Lyon - Hôtel-Dieu - Musée d`histoire de la médecine et de la

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Lyon - Hôtel-Dieu - Musée d`histoire de la médecine et de la
Master Sciences humaines et sociales, mention Philosophie, spécialité Muséologie : Mémoire, Objets,
Société
Direction : Professeur Mauro Carbone
Lyon - Hôtel-Dieu - Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie - Musée Testu Latarget d’anatomie et d’histoire naturelle - Musée des
Lyon - Hôtel-Dieu - Musée Testu Latarget d’anatomie et
d’histoire naturelle Musée des hospices civils de Lyon - Musée dentaire - Musée d’histoire de la médecine et de la
hospices civils de lyon - Musée dentaire - Un Musée de la santé ? -
Lyon - Hôtel-Dieu - Musée des hospices civils de Lyon Musée dentaire - Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie - Musée Testu Latarget
pharmacie - Un Musée de la santé ? -
d’anatomie et d’histoire naturelle - Un Musée de la santé ? - Lyon - Hôtel-Dieu - Musée
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naturelle - Musée des hospices civils de Lyon - Musée
dentaire - Un Musée de la santé ?
Faculté de Philosophie, 1 rue de l'Université, BP 0638, 69239 Lyon Cedex 02, Fax : 04 78 78 72 27
Master Sciences humaines et sociales, mention Philosophie, spécialité Muséologie : Mémoire, Objets,
Société
Direction : Professeur Mauro Carbone
Cahier d’articles autour de la création d’un Musée de la Santé
Ce document est le résultat d’entretiens, de visites, d’études, et de réflexions, conçues autour d’un
champ d’investigation philosophique, muséologique, et antropologique que suscitent la volonté de créer à Lyon
sur le site de l’Hôtel-Dieu un Musée consacré à la Santé. Nous tenons à remercier les personnes suivantes qui
nous ont ouvert leurs collections, fait partager leur connaissances, et aidé par leur action.
Michel Amiel
Georges Barale
Sandrine Barou
Jacqueline Barthélémy-Bougault
Albert Bollin
Catherine Dekeuwer
Pierre-Alain Huet
Sarah Lahu
Philippe Lépine
Jean-Christophe Neidhardt
Jean Normand
Suzanne Marchand
René Mornex
Jacques Poisat
Abel Prieur
Jean-Marie Renaud
Chantal Rousset
Professeur Emérite de l’Université Claude Bernard Lyon 1
Professeur Emérite de l’université Claude Bernard Lyon 1. Directeur des
Herbiers
Secrétaire, Faculté de philosophie, Université Jean Moulin Lyon 3
Directrice de l’Hôtel-Dieu
Contremaître de l’Hôtel-Dieu
Maître de conférence, faculté de philosophie, Université Jean Moulin
Lyon 3
Conservateur du Musée dentaire
Diplômée en muséologie
Ingénieur
Archiviste. Conservateur du Musée d’anatomie Testut-Latarget
Professeur Emérite de l’Université Claude Bernard Lyon 1. Conservateur
du Musée de l’Histoire de la médecine et de la pharmacie
Directrice du Musée des Hospices civils de Lyon
Professeur Emérite de l’Université Claude Bernard Lyon 1
Maître de conférences, IUT Roanne
Ingénieur de recherche, UMR CNRS 5125 - PEPS. Directeur des
collections de géologie
Ingénieur
Documentaliste, Musée des Hospices civils de Lyon
Faculté de Philosophie, 1 rue de l'Université, BP 0638, 69239 Lyon Cedex 02, Fax : 04 78 78 72 27
Master Sciences humaines et sociales, mention Philosophie, spécialité Muséologie : Mémoire, Objets,
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Direction : Professeur Mauro Carbone
Lyon - Hôtel-Dieu - Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie - Musée Testu Latarget
d’anatomie et d’histoire naturelle - Musée des hospices civils de Lyon - Musée dentaire - Un Musée de la
santé ?
Sommaire
Un hôtel au bord de l’eau.........................................................................................................Jean-Claude Mossière
Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?............................................................................Aymeric Raffin
Quatre collections pour un musée de la santé....................................................................................Justine Santoro
Renaissance de l’Hôtel-Dieu..............................................................................................................Aurélien Merle
Santé orientale et santé occidentale....................................................................................................Sunyoung Choi
Trois espaces pour un musée de la santé........................................................................................Raphaëlle Venturi
Muséographie anatomique............................................................................................................... Edina Dzocovic
Médiation radiologique...........................................................................................................................Irina Roman
L'image médicale et l'objet..............................................................................................................Marine Devienne
Typologie des instruments, anthropologie du geste............................................................................Mélanie Lioux
Accumulation scénographique.......................................................................................................Raphaëlle Venturi
Collections médicales et pédagogie..................................................................................................Roxanne Millier
Creuser la veine de la durée.................................................................................................................Sélyne Ferrero
Xenodochium-Panopticum......................................................................................................Jean-Claude Mossière
Avertissement : Les quatre musées concernés trouveront dans les articles leur nom réduit pour plus de commodité à un
acronyme façonné par nous : Musée des hospices civils de Lyon (MHCL) ; Musée d’histoire de la médecine et de la
pharmacie (MHMP) : Musée Testu Latarget d’anatomie et d’histoire naturelle (MTLAHN), Musée dentaire (MD). Les
auteurs des articles se sont pliés aux règles d’usage, d’emprunt de citations, confirmées par l’utilisation des guillemets, et
d’indication d’auteur.
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
Un hôtel au bord de l’eau
Jean-Claude Mossière
01
Un long rideau sombre au bord du Rhône
Chacun connaît le long rideau de pierres noircies déployé au bord du Rhône sur le quai Jules Courmont
qui s’étend de la rue Childebert à la rue de la Barre. La barrière est austère et les flâneurs osent peu s’aventurer
derrière les murs épais où l’hôpital fait figure de rempart.
Pour en estimer l’unité architecturale il faut venir par le pont le moins «distant de Bellecour». Le
xenodochium de jadis «hôtellerie des pèlerins souffreteux et des voyageurs fourbus» était alors au début comme
au terme de la voie du Dauphiné, et de la chaîne des Alpes1. La récente métamorphose des berges du Rhône et le
remodelage de la Fosse aux ours favorisent aujourd’hui une mise en perspective où la sévère bâtisse partagée en
deux masses réparties de part et d’autre du corps central surmonté du grand dôme, s’ordonne frontalement.
Bord à bord avec la douleur, des générations de médecins, chirurgiens, servants, infirmiers ont pratiqué
la saigné, recousu les blessures, allégé les souffrances, donné la vie. Beaucoup de lyonnais sont nés ou ont vu
naître à l’Hôtel-Dieu. L’été dernier, le service de maternité a rejoint la Croix-Rousse, et l’hôpital s’est alors peu à
peu dépeuplé. Cet hiver dans le dédale des galeries les dernières blouses blanches ont cédées la place aux
arpenteurs qui esquissent de nouvelles géométries et inventent d’autres liens entre les hommes et les pierres de
Villebois, de Seyssel, et de Couzon 2. Car l’Hôtel n’est plus le point de départ et d’arrivée des hommes dans la
ville des aumônes et la maison de dieu. Autrefois repère cardinal, le flot de véhicules qui s’engouffrent et
jaillissent alternativement de la trémie de l’axe Nord-Sud le relègue désormais en sombre décor théâtral flanqué
d’une porte monumentale que nul voyageur ne franchit.
1
2
Monsieur Josse, A travers Lyon, 1887, p. 245.
Origine des matériaux utilisés pour la construction de l’Hôtel Dieu.
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
Figure 1. La façade de l’Hôtel-Dieu, quai Jules Courmont.
Pour pénétrer officiellement dans l’enclos, il faut le contourner. Là, place de l’Hôpital, le porche
d’entrée ploie sous la monumentalité de la chapelle qui lui est juxtaposée. Habillé d’un élégant décor, adossé à
un écrin concave il est à la fois solennel comme il convient à un établissement hospitalier, et discret comme il
sied à un asile de charité. Au-delà, un petit vestibule octogonal ouvre sur le préau qui dessert le claustral. Autour
de la cour de la croix devenue cour d’honneur, un épais couloir voûté en ogives s’appuie sur de lourds piliers
posés en léger oblique portant, sur un large muret. Les galeries Nord et Est du cloître se prolongent, unies à deux
travées qui se coupent à angle droit. Elles forment les «salles des quatre rangs» dont la croisée est coiffée d’un
petit dôme couronnant la vaste salle de l’autel. Autrefois point panoptique des courants d’air et du souffle divin,
elle précède aujourd’hui l’entrée du musée des Hospice civils de Lyon.
Nous sommes ici dans le noyau initial de l’hôpital construit au XVIIe siècle en regard du fleuve. C’est
la partie la plus harmonieuse dont l’ordonnance s’inscrit dans un polygone compact comprenant la chapelle, le
cloître et les quatre cours bornées par les deux branches de la croix.
Un siècle plus tard, Soufflot en ferme la perspective en édifiant le «Palais du quai». En laissant tomber
le long rideau de scène académique à la surface unitaire et à la gravité massive en miroir du fleuve, l’architecte
des Lumières livre une représentation panoramique qui pour être vu dans sa plénitude sollicite l’attention des
passants de l’autre rive. A l’arrière, il borde l’immense maison d’une haute galerie voûtée, soutenue par
d’énormes piliers, à laquelle il adosse quatre corps-de-logis. Egalement pourvus de portiques au rez-de-chaussée,
ils circonscrivent du Nord au Sud quatre cours, unies par des passages formant l’ancienne voie charretière reliant
entre eux entrepôts, caves, cuisines, et réfectoire. A la fin du XIXe siècle Pascalon architecte des HCL est chargé
de fermer l’aile Sud. Contre la façade linéaire de son illustre prédécesseur, il amarre une construction où il
privilégie les profondeurs de champs et les coursives. Il ajoute un troisième dôme abritant l’amphithéâtre de
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
l’Ecole de médecine. Enfin, à l’Ouest, l’ensemble s’achève rue Bellecordière par les murs disparates d’une
clôture sans charmes.
Ainsi, l’Hôtel Dieu que nous connaissons n’est pas l’aboutissement d’un programme parfaitement
cohérent, mais le résultat d’une agrégation de morceaux d’architecture, répartis sur trois siècles, dessinés par des
mains différentes, édifiés, restitués et restaurés par d’autres mains3. Deux programmes principaux qui se
succèdent s’opposent. Un système rayonnant (le cloître, autour de l’axe formé par le petit dôme), et un système
linéaire fait d’adjonction de rameaux orthogonaux à partir d’une branche maîtresse (le bâtiment du quai). Les
deux systèmes sont maladroitement raccordés au Nord où il a fallu réduire la galerie Est de la salle des quatre
rangs, et interprétés au Sud.
Figure 2. 01 : quai Jules Courmont. 02 : rue de la Barre. 03 : rue Bellecordière. 04 : place de l’Hôpital. 05 : rue MarcelGabriel Rivière. 06 : rue Childebert
3
Dorénavant abrégé HD.
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
Figure 3. Les trois programmes de construction de l’Hôtel-Dieu. En rouge le cloître (XVIIe siècle), en bleu le bâtiment de
Soufflot (XVIIIe siècle), en jaune le bâtiment de Pascalon (XIXe siècle).
De fait, les vues aériennes ne révèlent pas un bâtiment aux formes éloquentes, mais un îlot fait d’une
mosaïque de cours entourées de galeries. L’abondance des vides est significative, et les corps de logis
apparaissent plutôt comme les linéaments entourant des polygones de liaison. Sur la grille cadastrale divisée
géométriquement en zones de logements (masses des bâtiments formant les pleins) et de mouvements (lignes des
rues délimitant les vides), il s’inscrit en creux avec ses vides qui font masses et ses lignes dessinées par les
pleins. Rationnellement nous pouvons dire que L’HD ne tire pas sa force d’une homogénéité ou d’une pureté
architecturale. Notre attention n’est pas attirée par la substance formelle globale de l’objet, impossible à
embrasser d’un seul regard. C’est un ensemble composite fait de fragments, suggestion symbolique plus que
puissance structurale. Et cependant, dans la ville, l’îlot est prépondérant et fournit avec la place Bellecour le plus
grand tènement du 2ème arrondissement.
Une architecture, et à plus forte raison un ensemble architectural n’est pas isolé de son environnement.
L’insertion du bâti dans une parcelle, les dimensions, et la distribution des volumes avec ses ruptures accentuant
les particularités des périodes de construction si elle ne favorisent pas une vision d’ensemble et présentent une
structure hétérogène à plusieurs échelles est cependant faite de systèmes comportant des homologies, des échos
et des correspondances. A l’HD, les vides sont prééminents. Doit-on les considérer comme les défauts de
remplissage d’espace intercalaire, ou des découverts salutaires ?
02
Une affaire de perception, et d’environnement
Changeons d’échelle et d’orientation. Beaucoup d’espacements (en vert) dans une aire restreinte autour
de l’HD dont nous avons également coloré les cours, l’entourent. Devant l’entrée, la petite place de l’Hôpital
n’est guère plus qu’une terrasse de café. Mitoyenne au Nord, la place de la République forme un trapèze
piétonnier traversé par deux voies de circulation routière. Mi-place, mi-rue, ni place, ni rue, flanquée d’un bassin
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
d’eau rectangulaire souvent vide en hiver, elle comprime l’espace. A sa gauche, la place des Jacobins se lit
comme une comète reliée à l’HD par l’arc des rues Confort et Paufique qui dessine un chemin naturel menant à
la chapelle et au cloître 4. A l’Ouest, la place des Célestins, proscénium avancé du théâtre fait socle avec le
volume unitaire qu’elle contient dans un classicisme approprié. Au sud, la Place Bellecour est un immense
champ de manoeuvre marqué par une transversale, boueuse les jours de pluie, poussiéreuse sous le soleil 5.
Enfin, la place Anthonin Poncet sur l’emplacement de l’ancien hôpital de la Charité dont le musée de l’HD
conserve des vestiges offre un long parterre jusqu’au Rhône. Notons l’importance dans cette section de la
presqu’île d’espaces libres, et le pouvoir attractif auquel pourrait être soumis ce périmètre dans la refonte du
programme de l’HD en connexion avec l’ensemble de ces parcelles 6,.
Figure 4. Les espaces libres (en vert) dans le périmètre de l’Hôtel-Dieu. 01 : place de la République. 02 : place des Jacobins.
03 place des Célestins. 04 : place Bellecour. 05 : place Anthonin Poncet.
4
L’accès à l’HD par la rue Paufique cré la surprise. Les discordances entre la majesté de la façade de la chapelle, et l’entrée
sollicitent le regard. L’oeil fouille la façade, s’élève pour accéder aux deux clochers, puis redescend au niveau de la rue pour
deviner et enfin voir le porche d’entrée encastré dans l’exèdre.
5
Monsieur Josse, infra, p. 222. « Je ne puis traverser la place Bellecour, sans me demander pourquoi notre édilité laisse à
l'état de petit Sahara un lieu qui se prêterait si bien à l'établissement d'un magnifique jardin. Mieux avisés, nos aïeux y avaient
mis des pelouses et des fontaines, et il n'y a pas fort longtemps qu'on distinguait sur le sol, quand le temps était humide,
l'ovale des anciens bassins. » Ce fragment de texte est limpide, qui
6
Nous reviendrons plus largement sur l’études de celles ci. Notons au passage que l’horizontalité règne sur l’occupation de
ces espaces (Terreaux, Gros cailloux, Anthonin Poncet...).
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
Le rapport entre l’HD et son environnement participe à sa caractérisation. La perspective normative,
l’affirmation des différences entre blocs, petits et grands, l’articulation de tous les éléments bâtis, des clôtures,
des vides, bref, les rapports que l’architecture entretient avec l’espace entre la partie et le tout, sont identifiés
dans l’îlot et dans son périmètre contenu entre les deux fleuves et l’hémicycle formé par les espaces libres autour
de lui-même. En présence de cette topologie nous suggérons que la métamorphose de l’HD porte à la fois sur
l’objet lui-même et sur son équilibre au sein de cet ensemble. Cela revient à redéfinir les différentes zones
repérées à l’aune d’un programme plus vaste que le simple découpage de surfaces à l’intérieur d’une friche. Il y
a là une nuance utile à retenir dans la nouvelle configuration des lieux, en songeant non pas simplement à diviser
les volumes en fonction de ratio de cession à tels ou tels locataires, mais en planifiant un programme à une
échelle qui transcende l’individuel et le collectif, dans la totalité de l’espace du quartier, et donc de la cité. L’HD
invite à penser en urbaniste, autant qu’en architecte. Conjuguer l’acte de voierie à l’esthétique d’une
planification environnementale permettrait sans doute d’optimiser l’îlot et de créer un lieu d’appartenance et
d’appropriation de l’ensemble de la population à une nouvelle et innovante morphologie urbaine.
Nous avons rapidement dressé une image synchronique de l’émergence du bâti de l’HD dont le
chaînage relève d’une évolution temporelle de l’enveloppe à travers une pratique : les soins. Devenu inadapté
aux exigences médicales contemporaines, bordé par un réseau bruyant et polluant de huit couloirs de circulation
automobile, construit avec des matériaux induisant parfois une humidité accrue par l’échelle des bâtiments
donnant sur cours, à considérer l’HD comme un écrin, on risque de s’aveugler d’une fausse perception
architecturale et rater sa nouvelle destination 7. Ces phénomènes sont à prendre en compte à la lecture du projet
de restructuration, car dans tous les cas il sera, à moins d’un engagement drastique, difficile de faire abstraction
de certains de ces désagréments. C’est un défi de loger dans l’HD.
Or, ce lieu autrefois homogène dans son appartenance à une seule et même fonction sera demain
confronté à l’ouverture sur une co-appartenance au sein d’un même îlot. L’HD sera recontextualisé. Nous
connaissons les variations corrélatives du lieu selon les époques et les projets esthétiques. Demain, l’opposition
entre l’occupation du bâti et sa vocation initiale risque de refléter une contradiction entre la signification et le
sens. La création et ses remaniements ont façonné un ensemble relevant d’un vocabulaire et d’une syntaxe
commune. La nouvelle conception en fera une forme singulière qui concrétisera des permanences et des ruptures.
Ces deux éléments doivent être distingués, et articulés, car ces catégories constituent le fonds d’évaluation
collective de la doxa ou d’une idéologie implicite. On relève par exemple dans la prose de ceux qui s’expriment
sur le devenir de l’HD la volonté d’emblèmisation du bâtiment, et l’utilisation d’épithètes empruntés à la
joaillerie. Que l’HD soit un bâtiment emblèmatique nul ne le conteste. Mais il l’est devenu parce qu’il est le plus
ancien hôpital de la ville, placé en son centre, construit en partie sur les plans d’un architecte célèbre, accueillant
le miséreux et l’opulent, la douleur et la joie, la naissance et la mort. Les nouveaux locataires ne peuvent
prétendre jouir dès l’instant de l’installation de leurs meubles dans les murs de cette solennité. Ils peuvent même
la détruire en imposant un rapport factice et léthargique avec l’enveloppe qui les contiendra.
Deux exemples voisins montrent que les transformations contradictoires d’un lieu ont parfois pour effet,
sinon pour but de subvertir les formes de la vision comme celle de la fonction. Sur l’autre rive à un jet de pierres
du dôme de Soufflot répond celui d’Abraham Hirsch de l’ancienne faculté de médecine 8. Sa destruction partielle
en 1999 et sa reconstruction ont entièrement renouvelé sa fonction. Autrefois silo abritant la mémoire vive de la
connaissance, sillonné par l’ensemble du public universitaire, il contient aujourd’hui la gouvernance, des
7
Jacques Pierre Pointe, Histoire topographique et médicale du grand Hôtel-Dieu de Lyon, Lyon, 1842. Dans ce livre
éclairant, que nous avons longuement parcouru, l’auteur note p. 401 : « Quant aux cours, les bâtiments sont trop élevés pour
que le soleil y donne assez longtemps. Il y a quelques années, on y avait planté des arbres, mais ils dépérissaient, et l’on a été
forcé de les abattre....... Les corridors, ouverts sur les cours par des portiques, sont trop étroits pour qu’on y soit à l’abri des
intempéries. On y est même en butte à une humidité et à un froid presque habituels, dont ils sont redevables à la pierre de
Villebois avec laquelle ils sont construits. Cette pierre est en effet meilleur conducteur de la chaleur que celle de Couzon et
que le mortier, de sorte que, si le vent du midi succède brusquement à celui du Nord, l’eau, suspendue dans l’air en contact
avec ces murs, se condence, coule et ruisselle sur leurs parois. »
8
Aujourd’hui université Lumière Lyon2. Le dôme a été en partie détruit dans un incendie en 1999.
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
services administratifs, et de reproduction. L’espace est devenu impénétrable, figé dans un décor de façade
dormante précédée d’une cour vide, aux grilles fermées, réduisant l’architecture à une devanture stérile.
En amont, de l’HD au croisement des places Louis Pradel et de la Comédie le sol porte en palimpseste
trois temps de l’architecture. Ici Soufflot entre 1754-56, édifie sur trois niveaux l’opéra de la ville. Puis c’est au
tour d’A.-M. Chenavard et J.-M. Pollet de construire sur les ruines du précédent le Grand Théâtre. Enfin, c’est
dans l’enveloppe de pierres conservée que Jean Nouvel surcreuse, et surélève l’opéra, et le coiffe du grand dôme
de verre et d’acier que nous connaissons. Jean-Yves Andrieux le écrit ainsi : «Concrètement, l'opéra de Lyon
compose avec les données du site, s'ouvre sur l'extérieur pour offrir une qualité de vie au quartier et accueillir le
public, retrouve l'expressivité des grands bâtiments publics d'autrefois symboles d'une sociabilité politique forte
comme la basilica de Vicenza, utilise une dématérialisation très tactile, sensible et plastique. Non pas une
architecture de vitrine, mais une profondeur de champ presque cinématographique. Du coup, la salle de Nouvel
est un point d'ancrage stable dans la perception d'un monde urbain et changeant » 9.
Ces deux bâtiments placés comme l’HD en bordure du fleuve montrent qu’un objet peut passer d’une
existence active à un état Potemkine, ou perpétuer l’harmonisation de la vie publique. Tous deux sont le fruit
d’une prise de position éthique, et politique, et si le dôme du quai Claude Bernard coiffe désormais un système
accroché à un concept suranné ou la doxa l’emporte sur l’épistémè, celui de Nouvel s’inscrit dans un registre ou
l’épistèmé l’emporte sur la doxa.
03
Du télescope au microscope
Les vues aériennes parce qu’elles donnent une vision élargie sont des outils de planification utiles à
l’urbaniste et à l’architecte. Mais pour construire il faut redescendre sur terre. C’est du sol que la ville se
construit, que les édifices s’élèvent, et que le regard du piéton embrasse les pleins et les vides qui composent
l’étendue dans laquelle il s’oriente, car une ville n’est pas perçue par ses habitants à la manière d’un oeil céleste.
Vivre en ville, ce n’est pas observer de loin mais vivre dans l’entrelacement réciproque d’espaces multiples.
C’est habiter, se mouvoir, et percevoir à proximité, tout en ayant cependant le sentiment d’appartenance à un
ensemble communautaire.
La tâche de déterminer la qualité des futurs locataires de l’HD est une lourde responsabilité. Un certain
nombre d’associations, de mouvements, proposent des hypothèses de restructuration, et d’hébergement.
Hôtellerie, commerces, services de médecine sociale, etc... sont souvent avancés pour agréger les lieux. Le
bâtiment, sa situation, son prestige produisent un phénomène d’aimantation qui attire les convoitises, dont
certaines sont légitimes, d’autres infondées. Pour notre part, nous avons longuement sillonné l’HD, les jours
ensoleillés, comme les jours de pluie, le matin et le soir, pour saisir le macrocosme comme le microcosme et
étayer une réflexion d’ensemble, entre ce qui est, ce qui n’est déjà plus, entre ce qui restera, et ce qui sera.
Autorisons nous un instant chimérique associé à une ritournelle mentionnant une cour de silence, un jardin des
bruits, un parc des odeurs, un enclos des remèdes, un mélange d’espaces de recherche, de contemplation et de
cris d’enfants d’écoles maternelles, d’échos de chalands et de marchands, resserrant ici et là les fils du tissu
narratif en nouant des points de convergence qui télescopent passé, présent et futur, selon une logique et une
nécessité qui pourrait être celle de la sensibilité, et de la conscience rythmant les parcelles de la mémoire et du
temps, et de la vie quotidienne.
Or, une de ces parcelles existe déjà depuis 1933 au sein de l’aile Nord des «Salles des quatre rangs»,
dans l’ancienne salle Sabran. Sur 400 m2 elle abrite le Musée des Hospices civils de Lyon. Ce musée conserve
une reconstitution/restitution des parements de salles de l’ancien hôpital de la Charité détruit en 1934, le mobilier
des époques antérieures, les thériaques de l’apothicairerie, les instruments de médecine et de chirurgie. C’est un
espace calme et charmant, vieillot et désuet. C’est un musée d’entreprise conservatoire de formes plus
9
http://www2.archi.fr/DOCOMOMO-FR/texte-jya.htm
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
qu’observatoire dans lequel on a cherché à accumuler les objets qui ont participé à l’histoire des événements qui
se sont déroulés entre les murs de l’Hôtel-Dieu. Son accès est discret, son entrée opressante, sa signification
confuse, ses propositions erronées, ses reconstitutions fantomatiques. Mars 2010 dans le grand réfectoire de
l’HD le professeur René Mornex a esquissé les principes fondateurs du projet de création d’un musée de la santé.
L’objectif est de réunir les collections des trois musées, d’Histoire de la médecine et de la pharmacie,
d’anatomie, et d’odontologie actuellement logés dans le domaine Rockfeller à l’HD. En décembre le Maire de
Lyon, Gérard Collomb, Président des HCL choisissait entre deux concurrents sélectionnés un mois plus tôt
parmi quatre opérateurs retenus, et accordait au groupe Eiffage le soin de préserver et de construire sur l’ilôt un
nouveau territoire de commerce et de mémoire.
04
La Santé dans un Musée
Dans une étude sur l’art médical à Lyon (évolution et constitution des savoirs), Caroline Januel et
Sylvie Mauris-Demourioux10 révèlent les traces de l’esprit d’expérimentation, de transversalité, d’invention, et
de diffusion des idées qui ont marqué le dynamisme notre ville dans le domaine de la santé.
« Comme le Rhône et la Saône ont dessiné la ville, le savoir médical soutenu par les valeurs phares
d’hospitalité, de solidarité et d’humanisme ont façonné la cité lyonnaise tant dans son architecture et son
urbanisme que dans son développement économique et social. Hôpitaux, médecins, patients, congrégations
religieuses, maires hygiénistes, inventeurs touche-à-tout, entrepreneurs visionnaires, collectivités… ont
contribué à tisser un lien historique et dynamique entre Lyon et la santé. Une alchimie qui a traversé les siècles
puisque, dans le cadre de l’élaboration de la vision métropolitaine « Lyon 2020 » portée par le Grand Lyon, la
santé apparaît comme un axe stratégique pour le développement et le rayonnement futurs du territoire : «Forte
d’une double tradition hospitalière et industrielle, confortée par un solide potentiel de recherche, la métropole
lyonnaise aspire à faire partie des cinq plus grands «bioclusters» européens et à devenir en 2020 la métropole
européenne de la santé».
Si notre tache est plus modeste, elle s’inscrit dans ce mouvement. En septembre 2010, logés à l’HôtelDieu notre tache a consisté à réfléchir à l’ensemble des principes que génère au sein d’un bâtiment hospitalier
délivré de sa mission initiale, l’assemblage d’un ensemble de matériaux liés à l'art de soigner. Il nous a fallu pour
cela considérer une suite d'instruments et d'appareils de médecine, de chirurgie, et d’odontologie, une
réunion/compilation de machines de physique destinées à démontrer les principales propriétés du corps, de
même que les productions de la nature employées comme médicaments, des ossements sans leur chair, des
organes en bocaux, et associer à ce rassemblement déjà complexe un ensemble hétérogène, de livres, de
meubles, de tableaux, de tapisseries, et d’objets liturgiques...
Ce n’est pas une moindre singularité que de tenter de fixer dans un bâtiment autrefois réservé aux soins,
le souvenir immédiat d’un passé démantelé. Cette antinomie apparente s’accompagne de prémisses hésitant entre
un signe de reconnaissance et un indice de vraisemblance. Exposer sur le lieu de leur utilisation/destination des
instruments et des concepts efface-t-il la décontextualisation, et la recontextualisation traditionnelle propres aux
objets de musées ? A l’Hôtel-Dieu, la part d’immatérialité appartenant à l’objet séparé de son contexte initial
échappe en partie à sa dissolution. Bien que devenu inactif, inerte, privé de son substrat, l’instrument reste dans
la géométrie intime de sa pratique locale et universelle : l’hôpital. L’enveloppe qui le contenait et le contient
encore peut-il apporter une aide à la compréhension de sa fonction dorénavant suspendu ? Charles S. Peirce
esquisse une réponse à notre question en précisant qu’un « indice est un signe ou une représentation qui renvoie
à son objet non pas tant parce qu’il a quelque similarité ou analogie avec lui ni parce qu’il est associé avec les
caractères généraux que cet objet se trouve posséder, que parce qu’il est en connexion dynamique (y compris
10
Millénaire3, Centre de Ressources Prospectives du grand Lyon, 01/06/2009. Cette étude bien documentée nous livre
Jean-Claude Mossière. Un hôtel au bord de l’eau
spatiale) et avec l’objet individuel d’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert
de signe, d’aure part » 11
Or, la morphologie de l’instrument nous montre l’équivalent abstrait de cette réalité qu’il nous cache
parce que justement il l’a suggère. Derrière l’objet, il y a une fonction, une pratique et une histoire de la pratique,
un geste et une histoire du geste : le geste médical qui de façon empirique, puis analytique et spécifique définit à
quelle fin l’objet doit sa forme. Et la surface sur laquelle s’exerce ce geste c’est l’épiderme ainsi palpé, aseptisé,
piqué, coupé et cousu, décousu et recousu. Sous la peau c’est le corps interne rendu transparent, radiographié,
scanné, ouvert transplanté, appareillé, etc... Car si les instruments sauvegardés dans le domaine de la santé
appartiennent à la catégorie des objets des sciences et des techniques ils sont en corrélation directe avec le corps
de chacun d’entre nous. Nous avons tous été sujet d’un contact de la peau avec la pointe d’une aiguille,
l’enserrement du brassard d’un tensiomètre, le coup porté par un marteau à reflex, ou l’application de la
membrane du pavillon d’un stéthoscope transmettant à l’oreille du praticien notre battement cardiaque... Les
instruments médicaux exercent des stimuli d’expériences sur notre propre corps, et participent d’une sensibilité
proprioceptive, qui nous est étrangère lorsque nous regardons d’autres catégories d’objets de sciences et
techniques.
De fait, la santé est difficile à classer dans le dictionnaire/corpus des musées. Elle est un mélange de
situations autour du corps humain. Ce que le corps subit, qui le dégrade, ce qu’il absorbe, et qu’il accepte ou
rejette, ce qui le compose et le recompose, aidé par la chimie, soutenu par des prothèses, ce qui le
métamorphose, ce qui lui est retiré comme ajouté, parfois de sa propre chair. Le concept de soin servant à
permettre un bon fonctionnement mécanique de l’organisme s’augmente du concept d’esthétique. Ce n’est pas
nouveau, puisque au début du XXè siècle la chirurgie dite réparatrice permis aux combattants des tranchée de
retrouver parfois un visage cassé par la poudre et l’acier. Puis de réparateur, le chirurgien est devenu
constructeur. Il transforme et métamorphose, enlevant ce qui ne convient plus au corps de celui qui le livre
désormais au chirurgien prométhéen, ajoutant, ou enlevant pour reconstruire une identité différente de celle que
la nature a transmise, faisant reculer les principes jusqu’alors définissait la naissance et l’existence, et la mort. La
santé c’est ce pertuel mouvement qui recule les limites de la mort Bref, la santé comme concept d’attention du
corps existe entre une définition ontologique et une anticipation holistique, et ses instruments perceptibles nous
entraînent entre facination/admiration et répulsion.
