Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux conditions de
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Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux conditions de
INT J TUBERC LUNG DIS 15(2):223–227 © 2011 The Union Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux conditions de confinement : une cause perdue? L’expérience du Cameroun J. Noeske,* N. Ndi,† S. Mbondi* * German Development Cooperation (GTZ), Yaoundé, † Central Prison of Yaoundé, Kondengui, Yaoundé, Cameroun RÉSUMÉ C O N T E X T E : On admet que la tuberculose (TB) est un problème majeur de santé publique dans les prisons d’Afrique sub-saharienne. Au Cameroun, les principales prisons sont devenues des unités de diagnostic et de traitement au sein du Programme National de lutte contre la Tuberculose (PNT). O B J E C T I F : Evaluer l’efficience des activités de routine pour la lutte contre la TB en déterminant la prévalence des cas de tuberculose pulmonaire (TBP) non détectés dans la prison. M É T H O D E S : En 2009, une enquête de dépistage de la TBP a été entreprise à la prison centrale de Yaoundé (PCY), au Cameroun. Tous les prisonniers qui toussaient depuis ⩾1 semaine ont été dépistés par un examen microscopique des frottis de crachats. Les frottis ont été envoyés au laboratoire national de référence pour culture et tests de sensibilité aux médicaments (TSM). On a offert à tous les prisonniers un test volontaire de détection du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). R É S U LTAT S : Sur les 3219 détenus ayant fait l’objet d’un dépistage, 40 (1,2%) ont été identifiés comme atteints d’une TBP alors qu’ils n’avaient pas été repérés par le programme de lutte contre la TB de la prison. Chez les TBP qui avaient échappé au dépistage, on a noté une association positive avec la surpopulation grave, l’index de masse corporelle faible et les antécédents de traitement de la TB. Sur 40 détenus, quatre (10%) étaient co-infectés par la TB et le VIH. Le TSM a révélé une résistance aux médicaments antituberculeux chez trois détenus. C O N C L U S I O N : En dépit d’un programme de lutte contre la TB performant à la PCY, le nombre de cas de TBP non détectés y reste élevé, de manière inadmissible. Il est douteux que la transmission de la TB puisse être maîtrisée dans les conditions de confinement existant à la PCY. M O T S - C L É S : tuberculose pulmonaire ; prévalence ; prison ; contrôle de la TB ; Cameroun LES POPULATIONS carcérales sont considérées de manière régulière comme comportant un risque plus élevé de tuberculose (TB) que les populations civiles correspondantes.1 Ceci est particulièrement vrai dans les pays à faibles revenus et à prévalence élevée d’Afrique sub-saharienne où, au cours de la dernière décennie, de nombreuses études ont signalé des taux de prévalence de la TB atteignant un niveau jusqu’à plus de 40 fois plus élevé dans les prisons que dans la population générale.2–10 Le taux d’infection par Mycobacterium tuberculosis est élevé dans ces pays et va le plus souvent de pair avec des épidémies généralisées du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Mais par-dessus tout, les conditions d’incarcération sont habituellement extrêmement précaires et comportent une surpopulation sévère, la malnutrition, des conditions d’hygiène effroyables et une insuffisance des services médicaux. Les études de prévalence de la TB dans les prisons ont eu principalement comme objectif d’attirer l’at- tention des officiels de la santé et des responsables des politiques sur ce qui a été récemment appelé « la honte cachée de la santé publique ».11 L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a édité dès 1988 un premier manuel complet pour orienter la lutte antituberculeuse dans les prisons.12 Depuis lors, toutefois, un petit nombre seulement d’études ont signalé la mise en œuvre des réponses qui en ont résulté dans les prisons de la région d’Afrique subh-saharienne.13 En 2003–2004, les autorités médicales de la Prison centrale de Douala (PCD), Cameroun, ont fait une enquête de prévalence sur la TB pulmonaire (TBP). La prévalence ponctuelle observée a été de 3,5% pour la TBP.14 Par voie de conséquence, le Ministère de la Justice, en