Cuisine et(in)dépendance - societe des lecteurs du monde

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Cuisine et(in)dépendance - societe des lecteurs du monde
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décryptages DIALOGUES
Dimanche 8 - Lundi 9 juillet 2012
Cuisine
et (in)dépendance
Médiateur
E
Pascal Galinier
ntretien avec Son Excellence
Monsieur Abdelaziz Bouteflika,
Président de la République algérienne démocratique et populaire». Voilà longtemps que
l’on n’avait lu introduction aussi empesée dans notre journal. Annonce
d’un discours officiel pour le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie ? Que
nenni. La « une» d’un supplément économique de 16pages, « Stratégies internationales – Spécial Algérie», dans le quotidien
daté 4juillet. Au menu: un entretien,
donc, avec le président Bouteflika – et pas
moins de sept de ses ministres! – pour
illustrer « L’Algérie en marche» (titre de
l’éditorial de ce supplément).
«Propagande ! », s’exclament Mireille
Grandval (Paris), le général Jean Salvan, de
Fiac (Tarn) et d’autres, dans des courriels
outrés. Vous ne croyez pas si bien dire,
chers lecteurs. Hélas ! En fait de «supplément », Stratégies internationales est un
cahier publicitaire, acheté par le gouvernement algérien et réalisé par une agence spécialisée dans le « publireportage », Mediaction International. Le tout aux termes
d’«un contrat signé avec Le Monde Publicité
et exécuté à la lettre», affirme Jacques Rouche, le directeur de l’agence en question.
Il n’appartient pas au médiateur de
juger de la politique commerciale de notre
journal. Son rôle est de veiller au respect du
«contrat de lecture établi avec les lecteurs ».
Un contrat qui a bel et bien été transgressé,
mardi 3 juillet. La Société des rédacteurs du
Monde (SRM) l’a souligné le jour même :
«Ce supplément publicitaire entretient la
confusion avec une information journalistique indépendante, tant sur le fond que sur
la forme. »
Alors, dupes ou pas dupes de ce vrai-
faux supplément, nos lecteurs ? «Ce document apparemment sérieux et en réalité profondément mensonger exploite la légitimité
du journal. Il est d’ailleurs précisé qu’il ne
peut être vendu séparément, signant donc le
fait que c’est une partie intégrante de ce journal», nous écrit Michel Bonetti (Paris), résumant l’état d’esprit général de ce côté de la
Méditerranée. D’Oran, en Algérie, Kheireddine Lardjam, metteur en scène et directeur
artistique de la compagnie théâtrale
El-Ajouad, nous «hurle [son] indignation
pour ce coup de poignard infligé à toute une
jeunesse d’Algérie ». Cri du cœur, cri de rage,
que le médiateur a choisi de publier en intégralité (lire ci-dessous). En guise de droit de
réponse de la société civile algérienne à ses
dirigeants autosatisfaits…
Car l’affaire a pris là-bas une dimension
politique. La presse privée a mollement
apprécié d’avoir été induite en erreur par
le gouvernement et l’agence officielle Algérie Presse Service (APS). Le quotidien
El-Moudjahid fit sa « une», mercredi, sur
«l’interview du président Bouteflika au
Monde»… Les confrères se sont vite
empressés de rectifier le tir. Mi-indignés,
mi-ironiques… « Pour le 50e anniversaire de
l’indépendance, le président Bouteflika a
opté pour un marketing politique pour le
moins original: il a acheté 16 pages de
publireportage dans le journal français Le
Monde, toutes vouées à sa gloire», titrait
mercredi le quotidien El-Watan (avec
lequel Le Monde a par ailleurs coédité cette
semaine un webdocumentaire sur l’indépendance).
Et Le Monde? «Nous avons une charte
très stricte qui définit clairement les règles
de manière à éviter toute confusion entre
ce qui relève de la rédaction et ce qui relève
de la publicité. Cette agence a violé certaines de ces règles», explique jeudi, dans un
entretien aux Dernières Nouvelles d’Algérie, notre directeur Erik Izraelewicz (Lire
également « A nos lecteurs » en page 16 de
ce numéro).
M
ercredi, Marie Hourtoule, «rédactrice en chef» chez Mediaction
International – et signataire des
huit «entretiens» avec les officiels algériens– expliquait posément, dans le même
journal, ne pas avoir rencontré M. Bouteflika: «J’ai soumis les questions à l’avance, et
les services de la présidence m’ont alors
transmis les réponses du président.» Quant
au contenu du fameux « supplément essentiellement axé sur l’économie», bien que
publié à l’avant-veille des cérémonies célébrant les 50ans de l’indépendance algérienne –cérémonies, rappelons-le, auxquelles
la France n’était pas invitée…–, il ne devait
en aucun cas «évoquer les questions du passé colonial ou de la repentance». Et
d’ailleurs, concluait-elle, « les journalistes
du Monde qui s’offusquent du contenu du
supplément auraient bien aimé faire l’entretien avec le président Bouteflika». Des propos sur lesquels elle est revenue en partie,
depuis…
N’empêche. « Notre crédibilité a été très
atteinte, c’est sans précédent sous cette forme dans l’histoire du journal», déplore Isa-
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belle Mandraud, chargée du Maghreb à la
rédaction du Monde. Une interview de
Bouteflika, justement, «nous en avions
demandé une dès le mois de mars, qui nous
a été refusée. A la place, il nous a été proposé un entretien avec le premier ministre,
qui est paru le 6 avril.»
