EXTERNALISATION : LOGIQUE FINANCIERE ET LOGIQUE DE

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EXTERNALISATION : LOGIQUE FINANCIERE ET LOGIQUE DE
EXTERNALISATION : LOGIQUE FINANCIERE ET LOGIQUE DE COMPETENCE
SONT LIEES
Bertrand Quélin
Professeur – HEC
François Duhamel
Etudiant du Doctorat HEC
Bertrand Quélin et François Duhamel du Groupe HEC ont mené, au cours du 1er semestre
2002, une longue enquête auprès de 180 entreprises sur les critères et les risques liés à la
décision d’externalisation dans les groupes industriels en Europe. Pour la France, ils l’ont
complétée avec des entreprises de différente taille, de l’industrie et des services, et en
s’appuyant en particulier sur le réseau des adhérents du DFCG. Les résultats de l’enquête
menée auprès de responsables au niveau corporate sont présentés dans cet article.
L’externalisation est définie comme le recours à un prestataire ou un fournisseur externe, pour
une activité qui était jusqu’alors réalisée au sein de l’entreprise. Elle s’accompagne d’ailleurs
fréquemment d’un transfert de ressources matérielles ou humaines vers le prestataire choisi.
Ce dernier est chargé de se substituer aux services internes dans le cadre d’une relation de
moyen ou long terme (en moyenne de 5 à 6 ans) avec l’entreprise cliente.
L’externalisation stratégique prend de plus en plus d’importance dans les entreprises. Elle
concerne un nombre croissant de fonctions qui contribuent substantiellement à la création
d’une partie de la valeur ajoutée (informatique, logistique, recherche et développement…).
Dix-huit de ces activités ont fait l’objet du questionnaire.
Le poids de l’environnement dans la décision n’est pas jugé comme vraiment
prépondérant
La fréquence des changements technologiques des processus et des produits, l’importance des
délais de mise à disposition des nouveaux produits, la saisonnalité de l’activité, le caractère
cyclique des marchés de l’entreprise, l’importance des fluctuations dans la charge de travail et
l’incertitude concernant les marchés futurs, sont jugés par les managers interrogés comme des
facteurs importants sans être prépondérants.
Par contre, le renouvellement des investissements est le facteur de déclenchement auquel les
managers attribuent la plus grande importance. En complément, l’intensité capitalistique de
l’activité et la pression des marchés financiers pèsent également dans la décision. Ni le
mimétisme des concurrents, ni la démarche commerciale des prestataires ne semblent
suffisamment peser dans le déclenchement de la décision.
Un paradoxe apparaît : la perception d’une politique de Groupe ne s’oppose pas à une
externalisation au cas par cas
Dans l’ensemble, près de 70% des managers interrogés estiment que la décision
d’externalisation est fortement centralisée dans leur entreprise. 51% jugent qu’il existe une
politique d’externalisation clairement définie, par contre près de 80% déclarent que les
dossiers sont traités au cas par cas. Ce point mérite d’être souligné. Dans les entreprises, une
politique globale orientée vers l’externalisation existe, même si la décision se fait en fonction
des dossiers, des opportunités et du renouvellement des investissements.
Comprendre la décision d’externalisation
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Du point de vue des critères de l’externalisation, une analyse factorielle nous permet
d’identifier quatre axes distincts basés sur un regroupement des critères de décision.
Cœur de métier et coût du capital sont associés dans l’esprit des managers
Dans cette étude, recentrage sur le cœur du métier et baisse des coûts des capitaux engagés
apparaissent liés. A notre sens, ce premier facteur traduit le lien entre un recentrage
stratégique autour du cœur de métier et le meilleur usage possible des engagements
capitalistiques des entreprises industrielles.
En effet, l’analyse établit un lien entre des préoccupations comme « Réduire le coût moyen
pondéré du capital utilisé » et « Améliorer l’utilisation des capitaux engagés » d’une part, et
« Se recentrer sur les activités qui dégagent la plus forte valeur ajoutée » et « Focaliser les
ressources humaines et capitalistiques sur les activités clés de l’entreprise », d’autre part.
