À CŒUR PERDU

Transcription

À CŒUR PERDU
LÉA GOLDER
(Anne-Sophie Golder - Laude)
À CŒUR PERDU
198, rue de Tolbiac
75013 PARIS
06.87.94.43.72
[email protected]
N° de protection SGDL :
Synopsis ou quatrième de couverture :
Luna, dont la destinée est écrite comme sur du papier à musique, convoite la tragédie.
Issue d’une famille parfaite, fiancée à l’homme idéal, elle désire mériter son bonheur sans
pour autant se sentir la force de rompre cet équilibre.
Forcée d’y renoncer suite à la découverte de l’infidélité chronique de son pseudo prince
charmant, elle se jette à corps perdu dans une accumulation d’expériences qui ne la
satisfont pas pour autant.
Personnage à la tête dans les nuages et les pieds cimentés dans le sol, elle fantasme
son bonheur à travers plusieurs rencontres fortuites, établies sur des regards hostiles, un
jeu d’ignorance et des occasions manquées avec Léo, son jumeau spirituel, qui
s’exprimait jusqu’ici en voix off*.
Leur histoire fantasmée séparément sera vécue sous les deux angles, nos deux héros
s’obstinant à vivre naturellement malgré la présence fantomatique et obsessionnelle de
l’autre. Jusqu’à ce que nos deux amoureux de la solitude se mélangent enfin…
Mais le passé de Luna la rattrape quand elle décide de prendre le risque de l’amour,
prête à affronter la linéarité du bonheur, elle « gagne » le malheur qu’elle n’espérait plus.
(* en italique dans le texte)
Anne-Sophie Golder-Laude dite Léa Golder est âgée de 31 ans.
À cœur perdu est son premier roman. Elle a également écrit un
thriller psychologique et un conte philosophique.
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N° SGDL :
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« Ton affaire c’est de jouer correctement le personnage qui t’a été confié, quant à le choisir c’est
celle d’un autre. »
Epictète
TGV Avignon- Paris ou plus précisément résidence secondaire parentale – studio de
tourtereaux.
Trajet parfait après vacances paradisiaques. Une jeune mère actionne l’ouverture facile
d’un paquet de biscuits pour son adorable bambin en bermuda rayé, un couple
s’émerveille d’un coup de pied résonnant depuis le ventre de madame, quatre adolescents
de bonne famille jouent calmement au tarot.
Luna referme L’Écume des Jours, et s’apprête à se laisser glisser dans les méandres
délicieuses de la sieste quand une légère vibration la rappelle à la réalité: « Princesse,
mon cœur vibre d’avance de retrouver ton étreinte, je serai là à ton arrivée ». Un SMS
comme tant d’autres à savoir toujours romantique mais jamais redondant de son cher et
tendre.
« Tu veux un peu de thé à la bergamote ma puce ? » ce matin encore, Luna partageait
le traditionnel petit déjeuner estival en compagnie de ses parents et de ses deux frères.
Pinède odorante, terrasse couleur ocre, robe de chambre en satin, piscine bleu lagon, rien
ne dépassait.
Vingt-deux ans d’existence et seuls des clichés sur papier sépia remplissent son albumsouvenir. Des études supérieures de Commerce à Paris, un fiancé prévenant, un physique
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passablement harmonieux, bref la promesse d’un avenir brillant à tous les niveaux. Un
poste de cadre dans une multinationale de luxe, une silhouette en aucun cas altérée par
quatre accouchements sous péridurale, un époux amoureux comme aux premiers émois,
un loft à Paris et une villa au soleil avec piscine, voilà le destin rectiligne qui se grave
progressivement sur la portée sans fausse note de l’existence de Luna, suivant le modèle
des générations précédentes de sa lignée.
A ce stade peu avancé de sa vie, Luna est déjà condamnée au bonheur. Et c’est bien
ça son ombre au tableau. Une ombre fictive, imaginaire, fantasmée même…Visiblement,
Luna est victime d’un bogue dans le programme éducatif de ses parents, à trop étaler leur
joie d’avoir fondé une famille, Luna sent percer en elle le stylet de sa hantise viscérale:
leur ressembler.
