Juin 2016_Imaad_04
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Juin 2016_Imaad_04
Les scribouilleurs Thème du mois de Juin : Tu te glisses dans la peau d'un animal de ton choix et tu tombes sur la télé allumée, c'est l'heure du journal sur BFM. A toi de scribouiller ! Pour participer aux ateliers, rendez-vous sur www.foulexpress.com Donc voilà, c’était à l’aube. Dès l’aube. Ce moment où ceux à sang froid se remettent en vie. D’ailleurs, ce matin ils étaient bien gâtés. Ce n’était pas le cas hier. Le temps succède au temps. Les jours se suivent et se ressemblent. A moins que… ? Aux premières lueurs du jour donc, dans la tanière, l’air était enveloppé par ces confortables odeurs matinales. Le froid de la nuit passée avait fait place à la chaleur délicate successive aux mouvements, aux frottements et aux gestes de la mécanique post réveil réglée comme une horloge. Tout cela participait d’une atmosphère douce et confortable. Cela va sans dire bien sûr : le félin est parmi les grands maîtres dans l’exercice du confort. L’histoire de ses ancêtres se prélassant à l’ombre ou au soleil, sur un arbre ou à même l’herbe lui ont fait hériter de l’élégance, de la sérénité et du confort. Justement, le confort et la sérénité ce ne sont pas des notions connues par toutes les autres espèces, en particulier les furets. Toujours à courir le furet. Mais toujours aussi sympathique le furet. Note pour plus tard : avoir pour voisin un furet. Et donc chaque matin, entraîné par la trajectoire invisible et agréable laissée par les effluves de café, notre acolyte quitte son terrier et se glisse dans l’appartement embaumé. Toujours au moment où le tigre achève sa douche. Une mécanique de précision que sont les opérations matinales. « J’allume la télé » lance le furet à son ami. Econome en mot comme en geste, ce dernier acquiesce par un silence expressif. La télé allumée, le voilà installé. Il adore s’installer dans ce canapé, travaillé depuis de longues années. Le confort disait-on. « Le café vient de finir de couler ! ». Même réponse. En même temps, la question revenait identique chaque jour. Séché, bien séché et habillé, le tigre passa dans la cuisine, renfrogné par une sale nuit passée pour moitié dans son lit, et pour l’autre moitié dans le pénitencier où il est gardien de détenu. ------------------------------------------------------------La nuit dernière, consciencieux comme à l’accoutumé, il effectuait ses rondes, saluait ses supérieurs, respectait les détenus. Car malgré sa position, bien que non élevée dans la hiérarchie pénitentiaire, il aurait pu faire valoir une domination sur les prisonniers. D’autres collègues, moins enclins à la pratique de la justice, avaient débordé jusqu’au point de provoquer une confrontation gardiens contre détenus. Ismaël n’était pas ceux-là. Les détenus le savaient et le lui rendait bien. Le respect amène le respect. La violence amène la violence. Seulement, Ismaël avait été agacé par sa dernière convocation chez le directeur. Sa droiture en heurtait plus d’un. Cette fois, il était repris sur le cas de la tortue de la cellule 173, bâtiment A. Le bâtiment A était le moins sécurisé de toute l’installation pénitencière. Y sont gardés les détenus les moins dangereux ou les plus vieux. Laszlo la tortue était peut-être le moins dangereux des prisonniers. Il était avec certitude, et de loin, le plus vieux. La tortue souffrait d’une maladie pour laquelle les médicaments du pénitencier n’étaient pas adaptés. Et aucun effort pharmaceutique n’était à l’ordre du jour. Alors Isma avait pris sur lui d’en amener de l’extérieur. Ismaël était bon. Boris le directeur était mauvais. Boris était une hyène qui n’a peutêtre pas réussi à prendre assez de distance avec son héritage charognard. Il aimait voir les choses et les gens se dégrader. Il s’en délectait. Pour sûr qu’il a dû déjà manger un corps de détenu resté trop longtemps à la morgue. Ça c’est une des légendes qui circule dans le pénitencier. Enfin bref. « Isma, combien de fois faut-il que je vous rappelle à l’ordre ? Ne comprenez-vous pas que vous n’avez pas d’autres choses à faire que de vous conformer aux ordres ? » Ayant entendu ce discours de trop nombreuses fois, Isma commençait à se crisper « La justice a pris sa décision. Les personnes ici le sont car elles ont fait le mal. Elles doivent expier » Isma aussi, par moment, se faisait rappeler à ses instincts primordiaux. Souvent ces moments se déclenchaient face à Boris. « Etant donné ce que vous avez faits cette fois-ci. Je suis contraint d’exercer durement mon autorité. Vous êtes suspendu 1 mois » Là Isma fulminait car il comprit immédiatement la manœuvre du directeur. 