Tribunal administratif

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Tribunal administratif
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
N° 15413 du rôle
Inscrit le 30 septembre 2002
Audience publique du 26 mars 2003
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Recours formé par Monsieur ..., Mersch
contre une décision du ministre des Transports
en matière d'immatriculation de véhicule automoteur
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 30 septembre 2002 au greffe du tribunal administratif par
Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à
Luxembourg, au nom de Monsieur, dit ..., ingénieur, demeurant à L-…, tendant à l’annulation
d’une décision du ministre des Transports du 6 juin 2000 portant refus implicite
d'immatriculer le véhicule militaire "Armored car M8" de marque FORD, numéro de châssis
10489;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 28 novembre 2002;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 décembre
2002 au nom du demandeur ...;
Vu les pièces versées et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul NOESEN et
Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Par lettre du 5 août 1998, Monsieur ... sollicita l'immatriculation du véhicule militaire
"Armored car M8" de marque FORD, numéro de châssis 10489.
Par courrier du 19 août 1998, le ministère des Transports, tout en rendant Monsieur ...
attentif au fait que le véhicule en question ne satisfaisait pas à certaines exigences techniques
à respecter pour une immatriculation, l'invita à présenter le véhicule au service "Agréation" de
la Société nationale de contrôle technique à Sandweiler.
Suite à cette inspection, Monsieur ... fut informé, par lettre du 6 juin 2000, que son
véhicule pouvait être mis en circulation à condition d'être couvert de plaques rouges,
conformément à l'article 65 modifié de l'arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955
portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommé "code de
la route."
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Suite à une demande tendant à se voir communiquer les raisons exactes du refus d'une
immatriculation normale de son véhicule, Monsieur ... se vit informer, par lettre du 8
septembre 2000, que suivant les définitions du chiffre 15° de l'article 2 du code de la route,
son véhicule est à considérer comme "véhicule de combat, c.-à-d. un véhicule spécial de
l'Armée et ne répond donc pas à la notion de véhicule routier soumis à l'obligation d'être
immatriculé au sens de l'article 92 du Code de la Route."
Par requête déposée le 20 septembre 2002, Monsieur ... a introduit un recours en
annulation contre la décision de refus implicite du ministre des Transports d'immatriculer son
véhicule militaire.
Il fait exposer que la décision implicite de refus d'immatriculation est entachée d'une
erreur de fait en ce qu'elle qualifie le véhicule litigieux de véhicule spécial de l'Armée en
raison de sa nature de véhicule de combat, alors que son armement a été démilitarisé, de sorte
que le véhicule est inapte à être utilisé au combat.
Il estime qu'en qualifiant ainsi le véhicule, le ministre a encore commis une erreur de
droit. En effet, l'article 2, 15° du code de la route définissant le véhicule spécial de l'Armée
comme étant un véhicule chenillé, semi-chenillé ou de combat, et le véhicule litigieux ne
rentrant dans aucune de ces catégories, puisque s'agissant d'un véhicule mû par roues et
démilitarisé, il s'agirait d'un véhicule automoteur au sens de l'article 2, 9° du code de la route.
Le ministre commettrait encore une erreur d'appréciation manifeste s'il était amené à
motiver, ultérieurement, le refus d'immatriculation du véhicule par son caractère dangereux
pour les usagers de la route. En effet, l'autorisation de sa mise en circulation moyennant des
plaques rouges démontrerait péremptoirement son caractère non dangereux, étant donné qu'un
véhicule dangereux ne saurait être en aucun cas mis en circulation, serait-ce moyennant des
plaques rouges.
La décision litigieuse témoignerait finalement d'un détournement de pouvoir, dans ce
sens que les raisons invoquées officiellement le seraient en réalité pour empêcher la mise en
circulation d'un véhicule "qui ne plaît pas."
Le délégué du gouvernement souligne que la notion de véhicule spécial de l'Armée
doit être comprise comme visant les véhicules qui sont conçus pour l'usage militaire
spécifique et qui appartiennent à l'Armée, les deux critères de définition devant être réunis.
