Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux conditions de

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Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux conditions de
INT J TUBERC LUNG DIS 15(2):223–227
© 2011 The Union
Contrôle de la tuberculose dans les prisons face aux
conditions de confinement : une cause perdue?
L’expérience du Cameroun
J. Noeske,* N. Ndi,† S. Mbondi*
* German Development Cooperation (GTZ), Yaoundé, † Central Prison of Yaoundé, Kondengui, Yaoundé, Cameroun
RÉSUMÉ
C O N T E X T E : On admet que la tuberculose (TB) est un problème majeur de santé publique dans les prisons d’Afrique
sub-saharienne. Au Cameroun, les principales prisons sont devenues des unités de diagnostic et de traitement au sein
du Programme National de lutte contre la Tuberculose (PNT).
O B J E C T I F : Evaluer l’efficience des activités de routine pour la lutte contre la TB en déterminant la prévalence des cas
de tuberculose pulmonaire (TBP) non détectés dans la prison.
M É T H O D E S : En 2009, une enquête de dépistage de la TBP a été entreprise à la prison centrale de Yaoundé (PCY), au
Cameroun. Tous les prisonniers qui toussaient depuis ⩾1 semaine ont été dépistés par un examen microscopique des
frottis de crachats. Les frottis ont été envoyés au laboratoire national de référence pour culture et tests de sensibilité
aux médicaments (TSM). On a offert à tous les prisonniers un test volontaire de détection du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
R É S U LTAT S : Sur les 3219 détenus ayant fait l’objet d’un dépistage, 40 (1,2%) ont été identifiés comme atteints d’une
TBP alors qu’ils n’avaient pas été repérés par le programme de lutte contre la TB de la prison. Chez les TBP qui
avaient échappé au dépistage, on a noté une association positive avec la surpopulation grave, l’index de masse corporelle faible et les antécédents de traitement de la TB. Sur 40 détenus, quatre (10%) étaient co-infectés par la TB et le
VIH. Le TSM a révélé une résistance aux médicaments antituberculeux chez trois détenus.
C O N C L U S I O N : En dépit d’un programme de lutte contre la TB performant à la PCY, le nombre de cas de TBP non
détectés y reste élevé, de manière inadmissible. Il est douteux que la transmission de la TB puisse être maîtrisée dans
les conditions de confinement existant à la PCY.
M O T S - C L É S : tuberculose pulmonaire ; prévalence ; prison ; contrôle de la TB ; Cameroun
LES POPULATIONS carcérales sont considérées de
manière régulière comme comportant un risque plus
élevé de tuberculose (TB) que les populations civiles
correspondantes.1 Ceci est particulièrement vrai dans
les pays à faibles revenus et à prévalence élevée
d’Afrique sub-saharienne où, au cours de la dernière
décennie, de nombreuses études ont signalé des taux
de prévalence de la TB atteignant un niveau jusqu’à
plus de 40 fois plus élevé dans les prisons que dans la
population générale.2–10 Le taux d’infection par Mycobacterium tuberculosis est élevé dans ces pays et va le
plus souvent de pair avec des épidémies généralisées
du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Mais
par-dessus tout, les conditions d’incarcération sont
habituellement extrêmement précaires et comportent
une surpopulation sévère, la malnutrition, des conditions d’hygiène effroyables et une insuffisance des services médicaux.
Les études de prévalence de la TB dans les prisons
ont eu principalement comme objectif d’attirer l’at-
tention des officiels de la santé et des responsables
des politiques sur ce qui a été récemment appelé « la
honte cachée de la santé publique ».11 L’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) a édité dès 1988 un premier manuel complet pour orienter la lutte antituberculeuse dans les prisons.12 Depuis lors, toutefois, un
petit nombre seulement d’études ont signalé la mise
en œuvre des réponses qui en ont résulté dans les prisons de la région d’Afrique subh-saharienne.13
En 2003–2004, les autorités médicales de la Prison
centrale de Douala (PCD), Cameroun, ont fait une
enquête de prévalence sur la TB pulmonaire (TBP).