Vingt-deux ans et déjà fatiguée de traîner la casserole si légère de la facilité: elle réussit
ses études sans se fouler et quand il a fallu séduire son idéal masculin, elle y est
parvenue sans efforts. Sa seule bouffée d’air frais dans son existence linéaire : les films et
romans tragiques dont elle se gave sans satiété. Systématiquement rattrapée par sa
morne réalité bienheureuse, elle rumine en sourdine cette idée persistante qu’un destin
n’a de valeur que s’il prend une tournure dramatique. « Oui - se ressasse-t-elle en
espérant que le train déraille - l’ordinaire est une tare, seules valent les passions, au sens
étymologique du terme, à savoir la souffrance ».
Syndrome de narcissisme contrarié : Luna convoite la tragédie pour l’intérêt - légitime
pense-t-elle - qu’elle provoque. Globalement, Luna rêverait d’être reconnue pour sa dignité
face au malheur. Mais ce dernier la boude. Pourquoi l’applaudirait-on de faits dont elle
n’est pas responsable, quelle estime pourrait-elle tirer de tout ce qui lui tombe tout cuit
dans les mains ? Au bout du compte, sa véritable problématique consiste à déterminer la
tragédie qui lui offrirait cette perspective paradoxale d’épanouissement. Tout simplement :
il lui faudrait s’enfoncer elle-même la tête sous l’eau pour pouvoir être fière par la suite de
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N° SGDL :
s’être sauvée toute seule de la noyade. Autrement elle risque de se scléroser dans la
félicité conventionnelle.
Mais tétanisée par l’idée de rater sa vie et statufiée dans son moule désormais trop
étriqué, Luna persiste à jouer la comédie du bonheur et de l’ambition depuis son absence
de crise d’adolescence.
Arrivée gare de Lyon sans une pincée de contretemps, la SNCF y compris s’obstine à
entretenir la fadeur programmée de son existence.
Se trouver un malheur dans la vie, au moment où elle pose le pied sur le quai, Luna
vient de prendre sa première résolution digne de ce nom…
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N° SGDL :
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«Deux êtres qui s’aiment ne font qu’un : lequel ?»
Nancy Huston (Journal de la Création)
Elle L’imagine déjà au bout du quai, avec Ses cheveux parfaitement décoiffés, Son jean
parfaitement délavé, et Son livre soigneusement corné aux pages qui L’ont marqué.
La figure de magazine qui attend Luna, c’est Constant, à savoir Lui, Il, Celui qui, ou tout
autre troisième pronom personnel singulier s’il en est, peu importe du moment que ça
commence par une majuscule. Constant, le gendre idéal avec qui Luna vit ou plutôt en
compagnie de qui elle conduit la pelleteuse qui creuse leur douillette tombe nuptiale.
Constant, elle ne s’est même pas vraiment battue pour le conquérir, elle l’avait certes
convoité, le temps de se décider à l’aborder, à savoir le temps d’un battement de cils.
L’homme que le destin ou la coïncidence avait posé sur la même rangée qu’elle, avec le
même accoudoir à partager, dans l’amphi de leur premier jour en Ecole Supérieure de
Condescendance. Constant, si parfaitement rangé dans ce monde tellement parfaitement
imparfait.
En cet instant précis elle sait qu’il lève de temps à autre son nez harmonieusement
retroussé pour l’apercevoir le plus tôt possible, et alors ses dents blanches et alignées lui
dévoileront un sourire tout en dosage savant de calme et d’excitation. Il anticipera sa
venue pour la débarrasser de ses bagages en l’admirant de ses yeux verts émeraude, lui
donnera un baiser sans aucun filet de bave sur le front puis les lèvres, et alors la foule leur
creusera un passage jusqu’au taxi qu’il a réservé. Pas un ingrédient de conte de fées ne
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N° SGDL :
fait défaut. Mais les fées font la sourde oreille au souhait le plus cher de Luna depuis sa
descente du wagon : se transformer en animal à carapace. Ou remonter illico dans ce
reptile ferroviaire pour détaler en sens inverse. À quoi bon. À l’autre terminus de la cité
des Papes, une famille de clones de Constant est prête à lui ouvrir chaleureusement les
bras en toute circonstance: sa propre famille.