Un tel véhicule bénéficierait de conditions particulières pour sa mise en circulation énoncées à
l'article 92 du code de la route. Or, le véhicule de Monsieur ..., quoique correctement qualifié
de véhicule spécial de l'Armée mais n'appartenant pas à l'Armée, ne pourrait être immatriculé
dans le cadre de l'article 92 du code de la route.
Seules les dispositions des articles 49 et 65 du code de la route permettraient dès lors
l'immatriculation du véhicule. Or, l'article 49, lettre F), prévoyant des exceptions quant à
l'immatriculation de différents véhicules, notamment des véhicules conçus selon des
techniques nouvelles ou des principes non réglementés ou incompatibles par nature avec les
dispositions des articles 2 à 54 du code et qui servent à des essais techniques ou scientifiques,
serait inapplicable en l'espèce, le véhicule litigieux ne servant pas à des essais techniques.
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Afin de permettre néanmoins à Monsieur ... d'assurer des déplacements sporadiques du
véhicule, le ministre l'aurait autorisé à faire usage de plaques rouges, sur base de l'article 65
du code de la route qui prévoirait, entre autres, la prérogative du ministre d'autoriser l'usage
de telles plaques dans des hypothèses particulières non énoncées parmi les conditions usuelles
d'usage des plaques rouges.
Le demandeur rétorque que dès lors qu'en vertu du code de la route, un véhicule ne
saurait être considéré comme véhicule spécial de l'Armée que s'il est conçu pour l'usage
militaire spécifique et qu'en plus, il appartient à l'Armée, le véhicule lui appartenant ne saurait
être qualifié de véhicule spécial de l'Armée ni, par voie de conséquence, être soumis aux
règles spécifiques applicables à cette catégorie de véhicules. – Il se dégagerait cependant par
ailleurs de la pratique administrative antérieure que des véhicules ayant été initialement
destinés à un usage militaire, ont été immatriculés sans que leurs propriétaires respectifs aient
rencontré des difficultés du genre que ceux éprouvées actuellement par le demandeur.
Par ailleurs, les articles 49 et 65 du code de la route, invoqués par le délégué du
gouvernement, ne prévoiraient aucune exception pour immatriculer un véhicule en dépit de la
disposition de l'article 92.
En vertu des articles 2, paragraphe 4 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant
la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, et 92 du code de la route, un
véhicule ne peut circuler sur la voie publique que moyennant une carte d'immatriculation
délivrée par le ministre des Transports.
Les conditions d'immatriculation des différents types de véhicules varient en fonction
de leurs caractéristiques.
Le véhicule de Monsieur ... ne rentre pas dans la catégorie spécifique des véhicules
spéciaux de l'Armée prévue par l'article 2, 15° du code de la route, étant donné qu'il ne s'agit
d'un véhicule ni chenillé, ni semi-chenillé, et que même s'il s'agissait d'un véhicule de combat,
ce que le tribunal ne peut apprécier au vu des pièces lui soumises, le véhicule n'appartient pas
à l'Armée et ne saurait partant être qualifié de véhicule spécial de l'Armée.
Il se pose dès lors la question de savoir si le véhicule litigieux rentre dans la catégorie
générale des véhicules automoteurs, définis par l'article 2, 9° du code de la route comme
véhicules pourvus d'un dispositif de propulsion mécanique ou relié à un conducteur
électrique, mais non lié à une voie ferrée, ou s'il ne rentre dans aucune des catégories prévues
par les dispositions de l'arrêté en question.
La disposition de l'article 2, 9° est une disposition générale visant tous les véhicules
répondant au critère y énoncé. Or, indépendamment de savoir si le véhicule de Monsieur ...
est destiné ou apte au combat, il constitue un véhicule pourvu d'un dispositif de propulsion
mécanique et doit partant être considéré comme véhicule automoteur au sens de la disposition
précitée.
N'étant visé par aucune des exceptions énumérées à l'article 92 qui soumet à
l'obligation d'immatriculation tous les véhicules automoteurs, l'article 96 exceptant encore les
véhicules automoteurs de l'Armée, le véhicule de Monsieur ... ne saurait circuler sur la voie
publique sans être immatriculé.