La prévalence ponctuelle observée a été de 3,5% pour
la TBP.14 Par voie de conséquence, le Ministère de la
Justice, en collaboration avec le Ministère de la Santé
Publique et le Programme National de lutte contre la
Tuberculose (PNT), ont mis en relation la Prison
Centrale de Douala (PCD) et la Prison centrale de la
capitale, Yaoundé (PCY) avec le réseau des Unités de
Diagnostic et de Traitement de la TB du PNT. Les
Auteur pour correspondance : Jürgen Noeske, Health and AIDS Programme, German Development Cooperation (GTZ),
B P 7814, Bastos, Yaoundé, Cameroun. Tel : (+237) 7750 5000. Fax : (+237) 2221 44 51. e-mail : [email protected]
[Traduction de l’article : « Controlling tuberculosis in prisons against confinement conditions: a lost case? Experience from
Cameroon » Int J Tuberc Lung Dis 2011; 15(2): 223–227]
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The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
procédures de diagnostic et de traitement de la TB
respectent dans ces deux prisons les directives du
PNT qui reposent sur la stratégie DOTS recommandée par l’OMS et l’Union Internationale Contre la
Tuberculose et les Maladies Respiratoires.15 En plus
du dépistage passif ou des consultations spontanées,
on a adopté deux stratégies actives de dépistage, le
dépistage systématique à l’entrée et la recherche des
sujets-contact.
Le programme TB à la Prison Centrale de Yaoundé
a démarré en 2006 ; depuis 2007, la prison a mené un
programme complet de prévention et de traitement
TB-VIH/SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). Le nombre annuel des cas déclarés de tuberculose pulmonaire à bacilloscopie positive des frottis a
augmenté récemment (respectivement 41, 62 et 64 cas
en 2006, 2007 et 2008 selon les rapports non publiés
du PNT).
Afin d’évaluer l’efficience des activités de routine
de lutte contre la TB dans les prisons, nous avons
mené une étude pour déterminer l’étendue de la prévalence de la TBP non-détectée, c’est-à-dire les cas de
TBP manqués soit au cours du dépistage à l’entrée ou
de la recherche des contacts soit encore se présentant
spontanément au service médical pénitentiaire. Cette
étude décrit également les caractéristiques des détenus
atteints de TBP qui n’avaient pas été détectés par le
système de lutte antituberculeuse de la prison, et
identifie les facteurs de risque et les obstacles majeurs
que rencontre le succès d’une lutte antituberculeuse
dans les prisons.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Cette enquête a été menée en juin 2009, à la PCY, la
plus grande prison du Cameroun, située dans la capitale du pays, Yaoundé.
Contexte de l’étude
La PCY, construite en 1968 avec une capacité de
800 prisonniers abrite à tout moment entre 3500 et
4000 détenus, principalement des hommes, dans
120 cellules environ. La rotation annuelle des détenus
est d’environ 60%. A n’importe quel moment, en
moyenne 2750 détenus sont abrités dans trois blocs
de cellules dont la surface totale est d’environ 3000 m2.
Les 55 cellules correspondantes sont gravement surpeuplées (avec une moyenne <0,50 m2 et <1,5 m3
par personne) et sont à peine ventilées. Le budget officiel de l’alimentation s’élève à 0,45 US$ par jour et
par détenu. Les services médicaux sont constitués d’un
docteur en médecine, de neuf infirmières et d’un technicien de laboratoire. La prison ne dispose pas d’équipement radiologique. Le dépistage de la TBP repose
sur les antécédents et les symptômes. Les patients atteints de TBP sont isolés dans la salle d’hospitalisation
au cours de la phase intensive de leur traitement. Un
groupe d’éducateurs-pairs assure régulièrement une
éducation sur la santé concernant la TB, le VIH et les
infections sexuellement transmissibles ; ce groupe
aide également au dépistage des sujets-contact.
Population étudiée
La population de l’étude correspond à l’ensemble des
détenus âgés de 14 ans ou davantage, incarcérés à la
PCY au moment de l’enquête. On a exclu les patients
sous traitement antituberculeux à ce moment.