1 mois de mise à pied, c’est plus qu’il ne fallait pour que Laszlo passe l’arme à gauche. Boris, souriant, fixait Ismaël dans les yeux, comme y cherchant la réaction qui justifierait de le faire muter définitivement. ------------------------------------------------------------« Tu nous amènes le café ! » La télévision était allumée et en sortait le même flot ininterrompu de sons et d’images. C’était BFM qui bavait. Squeeky adorait gâcher ses journées devant ce ressassement perpétuel de bruit. C’était étonnant d’observer à quel point il soit capable de boire continument tout se bruit. En temps normal, Isma était neutre. Il avait conscience de toutes ces inepties journalistiques. Dans le même temps, il gardait à l’esprit que ce genre de chaîne jouait un jeu qui devait être joué. Les gens ont besoin de savoir. Les gens doivent savoir. Les chaines d’information en continue donnent l’impression qu’elles diffusent du savoir. Plus généralement, les médias d’information se positionnent comme des fournisseurs d’informations alors qu’il n’en est rien. La production de l’information nécessite un temps qui n’est plus tenable dans les temps d’aujourd’hui. Alors ce sont toujours les mêmes marronniers qui reviennent sempiternellement et désespérément. L’islam, le voile à l’école, les inondations, les grèves, la croissance, le chômage… Il ne s’agit jamais que de faits énoncés. Rarement, le temps de l’analyse est pris en vue de présenter une véritable information. Rares sont les articles qui présentent dans le même temps les conséquences d’une inondation et ses causes multiples dont l’agriculture intensive, les barrages et l’urbanisation. L’information d’aujourd’hui est la sœur du vide. ------------------------------------------------------------« Viens voir ! Y a de l’actualité dans un pénitencier. Mais ce ne serait pas là où tu bosses !? » « Pousse toi un peu, fais-moi de la place » Isma amenait le café et réclamait sa place sur SON canapé. « Flash spécial : une prise d’otage d’un le pénitencier de Sad Hill. Le directeur est tenu en otage dans son bureau par 3 détenus. Un détenu porte une barbe. Un autre a un tatouage avec de l’écriture en arabe et l’autre aurait éternué et dis « hamdoullah ». A l’heure actuelle, il semblerait qu’une rébellion soit à l’œuvre dans le bâtiment C du pénitencier. Il s’agit du bâtiment de haute sécurité. Les statistiques ethniques révèlent que 99% de la population du bâtiment C est d’origine musulmane. La piste de l’attaque terroriste n’est pas écartée pour le moment » Traduction « Flash spécial : une prise d’otage dans le pénitencier de Sad Hill. Le directeur est tenu en otage dans son bureau par 3 musulmans. A l’heure actuelle, on ne sait rien et on n’en saura surement pas plus. On fait ce qu’on veut des lois. On va s’amuser. » Le furet s’était redressé sur ses pattes arrière « Ben dis donc, ça change des conneries habituelles sur les trains en retards » Isma regardait. Sachant ce qui s’était passé et observant comment cela allait être présenté -----------------------------------------------------------La nuit dernière, Isma avait quitté le bureau du directeur en rogne. Homme de devoir et de justice, il allait se conformer aux ordres de la direction. Pour autant, et au point où il en était, il ne comptait pas laisser Boris s’en tirer à si bon compte. Il a donc fait sortir de leur cellule 3 béliers connus pour ne pas être des tendres. Sa droiture lui attirait la sympathie de nombreux détenus, dont ceux-là. Alors il les a fait parvenir jusqu’au bureau du directeur. Il connaissait les rondes des autres gardiens et il avait toutes les clés. « On va te faire la peau Boris » « Isma que faites-vous ? Que font-ils ici ? Ramenez-les dans leur cellule immédiatement » « Vous savez Mr Boris, ce monde se divise en deux catégories, ceux qui pensent avoir du pouvoir et ceux qui en ont vraiment. » « Mais que dites-vous enfin ? Vous débloquez ? C’est moi le pouvoir ici ! C’est moi la justice ! C’est moi le système ! » « C’est bien ça le problème vous voyez. Vous et vos semblables êtes les provocateurs des malaises sociétaux. Vous à l’échelle du pénitencier. Mais aussi tous vos amis à tous les autres niveaux. Ce qui se joue ici et maintenant ne changera surement rien dans l’ordre actuel des choses. Mais j’en tire une satisfaction personnelle. Je me dis que les valeurs de droit et de justice sont au-dessus de vous comme de moi. Je me dis que vous subissez en cet instant l’exercice d’une justice immanente et ça me fait du bien. Au revoir Mr Boris. » Et Isma s’en alla. « Vous n’êtes qu’un pourri Ismaël ! Qu’un bon à rien. Vous pensez que la justice, l’égalité et autre fraternité sont des valeurs à la mode. Vous vous trompez. Regardez ! Regardez autour de vous ! Ne voyez-vous pas que le fond de l’homme est vil, qu’il réclame la domination et la tromperie. Ne voyez-vous pas ?! » A cet instant Boris prit en pleine tronche un énorme coup de face de bélier. Instantanément il perdit la moitié de ses dents. Isma tourna les talons et laissa les béliers charger l’hyène. -----------------------------------------------------------« Tu sais Squeeky. Tu devrais peut être moins regarder la télé » Imaad Hallay