche par l’étendue des zones considérées qui ouvre la question du rôle de la distance dans
12
Il faudrait toutefois tester le modèle en utilisant directement une mesure de l'effet marginal de l'augmentation
de la distance d'influence.
21
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
les logiques de friction à l’œuvre pour comprendre le MAS. Cette approche est toutefois
limitée par l’existence d’effets de bords, la convergence des indicateurs à mesure que la taille
des zones augmente ou l’existence de situations institutionnelles et économiques particulières
que ne justifieraient peut être pas un tel découpage en zones. Si nous avons montré qu’il est
intéressant de continuer dans cette voie, il conviendra par la suite de mieux capter l’impact
marginal des zones sur le taux de chômage et d’utiliser les méthodes de l’économétrie
spatiale.
Enfin, il conviendra aussi pour mieux capter les phénomènes de MAS d’ajouter au
modèle global des indicateurs de densité d’occupation de l’espace ou de compétitivité entre
zones. Si nous avons laissé de côté les effets « ghettos » que notre approche par la distance ne
permet sans doute pas de capter, il conviendra aussi à un niveau infra–urbain, d’en poser les
arguments.
22
Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise
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Cahiers du GRES
Le Groupement de Recherche Economique et Sociales (GRES) réunit deux centres de
recherche :
- IFReDE (Institut Fédératif de Recherches sur les Dynamiques Economiques), Université
Montesquieu-Bordeaux IV
- LEREPS (Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur l'Economie, les Politiques et les
Systèmes Sociaux), Université des Sciences Sociales Toulouse 1
www.gres-so.org
Université Toulouse 1
LEREPS – GRES
Manufacture des Tabacs
21, Allée de Brienne
F - 31 000 Toulouse
France
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Fax. : +33-5-61-12-87-08
Université Montesquieu-Bordeaux IV
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Cahiers du GRES
2003-1 : DARAUT Sandrine, Le système d’information organisationnel, objet et support d’apprentissage.
Essai d’une analyse théorique.
2003-2 : VICENTE Jérôme, De l’économie des interactions à l’économie géographique : théories et
évidences.
2003-3 : OLTRA Vanessa, SAINT JEAN Maïder, The dynamics of environmental innovations: three
stylised trajectories of clean technology.
2003-4 : FRIGANT Vincent, Défection et prise de parole dans les relations verticales interfirmes :
propositions pour une transposition du modèle d’Hirschman.
2003-5 : GILLY Jean-Pierre, PERRAT Jacques, La dynamique institutionnelle des territoires: entre
gouvernance locale et régulation globale.
2003-6 : DUPOUËT Olivier, YILDIZOGLU Murat, Organizational performance in hierarchies and
communities of practice.
2003-7 : LARRUE Philippe, Lessons learned from the Californian ZEV Mandate: From a “technologyforcing” to a “market-driven” regulation.
2003-8 : CARAYOL Nicolas, ROUX Pascale, Self-Organizing Innovation Networks: When do Small
Worlds Emerge?
2003-9 : BONIN Hubert, Geopolitics versus business interests: the case of the Siberian gas-pipeline in
the 1980s.
2003-10 : LUNG Yannick, The Changing Geography of the European Automobile System.
2003-11 : BORDENAVE Gérard, Ford of Europe, 1967-2003.
2003-12 : FILIPPI Maryline, TRIBOULET Pierre, Modalités d’exercice du pouvoir dans le contrôle
mutualiste : Le cas des groupes coopératifs agricoles
2003-13 : ASSELAIN Jean-Charles, BLANCHETON Bertrand, BORDES Christian, SENEGAS MarcAlexandre, La FTPL, les réparations et l’expérience inflationniste des années 1920
2003-14 : GASCHET Frédéric, GAUSSIER Nathalie, Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein
de l'aire urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de mauvais appariement spatial ?
2003-15 : KAMARIANAKIS Yiannis, Le GALLO Julie, The evolution of regional productivity disparities in
the European Union, 1975-2000
La coordination scientifique des Cahiers du GRES est assurée par Alexandre MINDA (LEREPS) et Vincent
FRIGANT (IFReDE). La mise en page est assurée par Dominique REBOLLO.
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