collaboration avec le Ministère de la Santé Publique et le Programme National de lutte contre la Tuberculose (PNT), ont mis en relation la Prison Centrale de Douala (PCD) et la Prison centrale de la capitale, Yaoundé (PCY) avec le réseau des Unités de Diagnostic et de Traitement de la TB du PNT. Les Auteur pour correspondance : Jürgen Noeske, Health and AIDS Programme, German Development Cooperation (GTZ), B P 7814, Bastos, Yaoundé, Cameroun. Tel : (+237) 7750 5000. Fax : (+237) 2221 44 51. e-mail : [email protected] [Traduction de l’article : « Controlling tuberculosis in prisons against confinement conditions: a lost case? Experience from Cameroon » Int J Tuberc Lung Dis 2011; 15(2): 223–227] 2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease procédures de diagnostic et de traitement de la TB respectent dans ces deux prisons les directives du PNT qui reposent sur la stratégie DOTS recommandée par l’OMS et l’Union Internationale Contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires.15 En plus du dépistage passif ou des consultations spontanées, on a adopté deux stratégies actives de dépistage, le dépistage systématique à l’entrée et la recherche des sujets-contact. Le programme TB à la Prison Centrale de Yaoundé a démarré en 2006 ; depuis 2007, la prison a mené un programme complet de prévention et de traitement TB-VIH/SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). Le nombre annuel des cas déclarés de tuberculose pulmonaire à bacilloscopie positive des frottis a augmenté récemment (respectivement 41, 62 et 64 cas en 2006, 2007 et 2008 selon les rapports non publiés du PNT). Afin d’évaluer l’efficience des activités de routine de lutte contre la TB dans les prisons, nous avons mené une étude pour déterminer l’étendue de la prévalence de la TBP non-détectée, c’est-à-dire les cas de TBP manqués soit au cours du dépistage à l’entrée ou de la recherche des contacts soit encore se présentant spontanément au service médical pénitentiaire. Cette étude décrit également les caractéristiques des détenus atteints de TBP qui n’avaient pas été détectés par le système de lutte antituberculeuse de la prison, et identifie les facteurs de risque et les obstacles majeurs que rencontre le succès d’une lutte antituberculeuse dans les prisons. MATÉRIEL ET MÉTHODES Cette enquête a été menée en juin 2009, à la PCY, la plus grande prison du Cameroun, située dans la capitale du pays, Yaoundé. Contexte de l’étude La PCY, construite en 1968 avec une capacité de 800 prisonniers abrite à tout moment entre 3500 et 4000 détenus, principalement des hommes, dans 120 cellules environ. La rotation annuelle des détenus est d’environ 60%. A n’importe quel moment, en moyenne 2750 détenus sont abrités dans trois blocs de cellules dont la surface totale est d’environ 3000 m2. Les 55 cellules correspondantes sont gravement surpeuplées (avec une moyenne <0,50 m2 et <1,5 m3 par personne) et sont à peine ventilées. Le budget officiel de l’alimentation s’élève à 0,45 US$ par jour et par détenu. Les services médicaux sont constitués d’un docteur en médecine, de neuf infirmières et d’un technicien de laboratoire. La prison ne dispose pas d’équipement radiologique. Le dépistage de la TBP repose sur les antécédents et les symptômes. Les patients atteints de TBP sont isolés dans la salle d’hospitalisation au cours de la phase intensive de leur traitement. Un groupe d’éducateurs-pairs assure régulièrement une éducation sur la santé concernant la TB, le VIH et les infections sexuellement transmissibles ; ce groupe aide également au dépistage des sujets-contact. Population étudiée La population de l’étude correspond à l’ensemble des détenus âgés de 14 ans ou davantage, incarcérés à la PCY au moment de l’enquête. On a exclu les patients sous traitement antituberculeux à ce moment. Après avoir donné un consentement éclairé, chaque détenu a été interviewé par un des membres du personnel de santé de la prison au moyen d’un questionnaire standardisé. L’information colligée comportait l’âge, le genre, l’historique et la durée de l’incarcération, la durée de la toux et des symptômes associés et le traitement antituberculeux antérieur. Les détenus qui se plaignaient d’une toux