La focalisation sur le cœur de métier s’accompagnerait donc d’un arbitrage entre les
différentes activités de l’entreprise. Les managers font la distinction entre celles jugées
prioritaires et celles plus périphériques. Les premières bénéficient, de manière sélective, des
efforts d’investissement alors que les entreprises chercheraient à réduire leurs engagements en
capitaux immobilisés et en investissements nouveaux pour les autres.
Accéder à une expertise externe
Le deuxième facteur fait émerger le thème de l’accès à une expertise, en particulier au
moment de réinvestir. Une première intuition poussait à regrouper la variable réinvestissement avec le facteur précédent. En fait, « Accroître la performance et la qualité » et
« Accéder à l’expertise des prestataires » sont associés au « faible niveau de qualification des
personnels dans certains fonctions ».
Ce facteur, tel qu’il apparaît ici, laisse entendre que les entreprises, au moment de réinvestir
dans certaines activités, constatent qu’il existe un écart de performance, d’expertise et de
qualification entre ce qui est réalisé en interne et l’offre de certains prestataires sur le marché.
Ceci les pousserait donc à décider d’avoir recours à l’externalisation.
La baisse des coûts accompagnée de niveaux de qualité performants
Le troisième facteur insiste sur les considérations de baisse des coûts, sans réduire la qualité.
Ceci correspond à une attente forte des clients vis-à-vis des efforts de productivité à consentir
par le prestataire. Ce dernier doit, par ailleurs, veiller à ne pas laisser se détériorer la qualité
des prestations tout au long du contrat. L’étude montre donc que l’externalisation est associée
à une attente d’efforts du prestataire pour réduire les coûts opérationnels de la fonction
externalisée.
Externalisation et flexibilité
Le quatrième facteur signale une préoccupation distincte liée à la flexibilité qu’est censée
apporter l’externalisation d’activités. Il semble que les entreprises ont une double attente visà-vis des prestataires : 1) l’adaptation aux évolutions de leur marché ou de leurs besoins ; 2)
un ajustement des moyens mis en œuvre par le prestataire. Il s’agirait pour elles d’accéder à
une flexibilité que ne leur offrait pas précédemment l’internalisation.
Notre étude introduit une hiérarchie et une validation plus précises de ces critères.
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Le premier critère de décision qui l’emporte est la baisse des coûts opérationnels ;
Le second est le critère de focalisation sur les activités-clés de l’entreprise ;
Le troisième est le critère de la recherche de flexibilité ;
En quatrième lieu, apparaissent sur le même plan les critères de :
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- recherche d’amélioration de la qualité du service ;
- recherche de baisse du coût des capitaux engagés ;
- d’accès à l’expertise du prestataire.
Deux risques majeurs perçus : la perte de contrôle et les compétences du prestataire
La première dimension, relative au risque de dépendance vis-à-vis du prestataire, se réfère à
des risques de nature contractuelle. Ces risques traduisent la crainte des entreprises d’être sans
recours possible, soit en cas d’échec du prestataire, soit en cas de non-respect des délais. De
plus, ce facteur exprime très clairement la perception d’une difficulté à changer de prestataire
au terme du contrat.
Du point de vue des qualités du prestataire, les craintes s’expriment principalement à propos
du « manque de moyens financiers du prestataire », de « l’absence d’internationalisation du
prestataire », et de « l’insuffisance de connaissance de l’activité par le prestataire ». Ces
points font bien référence à l’expérience passée du prestataire, sa surface financière et sa
dimension internationale.
Les risques environnementaux, par contre, ne sont généralement pas perçus comme vraiment
déterminants. Enfin, le risque social, généralement mis en avant par beaucoup d’autres études,
n’est pas perçu, dans cet échantillon européen, comme un risque très important. Il faut
cependant remarquer les managers français accordent effectivement plus d’importance à la
législation sociale que ceux des autres pays.
La mise en œuvre de l’externalisation : réduire les risques par des structures
d’accompagnement
La décision d’externaliser doit donc prendre en compte ces risques. L’externalisation
demande souvent, au préalable, d’autonomiser l’activité sur le plan budgétaire, et parfois sur
un plan organisationnel. Une majorité des managers interrogés le considère ainsi (74,6 %).