Après avoir donné un consentement éclairé, chaque
détenu a été interviewé par un des membres du personnel de santé de la prison au moyen d’un questionnaire standardisé. L’information colligée comportait
l’âge, le genre, l’historique et la durée de l’incarcération, la durée de la toux et des symptômes associés et
le traitement antituberculeux antérieur. Les détenus
qui se plaignaient d’une toux persistante depuis 1 semaine ou davantage ont été considérés comme suspects de TBP16 et on leur a demandé de fournir un
échantillon de crachats du petit matin pendant 2 jours
consécutifs. Les détenus dont le frottis d’expectoration était négatif pour les bacilles acido-résistants
(BAAR) ont reçu une cure de 10 jours d’un antibiotique à large spectre, généralement 960 mg de cotrimoxazole deux fois par jour. Si la toux persistait, on
a recueilli une deuxième série d’échantillons de crachats comme décrit plus haut. Les échantillons de
crachats positifs pour les BAAR et ceux des suspects
sans autre cause évidente de toux prolongée ont été
envoyés au Laboratoire Nationale de Référence de la
Tuberculose (NRL) pour culture et tests de sensibilité
aux médicaments (TSM).
Un cas de TBP a été défini dans cette étude comme
un détenu dont l’expectoration était positive à l’examen direct ou à la culture. Le processus de dépistage
et de diagnostic de la TBP est résumé à la Figure 1.
Les détenus atteints d’une TBP positive à l’examen
direct des frottis ou à la culture et les détenus restant
suspects de TBP après une deuxième série d’examens
négatifs des frottis de crachats ont été traités selon les
directives du PNT.14
Un accompagnement et des tests volontaires pour
le VIH (VCT) ont été offerts à tous les suspects de
TBP ainsi qu’aux détenus qui n’en avaient pas bénéficié à l’entrée. On a détecté des anticorps anti-VIH au
moyen de deux tests rapides conformément aux instructions du Comité national de Lutte contre le
SIDA.17 Les prisonniers dont le résultat du test VIH
était positif se sont vus offrir un traitement prophylactique au cotrimoxazole, des décomptes de CD4 et
en cas d’indication, un traitement antirétroviral.
La Délégation Régionale de l’Administration Pénitentiaire a donné une autorisation administrative et
éthique à cette étude.
Analyse des données
On a effectué une double entrée des données suivie
du nettoyage des données au moyen d’Epi Info 6.04d
(Centers for Disease Control, Atlanta, GA, États-Unis).
On a calculé la prévalence de la TBP non-détectée
Contrôle de la TBP dans une prison caméronienne
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Figure 1 Algorithme de détection de la TBP à la Prison Centrale de Yaoundé. TBP = tuberculose pulmonaire ; VCT = accompagnement et traitement volontaires du VIH ; VIH = virus de
l’immunodéficience humaine ; BAAR = bacilles acido-résistants.
définie comme une TBP positive à l’examen direct
et/ou à la culture ainsi que les facteurs de risque associés à cette TBP. Pour la comparaison des proportions,
on a utilisé le test χ2. Les moyennes ont été comparées
par le test-t de Student. Les différences dont le P était
< 0,05 ont été considérées comme significatives.
RÉSULTATS
Caractéristiques de la population de l’étude
Au cours de l’enquête, le nombre moyen de détenus
présents à la PCY a été de 3779. Au moment du dé-
pistage, 65 (1,7%) des détenus étaient sous traitement antituberculeux pour une TBP. Selon le registre,
41(63%) de ces détenus avaient été détectés après
consultation spontanée, deux (3%) lors du dépistage
à l’entrée et 22 (34%) par le dépistage des contacts.
Au total, on a enrôlé 3219 (86,7%) détenus dont les
données concernant le statut TB avaient été notées. Il
s’agissait dans une large majorité d’hommes (n =
3120, 96,9%), d’un âge moyen de 30,0 ± 9,6 ans
(extrêmes 14–79). La période médiane d’incarcération dans la prison a été de 10 mois (extrêmes 1 jour–
38 ans). Plus de trois quarts des détenus n’avaient pas
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The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
encore été condamnés ; 716 avaient des antécédents
d’incarcération antérieure. L’index de masse corporelle
(IMC) parmi les détenus dépistés étaient en moyenne
de 22,1 kg/m2 (extrêmes 10,7–48,6) ; 106 (3,3%) détenus souffraient de malnutrition (<18,5 kg/m2) et
tous sauf un (0,9%) avaient été incarcérés depuis au
moins 1 mois. Au total, 163 (5,0%) détenus se souvenaient d’un traitement antérieur pour TB.