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Pour pouvoir être immatriculé, il doit remplir les conditions posées par le code de la
route.
Il suit des considérations qui précèdent que c'est à tort que le représentant du ministre
des Transports, dans sa lettre du 8 sept 2000, a refusé l'immatriculation du véhicule sur base
de l'article 92 du code de la route en arguant de ce que le véhicule devrait être considéré
comme véhicule spécial de l'Armée.
La décision de refus doit dès lors, en principe, encourir l'annulation, à moins qu'elle se
justifie par d'autres éléments de fait ou de droit qui se trouvent dans le débat et ont pu être
librement discutés en cours d'instance.
Dans la lettre du 19 août 1998, Monsieur ... fut invité à présenter son véhicule au
service "Agréation" de la Société nationale de contrôle technique à Sandweiler, le
représentant du ministre des Transports rendit celui-ci attentif à certains exigences techniques
que le véhicule litigieux ne remplirait pas, à savoir qu'il serait dépourvu d'un éclairage
réglementaire et d'indicateurs de direction, qu'il présenterait des arêtes tranchantes et
coupantes, que son champ de visibilité serait restreint et qu'il aurait une largeur excessive.
En cours d'instruction du litige, Monsieur ... s'est borné à contester la largeur excessive
de son véhicule.
En vertu de l'article 3 du code de la route, la largeur maximale autorisée pour les
véhicules spéciaux est de 2,55 mètres. Il se dégage par ailleurs de l'article 2, 44° du même
code qu'est à considérer comme véhicule spécial un véhicule qui ne rentre pas dans certaines
catégories de véhicules énumérées audit article, les véhicules rentrant dans la catégorie visée
par l'article 2, 9° dont fait partie le véhicule litigieux étant à considérer comme véhicules
spéciaux. Le véhicule de Monsieur ... ayant une largeur de 2,54 mètres, il répond aux
exigences réglementaires concernant sa largeur.
En revanche, le demandeur n'a fourni aucun élément de fait ou de droit lui permettant
de s'affranchir des autres exigences que son véhicule, selon les explications fournies par le
ministre des Transports, ne remplit pas. Ces exigences résultent des articles 24, alinéa 2
(parties saillantes, pointues ou coupantes), 41 (indicateurs de direction), 42 et suivants
(éclairage) et 46 et suivants (champ de visibilité).
A défaut d'éléments de fait ou de droit contraires, le tribunal arrive à la conclusion que
les défauts énoncés dans la lettre ministérielle du 19 août 1998 constituent une base légale
suffisante pour refuser l'immatriculation du véhicule de Monsieur ....
En vertu de l'article 65, alinéa 2 du code de la route, le ministre des Transports peut,
par décision individuelle et à titre exceptionnel, autoriser l'usage des plaques rouges pour des
besoins spéciaux non spécifiés à l'alinéa 1er dudit article.
C'est partant à bon droit que le ministre s'est estimé habilité à proposer à Monsieur ...
l'usage de plaques rouges. Ce faisant, il n'a pas reconnu au véhicule une qualité devant
permettre son immatriculation normale, mais bien au contraire, il a tenu compte des
spécificités du véhicule et de son inaptitude à être immatriculé en vertu des autres dispositions
du code de la route.
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C'est à tort que le demandeur essaie de tirer argument de l'octroi de plaques rouges
pour conclure à l'absence de caractère dangereux de son véhicule, motif potentiel de refus
d'immatriculation par application de l'article 24, alinéa 1 er du code de la route, puisque la
faculté du ministre des Transports d'utiliser, à tire individuel et exceptionnel, des plaques
rouges, n'est pas exclue par le caractère dangereux d'un véhicule.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle est légalement
justifiée par les motifs dégagés ci-avant.
Le demandeur est partant à débouter de son recours.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme,
au fond, le déclare non justifié en en déboute,
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 26 mars 2003 par:
M. Ravarani, président,
M. Campill, premier juge,
M. Spielmann, juge
en présence de
M. Legille, greffier.
s. Legille
s. Ravarani