Contre toute attente, au bout de son chemin de croix sans embûche, pas l’ombre d’un
Constant en vue. Savourant ce moment d’anonymat lui permettant de prolonger le
privilège de la bousculade, Luna ralentit le pas, quand un bras rassurant d’une douceur à
couper le souffle lui enlace la taille tandis que l’autre main lui tend sous le nez une rose
Michèle Morgan merveilleusement odorante.
"Chouette, se dit-elle sans conviction, encore une surprise typiquement du style
Constant. » Luna se retourne, Constant est beau et attentionné. Elle n’a rien à lui
reprocher donc elle lui sourit.
Sur le trajet entre la gare de Lyon et leur studio du quinzième, il a le temps de lui poser
toutes les questions qu’il faut, de l’écouter avec patience et sans niaise béatitude, de lui
ramener une mèche de cheveux derrière l’oreille pour l’embrasser exactement là où ça lui
donne des frissons.
Les pièces sont vierges de toute chaussette, l’évier de tout poil et le cendrier de tout
mégot. Prise d’un besoin criant de poussière authentique et de bazar impulsif, Luna s’étale
dans l’espoir de représailles mais même son bordel est artistique dans cette bulle
d’esthétisme. Impossible de revenir sur le diagnostic : Constant est visiblement atteint du
syndrome du chic type tandis que sa fiancée pâtit du complexe de bovarysme. Adorable
dans le sens digne d’adoration. Il ne l’a jamais faite souffrir, et elle n’a jamais considéré
l’idée de rompre avec lui autrement que comme du masochisme. Pas d’abus de tendresse
générateur de culpabilité, pas d’angoisse éveillant le questionnement, rien qui ne pourrait
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laisser naître des soupçons de manipulation affective. Il lui plaît, il l’aime et l’inconcevable
c’est que c’est réciproque.
Prenant place sur le canapé blanc cassé, Constant comprend que Luna veut lui parler
et s’installe à une distance idéale.
-
Constant…
Il tourne son visage de démon angélique vers elle, à l’écoute, sans empressement ni
admiration démesurée. Formulant mentalement la phrase d’introduction, Luna avale sa
salive.
-
Ce que je vais te dire va te paraître insensé.
« Passer au développement sans transition. La transition est la porte ouverte à la
nuance hypocrite. » Tandis que Luna s’auto-coache pour la suite, Constant s’éloigne en
direction de la cuisine pour arrêter la bouilloire qui vient de sonner. Elle s’agrippe à cette
perche et se lance d’une traite:
-
Je ne veux plus vivre avec toi.
L’intonation tremblotante de son point final ne la satisfait guère, car en écho il s’est
prolongé de trois points de suspension interrogateurs. Aucune réponse. Constant revient
avec deux mugs de thé à la menthe et des pâtisseries orientales. Il ajuste son joli derrière
dans le moelleux du sofa, elle attend qu’il commette l’erreur de la toucher, en vain. Après
avoir tourné la cuillère dans sa tasse d’un air absent, il prend enfin la parole.
-
Qu’est-ce qu’il y ‘a d’insensé alors?
Soit il joue au faux candide, soit sa concentration optimale dans le découpage de
feuilles de menthe a entamé sa capacité d’écoute, soit – et c’est plus probable – la voix de
Luna a été engloutie dans l’onctuosité de la moquette. Luna reprend la parole :
-
Je veux être ivre pour une fois.
Tandis qu’elle se laisse moisir dans sa lâcheté, il la regarde amusé et perplexe, soufflé
par une telle volonté de déchéance de sa part.
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N° SGDL :
-
En effet, c’est insensé, j’aimerais bien te voir dans cet état. Tu veux faire ça
quand ?