Sans précédent? Pas tout à fait… En
2011, sur Lemonde.fr, une publicité pour
Areva proposait aux internautes de participer à un « live chat » sur le nucléaire,
accompagné d’une sélection d’articles du
Monde relatifs à ce sujet explosif… Dans le
quotidien, c’est une double page (payée)
sur le Cameroun de Paul Biya qui fut très
« remarquée» par nos lecteurs…
«Sur le fond, nous ne sommes pas hostiles à la publicité, souligne le nouveau président de la SRM, Alain Beuve-Méry. Mais
nous devons veiller à éviter tout mélange
des genres.» Un mélange des genres particulièrement mal venu pour un pays aussi
emblématique que l’Algérie. Le Monde,
faut-il le rappeler, fut l’un des premiers
journaux français, dans les années 1950, à
y condamner la guerre coloniale, la torture, puis à plaider l’indépendance sous la
plume de Sirius (Hubert Beuve-Méry)…
Une Algérie qui, sans conteste, «méritait
mieux que ces seize pages de promotion»,
comme nous le dit Mireille Grandval dans
son courriel, mercredi.
Politique ou journalistique, l’indépendance, décidément, est un combat. p
[email protected]
Mediateur.blog.lemonde.fr/
Courrier
Je suis indigné, en colère, à la suite
de la publication de votre supplément « spécial Algérie» du 4 juillet.
Et c’est en tant que metteur en scène algérien de théâtre que je vous
écris. Je dis bien Algérien d’Algérie.
Car la presse française manie l’art
de mélanger, selon l’humeur du
jour, les origines. Français d’Algérie, Algérien de France… Jeune metteur en scène algérien, je travaille
depuis dixans entre nos deux
pays, et c’est à ce titre que je vous
hurle mon indignation pour ce
coup de poignard infligé à toute
une jeunesse d’Algérie. Une jeunesse qui n’a plus guère de choix
qu’entre s’immoler et fuir le pays
dans des rafiots qui coulent dans
cette Méditerranée, mer maudite
bien que dite «de paix». Quel
bond en arrière que votre supplément! Il y a déjà 50ans, à la veille
de l’indépendance de notre pays,
une certaine presse française avait
promu de pseudo-héros, qui
deviendront nos dictateurs. Et voilà qu’aujourd’hui, par ce supplément, vous donnez la parole à ces
médiocres, nos gouvernants
actuels, qui ont mis le pays à
genoux. Je m’indigne, particulièrement concerné, face à cette page
que vous consacrez à la ministre
de la culture, dont la grande contribution à l’encouragement des artistes a été de leur offrir des pèlerinages à La Mecque (je crois que la référence « Ministre aux Zaouia et aux
madahette», ne dit rien aux lecteurs français), alors même que
des artistes algériens se battent
pour que cette ministre aussi inamovible que le président de la
République « DÉGAGE!». Est-ce
bien vous qui, il y a quelques mois,
vous réjouissiez de ces jeunes Tunisiens qui firent partir Ben Ali, avec
le même « Irhal !» ? Vous expliquez
que c’est un « publi-reportage»
dans un triste « communiqué» en
haut de la page « une» de ces «Stratégies internationales». Mais le terme n’apparaît nulle part sur aucune des 16 pages de ce numéro. Et
même si c’était le cas, n’est-ce pas
une honte pour un journal qui se
veut démocrate, pour ne pas dire
«de gauche», de recevoir de l’argent d’un régime corrompu et dictatorial? L’auteur du best-seller,
M.Hessel, s’indignera-t-il avec
moi? p
Kheireddine Lardjam,
directeur artistique
de la compagnie El-Ajouad et
metteur en scène
(Oran, Algérie)
Controverse du Net Flavien Hamon
Une fessée à l’actualité
Du rejet du traité ACTA, du discours de politique générale de Jean-Marc
Ayrault, de la perquisition des bureaux et du domicile de Nicolas Sarkozy dans le cadre de l’affaire Bettencourt, cette semaine, vous n’en avez
cure, vous avez décidé de mettre une fessée à l’actualité.
« Puis-je porter plainte contre mes parents et leur demander des dommages et intérêts ? », s’interroge Valentin sur la page Facebook du Monde. Pourquoi cette question ? Des chercheurs canadiens ont mené une
étude sur 34 653 sujets, et ont conclu que les personnes qui ont reçu des
fessées lorsqu’elles étaient enfants ont plus de risques de souffrir de
troubles mentaux une fois adultes.
Une étude à « ranger au niveau de celles qui affirment que le chocolat
est à la fois une drogue et bon pour la santé », plaisante Julie. Et vous
êtes plusieurs centaines à être atterrés par cette étude que vous jugez
globalement inutile : « C’est les chercheurs qui sont débiles. »
Durant toute la journée de lundi vous vous renvoyez la balle, cherchant à faire le meilleur jeu de mots sur le sujet. « Je n’en suis pas morte », assène Amandine. Mais cette tirade, que vous êtes nombreux à
reprendre n’est pas du goût de tous. Ainsi la discussion potache se transforme en véritable débat: a-t-on besoin de châtiment corporel pour éduquer un enfant ? Car, « si il y a autant de délinquance juvénile, c’est parce
que certains parents laxistes n’ont jamais “recadré” leurs gosses », suggère Martin. Pour Elodie, il y a « une différence notable entre une fessée et
le martinet, par exemple».
Mais, Anne est catégorique, c’est non. Elle s’étonne de la facilité avec
laquelle ce geste est dédramatisé: « Quand on met une claque à un collègue, un inconnu, sa femme, c’est une agression. Quand c’est un enfant,
c’est de l’éducation.» Et Fabien, de son côté, assène : « Un enfant qui
reçoit des coups apprend qu’on peut résoudre les problèmes par la violence.» p
Hugo, 18 ans, étudiant, Nantes
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Algérie
Voix d’un indigné