Aymeric Raffin empoigne immédiatement le nom d’affleurement du projet et nous donne la définition
de la Santé adopté par l’Organisation mondiale de la Santé en 1946, et qui n’a pas été amendé depuis 12. Or nous
savons que la santé n’est plus «la vie dans le silence des organes» comme le proclamait Georges Canguilhem à la
suite du docteur René Leriche, issu d’une famille de médecins lyonnais13.
virtuosité et la prouesse du geste chirurgical pour prôner une "chirurgie de la douceur". La pratique
chirurgicale spectaculaire
Selyne propose un musée réserve, à la fois dans l’esprit et la lettre. Stocker de manière a créer un accés
aux collections, et créer un mouvement d’exposition ou le chef d’orchestre choisira d’interprêter telle ou telle
mélodie en puisant dans le stock. du stockage et celui de la création. Les instruments seront
Comment concilier les souhaits des conservateurs, les particularismes des collections (objets et
mobiliers), et les faire rentrer dans un modéle. Comme Procruste faut-il allonger ou réduire, distendre ou
retrancher pour adapter au modèle choisi.
Dans l’espace de l’Hôtel-Dieu, le musée fait office de lieu emprunté. Emprunté à la fonction
hospitalière, séparé de l’espace des soins, il est une ambassade des legs donnés.
11
Charles S. Peirce, Dictionnary of Philosophy and Psychology, [1901], trad. Ecrits sur le signe, 1978, p. 158.
Infra, p.
13
Georges Canguilhem (1904-1995), philosophe et médecin français, spécialiste d'épistémologie et d'histoire des sciences.
René leriche (1789-1955), chirurgien des hôpitaux de Lyon en 1919 et physiologiste. Il consacrera d’importants travaux sur
la douleur.
12
Aymeric Raffin. Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
Aymeric Raffin
Un Musée de la Santé à Lyon est le titre d’un document de cinquante cinq pages qui nous a été présenté
par les initiateurs de ce projet14. Nous avons choisi d’interroger directement cet intitulé, qui suscite des questions
auxquelles nous tenterons de répondre afin de garantir la cohérence du futur musée.
Tout d’abord, le terme santé est très rare en muséologie. Il existe en France des musées d’histoire et des
techniques de la médecine, les musées des hospices de telle ou telle ville, mais aucun établissement ne porte
encore le nom de « musée de la santé ». On note bien l’existence des Health Museums anglo-saxons comme
celui de Houston, au Texas, mais ces derniers reposent sur des conceptions muséales qui divergent des objectifs
fixés dans le cadre de notre projet15. En effet, ces établissements ne se préoccupent guère de la conservation d’un
patrimoine médical, alors que le musée de la santé de Lyon doit reposer sur la réunion de quatre collections
historiques. Si le terme musée de la santé est retenu pour définir l’établissement qui sera ouvert à l’Hôtel-Dieu,
nous devons prendre conscience qu’il s’agira d’un musée d’un genre nouveau, car traitant d’un thème auquel
n’ont jamais été confrontés les conservateurs de musées français, et qui mérite donc qu’on s’y attarde. Comment
évoquer ou parler de la santé dans un musée ? C’est à cette question fondamentale que nous proposerons des
réponses.
Il nous faut également noter l’équivoque contenue dans l’intitulé : Un musée de la santé à Lyon.
Qu’indique ici cette notion géographique ? Est-ce une limite à la thématique du musée ? Ne s’agira-t-il que de
traiter de la question de la santé telle qu’on la trouve dans la région lyonnaise ? Porte-t-elle sur la localisation du
musée ? Les collections lyonnaises peuvent-elles illustrer un thème universel et intemporel ? Y a-t-il un hiatus
entre l’extrême amplitude de cette notion et les très fortes données locales ? Il nous faudra également
approfondir le sujet.
01
Exposer la santé
Il s’agit déjà de savoir sur quelle acception du terme « santé », peut se fonder la conception du musée.
La définition que nous considérons aujourd’hui comme une référence est celle que propose l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) dans sa constitution : « La santé est un état de bien être total physique, mental et
social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » 16. D’emblée, il nous semble
problématique, car anachronique, de faire reposer un musée qui rassemblera les objets anciens qui composent
actuellement les quatre collections sur une définition aussi moderne, car la notion de « bien être », somme toute
très récente, trahit bien l’époque à laquelle appartient cette définition. Il nous faut trouver quelque chose de plus
14
René Mornex, Un musée de la santé à Lyon, 2009.
The Health Museum, John P. McGovern museum of health and medical science.
http://www.thehealthmuseum.org/default.aspx
16
Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la
Santé, New York, 19-22 juin 1946 ; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946 ; (Actes officiels de
l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948.
15
Aymeric Raffin. Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
large, que l’on puisse appliquer à toute les périodes dont sont issus les objets exposés. La définition proposée par
le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI) nous semble plus éclairante, car elle prend plus de recul.
Contrairement à celle de l’OMS, elle ne nous indique pas concrètement ce qu’est la santé (un état de bien être,
etc...), mais ce que l’on cherche a désigner sous ce terme. La santé, c’est en fait la qualification du
fonctionnement harmonique ou disharmonique observé dans notre corps ou notre esprit. Les critères de cette
observation, ainsi que les constats qui en découlent, n’ont cessé d’évoluer au fil du temps. Nous sommes par
exemple passés d’une période où l’embonpoint et l’opulence étaient signe d’une bonne santé, à une époque
actuelle où le corps sain est un corps mince. Un musée de la santé devra donc suivre comme axe principal
l’évolution de la conception de la santé, plutôt que tenter d’illustrer une définition particulière découlant d’un
contexte particulier, sans quoi, il risquerait de passer à côté de son sujet.
De ces observations, nous pouvons dire que « la médecine n’est pas la santé » 17. La santé est avant tout
affaire de mentalité. C’est une pensée qui implique de nombreuses considérations concomitantes comme la
perception de notre corps, la vision de la vie et de la mort, le contexte social, historique, politique, et
environnemental. La médecine et son évolution découlent de cet état d’esprit, car soigner c’est diagnostiquer ce
que l’on suppose dysfonctionnel entraînant la maladie, voire la mort, et chercher à intervenir, certes en fonction
des connaissances et des moyens techniques d’une époque, mais également d’après les schémas de pensées, les
idéologies, les interdits du moment (contrarier autrefois les gauchers par exemple). C’est pour cette raison qu’un
musée reposant sur une approche strictement médicale de la santé serait un contresens. Comme l’expose
Frédérique Desforges, l’étude de la santé dépend de l’histoire et de la philosophie, puisqu’elle trace l’évolution
d’une pensée à travers et en fonction des siècles18. Dans ces conditions, on ne saurait imaginer le musée de la
santé à l’Hôtel-Dieu comme une simple réunion des quatre collections médicales et hospitalière existantes, dans
lesquelles seraient choisies et exposées les meilleurs pièces de chacune, sans en changer la présentation.
L’ensemble des fonds suppose un état des lieux très précis, et une problématisation poussée, afin de répondre à
la nouvelle thématique fixée.
En partant de l’approche que nous venons de définir, le dispositif d’exposition du musée pourrait
reposer sur l’illustration de thématiques liées à la santé par la présentation d’objets tirés des collections et
fortement recontextualisés (Quand ont-ils été réalisés ? Dans quels buts ? Selon quels principes ?), qui agiraient
alors comme des allégories ou des symboles révélateurs de tel ou tel mode de pensée. Les pièces
iconographiques présentes dans les collections seraient particulièrement valorisables, puisque reflètant plus
explicitement que les autres l’idéologie de leur époque, le travail d’allégorisation est déjà fait. Nous pouvons
nous inspirer pour cela de la Health Gallery19, qui montre une suite d’iconographies représentant les sciences
ayant trait à la santé (la médecine, la pharmacie, l’art vétérinaire...) au Musée d’art de Philadelphie. On y trouve
aussi bien des représentations des personnes exerçant ces savoirs-faire plus ou moins salvateurs selon le moment
(de la gravure de la Renaissance montrant un dentiste itinérant aux photographies de Florence Nightingale) ainsi
que des allégories des maux diagnostiqués, et soignés, comme le fameux démon de la goutte s’acharnant sur un
orteil endolori imaginé par James Gillray en 179920.
Ainsi, la Vanité de Jacopo Ligozzi, actuellement exposée au Musée d’histoire de la médecine et de la
pharmacie, trouverait amplement sa place, car elle illustre la conception d’une santé essentiellement précaire
dans un XVIIème siècle obsédé par la mort dont il faut sans cesse se rappeler l’imminence. Elle renvoie à la
représentation traditionnelle du corps corrompu, répugnant, réifié par son absence de vie (les crânes sont
17
J. de Kervasdoué, “Idéologie des réformes du système de santé depuis 1990 : un système stable”, Santé, société et
solidarité, n°2, Paris, 2008, p.17-30.
18
F. Desforges, "Histoire et philosophie : une analyse de la notion de santé", Histoire, économie et société, n°3, Paris, 2001,
p. 291-301.
19
F. Chast, "Iconographie de la santé au Musée d'Art de Philadelphie : William H. Helfand, John Ittmann, The Ars Medica
Collection at the Philadelphia Museum of Art, Annals of internal Medicine, 2000", Revue d'histoire de la pharmacie, vol.80,
n°328, Paris, 2000, p. 544-546.
20
James Gillray (1757-1815), graveur et caricaturiste britannique.
Aymeric Raffin. Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
généralement posés sur une table comme de simples objets, un livre, une corbeille de fruits, une carafe) comme
un double ironique, un rappel à l’humilité « tu fui ego eris », la santé est un don de Dieu et ne durera que le
temps de ton passage sur terre, alors recommande ton âme pour la vie éternelle.
Figure 1. Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie, vitrine consacrée au thème de la vanité, en complément de la
toile de Ligozzi, exposée dans une vitrine voisine.
On remarque d’ailleurs qu’à la santé du corps s’oppose la sainteté de l’âme. De même, les nombreuses
représentations de Saint Roch, symbole de l’intercession des saints catholiques sur la santé des croyants, peuvent
servir de support à une réflexion alimentée bien sûr par d’autres pièces évoquant la religion et la pensée magique
sur la santé (l’influence surnaturelle de ces saints n’a en effet rien à envier à celle des dieux antiques) et sur la
relation de la santé au sacré. La notion de progrès, la prise en compte de la douleur, l’hygiène et l’hygiénisme,
l’idée de santé mentale, la place de la médecine dans la société, sont autant de champs à se réapproprier à partir
des collections lyonnaises.
Aymeric Raffin. Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
Il faudra cependant trouver le moyen de transmettre un sens allégorique à des objets qui s’y prêtent
moins facilement, car n’étant pas au départ des représentations, mais des objets avec un usage défini.
L’exposition d’éléments de la collection tératologique du Musée d’anatomie peut s’ouvrir sur une réflexion sur
la fascination pour le « monstre », l’ « anormalité », ce que la nature, ou Dieu, selon le contexte, a créé, sans
qu’on ne comprenne forcément pourquoi, si l’on estime qu’un pourquoi est nécessaire. Les prothèses exposées
dans plusieurs musées peuvent illustrer l’évolution de la perception de notre capacité d’action sur notre corps,
que l’on prétend aujourd’hui pouvoir réparer, améliorer, jusqu’à la création de nouveaux membres pour se
substituer à ceux qui ont disparu. Il faut cependant reconnaître que toutes les pièces médicales ne se prêtent pas
aussi aisément au jeu du symbolisme, et la tentation est forte de présenter des raisonnements plus complexes afin
de présenter des pièces dont on peine à justifier la présence. C’est là une limite à la présentation de collections
médicales dans un musée de la santé.
Figure 2 -Musée de l’anatomie et de la médecine, vitrine consacrée aux déformations du crâne. Si certaines sont liées à des
pathologies, comme l’hydrocéphalie, d’autres sont provoquées volontairement, conformément à des canons de beauté bien
définis. Une vitrine propre à alimenter une réflexion sur notre pouvoir d’appropriation et d’intervention sur notre corps, ainsi
que les relations ou les oppositions pouvant exister entre santé et esthétique. Photo de Roxanne Millier.
02
La santé à Lyon
Nous n’énumérerons pas ici en détail les nombreuses innovations médicales qui ont vu le jour à Lyon,
ainsi que tous les « grands hommes » -Alexandre Lacassagne, père de la médecine légale, Claude Bernard,
concepteur de la physiologie, Léopold Ollier, initiateur de la chirurgie orthopédique moderne-, pour n’en citer
que quelques uns, qui ont officié dans la ville, mais il est indéniable que Lyon est depuis longtemps à la pointe
en matière de médecine, comme le démontrent Caroline Januel et Sylvie Mauris-Demourioux21. Cette spécificité
se traduit d’ailleurs par la grande richesse des collections lyonnaises qui se distinguent au rang européen (La
collection Renaud, actuellement en réserve dans les sous-sols du siège des Hospices Civils de Lyon (HCL) est
unique en son genre. Dans ces conditions, du fait de cette place particulière, on peut reconnaître à Lyon une
certaine légitimité à ouvrir un musée de la santé, qui traiterait de ce thème universel. La ville ayant vu naître un
très grand nombre d’évolutions médicales, on peut parler de collections métonymiques de l’histoire occidentale
de la médecine, et par extension, tracer un parcours général de la santé à partir de ces objets, et ainsi passer du
local à l’universel.
21
C. Januel, S. Mauris-Demourioux, L'art médical à Lyon, évolution et constitution des savoirs, 2009.
Aymeric Raffin. Un musée de la santé à Lyon : un titre judicieux ?
Pour mener à bien une telle démarche, traiter de la santé comme d’un thème universel, il faut cependant
que Lyon se fasse oublier un peu, afin de ne pas s’enfermer dans un lugdunisianisme réducteur qui associerait
trop l’histoire universelle à l’histoire locale, pour ne considérer la première que comme une conséquence de la
seconde. Paradoxalement, alors que Lyon a toujours été un phare de la médecine, l’historique des innovations
lyonnaises devra rester discret, afin de ne pas entraver l’élargissement de la perspective promue par
l’établissement. D’ailleurs, si on se fonde sur les observations précédentes, il serait dommage de se contenter
d’un historique des grandes innovations médicales, que ce soit localement ou universellement, dans un musée
qui prétendrait se préoccuper de la santé. Lyon serait donc le lieu de l’exposition, et non son fil conducteur.
Le choix de l’Hôtel-Dieu pour abriter le musée présente également une ambiguïté qui tend à brouiller
les pistes entre échelle locale et échelle universelle. S’il est légitime de choisir un ancien bâtiment hospitalier
pour un musée de ce type, celui-ci a tendance à renforcer le donné local au détriment du général. Il est
intimement lié à l’identité lyonnaise, par son histoire, son activité récemment interrompue (beaucoup de lyonnais
ont vu le jour entre ses murs), et son architecture (c’est un bâtiment du patrimoine architectural urbain). Sa
récente désaffection contribue à renforcer sa transformation en un lieu d’histoire de la médecine lyonnaise, ce
qu’il est déjà du fait de la présence du musée des HCL et des salles reconstituées de l’hôpital de la Charité. Il
n’est pas impensable qu’un bâtiment plus neutre, moins marqué historiquement et localement, conviendrait
mieux à une présentation universelle et thématique de la santé, moins encombrée de sentiments et parfois de
ressentiment.
De notre réflexion, il ressort que le projet dépend fondamentalement de deux critères étroitement liés :
le thème et l’échelle de ce dernier. Faut-il réellement conserver la santé plutôt que la médecine comme axe
d’exposition des collections ? Ce choix permettrait certes de mettre en avant le prestige de Lyon du fait de sa
rareté muséographique, mais demanderait un lourd travail de réévaluation des collections. De plus, il n’est pas
dit qu’il rende réellement justice à la spécificité des collections lyonnaises qui sont essentiellement médicales.
Peut-on simultanément exposer la spécificité lyonnaise en matière de médecine et prétendre dresser un panorama
général d’une notion universelle et intemporelle ? Considérer ces deux projets comme également prioritaires
semble à la longue difficilement tenable. Il faudra faire un choix qui passera par le rôle attribué à l’Hôtel-Dieu :
symbole du musée, ou simple cadre d’exposition.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Quatre musées, quatre collections pour Un musée de la Santé
Justine Santoro
La création d'un musée de la santé à Lyon doit permettre la réunion de quatre collections d'objets dédiés
à l’hospitalisation, la médecine, la chirurgie et l’odontologie.
le Musée des Hospices civils de Lyon
le Musée d'Histoire de la médecine et de la pharmacie de Lyon
le Musée Testut Latarjet d'Anatomie et d'Histoire naturelle médicale
le Musée dentaire de Lyon
Nous avons choisi d’interroger les collections. Comment sont-elles nées ? Comment elles se sont
constituées ? De quelles manières sont-elles présentées ? A qui sont-elles destinées ? Enfin nous tenterons de
voir si leur réunion en un seul musée n’engendre pas certaines difficultés ?
Figure 1 Musée des Hospices civils de Lyon
Figure 3. Musée Testut Latarget d’anatomie
Figure 2. Musée d’Histoire de la médecine et de la pharmacie
Figure 4. Musée dentaire de Lyon
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
01 – Naissance et destination des collections
Les quatre collections reflètent l'intérêt et la richesse de la ville dans le domaine médical. Chaque musée
possède sa propre histoire, et tous ont été crées grâce à des circonstances et des personnalités différentes. Au
classement établi en fonction de la date de création des collections où le musée Testut Latarget vient en tête,
suivi du musée de médecine et d’anatomie, nous avons préféré commencer par le musée des HCL, en troisième
position dans la liste chronologique, puisque celui ci à l’avantage d’être logé dans l’Hôtel-Dieu permettant ainsi
de présenter le lieu du rassemblement des collections du projet de création du musée de la santé.
a) Le musées de Hospices civils de Lyon
C'est Emile Delore, qui propose en 1911 sans être entendu, la création d'un musée des Hospices civils
de Lyon pour y présenter les objets d'art à intérêt historique qui se trouvaient dans différents établissements
(Charité, Hôtel-Dieu, Antiquaille). En 1922, il fait état du souhait du Maire de Lyon Edouard Herriot, d’installer
un musée des hospices dans l’ancien hôtel de Gadagne : « Dans ce musée du vieux Lyon » écrit Delore, et
comme nous le révèle Philippe Paillard : « il s’agirait d’exposer des objets ayant un caractère hospitalier et
historique [...] reproduction d’anciens lits à plusieur places [...] et autres objets [...]. Cette exposition pourrait
contribuer au maintient du prestige des Hospices et à l’accroissement de leurs ressources par des libéralités
nouvelles»22. L’inauguration a lieu en 1926.
Mais il faut attendre 1936 pour que les collections des HCL soit abritées dans l’Hôtel-Dieu installé
parmi les salles des malades dans celle appelé Sabran, des salles 4 rangs situées dans la partie la plus ancienne
des bâtiments de l'Hôtel-Dieu. La démolition de l'hôpital de la Charité avait accéléré sa création, et le musée
accueillit les salles classées monument historique de l’hôpital (salle des archives et cabinet de pharmacie). On y
ajouta la salle du conseil de la Charité non classée, mais qui avait séduit l’architecte en chef M. Gelis.
La collection est constituée des sauvetages et de la récupération d’objets de personnes sensibles à
l’histoire et à l’esthétique des hôpitaux, et aussi de la générosité de la population, la plupart du temps par des
donations, des legs ou encore des successions. Parmi ces donateurs ont trouve administrateurs, personnels et
particuliers. Meubles, livres, tableaux sont ainsi laissés par des sœurs hospitalières, ou des aumôniers.
D'importants artistes comme Coysevox ou Chinard offrent également des œuvres.
Figure 5. L’hôtel-Dieu, gravure ? nom du graveur, date ?
22
Philippe Paillard, Directeur Conservateur du musée des HCL, « Grande et petite histoire du musée des Hospices civils de
Lyon », Catalogue de l’exposition 70 ans de dons, Lyon, 2006, p. 17.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Le musée s'étend sur 800 m. Il montre la vie médicale lyonnaise des. On préférait alors exposer les
beaux objets d'art décoratif ainsi que quelques pièces de curiosités. La médecine est présentée de manière
historique et artistique. On y voit des meubles anciens, des faïences pharmaceutiques, des sculptures, des
tableaux, des instruments de médecine et de chirurgie, des gravures et des aquarelles, des livres anciens, une
collection vestimentaire (des vêtements religieux, des costumes d’époque comme celui qui servait aux médecins
pour soigner la peste noire qui se constitue d'un grand habit noir porté avec un masque en forme de bec de
corbeau) des pièces d'orfèvrerie civile et religieuse ou encore des moulages. En résumé près de 10 000 objets
sont exposés, encadrés par des explications sur l’histoire de l'Hôtel-Dieu, de la médecine et de la chirurgie
lyonnaise.
L’espace est divisé en cinq salles identifiées : la salle Delore, en hommage au créateur du musée, la
salle Lacassagne23, la salle des Archives et la salle d’apothicairerie de la Charité et la salle Mathieu Varille24. Les
réserves abritent de nombreux objets : collection de dessins et de gravures dont celle de Boissieu (XVIIIè siècle),
la bibliothèque de l'abbé Flachy (livres rares et précieux), des vêtements religieux en usage dans des églises et
chapelles des HCL, une collection de photographies (scènes hospitalières, évènements, locaux...), des
microscopes, des moulages de gueules cassées (plâtres), des tableaux (religieux ou portraits) et des tapisseries.
Labellisé « Musée de France », le musée cherchera tant bien que mal au fil des années à conquérir moins un
public de connaisseurs qu’un public novice (scolaires).
Dans les années 70 on accorde plus d'importance à la présentation des objets et instruments de médecine
et de chirurgie, on met aussi en valeur l'école médicale lyonnaise ainsi que les grands noms qui l'accompagne.
On cherche à montrer sinon à illustrer les conditions d'hospitalisation de l'époque grâce à des mises en scènes
(lit, pièce d'aliéné...) ainsi qu'un historique des HCL présent dans une nouvelle aile. Le musée organise aussi des
expositions temporaires comme celle en 2009 intitulée « piqûre de rappel ». Traditionnellement couplé avec le
service d’archives le musée était depuis 1936 dirigé par un conservateur-archiviste, Depuis ???? la direction en a
été confiée pour un mi temps à une gestionnaire.
23
24
Supra p.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Figure 6. La collection du Musée des Hospices civils de Lyon
La Collection Albert Renaud
Il est indispensable de signaler la collection d’électroradiologie Albert Renaud, léguée au musée des
HCL en 2003, actuellement en réserve. Albert Renaud, ingénieur constitue cette collection en collectant
accumulant plus de 20 tonnes de matériels mis au repos dans les greniers des médecins. La collection permet de
suivre l'évolution des soins et de l’électricité à travers le temps, de l’étincelle du générateur à frottement à la
résonance magnétique.
De l’électrothérapie naissante autour de 1850, dont les appareils produisaient l’énergie à l’aide de
dynamo, de piles et de batteries à l’IRM, c’est toute l’histoire de la physique et de la chimie en contrepoint de
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
l’imagerie médicale qui est présente dans une succession d’objets chargé d’ondes comme de mystères (machine
magnéto-électrique, ozoneur volta faradique, tube modérateur, galvanoscope magnétique à graduations,
galvanocautère, cataphorèse, chlorure d'argent, pile au bisulfite de mercure en cristal, faradisation,
arsonvalisation, tubes de crookes, condensateurs, et rayons X...).
Une plaque de la grande galerie de l’Hôtel-Dieu rappelle que si Röntgen découvre les rayons X en
décembre 1895, en février 1896 Etienne Destot crée le premier service de radiologie français dans une boutique
désaffectée de l'hôpital.
Figure 7. La collection Albert Renaud
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
b) Le Musée de l'Histoire de la médecine et de la pharmacie de Lyon
C’est Alexandre Lacassagne, alors chargé des deux cabinets anatomiques destinés à l’instruction des
élèves comme il en existait déjà à l'époque pour l'enseignement de la médecine qui décide d'en créer un troisième
en 189625. Logé à l’origine dans la faculté de médecine sur le quai Claude Bernard « son but était en rapport
avec l'organisation de la vie de la société, le souci de faire connaître le passé médical et pharmaceutique, et de
favoriser ainsi, autant la formation des étudiants que la diffusion des thérapeutiques »26. Rapelons que de telles
collections, parfois privées, étaient installées dans les hôpitaux, particulièrement à Lyon où l'absence de faculté
de médecine, accentuait leur rôle pédagogique.
Le musée sera transféré 1930, soit la même année que l'ouverture de l'hôpital Édouard Herriot dans la
Faculté mixte de médecine et de pharmacie dans le domaine Rockefeller. Le musée de l'histoire de la médecine
et de la pharmacie est alors un musée original, qui montre les instruments mais aussi les idées et évolutions en
matière de médecine au fil des époques.Il appartient aujourd’hui à l'Université Claude Bernard Lyon 1.
Figure 8. Le musée de la médecine légale dans la faculté de médecine, quai Claude Bernard, date de la photo?
La collection s'étend sur 400m sur une seule et logue salle rectangulaire. Insérée au coeur de la faculté,
comme incrustée entre salle de cours et d’étude, le musée expose des objets rares qui présentent une idée de ce
qu'a été l'évolution de la médecine et de la pharmacie au fil des siècles, mais aussi et surtout les différents
moyens et instruments utilisés par les médecins. Il traduit bien l'évolution de la médecine et de toutes les
techniques et procédés qu'elle a connu à travers des ouvrages, des tableaux, des instruments chirurgicaux...
25
Alexandre Lacassagne, (1843-1924) médecin légiste, l'un des fondateurs de l'anthropologie criminelle, titulaire de la chaire
de médecine légale de la faculté de médecine de l’université de Lyon.
26
Cf. Musées et collections, http://www.univ-lyon1.fr
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
A l’entrée du musée le visiteur est accueilli par une série de portraits de professeurs ayant enseignés à la
faculté de médecine. Compartimenté en petits cabinets thématiques, fractionné par différentes vitrines (la peste,
la mort, la seringue, les outils chirurgicaux, les personnes emblématiques de la médecine...), l’espace est
chaleureux. Les tentatives d'appareillages d'amputés, une série de moulages présentant différentes déformations
ou maladies, des mobiliers de l'époque avec reconstitution cabinets de consultations ou encore des médailles
sous vitrines avec effigie. L’ensemble résonne de sa vocation pédagogique, et de son fonctionnement.
Laboratoire d’étude et de recherche, il montre une science évolutive. Atelier, il est un lieu de réparation, de
restauration permanent.
Il s'agit donc à la fois d'un musée des techniques et des concepts car celui-ci présente aussi des idées.
Figure 9. Musée d’histoire et de la pharmacie de Lyon
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
c) Le Musée Testut Latarjet d'Anatomie et d'Histoire naturelle de Lyon
- En 1795, Marc Antoine Petit, chirurgien de l'Hôtel Dieu,, y avait institué avec Cartier un enseignement médicochirurgical, appelé parfois "Ecole des Hôpitaux", et dans lequel la collection anatomique et les bibliothèques
jouaient un rôle important.
- En 1816, le Conseil Général de l'Administration des Hôpitaux Civils de Lyon, élabora un "Règlement pour
l'exercice de la Médecine et de la Chirurgie, à l'Hôpital du Grand Hôtel Dieu" et fit explicitement état du
"cabinet" destiné à l'instruction des élèves.
Alexandre Lacassagne (1843-1924) élève de l'Ecole de Santé Militaire avait succédé à Gromier, dans la
chaire de Médecine Légale de la Faculté de Lyon. Il était chargé de la surveillance des deux musées
correspondant à son enseignement.
Il avait pourtant décidé, en 1896, la fondation d'un troisième, le musée d'Histoire de la Médecine et de la
Pharmacie. Son but était en rapport avec l'organisation de la vie de la société, le souci de faire connaître le passé
médical et pharmaceutique, et de favoriser ainsi, autant la formation des étudiants que la diffusion des
thérapeutiques.
Le Musée d'Histoire de la médecine de Lyon est, dans ce sens, le "premier du genre". Il avait été défini les
règles par un Décret signé le 16 Avril 1914 par Mr Raymond Poincaré.
Egalement présenté au sein de la faculté de médecine Claude Bernard Lyon 1, la collection doit sa
création à Marc Antoine Petit. Chirurgien major de l'Hôtel-Dieu, il rassemble en 1796, le premier cabinet
anatomique de Lyon, et est aussi le fondateur de l'enseignement de la chirurgie à Lyon. Celui-ci demandera
notamment à l'administration de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu la création d'une bibliothèque, d'un amphithéâtre, et de
locaux afin d'y installer sa propre collection. L'administration n'écoutant pas sa requête, celui-ci se retirera en
emportant sa collection. Cependant, en 1854, on songe à l'intérêt de l’installation d'un cabinet anatomique au
sein de l'Hôtel-Dieu, et on affectera plusieurs salle pour la présentation d’une collection. On y trouve les
collections de la Société nationale de médecine et des sciences médicales de Lyon qui compte d'ailleurs celle de
Marc Antoine Petit, des dons privés ou des rares pièces de cabinets hospitaliers.
Cette importante collection va alors montrer qu'elle est plus que bénéfique à la formation médicale à
Lyon on l'installe dans un lieu approprié, au sein de la faculté de médecine, en 1877 plus précisément, puis en
1930, sur le site du domaine Rockefeller.
Le musée actuel situé au 3ème étage de la faculté de médecine s’étend 500m. Il est divisé en deux
départements présentés sur deux niveaux : le département d'Anatomie et celui d'histoire naturelle médicale
depuis la paléoanthropologie. Il expose toutes sortes de préparations et présentations anatomiques.
La collection se compose essentiellement d'injections corrosions, d'inclusions, d'anatomies naturalisées,
de moulages en plâtre, en carton, de cires anatomiques, de squelettes et ossements homme et animal, de vitrines
thématiques sur la criminologie par exemple. En tout environ 3000 objets et 3000 ouvrages sont recensés dans ce
musée d'Anatomie lyonnais. On peut diviser l'espace en 5 temps:
-Anatomie générale : divers pièces naturalisées tel que le cœur, les poumons, les reins...grâce à différentes
techniques.
-Embryologie, tératologie : des malformations majeures appelées monstruosités qui aident à la compréhension
du développement normal.
-Ostéologie : avec des os normaux et pathologiques qui traduisent alors des grandes pathologies du 19e siècle.
-Chirurgie du 19e et Ollier : l'oeuvre du père de l'orthopédie qui est replacée dans son contexte, soit l'invention
de l'anesthésie, de l'antiseptie et de la radiologie
-Anthropologie criminelle : évoque des affaires criminelles célèbres au siècle dernier.
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Figure 10. Le Musée Testut Latarjet d'Anatomie et d'Histoire naturelle de Lyon
d) Le Musée dentaire de Lyon
Le musée a été crée en 1979 par trois dentistes lyonnais que l'on appelle aussi les 3 François : François
Emptoz, François Dewars et François Brunner. Passionnés par leur métier, ils collectionnent et ramassent tout ce
qu'ils trouvent en matière de dentisterie afin de fonder le musée d'art dentaire.
Nous sommes en effet à une époque où le domaine connaît une véritable modernisation et où on se débarrasse
beaucoup du matériel ancien pour du nouveau.
