L`ENFANT QUI VOULAIT UNE ROSE Une nouvelle de
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L`ENFANT QUI VOULAIT UNE ROSE Une nouvelle de
L’ENFANT QUI VOULAIT UNE ROSE Une nouvelle de Pierre Gamarra Dans ce village où je faisais la classe en ce temps-là, au cœur des Pyrénées, il y avait un jeune garçon qui habitait avec ses parents et sa sœur dans une maison écartée. La famille n’était pas riche. Elle vivait de quelques lopins et d’une vache. Le père s’était blessé en bûcheronnant l’année précédente. Il tardait à guérir et l’argent ne rentrait guère au logis. Adrien, le garçon dont je parle, avait sept ans. C’était un enfant paisible et rêveur, avec un corps menu, un mince visage couronné de boucles sombres et deux grands yeux noirs tantôt vifs comme des cailloux de jais, tantôt embrumés de quelques mélancolie. Vint le temps de Noël. Les bises grondèrent au long de la vallée, secouèrent sauvagement les sapins des pentes. Puis, un matin, la merveille de la neige habilla les rocs et les maisons. Le ruisseau qu’on enjambe à la sortie du village, sous un rustique pont de châtaignier, sanglotait finement sous l’épaisseur des flocons. Alors, dans toutes les cahutes de ce village pauvre, malgré le froid et les soucis, commença la douceur de la fin de l’année dans un parfum de chocolat et d’espérance. Les grains laiteux du gui et les billes écarlates du houx éclairaient les solives des cuisines. Sous les hangars à bois, la pesante bûche de chêne tressée de vieux lierre sec attendait la nuit du réveillon. À la récréation, j’entendais les filles et les garçons parler des trésors aperçus en bas, dans les boutiques du chef-lieu, étoiles d’or et de violette, autos mécaniques, poupées aux robes infinies, zoos et bergeries, mandarines et dattes vernissées... Adrien qui n’était pas descendu au bourg très souvent, écoutait les autres avec passion. Les enfants jouaient aux préférences. C’est un jeu qui ne coûte pas cher. « Moi, si je n’avais qu’à choisir, j’emporterais le cirque avec sa tente verte et rouge...» « Moi, je prendrais la poupée noire qui a une si belle robe bleue. » « Moi, je prendrais... je prendrais...» Un de ces matins, je m’approchai doucement d’Adrien et je lui demandai: - Et toi, Adrien, si tu pouvais choisir, que prendrais-tu? J’avais parlé un peu vite et sans doute un peu cruellement. Le cadeau d’Adrien tiendrait facilement dans un sabot: une paire de chaussettes neuves et un sachet de pralines... Adrien releva le front vers moi et sourit: - Moi, dit-il, je voudrais une rose... - Une rose, Adrien? Et pourquoi? - Parce qu’à Noël, tout est glacé souvent. Le rosier devant chez nous est tout noir. Je voudrais une rose... - Tiens, c’est drôle, s’écria une fille. Une rose! Tu ne souhaiterais pas une auto téléguidée ou un jeu de construction? Ou bien une grande voiture de pompiers? - Oui, oui, bien sûr, dit Adrien, mais d’abord une rose! - Tu ne voudrais pas une panoplie de mousquetaire? demanda un garçon. Ou un train électrique avec la gare complète? - Oui, bien sûr, dit Adrien, mais d’abord une rose. - Une rose vivante? demandai-je. Une petite rose vivante? - Oui, monsieur. Une rose vivante pour Noël. Ensuite, je voudrais bien tout le reste. Les jours glissèrent. Le fameux soir approchait. Le dernier après-midi avant les vacances de Noël, je racontai une histoire. La salle de classe était décorée de sapin et de mousse. Le houx et le gui pendaient parmi les cartes de géographie et les tableaux du système métrique. Les enfants écoutèrent l’histoire avec une grande sagesse, puis on mangea des crêpes que les mères avaient préparées. Je me souviens de ce crépuscule bleu et vaporeux au flanc de la montagne. Un dernier soleil teignait les cimes neigeuses. Le vent avait cessé. Il faisait presque doux. À la fin de l’après-midi, le givre avait fondu sur les pentes. Les pendeloques de la fontaine s’étaient évanouies. Ô mystère... Le ciel se dégageait. Une étrange lune de safran s’en vint rouler sur les sapinières et les hêtraies comme la roue perdue d’un chariot fantastique. Avant la fin de la classe, il y eut une surprise. Deux petites filles s’approchèrent d’Adrien. J’entendis des chuchotements et des rires. - Qu’y a-t-il donc? demandai-je. - Aline et Berthe ont dessiné quelque chose, m’expliqua un grand du premier rang. - Quoi donc? - Monsieur, c’est une rose. Une rose que Berthe et Aline ont dessinée pour Adrien. Et c’était bien une rose, une rose aux pétales ourlés, une douce rose de papier et d’aquarelle. En éloignant un peu ses yeux, on pouvait croire à une rose véritable, une rose pâle, une fine rose rose posée sur le papier blanc. - C’est très gentil, dis-je. Est-ce que cette rose te plaît, Adrien? - Oui, monsieur, répondit l’enfant en serrant la rose de papier contre son cœur. La nuit s’approchait de la classe. Les vitres brillaient d’un éclat tendre. Les neiges lointaines avaient les couleurs d’une gorge de pigeon. Je conduisis les enfants jusqu’à la grille de la cour et j’écoutai leurs voix se disperser sur les sentiers du village. La tiédeur du temps se prolongea. La neige disparut. Un vent preque chaud soufflait d’Espagne et semblait nous porter des parfums d’olive et de miel, de touron et de grenade. Au matin de Noël, le ciel était bleu. Cela arrive quelquefois. Le vent du sud chasse les frimas. Au cœur de l’hiver s’installe une finesse de printemps. À la fin de la matinée, quelqu’un frappa à la porte de l’école. J’ouvris. C’était Adrien. - Bonjour, Adrien. - Bonjour, monsieur. Regardez! Il se dressa sur la pointe des pieds et sa petite main se tendit vers moi. - Je suis venu pour vous montrer... - Ce n’est pas possible, Adrien! - Mais si, monsieur... Il tenait une rose, une minuscule rose à peine éclose. - Elle vient de notre rosier. Elle a fleuri, ce matin... - Ce n’est pas possible, Adrien. Cela arrive si rarement! - Mais si, monsieur. Mon père a dit que le rosier est bien abrité. - Laisse-moi la voir de près. Je pris la fleurr dans ma main. C’était une rose véritable, une vraie rose vivante, un bouton de chair éclos dans la froidure d’un décembre. - Elle ressemble... - Elle ressemble à quoi, Adrien? - À celle que Berthe et Aline ont dessiné pour moi. Et je m’écriai: - C’est la même, Adrien, c’est la même. L’une est vivante et l’autre est en papier mais celle de papier est vivante puisque deux amies l’ont dessinée avec tout leur cœur. Je vis l’écolier s’en aller sur le sentier de sa maison. Il sautillait d’un sabot sur l’autre, une rose à la main, dans un soleil d’avril. NOUVELLES DE FRANCE No 54 / 16 MAI 1979