persistante depuis 1 semaine ou davantage ont été considérés comme suspects de TBP16 et on leur a demandé de fournir un échantillon de crachats du petit matin pendant 2 jours consécutifs. Les détenus dont le frottis d’expectoration était négatif pour les bacilles acido-résistants (BAAR) ont reçu une cure de 10 jours d’un antibiotique à large spectre, généralement 960 mg de cotrimoxazole deux fois par jour. Si la toux persistait, on a recueilli une deuxième série d’échantillons de crachats comme décrit plus haut. Les échantillons de crachats positifs pour les BAAR et ceux des suspects sans autre cause évidente de toux prolongée ont été envoyés au Laboratoire Nationale de Référence de la Tuberculose (NRL) pour culture et tests de sensibilité aux médicaments (TSM). Un cas de TBP a été défini dans cette étude comme un détenu dont l’expectoration était positive à l’examen direct ou à la culture. Le processus de dépistage et de diagnostic de la TBP est résumé à la Figure 1. Les détenus atteints d’une TBP positive à l’examen direct des frottis ou à la culture et les détenus restant suspects de TBP après une deuxième série d’examens négatifs des frottis de crachats ont été traités selon les directives du PNT.14 Un accompagnement et des tests volontaires pour le VIH (VCT) ont été offerts à tous les suspects de TBP ainsi qu’aux détenus qui n’en avaient pas bénéficié à l’entrée. On a détecté des anticorps anti-VIH au moyen de deux tests rapides conformément aux instructions du Comité national de Lutte contre le SIDA.17 Les prisonniers dont le résultat du test VIH était positif se sont vus offrir un traitement prophylactique au cotrimoxazole, des décomptes de CD4 et en cas d’indication, un traitement antirétroviral. La Délégation Régionale de l’Administration Pénitentiaire a donné une autorisation administrative et éthique à cette étude. Analyse des données On a effectué une double entrée des données suivie du nettoyage des données au moyen d’Epi Info 6.04d (Centers for Disease Control, Atlanta, GA, États-Unis). On a calculé la prévalence de la TBP non-détectée Contrôle de la TBP dans une prison caméronienne 3 Figure 1 Algorithme de détection de la TBP à la Prison Centrale de Yaoundé. TBP = tuberculose pulmonaire ; VCT = accompagnement et traitement volontaires du VIH ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine ; BAAR = bacilles acido-résistants. définie comme une TBP positive à l’examen direct et/ou à la culture ainsi que les facteurs de risque associés à cette TBP. Pour la comparaison des proportions, on a utilisé le test χ2. Les moyennes ont été comparées par le test-t de Student. Les différences dont le P était < 0,05 ont été considérées comme significatives. RÉSULTATS Caractéristiques de la population de l’étude Au cours de l’enquête, le nombre moyen de détenus présents à la PCY a été de 3779. Au moment du dé- pistage, 65 (1,7%) des détenus étaient sous traitement antituberculeux pour une TBP. Selon le registre, 41(63%) de ces détenus avaient été détectés après consultation spontanée, deux (3%) lors du dépistage à l’entrée et 22 (34%) par le dépistage des contacts. Au total, on a enrôlé 3219 (86,7%) détenus dont les données concernant le statut TB avaient été notées. Il s’agissait dans une large majorité d’hommes (n = 3120, 96,9%), d’un âge moyen de 30,0 ± 9,6 ans (extrêmes 14–79). La période médiane d’incarcération dans la prison a été de 10 mois (extrêmes 1 jour– 38 ans). Plus de trois quarts des détenus n’avaient pas 4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease encore été condamnés ; 716 avaient des antécédents d’incarcération antérieure. L’index de masse corporelle (IMC) parmi les détenus dépistés étaient en moyenne de 22,1 kg/m2 (extrêmes 10,7–48,6) ; 106 (3,3%) détenus souffraient de malnutrition (<18,5 kg/m2) et tous sauf un (0,9%) avaient été incarcérés depuis au moins 1 mois. Au total, 163 (5,0%) détenus se souvenaient d’un traitement antérieur pour TB. Prévalence de la TBP et de l’infection VIH Parmi les 3219 détenus dépistés, 296 (9,2%) souffraient d’une toux depuis ⩾1 semaine, le plus fréquemment en association avec une perte de poids (72%), des douleurs thoraciques (69%), de la fièvre (64%) et de la dyspnée (58%). L’ensemble des 296 suspects ont fourni des échantillons de crachats ; 34 (11,5%) échantillons étaient positifs pour les BAAR. Pour les 262 détenus restants, on a prescrit une cure de 10 jours de cotrimoxazole à la suite de laquelle la toux a persisté chez 84 détenus (32%). Après une deuxième série d’examens de frottis de crachats, le résultat a été positif pour les BAAR chez quatre détenus. Parmi les 118 échantillons de crachats envoyés pour culture et TSM au NRL, 36 étaient positifs pour M. tuberculosis, 34 de ceux-ci ont confirmé les résultats de l’examen microscopique et deux ont permis le diagnostic de TBP chez des détenus dont la deuxième série d’examens des frottis avaient été négative. Dans l’ensemble, un total de 40 détenus (1,2%) tous de sexe masculin, ont été identifiés comme nouveaux cas de TBP non détectés par le système de lutte antituberculeuse de la prison. Le TSM a délimité les types de résistance suivants : 33 échantillons sensibles aux médicaments antituberculeux de première ligne, deux résistants à l’isoniazide (INH) et à l’éthambutol (EMB) et un résistant uniquement à l’INH. Sur les 40 détenus, 37 atteints d’une TBP nouvellement détectée avaient été en prison pendant ⩾60 jours (extrême 2,5 mois à >10 ans, valeur médiane 10,5 mois). Les trois détenus restants étaient arrivés récemment : deux n’avaient pas fait l’objet d’un dépistage et un avait échappé au dépistage. Parmi les 40 détenus atteints d’une TBP non détectée, 37 (>90%) ont été confinés dans les cellules extrêmement surpeuplées des blocs de cellules 8, 9 et 10 (Figure 2) ; et tous sauf deux de ces détenus étaient incarcérés dans des cellules avec un compagnon détenu déjà sous traitement pour TBP. Si l’on tient Figure 2 Plan de la prison centrale de Yaoundé avec numérotation des blocs de cellules et nombre de cas de tuberculose pulmonaire (•) par bloc de cellules. compte des 65 détenus avec TBP déjà sous traitement au moment de l’enquête, la prévalence de la TBP à la PCY a été de 105 cas, soit une prévalence ponctuelle minimale de 3197 pour 100.000 détenus. Tous les détenus chez lesquels une TBP avait été récemment diagnostiquée ont accepté le test VIH ; le taux d’infection a été de 10% (4/40). Parmi les 3179 détenus sans TBP, 2529 ont subi un test VIH et le diagnostic d’infection VIH a été porté (P = 0,83) chez 197 d’entre eux (7,8%). Facteurs de risque en association avec la TBP Lors de l’analyse univariée, on a noté une association significative entre un diagnostic de TBP et une surpopulation grave, une incarcération antérieure et un traitement antituberculeux antérieur. Vu que l’attribution des cellules et l’incarcération antérieure étaient connectées, et vu que les détenus identifiés comme potentiellement dangereux sont confinés en priorité dans les quartiers les plus largement peuplés, la relation entre TBP et incarcération antérieure disparait dans l’analyse stratifiée. Le modèle de régression logistique qui explique au mieux la TBP non-détectée comporte les variables suivantes : un IMC bas, une surpopulation et un traitement antituberculeux antérieur (Tableau). Vingt-trois (58%) des détenus identifiés comme atteints de TBP au cours de l’enquête avaient présenté des symptômes compatibles avec une TBP au cours de la première année de leur incarcération et 29 (73%) au cours des 2 années d’incarcération. Tableau Modèle de régression logistique exposant les facteurs de risque indépendants en association avec la tuberculose pulmonaire IMC <18,5 kg/m3 Surpopulation Traitement TB antérieur Coefficient Erreur standard Odds ratio IC95% Valeur de P 2,706 1,585 1,402 0,382 0,610 0,445 14,96 4,88 4,06 7,08–31,64 1,48–16,13 1,70–9,71 < 0,001 0,009 0,002 IC = intervalle de confiance ; IMC = index de masse corporelle ; TB = tuberculose. Contrôle de la TBP dans une prison caméronienne DISCUSSION Notre étude a révélé une prévalence élevée (3,3%) de TBP active à la PCY. Une fraction considérable (40/105, 38%) des détenus atteints de TBP n’avaient pas été détectés par le Programme de Lutte Contre la Tuberculose de la prison. Chez 37 de ceux-ci (92%), une maladie active s’était développée pendant le séjour en prison. L’étude a permis également l’identification de trois facteurs