Le musée trouvera naturellement sa place à la faculté d'art dentaire de Lyon grâce au soutien des doyens de
celles-ci. L'université Lyon 1 prête les locaux gratuitement mais ce n'est pas elle qui s'en occupe, il s'agit des
conservateurs cités précédemment.
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Le conservateur est Alain Huet, professeur d'odontologie et maître de conférence, il crée un module d'histoire de
l'art dentaire afin de justifier la création du musée. Celui-ci retrace l'histoire de la chirurgie dentaire, à partir de
matériels et de documents montrant l'évolution de la pratique 2.
La collection a une dimension mondiale. Il est existe en effet que trois autres du même type dans le monde entier
: aux États-Unis, à Londres et en Hollande.
Des livres de dentisterie sont crées à partir de cette collection pour les illustrer plus précisément.
Le musée lui même se présente dans une seule et même pièce. Il possède une réserve égale au 2/3 de la taille du
musée.
On y conserve des appareils de dentisterie datant du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours ou plus particulièrement
jusque dans les années 60, les instruments ou appareils des années suivantes étant considérés comme trop récents
pour être exposés.
Le musée présente et conserve une série de fauteuils datant du XIXe siècle à nos jours et montre ainsi l'évolution
de la dentisterie mais surtout de l'ergonomie des cabinets et ce, à travers les époques.
De plus, comme à l'exemple des autres musées médicaux visités, celui-ci possède des vitrines à thématiques bien
précises présentant instruments dentaires, appareils de chirurgie, prothèse, radiologie dentaire...on compte 20
vitrines au total.
Un cabinet dentaire de la fin XIXe début XXe, soit la période où naît réellement la dentisterie dite moderne, est
reconstitué. Un atelier ou laboratoire de prothèse lyonnais est aussi présenté avec tout le matériel qui va avec afin
d'expliquer et de montrer comment l'on créait les prothèses à l'époque.
L'évolution qu'a pu connaître le métier au fil des années nous est montré ici, avec l'apparition de l'électricité mais
aussi des nouveaux matériaux tel que le caoutchouc, l'aluminium ou encore avec l'amélioration des techniques
comme la métallurgie ou la céramique.
Le musée, quant à lui, s'étend dans une seule et unique salle. Tout y est présenter telle une « chambre des
merveilles » spécialisée dans la dentisterie, que ce soit les fauteuils dentaires que l'on trouve dans chaque endroit
de la pièce, les instruments et appareils d'orthodontie placés sous vitrines qui elles aussi sont nombreuses, la
reconstitution d'un cabinet dentaire du XIXe XXe siècle ou encore d'un laboratoire de prothèse.
Dans ce « débarra » d'objets, on trouve néanmoins une logique d'exposition puisque chaque chose est présentée
dans un ordre logique propice à une visite commentée. On commence tout d'abord avec le cabinet du XIXe XXe
qui présente la dentisterie ancienne et qui permet alors de se rendre compte, grâce à la suite de la visite, des
évolutions que le métier à connu. Les fauteuils et autres appareils rattachés, présents tout au long du parcours,
témoignent de l'avancée technologique de la discipline au fil des époques. L'atelier de prothèses permet de nous
familiariser avec les outils avec une explication précise du conservateur pour ensuite mieux appréhender tous
ceux qui sont exposés dans les différentes vitrines du musée.
En résumé, la richesse de la collection d'odontologie aussi bien d'une point de vue qualitatif que quantitatif, loin
d'être une accumulation d'objets que l'on tend simplement à montrer et conserver, est une véritable source de
savoirs et d'apprentissages pour les étudiants futurs dentistes de la facultés et nous montre alors bien, de part la
manière d'exposition, à qui celle-ci est destinée.
C'est en tout cas ce que nous allons tenter de voir, pour les quatre collections de Lyon, dans une deuxième partie.
Après avoir présenté la création sinon l'histoire de ces quatre musées lyonnais, ainsi que sur les collections qu'ils
abritent, les espaces utilisés, les différentes méthodes de conservations et de présentations qui font que chaque
musée est particulier. Bref, en faisant le détail de tout ce qui est conservé au sein des 4 musées, nous pouvons
maintenant établir une analyse du mode de conservation sinon la manière dont les collections sont présentées au
public et donc de savoir à quel type de visiteurs celles-ci sont-elles destinées.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Figure 11. Musée dentaire de Lyon
02
Destination des collections ?
Ces collections ont des caractéristiques bien précises. Elles se différencies par leurs lieux d'exposition,
leur politique de conservation, leur mode de présentation. Elles visent alors des publics différents, en fonction
des critères qu'elles englobent.
Il existe différentes sortes de musées médicaux destinées à un certain type de visiteur.
-Les musées biographiques : qui s'attachent aux importantes personnalités de la médecine
-Les musées d'entreprises : qui se tournent vers les conditions hospitalières et à la vie dans les hôpitaux
-Les musées pédagogiques : qui tendent eux, à enseigner la médecine plus particulièrement
Dans quelle catégorie peut on classer les collections lyonnaises ? Celles-ci répondent toutes d'une
certaine manière aux trois catégories. La variété de leurs collections, montre bien qu'ils traitent aussi bien des
importantes personnalités de la médecine, des conditions hospitalières de l'époque mais aussi de l'enseignement
de la médecine. Néanmoins, il semblerait que chacune d'entre elle présente des caractéristiques précises qui
dévoileraient leurs fonctions sinon leurs buts et donc le type de personnes à qui elles sont destinées.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Les musées d'histoire de la médecine et de la pharmacie, d'anatomie et d'odontologie sont tout trois
situés dans des universités de la ville, dans les mêmes locaux que les étudiants. Nous pouvons alors en déduire
que ceux-ci servent à l'enseignement et l'apprentissage de la médecine (pharmaceutique, anatomique ou encore
dentaire.) Ces musées sont alors des illustrations qui permettent aux enseignants de montrer, expliquer telles ou
telles techniques. Il s'agit donc ici de musées pédagogiques.
Ces collections servent aussi aux spécialistes (chercheurs ou professeurs). La collection du musée
d'odontologie à notamment servi pour la réalisation de nombreuses thèses, de travaux de recherches mais aussi
lors de congrès ou salon sur l'orthodontie. Grâce à cette même collection un livre a d'ailleurs été publié « Deux
siècles d'orthodontie autour de l'Atlantique » de Julien Philippe, Tom Graber et François Brunner. Ce qui justifie
bien l'importance de cette collection à caractère régionale, national et mondial.
Ces musées sont les exemples de la transmission des connaissances médicales aux étudiants , et de
l'histoire de la recherche dans ce domaine. Ces collections s'inscrivent dans la logique du serment d'Hippocrate,
que l'on trouve d'ailleurs au musée de l'histoire de la médecine et de la pharmacie, « qui oblige tout médecin à
enseigner à ceux qui le suivront cet art qu'il tient de ceux qui l'ont procédé »
Les collections du musée de l'Hôtel-Dieu et celle d'Albert Renaud quant à elles, relèvent plus du musée
dit d'entreprise qui s'intéressera plus aux conditions hospitalières, à la vie dans les hôpitaux à l'époque. On remet
tout en situation avec le mobilier exact. On pense alors aux chambres de malades de l'Hôtel-Dieu ou encore
d'aliénés. Il s'agit donc plus d'un musée sur l'hospitalisation mais aussi l'historique du bâtiment, de la médecine à
Lyon. C'est le noyau des autres collections qui viennent le compléter. Le musée de la pharmacie parle des outils
et des techniques, celui de l'anatomie y incorpore le corps, prend en compte l'humain donc par rapport aux autres
collections. Quant au musée d'odontologie, celui-ci se spécialise dans une médecine bien précise à savoir l'art
dentaire.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
03
La difficulté à rassembler les collections
Il s'agit ici de traiter du projet de les réunir en un seul et même lieu, à savoir le musée de la Santé.
Comment, l’histoire de ces collections, l’emprise de leur conservateur, ou d’autres observations liées aux
collections tel que l'espace, la méthode de conservation, et de présentation, peuvent trouver un accord au sein
d’un même rassemblement ?
Adoptons une métaphore empruntée à la musique, le lieu est l'Hôtel-Dieu où doivent se réunir 4 collections sinon
partitions, que le chef d'orchestre, le muséographe, se doit d'en faire une seule et unique mélodie. Il faut alors
homogénéiser le tout.
Les difficultés qui se présentent sont diverses :
-Les collections de Lyon sont toutes 4 indépendantes
-Elles possèdent toutes une ambiance et une atmosphère particulière
-Chaque conservateur à sa propre idée sur le devenir de sa collection
-Une collection existant déjà avec une exposition bien précise qu'il faut « décomposer » et « recomposer » dans
un cadre nouveau
-Une collection destinée à des publics particuliers qu'il ne faudra donc tenter de ne pas perdre voire même de
fidéliser lors de la création de la « nouvelle » collection
Les quatre collections possèdent des origines distinctes qui diffèrent les une des autres. Il va donc falloir les
réunir ensemble, chose délicate techniquement et matériellement, sans pour autant leur enlever leurs origines et
historicités. Les installations seront totalement bouleversées, non pas dans un sens péjoratif, mais plutôt
repensées dans un nouvel ensemble homogène présentant toutes les collections lyonnaises. Le musée de la Santé
pensera l'espace, le volume, la surface et l'éclairage de façon novatrice de manière à ce qu'une seule atmosphère
apparaisse. Une atmosphère appartenant au monde de la médecine, de la Santé et qui permettra ainsi à la ville de
Lyon un devenir certain.
En définitive la collection lyonnaise rencontrera sans doute des difficultés face à ce projet de Musée de la Santé.
Néanmoins, si elle est prise entre de bonnes mains, celui-ci ne sera que bénéfique pour la ville.
Il apportera une nouvelle naissance à ces collections et amènera à un succès total de ce projet de Musée de la
Santé!
Et les conservateurs de ces collections ? Qui sont-ils ? A les avoirs fréquenté l’espace d’une visite et d’entretiens
nous pouvons poser la question suivante : Le conservateur est-il l’objet de sa proppre collection ? Et la réponse
est affirmative. Oui les conservateurs que nous avons cotoyé sont l’objet de leur collection. Il semble qu’un
mimétisme mélange collection et conservateur. Il ne nous appartient pas de développer cet argument qui pourrait
parfaitement être mal perçu par les personnes qui nous ont ouvert leur porte. Aucun n’est conservateur de
profession. Chacun selon ses dispositions et l’intérêt qu’il porte à la collcetion dont il a la charge agit pour le
mieux des intérêts du musée. Deux collections sont dirigées par les titulaires de la science qu’il mettre en scène.
(musée dentaire et musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie). Le musée d’anatomie est dirigé par un
archiviste, et le musée des HCL par une administrative-gestionnaire qui n’est présente qu’à mi temps au musée.
L’effort de cataloguage des collections est un point essentiel dans le rassemblement des collections. A
ce jour nous savons que toutes les collections sont en voie de catalogauge à des degrès divers, et selon des
méthodes singulières. Il est indispensable de réunir les compétences de chacun pour agir selon des préceptes en
accord avec le type particulier de collections conservées, et de former une base commune qui permettra accès,
diffusion et développement.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
03 – Les difficultés de rassemblement des quatre collections
La réunion des quatre collection de Lyon est un projet ambitieux mais qui présente néanmoins quelques
difficultés qu'il est important d'étudier avant sa mise en œuvre.
Comment, l’histoire de ces musées, l’emprise de leur conservateur, ou d’autres observations liées aux collections
tel que l'espace, la méthode de conservation, et de présentation, peuvent trouver un accord au sein d’un même
établissement ?
Un tel rassemblement peut être comparé à la création d'un morceau de musique : l'Hôtel-Dieu. Celui-ci doit se
composer à partir de quatre instruments soit les 4 collections de Lyon pour ainsi former un morceaux unique, le
nouveau musée de la Santé, crée et pensé par le chef d'orchestre, le muséographe.
Vers quels grands « axes » les spécialistes du musée doivent-ils alors se tourner afin d'envisager au mieux la
création de cette nouvelle « collection » et ainsi faire face aux difficultés qu'ils pourraient rencontrer dans ce
projet ?
a) L'historicité
Les quatre collections possèdent des histoires propres. Chacune sont nées et ont évolué à travers les années en
fonction de personnalités qui les ont crées et placées dans des lieux uniques, témoignant ainsi de leurs identités.
La création de ce musée de la Santé effacera, c'est ce que les pessimistes affirment, toute l'historicité de ces
collections, abolissant ainsi toute l'histoire de la médecine de Lyon.
Néanmoins, le projet de l'Hôtel-Dieu semble être tout le contraire puisqu'en réunissant toutes les collections
lyonnaises, celui-ci permet de rassembler et présenter en un seul lieu l'histoire de la ville de Lyon en matière de
médecine, de conditions hospitalières et donc de santé.
Le musée racontera alors ce qu'était, est mais aussi sera le monde médical, qu'il soit lyonnais, européen ou
asiatique. Pour cela, une étude approfondie du projet est nécessaire et elle concerne non pas l'origine des
collections mais plutôt le devenir de celles-ci, de part la muséologie qui pense le projet et la muséographie qui
tend à le mettre en place.
b) La muséologie
Il est important pour ce projet d'étudier, de réfléchir sinon de se questionner sur le musée qui va être crée.
Il s'agit là du travail intellectuel avant celui de la pratique. C'est tout un cahier des charges qu'il faut établir, qui
servira ensuite lors de la pratique, de la création du musée. Il vise à penser aux modes de gestion du musée, à la
conservation, au classement, à la mise en valeur des objets mais aussi au choix des médiations et des animations.
La question principal à la muséologie est « quels? » Quel musée? Quel politique? Quels objets?
Les quatre musées en effet présentent tous une multitude d'objets et de matériels. Néanmoins certains se
retrouvent dans plusieurs d'entre eux. Des seringues, par exemple, sont présentes aussi bien au musée des HCL
de l'Hôtel-Dieu qu'au musée de l'histoire de la médecine et de la pharmacie. Des fauteuils dentaires sont aussi
exposés dans la collection des HCL et au musée dentaire de Lyon.
Un tri est donc obligatoire dans la réunion de ces collections afin d'éviter une accumulation d'objets qui pourrait
surcharger voire ennuyer le visiteur qui se perdrait dans un musée où l'on exposerait de nombreux objets
similaires.
Ces objets choisis amènent alors ç penser au mode de médiation, favoriser des parcours établis qui différent
selon les niveaux ou bien des visites qui se développeraient en fonction des demandes des visiteurs.
Des réunions sont donc nécessaires de la part des conservateurs des quatre collections lyonnaises ainsi que
d'autres spécialistes en muséologie afin de trouver et de choisir ce qu'il est utile de « garder » et la manière dont
il faut le présenter. Les attentes, les besoins et les pratiques des publics étant très importantes, ce musée vise en
effet un public varié et nombreux qu'il va donc falloir accueillir dans les meilleures conditions.
Les quatre conservateurs ainsi que les autres spécialistes engagés dans ce projet vont donc devoir réfléchir vers
quel type de structure muséale le musée de la santé se tournera-t-il, chacun possédant sa propre idée, de cabinet
anatomique pour le conservateur du musée de la faculté Lyon 1 ou de musée universitaire voire futuriste pour
Monsieur HUET de la collection d'art dentaire.
Bref c'est toute la politique du musée de la Santé qui doit être pensée ici en allant même jusqu'à se tourner vers
son avenir, sur les orientations et sur les formes que celui-ci pourrait prendre au fil des années.
c) La muséographie
Cela amène alors à l'approche muséographique du projet de ce nouveau musée de la Santé. Celle-ci s'occupe,
comme nous l'avons expliqué précédemment, de la mise en œuvre pratique du projet. Après avoir réfléchi à quoi
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
le musée allait ressembler il faut maintenant penser à comment créer ce projet d'exposition. Le projet est alors
scénographié soit mis en scène grâce à différents outils et techniques de présentation. Telle une pièce de théâtre,
la collection sera mis en scène de part un système d'éclairage, de panneaux explicatifs (les cartels), de vitrines...
Dans le cas du musée de la Santé il faut d'abord s'intéresser à l'espace : celui-ci occupera la salle des quatre
rangs, soit un lieu qu'il va falloir agencer et organiser afin d'accueillir et présenter au mieux cette « nouvelle »
collection.
Des réflexions sont nécessaires pour trouver le meilleur agencement possible mais également l'atmosphère qui en
découlera.
Comme nous l'avons vu, chaque musée possède une ambiance propre, du cabinet de curiosité (musée des HCL
de l'Hôtel-Dieu) au cabinet anatomique (musée Testut Latarjet d'anatomie et d'histoire naturelle) en passant par
le grenier accumulant de nombreuses richesses matérielles (collection Albert Renaud aux HCL).
Une réunion de toutes ces collections demande une homogénéisation de celles-ci sans pour autant leur enlever
leurs identités, qui les caractérisent et les définissent et qui constituent leurs richesses, leur histoires ainsi que
leurs évolutions.
Tout cela implique alors une étude des modes de présentation
-quels médiums choisir (photo, vidéo, dessin...) plus ils sont variés, plus la visite est attrayant et moins
le
visiteur s'ennuie.
-quels matériels d'exposition (meubles, étagères, vitrines...) tout comme les médiums, cela permet de
diversifier sinon dynamiser l'exposition grâce à divers modes de présentation des objets.
-quels éclairages (général, fonctionnel, d'ambiance, d'accentuation, mural, directionnel...)
L’éclairage d’ambiance créé, par exemple, un faisceau lumineux qui peut varier en intensité provoquant ainsi
l’effet désiré par le conservateur ou autre spécialiste en muséographie. Il sera utile pour la collection anatomique
qui amène le visiteur dans une certaine atmosphère surtout dû aux couleurs choisies.
L’éclairage d’accentuation permet de mettre en valeur une série d’objets. Il permet également d’isoler l'œuvre ou
l’objet
dans l'espace. Des fauteuils dentaires pourront alors être présentés ainsi afin d'en montrer la valeur historique et
l'évolution qu'ils ont connu.
L’éclairage mural peut lui mettre en évidence ou en valeur différentes sortes de matières ou de textures telles que
les toiles ou vêtements médicaux présents dans la collection du musée des HCL de l'Hôtel-Dieu. L'éclairage de
type directionnel est la plupart du temps utilisé pour des objets plats, l'uniformité de leurs faisceau dirigé offrant
une meilleure lecture favorable aux livres médicaux ou herbier que nous trouvons également dans les collections
de Lyon.
Enfin, pour les objets en relief, l'éclairage général doublé de lumières directionnelles est préférable. Ils mettent
en valeur l'objet tout en le découpant dans l'espace en ajoutant des ombrages qui sont nécessaires à la
compréhension de la forme. Les statues sont alors envisagées pour cet éclairage là, comme celles de Saint Roch
qui sont beaucoup présentes au sein des musées visités, celui-ci étant le saint patron de la médecine.
Bref, l'éclairage est en donc très important et fait parti des éléments à prendre en compte pour la mise en place
d'une bonne exposition puisqu'il permet de mettre en valeur les objets présentés mais aussi de créer n'importe
quel ambiance désirée pour le musée où l'une de ses salles. La couleur est en effet un élément primordial dans un
musée car elle permet de mettre en valeur les éléments exposés. De plus, celle-ci peut influencer sinon anticiper
les émotions, les bleus sont par exemple souvent envisagés comme étant froids et les rouges quant à eux comme
chauds.
C'est grâce à l'étude de la muséographie et de tous les éléments et les choix qu'elle propose que pourront être
crée différentes ambiances au sein du même établissement. Seront alors gardés, le côté cabinet de curiosités du
musée des HCL grâce aux vitrines ou meubles accumulés dans de petites pièces, le cabinet anatomique de Lyon
1, grâce à un éclairage propice valorisant les coupes et les bocaux de la collection. Ou au contraire dans une
autre salle, le côté moderne voire futuriste de l'exposition qui présenterait l'avenir de la médecine, de part des
médiums contemporains visant à oublier les vieilles étagères pharmaceutique et à privilégier les images 3D.
Il est donc possible de réunit ces quatre collections d'origines distinctes, qui diffèrent les une des autres, grâce à
l'étude de celles-ci, de part les sciences de la muséologie et de la muséographie qui apportent beaucoup en
matière de pensées, de techniques et de matériaux, sans pour autant leur enlever leurs origines et historicités.
En définitive la collection lyonnaise si elle est prise entre de bonnes mains, ne rencontrera que des difficultés
minimes qui ne feront « pas le poids » face à ce grand projet de Musée de la Santé qui ne peut être que bénéfique
à la culture muséale mais aussi médicale de la ville. Il apportera une (re)naissance à ces collections en leur
garantissant un succès dans le temps et dans l'espace.
Justine Santoro. Quatre musées, quatre collections pour un musée de la santé
Biblio
Colly M., Le musée des hospices civils de Lyon, Audin Editeur, Lyon 1953.
Sallois Jacques, Les musées de France, puf, Vendôme, 2008.
Schaer Roland, L'invention des musées, Découvertes Gallimard, France, 2007.
Tilles G., Wallach D., Les musées de médecine, éditions Privat, Toulouse, 1999.
Sitographie
museetl.univ-lyon1.fr
http://www.univ-lyon1.fr/48538374/0/fiche___pagelibre/&RH=ACC_PRE-MC
http://www.univ-lyon1.fr/09619435/0/fiche___pagelibre/&RH=ODO
www.chu-lyon.fr
Aurélien Merle. Renaissance de l’Hôtel-Dieu
Renaissance de l’Hôtel-Dieu
Aurélien Merle
Que le médecin ait remplacé le prêtre dans l’accompagnement de la vie et de ses épreuves et que celuilà joue aujourd’hui le même rôle que celui-ci naguère, voilà qui n’est pas étonnant. La médecine accompagne en
définitive le mouvement de la Renaissance, et fait partie de la révolution qui renversa la transcendance divine en
l’homme. La vie, la santé, la guérison ne relèvent plus du mystère mais du savoir ; dans le monde humaniste, la
médecine est sotériologie terrestre, ce ne sont plus les miracles mais la technique qui sauve. L’antique cosmos se
délite et au centre de son effondrement émerge le sujet qui fait de l’individualité organique son système, un
nouveau monde intérieur s’ouvre. Mais s’il est vrai que ce tournant marque la fin de l’absoluité fixe de la
transcendance divine, il ouvre aussi l’entrée dans le devenir et la corruptibilité. L’on peut même avancer que la
mort de la divinité engendre la nécessité d’une divinisation du fait humain dans les musées27. Leur hors-temps
figé d’incorruptibilité tenant la place d’une Arcadie sacrée. Cependant pour essentielle que soit le rôle de la
science médicale dans cette maitrise ce qui est humain, n’est-il pas biaisé de la sacraliser dans les attributs d’un
musée. Nul besoin en effet de médecin en Arcadie, tout y est déjà mort. Si la médecine est un savoir qui a effacé
l’éternel déterminisme du divin et l’immédiateté indifférenciée la foi, saura-t-elle survivre à sa muséification ?
01
Pérégrination infernale
C’est bien de la corruptibilité dont doit parler ce musée. La médecine trouve sa raison d’être dans la
maladie, non pas dans la santé. Il n’y a d’ailleurs pas à proprement parler de définition positive de la santé. La
norme d’un tel musée est alors en définitive l’anormal ; non pas une définition positive comme le beau, mais une
détermination négative, en réparation, en creux.
Ces idées de négativité et d’affrontement avec la mort, ce sont culturellement les catabases de l’épopée
qui les portent en occident. La visite d’un musée de la santé doit en cela ressembler à une pérégrination dans la
négativité de la maladie. L’ingénium polytrope de la médecine se développe dans ce creux. Il faut donner aux
objets de la médecine leur sens par la monstration de la maladie et leur légitimité par celle du corps organique.
27
« La conscience malheureuse est le destin tragique de la certitude de soi même censé être en soi et pour soi. Elle est la
conscience de la perte de toute essentialité dans cette certitude de soi et de la perte précisément de ce savoir de soi : de la
substance comme du soi-même ; elle est la douleur qui s’exprime dans la dure formule selon laquelle Dieu est mort. Dans le
statut juridique, le monde du souci des bonnes mœurs et de la coutume et la religion qui lui est propre se sont donc enfoncés
dans la conscience comique et la conscience malheureuse est le savoir de cette perte toute entière. […] La confiance dans les
lois éternelles des dieux s’est tue, tout aussi bien que les oracles qui faisaient savoir le particulier. Les statues sont maintenant
des cadavres dont a fui l’âme vivifiante, de même que l’hymne n’est plus qu’une suite de mots dont toute croyance s’est
enfuie. Les tables des banquets des dieux sont vides de breuvages et de nourritures spirituelles… [les œuvres des muses] sont
désormais ce qu’elles sont pour nous, de beaux fruits arrachés de l’arbre, un destin amical nous en a fait l’offrande à la
manière dont une jeune fille nous présente ces fruits ; il n’y a ni la vie effective de leur existence, ni l’arbre qui les a portés, ni
la terre, ni les éléments qui ont constitué leur substance, ni le climat qui a défini leur déterminité, ni encore l’alternance des
saisons qui dominaient le processus de leur devenir. -Ainsi donc, le destin ne nous donne pas en même temps que ces œuvres
le monde de cet art. » Hegel, Phénoménologie de l’esprit, p. 702.
34
Aurélien Merle. Renaissance de l’Hôtel-Dieu
Comme l’alchimie, la médecine naît de changements et de devenirs qui se déterminent dans un moment
négatif. Paradoxalement, en tant que processus du devenir, les états négatifs du corps constituent sa vie. Et bien
plutôt que sur le mode de la crise contingente, la maladie doit être pensée sur le mode du processus. Il n’y a en
cela naturellement aucune raison que ce soit toujours les virus qui perdent et la médecine tient du fait culturel.
Cependant de manière assez contemporaine à la Renaissance et selon des transformations analogues, la médecine
a amené, culturellement, un certain écartement par rapport au déterminisme naturel (sive divo) avec la possibilité
de la procrastination dans notre relation à la mort. L’ingénium humain s’affronte à l’inevitabile fatum, c’est
certes une belle image de liberté, le Prométhée vainqueur un temps, mais c’est aussi ce qui nous conduit à mourir
dans les hôpitaux publics loin de notre foyer… Un musée de la médecine n’est donc pas a considérer comme un
simple musée de la technique.
02
Système de la science
Nous n’avons pas à traiter principiellement, à la différence d’un musée des beaux arts, de propositions
divergentes mêlant les scènes de genre à la mythologie, Bruegel à Monet28, mais du corps humain qui est avant
tout un organisme. Or un organisme est par définition un système où partie et tout sont en rapport réciproque.
Nos objets trouvent leur raison d’être et leur finalité dans ce système. C’est un moyen d’éviter une taxinomie qui
isole, fragmente et confine à l’anecdotique, à l’érudition baroque. Mais si c’est une chance c’est aussi notre
malheur car nous ne nous mêlons pas de ce qui plait universellement sans concept, mais de ce qui est utile
particulièrement avec une raison.
Les objets du musée de la technique sont des outils, outils qui sont le produit d’un savoir, un théorème
réifié pourrait-on dire. Mais tout comme un théorème connu sans sa démonstration n’est qu’un résultat vide, une
compréhension des objets techniques ne peut se faire sans le savoir qui l’accompagne. L’exposition d’un savoir
ne doit pas transmettre une érudition. Tout comme les instruments doivent être relié au corps qu’ils soignent,
lequel est invariable, ils doivent être en constant rapport avec la science qui les a produits. Cela parait certes
évident mais nous n’avons pas dit « juxtaposé à celle-ci ». Il convient de remarquer en outre que le sentiment
esthétique, le charme désuet, le merveilleux de l’hétéroclisme, pour ce qu’ils isolent et fragmentent, nuisent au
savoir. A l’inverse, la fascination technique est tout autant délétère et, alliée à la conception naïve du progrès,
conduit à des contre-sens : la première seringue hypodermique relève en définitive d’une mécanique de charron,
elle ne procède pas d’une révolution technique, mais d’une évolution épistémologique29.
La médecine des dernières décennies souffre de ne pas voir plus loin que la technique ne le peut.
Incidemment les premières de l’art médical de ces années-ci relèvent en large partie -les greffes en premier lieude la mécanique30.
Mais la science positive et la technique ne suffisent pas à l’exposition de ce musée. S’il s’agit bien en
apparence d’un musée de la science et de la technique, le positivisme mécanique ne suffit pas à rendre compte de
la dimension humaniste de la médecine. Nous l’avons vu la médecine est avant tout une affaire d’hommes, nous
n’y étudions pas l’inertie de Jupiter ni l’abstraction d’un proton. Si la dimension sociologique de la médecine est
réelle, c’est dans l’histoire qu’elle prend son ampleur effective.
28
Certes, le beau passe pour le critère de rassemblement, quand bien même il ne l’est que depuis deux siècles, mais les
musées des beaux arts ont ceci de particulier que l’attachement au beau les conduit à traiter absolument de chaque peintres, et
de recommencer leur effort pour chacun dans l’équivalence de valeur aussi bien que dans l’incommensurabilité. L’histoire de
l’art qui sert de classification est alors bien faible car dans leur traitement, les œuvres sont isolées dans leur nature d’œuvres
des beaux arts.
29
Paradigme épistémologique qui nécessite non seulement la découverte de Harvey et les essais de Major, mais surtout une
chimie qui sache quoi injecter, sinon l’invention est tout aussi inutile que la machine à vapeur de Héron pour la Grèce de
l’esclavage.
30
Les spécialistes des greffent se voient volontiers eux-mêmes d’avantage comme des plombiers spécialisés que des
thérapeutes
35
Aurélien Merle. Renaissance de l’Hôtel-Dieu
03
Science, tradition, initiation
Plus précisément, il ne s’agit pas tant d’histoire que de tradition, pas de l’histoire générale, mais
l’histoire particulière d’un lieu propre. Les objets de la médecine s’articulent dans cette histoire et doivent être
présentés dans cette combinatoire afin de manifester une medicina perenis. Ce système doit par conséquent être
continu, ce qui veut dire qu’il faut donner leur importance à certains savoir qu’il serait facile de confiner à
l’anecdotique, à l’arriéré dont on se moque lorsqu’on vise à l’agréable. Ainsi saignées, thériaques, mesmérisme
et phrénologie devront être présentés dans leur rationalité et dans leur légitimité historique propre dans le même
souci de combinatoire que celui qui préside lorsqu’il s’agit de lier les objets à la science qui les a produits ; c’est
en effet ici le développement épistémologique de cette science qui doit se manifester. Alexis Carrel lui-même est
le produit d’une certaine épistémè qu’il convient de ne pas masquer car elle servit elle aussi l’histoire de la
médecine.
Mais cette tradition du savoir n’est rien sans les hommes qui en ont été l’effectivité. La tradition est
toujours d’abord une transmission. Le savoir transmit est celui d’un métier. Aristote comme Platon faisait de la
médecine non pas une science mais un art fait de prudence et d’expérience. C’est un savoir artisanal qui confine
au compagnonnage qui s’inculque selon les rapports de la maîtrise et de la discipline. Si nous ne prêtons pas
attention à cette dimension de la médecine, nous aurons un musée d’outils dont l’art est absent, ce serait alors
comme si, dans un musée d’art, l’on exposait pinceaux et pigments, mais jamais le travail31.
De là vient que nous devront articuler ce musée entre les notions de science et de tradition, notion que
le chantre du progrès voit comme antinomique, mais qui, ici au moins, trouvent leur résolution en ce que la
tradition est l’effectivité de la science et du savoir médical. Emerge alors un dernier problème que l’on pourrait
qualifier de problème de l’ésotérisme en ce que nous devons exposer un savoir artisanal à des non techniciens,
transmettre un art de tradition à des non initié. Or l’initiation est elle-même ce qui lie le médecin à son savoir,
initiation dont le modèle même est celui de la catabase. Faire des visiteurs des initiés autant que des témoins
dans l’épreuve de leur corps et de ses dégénérescences et dans l’épopée de l’ingéniosité humaine impose donc le
modèle de l’initiation (ésotérique) contre celui de l’exposition (exotérique) comme le plus pertinent pour notre
musée.