Prévalence de la TBP et de l’infection VIH
Parmi les 3219 détenus dépistés, 296 (9,2%) souffraient d’une toux depuis ⩾1 semaine, le plus fréquemment en association avec une perte de poids
(72%), des douleurs thoraciques (69%), de la fièvre
(64%) et de la dyspnée (58%). L’ensemble des 296
suspects ont fourni des échantillons de crachats ; 34
(11,5%) échantillons étaient positifs pour les BAAR.
Pour les 262 détenus restants, on a prescrit une cure
de 10 jours de cotrimoxazole à la suite de laquelle la
toux a persisté chez 84 détenus (32%). Après une
deuxième série d’examens de frottis de crachats, le résultat a été positif pour les BAAR chez quatre détenus. Parmi les 118 échantillons de crachats envoyés
pour culture et TSM au NRL, 36 étaient positifs pour
M. tuberculosis, 34 de ceux-ci ont confirmé les résultats de l’examen microscopique et deux ont permis le
diagnostic de TBP chez des détenus dont la deuxième
série d’examens des frottis avaient été négative. Dans
l’ensemble, un total de 40 détenus (1,2%) tous de
sexe masculin, ont été identifiés comme nouveaux cas
de TBP non détectés par le système de lutte antituberculeuse de la prison.
Le TSM a délimité les types de résistance suivants :
33 échantillons sensibles aux médicaments antituberculeux de première ligne, deux résistants à l’isoniazide (INH) et à l’éthambutol (EMB) et un résistant
uniquement à l’INH. Sur les 40 détenus, 37 atteints
d’une TBP nouvellement détectée avaient été en prison pendant ⩾60 jours (extrême 2,5 mois à >10 ans,
valeur médiane 10,5 mois). Les trois détenus restants
étaient arrivés récemment : deux n’avaient pas fait
l’objet d’un dépistage et un avait échappé au dépistage. Parmi les 40 détenus atteints d’une TBP non détectée, 37 (>90%) ont été confinés dans les cellules
extrêmement surpeuplées des blocs de cellules 8, 9 et
10 (Figure 2) ; et tous sauf deux de ces détenus étaient
incarcérés dans des cellules avec un compagnon
détenu déjà sous traitement pour TBP. Si l’on tient
Figure 2 Plan de la prison centrale de Yaoundé avec numérotation des blocs de cellules et nombre de cas de tuberculose
pulmonaire (•) par bloc de cellules.
compte des 65 détenus avec TBP déjà sous traitement
au moment de l’enquête, la prévalence de la TBP à la
PCY a été de 105 cas, soit une prévalence ponctuelle
minimale de 3197 pour 100.000 détenus.
Tous les détenus chez lesquels une TBP avait été
récemment diagnostiquée ont accepté le test VIH ; le
taux d’infection a été de 10% (4/40). Parmi les 3179
détenus sans TBP, 2529 ont subi un test VIH et le diagnostic d’infection VIH a été porté (P = 0,83) chez
197 d’entre eux (7,8%).
Facteurs de risque en association avec la TBP
Lors de l’analyse univariée, on a noté une association
significative entre un diagnostic de TBP et une surpopulation grave, une incarcération antérieure et un traitement antituberculeux antérieur. Vu que l’attribution
des cellules et l’incarcération antérieure étaient connectées, et vu que les détenus identifiés comme potentiellement dangereux sont confinés en priorité dans les
quartiers les plus largement peuplés, la relation entre
TBP et incarcération antérieure disparait dans l’analyse stratifiée. Le modèle de régression logistique qui
explique au mieux la TBP non-détectée comporte les
variables suivantes : un IMC bas, une surpopulation
et un traitement antituberculeux antérieur (Tableau).
Vingt-trois (58%) des détenus identifiés comme
atteints de TBP au cours de l’enquête avaient présenté
des symptômes compatibles avec une TBP au cours
de la première année de leur incarcération et 29 (73%)
au cours des 2 années d’incarcération.
Tableau Modèle de régression logistique exposant les facteurs de risque indépendants en
association avec la tuberculose pulmonaire
IMC <18,5 kg/m3
Surpopulation
Traitement TB antérieur
Coefficient
Erreur
standard
Odds
ratio
IC95%
Valeur
de P
2,706
1,585
1,402
0,382
0,610
0,445
14,96
4,88
4,06
7,08–31,64
1,48–16,13
1,70–9,71
< 0,001
0,009
0,002
IC = intervalle de confiance ; IMC = index de masse corporelle ; TB = tuberculose.
