ENRICHISSEMENT DES ALIMENTS EN ACIDES GRAS OMEGA

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ENRICHISSEMENT DES ALIMENTS EN ACIDES GRAS OMEGA
ENRICHISSEMENT DES ALIMENTS EN ACIDES GRAS OMEGA-3 :
POSSIBILITES ET LIMITES
PR DR IR BRUNO DE MEULENAER
UNITE DE QUALITÉ ET DE SÉCURITÉ DE L’ALIMENTATION
UNIVERSITEIT GENT
E-mail : [email protected]
www.foodchem.UGent.be – www.nutrition.UGent.be
L’alimentation joue un rôle central lorsqu’il s’agit d’augmenter la prise moyenne d’acides
gras oméga-3. Les aliments contenant naturellement une forte quantité de ces acides gras
polyinsaturés favorables à la santé, notamment les poissons gras, sont souvent trop peu
consommés. Aussi l’industrie agro-alimentaire enrichit-elle de plus en plus ses produits en
acides gras oméga-3. Mais le consommateur peut également apporter une importante
contribution en adaptant légèrement la préparation de ses repas. Cette conférence examine les
possibilités dont l’industrie alimentaire et le consommateur disposent pour enrichir les
aliments en oméga-3, ainsi que les éventuels facteurs limitants.
Il existe deux méthodes pour enrichir les aliments en acides gras oméga-3. Les produits
animaux – viande, laitages, œufs – peuvent être supplémentés indirectement, via
l’alimentation du bétail. L’autre moyen est l’enrichissement direct des produits alimentaires,
auxquels l’on ajoute une matière première riche en acides gras oméga-3. Cette deuxième
méthode est aussi applicable dans la préparation des repas.
Quelle que soit la stratégie d’enrichissement, deux paramètres conditionnent étroitement
l’impact final de la consommation des aliments concernés sur la prise totale d’acides gras
oméga 3 : la composition des acides gras et la teneur en graisses. Dans ce contexte, il est peutêtre plus intéressant de supplémenter en oméga-3 les aliments déjà riches en lipides.
Augmenter la quantité d’oméga-3 dans un tissu musculaire maigre, par exemple, est
probablement moins efficace que d’enrichir des charcuteries grasses comme le pâté ou la
saucisse.
La composition des produits finis en acides gras dépend dans une large mesure des matières
premières utilisées pour réaliser l’enrichissement en acides gras oméga-3. La méthode retenue
joue également un rôle.
Enrichissement des aliments en omega-3 : possibilités et limites ▪ Bruno De Meulenaer ▪
Symposium « Omega-3, Alimentation et santé » ▪ Institut Danone ▪ 22/10/2005 ▪1▪
Des études portant sur les ruminants (vache) et les non-ruminants (mouton, porc) montrent
qu’une hausse de la teneur en acide alphalinoléique dans l’alimentation des animaux entraîne
une présence accrue de cet acide gras à la fois dans la graisse intermusculaire et dans le tissu
graisseux. On observe la même tendance dans la graisse du lait. Chez le poulet, on assiste
même à une transformation partielle en DHA (acide docasahexanoïque) fortement insaturé,
dans la graisse corporelle comme dans le jaune d’œuf. Si l’on cherche spécifiquement à
relever la teneur en EPA (acide eicosapentanoïque) et en DHA, il convient d’ajouter de l’huile
de poisson ou de la farine de poisson à l’alimentation du bétail.
Le rôle déterminant de la composition en acides gras de l’alimentation animale dans celle de
la graisse de l’animal peut aussi avoir des conséquences négatives, en particulier chez le
poisson d’élevage. Il ressort de différentes études que le remplacement de l’huile et de la
farine de poisson par des graisses et protéines végétales (p.ex. le soja) dans l’alimentation
piscicole peut modifier considérablement la composition en acide gras du poisson. Les acides
gras oméga-6 augmentent aux dépens des oméga-3 et -9. Ce remplacement s’impose en raison
du succès croissant de la pisciculture, qui entraîne un risque d’épuisement du cheptel utilisé
pour produire la farine de poisson.