Certes la médecine actuelle ne se reconnaitra peut-être pas dans ce musée-ci, mais ce n’est pas « par
amour pour l’antiquaille » que nous proposons cette optique. Le rôle d’un musée n’est pas en dernière analyse
d’enserrer le passé, mais de le montrer dans ce qu’il peut avoir de critique par rapport au présent. Et quand bien
même ce musée n’irait que jusqu’à ce que le médecin devienne un ingénieur, il n’en resterait pas moins
précisément un musée de la médecine. En raison de la spécificité même de la médecine, un musée de la
médecine devra fonctionner dans les mêmes termes que ceux qui ont fait l’esprit de la Renaissance ; une
renaissance de l’Hôtel-Dieu ne pourra se faire sans le patronage de Rabelais dont les leçons de pantagruélisme
élémentaire ont pour principe qu’il n’y a pas d’asepsie sans corruption, pas de noblesse sans vérole et que le
savoir ne nait pas de la lumière d’idées de cristal mais d’affrontement sombres. Le musée de la santé ne conte
pas le beau mais une lutte d’attrition où il n’est triomphe de la vie sans obole à la mort.
31
Les musées de la technique ont ceci de paradoxal que l’outil présenté dans l’isolement d’une vitrine est ainsi déterminé
comme un objet défonctionnalisé. Or ce fonctionnement, la vie propre de l’outil, est aussi bien sa fin, sa raison et son usage.
Ainsi le corps dans la maladie, la science et le métier transmis constituent nécessairement le système qui doit manifester
l’effectivité des choses présentées.
36
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
Santé orientale et santé occidentale
Sunyoung Choi
La santé, qui est recherchée depuis longtemps, est une valeur transcendante. Aujourd'hui, à travers le
monde, la notion de santé est deverse, importante et, en même temps intégrée dans le monde actuel. Dans cette
situation, une discussion concernant la création du musée de la santé offre l'occasion de resonger à la santé. La
notion de santé orientale est différente de la notion de santé occidentale, il est donc nécessaire de comparer et
réunir ces deux notions afin de traiter la question sur la santé générale, puisqu'elle n'est pas valeur locale mais
universelle.
01
la santé orientale et occidentale
32
La notion orientale de la santé est basée sur la philosophie orientale de l'Antiquité et le Confucianisme.
33
La philosophie des notions yin (-femelle) et yang (-mâle) et des cinq éléments (bois, feu, terre, métal, eau)
34
est un principe de la philosophie de l'Antiquité , et elle suit une théorie qui dit que toute chose est constituée de
mouvements suivant les principes yin et yang et les cinq éléments. Ce principe introduit la médecine orientale
qui présente des états actuels, biologiques, du corps humain en relation avec une situation extérieur, et définit un
état stable ayant une liaison organique avec toutes les conditions autour d'une personne.
Figure 01. Croquis des cinq éléments qui présente la relation des organes internes.
Le Confucianisme est une philosophie qui a pour vertu la doctrine selon laquelle l'homme naît bon.
32
Hyung-jo, HAN, Pourquoi la philosophie orientale?, Séoul, 2009.
Yin signifie l'état calme, et Yang présente le dynamisme. La philosophie des principes yin et yang symbolise donc la
conciliation des choses contraires.
34
Gyo-bin, KIM , La philosophie orientale et la médecine coréenne, Séoul, 2005.
37
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
Pour maintenir cette situation, l'homme doit mener une vie morale en purifiant l'esprit et le corps : cela signifie
avoir une santé idéale. Autrement dit, ce concept présente l'idée d'une vie harmonieuse dans l'équilibre entre le
corps et l'esprit, le point le plus important étant l'esprit. Pour poursuivre une vie morale, il est essentiel de calmer
l'opposition corps/esprit, car ce désaccord devient maladies. Les maladies sont causées par des facteurs
extérieurs et intérieurs ou des accidents, et les causes principale des maladies proviennent des sept sentiments
humains : joie, colère, tristesse, peur, amour, haine, envie. Ce qui signifie que tomber malade est, non seulement,
une condition physique, mais aussi, une condition mentale. Sachant que la relation physique/esprit est étroite, la
médecine ne peut plus se concentrer seulement de soins physiques car un manque d'harmonie entre ces deux
constituants cause des souffrances morales et provoque une perte de santé. La médecine occidentale est plutôt
basée sur la science physique. Dans la conception médicale de l'Occident, avant Descartes, qui a proposé une
théorie de l'activité mentale basée sur le physique et la connexion avec celui-ci, le psychisme était expliqué de
manière religieuse ou métaphysique.
Figure 2. L'illustration de Thaumaturges dans la copie du livre de prière de Henri au 16e siècle.35
De plus, après une époque dominée par la phrénologie, le cerveau est devenu le noyau du psychisme
après la découverte du centre de la langue. Aujourd'hui, les activités mentales sont justifiées par des réseaux
cérébraux, de ce point de vue, l'état de l'esprit est une autre question, et la forme physique est plus forte et
importante que l'influence mentale.
02
La médecine orientale et occidentale
La médecine orientale traite des maladies d'un point de vue total, en revanche, la médecine occidentale
36
a un aspect analytique différencié pour appliquer des traitements médicaux. La médecine occidentale considère
des facteurs extérieurs comme causes principales de l'attaque d'une maladie, des bactéries, des virus, etc. Ainsi,
les traitements médicaux s'appuient sur des symptômes et mettent l'accent sur l'éradication de ces virus. Un des
avantages de ces soins est un pronostic favorable, les effets sont aussi, très précoces. Au contraire, la médecine
de l'Orient accorde de l'importance à la cause des maladies plutôt qu'aux symptômes externes et tous les facteurs
internes doivent être pris en considération même s'il n'y a pas d'effet immédiat. Car, une maladie signifie la perte
35
36
Colin Jones, The Cambridge Illustrated History of France, Londres, 1994, p.13.
Entretien avec Hoon-gyu, LEE, médecin en médecine orientale, à Séoul le 26,10,2010.
38
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
de l'union des forces Yin et Yang, récupérer l'harmonie ne peut pas se réaliser immédiatement. Et conduire les
patients vers une guérison spontanée est le point le plus important dans cet aspect : l'aide d'un médicament
artificiel est plutôt considérée comme quelque chose de nuisible.
Aussi, en cas d'utilisation de moyens médicaux, il y a beaucoup de différences entre la médecine
occidentale et la médecine traditionnelle de l'Orient. La médecine occidentale utilise des machines complexes,
sans toucher directement, pour définir les facteurs d'une maladie et les traitements médicaux : ces moyens
provoquent le devéloppement d’instruments et d’appareils. En revanche, la base de la médecine coréenne reste la
palpation afin de diagnostiquer des maladies et de soigner des malades avec l'acupuncture, le moxa37 et des
moyens thérapeutiques de Chuna38 etc. De nos jours, évidemment, beaucoup d'appareils sont introduits, mais la
sensation de la main pour sentir l'énergie est toujours importante.
03
La science médicale des quatres éléments (la médecine coréenne)
La médecine coréenne, débutant en 2333 avant J.-C, est une partie de la vie quotidienne des coréens. 39
Au début, elle a été influencée par la médecine chinoise mais peu à peu elle a pu se devélopper de manière
unique et se transformer en science médicale dans la culture nationale en faisant la synthèse des divers théories
médicales.
Au 19e siècle, la science médicale des quatres éléments présentée par Je-ma, YI a approfondi l'humain
sous des aspects multiples : elle est parfois considérée comme de l'anthropologie en dépassant le domaine
médical. La médecine des quatres éléments comprend quatre habitus humains(petit yin, grand yin, petit yang,
40
grand yang) selon lesquels les diagnostics et les traitements médicaux changent. La médecine précédente
donnait des soins médicaux de façon visible en utilisant les cinq sens. Mais, selon le point de vues de cette
science médicale, le physique et l'esprit sont une organisation unie entourée de situations sociales. De plus, elle
se laisse influencer par le confucianisme, elle propose donc la santé morale en présentant huit conditions : bien
réfléchir avant de parler ; s'abstenir de désir sexuel ; éviter le gras ; se défendre de l'excitation et la colère ;
manger avec mesure ; s'éloigner de la convoitise ; se rapprocher de la musique ; éviter la fatigue, en respectant
ces conditions, nous pouvons être en bonne santé. En plus de ces moyens dans la vie quotidiennes, cette
médecine remet de l'ordre dans des pratiques thérapeutiques populaires traditionnelles pour diffuser des
connaissances médicales chez le public de manière pratique. Par exemple, elle propose un régime alimentaire
basé sur quatres habitus avec lequel la prévention contre les maladies prédomine sur la santé courante.
04
La réalisation du musée de la santé
Pour la création du musée de la santé, il y a deux problématiques : l'établissement du concept de la santé
et le fondement du statut de ce musée.
Si le nom retenu pour le musée est bien celui de Musée de la santé, il doit contenir un aspect général car
la médecine est une partie de la santé. Autrement dit, si on détermine la notion de la santé de manière ancienne,
cela peut s'éloigner du concept actuel. Mais jusqu'à aujourd'hui, le musée contenant un sens général de santé
n'existe pas encore : il n'y a que des musées de médecine qui sont considérés comme des collections concernant
la santé, c'est-à-dire, elle est prise dans un sens médical. Par exemple, le musée des HCL présentant l'histoire de
37
brûler les points méridiens avec des bâtonnets d'armoise.
Moyen pour corriger les positions vicieuses du corps et résoudre des problèmes musculaires.
La conférence télévisée de Joo-yeul, Ryu, directeur de clinique de médecine orientale de Dong-Sung, 21,02,2000. TBC.
40
Dans la médecine philosophique traditionnelle qui divise les types de constitution en quatre : petit yin-soeumin(
)/
petit yang-soyangin(
)/ grand yin-taeeumin(
)/ grand yang-taeyangin(
).
38
39
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
la médecine et de la pharmacie fait revivre le point de vue du passé, médicalement, et déploie l'histoire de la
médecine et pharmacie européenne avec ses collections. Nous ne pouvons découvrir aucun point qui le lie à la
notion d'aujourd'hui même s'il y a des connaissances du passées exposées. Comme on l'a vu précédemment, la
notion de la santé en dépassant les bornes matérielles se transforme en valeur vivante dans une société. Il faut
donc appliquer la notion de santé totale à la conception physique du passé, autrement dit, ces deux concepts
doivent être accorder dans le musée de la santé.
Ensuite, comment faire incarner une position au musée de la santé ? Si on tient compte du rôle du
musée, en tant qu'institution de formation continue, le point éducatif serait d’insister sur un point conceptuel. Par
exemple, le musée de l'histoire de la médecine, à la faculté de médecine, dans lequel nous pouvons voir un
résumé des médecines européennes avec ses collections. Celui-ci est un endroit où des étudiants peuvent
apprendre certains savoirs médicaux du passé même s'il est difficile d'appréhender le concept du musée et de le
comprendre pour les visiteurs sans relation avec la médecine. Cette situation est similaire avec le musée de la
41
42
médecine de Séoul et celui de Dong-Eun .
Figure 3. La façade du musée de la médecine de Séoul.
Au 18esiècle, la Corée a été touchée par la médecine occidentale, en particulier par la vaccination
antivariolique. Et au 19esiècle, il y a eu une vague d’ouverture à la civilisation occidentale grâce à laquelle la
médecine occidentale a été introduite. Jejungwon, fondé en 1885, est le premier hôpital à l’occidental en Corée.
Cet hôpital a été créé par Horace. N. Allen, médecin évangélique aux Etats-Unis, et cet hôpital est devenu
l’Université de Yonsei. En 1899, l’hôpital de Daehan a été fondé par le gouvernement et il est devenu une partie
de l’Université de Séoul. Ces deux établissements ont joué un rôle majeur de l’introduction de la médecine
occidentale et, aujourd’hui, ils sont transformés en musée de la médecine. Ces deux musées ont, non seulememt,
une relation proche avec la faculté de médecine, mais aussi, avec les programmes éducatifs ayant pour but de
diffuser des connaissances déstinées au public car, dans les musées coréens, "toucher un objet de la main", et
"participer à une activité" sont considérés comme des moyens désirables de communication entre le musée et les
visiteurs. Des objets muséaux, qui sont exposés dans une exposition, ne sont plus d'objets sacrés : ils constituent
une conception du musée et composent une base de connaissances pour les diffuser. Ainsi, ils sont une des
parties de moyen d'éducation. Des soins médicaux, en Corée, sont basés sur la palpation, les coréens sont donc
habitués à toucher des objets muséaux avec la main dans les musées de la médecine. Par exemple, dans le musée
de la médecine de Séoul, les visiteurs peuvent participer à plusieurs programmes en touchant le stéthoscope, le
tensiomètre, etc. Ces moyens permettent d'appréhender des savoirs médicaux aux visiteurs de manière pratique.
Le musée de la médecine de Séoul, http://www.medicalmuseum.org/
Le musée médical de Dong-Eun, http://yuhs.iseverance.com/press/history/museum/dongeun/
40
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
Figure 4. Une des activités dans le musée de la médecine de Séoul et une salle d'exposition.
43
Nous pouvons aussi trouver cela dans le musée médical de la faculté de Kawasaki au Japon. Depuis
longtemps, la formation médicale avec des objets réel paraît une des manières pratiques ayant pour but de faire
comprendre la médecine.
Figure 5. Salles d'exposition du musée médical de la faculté de Kawasaki.
Figure 6. Le programme central du musée médical de la faculté de Kawasaki est l'allaitement maternel.
D'autre part, la médecine traditionnelle et occientale coexistent en Corée. La médecine occidentale est
importante dans le domaine chirurgical et celle de l'Orient met l’accent sur des soins pour améliorer les habitus
et avoir une harmonie du corps. Mais les traitements traditionaux sont parfois considérés comme moyens
secondaires car l’époque moderne souligne l’importance des techniques chirurgicales. Ce point de vue provoque
un mépris de la tradition médicale. Pour résoudre ce problème, il y a eu un projet : le musée de la médecine
44
coréenne , en 2007, à Sancheong situé au sud de la Corée. Ce musée est constitué d'un grand centre médical
dans lequel les visiteurs peuvent observer l’histoire de la médecine coréenne et apprendre des pratiques
thérapeutiques populaires traditionnelles. Ils peuvent aussi prendre connaissances des médicaments traditionaux
en maniant des instruments médicaux. De plus, il y a beaucoup de programmes éducatifs : les visiteurs peuvent
43
44
Le musée médical de la faculté de Kawasaki, http://www.kawasaki-m.ac.jp/mm/
Le musée de la médecine coréenne de Sancheong, http://museum.sancheong.ne.kr/
41
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
étudier la médecine coréenne en regardant un film en 3D et s’approprier le mode d’emploi des produits
pharmaceutiques dans leur environnement naturel.
Figure 7. Une activité pour des enfants dans le musée de la médecine coréenne de Sancheong.
Figure 8. Des mannequins dans le musée de la médecine coréenne de Sancheong.
Par ailleurs, en Corée, ont lieu des expositions internationales soutenues par des associations ou des
communautés municipales, elles proposent d'étudier l'état de la société lié à la santé médicale. En mai 2010, une
45
exposition internationale de la santé a eu lieu à Séoul, la substance de cette exposition était l'éducation pour une
vie active des enfants et le développement mental de ceux-ci. Le point le plus important a été la réunion du
domaine médical, culturel et artistique pour la formation des visiteurs.
Figure 9. Des activités pour des enfants dans l'exposition universelle, en mai 2010.
Les visiteurs appréhendent et découvrent des objets muséaux en touchant des imitations, en regardant
des mannequins, en participant aux conférences. Ces activités pédagogiques dans des musées contribuent à la
45
http://healthfair2010.co.kr/
42
Sunyoung Choi. Santé orientale et santé occidentale
diffusion des connaissances qui est un des rôles essentiels du musée. De cette façon, aujourd'hui, cette
conception est en train d'arriver dans plusieurs musées, mais elle n'est pas beaucoup introduite dans les musées
européens malgré de riches collections. Par exemple, dans le musées des HCL, il y a beaucoup d'instruments
médicaux à l'intérieur de vitrines, mais les visiteurs doivent imaginer leurs usages. Il est donc difficile de
s'approcher des connaissances particulières, comme pour le musée de la médecine. C'est pourquoi il vaut mieux
qu'il y ait des programmes d'enseignement au niveau de public.
Les objets muséaux sont rassemblés par rapport au concept historique du musée : les objets perdent leur
fonctionnalité originelle et deviennent de pur objet muséal, ce qui peut dire qu'ils sont des objets
46
métamorphosés. Il est donc nécessaire d'avoir une explication concrète afin de faire partager ces changements.
Pour faire connaître la santé sociale aux visiteurs du musée, des activités pédagogiques sont aussi pratiques que
des expositions, et cette confrontation permet d'avoir une discussion concernant la santé médicale de manière
interactive. Cela peut expliquer l'aspect souhaitable d'une maximisation de l'utilisation pédagogique du musée
avec lequel nous pouvons évoquer la forme du musée de la santé.
46
A. Malraux, Le musée imaginaire, 1965.
43
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
Muséographie et anatomie
Edina Dzocovic
« Le corps humain, axe central du projet, est le point de départ pour découvrir un panorama des maladies » 47
Si le projet de réunion des collections de médecine lyonnaise, devient le musée de la santé, on peut
admettre que ce nom échappe à la notion médicale et réparatrice du corps. Si l’utilisation du terme de santé est
censé désigner la médecine, il est cependant plus évocateur du corps sain et d’un certain ordre de normalité
d’une vie saine, que du corps malade. Or, la question de la représentation du corps malade paraît inévitable tout
en demeurant problématique. Le point crucial se situe dans la détermination du sens d’un musée de la santé et de
ce qu’il veut dire à travers les différentes possibilités de mise en scène des objets de collections représentant le
corps humain. Y a-t-il un intérêt à présenter le corps non seulement comme une base pédagogique de l’anatomie
48
humaine, mais aussi comme le véhicule d’interrogations du corps vécu (sensation et représentation) ?
Comment représenter et intégrer l’importance des cinq sens de l’homme (vue, ouïe, toucher, odorat et
goût) au sein d’une exposition médicale, tout en étant sensible aux questions éthiques que le parti pris de la mise
en scène est susceptible de provoquer ? Nous savons que le choix de la mise en scène constitue le pilier de
l’efficacité du but pédagogique d’un musée. En effet, il est essentiel de déterminer une muséographie adaptée
aux objets, et à des outils plus précisément, dont l’exposition s’inscrit dans une intention pédagogique. En ce
sens, malgré le fait qu’on puisse trouver belle une prothèse, il n’y a pas lieu de savoir si elle peut plaire ou non,
mais son exposition est liée à la fois à l’importance de son rôle (pédagogique) et à son usage (pratique).
Cependant, on ne peut ignorer que ces objets ont eu un rapport (direct ou indirect) non seulement avec
le corps anatomique, mais aussi, et avant tout, avec la sphère intime du patient. Ainsi, l’importance attachée à
une volonté de préservation de l’objet dans son authenticité, n’est pas sans rappeler au visiteur qui lui fait face,
qu’il est un corps éphémère.
01
Corps en vitrine
Deux questions surgissent alors : premièrement, comment mettre en scène un corps malade, et plus
précisément, de quel corps parle-t-on ? Un corps plastifié ? Un moulage ? Un mannequin ? Puis, deuxièmement,
comment mettre en scène les objets/outils en rapport avec le corps ?
Ces deux questions peuvent paraître aporétiques étant donné la complexité du sujet et l’une des
solutions qui semble avoir été privilégiée par les conservateurs des différentes collections, est la mise sous verre,
soutenue de près par le rassemblement en catégories. Qu’il s’agisse du mannequin représentant une soeur
hospitalière, ou bien de la tête anatomique, exposés au musée des Hospices Civils de Lyon, leur apport
pédagogique est peu convaincant en comparaison avec la réalité du corps humain. En effet, le risque de ce genre
de représentations, n’est pas sans rappeler l’impression qu’on peut avoir devant la vitrine d’un magasin.
47
Mornex René, Un musée de la santé à Lyon, Lyon 2010, p.5.
Pierre Ancet, Introduction au Colloque international sur L'expérience du corps vécu chez la personne âgée et la personne
handicapée, Université de Bourgogne. http://tristan.u-bourgogne.fr/UMR5605/manifestations/08-09/08-11-13-15.html
48
44
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
Le groupe Eiffage qui réhabilitra l’Hôtel-Dieu a prévu dans son projet d’accorder une grande supeficie
aux commerces en tout genre répartis sur l’ensemble du site49. Que le musée prenne exemple sur ce principe, et
l’impression qui risque d’être partagée avec le simple chaland déambulant dans l’Hôtel-Dieu et le visiteur des
collections est celle qui correspondra à faire du lèche-vitrine.
Devons nous alors considérer le visiteur comme un simple passant à l’identique de l’individu qui
s’arrête devant la vitrine d’un magasin pour regarder les différentes formes et matières de vêtements proposés ?
Sans le vouloir, le visiteur est mis dans une situation où il est un observateur qui ne consomme pas. Cela pose un
écart entre l’objet et le visiteur, en lui permettant d’observer ce premier sans le toucher, de le voir sans se
l’approprier, tout en étant attiré non pas par l’objet seul, mais par la manière dont il est mis en scène, qui
correspond à un sentiment de familiarité avec nos représentations culturelles, que nos grilles de lecture nous
imposent, de ce que peut être un musée et des codes qui y sont appliqués (l’interdiction de toucher, le silence
etc.).
Si les vitrines sont nécessaires pour la conservation et la préservation de certains objets, la mise en
scène de leur fonction originale respective est un procédé à forte charge pédagogique. Le visiteur peut
difficilement s’approprier un objet mis sous verre. Par appropriation nous entendons une acquisition de savoir
inclue dans une logique d’accessibilité. Or, présenter l’objet dans son contexte original, est une bonne manière
50
de rendre l’utilité à cet objet qui est avant tout un outil et non pas un objet superflu .
Enfin, les vitrines constituent une barrière à l’intérêt du visiteur dans sa propre mouvance corporelle.
C’est pour cette raison, qu’il est nécessaire de faire disparaître les vitrines, dès que celà est techniquement
possible, afin de diriger les recherches muséographiques vers une mise en scène se rapprochant de l’organisme
humain où l’objet exposé renvoie idéalement le visiteur à son corps physique et sensible.
A titre d’exemple, nous citerons le tour d’abandon de l’hôpital situé sous le dôme qui précède l’entrée
du musée. Passons sur la restitution, la situation et la configuration de cet ensemble qui méritrait une critique
approfondie, et portons notre regard sur la note l’accompagnant, sur laquelle on peut lire: « La scène : 1802, le
tour d’abandon de l’hôpital de la Charité. L’enfant abandonné. Dans le silence de la nuit tombée, la soeur
hospitalière entend le bruit du tourniquet qui actionne le tour, le tintement de la cloche, et les bruits de pas de la
mère qui s’enfuit désespérée ».
Il s’agit du type même de restitution devant laquelle le visiteur souhaite être actif. Tout l’y invite :
l’envie d’actionner le tourniquet, de faire sonner la clochette, d’entendre le bruit des pas de la mère s’enfuyant...
Bien que le texte lui-même permet à l’imagination de percevoir les bruits, il serait captivant de les entendre
réellement par l’intermédiaire d’un enregistrement sonore diffusé. La mise en scène de cette pièce ne
nécessiterait que peu de moyens ainsi qu’une simple création sonore.
02
L’impossibilité de représenter la vie
Les planches ci dessous nous présentent une typologie imagée ayant pour but de représenter le corps
médical tel qu’on l’observe dans les différentes collections. Elle comprend trois thématiques : Le corps et son
anatomie, le corps malade et le corps en liaison avec la mort. Chaque thématique contient un exemplaire des
différents procédés de conservation et de mise en scène. Il est intéressant de voir que le corps apparaît, d’un
point de vue global, abîmé, confus et enfin segmenté puisqu’il n’y a que dans le cas des squelettes, des momies
et des foetus, qu’on a affaire à un corps entier.
Il manque à cette typologie un des aspects incontournables d’un musée de la santé : la vie. Comment
concilier une mise en scène traditionnelle, maintes fois critiquée, avec l’exigence de représentation de la vie
humaine, qui plus est au sein de l’Hôtel-Dieu, où la vie a été un enjeu durant des siècles?
49
50
Opérateur choisi le 29/10/2010 par Gérard Collomb, Maire de Lyon, et Président des HCL, pour restructurer l’Hôtel-Dieu.
Voir l’article de Mélanie Lioux, p.
45
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
Planches
anatomiques
Cires
anatomiques
Inclusions
Pièces conservées
en bocaux
Foetus conservé
dans du formol
Squelettes
anatomiques
Figure 1 : Le corps et son anatomie
Cires anatomiques
Calculs exposés
Maladies contagieuses : la peste
Figure 2 : Le corps malade
Les vanités
La pratique de l’autopsie
Les traitements du corps après la
mort
Figure 3 : Le corps et la mort
Les mouvements de la vie peuvent difficilement être représentés par un objet. Ce qui donne la vie à un
musée, c’est bien celui qui le regarde, c’est pour cette raison qu’il faut privilégier l’interaction afin de permettre
au visiteur de vivre une expérience sensible. Par expérience sensible nous pensons à l’échange sensoriel entre
46
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
notre corps vécu et l’objet. L’usage de ces objets de médecine, a cessé dès que ceux-ci sont passés aux mains des
conservateurs devenant ainsi objets de collection. Par ce procédé, l’objet est écarté de sa fonction et de son
contexte, dans le but de contribuer au maintien de l’identité d’une histoire de la médecine.
Toutefois, leur devenir « outil » acquière alors un autre statut, celui d’objet de collection possédant une
histoire. En ayant appartenu à tel ou tel médecin, il possède la singularité des individus qui l’ont manipulé, ou,
dans le cas des anatomies anonymes, une hypothétique histoire de la personne dont le corps a servi à la science.
Le toucher s’impose alors comme partie constituante du procédé de reconstitution. En effet, quel est l’intérêt de
pouvoir toucher une colonne vertébrale ? Il est assez curieux de faire l’expérience tactile d’un os qui est
susceptible d’être identique à celui qui se trouve à l’intérieur de nous-même et que nous ne verrons jamais.
De même, lorsque nous voyons un couteau servant à couper un sein, ne nous imaginons nous pas la
main du médecin et le sein de la patiente pour qui le couteau n’avait rien d’esthétique ? Alors, une fois cet objet
mis à l’écart de son usage, il lui reste non pas une histoire sentimentale, ni représentative de la médecine, mais
un statut d’objet oublié et mort. Or, un objet mis en relation avec d’autres objets, au sein d’une catégorisation
parlante et logique de l’histoire de la médecine, acquière une connotation imaginaire dont la présence apparaît
comme cohérente avec le corps du visiteur et non pas inutile. On peut dire que même dans le cas des objets
exposés sous verre, le visiteur oublie la vitrine qui matérialise la rupture avec le monde réel.
Figure 4 : Musée d’anatomie - Le couteau à trancher le cerveau à côté de la Coupe passant par le trou occipital et le tronc
cérébral partiellement dégagé.
L’oubli n’est sans doute pas la meilleure façon de désigner la force de l’imagination sur notre
perception, puisque que nous pouvons créer des associations inexistantes matériellement. Le réel est ce qui
rattache le visiteur au cadre de sa visite. Le visiteur est en effet « cadré » à deux reprises, puisqu’il entre dans le
premier cadre d’une institution muséale, puis il est confronté à un second cadre matériel : celui de la vitrine.
Tandis que l’irréel imaginé se réfère à la capacité du visiteur de relier plus aisément les objets vus, selon son
expérience personnelle, et grâce à un parcours muséographique inspiré de l’anatomie humaine.
Si on admet que la représentation signifie entre autres « rendre à l’identique », cela veut dire que l’acte
même de représentation est habité d’un souci de reconstitution de l’original. Si on admet que le musée est une
série de représentation, on comprendra alors l’affirmation de François Dagognet pour qui l’institution muséale
51
« contient moins des témoignages qu’un arrangement fictif ; il trompe en même temps qu’il fatigue » .
Une représentation ne peut être identique à l’original. Autrement dit, la mise en scène ne peut se libérer
de son caractère de faux-semblant qu’à travers une démarche non-représentative, où le corps est présenté pour ce
qu’il est. Et c’est en ce sens que le visiteur ne peut se sentir touché par un objet dont la représentation implique
une mise à distance avec le réel au même titre que les vitrines. Néanmoins, c’est au musée d’anatomie que le lien
51
F. Dagognet, Le musée sans fin, Lyon 1984, p.16
47
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
entre le corps et l’outil se faisait le plus aisément, puisque malgré tout, les outils ne sont pas séparés de leur
usage.
La volonté de représentation est déjà une mise à distance entre l’objet vu et celui qui le voit. Interroger
le rapport du musée à la vie peut être mis en parallèle avec le rapport de l’outil médical au corps. Les deux sont
confrontés à l’aporie de la représentation comme médiation et échappent bien souvent à l’affect et à une
projection du visiteur de son propre corps à l’objet vu. Toutefois, pour qu’il se produise un rapport sensoriel à
l’objet, une mise en scène dans la vitrine dans laquelle il est exposé ne suffit pas, mais est tout aussi important le
cheminement qui mène vers lui.
Si la catégorisation des objets est faite selon les différentes spécialisations médicales (urologie,
maternité, stommatologie, art dentaire etc.) sans que leur ordre n’ait de réel rapport avec l’organisation
anatomique, on peut être vite submergé par des objets inertes. Tandis qu’une catégorisation selon une
typographie du corps humain, rentre dans une logique de découverte par le visiteur de son propre corps à travers
un support extérieur. L’objet acquière alors un statut non-représentatif fondé sur une logique corporelle, en tant
qu’il tient lieu d’une mise en parallèle avec un corps réel et réalisé. Pour reprendre les termes de François
Dagognet, « On n’a plus à entrer cérémonieusement en lui (à savoir le musée) c’est lui qui entre en nous,
52
désormais, il nous enveloppe » .
En ce qui concerne la gestion du nombre important des pièces en correspondance avec un parcours
anatomique, ne peut-on pas suggérer un musée des quatre saisons à travers des séquences de représentation des
objets par période (au printemps la chirurgie cardiaque, en automne l’affection pulmonaire, en hiver
l’ophtalmologie, en été la dermatologie), ce qui sous entend qu’on aurait à disposition comme dans les cintres
d’un théâtre des « scènes » prêtes à descendre sous l’oeil du public. Cette démarche aurait pour effet de rendre la
visite plus complète et vivante. De ce fait, le musée sera un lieu en changement perpétuel qu’on revisiterait ainsi
à chaque saison, à l’image de ces livres de philosophie qu’on aime tant parce qu’ils ont une table des matières,
où ces romans dont on peut lire les nouvelles indépendamment les unes des autres.
52
Ibid. p.13
48
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
Figure 5 : Muséographie selon l’organisme humain
Jean Davallon analyse la préoccupation actuelle des musées à repenser le rapport au public en écrivant
: « mettre le projecteur sur le public et ses besoins nous fait revenir sur la définition de la mission et le rôle des
institutions muséales de culture scientifique : cet élargissement s’inscrit ainsi dans le sens, de plus en plus
marqué aujourd’hui, d’un abord de la science comme fait sociétal. Ce phénomène est probablement à rapprocher
avec le fait, observable par ailleurs, selon lequel plus le savoir scientifique touche à des sujets à forte implication
sociale (environnement, nucléaire, santé etc.), plus le public attend de la part du musée une information fiable
53
qui lui permette de se forger une opinion » .
