BASES DE PHYSIOLOGIE UV 103 Chronobiologie
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BASES DE PHYSIOLOGIE UV 103 Chronobiologie
BASES DE PHYSIOLOGIE UV 103 Chronobiologie Bachelier J.P. PLAN 1. Présentation 1.1 Intérêts et limites du cours 1.2 Historique et définitions 2. Chronobiologie fondamentale 2.1 Caractérisation d’un rythme 2.1.1 Paramètres 2.1.2 Classification 2.2 Composantes d’un rythme 2.2.1 Oscillateurs internes 2.2.2 Synchroniseurs externes 2.3 Principaux rythmes 2.3.1 Température centrale 2.3.2 Vigilance 2.3.3 Mélatonine 2.4 Altération des rythmes 2.4.1 Mécanismes physiologiques 2.4.2 Principales altérations 2 1. Présentation 1.1 Intérêts et limites du cours Avec l’anatomie (le « où ») et la physiologie (le « comment »), la chronobiologie apporte un corpus de connaissance complémentaire et indispensable à l’étude de la biologie : le « quand ». Quelle que soit sa démarche, le professionnel de « sport et santé » se doit donc de comprendre les mécanismes des rythmes biologiques afin de mieux les prendre en compte. L’intérêt de ce cours est donc de comprendre pour optimiser, par exemples : - pour le professeur d’éducation physique et sportive, optimiser l’entraînement en prenant en compte les moments favorables à l’acquisition des habiletés motrices ou encore ceux favorables au développement des aptitudes physiques. - pour le médecin du sport, optimiser le traitement en prenant en compte les moments favorables à l’efficacité d’un anti-inflammatoire ou encore ceux favorables à sa moindre toxicité. - pour le diététicien, optimiser le programme alimentaire en prenant en compte les moments favorables aux apports glucidiques pour le sportif diabétique ou encore ceux favorables à entreprendre une perte de poids. - pour le chercheur, optimiser le protocole expérimental en réduisant les biais de mesures inhérents aux moments où celles-ci sont effectuées (optimiser le « à toutes choses égales par ailleurs »). Etant donné sa forme relativement synthétique, l’ambition de ce cours se limite à une initiation à la chronobiologie. 1.2 Historique et définitions « Depuis quand les constantes sont variables ?! » Depuis un siècle et demi, période à laquelle Claude Bernard décrivit sa théorie sur la constance du milieu intérieur, les biologistes se sont essentiellement basés sur les lois de l’homéostasie dans l’étude du vivant. Ainsi, les corpus anatomique et physiologique se développèrent, répondant respectivement aux questions où et comment, en laissant la question du quand un peu « de côté » (concernant la question du pourquoi on peut se laisser à penser qu’elle est une des raisons qui font devenir le scientifique …finaliste …puis philosophe !). La prise de conscience des phénomènes périodiques est pourtant très ancienne (antiquité) mais son étude comme discipline scientifique n’est qu’assez récente. Bien que de nombreux travaux du 3 18ème et du 19ème siècle étaient basés sur la maîtrise de la mesure du temps, ce n’est qu’au 20ème siècle que l’étude de l’influence de ce dernier sur le comportement du vivant prend son essor. Les travaux de biophysiciens, comme Prigogine, ont fait évolué la thermodynamique appliquée à la biologie où la vie cellulaire est liée à un état de déséquilibre. La rythmicité apparaît alors comme l’essence même de la vie. Empirique au début du siècle sous l’appellation « biorythmes » (3 rythmes étaient alors décrits : un rythme « physique » de 23 jours, un rythme « émotionnel » de 28 jours et un rythme « intellectuel » de 33 jours) son caractère scientifique ne s’est réellement développé qu’à partir du milieu du siècle, et cela principalement grâce aux travaux de Alain Reinberg*. Pour A. Reinberg : « l’activité rythmique est une propriété fondamentale de la matière vivante et le but de la chronobiologie est d’étudier l’organisation dans le temps des êtres vivants », la chronobiologie d’un être vivant (animal ou végétal) permet donc d’en étudier et quantifier les mécanismes de structure temporelle biologique. Pour Y. Touitou** : « un rythme biologique peut se définir comme une suite de variations physiologiques statistiquement significatives, déterminant en fonction du temps des oscillations de forme reproductible » * : Fondation Rothschild (unité de chronobiologie) ** : Faculté Pitié-Salpêtrière (biochimie médicale) 4 2. Chronobiologie fondamentale 2.1 Caractérisation d’un rythme 2.1.1 Paramètres 4 paramètres caractérisent un rythme biologique : - Sa période : durée d’un cycle complet du rythme - Sa moyenne (ou mésor) : moyenne arithmétique de la période considérée - Son amplitude : moitié de la variabilité totale - Sa phase (ou acrophase) : localisation du sommet du rythme Un rythme peut se présenter sous forme de chronogramme, le traitement des valeurs temporelles expérimentales étant réalisé avec des programmes utilisant la méthode des moindres carrés (recherche des fonctions sinusoïdales se rapprochant le plus). Les caractéristiques d’un rythme biologique 5 2.1.2 Classification Une première nomenclature se réfère à la fréquence (inverse de la période) pour proposer une classification des rythmes biologiques : - basse fréquence : généralement > à 60 h (ex. activité ovarienne), - moyenne fréquence : généralement compris entre 30 min. et 60 h (ex. alternance veille/sommeil), - haute fréquence : généralement < à 30 min. (ex. rythme cardiaque). Etant donné que les périodicités astronomiques ont probablement une influence majeure sur les mécanismes chronobiologiques du vivant, une seconde nomenclature utilise le jour solaire (dien) comme référent dans la classification des rythmes : - circadien : dont la période est comprise entre 20 et 28 heures (un rythme circadien étant nycthéméral si sa période est de 24 heures). - ultradien : dont la période est inférieure à 20 heures. - infradien : dont la période est supérieure à 28 heures (un rythme infradien étant circamensuel si sa période est d’un mois et circannuel si elle est d’un an). 