Il est évident qu’une supplémentation directe des aliments en matières premières riches en
oméga 3 permet un enrichissement mieux ciblé. La composition en acides gras de la matière
première influence en effet directement celle du produit fini. Il est donc bon de se pencher sur
la composition en acide gras des ingrédients qui serviront à l’enrichissement. Si l’on fait appel
à des huiles végétales, l’on retiendra une sélection d’huiles de soja, de colza et de lin. Le seul
acide gras oméga 3 que l’on trouve dans ces huiles est l’acide alphalinoléique. Il y a
cependant dans leur composition en acides gras des différences importantes, qui se traduisent
par une proportion très variable d’oméga 3 et oméga 6 (8, 9 et 50 % ; 0,15, 0,45 et 4 pour
l’huile de soja, de colza et de lin). L’impact de ces huiles sur la prise d’acide alphalinoléique
est peut-être supérieur à ce que l’on obtiendrait par une addition de margarine ou de beurre
enrichi. Pour la supplémentation en acides gras insaturés à chaîne longue (EPA et DHA),
l’huile de poisson est particulièrement indiquée. Dans certains cas, les œufs enrichis sont
également possibles. Ici encore, il convient de tenir compte des différences entre les huiles de
poisson, en termes de composition en acides gras en général, en EPA et DHA en particulier.
Avec la stratégie d’enrichissement direct, le consommateur peut contribuer lui-même à
augmenter sa prise d’acides gras oméga-3. Il suffit par exemple de faire appel aux œufs
enrichis dans la pâtisserie, ou d’utiliser judicieusement l’huile de soja et de colza dans les
préparations froides et chaudes.
Une remarque s’impose à cet égard. Le mode de préparation peut en effet influencer
notablement la teneur finale en graisses du produit et sa composition en acides gras. Les
recherches montrent que la teneur du poisson maigre en acides gras oméga-3 chute
rapidement si l’on cuit dans la margarine ou l’huile d’olive, surtout parce que la graisse de
cuisson est absorbée par le poisson. Dans le poisson gras aussi, l’on assiste à une baisse
sensible du taux d’oméga-3, mais plutôt parce que la graisse de cuisson prend la place de celle
du poisson. Les résultats sont naturellement comparables lors de la cuisson de viande maigre
enrichie.
Nous pouvons donc conclure que s’il existe plusieurs manières d’enrichir les aliments en
acides gras oméga-3, il nous faut nous interroger quant aux conséquences de l’enrichissement
sur les autres caractéristiques de qualité des aliments enrichis.
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Symposium « Omega-3, Alimentation et santé » ▪ Institut Danone ▪ 22/10/2005 ▪2▪
Le principal changement à prévoir concerne la stabilité chimique de ces aliments. On sait en
effet que les acides gras insaturés sont sensibles à l’oxydation. La sensibilité des acides gras à
l’oxydation augmente de façon exponentielle avec le nombre de liaisons doubles. Les
aliments enrichis en acides gras fortement insaturés (EPA, 5 doubles liaisons ; DHA, 6
doubles liaisons) sont donc peut-être particulièrement fragiles. L’oxydation des graisses est
une des principales réactions responsables de la dégradation chimique des aliments. Elle
suscite une odeur et un goût de rance suite à la formation des produits secondaires volatils de
l’oxydation. L’oxydation peut aussi provoquer une décoloration, par exemple de la viande.
Mais l’oxydation n’est pas seulement un problème sensoriel. Outre la perte de valeur
alimentaire, les graisses oxydées représentent aussi un risque pour la sécurité. Divers
composés toxiques se forment, et il convient de ne pas négliger les liaisons très réactives qui
peuvent être à l’origine d’un stress oxydatif accru dans l’organisme humain.
Pour limiter l’oxydation, le consommateur peut appliquer quelques règles de base. La lumière
favorisant l’oxydation, elle doit être évitée au maximum. L’emploi d’huile de poisson ou de
lin comme graisse de cuisson est déconseillé, vu leur caractère fortement insaturé. L’huile de
soja et de colza se prêtent à la friture, mais ne peuvent servir qu’une fois, et sans chauffage
excessif.
L’industrie alimentaire peut réduire fortement la sensibilité à l’oxydation en choisissant une
stratégie d’enrichissement adéquate. Outre la composition en acide gras, elle doit prendre en
compte la présence d’anti-oxydants et de pro-oxydants naturels. Des influences matricielles
spécifiques jouent également un rôle important.
Pour conclure, l’enrichissement des aliments en acides gras oméga 3 est techniquement
réalisable, à condition d’appliquer des méthodes soigneusement réfléchies pour garantir la
stabilité et la sécurité du produit. La complexité et la diversité des produits alimentaires
empêchent cependant de formuler une stratégie universelle offrant ces garanties. Une
approche experte, cas par cas, est le meilleur moyen pour faire de ce développement
nutritionnel intéressant une réussite dans l’industrie alimentaire.
Mais le consommateur porte lui aussi une importante responsabilité. D’une part, il peut
modifier judicieusement ses habitudes de préparation des aliments. D’autre part, il obtiendra
des résultats optimaux avec un minimum d’effort en choisissant et en utilisant intelligemment
ses aliments.
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