Elle bafouille un « peu importe » et plonge le nez dans son thé en guise
d’admonestation par brûlure de langue.
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«Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises que l’on devienne infidèle, pour nous
dégager de notre fidélité.
François de La Rochefoucauld (Maximes)
Tout vient à point à qui sait attendre, Constant enfin surpris en flagrant délit de
cachotteries qui ne laissent aucun doute sur la possibilité qu’il se soit fait de nouvelles
relations pendant l’absence de Luna. Ce matin, alors qu’ils s’apprêtaient à aller piqueniquer en amoureux sur le Champ-de-Mars, il est allé s’isoler dans la cuisine pour un
conciliabule téléphonique. Constant ne s’isole JAMAIS quand il reçoit un appel sur son
portable. Sans se ronger les sangs pour autant, Luna a respecté son intimité en
demeurant dans le salon malgré la curiosité qui la démangeait jusqu’à l’os. Pas de
doute, soit il lui concocte une surprise, soit il y’a une autre femme là-dessous.
Une demi-heure plus tard, il vient s’asseoir sur la moquette – Constant ne s’assoit
JAMAIS à même le sol – le visage grave et anxieux mais le corps frémissant d’une
excitation suspicieuse.
-
Luna, j’ai quelque chose à t’avouer.
« Youpi, bénie soit la rivale qui m’ôte toute culpabilité de rompre » se réjouit
Luna en prenant l’expression la plus inquisitrice possible, préliminaire au plus beau
rôle de composition de son existence : la petite amie trahie, blessée et hystérique.
-
Je t’écoute.
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Il se dandine maladroitement et prend une moue enfantine à faire pâlir de lubricité la
sainte vierge.
-
Promets-moi de ne pas te mettre en colère.
-
Tout dépend de ce que tu as à m’annoncer.
Pour une fois qu’elle se trouve en position de force, elle savoure avec sadisme les
paroles qu’il s’apprête à prononcer.
-
Voilà, pendant tes vacances en Provence…
Il hésite, les mots restant coincés dans sa gorge si douce et odorante. « Je
n’aimerais pas être à sa place » se dit-elle prise d’une compassion soudaine, elle
l’encourage à mettre fin à son supplice :
-
Vas-y lance-toi, je ne vais pas te manger. Et puis tu sais que je t’aime.
Faussement soulagé, il se jette enfin à l’eau.
-
Donc, pendant tes vacances, je suis parti deux jours à Londres…
Luna ne peut contenir un sursaut d’indignation : une anglaise, quelle faute de goût.
Sa perfection en prend pour son grade.
-
… où j’ai passé un entretien pour une année-césure dans l’une des banques
les plus réputées de la place financière en tant que trader. Morgan Stanley, tu
connais? Et bien ils viennent de m’annoncer que j’étais pris. Je commence lundi
prochain.
Assommée par le poids des mots et le choc de la nouvelle, Luna ne peut réagir
autrement que comme il l’attendait : muette. Interprétant son silence comme de la
détresse, il s’engouffre dans les considérations rassurantes :
-
Remarque ça passe vite un an. Et puis on se verra le week-end, je te ferai
découvrir la ville. Sans compter que c’est une opportunité en or.
Alors comme ça, tandis qu’elle se dorait la pilule dans le Lubéron, monsieur balançait
des CV aux quatre coins du monde sans envisager une seconde de regarder une autre
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N° SGDL :
fille ? Les pieds soigneusement ancrés dans les charentaises des fiançailles, tout ce qu’il
convoite ce sont ses ambitions professionnelles ? Luna reprend ses esprits et réalise qu’il
est toujours dans la pièce dans l’expectative d’une réaction. Au pied du mur, elle n’a
d’autre choix que d’enfiler le costume de la fiancée attristée mais compréhensive.
-
Tu as raison Constant, ce serait stupide de refuser une telle occasion. Je
suis contente pour toi.