Ainsi, créer un centre de services partagés est jugé important par 37 % des répondants.
L’état de l’externalisation et son potentiel en Europe
Les activités les plus touchées par l’externalisation
Parmi les 18 activités ou fonctions étudiées, les managers signalent clairement que les 5
activités suivantes sont les plus fortement touchées par l’externalisation. Il s’agit, dans l’ordre,
de : l’informatique de bureau ; la maintenance industrielle ; le traitement des déchets ; la
logistique ; les télécommunications (cf. Graphique 1).
On remarque aussi que ce sont les activités tertiaires (finances, marketing, comptabilité et
vente) qui sont encore les moins touchées par l’externalisation.
Parmi les activités potentiellement externalisables à un horizon de deux ans, les trois
premières fonctions citées sont l’informatique, la logistique, et la gestion de la paie. La
comptabilité et les services généraux sont en général externalisés de manière plus importante
que ces trois activités, mais leur potentiel d’externalisation paraît moins important.
Pourquoi les entreprises externalisent-elles certaines fonctions ?
Le critère de baisse des coûts opérationnels est le plus souvent cité pour les fluides, l’énergie,
et les services généraux. La comptabilité, la gestion de la paie et le traitement des déchets
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semblent être également des fonctions dont l’externalisation est associée à la recherche de
baisse de coûts opérationnels (cf. Graphique 2).
Trois activités dominent pour le critère de l’accès aux compétences : la R&D, le marketing et
le recrutement.
On note que le critère de coût des capitaux, est le plus fréquemment cité pour la gestion des
activités Fluides-Vapeur-Chaleur-Gaz et Energie.
Perspectives
Sur la base de cette étude, on peut affirmer qu’il existe une perception spécifique de
l’externalisation, au niveau des états-majors, dans les entreprises industrielles en Europe. Elle
transcende les approches plus contingentes des responsables opérationnels.
Quatre enseignements émergent :
• Une politique de Groupe peut être associée à une démarche d’externalisation au cas par
cas
• Logique financière et logique des compétences sont liées
• L’expérience acquise au cours d’une première opération permettra d’étendre plus vite
l’externalisation dans une entreprise
• Les entreprises expriment une attente forte vis-à-vis du professionnalisme des prestataires
L’importance de la baisse des coûts opérationnels comme principal critère souligne la
perception qu’ont les managers du rôle de l’externalisation dans l’efficience opérationnelle.
L’externalisation est donc vue comme un facteur d’évolution des coûts.
Cependant, l’objectif de réduction des coûts peut aussi être atteint par des rationalisations et
des économies en interne.
L’externalisation doit aussi être envisagée comme un outil de croissance des activités du cœur
de métier. Il reste toutefois du chemin à parcourir pour que l’externalisation soit réellement
vue comme telle.
Bertrand Quélin
François Duhamel
Groupe HEC
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Graphique 1 - L'Etat de l'Externalisation dans les 180 entreprises interrogées
Finance
Marketing
Force de vente
Comptabilité
Services généraux
Service après-vente
18 activités
R&D
Recrutement
Pas d'externalisation
Production
Externalisation partielle (< 80%)
Externalisation quasi-totale (>80%)
Informatique industrielle
Ne sait pas
Maintenance industrielle
Logistique
Informatique de bureau
Paie
Fluides -Vapeur -Chaleur -Gaz
Energie
Télécommunications
Traitement des déchets
0%
10%
Source : B. Quélin - HEC - 2002
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Fréquence des réponses
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Graphique 2 - Les Principaux Motifs d'Externalisation
R&D
Recrutement
Marketing
Informatique de bureau
Informatique industrielle
Force de vente
18 activités
Production
Finance
Télécommunications
Baisser les coûts opérationnels
Logistique
Focaliser les ressources sur la valeur ajoutée
Service après-vente
Réduire le capital engagé
Maintenance industrielle
Accéder à des compétences
Traitement des déchets
Autres Raisons
Paie
Comptabilité
Services généraux
Energie
Fluides -Vapeur -Chaleur -Gaz
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Source : B. Quélin - HEC - 2002
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