Le Père Claude Larre, un Maître de Vie
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Le Père Claude Larre, un Maître de Vie
2007, 6 (1) Jean-Marc Kespi Le Père Claude Larre, un Maître de Vie Il est des êtres qui, outre d’enseigner la musique, la peinture, la médecine, la sinologie…, sont des « Maîtres de Vie » ; ils nous transmettent un regard original sur le vivant, une autre façon d’envisager l’existence. Libre et visionnaire, le Père Claude Larre était de ceux-là. J’ai envie d’égrener quelques souvenirs. Dans les années 1970, je prends contact avec l’École Européenne d’Acupuncture, alors rue Poncelet, le mardi soir. À la fin de mon deuxième cours, le Père Larre m’interroge : « Comment vous sentez vous ici ? » . « Je ne comprends rien, répondis-je, mais en vous écoutant je vois les souffles aller et venir et suivre les méandres du yin-yang ; de plus j’aime la musique que vous faites avec Jean* et Élisabeth ». « Alors restez, vous êtes chez vous » me répond-il. Je le suis encore aujourd’hui. Quelques phrases me viennent, dites au cours de séminaires de l’EEA, qui sont de celles qui changent le regard que vous portez sur la vie ; je cite de mémoire. « Que cela soit dit ou non, toujours la médecine chinoise insère l’Homme entre Ciel et Terre et l’enracine dans l’unité ». À propos de Shiming : « alors le Cœur de l’homme est celui de l’univers » ! Le point d’interrogation [exclamation ?] dit mon étonnement émerveillé. « Le Ciel qui est par-dessus l’homme est en réalité au cœur du cœur de l’homme ». Au cours d’un séminaire sur les méridiens curieux, dialectisant zhong, ordinaire et qi, extraordi- naire : « est ordinaire la vie en tant qu’elle se déroule, qu’elle soit ou non accessible, mesurable, proche ou lointaine ; est extraordinaire la création d’une vie, son émergence à partir de l’indistinct, de l’indifférencié, de l’invisible, son enracinement dans l’éternel ». Une autre pensée, tellement vraie, entendue quelques semaines avant sa mort, rue de Grenelle : « Jean-Marc, un être humain est tellement signifiant et insignifiant à la fois ». Je suis peu sensible au rituel religieux. Seul, le père Claude Larre m’a fait percevoir ce que pouvait être l’essence d’une messe. Entrant dans la chapelle de la Cité Universitaire pour célébrer la messe de funérailles de Jean Schatz, parcourant du regard tous les assistants, il dit « il y a ici des catholiques romains, des orthodoxes, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des agnostiques ; il n’y a qu’une prière commune, c’est le silence » ; et il célébra cette messe sans mot dire. Je suis encore bouleversé quand je l’évoque. Claude Larre a contribué à changer mon regard sur la Vie et la médecine. Le destin a été généreux, qui m’a fait le croiser, avec Chamfrault et Nguyen van Nghi et qui a placé Élisabeth Rochat de la Vallée à ses côtés. Dr Jean-Marc Kespi Paris, 19 janvier 2007 * Jean Schatz, co-fondateur avec Claude Larre et Élisabeth Rochat de la Vallée de l’École Européenne d’Acupuncture [NDR].