Contrôle de la TBP dans une prison caméronienne
DISCUSSION
Notre étude a révélé une prévalence élevée (3,3%) de
TBP active à la PCY. Une fraction considérable
(40/105, 38%) des détenus atteints de TBP n’avaient
pas été détectés par le Programme de Lutte Contre la
Tuberculose de la prison. Chez 37 de ceux-ci (92%),
une maladie active s’était développée pendant le séjour
en prison. L’étude a permis également l’identification
de trois facteurs de risque en association avec une TBP
non détectée, en l’occurrence l’incarcération dans des
cellules fortement surpeuplées, un IMC <18,5 kg/m2
et un traitement antituberculeux antérieur.
La prévalence élevée de la TB parmi les détenus
des prisons d’Afrique sub-saharienne est un phénomène bien connu.3–10 La prévalence ponctuelle de
3,3% de TBP à la PCY confirme la prévalence observée avant la mise en œuvre du programme de lutte
contre la TB dans la deuxième prison la plus importante du Cameroun, dans la capitale économique
Douala (3,5%).14 Une lutte antituberculeuse couronnée de succès signifie une réduction du pool de détenus atteints de TB contagieuse grâce à un dépistage
précoce des cas et à une prise en charge correcte de
ces derniers.18 Le dépistage après consultation spontanée et les activités de prise en charge des cas à la
PCY sont apparemment bien en place. Le taux de déclaration annuelle des cas de TBP a augmenté d’environ trois fois après la mise en œuvre du programme
de lutte et le taux de succès du traitement des patients
atteints de TBP dépasse 80% (2007) par comparaison avec une moyenne de 77% pour l’ensemble du
pays (rapports annuels du PNT 2006–2008, non publiés). Même si elle est potentiellement dangereuse, la
résistance aux médicaments antituberculeux n’a pas
atteint des proportions alarmantes. Comme recommandé sur le plan international, la PCY a couplé le
dépistage des cas par consultation spontanée avec un
dépistage actif des cas.12,19–21 Le dépistage à l’entrée
couvre environ 90% des nouvelles admissions et le
taux de détection a pu être augmenté grâce à un accroissement de la couverture et une optimisation du
dépistage. Toutefois, le maillon le plus faible dans le
contexte de la PCY semble être le système de routine
de détection des personnes développant une TBP active
pendant le séjour en prison. Un examen plus approfondi des facteurs de risque associés à la TBP fournit
quelques indications sur les raisons pour lesquelles des
facettes importantes de la dynamique de la pathogénèse de la TB peuvent dépasser les capacités du programme de routine de lutte contre la TB à la PCY.17
Le lien entre la transmission de la TB et la surpopulation est un phénomène bien connu. Briggs et coll.
avaient identifié les facteurs suivants comme cruciaux
pour une transmission effective de la TB dans les espaces confinés : durée prolongée d’exposition, nombre
suffisant de gouttelettes contagieuses, petit volume
des locaux, densité élevée d’occupation, faible taux
5
de ventilation, proximité du cas-index et durée de
contagiosité du cas index.22 La population très dense
dans les cellules surpeuplées des blocs 8, 9 et 10 constitue un site idéal pour une transmission continue et efficiente de la TB soit par réactivation endogène ou
(ré)infection exogène. Dans cet environnement, le dépistage des contacts peut à peine suivre les nouveaux
cas de TB qui surviennent continuellement.
Nous avons observé l’association entre un IMC
faible et la TBP non détectée. On sait qu’un IMC
constitutionnellement faible et a fortiori une malnutrition occasionnelle sont des facteurs de risque de
réactivation d’une TB latente et de sa progression
vers la maladie. On admet que ce lien est bidirectionnel car la TB peut provoquer la malnutrition ou y
prédisposer.23,24 Nous avons néanmoins mis en évidence le budget particulièrement minime attribué à la
nutrition dans les prisons et nous avons observé que
l’IMC moyen des détenus logés dans les 3 blocs de
cellules fortement surpeuplées est significativement
plus faible (23,3 kg/m2) que celui des autres détenus
(24,4 kg/m2) (P < 0,000).