Elle esquisse le sourire approprié, et récolte en réponse une banane rayonnante de
gratitude et de soulagement. Voyant qu’il ne sait comment la remercier, elle anticipe les
platitudes en lui proposant d’aller fêter ça. Ils partent pique-niquer comme prévu, en
ajoutant une bouteille de vin et deux de champagne au panier. L’ivresse les gagnant
rapidement, les voilà à faire des galipettes sous la tour Eiffel tels deux adolescents prépubères qui viennent d’obtenir leur BEPC.
Il ne lui reste plus qu’à aller faire brûler un cierge à Saint-Sulpice au nom de Saint
Morgan Stanley. Beaucoup accusent le destin de perversité, on pourrait plutôt le bénir
pour la caution qu’il porte à la lâcheté : séparés pour une année, la voilà dispensée de
rupture immédiate. Cette seule perspective de relation à distance a suffi à mettre le piment
qui manquait tant à leur couple. Les voilà émoustillés comme des chattes en chaleur pour
des motifs qui n’ont en commun que l’égoïsme qu’ils satisfont. De retour à la maison, il lui
aura fait l’amour comme jamais, lui qui était si tendre jusqu’ici, et donc quelque peu
monotone au lit, il lui aura suffi de voir ses perspectives de carrière rassurées pour se
métamorphoser en bête de sexe.
Entre les préparatifs de départ, les montées de désir imprévues et assouvies dans
l’instant et l’organisation de sa fête d’adieux temporaires, leur dernière semaine en
amoureux s’écoula à une vitesse inouïe.
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«Devance toute séparation, comme si elle était derrière toi, semblable à l’hiver qui à l’instant s’en
va. Car parmi les hivers, il en est un sans fin, tel que, l’ayant surmonté, ton cœur en tout survivra. »
Rainer Maria Rilke (Sonnets à Orphée)
Moment tant attendu de la séparation. Lui, sur le pas de la porte de l’Eurostar, plus
beau que jamais, elle sur le quai, réalisant à grand peine que dans deux minutes, ses
mains lâcheront les siennes jusqu’à nouvel ordre. Ils pleurent, et contre toute attente, sans
une écaille de crocodile sur le corps. Elle se projette à ce soir, quand dans leur lit déserté
de sa chaleur corporelle, elle embrassera machinalement son oreiller et prendra alors
conscience que ce qui nous manque souvent le plus, c’est ce dont on était lassé la veille.
« Prenez garde à la fermeture automatique des portes », la voix métallique et
nasillarde du haut-parleur concrétise l’instant : dans un progressif mouvement latéral, la
porte vitrée remplace la silhouette apollinienne de Constant par le reflet pathétique d’une
Luna éplorée. Ne distinguant plus que l’empreinte de ses doigts fins plaqués contre la
paroi, c’est elle qu’elle voit partir vers Londres, symbole de ses fantasmes ou simple
sensation de lui abandonner son âme. Ne pouvant affronter la cruelle allégorie du train qui
disparaît en abandonnant le quai dans son immobilisme imperturbable, elle décide de
s’animer du mouvement inverse pour regagner le métro.
Première étape franchie, la voilà désormais dans l’appartement à moitié vide de lui,
débordant de sa propre solitude, novice du célibat qui a perdu son petit guide pratique
d’autonomie. L’odeur de Constant plane encore dans les pièces de l’appartement, elle est
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tiraillée entre l’envie de changer les draps et d’aérer un bon coup pour ne pas souffrir de
sa présence fantomatique, ou la tentation de se laisser aller aux mièvreries sentimentales
pour se bercer de l’illusion qu’il ne l’a pas quittée. Fidèle à son indécision congénitale, elle
passe un appel à Nina, sa meilleure amie célibataire, sachant qu’elle au moins se réjouira
de la voir enfin en tête-à-tête. Pour peu elle mériterait de s’appeler Constance, elle passe
la prendre en Polo couleur framboise écrasée, lui pince la joue à l’instar de sa tante
préférée et l’emmène noyer son désarroi esseulé dans une dizaine de mojitos à la
Mezzanine de l’Alcazar. Luna passe la nuit chez elle, et la suivante, et ainsi de suite en
attendant de reprendre le boulot chez FT Corporation.
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