Il est évident qu’en questionnant la maladie, le musée de la santé touche à la sphère très intime de chacun
d’entre nous. Bien qu’il ne soit que le lieu d’exposition de pièces de collection, celles-ci sont censées mettre en
scène l’histoire de la médecine et de l’histoire de l’imaginaire médical. Comme l’explicite la citation de Jean
Davallon, celui qui visite le musée, ne va-t-il pas chercher à se faire une idée de la conception actuelle de la
médecine ? Ce musée, ne peut-il avoir une autre fonction, mise à part celle de la pédagogie et de transmission de
savoir, de questionnement éthique? Si l’idée d’organiser des conférences, des débats autour de la santé persiste
au sein du musée lui-même, comment le musée peut-il aborder ce sujet capital du corps intime inscrit
aujourd’hui dans un certain type d’éthique?
53
J. Davallon, L’exposition à l’oeuvre, Paris, 1999 p. 257.
49
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
03
Questionnement éthique : l’exemple du handicap et de la tératologie
Le parti pris d’un musée resurgit notamment à travers des questions délicates et actuelles comme celle
de l’handicap, tel qu’il est présenté au musée de l’histoire de la médecine dans le domaine Rockefeller,
notamment à travers les prothèses. Comme le souligne Jean Normand, c’est durant la Première guerre mondiale
(1914-1918) que naît un intérêt pour le handicap et notamment pour la rééducation des gueules cassés54. Au
retour de guerre, ils étaient plus de 6 millions à ne pas pouvoir reprendre leur activité d’avant guerre. Il était très
important de redonner à ces hommes la possibilité de travailler à nouveau. Le handicap, sous sa forme de
privation subie, s’insérait alors dans une volonté réparatrice de la médecine, dans laquelle les Hospices Civils de
Lyon ont joué un rôle important. Quant aux anomalies morphologiques de naissance, on les retrouve au musée
d’anatomie dans la collection des « monstres » qui sont des foetus conservés dans du formol.
Figure 6. Foetus conservé dans un bocal remplit de formol
On ne peut dire que le musée soit un lieu neutre, car les choix de conservation et de mise en scène,
constituent déjà un parti pris. Si le parti pris est un souci de conservation des objets dans leur état original, ne
faut-il pas questionner l’évolution des moeurs ? Concernant l’exemple de la tératologie, les spécimens qui sont
exposés au musée d’anatomie, portent encore leur appellation d’origine, c’est à dire : « les monstres ».
Jean-Christophe Neidhardt, archiviste, et conservateur des collections de la Société nationale de
médecine et de sciences médicales de Lyon, explique l’utilisation du terme de « monstres » par la volonté de
conservation de l’objet dans son contexte historique. Il lui parait indispensable de pousser la conservation de
l’objet jusqu’à son appellation, puisqu’elle n’est jamais vide de sens, ce qui est tout à fait légitime. Cependant, il
est nécessaire de préciser ce type de démarche sous la forme d’un préambule à l’exposition afin d’éviter tout
ressentiment. Comme l’écrit Pierre Ancet, « Le monstre met en question le vécu intérieur du corps propre (donc
le corps de l'observateur lui-même). L'impression produite par le corps difforme retentit sur la perception de soi.
En ce sens, un monstre n'est jamais complètement un objet extérieur, pas plus que ne peut l'être autrui » 55.
54
55
Jean Normand professeur de médecine émérite de l’Université Claude bernard Lyon 1, et conservateur du musée.
P. Ancet, Phénoménologie des corps monstrueux, Paris, 2006, p.3.
50
Edina Dzocovic. Muséographie et anatomie
Or, qu’est-ce qu’un monstre aujourd’hui ? Peut-on appeler ces corps difformes des monstres, parce
qu’ils ne sont pas conformes à notre conception d’un corps « normal » ? Pourquoi sommes-nous fascinés par ces
difformités qui nous mettent mal à l’aise ? A travers l’exposition des corps difformes qui nous touchent, nous
nous rapprochons d’une idée de mise en scène qui questionne à la fois l’objet et celui qui le regarde. Tout en
respectant l’appellation d’origine des corps par le terme de monstrueux, ne faut-il pas joindre à ces « pièces de
curiosité » un questionnement éthique ? Or, d’un point de vue éthique, et malgré le fait qu’une telle démarche de
conservation de l’appellation originaire soit compréhensible, le terme de monstre, ne va pas de soi. De même,
notre réaction d’observateur fasciné et dégoûté à la fois, n’est pas évidente et est fortement influencée par la
terminologie, puisqu’on qualifie de monstres des foetus qui proviennent d’un corps humain, et qui auraient perdu
leur humanité par le seul fait qu’ils ne « nous » ressemblent pas. Ne faut-il pas ajouter quelques précisions quant
aux questions éthiques que ces monstres suscitent aujourd’hui ? En face de ces corps monstrueux, le visiteur
n’est-il pas confronté à une difformité invisible de son corps vécu ?
Aujourd’hui, une personne porteuse de handicap qui se distingue visuellement d’un corps normal,
provoque un sentiment de malaise. Si le parallèle entre corps monstrueux et handicap est choquant, il est bien
réel. Le handicap est enveloppé d’une conception imaginaire très fortement liée à la peur. De même, dans
l’histoire de la médecine, ce qui auparavant été appelé monstrueux, porte aujourd’hui le nom de handicap
56
grave . De ce fait, les procédés de réparation du corps s’ancrent dans une volonté de normalisation. On souhaite
réparer un corps défaillant. Mais si le handicap est conçu non pas comme une privation, mais comme une
normalité différente, on s’aperçoit que l’intention réparatrice s’inscrit dans un questionnement éthique et intime
de notre représentation du corps normal.
En ce sens, un musée de la médecine, plus qu’un musée de la santé, ne peut se priver de ce type de
questionnement, puisqu’un objet mis en scène d’une certaine manière, est porteur de sens qu’on a voulu lui
donner, et ne va jamais de soi. Ainsi, il est important d’amener le spectateur à la réflexion afin de ne pas le faire
tomber dans la fascination du monstre. On notera à ce sujet le projet du Musée de l’Homme prévu pour 2012,
d’une exposition intitulée “Vie handicap” et qui montre pour la première fois le handicap au sein de la santé, en
ce que la personne atteinte de handicap appartient à une anthropologie élargie.
Le musée de la santé peut apparaître en contradiction avec lui-même, car il souhaite parler de la santé,
de la médecine et du corps humain, tout en acceptant une muséographie traditionnellement renfermée sur ellemême. Le cadre de la mémoire est bien souvent rattachée à l’exposition d’une série interminable d’objets. Ainsi,
le corps (anatomique, sensible, vécu et spectateur) doit faire partie d’une collection complète de l’histoire de la
médecine à travers, non pas une intention de représentation, mais dans une démarche axée sur le mouvement
vital. Il n’est pas question de figer le corps dans un idéal d’état stable, puisque dans toute l’histoire de la
médecine, ainsi que dans la vie de chaque humain, le corps est vécu comme l’espace de l’éphémère.
56
Ibid. p.7.
51
Irina Roman. L'objet dans les processus de communication du musée
L'objet dans les processus de communication du musée
Irina Roman
L’évolution des musées ces dernières décennies a conduit les institutions muséales à fonder leur action sur
la valorisation des rapports aux publics dans l’articulation d’un double rapport : l’espace muséal et l’espace social.
Cette action repose en particulier sur des techniques de communication, et plus largement sur la recherche d’un
contrat de confiance avec les publics qui se fonde sur cette communication. Le musée de la santé doit veiller à cela
dans la définition de son projet d’ensemble.
L’espace muséal tend à être considéré comme un dispositif de communication. Celui-ci articule les
différents éléments constituant l’exposition au sein d’un ensemble cohérent. La visite est entendue comme une
expérience d’immersion participative, qui rend les visiteurs à la fois passifs de ce qui leur est proposé, et à la fois
actifs dans le processus de leur visite. Il en résulte que l’exposition, le temps de l’expérience de visite, transforment
le corps, c'est-à-dire les perceptions, les sens, les regards, les imaginaires des visiteurs. Ainsi, le corps devient un
corps vécu transposé dans un espace vécu.
Ceci donne une importance toute particulière aux médiations, dans le sens où tous les éléments d’une
exposition fonctionnent comme médiation : ils sont en lien les uns avec les autres, et s’éclairent mutuellement. Le
musée est un dispositif où s’agencent différents régimes et techniques (ou supports) de médiation : l’art, le film, le
texte, le théâtre, les tactiles, l’infographie, les nouvelles technologies d’information et de communication, etc. Ceci
inclut notamment les objets : ce statut de médiation de tous les éléments d’une exposition fait que le statut d’objet,
pour un artefact donné, ne va pas de soi. Il doit pour cela être « créé » comme objet par des effets scénographiques,
en particulier en créant par exemple le vide autour de lui, afin d’arrêter le regard du visiteur, l’invitant à la
contemplation, à l’imaginaire comme à la surprise. Ces conditions permettent d’articuler la mise en scène d’un
rapport privilégié à l’objet en livrant le visiteur à une rencontre sensible (choc, étonnement, surprise…), et la
nécessité de faire parler l’objet, d’en dégager du sens, soutenu par des médiations qui l’entourent. « le fait que le
regard se portant sur une chose est aussi un regard qui est couvert par cette chose ; que l’objet est un aveuglement
quand on le regarde quand on le prend tout seul ; il nous fait voir moins » (Levinas) 57.
Si le philosophe se référe à autrui, ses propos concernent tout aussi bien l’altérité d’un objet de musée.
L’objet doit être inclus dans sa « mémoire destinale » 58, car le contexte intègre la concrétude de l’objet dans une
complétude consistant à comprendre le monde, les gestes, les mentalités, la culture, les coutumes, etc., qui
entouraient l’objet et sourdent à travers lui. Ceci permet de mettre en perspective une société passée, et d’interroger à
travers elle notre société présente.
Plusieurs dimensions sensibles peuvent être articulées dans une exposition. Une dimension fondée sur les
sens permet de mettre en valeur la contemplation et l’expérimentation : voir, sentir, toucher, entendre, goûter… Une
57
Emmanuel Levinas, Entretiens avec Emmanuel Levinas, réalisé par Pierre-André Boutang, Paris, 1988.
Jean-Louis Déotte, Le musée, lieux de mémoire ?, Analyser le musée, Actes du colloque international organisé par
l’Association suisse de sémiotique, Lausanne 21-22 avril 1995, 1996, p. 36.
58
52
Irina Roman. L'objet dans les processus de communication du musée
dimension reposant davantage sur le savoir permet aux visiteurs un apprentissage de connaissances et la structuration
de l’expérience de la visite. Et une dimension plutôt basée sur l’imaginaire amène les visiteurs dans les domaines de
l’évocation, du souvenir, du rêve, de l’imagination, incluant leur propre apport en termes de « lecture » des expôts
présentés.
L’inclusion du musée dans un espace social plus large que le seul bâtiment pose la question des résonances
et des intérêts du musée et de ses expositions pour des publics divers. Ceci touche à l’image du musée dans la
population et aux attentes qu’il suscite comme aux usages qui peuvent en être faits ou encore aux échos que
l’exposition du passé peut apporter au présent.
En particulier le musée de la santé doit énoncer un projet concordant avec ses collections, afin de garantir sa
cohérence et son identification, et lui assurer dans le même temps une assise en termes de champ d’intérêt qui pourra
être investi par des expositions temporaires, des ateliers, des conférences, etc. Il est par exemple, loin d’être évident
que les collections des musées concernés par le projet touchent spécifiquement à ce que les publics peuvent entendre
par « santé », qui ne touche pas que les sciences médicales modernes. Toutefois, ces collections recèlent de multiples
possibilités thématiques.
Nous avons choisi de considérer une série d’objets de la collection Renaud, parce que celle-ci est en réserve.
Tous ces objets non encore exposés nous offrent ainsi la liberté de pouvoir mettre en pratique nos convictions et de
proposer ce que peut être l’exposition de cet appareillage.
01)
Un exemple de médiation avec les appareils de radiologie de la collection Renaud
Dans l’essai de construire une approche muséographique des appareils de radiologie nous prenons en
considération deux aspects : orienter le regard des visiteurs (le message qu’on veut transmettre aux visiteurs,
comment on veut que les visiteurs comprennent la radiologie et son appareillage) et la mise en scène effective des
appareils.
Le visiteur doit comprendre que la radiologie représente le résultat d’une longue série d’inventions
techniques qui ont suivi l’idée de présenter le corps en mouvement, d’exhiber l’intérieur du corps, et de montrer
« l’invisible », ce que l’œil ne pouvait pas voir. Parce que le visiteur doit percevoir non pas uniquement les appareils
de radiologie, mais surtout comment on est arrivé là, comment la radiologie est née, quel a été le parcours à la fois
technique et philosophique qui l’a faite apparaître. Il s’agit d’introduire la radiologie dans une histoire du regard
indirect et appareillé, c'est-à-dire voir par l’intermédiaire d’un appareil producteur d’images : le médecin regarde
l’image du patient plutôt que le patient lui-même. Ainsi, cela montre la place et l’importance de la radiologie dans
une histoire culturelle des techniques, du regard et des images, et son impact tant scientifique qu’industriel et
populaire à l’époque de son invention.
Dès son apparition, la photographie a été mise au service de la médecine. En 1882, le physiologiste EtienneJules Marey met au point un fusil photographique qui permettait de photographier le mouvement du corps des
animaux ou des humains. Ses travaux ont été partiellement continués par le photographe Albert Londe, qui voulait
fixer par la photographie le mouvement du corps des malades en crise. Mais la réponse de la photographie est
seulement esthétique, elle « décrit » la maladie physique, mais pas la part mentale. Les savants espéraient pouvoir
expliquer par la photographie des choses inconnues et inexplicables de l’époque, comme l’hystérie. Il s’agissait donc
de vouloir voir au-delà de l’apparence de la peau, voir à l’intérieur de l’organisme, à l’intérieur de la tête. Dans cette
direction, un pas important fut accompli par Konrad von Röntgen, physicien, qui découvre les rayons X en 1895. A
53
Irina Roman. L'objet dans les processus de communication du musée
l’époque, cela ouvrait à des fantasmes telles que : « voir le fœtus dans le ventre de la mère, voir les idées des
hommes politiques, voir la femme dans la chambre adultère »59.
Voici donc la naissance de la radiographie et, avec elle, d’un nouveau type de regard. On pouvait enfin voir
à l’intérieur d’un corps humain en vie. On est passé du scalpel, qui permettait de voir à l’intérieur d’un corps humain
mort (où donc la guérison du malade n’était plus possible), à l’appareil. La médecine s’en servait pour prévoir et
mieux guérir les maladies. Née à la fin du XIXe siècle, la radiologie oblige à reconsidérer le « voir ». Désormais,
qu’est-ce que « voir », qu’est-ce que « comprendre » ? Le médecin comprend et analyse le patient et sa maladie par
des images (les radiographies). On passe du regard de l’œil nu au regard par des appareils et des images. Le regard
est centré sur les images, et moins sur le patient. Par conséquent, le rapport même entre médecin et malade change. Il
se fait à partir de ce moment par le biais des radiographies.
Après 1895, la radiologie suit un développement technique dans le domaine des tubes à rayons X
(initialement, ils devaient être chauffés au moins quatre heures avant de faire un examen radiologique ; en 1913 ils
ont été améliorés par William Coolidge en sorte que le processus radiologique se réalise plus vite). Les écrans
fluorescents apparaissent en 1916. L’une des difficultés récurrentes dans ce domaine est la radiographie du crâne, qui
va structurer le développement de la radiologie. Le crâne, grâce à son opacité et étant constitué du liquide céphalorachidien, des vaisseaux, du cerveau et du cervelet, des orbites oculaires (le nerf, le globe et le cône oculaires), est
resté longtemps une énigme pour les radiologistes. Le seul moyen d’examiner le crâne était par le fond de l’œil. Les
radiologies prenaient beaucoup de temps (une heure pour faire une radiographie, parce que l’ampoule à rayons X
surchauffait très vite ; par conséquent, une minute d’exposition aux rayons X était suivie par une autre minute de
repos), et ne montraient pas clairement tout ce contenu.
Les savants trouvent comme solution l’introduction de l’air dans le crâne, et ainsi sont inventées la
ventriculographie et l’encéphalographie en 1918, par Walter Dandy, un neurochirurgien américain. Une amélioration
vient avec l’apparition du tomographe, dans les années 1930, mais l’invention majeure qui permit de distinguer à
même l’image les contenus du crâne et de les analyser a été la tomographie assistée par l’ordinateur ou scanner à
rayons X, en 1971, par Hounsfield. Ensuite, il y a eu les ultrasons et la résonance magnétique nucléaire (RMN),
notamment, qui ont été introduits pour développer la radiologie.
Dans leur évolution, les scanners ont changé, se sont adaptés en fonction de l’apparition de certaines
maladies, en fonction du corps du malade (on fait référence ici au fait que les scanners ont dû prendre en
considération les infirmes, les malformations physiques, qui ne permettaient pas une flexibilité du corps humain) et
des besoins médicaux occasionnés par les deux guerres mondiales. La radiologie est utilisée à grande échelle dans la
Première Guerre Mondiale60. Dès 1920 sont inventés les systèmes de radioprotection et les tables mécaniques
mobiles, qui peuvent changer leur position (verticale ou horizontale) en fonction des nécessités spécifiques de
chaque patient. Les savants américains essaient de mettre au point des appareils qui peuvent dépister la tuberculose
pulmonaire. Sont apparus ensuite, le tomographe, le scanner (en 1971, qui marque l’introduction de l’ordinateur dans
la médecine), l’échographe.
Peu après son apparition, la radiologie a suscité des questions concernant l’usage des appareils ; qui avait le
droit de les manipuler, les techniciens ou les médecins ? Est-il juste de réserver le droit uniquement aux médecins,
comme la science demande également des savoirs médicaux et techniques ? Le conflit s’achève avec la loi de 16
mars 1934 qui confie l’usage des outillages radiologiques uniquement aux docteurs en médecine.
59
Monique Sicard, La fabrique du regard : images de science et appareils de vision, XVe-XXe siècle, Paris, 1998, p. 186.
Un apport majeur y est venu de la part d’Auguste Lumière, qui est nommé responsable du Service Radiologique de l’HotelDieu de Lyon.
60
54
Irina Roman. L'objet dans les processus de communication du musée
Du point de vue muséographique l’exposition doit être conçue en deux parties : l’antichambre61 de
l’exposition, où on montre comment on est arrivé à la radiologie (à l’aide des panneaux ou bien d’un documentaire);
la deuxième partie est consacrée à l’exposition de l’appareillage, où on propose de montrer textuellement et au fur et
à mesure l’histoire du développement de la radiologie, en fonction de chaque appareil, sur les plans de l’image.
Chaque objet est accompagné des images (des radiographies, par exemple), légendées, qui problématisent le
développement de la radiologie (elles montrent les points forts (du point de vue technique) de l’appareil qui lui
permettaient de voir certaines régions à l’intérieur du corps humain et de réaliser des bonnes radiographies, mais
également les choses qui devaient être techniquement améliorées). Ainsi, les visiteurs comprennent à travers
l’exposition le but qui était chaque fois recherché, ce que permettaient les images, et quelles étaient les problèmes
techniques rencontrés, ce qui motivait donc les inventions successives. L’exposition des appareils de radiologie de
différentes époques peut permettre de rendre les visiteurs spectateurs de l’évolution des problématiques et des
technologies de l’imagerie médicale.
A partir de la seule exposition de ces instruments, dans un même mouvement les visiteurs peuvent être ainsi
invités à comprendre les problématiques supportant l’imagerie médicale, ses arrière-plans conceptuels, techniques et
imaginaires (par exemple la conception du corps comme source technique), l’adaptation de l’homme à la machine,
tout autant que des questions techniques liées à des machines concrètes. C’est par exemple ce qu’offre le musée
Lumière à travers l’évolution des premiers instruments produisant des images cinétiques. L’intérêt d’une série est ici
spécifiquement trouvé dans le passage d’un objet à l’autre.
Fig. 1 et 2. Appareils de radiologie appartenant à la collection Renaud
61
C’est un terme qu’on a choisi et qui signifie l’histoire, les inventions, la pensée qui ont précédé et ont demandé l’apparition de
la radiologie.
55
Irina Roman. L'objet dans les processus de communication du musée
Des médiations autour de l’objet pourraient indiquer et approfondir ce qu’évoque cet objet, de façon à
cadrer le regard et à introduire le visiteur dans des connaissances et des récits dont l’objet est la trace ou le témoin.
Le savoir du muséologue, celui de l’anthrolopologue, du sociologue, de l’historien se concertent pour mettre en
scène un épisode de l’histoire d’une époque.
Il serait possible d’aborder une multitude d’autres possibilités muséologiques à partir des collections
lyonnaises relatives à la santé, pour mettre en valeur cette nécessité d’un rapport de communication cohérent dans les
expositions. Cette exigence, de plus, est à envisager depuis le parcours des visiteurs en situation (et depuis les
collections) plutôt que depuis des conceptions muséographiques abstraites.
Il faut ainsi que le passage des objets aux médiations, et des médiations à d’autres médiations, se fasse de
façon intuitive, en particulier entre différents régimes (par exemple esthétique et cognitif) et différentes techniques
de médiation (par exemple des objets et des bornes informatiques, entre des textes et des vidéos…), transitions qui ne
sont pas toujours aisées dans les expositions dans la mesure où c’est depuis une approche sensible intuitive que les
visiteurs décodent et comprennent la communication muséologique, et se repèrent dans les espaces tant matériel
qu’immatériel de l’exposition. Cela veut dire que le passage entre les différents types de médiations doit « couler »
logiquement et intuitivement pour le visiteur ; un type de médiation invite effectivement, dans une logique du savoir
(de l’information contenue), à l’utilisation de celle qui la suit.
Et ce n’est pas là encore aborder le projet du musée dans son ensemble, et en particulier de l’exposition
permanente. A travers les objets, on doit chercher à montrer les rapports entre les techniques, les imaginaires et les
valeurs d’une époque donnée. Cela donne au musée de la santé une identité fondamentale à partir de laquelle d’autres
projets, temporaires, seraient alors envisagés.
56
Marine Devienne. L’image et l’objet
L'image et l'objet
Marine Devienne
L'image fait partie de notre environnement immédiat. Du matin au soir nous sommes entourés d'images,
fixes ou animées : la publicité placardée sur les murs, la télévision au centre de notre salon, les photographies sur
le buffet, l'échographie dans la future chambre du bébé. L'iconographie médicale alimente elle aussi ce flot
constant d'images. Le bloc opératoire devient le décor d’une publicité pour imprimante62. Un patient dans sa
chambre assurent une fonction humoristique dans une publicité pour des pastilles contre les maux de gorge63.
Autant d'utilisations surprenantes démontrant l'omniprésence des images médicales, parfois spectaculaires, dans
les médias et par voie de conséquence, dans notre vie quotidienne.
Quelles représentations ces images véhiculent-elles ? Comment sont-elles construites ? Quelles leçons
le musée peut-il tirer de la distribution des images par d’autres médias ? Faut-il lutter contre ces représentations
ou au contraire faut-il les mobiliser au service de l'expérience muséale ?
01
Représentation et spectacle
A la représentation personnelle construite à partir de notre propre expérience viennent se greffer toutes
sortes de représentations qui nous atteignent en partie grâce aux médias. L'image est un signe iconique au sens
où l'entend Charles S. Pierce64. C'est un representamen qui montre une autre chose, un objet, selon un principe
de similarité. Le signe iconique met donc en oeuvre une ressemblance entre le signifiant (partie matérielle du
signe linguistique) et le référent (objet du monde). Cependant, l'image reste un moyen de représentation qui tout
en incarnant le référent et en montrant ce qui est invisible au regard de l'interprétant, révèle son pouvoir : elle
peut tout à la fois être et ne pas être la chose65.
Dans le contexte médical, celui qui est entouré de mystère pour le commun des mortels jusqu'à la fin du
XIXe siècle, est l’intérieur du corps humain, ce qui est caché sous la peau et n'est visible que par le personnel
médical après ouverture et intrusion dans l’organisme. La première radiographie réalisée en 1895 par Wilhelm
Röntgen est la main de son épouse, Berta Röngten et le premier service de radiographie de France voit le jour
deux mois plus tard, à l''Hôtel Dieu de Lyon, à l'initiative d'Étienne Destot. L'imagerie médicale nous permet de
nous voir autrement, de voir notre partie invisible, de devenir transparent. Ce que nous montrent les
radiographies lors d'une visite à l'hôpital, c’est l'intérieur de notre propre corps et aussi celui de l'autre non
identifié qui pourtant est construit de la même manière que le notre. A l'image d'une échographie obsétricale,
véritable figure de l'entre deux temps, de celui qui est sans être né et qui envahit déjà l'espace visuel du présent
grâce à la fixation de son image sur un support matériel. Ainsi, l'imagerie médicale n'est plus un simple support
62 Canon Pc10: la salle d'opération, 1983 :
http://www.ina.fr/pub/telecoms-informatiqueaudiovisuel/video/PUB3249868052/
63 Solutricine : chambre d'hôpital : http://www.ina.fr/pub/hygiene-beautesante/video/PUB2327357014/
64 C. S. Pierce, Écrits sur le signe, rassemblés, commentés et traduit de l'allemand par Gérard Deledalle, Paris, 1978. p.82.
65 Jack Goody, La peur des représentations : l'ambivalence à l'égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de
la sexualité, Paris, 2003.
57
Marine Devienne. L’image et l’objet
d'information pour les interprétants, elle évolue comme un nouveau genre photographique qui rend possible le
portrait de l'enfant à naître.
Voir la part invisible de notre corps mais aussi voir l'envers du décors. Beaucoup d’entre nous sont déjà
passés au bloc opératoire, et on vécu l'instant sans le voir. L'image nous permet de nous représenter ce dont nous
a privé l'anesthésie ou ce qui est hors de notre portée. L'image peut représenter le processus, le déroulement, ce
qui dans l'esprit de chacun était condamné à la fragmentation. Les émissions médicales télévisées nous invitent à
observer les coulisses de l'opération : présentation du personnel soignant, de la salle d'opération et du malade,
l'opération en elle-même et le réveil du patient, soit chacune des étapes de l'intervention chirurgicale : l'avant, le
pendant et l'après66. L'image induit une nouvelle situation d'observation et nous offre un point de vue nouveau,
extérieur à l'action puisque l'interprétant s'inscrit dans une autre temporalité et un autre espace. Il est cependant
omniprésent, son oeil voit tout ce qu'on accepte de lui montrer tout comme l'objectif de la caméra qui se faufile,
enregistre et immortalise l’action.
Les médias offrent aussi diverses représentations des métiers de la santé notamment dans les fictions
médicales où l'attention est portée à la création de personnages et aux représentation spectaculaires du médecin
et du chirurgien. Grégory House le médecin cynique et sans éthique, « Bones » l'anthropologue judiciaire
pragmatique et cartésienne de la série éponyme, ou encore Jack le médecin héroïque de la série Lost67.
L'ensemble de la communauté médicale avoue que la plupart du temps « les cas cliniques présentés sont
extrêmes alors qu'en réalité c'est souvent moins excitant et moins dangereux »68. Cependant, la fiction n'a pas le
monopole du spectaculaire. Les émissions de société, animées par des non professionnels de la médecine
s'appuient sur des images et des témoignages à valeur d'argument. Le malade est au centre et délivre le récit de
son expérience en procédant à « une spectacularisation de la maladie et des soins »69. L'expérience personnelle
fait office d'expertise et par le truchement de l’universalisation du particulier la représentation personnelle
devient elle aussi universelle. Spectaculaire rime ici avec empathie mais il peut aussi rimer avec exploit comme
nous l'explique le Pr Pierre Sicard au sujet de la médecine spectacle : « les possibilités en matière d'innovation
médicales sont affirmées [dans les médias] avant d'être validées »70. C'est le traitement médiatique qui est
spectaculaire, et la médecine devient un spectacle à part entière avec des images fortes, des échecs, des réussites
et des rebondissements qui alimentent le vie quotidienne du spectateur, comme dans ce court sujet consacré à
l'histoire de la greffe du coeur71. Les médias relaient un contenu iconographique médical très riche pour autant
de représentations très diverses qu'elles soient individuelles ou partagées.
02
Connaissances et savoir profane
Les différentes représentations véhiculées par les médias participent également à la diffusion de
connaissances scientifiques notamment grâce aux émissions médicales dans lesquelles les représentants du
discours global sont les médecins et les spécialistes. Les spectateurs sont assaillis par un flot d'images médicales
mais elles ont ici une simple fonction illustrative de la même manière que les témoignages qui viennent appuyer
les propos de l'expert. Ce type d'émission s'appuie sur la fonction cognitive des représentations et correspond
d'avantage à la mission pédagogique traditionnelle de la télévision, véritable outil de vulgarisation scientifique.
66 La vie d'un bloc opératoire - La vie tout simplement, 1999, France 3 Nord- Pas de Calais :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CPC99004964/
67 House, série américaine créée par David Shore, 2004. Bones, série américaine créée par Hart Hanson, 2005. Lost: les
disparus, série américaine créée par J.J Adams, Jeffrey Lieber et Damon Lindelof, 2004.
68 Aline Agneessens interrogée par Virginie Tiberghien L'hosto sur un plateau TV, 2010 :
http://www.enmarche.be/Societe/Vie_quotidienne/Series_medicales
69 Hélène Romeyer, « La santé à la télévision: émergence d'une question sociale », Questions de communication, n° 11,
2007. p. 51-90. [en ligne] http://www.ques2com.fr/pdf/11-d1.pdf
70 Pierre Sicard interviewé par Jean-Marc Biais Non à la médecine spectacle, L'express, 2000 :
http://www.lexpress.fr/informations/
71 30 ans de greffe du coeur, 1997, Midi2, France 2 :
http://www.ina.fr/sciences-et-techniques/medecinesante/video/CAB97141334/
58
Marine Devienne. L’image et l’objet
Ces connaissances scientifiques contribuent au même titre que les représentations, qu'elles soient
spectaculaires ou non, à la construction d'un savoir profane ou ce mêlent représentations personnelles,
symboliques (le coeur comme lieu des émotions) et sociales. Les représentations peuvent assurer une fonction
d'interprétation et de construction de la réalité. Ainsi, à partir de l'image de notre corps, construite dans un
premier temps grâce à nos expériences visuelles directes mais forcément partielles, puis grâce à nos expériences
sensorielles proprioceptives et extéroceptives auxquelles s'ajoutent les autres formes de représentations
véhiculées dans les médias, nous construisons une image universelle de l'intérieur du corps et de l'expérience de
la maladie. Une fois détaché de son extérieur, de la peau, perçue comme élément identitaire, rien ne ressemble
plus à un corps qu'un autre corps. La maladie se matérialise lorsque ce corps générique, commun à tous et
universel devient différent72 : la morphologie (forme et déformation), l’état cutané (tégument), et l’état
exploratoire désigné par la radiographie (tâches). Les représentations évoluent au fil du temps mais constituent
un savoir latent, muet voire inconscient.