Nous avons observé en outre que presque trois
quarts des cas de TBP survenaient au cours des 2 premières années d’incarcération. A première vue, ceci
pourrait paraitre peu logique puisqu’on s’attend à ce
que le risque de maladie TB augmente avec une durée
d’incarcération et donc d’exposition plus longue.1,22
Toutefois, d’autres études ont également signalé que
la maladie TB survient plus fréquemment au cours des
première et deuxième années d’incarcération.3,5,8,13,14
Sans confondre l’infection avec l’incidence, on peut
envisager qu’une fraction importante des détenus atteints de TBP souffrent de « TB primaire »17 liée à leurs
conditions de confinement, une sous-fraction d’entre
eux encore à déterminer ayant subi une (ré)infection
dans la prison.
Dans notre étude, l’infection VIH ne semble pas
être un facteur de risque en association avec la nondétection de la TBP. Ceci n’est pas le cas lorsque l’on
prend en compte tous les cas de TBP prévalents à la
PCY au moment de l’étude. Sur les 93 cas de TB prévalents testés pour l’infection VIH, 14 (15,1%, intervalle de confiance à 95% 8,8–23,4) étaient infectés
par le VIH par comparaison avec 7,8% dans le reste
de la population de la prison (P = 0,03). Néanmoins,
même dans ce cas, le rôle de l’infection VIH comme
facteur de risque de TBP reste significativement moins
important dans la prison que dans la population générale où le taux de co-infection TB-VIH est de 36%
dans les cas de TBP (rapport 2008 du PNT, non publié). Notre observation corrobore celle faite dans
d’autres prisons du Cameroun.14 Dans le contexte camerounais, caractérisé par une épidémie généralisée
de VIH et un fardeau élevé de la TB liée au VIH, nous
pouvons considérer cette observation comme un argument en faveur de l’impact particulier des conditions de confinement sur la prévalence de la TBP.
6
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
Notre étude connait plusieurs limitations. L’ensemble des détenus n’a pas pu faire l’objet d’un dépistage en raison de l’absence de certains d’entre eux
pour permission temporaire, travail forcé à l’intérieur
ou à l’extérieur de la prison ou une brève apparition
ou encore un simple refus de dépistage (dans un petit
nombre de cas). Il est possible que les 500 prisonniers
environ qui n’ont pas été dépistés pourraient avoir
constitué une partie plus saine de la population carcérale. D’autre part, seuls les détenus symptomatiques étaient éligibles pour le dépistage et seuls les cas
de TBP confirmés par l’examen bactériologique ont été
retenus comme cas de TB. Les résultats de cette étude
indiquent que des conditions de confinement semblables à celles du PCY peuvent représenter des obstacles virtuellement insurmontables pour une lutte efficiente contre la TB dans les prisons. Toutefois, seule
une étude longitudinale des dynamiques de la maladie
dans la prison, commençant par un dépi-stage à l’entrée et utilisant des techniques de génotypage en même
temps qu’une évaluation systématique du programme
de lutte antituberculeuse dans la prison permettra de
tester cette hypothèse de manière approfondie.
Dans le contexte de la PCY où existe une rotation
importante de la population carcérale, un dépistage
biannuel des détenus encourant le risque le plus élevé
(c’est-à-dire ceux vivant dans les blocs de cellules 8, 9
et 10) pourrait être une solution intermédiaire, quoiqu’exigeant beaucoup de ressources,25 en attendant
que les conditions de confinement à la PCY soient
fondamentalement modifiées.
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CONCLUSIONS
En dépit d’un programme de lutte antituberculeuse
complet dans la prison, la prévalence globale de la TBP
à la PCY reste élevée et inacceptable et comporte une
proportion significative de cas non-détectés. Les facteurs de risque en association avec la non-détection
de la TBP fournissent la preuve que les conditions de
confinement contribuent à un puissant cercle vicieux
d’exposition à la TB, de transmission de l’infection et
de progression vers la maladie TB. Dans des contextes
tels que la PCY, la lutte antituberculeuse ne peut pas
réussir en l’absence d’une modification fondamentale
des conditions de confinement. Jusqu’à ce moment,
les détenus sont doublement punis—incarcérés et
continuellement exposés à la TB—et leur situation est
une honte pour la santé publique et pour les droits de
l’homme.
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