le port de l`angoisse - Pagesperso

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Have/Have not : Petits notes à propos d’un film
Le Port de l’angoisse/ To Have and Have not
Ou comment le journaliste face à son écran blanc et proche du découragement craque,
décide de jouer au petit Barthes et de faire un article en fragments.
Angoisse : Le Port de l’Angoisse contre To have and have not (« En avoir et pas ») : le titre à
la sauce française a le grand mérite de réaliser des fantasmes à l’opposé de ce que sera le film.
Une histoire d’amour peut-être, une comédie un peu aventureuse, une tension a/politique, une
vivacité humaine, pourquoi pas. Mais ni pirates, ni marins (dans le sens attendu), ni docks à la
Genet, ni prostituées, contrées inconnues ou îles dangereuses, ni même d’angoisse, de peur ou
d’horreur dans le Port de l’Angoisse. Et pour le spectateur à la sortie du film, un aperçu de la
méconnaissance française de Hawks dans les années 50, distributeurs compris.
H/-H : En avoir et pas. De quoi ? De l’argent, de l’amour, de l’alcool et des cigarettes, des
couilles, des pansements, un avion, de la chance. Paradigme et superbe formule Hawksienne :
non pas être ou ne pas être, mais avoir et ne pas avoir. Un personnage devient alors la somme
de ce qu’il possède et ne possède pas : ses attributs et ses manques, ce sont là ses qualités.
Que sont les homosexuels ? Certains réclament le droit à la différence, d’autre à
l’indifférence. Hawks - qui n’était pas homosexuel - n’a pas cessé de questionner la porosité
des sexes dans une société puritaine qui différencie sur des critères visuels, moraux, mais
finalement pas sur l’acte lui-même. Il en ressort des films extraordinaires (Allez coucher
dehors, par exemple) et une affirmation de Godard (la dernière occurrence se trouve dans
Notre Musique) : « Hawks est incapable de faire la différence entre un homme et une
femme ». Ni différents, ni indifférents, mais en différenciation. Pas un état, un processus. « Si
tu es cela, je serai ceci. Car je dois être pour te surprendre et par là te séduire ». Les
personnages sont construit par ce qu’ils ont et n’ont pas comme capacité, soit en ce qu’ils
peuvent ou ne pas faire. Hawks est un fasciné des signes, un constructeur de situations,
d’hétérogènes. Un structuraliste, en somme. Une femme (Marie/Slim) est ce qu’un homme
(Harry) (puisque le film de Hawks est centré plutôt sur Harry que sur Slim) ne peut pas faire,
mais le génie de Hawks, c’est que cette femme et cet homme sont plongés dans un
environnement singulier, qui a oublié toute réglementation. A chacun de se reconstruire, en
direct un personnage avec des signes éparpillés. Et l’amour est à réinventer.
L’abeille morte : Quelle meilleure caractérisation pouvait-on faire dans cet espace où les
consciences et les opinions sont troubles ? Harry n’est pas gaulliste, mais il sait qu’il n’aime
pas ceux qui aiment Pétain, Eddie trouve ses véritables amis dans ceux qui réponde à sa
question/devinette : « Avez-vous déjà été piqué par une abeille morte ? ». Sur quoi nous
basons-nous nous-même pour délimiter les bienveillants et les escrocs ? Des détails, toujours.
Montagnes : « Do he always talk so much ? Always ». Les personnages du Port de l’Angoisse
sont monolithiques, ils ne bougent pas. Ils sont peu, très peu émus, et provoquent peu
l’émotion (« moving »). Ils sont plutôt impressionnants, et font écho à la célèbre phrase de
Lubitsch : « Quand vous saurez filmer les montagnes, vous saurez filmer les hommes ».
Hawks avait pour projet de créer des stars (selon N. Simsolo), et il a créé « The Look »,
Lauren Baccall. Si un film de Hawks est vu à hauteur d’homme, il semble parfois si bien
construit, qu’on pourrait le voir de loin, comme on contemple un panorama en haute
montagne. Les personnages sont des rocs, de grandes constructions intellectuelles solides, et
belles. Hawks nous laisse là où l’on est, il ne nous donne à voir que la matité des choses, là où
le regard se heurte. Et derrière les montagnes il n’y a que des espaces vierges. Mais ces
montagnes sont différentes, elles ont des penchants (comme celui d’Eddie pour l’alcool), et ce
que semble faire Hawks, c’est décaler le regard de manière franche, classique – par un
travelling, un panoramique – et changer les lignes de forces, rapprocher deux monts,
découvrir un horizon et en masquer une autre, jouer avec la perspective écrasée qu’aperçoit un
spectateur à la fois très loin et très près de choses, et dont il n’est pas en mesure de percevoir
la taille.
Politique : Dans ce cas, qu’est ce qui est important ? Combien de poids et de mesures ?
Hawks, malgré la tonalité (il paraît qu’on lui a plus imposé) un peu engagée de son film, reste,
comme son héros, profondément apolitique, il reste contre ce qu’il n’aime pas à son échelle,
même faussée, même si elle confond quelques pétainistes et non pas un groupe de pensée à
combattre. Jamais d’idéologie chez Hawks, pas de jugements, juste une action, qui se
construit et se déconstruit, coule, plie et se déroule. Pas un spectacle, mais un schéma
fascinant, où nous spectateurs pouvons ajouter ce qui est près de nous, nous touche et
découvrir des rapprochements étranges, décalés. Ce doit être ça, plonger dans un regard de
cinéaste.

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