De la même manière, la conception primitive de la folie était liée au sacré, au religieux voire au
démoniaque. Elle fera ensuite partie des maladies que l'on cache, qui nous font peur et nous dégoutent. Encore
aujourd'hui le traitement spectaculaire de la psychiatrie dans les médias, lors d'affaires criminelles notamment,
contribue à la formation d'une représentation très péjorative de la psychiatrie et des troubles psychiques : « La
souffrance psychique dérange, fait peur, ou pire, n'est pas crédible. [...] Les représentations des maladies
mentales engendrent la peur, donc l'intolérance et l'exclusion. [...] Le malade mental, comme on dit de manière
globale, mélangeant dans une fraternelle confusion toutes les formes de souffrance psychique, est dangereux et
incurable. Il est interné dans des asiles où il est soigné (sans que l'on sache bien de quels soins il s'agit) par des
gens que l'on appelle les « psy » et qui sont en général aussi fous que leurs malades. » 73. Le poids de ces
représentations saute aux yeux lors de la visite du musée des Hospices Civiles de Lyon où un cabanon d'aliéné
du début du XIXe siècle est reconstitué74. Les indices quant à la nature de la maladie sont peu nombreux : une
camisole de force sur un mannequin de cire dans ce qui ressemble à une cellule de prison, munie de barreaux,
d'un cadenas et d'un mobilier rudimentaire. Cette reconstitution nous informe sur l'époque et les représentations
des troubles psychiques qui lui sont propres, autrement dit, sur la perception de la maladie plutôt que sur la
maladie elle même. Ce qu'on nous montre, c'est le danger véhiculé par un homme, sa violence contre lui même et
contre les autres, sans doute à l'origine de l'enfermement mais aussi la violence de l'enfermement de l'être et du
corps, contraint dans la camisole. En présentant la folie d'un homme seul dans un cabanon destiné à plusieurs
aliénés sous l'angle carcéral, le musée expose un forcené dans une cellule de prison soit une des nombreuses
représentations péjoratives de la maladie plutôt que la maladie en elle même. Cette réalité est-elle si éloignée de
la nôtre ? A la camisole de force se substitue la camisole chimique, le cadenas est remplacé par une serrure, mais
les portes sont toujours fermées. Le musée en reconstituant ce cabanon d'aliéné expose à la fois le lieu de la
maladie, la tentative de traitement mais surtout les représentations qui ont guidé le savoir médical d'une époque
et qui dans le cas présent font écho au savoir profane contemporain.
En matière de santé, cette notion de savoir profane dépasse le domaine de la pensée et du savoir pour
s'inscrire dans le réel. Construction de théories, de jugements mais aussi de comportements ou savoirs-faire qui
semblent dérivés de la fonction d'orientation et de conduite de comportements des représentations. La
conséquence matérielle de ces représentations peut par exemple être perceptible à travers les phénomènes
d'automédication et d'auto-diagnostic . Pour être fort, vigoureux et en bonne santé, il convient donc de faire du
sport, d'avoir une alimentation équilibrée et de consommer du beurre aux Oméga 3. En revanche, le fumeur est
un malade en devenir, il est faible, dépendant et en mauvaise santé, la cigarette devient la cause de tous ses
maux. Tous ces messages publicitaires ou préventifs influent sur notre quotidien et guide notre comportement.
Ce savoir profane opère comme un filtre, un intermédiaire entre les interprétants, leur vie quotidienne et la
72 Stéphanie Gaumont et Pierre Jarlan, L'influence de l'imagerie médicale sur les représentations du corps, sous la direction
de Rachel Besson et Isabelle Gobatto, Université de Bordeaux, 2006 : http://www.scribd.com/doc/11650433/
73 Edouard Zarifian, Des paradis plein la tête, Paris, 1994, p 179-180.
74 Cabanon d'aliéné de l'ancien hôpital de l'antiquaille.
59
Marine Devienne. L’image et l’objet
maladie, le médecin, les médicaments ou tout autre objet médical. C'est une idée de la chose qui opère comme
une membrane lors de la rencontre avec l'objet.
03
L'idée, l'objet et la chose
Face à l'émergence de nouveaux médias de communication et notamment de l'Internet, le musée doit se
repositionner en tant que distributeur d'images. Ces médias proposent des contenus nouveaux, actifs, et
rétroactifs et s'opposent au musée de la santé dont la mission, du point de vue de l'exposition de la collection, est
de « transmettre la culture du passé, bien éloignée le la vie quotidienne des hommes d'aujourd'hui »75.
Les objets des collections qui nous concernent, sont autant de fragments détachés de la réalité offerts à
l'appréhension sensible comme témoins d'un monde réel mais lointain. Le musée s'inscrit lui aussi dans un
processus de représentation par l'objet en s'appuyant sur l'objet matériel visible, dont la première étape est
systématiquement l'approche sensible suivie par la représentation propre à l'idée de chacun. Autant d'objet
stimulis qui éveillent en nous des sensations et souvenirs qui nous sont propres, basés sur les propriétés
proprioceptives de l'approche corporelle ou des représentations concentrées dans notre esprit (la sensation de
piqure à la vue d'une aiguille, le souvenir d'une cicatrice à la vue du scalpel). Cependant la seringue du musée ne
pique pas et ne piquera plus. Elle est arrachée au monde, conservée dans un temps arrêté, celui de son époque
sans pour autant nous être étrangère. Sa force d'utilisation disparait au profit d'une force de représentation. Elle
les convoquent à l'esprit du visiteur qui à partir de ce moment donne un sens à ce qu'il voit : l'objet, la chose
devient signe.
Au traitement médiatique peut s'opposer le traitement esthétique, voir l'objet pour ce qu'il est grâce à
une mise en spectacle ou mise en scène esthétique. Ainsi, dans le musée d'Anatomie Testut Latarget, proche d'un
cabinet de curiosité rappelant l'historicité de la collection, les «chefs d'oeuvres »76 sont entourés de membranes
agissant comme des filtres, valorisant le caractère esthétique des objets. Les tissus nerveux ressemblent à des
coraux, les fragments du corps sont inondés de bleu. Ce mode d'exposition oscille entre un sentiment de
proximité pour l'objet, la chose grâce à son caractère esthétique et une distanciation quant à son contexte
historique. L'objet devient intemporel, il nous est présenté tel qu'il est, tel qu'il se donne et fait appel au caractère
sensible et immédiat de la perception. Il s'agit de mobiliser les expériences, histoires, souvenirs et sensations qui
font partie de la vie des visiteurs, tout ce qui était là avant la visite, pour permettre une expérience sensible du
monde médical, où les représentations et le savoir profane sont mis au service de l'expérience muséale. Jouer
avec les représentations, les intégrer, les confronter et pourquoi pas en proposer de nouvelles grâce à certains
objets de représentations présents dans les collectionsn: portraits de médecins, caricatures, gravures ou encore les
crânes phrénologiques de Gall comme représentations du criminel né. Les oeuvres d'art sont autant de mises en
scène de la médecine et ses objets ainsi que la mise en lumière des représentations de l'époque. A l'inverse d'une
reconstitution, elles permettent de présenter la représentation en tant que représentation et non en tant que vérité.
Ce principe d'accès simultané à l'objet et à sa représentation peut permettre d'inclure l'approche
médiatique dans l'exposition. Contrairement à l'approche esthétique, le musée aurait ici pour mission de replacer
les objets dans leur contexte historique (et non dans leur contexte d'utilisation : la révolution du stéthoscope et
non la manière dont il était utilisé) et ainsi laisser une place aux médias dans ses collections. En effet, les
convergences historiques concernant la médecine et les autres disciplines abondent : l'apparition de l'imagerie
médicale coïncide avec l'invention du cinématographe des frères Lumière en 1895 à Lyon, à la fin du XIXe
siècle, la conception d'instruments chirurgicaux était réservée aux couteliers, les innovations en matière de
pharmacie naviguent au fil des siècles entre l'alchimie et la chimie. Là aussi les représentations jouent un rôle
75 François Mairesse et Bernard Deloche Pourquoi (ne pas) aller au musée?, Lyon, 2008, p. 193-203.
76 Expression de Jean-Christophe Neidhardt, conservateur du musée d'Anatomie Testut-Latarget au sujet de quelques uns
des objets de la collection.
60
Marine Devienne. L’image et l’objet
primordial et le visiteur est amené à effectuer un bond dans le temps pour découvrir les représentations d'une
autre époque à travers des faits de société. Il ne s'agit plus ici de confronter les représentations du passé à celles
du présent mais véritablement d'immerger les visiteurs dans un autre temps. La mise en scène d’autres médias
véhiculant ces représentations (journaux, images médicales, photographies et films) et le parti pris d'un objet
médiateur entre deux réalités, deux époques, nécessitent pour leur mise en scène, un récit, un discours, une
histoire qui les placeront dans le contexte global délivrant simultanément l'idée et la chose. La médiation par les
objets, les récits mais aussi la médiation dans l'acte même de la visite. Plutôt qu'une visite guidée s'appuyant sur
les savoirs scientifiques, il s'agit de privilégier une visite contée s'appuyant sur des récits et des histoires propres
à une époque pour ouvrir les portes sur l'imaginaire d'un autre temps.
La question de la construction des représentations en matière de santé doit être prise en compte dans un
projet tel que le musée de la santé. Le public est au centre des problématiques muséologiques et son bagage de
représentation guide ses attentes, ses besoins et son rapport à l'objet muséal. D'une part, l'approche esthétique
accompagnée de la notion d'intemporalité permet aux visiteurs de laisser libre cours à leurs propres
représentations et ainsi vivre une expérience sensible au sein d'un musée à caractère scientifique. D'autre part,
l'approche historique permettant d'intégrer l'esprit d'une autre époque tout en complétant l'approche médiatique
puisqu'elle offre un accès à « la vrai chose ». L'objet en lui même devient médiateur, il permet le dialogue entre
les époques et la confrontation des représentations.
61
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
Typologie des instruments, et anthropologie du geste
Mélanie Lioux
A travers les discussions à propos de la création d’un Musée de la Santé à Lyon et sur la question de la
présentation des collections, est apparue la crainte de condamner des outils au silence dès lors qu’ils sont décontextualisés et exposés à distance du visiteur, à l’abri derrière des vitres.
En effet, nous visitons souvent des musées d’histoire de la médecine qui présentent au public des vitrines
d’instruments médicaux aux formes variées, classés selon la spécialité à laquelle ils se rattachent (instruments
d’ostéologie, d’odontologie, de gynécologie, d’urologie...) sans rien laisser percevoir des gestes que ces outils
sous-tendent. Une juste compréhension de la forme passe pourtant nécessairement par l’intuition du geste. Nous
choisissons ici une approche historique qui s’appuie notamment sur les textes médicaux antiques, pour proposer
quelques pistes de réflexion sur la dynamique essentielle de la forme et du geste propre à tout outil, dynamique
mise en lumière par les travaux des anthropologues qui dépasse bien-sûr le cadre chronologique retenu et doit
toucher également des collections modernes et contemporaines.
01
De la forme au geste, et du geste à la forme
Dans le cadre d’une étude des instruments médicaux antiques, le croisement des données archéologiques,
textuelles, iconographiques est indispensable pour dépasser le stade de l’inventaire et contribuer à l'étude du
geste opératoire. Cela a été prouvé au moins dans le domaine de la médecine latine où un texte de Celse sur les
techniques de l’opération de la cataracte a été éclairé par la mise au jour à Montbellet en Saône et Loire
d’aiguilles particulières réservées à cette opération77.
La pertinence de la forme de certains instruments est telle qu’un instrument antique comme le speculum,
tombé en oubli pendant des siècles, a été « réinventé » en 1812 par Récamier78. Quant aux ventouses encore en
usage au début du XXème siècle, elles ne diffèrent guère des spécimens antiques qui ont été conservés. Ainsi,
l’adéquation de la forme à la fonction de l’instrument et au geste du praticien décide de la pérennité de ces
instruments ou de leur évolution79. De même que Galien au IIème siècle ap. J.-C. façonnait en cire certains
instruments dont il avait besoin avant de les soumettre au forgeron, Frédéric Charrière, fabricant renommé
d’instruments chirurgicaux à la fin du XIXème siècle, a réalisé la seringue de Pravaz à partir du dessin que ce
dernier lui avait confié. Charrière est allé à la rencontre des grands chirurgiens parisiens, Dupuytren, Civiale,
77
M. Feugère, E. Künzl, U. Weisser, « Les aiguilles à cataracte de Montbellet (Saône et Loire). Contribution à l'étude de
l'ophtalmologie antique et islamique », Découvertes archéologiques en Tournugeois , n° 12. Tournus, 1988.
78
Le Pr. Joseph Claude Anthelme Récamier (1774-1852) a exercé en tant que médecin ordinaire à l’Hôtel-Dieu de Paris entre
1806 et 1846. Il a également enseigné au Collège de France dès 1821 à la chaire de clinique de perfectionnement. On lui
attribue la création de deux modèles de speculum, l’un plein, l’autre bivalve. Cf. V. Deneffe, Le speculum de la matrice à
travers les âges, Anvers, 1902. Découverte d’un speculum de l’utérus avec une série de spatules-sondes dans une sépulture
d’époque hellénistique sur l’île de Rhénée : W. Deonna, Exploration archéologique de Délos, Le mobilier délien, Paris, 1938,
vol. 18, n° 599-600 pl. LXXIV.
79
On peut ainsi raisonnablement avoir recours aux illustrations des manuscrits médiévaux des médecins arabes pour se
représenter la forme de certains instruments antiques.
62
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
Maisonneuve80.. Il avait parfaitement conscience de l’intérêt à les voir travailler et observer leurs gestes pour
mieux cerner leurs besoins : « J’ai compris tout l’avantage qu’il y aurait de voir fonctionner mes instruments.
J’ai donc demandé à assister à des opérations chirurgicales. J’ai été singulièrement favorisé par les chirurgiens de
la capitale, car tous m’ont accueilli avec une grande bienveillance, et la plupart m’ont, j’ose le dire, servi de
maîtres » 81.. La connaissance du geste nécessaire pour opérer permet d’adapter la forme en privilégiant
l’ergonomie de l’outil (systèmes de montage, d’emboîtement des lames) et de travailler le matériau (pour obtenir
un bon tranchant par exemple) et ce, dès l’antiquité grecque82. Par conséquent, la méconnaissance du geste ne
permet pas de comprendre réellement la forme des instruments exposés en musée.
Figure 1. Trousse d’amputation, modèle Charrière, XIXème siècle, MHMP, Lyon83.
02
La primauté du geste à travers les traités médicaux
Pour la chirurgie, l’ «œuvre de la main » (du grec xei/r, la main et e1rgon, l’action), la terminologie des
noms d’instruments héritée de l’antiquité gréco-romaine est significative. La désignation de l’instrument évoque
tout à la fois sa destination (la partie à opérer) et le geste qui l’accompagne (forme substantive du verbe) : citons
parmi les instruments tranchants, ceux qui sont composés à partir du verbe te/mnw « couper », phlebotome
(fle/y, veine), lithotome (li/qoj, pierre, calcul), pterygotome (pteru/gion, membrane de l’œil ) 84.. On rencontre
ces noms çà et là dans les traités médicaux pour évoquer l’instrument dont doit se saisir l’opérateur mais ces
textes, qui sont pour la plupart des manuels didactiques destinés aux praticiens, s’intéressent moins à l’objet
qu’au geste qu’il permet d’accomplir. Ainsi, le nom est effacé par la force du verbe exprimée en grec par une
80
J. Drulhon, «Frédéric Charrière : ses ateliers et son établissement», Frédéric Charrière (1803-1876). Fabricant
d’instruments de chirurgie et 150 ans de l’histoire d’un établissement parisien du quartier des Cordeliers, Paris 2008.
Charrière a notamment créé pour Dupuytren, le lithotome simple et double, et l’amygdalotome, ainsi que l’un des tous
premiers appareils d’anesthésie pour Maisonneuve. Cf. http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica/instruments.htm.
81
Ibid. : note de F. Charrière en introduction de sa notice de 1834.
82
J.-J. Perret, L’art du coutelier expert en instruments de chirurgie, 2 vol., Paris, 1772.
83
MHMP : Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie. Ce coffret d’amputation comprend dans le compartiment
inférieur 4 couteaux dont un à double tranchant pour passer entre les os, 1 tourniquet à garrot, des aiguilles et du fil à suturer
dans un petit compartiment hémicirculaire, des ciseaux, 4 bistouris et une pincette pour les esquilles d’os. Dissimulées dans
le couvercle, se trouvent encore deux scies à amputer avec leurs lames de rechange.
84
Noms composés qui n’apparaissent pas dans le Corpus hippocratique. On les rencontre plus tard chez Galien ou Paul
d’Egine.
63
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
accumulation d’infinitifs dans le Corpus hippocratique (ta/mnein, inciser ; kai/ein, cautériser ; pri/ein, trépaner ;
e)pice/ein, ruginer) ou de gérondifs en latin chez Celse. Dans son article consacré aux gestes du chirurgien dans
un passage du De Medicina de Celse (VII, 17-24), G. Sabbah procède à un rapide relevé lexical qui permet de
souligner la scansion des verbes qu’il propose de regrouper par famille de gestes : gestes de préhension (saisir),
gestes de séparation et de division (dégager), gestes de déplacement et de remise en place (mettre en place la
partie malsaine et l’instrument), gestes de pénétration (introduire, enfoncer, perforer), gestes d’incision, gestes
d’ablation (exciser, réséquer), gestes de ligature (recoudre, refermer), gestes post-opératoires (poser des
antalgiques et des anti-inflammatoires)85. Cette classification n’est pas sans rappeler les travaux
anthropologiques de Leroi-Gourhan86. Si l’on prend l’exemple de l’opération de la cataracte, que l’on regarde
chez Celse87, qui reprend la procédure de Galien, à l’époque romaine, chez Paul d’Egine88 à l’époque byzantine
ou dans le manuel d’ophtalmologie de Wecker et Masselon89 à la fin du XIXème, le mouvement du texte permet
de regrouper verbes et gestes selon le même ordre : installer le patient en fonction de la lumière, écarter les
paupières (geste de séparation), marquer le point où opérer (mettre en place la partie malsaine et l’instrument),
perforer avec l’aiguille à cataracte (geste de pénétration), instiller un collyre, faire un bandage (gestes postopératoires). A travers ce schéma de lecture, apparaît la chronologie d’une opération type, du diagnostic aux
soins post-opératoires90.
03
Vers une approche « gestuelle » de la muséologie ?
De la même manière, d’un point de vue muséologique, il serait tentant d’envisager de partir du geste pour
évoquer la forme des instruments médicaux présentés, plutôt que d’isoler la forme et transformer ainsi l’outil en
objet. A chaque famille de gestes peut correspondre une catégorie d’instruments, dont nous donnons seulement
quelques exemples pour la plupart empruntés aux catalogues d’instruments Charrière91 ou aux collections
lyonnaises92. Il s’agit de dérouler le fil d’une chaîne opératoire à cinq temps (observer, préparer, restaurer,
refermer, panser) dont les trousses portatives d’instruments médicaux offrent une image synthétique93. Sans
quoi, observer des vitrines d’instruments regroupés par spécialité médicale, s’apparente à feuilleter un catalogue
d’instruments édité par un fabricant pour un regard non averti. Aussi beaux soient-ils, les instruments signés
Charrière risquent fort de ne parler qu’à des praticiens, à savoir des personnes qui ont littéralement incorporé la
technique promise par ces outils94.
85
G. Sabbah, « Les gestes du chirurgien dans le De Medicina de Celse, VII, 17-24 », Manus Medica, Lyon, 2003, p. 91-97.
A. Leroi-Gourhan, Evolution et techniques : L'homme et la matière Milieu et techniques (vol. 1 et 2), Paris, 1971.
87
Celse, De Medicina, trad. W. G. Spencer, vol.III, livre VII.7, London, 1961.
88
Paul d'Egine, Chirurgie, trad. R. Briau, chap. XXI, Paris, 1855.
89
L. de Wecker, J. Masselon, Manuel d’ophthalmologie. Guide pratique à l’usage des étudiants et des médecins, Paris,
1889, p. 508-511.
90
Le praticien a parfois besoin d’une sonde pour établir son diagnostic : « Ces observations, on les fera à distance et on les
énoncera sans toucher le blessé ; puis portant la main sur lui, on essaiera de reconnaître positivement si l’os est ou non
dénudé de la chair. L’os est-il accessible à la vue cela est facile ; sinon, on fera des recherches avec la sonde » (Hippocrate,
Œuvres complètes. Plaies de la tête, trad. E. Littré, Paris, 1841, vol. 3, chap. 10 p. 213).
91
F. Charrière, Spécimen d’instruments de chirurgie modèles Charrière (Paris, 1854) et Appareils pour l’inhalation du
chloroforme, pouvant aussi servir pour l’inhalation de l’éther avec notes et figures explicatives (Paris, 1848). En ligne à la
BIUM de Paris : http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/?cote=70595x06&do=chapitre,
http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/index.las?cote=90958x634x18&do=chapitre.
92
Site de l’Université Claude Bernard Lyon 1 pour l’histoire de la médecine : « histoire des instruments médicaux et
chirurgicaux », http://histoire-medecine.univ-lyon1.fr/.
93
Voir les trousses du catalogue Jetter & Scheerer en ligne à la BIUM de Paris :
http://web2.bium.univ-paris5.fr/livanc/?cote=extaphpin012&do=chapitre.
94
J.-L. Jamard, « Au coeur du sujet : le corps en objets ? », Techniques & Culture, n° 39, 2002 ; M. Akrich, « Les objets de la
médecine », Techniques & Culture, n° 25-26, 1995. Ces deux articles sont en ligne sur http://tc.revues.org.
86
64
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
Figures 2 et 3. Trousse d’un médecin de campagne, et trousse réglementaire, catalogue Charrière 185495, fin XIXème,
MHMP, Lyon96.
Le choix de l’infinitif ici, emprunté aux premiers écrits médicaux grecs conservés, et qui a la force
évocatrice de l’impératif, est une exhortation à l’action. Il incarne bien la nécessaire autorité de la main qui
soigne, cette « cruauté miséricordieuse [qui] vise toujours à restaurer l’intégrité du patient » pour citer G. Sabbah
quant au portrait du chirurgien dressé par Celse. 97.
a) observer et diagnostiquer
Explorer à l’aide d’instruments et appareils le corps, qui n’est pas nécessairement meurtri, afin de rendre
visible ou manifeste ce qui ne l’est pas immédiatement et éventuellement, d’établir un diagnostic. Entrent dans
cette catégorie, stéthoscopes, appareils à tension (oscillomètre de Pachon, brassard et sphygmonanomètre de
Gallavardin), endoscopes (endoscopes urologiques, cystoscope du Dr Rafin, bronchoscopes)98 et plus récemment
appareils à rayons X, échographes, qui d’une certaine façon pénètrent au cœur du corps pour entendre et voir audelà de son enveloppe charnelle sans lui porter atteinte. Cette étape détermine les gestes opératoires qui suivent.
b) préparer
Neutraliser la douleur avec les premiers appareils d’anesthésie (embouchure, pince-nez, réservoir à
chloroforme ou à éther, structure capillaire).
Dégager et écarter à l’aide de sondes (sonde pour examiner une plaie, sonde utérine, sonde en gomme
élastique pour les maladies de l’urètre et de la prostate, sonde cannelée à ailes pour l’opération des intestins), de
dilatateurs (dilatateur utérin, clou en ivoire Charrière pour dilater les voies lacrymales, canule à écartement de
Gendron et pince dilatatrice de Trousseau en trachéotomie), de speculum (speculum vaginal, mais aussi
speculum auriculaire (speculum d’Itard, de Bonafond, de Deleau, speculum ophtalmologique de Luzardi), de
95
Supra. F. Charrière 1854, image [sans numérotation] : planche, trousse réglementaire.
Don de la famille du Dr. Tissot qui exerçait à Seyssel.
97
Supra, dans Manus Medica. Lyon, 2003, p.96.
98
Cf. articles de P. Lépine dans la rubrique « Les appareils de diagnostic et d’endoscopie », site de l’Université Claude
Bernard Lyon 1 pour l’histoire de la médecine : « histoire des instruments médicaux et chirurgicaux », http://histoiremedecine.univ-lyon1.fr/.
Philippe Lépine, secrétaire général adjoint du musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie (Université Lyon1) a dirigé
avec son frère Georges la maison Lépine entre 1945 et 1985. La maison Lépine est l’une des plus anciennes entreprises
lyonnaise spécialisée dans la fabrication d’instruments de chirurgie : depuis l’installation en 1734 de Philippe Martin Lépine
(1692-1754) comme « éguiseur » à Lyon, neuf générations se sont succédées. L’entreprise a conçu de nombreux instruments
pour les chirurgiens lyonnais Leriche, Berard, Gallavardin, et Santy (F. Devars, « Les couteliers et les fabricants
d’instruments de chirurgie lyonnais », http://www.bium.univ-paris5.fr/sfhad/vol4/art02/article.htm).
.
96
65
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
crochets.
Saisir et bloquer à l’aide de pinces non coupantes (pinces à dissection, pinces à pression continue, relèvepaupière, pinces à mors bifurquées de Desmarres pour saisir les parties molles en ophtalmologie, pinces à
polype).
Déplacer, mettre en place la partie malsaine et l’instrument, à l’aide de dépresseurs (dépresseur vaginal),
sondes, canules pour guider l’instrument invasif ou acheminer le traitement (canule double de Borgelet, portecaustique, gorgeret conducteur de tenettes pour l’opération de la pierre), cathéters.
c) restaurer
Le terme peut surprendre concernant des instruments très invasifs mais il faut entendre par là restaurer
l’état de santé à défaut de pouvoir toujours rendre au corps toute son intégrité.
Perforer avec une aiguille (aiguille emmanchée de Dupuytren, de Scarpa ; aiguille lancéolée pour
l’opération du Phimosis, aiguille creuse montée sur un piston de seringue, seringue de Pravaz, aiguille
hypodermique) 99, trépans en foret ou en couronne qui perforent l’os par mouvement circulaire utilisés en
ostéologie ou dans les opérations de l’oreille sur la membrane du tympan (trépan de Fabrizj), perforateur de
Dupuytren, tréphines à main, trocarts (trocart de Laugier pour percer le sinus maxillaire, trocart coudé de
Bauchot pour la laryngotomie et la trachéotomie).
Percuter : marteau, ciseau plat, ciseau concave (gouge) en ostéologie.
Inciser : scalpels à un tranchant droits ou convexe, cératotomes, couteau lancéolaire de Beer,
scarificateurs, phlebotomes à double tranchant.
Exciser, réséquer : couteaux à amputation, scies à crête de coq, scie droite en couteau, pinces coupantes
(tenailles incisives pour amputation, entérotomes, brise-pierre à mors, pince de Dupuytren pour arracher les
polypes), ciseaux (ciseaux perce-crâne de Smellie, ciseaux céphalotomes de Dubois, lithotome double de
Dupuytren), porte-ligatures (ligature des polypes).
d) refermer
Suturer à l’aide aiguilles chirurgicales droites, courbes, demi-courbes, porte-sutures, fermer à l’aide d’agrafes.
e) panser
Procéder aux soins post-opératoires (bandages, épingles).
Ainsi, déconstruire les typologies en vigueur pour convier le public à un parcours de gestes est un choix
muséologique qui peut paraître iconoclaste mais qui a l’ambition de replacer l’homme au cœur de la technique.
Cela mériterait une discussion approfondie avec les spécialistes de ces collections atypiques de sciences et
techniques, médecins et fabricants d’instruments médicaux, qui ont une parfaite connaissance de la forme et du
geste. Rien n’interdit des lectures transversales, via des bornes Multimédia par exemple, pour expliquer une
intervention en particulier, comme l’opération de la cataracte, et réunir en image les instruments spécifiques à
celle-ci. Au-delà du concept muséologique, tout un travail muséographique est à entreprendre pour faire passer le
public « de l’autre côté du miroir », pour ne plus être simplement le corps qui reçoit ces instruments et imaginer
être la main qui manipule ces outils. Notre corps garde en effet la mémoire, parfois dérangeante, de l’aiguille qui
transperce la peau, du fil à suturer qui la traverse, du marteau qui choque nos articulations, du contact froid du
stéthoscope, de la pression exercée sur notre bras par le brassard du tensiomètre. Ainsi, contrairement aux autres
objets de sciences et techniques, les instruments médicaux sont autant de stimuli sensoriels sur lesquels on peut
jouer en détournant la crainte qu’ils inspirent au patient pour « piquer » la curiosité du visiteur. S’il est facile de
mettre à disposition du public un stéthoscope ou un tensiomètre, de concevoir une mise en scène à partir des
appareils d’imagerie médicale, ou de montrer comment réaliser différents points de suture et bandages, il est plus
délicat de placer des scalpels entre des mains inexpertes. En revanche, la technologie de simulation (réalité
99
Dr. J. Voinot, « D’Anel à Pravaz, une histoire de seringues mal attribuées », dans la rubrique « Les seringues et les
aspirateurs », http://histoire-medecine.univ-lyon1.fr/.
66
Mélanie Lioux. Typologie des instruments, anthropologie du geste
augmentée) 100 peut alors prendre le relai : on peut imaginer à l’aide de lunettes vidéo et un stylet à la main, être
au cœur d’un bloc opératoire moderne. Même avec les instruments très invasifs, (scalpels, scies, trépans …) qui
soulèvent parfois une certaine répulsion, il est possible d’évoquer le corps et de mettre en situation les
instruments « en douceur » à travers des cires anatomiques et des dessins.
Figure 5. Planches anatomiques avec représentation des opérations, 1844101.
Ce corps morcelé, ce corps modelé, ce corps dessiné et interprété n’est plus tout-à-fait notre corps. Il
s’opère une distance nécessaire, une distance salutaire pour mieux observer le corps humain parallèlement à une
incorporation des outils par le visiteur.
100
Grâce à des lunettes vidéo branchées sur une source vidéo (ordinateur, lecteur DVD…), on incruste des objets virtuels
(images de synthèse) dans une séquence d’images réelles filmées par des caméras intégrées aux lunettes (décor observé par
le visiteur). Le film obtenu est ainsi retransmis simultanément sur les écrans des lunettes. Parallèlement, grâce à des capteurs
de mouvements (capteurs disposés dans la pièce, bracelet détecteur de mouvement au poignet), le visiteur peut interagir avec
les objets virtuels. Monde réel et monde virtuel sont superposés pour donner l’illusion de réalité. Cette technologie est utilisée
au château de Vincennes pour la visite du cabinet de Charles V ainsi qu’au Futuroscope depuis 2008 (« Les animaux du
futur »).
101
E. Blasius, Akiurgische Abbildungen oder Darstellung der Blutigen Chirurgischen Operationen und der für dieselben
Erfundenes Werkzeuge, Berlin, 1844, pl. XXVIII et XXV.
67
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
Trois espaces pour « apprendre » la santé
Raphaëlle Venturi
Présenter les collections du musée de la santé au public c’est penser à un parcours muséal permettant un
cheminement spatial et mental du visiteur l’amenant à avoir une position critique sur ce qu’il regarde. Ce
parcours est l’espace où se met en place la médiation entre le public et les objets du musée et où se construit une
histoire et une appropriation de l’exposition. André Giordan 102, muséologue, propose de découper ce parcours en
trois zones distinctes qu’il nomme : l’espace de concernation , de compréhension et « pour en savoir plus ».
01
Espace de « concernation »
Faire vivre la collection du Musée de la Santé c’est intégrer le visiteur en lui faisant franchir
physiquement un seuil. Ce passage est l’espace de concernation, la base du parcours. C’est ici que le visiteur va
suivre une ligne conductrice et s’identifier de la médecine à travers les collections du Musée.
Dans cet espace nous proposons de mettre en place un système de projections d’images en lien avec les
collections et l’histoire médicale. Le visiteur baignera dans une immersion totale d’images qui marquera son
passage dans l’espace muséal, il sera intégré à l'intérieur même de l'oeuvre. Les plasticiens contemporains
conçoivent des espaces spécifiques proposant une sphère inédite allant à l’encontre des modalités de vision
habituelles. Pipilotti Rist103, plasticienne suisse, développe un travail vidéo, et crée des environnements
englobant totalement le spectateur à l’aide de plusieurs projections simultanées. L’artiste veut que chaque
fragments de son travail soit un catalyseur de sentiment et d’émotion qui encourage l'imagination, la rêverie, et
les associations psychiques. Le Musée de la Santé peut s’inspirer d’une telle installation pour que le visiteur
s’identifie immédiatement aux collections. Il doit être capable de capter la puissance historique du lieu dans
lequel il se trouve et avoir un aperçu de ce qu’il va découvrir au fil de son cheminement.