de risque en association avec une TBP non détectée, en l’occurrence l’incarcération dans des cellules fortement surpeuplées, un IMC <18,5 kg/m2 et un traitement antituberculeux antérieur. La prévalence élevée de la TB parmi les détenus des prisons d’Afrique sub-saharienne est un phénomène bien connu.3–10 La prévalence ponctuelle de 3,3% de TBP à la PCY confirme la prévalence observée avant la mise en œuvre du programme de lutte contre la TB dans la deuxième prison la plus importante du Cameroun, dans la capitale économique Douala (3,5%).14 Une lutte antituberculeuse couronnée de succès signifie une réduction du pool de détenus atteints de TB contagieuse grâce à un dépistage précoce des cas et à une prise en charge correcte de ces derniers.18 Le dépistage après consultation spontanée et les activités de prise en charge des cas à la PCY sont apparemment bien en place. Le taux de déclaration annuelle des cas de TBP a augmenté d’environ trois fois après la mise en œuvre du programme de lutte et le taux de succès du traitement des patients atteints de TBP dépasse 80% (2007) par comparaison avec une moyenne de 77% pour l’ensemble du pays (rapports annuels du PNT 2006–2008, non publiés). Même si elle est potentiellement dangereuse, la résistance aux médicaments antituberculeux n’a pas atteint des proportions alarmantes. Comme recommandé sur le plan international, la PCY a couplé le dépistage des cas par consultation spontanée avec un dépistage actif des cas.12,19–21 Le dépistage à l’entrée couvre environ 90% des nouvelles admissions et le taux de détection a pu être augmenté grâce à un accroissement de la couverture et une optimisation du dépistage. Toutefois, le maillon le plus faible dans le contexte de la PCY semble être le système de routine de détection des personnes développant une TBP active pendant le séjour en prison. Un examen plus approfondi des facteurs de risque associés à la TBP fournit quelques indications sur les raisons pour lesquelles des facettes importantes de la dynamique de la pathogénèse de la TB peuvent dépasser les capacités du programme de routine de lutte contre la TB à la PCY.17 Le lien entre la transmission de la TB et la surpopulation est un phénomène bien connu. Briggs et coll. avaient identifié les facteurs suivants comme cruciaux pour une transmission effective de la TB dans les espaces confinés : durée prolongée d’exposition, nombre suffisant de gouttelettes contagieuses, petit volume des locaux, densité élevée d’occupation, faible taux 5 de ventilation, proximité du cas-index et durée de contagiosité du cas index.22 La population très dense dans les cellules surpeuplées des blocs 8, 9 et 10 constitue un site idéal pour une transmission continue et efficiente de la TB soit par réactivation endogène ou (ré)infection exogène. Dans cet environnement, le dépistage des contacts peut à peine suivre les nouveaux cas de TB qui surviennent continuellement. Nous avons observé l’association entre un IMC faible et la TBP non détectée. On sait qu’un IMC constitutionnellement faible et a fortiori une malnutrition occasionnelle sont des facteurs de risque de réactivation d’une TB latente et de sa progression vers la maladie. On admet que ce lien est bidirectionnel car la TB peut provoquer la malnutrition ou y prédisposer.23,24 Nous avons néanmoins mis en évidence le budget particulièrement minime attribué à la nutrition dans les prisons et nous avons observé que l’IMC moyen des détenus logés dans les 3 blocs de cellules fortement surpeuplées est significativement plus faible (23,3 kg/m2) que celui des autres détenus (24,4 kg/m2) (P < 0,000). Nous avons observé en outre que presque trois quarts des cas de TBP survenaient au cours des 2 premières années d’incarcération. A première vue, ceci pourrait paraitre peu logique puisqu’on s’attend à ce que le risque de maladie TB augmente avec une durée d’incarcération et donc d’exposition plus longue.1,22 Toutefois, d’autres études ont également signalé que la maladie TB survient plus fréquemment au cours des première et deuxième années d’incarcération.3,5,8,13,14 Sans confondre l’infection avec l’incidence, on peut envisager qu’une fraction importante des détenus atteints de TBP souffrent de « TB primaire »17 liée à leurs conditions de confinement, une sous-fraction d’entre eux encore à déterminer ayant subi une (ré)infection dans la prison. Dans notre étude, l’infection VIH ne semble pas être un facteur de risque en association avec la nondétection de la TBP. Ceci n’est pas le cas lorsque l’on prend en compte tous les cas de TBP prévalents à la PCY au moment de l’étude. Sur les 93 cas de TB prévalents testés pour l’infection VIH, 14 (15,1%, intervalle de confiance à 95% 8,8–23,4) étaient infectés par le VIH par comparaison avec 7,8% dans le reste de la population de la prison (P = 0,03). Néanmoins, même dans ce cas, le rôle de l’infection VIH comme facteur de risque de TBP reste significativement moins important dans la prison que dans la population générale où le taux de co-infection TB-VIH est de 36% dans les cas de TBP (rapport 2008 du PNT, non publié). Notre observation corrobore celle faite dans d’autres prisons du Cameroun.14 Dans le contexte camerounais, caractérisé par une épidémie généralisée de VIH et un fardeau élevé de la TB liée au VIH, nous pouvons considérer cette observation comme un argument en faveur de l’impact particulier des conditions de confinement sur la prévalence de la TBP. 6 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease Notre étude connait plusieurs limitations. L’ensemble des détenus n’a pas pu faire l’objet d’un dépistage en raison de l’absence de certains d’entre eux pour permission temporaire, travail forcé à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison ou une brève apparition ou encore un simple refus de dépistage (dans un petit nombre de cas). Il est possible que les 500 prisonniers environ qui n’ont pas été dépistés pourraient avoir constitué une partie plus saine de la population carcérale. D’autre part, seuls les détenus symptomatiques étaient éligibles pour le dépistage et seuls les cas de TBP confirmés par l’examen bactériologique ont été retenus comme cas de TB. Les résultats de cette étude indiquent que des conditions de confinement semblables à celles du PCY peuvent représenter des obstacles virtuellement insurmontables pour une lutte efficiente contre la TB dans les prisons. Toutefois, seule une étude longitudinale des dynamiques de la maladie dans la prison, commençant par un dépi-stage à l’entrée et utilisant des techniques de génotypage en même temps qu’une évaluation systématique du programme de lutte antituberculeuse dans la prison permettra de tester cette hypothèse de manière approfondie. Dans le contexte de la PCY où existe une rotation importante de la population carcérale, un dépistage biannuel des détenus encourant le risque le plus élevé (c’est-à-dire ceux vivant dans les blocs de cellules 8, 9 et 10) pourrait être une solution intermédiaire, quoiqu’exigeant beaucoup de ressources,25 en attendant que les conditions de confinement à la PCY soient fondamentalement modifiées. 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 CONCLUSIONS En dépit d’un programme de lutte antituberculeuse complet dans la prison, la prévalence globale de la TBP à la PCY reste élevée et inacceptable et comporte une proportion significative de cas non-détectés. Les facteurs de risque en association avec la non-détection de la TBP fournissent la preuve que les conditions de confinement contribuent à un puissant cercle vicieux d’exposition à la TB, de transmission de l’infection et de progression vers la maladie TB. Dans des contextes tels que la PCY, la lutte antituberculeuse ne peut pas réussir en l’absence d’une modification fondamentale des conditions de confinement. Jusqu’à ce moment, les détenus sont doublement punis—incarcérés et continuellement exposés à la TB—et leur situation est une honte pour la santé publique et pour les droits de l’homme. 17 18 19 20 21 22 Références 1 Bock N N. Tuberculosis in correctional facilities. In: Reichmann L B, Hershfield E S, eds. Tuberculosis. A comprehensive international approach. 2nd ed. New York, NY, USA, and Basel, Switzerland: Marcel Dekker, 2000: pp 645–660. 2 Centers for Disease Control and Prevention. Rapid assessment of tuberculosis in a large prison system—Botswana, 2002. 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