102 A.Giordan, Repenser le musée à partir de comprendre et d’apprendre, Lyon,1998, p.187-205.
103 Pipilotti Rist, en réalité Elisabeth Charlotte Rist, née le 21 juin 1962 à Grabs dans canton de St. Gall en Suisse est une
vidéaste suisse.
68
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
Fig. 01. Pipilotti Rist, Homo sapiens sapiens, Eglise Saint Eustache, Venise, 2005
02
Espace de compréhension
L’espace de compréhension, raconte l’histoire de l’exposition, avec un début et une fin, et va tenir en
haleine le visiteur en lui offrant un récit qui l’engage à poursuivre sa visite pour connaître la fin104. C’est le lieu
principal qui fera apparaître les grands thèmes de la collection, en « captivant et baladant le visiteur »105 qui
mettra en place sa pensée au long du parcours grâce aux informations visuelles qui lui seront offerte. Il faudra
classer et sélectionner les objets par thème et chronologie pour faciliter la compréhension et élaborer un
cheminement logique. Le circuit muséal sera imaginé en fonction des différentes pratiques médicales. Dans ce
lieu seront placés les instruments chirurgicaux et les éléments forts de la collection : le Baquet de Mesmer, la
seringue de Pravaz, les appareils d’imagerie médicale mais aussi les reconstitutions intégrées tout au long du
parcours, le mobilier, les peintures, une sélection d’écrits, et les « curiosités » comme la momie. C’est aussi dans
cette zone de compréhension que se trouveront de grandes diversités scénographiques, dont l’accumulation et
l’isolement, car le thème de la santé est d’un tel foisonnement d’éléments qu’il faut pouvoir les organiser et les
faire converger dans un même espace106. Grâce à ces espaces, le visiteur sera libre de faire des allers-retours,
s’arrêter longuement, apprécier, revenir en arrière, passer des éléments, contempler et apprendre.
Le comportement des visiteurs est un axe privilégié de la recherche actuelle : on observe et on analyse
comment il se déplace dans l'exposition, le parcours qu'il suit, les objets qu'il regarde, combien de temps, les
textes et cartels qu'il lit. L'étude de 1983 de Véron et Levasseur107 avait distingué quatre type de visiteurs selon
leur stratégie de déplacement dans l'espace d'exposition : « les fourmis », « les sauterelles » , « les papillons » et
« les poissons ».
104 M.O. De Bary, Manuel de muséographie, petit guide à l’usage des responsables de musées, Biarritz, 1998, p.196.
105 D.Vander Gucht, L’art contemporain au miroir du musée, Bruxelles, 1998, p.74.
106 F.Panese, L’opération scénographique : le façonnage des objets en musealia, L’objet de la muséologie, Neuchâtel,
2005, p.108-109.
107 E. Veron et M.Levasseur, Ethnographie de l'exposition : L'espace, le corp, le sens, Paris, 1983.
69
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
L’intégration ponctuelle dans le parcours d’alcôves isolées vont former des passerelles, des coursives, et
faire naître des mondes parallèles et thématiques adaptés au monde médical. La présentation générale doit rester
solennelle et sobre car nous traitons de la médecine. Les vitrines du Musée d’Anatomie Testut et Latarjet
rappelle l’esprit « cabinet de curiosités » peuvent être réutilisées dans une nouvelle scénographie alliant
ancienneté des vitrines et contemporanéité de l’espace d’exposition. Il est aussi envisageable d’utiliser les
mezzanines ou d’en créer de nouvelles afin d’avoir un gain de place et disposer d’une appréhension spatiale plus
large de la collection en ayant une vue plongeante sur celle-ci et l’architecture. Le spectateur se verrait offrir une
vue dominante sur la collection, une prise de hauteur. L'espace apparaitrait dans une nouvelle dimension qui
modifierai son appréciation plastique et sensorielle.
Le musée d’Orsay à Paris disposent d’espaces semblables.
Figure 3. Grande halle centrale du Musée d’Orsay, Paris
Le point de vue offert par les espaces se trouvant en hauteur révèle au visiteur une vue d’ensemble de
son parcours et lui donne un panorama complet de la collection. Cela lui donne la possibilité d’achever sa visite
de manière synthétique et poursuivre vers l’espace « pour en savoir plus ».
03 Espace « pour en savoir plus »
Ce dernier lieu donne la possibilité au visiteur de développer les imaginations rapportées aux collections
du Musée. Le visiteur a la possibilité d'avoir accès à une plateforme pédagogique où il approfondira ses
découvertes à l’aide d’outils informatiques, iconographiques, scientifiques et littéraires qui l’assisteront dans sa
quête « du savoir plus » sur la santé. L’outil informatique le dirige et le spécialise vers la recherche, la
conservation et la diffusion. C’est ici que le lien entre le musée et un laboratoire peut être façonné. Le visiteur
aura l'opportunité d' avoir accès au site web du musée et s’inscrire à une liste de diffusion. Une base de donnée
sera également mise en ligne permettant de revoir les différentes collections que l'on aura numérisées mais aussi
les objets présent en réserve. Elle offrira diverses informations historiques mais aussi plastiques sur chaque
objets.
Cet espace multimédia, une bibliothèque regroupant les ouvrages des quatre collections ainsi que des
ouvrages spécialisés sur la santé, doit être accessible au visiteur novice comme au chercheur spécialisé. C’est
dans cet espace que l’accumulation des portraits des grands médecins sera le plus pertinent. Hommes de
sciences, inventeurs, ils ont marqué le domaine de la médecine. C’est par cette présence silencieuse qu’il veillera
sur le visiteur lors de ses recherches.
70
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
C’est aussi un lieu de rencontre où interviendra un professionnel de la santé. Il deviendra
accompagnateur, et proposera à ceux qui le souhaitent, d’approfondir leur démarche. Il est possible que celui-ci
anime une conférence ou un groupe de discussion en lien avec sa formation ou ses compétences, et peut aussi
faire visiter une partie des réserves. Dans cette zone « pour en savoir plus » le visiteur reste dans l’enceinte du
musée, sans être contraint par un parcours muséal. Il découvre à sa manière et à son rythme les éléments
essentiels à l'approfondissement de sa recherche.
Les quatre collections qui seront rassemblées dans le musée de la santé se déploient actuellement dans
une accumulation désorganisée, et nous offrent une profusion d'objets hétéroclites. Il parait difficile d'appliquer
les mêmes modes d’exposition pour tous les objets des collections si l'on souhaite mettre en avant les qualités de
chacun d'entre eux. Une scénographie adaptée permettra de mieux présenter les objets en convenant mieux à leur
nature et créer une invitation physique et intellectuelle pour le visiteur. Alors pourquoi ne pas tirer partie de cette
accumulation ?
04
Un exemple de présentation : l’accumulation
Les quatre collections qui seront rassemblées dans le musée de la santé se déploient actuellement dans
une accumulation désorganisée, et nous offrent une profusion d'objets hétéroclites. Il parait difficile d'appliquer
les mêmes modes d’exposition pour tous les objets des collections si l'on souhaite mettre en avant les qualités de
chacun d'entre eux. Une scénographie adaptée permettra de mieux présenter les objets en convenant mieux à leur
nature et créer une invitation physique et intellectuelle pour le visiteur. Alors pourquoi ne pas tirer partie de cette
accumulation ?
Il est un fait acquis que le musée de la santé accueillera quatre collections distinctes. Leur scénographie
doit les rendre accessibles à un public novice comme à un public initié. La présentation en accumulation répond
à cela. Mais ne s’applique cependant pas à toute la collection. Une sélection s’impose d’où le Baquet de Mesmer
et la seringue de Pravaz par exemple sont exclus. Unique exemplaire restant pour l’un, véritable découverte de la
technique dans le monde médical pour l’autre, ils sont porteurs d’une charge historique qu’il est nécessaire de
mettre en avant. Comme les instruments chirurgicaux qui seront avantagés dans une scénographie traditionnelle,
108
pour faciliter la compréhension. A contrario, les portraits des grands médecins, les tubes de Crookes et les
soupapes, qui sont des éléments propres aux appareils d'imageries médicales, les visages en cire et les pots de
109
pharmacopée trouvent l’harmonie dans l’accumulation grâce à une nature matérielle commune . C'est-à-dire
que chaque objet de même nature est fait avec des matériaux identiques. Ces objets ont un impact visuel faible
dû à une matérialité moins dominante qui ne capte pas immédiatement l'attention du visiteur par rapport à
d'autres objets. Si nous proposons côte à côte une soupape et le microscope en bronze présenté au Musée des
110
Hospices Civils de Lyon , le regard du visiteur sera d'abord saisit par l'objet le plus remarquable. L’airain et le
décor du microscope réduisent instantanément l’intérêt pour la soupape, dont la présence est diminuée et sa
visibilité amoindrie. Ces objets appartiennent à une catégorie en marge des pratiques médicales, qui ne soignent
pas ou ne pénètrent pas le corps. Mais sont indispensables à la connaissance de l'étude de la maladie, de la
pharmacie et des autres sciences spécialisées. Ils sont aussi les témoins culturels d’un passé médical et des traces
indispensables d’une histoire à transmettre à travers le Musée de la Santé. Leurs caractéristiques et leurs
nécessités dans l'histoire de la médecine sont accentuées par la monstration en masse qui leur insuffle une
111
présence et « réussit donc à sauver le spécimen d’un isolement qui le perdrait » .
108
Entretien avec Monsieur Renaud, ingénieur, Lyon, octobre 2010. La collection des tubes de Crookes ; qui sera intégrée au Musée de la
Santé, est actuellement la plus importante d’Europe.
109
U. Eco, Vertige de la liste, Paris, 2009, p. 133.
110
F. Vilette, opticien du Prince de Lièges, Microscope de bronze ciselé et doré, 1765. Cette pièce est actuellement au Musée des Hospices
Civils de Lyon dans la section objets d’arts du musée.
111
F. Dagognet, L’éloge de l’objet, Paris, 1989, p. 196.
71
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
Si nous présentons un unique pot de pharmacopée, va-t-il capter l’attention du visiteur ? Probablement
sera-t-il regardé distraitement car son poids physique et historique manque de force. Une réponse est déjà en
place au Musée des Hospices Civils de Lyon dans l’actuelle présentation des pots de pharmacopée. La
découverte de l’objet a lieu dans son contexte originel, c'est-à-dire sur les étagères de l’apothicairerie de l’ancien
hôpital de la Charité, offrant au visiteur une richesse visuelle et une immersion spatiale et temporelle le replaçant
dans l’ambiance d’autrefois. Cette mise en scène replace les objets dans leur environnement antérieur, faisant
écho au poids historique que la médecine a exercé à Lyon et qu’elle exerce encore aujourd’hui.
Le visiteur n’est pas face à un pot, mais devant une multitude : « la quantité transforme d’un coup la
112
qualité. Elle chasse l’utilité et découvre, dans l’objet, ce que nous n’avions pas vu » .Dénués de leur fonction
en entrant dans l’espace muséal, ils n’en perdent pas pour autant leur identité et leur nature, puisons leur essence
pour les redécouvrir. La perception du visiteur face à ces éléments, l'amène à appréhender autrement ce qu'il
regarde. S’opère alors un déplacement de sa perception et naît une autre relation à l’échelle de son corps. Il
pénètre un espace inattendu qui va accroître son intérêt et révéler des éléments qu’il n’aurait pas perçu dans
d’autres conditions. Cet environnement hors norme donne une force et une richesse visuelle à une partie de la
collection tout en amenant le visiteur vers un plaisir contemplatif qui peut aboutir à un mouvement d'approche
vers l'unique permettant également une respiration dans le parcours muséal.
L'accumulation favorise l’imagination du spectateur, et « soutire à la répétition quelque chose de
nouveau, lui soutirer la différence, tel est le rôle de l’imagination ou de l’esprit qui contemple dans ses états
113
multiples et morcelés » . C’est donc avec notre esprit et notre imagination que nous devons aller à la rencontre
des collections du Musée de la Santé. La pratique des plasticiens peut nous aiguiller pour donner du renouveau
aux collections. Les artistes utilisent notre perception, imagination et environnement physique en inventant des
espaces qui perturbent, ou nous font prendre conscience de notre corps. Ils se donnent comme dessein de nous
faire appréhender le monde autrement en s’extrayant des modalités de visions habituelles. Les plasticiens
exploitent ce lien avec le corps et le regard du spectateur en s’aidant de systèmes d’accumulations pour définir
des problématiques esthétiques, éthiques ou politiques qui favorisent la réflexion. Ces espaces provoquent pour
le regardeur un impact visuel, spatial et sensoriel qui le plonge dans un univers unique aux caractéristiques
particulières qui perturbent et modifient l’espace d’exposition.
L’œuvre de l’artiste Shilpa Gupta « Blame », nous montre une présentation en masse et la manière dont
114
elle agit sur la perception du regardeur . Dans une même pièce, 600 bouteilles de plastique remplies de liquide
imitant le sang sont disposées à intervalle régulier sur des rayonnages d’un blanc immaculé. L’écho avec le
laboratoire, les hôpitaux ou les étagères dans les officines est immédiat. Ces flacons renvoient au domaine
médical. Le sang est signe de vie et de mort et cette antinomie provoque chez le regardeur un sentiment qui le
place entre admiration et répulsion. Tout comme le sentiment du visiteur face à des instruments chirurgicaux ou
des objets de la collection du Musée Testut et Latarjet. L’artiste fait appel à ce que nous côtoyons régulièrement
dans nos maisons, nos armoires à pharmacie. Un seul flacon peut nous paraître insignifiant, mais multiplié il a un
impact immédiat car il exerce une pression physique en occupant autrement l’espace et semble nous envahir et
nous dépasser. Un autre univers s’installe que notre corps palpe et ressent tout en perdant ses repères classiques.
Les accumulations dans le Musée de la Santé doivent donner au visiteur la mesure de ce que les yeux peuvent
voir et ce que le corps peut ressentir.
112
F. Dagognet, L’éloge de l’objet, Paris, 1989, p. 215.
G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, 1968, p. 103.
114
Shilpa Gupta, Blame, 2002-2006. www.yvon-lambert.com
Figure 1. Shilpa Gupta, Blame, 2002-2006, 600 bouteilles en plastiques remplies de liquide imitant le sang, lumière rouge, mettre le lieu.
113
72
Raphaëlle Venturi. Trois espaces pour « apprendre la santé »
Figure 1. Shilpa Gupta « Blame
Les portraits des grands médecins, au Musée de l'Histoire de la Médecine et de la Pharmacie, auront ce
pouvoir de captation s'ils conservent leur présentation actuelle, accolés les uns aux autres et peuvent être exposés
selon les principes édictés.
05
Les problématiques et dangers de l’accumulation
Ce modèle d’exposition soulève les problématiques de l'unité au sein de la masse et de la proximité que
nous entretenons avec ces objets. « Au sein de la masse règne l’égalité […] Elle est d’une importance si
115
fondamentale que l’on pourrait carrément définir l’état de la masse comme un état d’égalité absolue » . Il s’agit
pour le musée d’aller à l’encontre de cette « égalité absolue ». Le Musée de la Santé est un espace où se mettent
en place des singularités et, par conséquent, l’objet peut être valorisé dans l’accumulation sans perdre son
identité. L’ensemble confère à l’unicité de chaque élément une force visuelle qu’il n’aurait pas eu seul. L’adage
« l’union fait la force » nous permet de mettre en avant que l’identité de l’objet est justement amplifiée si elle est
présentée avec des éléments de même type. Une mise en relief de certains objets qui n’en avaient pas
précédemment dévoile un nouveau rapport au visiteur. Chaque objet dans le musée, même ressemblant à un
autre, garde son identité, ses qualités intrinsèques et par conséquent, son essence. Le Musée de la Santé a pour
mission de maintenir cette essence en l’offrant au regard du visiteur. L’accumulation permet des allers-retours
entre un objet et un ensemble d’objets, c'est-à-dire entre le particulier et la masse. Chacun des visages en cire
représentant des maladies cutanées sont uniques mais s’intègrent dans une même famille visuelle, et comme
l’affirme Deleuze, il y a une oscillation entre deux échelles, l’échelle molaire (celle de la masse) et l’échelle
116
moléculaire, celle des individus . Le but est donc de conserver cette oscillation. La clé de la réussite est de
pouvoir donner au visiteur la possibilité de passer de la masse à l’unité et de la globalité aux différences
singulières. Les objets qui seront présentés dans le Musée de la Santé sont porteurs d’une histoire individuelle
qui entraîne le visiteur à réfléchir sur les fonctions antérieures de l'objet et ce qu'il devient en pénétrant dans
l’espace muséal. Catherine Queloz nous dit qu’il y a le : « désir de retrouver, dans cette notion même de masse
117
toujours considérée comme informe et apparemment homogène, l’individuel, le particulier, le différent ».
Ces objets ne sont pas simplement liés à l’histoire de la médecine, mais sont des rappels à nos expériences
corporelles avec les autres objets. Notre propre corps a déjà eu à faire à des aiguilles, brassard et autres éléments
qui sont entrés en contact direct avec notre espace intime, sur ou sous notre peau. Le musée doit entretenir un
rapport avec notre intimité comme le fait la médecine. Le musée ne doit pas creuser sous notre peau mais dans
notre pensée pour nous amener à ressentir ces objets non comme de simples témoins d’un passé médical mais
comme une partie intime de chacun de nous.
115
Elias Canetti, Masse et Puissance, Paris, 1966-1986, p. 27
G.Deleuze, Différence et répétition, Paris, 1976,
117
C.Queloz, Les emblèmes de la multitude, Genève, 1993, p. 26
116
73
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
Une organisation pédagogique des collections médicales
Roxanne Millier
Parfois à tort, parfois à raison, Wikipédia est devenu ce qu’on peut appeler un site de référence
populaire. C’est donc volontairement à ce site que nous avons emprunté la définition du musée : « un musée est
un lieu dans lequel sont collectés, conservés et montrés des objets dans un souci de cultiver le visiteur »118.
Cette définition sommaire nous renseigne immédiatement sur la vocation didactique du musée. En effet,
si le but initial des musées du XIXè siècle était de remplacer les cabinets de curiosités par des lieux où les
collections seraient systématiquement organisées et convenablement documentées, les musées actuels
remplissent un rôle de conservation, de collecte, d’exposition ainsi qu’un rôle didactique. Quels sont les moyens
mis en œuvre pour servir cette volonté ? Les différentes visites que nous avons faites des collections médicales
lyonnaises ont soulevé un certain nombre de questions liées à cette problématique, en particulier celle de
l’organisation des collections. Quels objets montrer dans le musée de la santé ? Comment réunir et organiser les
différentes collections médicales ? La question qui nous intéresse dès à présent est celle de l’organisation des
collections et de l’espace dans le musée de la santé. Entre didactique et pédagogie, comment présenter, et mettre
en valeur, les collections des quatre musées lyonnais ? Il convient également de définir la fonction du futur
musée de la santé afin de trouver un mode d’organisation approprié. Autrement dit, quelle(s) organisation(s) des
collections pour quelle(s) fonction(s) ?
01
L’exemple du musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie
Le Musée d’Histoire de la médecine et de la pharmacie119 a de grandes ambitions. Présenté par Jean
Normand son conservateur comme un « bric-à-brac invraisemblable », le musée, qui ne rassemble pas moins de
dix mille objets, contient tout ce qui est en rapport avec la médecine et la pharmacie120. N’importe quel objet du
musée peut faire l’objet d’un exposé, d’un cours ou d’une leçon. La manière dont sont organisées les collections
est au service de la pédagogie, et consacre cette volonté chère à Alexandre Lacassagne121. La classification des
objets est thématique, et plusieurs espaces sont délimités au sein du musée. Citons quelques exemples : une
vitrine sur la peste et sur les problèmes liés aux maladies infectieuses et contagieuses, une vitrine sur
l’auscultation médiate, un espace sur le traitement et la vision du handicap, une vitrine sur l’histoire des
instruments de chirurgie, un espace sur la seringue (« la seringue dans tous ses états »), une vitrine sur la mesure
de la tension artérielle etc... Chaque vitrine contient des média différents qui sont en rapport avec le thème
développé et étudié (objets techniques, peintures, textes, sculptures). La vitrine contenant le tableau de
118
Je cite volontairement cette définition telle qu’on peut la trouver dans l’encyclopédie libre Wikipédia car mon but est de
montrer, en ayant recours à une définition de base, presque simpliste que la dimension pédagogique du musée est intégrée au
sens commun et inhérente à la notion de musée.
119
Musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie, dorénavant abrégé MHMP.
120
Entretien avec le Pr. Jean Normand, conservateur du musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie, le 22 septembre
2010.
121
Alexandre Lacassagne (1843-1924), médecin légiste qui fût l’un des fondateurs de l’anthropologie criminelle. Fondateur
du Musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie (1914). Son but était de faire connaître le passé médical et
pharmaceutique et de favoriser autant la formation des étudiants que la diffusion des thérapeutiques.
74
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
Ligozzi122, Vanité123 ne contient pas seulement le tableau, mais également une biographie du peintre, une analyse
de l’œuvre accompagnée d’une explication des symboles, ainsi qu’une traduction de la phrase latine inscrite en
haut à droite du tableau. En outre, elle est entourée d’autres vitrines contenant des représentations de vanités
d’époques différentes. Cette vitrine apparaît alors comme le moyen d’un exposé sur l’œuvre et également une
leçon sur la conception et l’évolution de l’image de la mort. Un autre exemple nous est donné par la vitrine sur
l’auscultation médiate et ses conséquences pédagogiques : l’histoire, la sémiologie d’un organe, la pathologie
pulmonaire, l’environnement épidémiologique etc.
Figure 1. Vitrine thématique sur l’auscultation médiate et sa légende « les conséquences pédagogiques ».
En résumé, il y a dans l’organisation du musée un choix d’exposition qui traduit une volonté de
transmission de l’histoire globale ainsi qu’une volonté pédagogique affirmée. Il en est de même pour les autres
collections de l’Université Claude Bernard Lyon 1124. C’est le cas pour les collections de l’Herbier dirigées par le
Professeur Georges Barale et présentées comme des collections scientifiques et pédagogiques originales : « pour
agrémenter la visite, deux salles ont été aménagées présentant des vitrines autour de thèmes variés comme les
biocarburants, les plantes médicinales ou toxique, et des vitrines thématiques précisent sur les plantes
comestibles et sur les drogues » 125. Jean Normand poursuit en ces termes la description de son musée : « le
musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie a une fonction plus complexe que les musées traditionnels : il
est un musée vivant. ». Dans beaucoup de musées les objets sont morts, ici ils sont vivants. Nous sommes en
présence d’un matériel vivant qui sert toujours pour de nouvelles recherches ou des exposés. Autrement dit, il y a
122
Jacopo Ligozzi (1550-1627), peintre italien, dessinateur de l’école florentine, ornemaniste et enlumineur.
La Vanité de Ligozzi, Musée d’Histoire de la Médecine et de la Pharmacie : http://phototheque.univ-lyon1.fr
124
Cf. le site de l’Université Claude Bernard, patrimoine scientifique et culturel : http://www.univ-lyon1.fr
125
La collection des Herbiers de l’Université Lyon 1 : http://herbier.univ-lyon1.fr/
123
75
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
sans cesse un renouveau, la collection est aussi scientifique que pédagogique. Elle n’est pas figée. Le musée de
la santé ne doit-il pas s’approcher de cette définition ?
02
L’organisation pédagogique des collections médicales lyonnaises.
Une meilleure connaissance des collections des quatre musées nous a permis de distinguer plusieurs
types d’organisations possibles des collections.
a) Une organisation accumulative
La surabondance des objets est synonyme de diversité et de richesse des collections. Pourtant, il est
nécessaire de ne pas tomber dans la banalisation. Par exemple, l’accumulation des objets au musée des HCL ne
semble pas avoir un grand intérêt pédagogique. La directrice du musée Suzanne Marchand nous l’a elle-même
confié : « Ca a son charme mais c’est dans son jus »126. Il est nécessaire de repenser la muséographie, de donner
à l’organisation des collections un véritable fil conducteur puisque malgré la richesse indiscutable de la
collection, celle-ci n’est pas mise en valeur. De beaux objets sont installés, sans explications. L’hétérogénéité des
objets exposés sans ordre, ni logique apparente conduit à un sentiment de surcharge et de duplication : la
collection est répartie sur cinq salles de manière arbitraire sans aucune logique. Aucune présentation d’ordre
thématique ou chronologique, ne se dégage. Les instruments (outils chirurgicaux, gynécologiques, etc...) sont
exposés à côté du mobilier de l’hôpital de la Charité. De même, objets des XVIIIè, XIXè, et XXè siècle ne sont
pas exposés séparément. Nous nous trouvons donc face à une multiplication d’objets différents (qui n’est pas
sans rappeler les cabinets de curiosités) mais également face à la multiplication d’un même objet (ex : la
vaisselle et les pots dans la première salle du musée). La conséquence de cela, est une banalisation de l’objet qui
conduit à un désintéressement plus ou moins important du visiteur malgré la richesse de la collection.
Figures 2 et 3. Accumulation de faïences pharmaceutiques (Musée des Hospices civils de Lyon). Tubes à rayons X,
(Collection Albert Renaud)
b) Une organisation chronologique
L’approche chronologique est plébiscitée par M. Jean-Marie Renaud, qui gère avec M. Michel Amiel, la
collection d’appareils de radiologie et de radiographie conservée au siège des HCL127. Une organisation
chronologique permet de montrer le cycle de l’utilisation des rayons dans l’imagerie médicale. L’objectif est de
montrer la progression de la technique radiologique, de retracer l’histoire de l’électrothérapie puis de la
radioscopie en partant de l’étincelle pour arriver à l’imagerie à résonnance magnétique. Exposer des objets dont
l’utilisation est maintenant interdite pour arriver à des méthodes non-invasives comme l’IRM. En outre, la
126
Entretien avec Suzanne Marchand, directrice du musée des HCL, le 21 octobre 2010.
La collection Albert Renaud : objet d’un legs aux HCL en 2003, cette collection est l’œuvre d’un ingénieur, Albert
Renaud (1923-1990). Est aujourd’hui gérée par Jean-Marie Renaud, ancien ingénieur-constructeur d’appareils de radiologie
et de radiographie, et Michel Amiel, radiologue et président de la Société Française de Radiologie.
127
76
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
présentation chronologique est un mode d’exposition tout à fait envisageable pour les différentes générations de
tubes de Crookes128.
c) Une organisation thématique
Ce mode d’exposition qui est celui du MHMP a des avantages mais également des inconvénients. Ce
musée s’adresse à un public particulier, à des étudiants en médecine, des chercheurs ou des praticiens. Or, il est
nécessaire d’ouvrir le musée de la santé au plus grand nombre. Tout le monde quelque soit son âge, son niveau
de culture, doit pouvoir trouver dans ce lieu savoir et plaisir. Ce choix systématique d’exposition fermerait le
musée alors qu’il est nécessaire de l’ouvrir sur la ville et sur le monde. Il est impossible dès lors d’envisager un
mode d’exposition qui serait purement thématique. Certes le choix thématique apporte une clarté à l’ensemble
visuel mais ce mode d’organisation est scientifique plutôt que pédagogique. Les objets ont une vie, ils ne
s’inscrivent pas uniquement dans un thème mais dans un corpus, dans une histoire (histoire globale et histoire
singulière). Les collections médicales ont une puissance pédagogique forte. En revanche, elles ne doivent pas
être cloisonnées dans des thèmes mais valorisées par des modes d’organisation diverses afin d’en révéler toute la
richesse.
Figure 4 et 5. « La seringue dans tous ses états », vitrine chronologique sur l’histoire et l’évolution de la seringue (MHMP),
Vitrine thématique sur la Peste (MHMP)
d) La reconstitution
La reconstitution est une technique à forte charge pédagogique puisqu’elle a le plus souvent pour
objectif la réalisation d’une médiation des cultures historiques et événementielles vers un grand public.
Autrement dit, la reconstitution apparaît comme un moyen plus direct de faire « vivre l’Histoire » et de manière
générale ce qu’elle nous donne à voir. Nous avons été confrontés lors de nos différentes visites des musées à des
reconstitutions : chambres, cabinets de médecins, cellule d’aliéné. De plus, le musée des HCL doit beaucoup à
l'hôpital de la Charité dont plusieurs salles, classées Monuments historiques, ont été reconstituées dans l'HôtelDieu en 1935 : la salle des archives et l’apothicairerie. Ces reconstitutions ont une puissance historique forte et
doivent être conservés en état. Ne peut-on pas envisager d’accorder une place importante à la reconstitution dans
le musée de la santé afin de toucher notamment un public moins érudit voire plus jeune ? En effet, la
reconstitution est une mise en scène et a par conséquent un caractère plus vivant et ludique. Il est possible
d’envisager par exemple un parcours historique pédagogique à travers un thème défini qui aboutirait à une mise
en scène finale par le biais d’une reconstitution. La visite doit être un voyage initiatique au cœur de la médecine.
Quel(s) type(s) retenir alors pour un musée de la santé ?
128
Un tube de Crookes est un tube en verre à décharge électriques expérimentales, inventé par le physicien britannique
William Crookes entre les années 1869 et 1875.
77
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
Figure 6 et 7. Reconstitution d’un cabanon de l’Antiquaille où furent internés les insensés de 1810 à 1876, (MHCL).
Reconstitution du cabinet du Docteur Gailleton (MHMP)
Doit-on conserver ces quatre approches dans le musée de la santé : accumulative, chronologique,
thématique, reconstitution ? L’approche chronologique est primordiale afin de rendre compte de l’évolution des
pratiques et des conceptions et pour replacer chaque objet pris de manière individuelle dans une histoire globale.
Cependant, il est nécessaire d’envisager des grands thèmes afin d’organiser l’espace. Comment
approcher thématiquement la santé ? Cette question interroge le concept et la définition même de la santé :
qu’est-ce que la santé ? « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » 129. L’objet de la santé est donc le corps (anatomie et
anatomopathologie) mais par qui est-elle exercée ? Il convient ici de définir les acteurs. Les médecins, le
personnel médical, les pharmaciens et les apothicaires, les ONG et les associations, les ingénieurs et les
constructeurs, les étudiants en médecine, sont autant d’acteurs qui, par des moyens divers qu’il faut définir
(pratique médicale en elle-même et instruments), contribuent à la santé.
Cet exercice prend toute sa place en un lieu privilégié : l’hôpital. Les réponses à ces questions simples
peuvent servir d’ossature à une organisation des collections. L’espace d’exposition peut être divisé en cinq
thèmes : le corps, les acteurs de la santé, la pratique médicale, les instruments de la santé et l’hôpital. Sur cette
structuration préalable de l’espace, il est possible d’élaborer une ébauche de typologie des objets qui servira de
base à une organisation pédagogique et à un rassemblement des quatre collections lyonnaises. Il est important de
définir des axes simples et de ne pas avoir recours à des thématiques trop érudites. La santé est un sujet
complexe et délicat et appelle des modes de présentations simples afin de ne pas dérouter les visiteurs. Ceux-ci
doivent se sentir à l’aise lors de la visite. Elle doit être synonyme de plaisir, de découverte et d’enrichissement.
03
La visite envisagée comme parcours pédagogique
Le musée est un établissement souvent tourné vers le passé. Si l’on fait référence à l’architecture des
musées telle que la conçoit Tobelem, le musée de la santé est un « musée phénix »130. Il trouve sa place dans des
129
Cette définition est celle du préambule de 1946 à la Constitution de l'organisation mondiale de la santé (OMS). Cette
définition de l'OMS n'a pas été modifiée depuis 1946.
130
J.-M. Tobelem, Le Nouvel Age des musées, les institutions culturelles au défi de la gestion, Paris, 2010, p. 264.
78
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
bâtiments déjà existants (ici l’Hôtel-Dieu) et porte en lui les traces d’une mémoire identitaire. L'Hôtel Dieu fait
partie intégrante de l'Histoire des lyonnais : « L'Hôtel Dieu, c'est la Mémoire de la mémoire lyonnaise. [Il] doit
demeurer un lieu ouvert à tous : lieu de santé, de colloques, de recherches, de rencontres, de création... » 131. Il a
pour valeur la préservation du patrimoine et s’inscrit dans un territoire donné. Néanmoins, pour qu’un musée soit
vivant, il est nécessaire qu’il s’inscrive dans son temps et entretienne des rapports avec son actualité et son
territoire.
De plus, il doit être tourné vers l’avenir et vers une recherche active. Il faut donc réserver un espace
dans le musée de la santé aux innovations techniques. La ville de Lyon, a été un pôle influent de la médecine, et
l’est toujours, berceau d’avancées et de prouesses médicales : les travaux du Professeur Jouvet sur le sommeil et
sur les rêves, les greffes du professeur Dubernard, etc.... Le musée deviendrait alors un véritable « pôle de la
santé » dans lequel le public pourrait suivre et découvrir la recherche des acteurs de la santé. En d’autres termes,
il y aurait là, la découverte d’une recherche active. Celle-ci peut se faire par une présentation des dernières
innovations en matière de techniques et d’appareillages médicaux. En outre, la volonté pédagogique est claire et
doit passer par une sensibilisation du public à la recherche médicale. Il n’est pas étonnant que le projet inclut des
espaces de documentation et de conférence. Ce projet de musée de la santé doit s’articuler sur une volonté de
conservation mais également sur une volonté pédagogique, autrement dit, sur une vocation de transmission du
savoir passé, présent et futur. Il s’agit de replacer les objets du passé dans une histoire globale, non figée et
actuelle. Cette pédagogie doit s’inscrire dans la continuité des expositions. En effet, la visite doit être un
véritable parcours pédagogique. Nous proposons le schéma général d’organisation suivant :
Figure 8. Croquis du parcours pédagogique.
131
Propos tenus par Paul Ravaud, militant associatif, rapportés dans « Hôtel Dieu, vers une cohabitation entre charité et
business ? », 6 octobre 2009, http://www.lyon-politique.fr/2009/10/hotel-dieu-vers-une-cohabitation-entre.html.
79
Roxanne Millier. Une organisation pédagogique des collections médicales
Nous appelons « l’espace de présentation » le premier espace du parcours . Il doit, selon des modalités
diverses et interactives, éclairer le visiteur sur la collection qu’il va visiter : annonce du thème et éclairage
chronologique. Cette salle doit être riche en informations sans pour autant accabler le visiteur de
documentations. Il est possible d’exposer quelques objets « phares » afin de capter l’attention du visiteur et de
susciter son intérêt ainsi que l’envie de la découverte.
Le deuxième espace est celui de l’exposition et du parcours pédagogique à proprement parler. Le
parcours renvoie à un des cinq grands thèmes. A l’intérieur de cet espace, les collections sont disposées selon
une organisation thématique et typologique dans un premier temps, puis chronologique dans un second temps
entre initiation et découverte. L’espace est mi-fermé, mi-ouvert (jeu entre visible-invisible, mystère et
dévoilement) afin de créer un effet d’attente et de surprise.
Le troisième espace propose une mise en situation de ce qui a été découvert dans la salle d’exposition.
Cette salle des reconstitutions doit avoir un aspect ludique et éducatif. Il est possible ici de faire appel à une
action participative du public et de le solliciter afin qu’il se mette lui-même en scène. Il est également possible
de concevoir à l’intérieur de cet espace un lieu d’échanges où des acteurs de la santé ou du musée répondraient
aux questions soulevées par la visite.
En résumé, le parcours pédagogique proposé est constitué de trois étapes ; présentation, découverte et
participation: « Le travail sur les objets est plus efficace s’il est intégré à une séquence en trois parties (travail
préparatoire, visite du musée, exploitation) 132».
Si la volonté didactique est inhérente au concept même de musée, nous pensons en revanche que
l’éducation du public doit passer par la pédagogie, par « l’art d’éduquer ». Ce terme renvoie donc à des méthodes
et pratiques d’enseignement et de transmission des savoirs, tant matériels qu’immatériels (transmission de
pratiques et savoir-faire ainsi que d’innovations). Faire preuve de pédagogie, c’est transmettre un savoir et une
expérience par des méthodes adaptées à des individus quelque soient leur âge, et leur niveau d’érudition. Le
terme clé dans lequel s’enracine le projet de création d’un musée de la santé est donc celui de la « pédagogie ». Il
doit s’inscrire dans une volonté d’éducation mais ne doit pas négliger le plaisir du visiteur. C’est ici que s’opère
un glissement entre didactisme et pédagogie. Nous le voyons avec le MHMP : bien que la vocation éducative
soit fortement prononcée, celle-ci ne relève moins de la pédagogie que du didactisme. Il est difficile dès lors de
calquer l’organisation des collections sur le modèle du MHMP. L’organisation doit être vivante et ludique, la
contemplation des collections réunies doit procurer un plaisir au visiteur. Sa visite doit s’apparenter à un voyage
dans lequel il est guidé par les objets matériels et immatériels qui constituent le fonds des collections lyonnaises.
C’est bien là toute la difficulté du rassemblement des quatre collections, et du choix d’un mode de présentation
qui puisse satisfaire tous les publiques.
132
T. Weber, « Apprendre à l’école, apprendre au musée : quelles sont les méthodes les plus favorables à un apprentissage
actif ? », Studies in Science Education, 28, p.87-112.
80
Selyne Ferrero. Creuser la veine de la durée
Creuser la veine de la durée
Selyne Ferrero
Inventer un nouveau musée, n’est pas seulement prendre en compte sa naissance, mais c’est penser à sa
pérennité, à son avenir et à son inscription dans la vie de son futur public. Aider un musée à grandir, à prendre
forme et à s’installer au cœur de la ville trouve une résonance dans la mise en place de l’exposition des objets
des collections lyonnaises. Comment les faire vivre comme ils le méritent, et plus encore comment les faire vivre
ensemble pour le visiteur ? Une telle richesse, une telle profusion d’expôts impose une sélection qui ne peut être
effectuée que radicalement. Le meilleur surgirait de cette démarche si elle est effectivement mise en relation
avec le temps court, dessinant un musée qui consacrerait tout son souffle aux expositions séquentielles tout en
rendant accessible une collection au repos dans les réserves. Les deux pôles principaux du musée, conservation
et diffusion, seraient dès lors intégrés dans la scénographie même des expositions du musée de l’Hôtel-Dieu133.
01
Tout montrer, tout voir
Le rare, l’éphémère exercent depuis toujours un attrait irrésistible sur la curiosité humaine134. Ces
rapports au temps court entraînent à considérer comme précieux un objet pourtant commun, mais qui ne sera
visible que pendant un laps de temps réduit, offert à un public privilégié qui pourra plus tard dire qu’il était là,
qu’il aura repris ou donné le flambeau aux autres visiteurs.
Si une exposition est toujours une invitation, une proposition, celle qui est donnée par les expositions
temporaires est sans cesse renouvelée, dynamique, interpellant le public en convoquant sa curiosité, son goût de
la nouveauté et de l’inédit, tout en le faisant réfléchir sur ce qu’il connaît déjà et ce qu’il a envie de découvrir. La
vocation d’un musée est d’étendre et de renouveler l’intérêt et les connaissances du public et cela est fortement
mis en avant, valorisé, pour un musée qui ne proposerait que des expositions thématiques d’une courte durée. Un
« musée de la santé » est le plus à même de proposer ce système de monstration, du fait de l’étendue et de la
diversité du patrimoine qu’il aura pour tâche de conserver et de présenter. Il s’agit de montrer tous les types
d’expôts certes, mais chacun lors d’un moment privilégié, celui de l’exposition thématique qui pourra le mieux
le présenter. Puisque le patrimoine des collections lyonnaises couvre presque tous les domaines de la santé, et
par extension tous les thèmes qui sont susceptibles d’être traités tout au long de la vie du musée, le système des
expositions temporaires permet d’exploiter au mieux cette richesse et de la faire fructifier.
Pour autant, il n’est pas à envisager que le public soit coupé de la totalité de l’ensemble de la collection,
même si tout n’est pas exposé. Aujourd’hui, grâce aux technologies et nouveaux media, la chance est à saisir de
pouvoir affirmer une volonté radicale et ambitieuse : à la fois mettre en valeur le corps des expositions
temporaires mais ne pas oublier la totalité du fonds qui n’est alors pas utilisée. Faire vivre et battre le cœur de la
collection « en sommeil », et faire briller quelques uns de ses organes. En effet, il est désormais possible de
133
Le nom du musée n’étant pas définitif à l’heure où nous rédigeons cet article, nous avons choisi de garder l’appellation de
« musée de l’Hôtel-Dieu » dans un souci de neutralité. Lorsque nous parlerons de « musée de la santé », ce sera au concept
qu’il faudra se référer et pas au projet qui nous occupe.
134
Merleau-Ponty Claire et Ezrati Jean-Jacques, L’exposition, théorie et pratique, Paris, 2005
81
Selyne Ferrero. Creuser la veine de la durée
visiter les musées depuis son ordinateur grâce aux logiciels de simulation ou aux sites internet comme
www.secondlife.com qui permettent de modéliser n’importe quel lieu dans ses détails les plus précis. Il pourrait
dès lors être intéressant, à la fois dans un but pédagogique et dans une visée de communication, d’ouvrir
virtuellement les portes de la collection sur Internet. Il s’agirait tout à la fois de permettre un accès illimité aux
objets parfois soumis à des protocoles de conservation contraignants, et de proposer un avant-goût de ce qui
devient le second poumon du musée en parallèle avec les expositions temporaires : les visites de la réserve.
Alors que l’exposition temporaire donne un accès plus direct, puisqu’elle propose un parcours pensé et
créé pour les visiteurs, les réserves peuvent être conçues comme un lieu d’exception, à visiter sur rendez-vous,
avec un conservateur, un professionnel de la médecine, un étudiant spécialisé dans un domaine précis, qui
chacun offriraient un regard différent sur la collection. Une présentation simple et pratique s’impose. Un
ensemble de meubles à tiroirs, de porte-grilles à tableaux ou de compactus peuvent être mis en place, inspirés
des moyens de conservation des archives en général et du musée paléontologique de l’Université Claude Bernard
Lyon 1 ou du Museum de Toulouse. Ce système permet à la fois un gain de place, un accès facile avec un
parcours aisé et qui peut changer au gré de celui qui propose la visite et selon le thème qu’il a choisi, et surtout
une conservation respectueuse des objets. Une circulation aléatoire peut alors se faire, en déployant les
compactus, ouvrant les tiroirs ou dépliant les porte-grilles. Un peu du mystère qui entoure les objets conservés
dans cette partie tenue à l’écart des espaces d’exposition est dévoilé ainsi à chaque moment de cette incursion,
donnant à ceux qui deviennent des explorateurs l’impression d’avoir touché au plus près l’âme du musée.
Plusieurs salles peuvent être dévolues à ces réserves, chacune dédiée à une catégorie d’objets (outils, machines,
cires, bocaux, etc.) qui peuvent être mises en lumière lors de la visite, suivant le souhait et les compétences du
guide. Les visiteurs pourraient ainsi toucher au plus près les objets, mais également les techniques de
conservation qui seraient introduites dans le discours du médiateur.
Figures 1, 2, 3. Compactus du Museum de Toulouse. Exemples donné par la société Promuseum
Si le visiteur se voit dès lors constamment sollicité, que ce soit par le temps court de l’exposition ou le
temps long de la réserve qui elle aussi évolue au gré des manifestations du musée, il a néanmoins besoin de
repères pour donner une identité au lieu qu’il découvre. En parallèle à une aire de préservation, située en marge
du temps des hommes, la mise en place de structures permanentes au sein même de l’espace dédié aux
expositions temporaires permet alors de maintenir la cohésion du musée de l’Hôtel-Dieu. Le Sir Winston
Churchill's War Rooms Museum à Londres135 possède une table interactive, frise chronologique de la vie de Sir
Winston Churchill, qui peut servir d’inspiration à une ligne du temps propre à la collection du musée de l’Hôtel
Dieu et à son histoire. Si à première vue la table interactive présente peu d’informations, en cliquant sur chacune
des dates, le visiteur accède à de nouvelles données : photographies des pièces de la collection, vidéos, textes
explicatifs, jeux. Toutes ces informations peuvent être actualisées en fonction du thème de l’exposition et ainsi
enrichir la trame principale. De plus, cette table est accessible à plusieurs personnes à la fois, favorisant ainsi
l’interaction entre les spectateurs tout en n’interdisant pas à chacun de se diriger où bon lui semble. Elle devient
135
http://cwr.iwm.org.uk/
82
Selyne Ferrero. Creuser la veine de la durée
à la fois le moteur qui permet d’entrer dans les thématiques des expositions, le cœur qui fait battre ses expôts, et
le noyau de la cellule homogène que devient alors le musée.
Figures 4, et 5. Lifeline du Sir Winston Churchill's War Rooms Museum
Une telle installation disposée à l’entrée de l’espace dédié aux expositions temporaires peut servir à tous
les types de visiteurs comme les décrit Philip Hugue136 : « l’expert » qui souhaite explorer ses connaissances déjà
riches et les approfondir par un accès à des informations spécialisées, « le baroudeur » plutôt mené par sa
curiosité qui lui donne envie de faire de nouvelles découvertes par lui même, « l’éclaireur » qui souhaite poser
des repères sur un sujet qu’il ne maîtrise pas, et enfin « le néophyte » qui n’est ni un habitué des expositions ni
du thème de celle qu’il visite et qui a donc besoin d’informations claires et accessibles. Les enfants et
adolescents ne sont pas oubliés et sont aussi sollicités par cette frise chronologique au même titre que les adultes.
Proposée en introduction ou en préambule à la visite, la table interactive intègre rapidement le visiteur au sein du
musée et l’implique dans son histoire, puisqu’il en est à la fois acteur en éveillant la frise, et récepteur du savoir
qui lui est transmis par ce biais. Ce travail opéré sur l’espace installe donc physiquement le visiteur et favorise la
circulation du sens et des informations propres aux thématiques véhiculées par la notion de santé.
02
Plus qu’un musée, une suture entre les savoirs
Pourtant, si la santé est un thème qui traverse les siècles, la société dans laquelle s’ancre le musée de
l’Hôtel-Dieu est celle où tout va de plus en plus vite, depuis la consommation jusqu’au progrès technique et
scientifique qui, en un siècle, a avancé à pas de géants. L’idéal du mouvement perpétuel semble presque atteint
tant rien ne semble être à l’arrêt. Les visiteurs s’apparentent ainsi, en miroir de cela, à des consommateurs
toujours avides de nouvelles expériences, de nouvelles découvertes et de nouvelles propositions.
La Cité des sciences de la Villette à Paris a su s’adapter à cette demande du public en concevant un
projet qui, depuis 1986 a su attirer plus de 3 millions de visiteurs par an. Les thèmes scientifiques exposés sont
toujours mis en relation avec des grands thèmes de société. La Cité des sciences propose des exemples à
réinterpréter dans le cadre d’un musée de la santé, comme en 2002-2003 lors de l’exposition « Le cerveau
intime » 137 où le commissaire Marc Jeannerod, professeur de physiologie à l’Université Claude Bernard Lyon 1
et directeur de l'Institut des sciences cognitives proposait à chacun de se découvrir soi-même au travers de la
découverte du fonctionnement du cerveau grâce à une scénographie sensorielle qui convoquait l’expérience
personnelle du visiteur.
136
Hugue Philip, Scénographie d’exposition, , Paris, 2010
Le site de l’exposition : http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/defis/cervint/flash/
Pour une présentation vidéo de l’exposition : http://www.dailymotion.com/video/xfegau_exposition-a-la-villette_news
137
83
Selyne Ferrero. Creuser la veine de la durée
Figure 6. Cité des sciences de la Villette, photographie du parcours de l’exposition « Le cerveau intime »
Le musée de l’Hôtel-Dieu, par sa vocation technique et scientifique, peut tout à fait devenir un
laboratoire, une chambre d’incubation d’expositions mettant en valeur le patrimoine de la santé. Il se conçoit dès
lors à même de rivaliser avec celles de la Cité de la Villette et deviendrait ainsi le lieu propice à
l’expérimentation de techniques nouvelles, non plus tournées vers le progrès médical comme auparavant, mais
dévolues à la transmission d’un savoir minutieusement établi à travers les siècles. Ces expositions pourraient
tour à tour répondre au mieux aux exigences de présentation des objets, quel que soit leur type ou leur usage.
Plutôt que d’être figé dans un décor qui n’évoluerait plus, ce système permet de privilégier des évocations, des
ambiances, qui permettraient à l’Hôtel-Dieu de redevenir ce lieu de vie qu’il a si longtemps été, tout en
répondant à la vocation des objets qu’il a vu s’animer. En outre, le message apporté par l’Hôtel-Dieu au long des
siècles est riche, et peut être difficilement transmissible d’un seul bloc, alors qu’il devient accessible et trouve un
écho en chacun des Lyonnais et autres visiteurs si on permet à toutes les voix qui l’ont fait parler de s’exprimer.
Ces voix doivent également trouver leur place dans une organisation qui fait vivre le musée en dehors de ses
murs, même lorsque ses portes sont fermées au public et que se déroule la préparation d’une nouvelle exposition.
En proposant la visite virtuelle de la collection et en créant des mini-sites internet pour présenter les
manifestations à venir, mais aussi en prévoyant des rencontres, des colloques, des débats, des réunions
d’information, des campagnes de publicité qui poseraient seulement une question dont les réponses seraient
données cette occasion, le musée s’assure une vie active et attractive tant pour les professionnels de la santé que
pour les simples citoyens. Chaque thème d’exposition devient ainsi le fil conducteur d’un réseau de
manifestations organisées tout au long de la vie du musée, grâce au centre de conventions et à l’auditorium
voulus par le projet Eiffage-Constantin, mais également en privilégiant les visites des scolaires et l’accès à un
centre de documentation susceptible d’attirer autant les étudiants, les spécialistes que les curieux.
Ce système d’expositions séquentielles devient alors un risque à prendre pour le musée, un pari
audacieux sur l’avenir des collections centenaires du patrimoine lyonnais qui n’ont pas évoluées depuis
longtemps. Repenser radicalement leur organisation permet alors de démarquer le futur musée de l’Hôtel-Dieu
des lieux de monstration des patrimoines médicaux traditionnels en lui donnant une énergie et un souffle
nouveau, en l’inscrivant dans une dynamique qui en fera un lieu incontournable de la vie culturelle lyonnaise. Le
musée devient dès lors plus qu’un espace d’exposition et de conservation du patrimoine : il participe à un
véritable projet à grande échelle autour de la santé, replaçant Lyon dans la droite lignée de son héritage
historique.
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Jean-Claude Mossière. Xenodochium-Panoptikum
Xenodochium-Panoptikum
Jean-Claude Mossière
Xenodochium nous l’avons vu est le nom donné à l’Hôtel-Dieu jusqu’au XIXè siècle. Hôtel, une partie
du bâtiment en conservera le nom et la fonction. Contenu sous le grand dôme, étendu dans le palais du quai, il
accueillera luxueusement non plus les démunis comme les nantis, mais uniquement les plus fortunés.
Panoptikum, le bâtiment le contient déjà. Nous voulons parler maintenant aussi bien du petit dome de la salle des
quatre rangs, déjà qualifié de point panoptique (au sens de convergence des regards, plutôt que de voir sans être
vu) que du musée lui même138. Il y a dans l’origine du panoptisme, agencement optique ou lumineux, la volonté
révélée d’imposer une conduite à une multiplicité humaine139. Le Panoptique, habituelle machine à dissocier le
couple voir-être vu, était ici par l’intermédiaire de l’autel et de l’officiant le lieu convergeant de tous les regards,
comme celui unique de la surveillance. On peut imaginer les malades des quatre longues salles tendant le coup
vers l’autel pour voir et entendre le prêtre célébrer l’office. L’endroit façonne un effet spéculaire, peut-il porter
un rappel d’ornementation en fonction des temps liturgiques, comme il porte les affections des saisons, comme
les vitrines des boutiques proposeront l’habit de printemps, d’été, d’automne et d’hiver ? Dans le temps
ontologique, la création du monde n’est pas séparée du jugement dernier. Comment passer du jaillissement de
l’étincelle à la fixation sur la feuille d’argent de la chair invisible.
L’Hôtel était aussi église.
Or, un musée est par excellence un lieu de croisement de tous les regards. La référence au musée hérité
du trésor de l’église n’est plus à faire : s’y mêle objets sacrés de la liturgie, reliquaires, ex-voto. Dans un musée,
il y a à voir, et à regarder. Dans un musée comme à l’église on ne touche pas, on est tenu à distance ce qui
n’exclue pas la comunion, mais communier, c’est ingérer, sans le toucher l’objet de l’ingestion, en l’occurence
l’hostie tendu par le prêtre. L’HD a bien été le lieu de relations privilégiées entre dieu et les hommes, entre le
corps et le sang, entre le pain et le vin, l’eau et le linge. L’Hôtel n’étant pas seulement le lieu où l’on se restaure
et l’on dort, mais aussi le lieu où l’on reste où d’où l’on sort.
Le musée oscille entre le lieu de la révélation et le lieu de la connaissance, de la découverte.
Autel, corps, sang et Christ
L’anamnèse est-elle le fruit de l’homélie ?
Monition
L’objet isolé est le point de convergence des regards. Il suffit de peu de chose pour qu’un lieu change de
destination.
L’endroit se façonner dans un effet spéculaire, peut-il porter un rappel d’ornementation en fonction des temps
liturgiques, comme il porte les affections des saisons, comme les vitrines des boutiques proposeront l’habit de
printemps, d’été, d’automne et d’hiver ? Dans le temps ontologique, la création du monde n’est pas séparée du
138
Le panoptique est un type d'architecture carcérale imaginée par le philosophe Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle.
Michel Foucault, (Surveiller et punir, 1975) s'y intéressa, inaugurant un regain d'intérêt pour celui-ci. Il y vit une technique
moderne d'observation transcendant l'école, l'usine, l'hôpital et la caserne, et donc le musée.
139
Gilles Deleuze, Foucault, Paris, 1986/2004, p.41.
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jugement dernier. Comment passer du jaillissement de l’étincelle à la fixation sur la feuille d’argent de la chair
invisible.
Le musée occupe depuis
Dans ce tout hôtel d’autrefois, un hôtel fragment de demain. et à proximité de l’hôtel de demain, et des
boutiques environnantes, Edina nous prévient de l’effet de vitrine. Le musée peut-il porter allégeance à son
environnement
L’un des buts du musée serait d’actualiser des événements anciens. Comment le faire ? Le déroulement
de l’année lithurgique est une commémoration permanente, et cyclique. Mais les fêtes sont plus qu’une
commémoraison d’événements historiques, elles sont leur actualisation
pédagogique des parties " invariables " de la Liturgie est peut-être plus difficile à apprécier.
Le déroulement de l’année liturgique, avec les grandes fêtes qui marquent les principaux événements de
la vie du Christ et de la Mère de Dieu, ainsi que la commémoraison des saints de tous les temps, est une autre
source d’apprentissage des vérités de la foi et de l’histoire du salut. Le cycle pascal et celui des fêtes fixes
permettent de vivre en quelque sorte dans un autre temps, car les fêtes sont plus qu’une commémoraison
d’événements historiques, elles sont leur actualisation. Dans le temps ontologique, la création du monde n’est
pas séparée du jugement dernier, la Nativité du Christ de sa Mort, sa Passion de sa Résurrection, son Ascension
de son second Avènement, mais pour nous, mortels, nous comprenons mieux les réalités ontologiques
lorsqu’elles sont présentées en " petits morceaux ", un après l’autre, dans le temps historique que nous
connaissons – et dans lequel se trouvent les fêtes de l’année liturgique. Même si nous célébrons aujourd’hui la
Nativité du Christ, demain sa Passion et sa Mort, et après-demain sa Résurrection, les textes liturgiques nous
rappellent constamment que l’un n’est pas séparé de l’autre, que l’histoire du salut est une unité indivisible. La
prière de l’anamnèse (souvenir) de la Divine Liturgie, dite juste après les paroles de la consécration, contient ce
genre de rappel – y compris le " rappel " d’un événement qui n’a pas encore eu lieu dans le temps historique :
Un musée de la santé ancré au sein de l’Hôtel-Dieu n’est pas une mince affaire. Il peut très bien n’être
qu’un remise en forme du musée des HCL, un lifting contemporain pour retendre les tissus viellis, les tentures
suranées, les chairs ridées, rafraïchir les couleurs. Quelques travaux de maçonnerie alliés à quelques couches de
peinture, addtionné d’un mobilier muséographique Vilmottien, et le musée relifté trouvera là une seconde
jeunesse, où entre le déjeuner et le souper les hôtes de l’Intercontinental pourront flanner en découvrant les
instruments pitoresques de la médecine d’autrefois. Bref, un musée d’ambiance, d’atmosphère « alien » de son
environnement.
Or, sans négliger l’ « aliénisation » de cet environnement, en composant à la fois avec lui, et contre lui,
il y a une fissure dans laquelle peut s’imicer
L’idéal serait de conserver à chaque collection sa spécificité : l’esprit théâtral de l’anatomie, l’ambiance de
travail de l’histoire, l’industrie de la collection Renaud, les compositions de dentaire, et la rihesse des HCL.
Différents projets ont déjà été proposés. Le plus ancien date de lorsque
Pour mémoire, rappelons qu’en 1905, l’hôpital ne répondait déjà plus aux exigences d’hygiène et de
salubrité. Tony Garnier, alors architecte des HCL, peut-être à la demande du maire Victor Augagneur propose sa
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destruction, ne conservant que le palais du quai, dégageant l’axe central, inscrivant une parcelle triangulaire
autour d’un immense dome.
Figue 1. Projet de Tony Garnier, 09/08/1905, Archives municipales de Lyon, 3 S 650.
En 2008, l’ateleir patrimoine du groupe Lyon Nouvel Horizon (LNH) créé par Dominique Perben,
prétendant à la mairie de Lyon, proposait une large ouverture sur le Rhône en enterrant la circulation du quai
Jules Courmont la création d’une passerelle entraînant La cour Bellecordière peut être prolongée et s’ouvrir à
l’Est par une Porte du Rhône dans l’axe au rez-de-chaussée du bâtiment Soufflot donnant accès à une esplanade
paysagère conçue sur toute la longueur de la façade. Elle offrirait ainsi un accès direct depuis le Rhône jusqu’au
centre ville, garantissant un flux de vie à l’ensemble réaménagé.
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Projet LNH, 2008
En 2009, Mag2 Lyon a donné carte blanche à cinq architectes lyonnais pour imaginer l’avenir de HôtelDieu en cherchant une idée plus originale que la transformation de ce vénérable hôpital en hôtel de luxe, comme
le souhaite la mairie. Sophie Senac, architecte, et Alexandre Jennan, ingénieur. Ils présente une fin de bail et un
“Un Beaubourg lyonnais” pour 2045.
Imaginant que la ville avait confié l’Hôtel-Dieu, autrefois hôpital public, à un groupe privé l’ayant
transformé en un lieu très élitiste et fermé que les Lyonnais ont baptisé par dérision "l’hôtel des dieux". On
propose donc un traitement moderne et coloré de sa façade et de ses terrasses. Les cours intérieures ont un
traitement en patio avec des restaurants. Et on leur donne une thématique avec un traitement par îlots, en
proposant également un réaménagement complet des quais avec le remplacement des voies routières par un
parvis jusqu’au Rhône pour dégager la perspective et animer le site. Stéphane Peignier, voit dans les années
2030, “Une serre géante”, après sa période hôtel et boutiques de luxe, et plante sous le dôme des arbres fruitiers.
Projet S. Senac, et A. Jenna, 2009
Projet S. Peignier
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Pour Gérard Collomb, le choix de l'opérateur a été dicté par le projet présenté. "C'est celui qui respecte le plus
l'esprit du lieu" a justifié le maire de Lyon. Eiffage, via son président Michel Gostoli, explique "vouloir rendre
les Lyonnais fiers et heureux en regardant l'Hôtel-Dieu." L'ensemble de l'enceinte du bâti, sur son plein-pied,sera
réservé aux commerces. Commerces dont l'architecte du projet, Albert Constantion, rappelle qu'ils ont été
"imposés à l'époque par les recteurs à l'architecte Soufflot." De quoi faire taire les polémiques et recadrer le
débat sur le lieu.
Un grand vestibule devrait être aménagé sous le grand dôme, jusqu'à la cour intérieure Saint-Henry. Cet espace
sous le grand dôme sera ouvert à tous, avec une grande sculpture très légère en fibre de verre qui le garnira. Il
proposera rafraichissements et restauration, selon les visuels présentés durant la conférence de presse. L'objectif
est de réoffrir ce superbe espace aux Lyonnais. Les 140 chambres, en duplex, auront sept mètres sous plafond.
La plupart seront ouvertes sur le Rhône. Un côté prestigieux, que l'architecte Michel Constantin estime être "en
cohérence avec l'histoire du lieu."
Intercontinental, par la voix de son président, assure d'ailleurs vouloir faire de l'Hôtel-Dieu faire "son plus bel
hôtel en France."
Un centre de convention occupera le petit Dôme. La création d'un nouvel auditorium, prévoyant un accueil de
300 à 500 personnes, est prévu. Le site du musée conservera le même volume, tout en gardant la possibilité de
l'agrandir le long de la chapelle. L'espace est dédié certes, mais reste maintenant à trouver les financements pour
faire vivre le musée, le pôle de santé, ou encore les universités. L'esprit du projet permet de garder les m2
nécessaires pour ce type de projets.
Le socle va permettre à l'Hôtel-Dieu de s'ouvrir sur la ville par les commerces. Les constructions démolie de la
rue Bellecordière ont permis son élargissement, sans réaménagements urbains a postériori. Eiffage souhaite
reconstruire toute cette façade commerciale de la rue Bellecordière. Tous les rez-de-chaussée vont être organisés
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avec des commerces : rue de la Barre, rue Bellecordière, rue Rivière. L'ancienne loge des fous, démolie, sera
reconstituée à partir d'une grille qui reprend les treillages du XVIII ème siècle.
La cour du cloître sera réaménagé selon les travaux des Botanistes du XVIII ème siècle. Ils seront garnis avec
des plantes médicinales et odoriférantes. Ces jardins d'apothicairie seront plantés au milieu des bosquets, et
évidemment accessibles pour tous les Lyonnais.
Quelques chiffres : l'Hôtel-Dieu, ce sont 150 millions d' d'investissements privé, un "bail à construction de 94
ans" entre les HCL et l'opérateur, 140 chambres sur un volume de 21 000 m2, 13 000 m2 de commerces et 15
000 m2 de bureaux.
Au premier trimestre 2011, les demandes administratives seront déposées. La signature effective du bail,
consecutive à la validation des précédentes demandes, devrait intervenir en 2012. La livraison est prévue par
tranches : en 2014, c’est le rue Bellecordière et ses réaménagements qui seront livrés, et en 2016, l’ensemble
devrait être opérationnel.
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