2.2 Composantes d’un rythme 2.2.1 Oscillateurs internes Ce sont principalement les expériences dites « hors du temps » (comme celle de Michel Siffre) qui ont permis de mettre en évidence la « composante endogène » de nos rythmes. Lorsqu’un sujet se retrouve sans repère temporel ses rythmes biologiques sont conservés mais généralement modifiés, on parle alors de rythmes en libre cours. En début d’expérimentation les rythmes circadiens veille/sommeil et température s’allongent pour passer à environ 25 heures et au bout de plusieurs semaines chaque rythme semble devenir indépendant des autres, certains restant à 25 heures, d’autres continuant à varier. Les mécanismes physiologiques de la composante endogène d’un rythme sont encore à l’étude, mais, par exemple, les travaux sur les jumeaux homozygotes (qui présentent des rythmes identiques – A. Reinberg), ceux sur la drosophile (pour laquelle un gène per à été mis en évidence – F.R. Jackson) ou encore ceux d’hybridation de clones (pour lesquels la période naturelle se transmet selon les lois de Mendel – E. Bünning) appuie fortement l’hypothèse que nos horloges biologiques (horloges internes) sont génétiquement déterminées. Les travaux chez les rongeurs (I. Assenmacher et coll.) montrent que la suppression des noyaux supra-chiasmatiques (hypothalamus) supprime certains rythmes mais pas d’autres. Le noyau supra-chiasmatique est donc admis comme étant probablement une horloge biologique « centrale », mais d’autres existent, et ne sont pas encore individualisées. Par exemple, la différenciation des 6 rythmes de la force d’une main par rapport à l’autre (A. Reinberg) laisse à penser que des horloges existent dans les centres nerveux supérieurs (cortex). Un rythme biologique qui reste relativement stable en l’absence de synchroniseurs externes est alors considéré comme ayant une composante endogène forte : oscillateur fort. Un rythme qui est très perturbé par la perte de ses synchroniseurs externes sera alors considéré comme ayant une composante endogène faible : oscillateur faible. 2.2.2 Synchroniseurs externes De nombreux facteurs périodiques de notre environnement ont des rythmicités précises, ces facteurs peuvent alors avoir un rôle de « mise à l’heure » de nos horloges biologiques, ils ne créent pas les rythmes mais ne font que les modifier. Est donc appelé synchroniseur externe, agent d’entraînement ou encore donneur de temps, tout facteur dont les variations périodiques sont susceptibles de modifier ou calibrer un rythme. Les synchroniseurs recensés sont déjà très nombreux, certains ayant une action importante, d’autres une action beaucoup plus faible. Les facteurs « astronomiques », comme le nycthémère (alternance jour/nuit) et les facteurs « sociaux », comme l’activité (alternance veille/sommeil) sont prépondérants : synchroniseurs forts. D’autres facteurs sont moins importants mais contribuent à l’activité de synchronisation, comme les signaux périodiques impliquant les organes des sens (ouie, odorat, etc.) : synchroniseurs faibles. 2.3 Principaux rythmes 2.3.1 Température Le rythme de la température est un des premiers rythmes biologiques qui a été étudié chez l’homme. C’est un rythme complexe, qui comporte de nombreux « sous-rythmes » ultradien, circadien et infradien. Par exemple, on a observé, pour la température digitale, un rythme ultradien d’environ 1mn et un rythme circadien d’environ 24h, alors que la température orale présente des rythmes circadien (H et F), circamensuel (F) et circannuel (H et F). Le rythme circadien de la température orale possède une composante endogène forte (oscillateur fort) ce qui le rend peu sensible aux (absences de) synchroniseurs externes, toutefois, en l’absence de ces derniers (expérience en libre cours) ce rythme passe à ~ 25 h en moyenne (c'est-àdire toujours circadien, mais plus nycthéméral). Ce rythme présente son acrophase vers 17h et une amplitude d’~ 0,7 °C (plus élevée chez la femme). 7 Le rythme circamensuel (lié au cycle menstruel) de la température orale féminine présente son acrophase vers le milieu de la phase lutéale, la hausse de température (0,5 °C en moyenne) se présentant au moment de l’ovulation (vers le 14ème jour). De part sa composante endogène forte, le rythme circadien de la température présente une inertie élevée et ne réagira que très peu aux modifications de l’environnement. Il sera alors utilisé comme rythme référent, notamment dans les diagnostics de recherche de troubles des rythmes. 2.3.2 Vigilance La vie de l’homme adulte est caractérisée par la succession de 2 principaux états de vigilance : la veille et le sommeil. La veille correspond aux moments conscients de notre vie, elle est composé de 2 phases : la veille active et la veille passive. Le sommeil est également composé de 2 phases : le sommeil lent (léger 1 et 2, puis profond 3 et 4) et le sommeil paradoxal, la durée de ces 2 phases formant un cycle d’~ 90 mn une nuit de sommeil correspond à 5 ou 6 cycles. Le rythme de la vigilance est donc un rythme complexe, comportant des sous-rythmes ultradien, circasemidien, circadien et infradien. Ainsi, notre vigilance présente : - une acrophase en fin de matinée dans le rythme circadien, une acrophase en fin d’après midi dans le rythme circasemidien une acrophase tous les 90 mn dans le rythme ultradien. Le rythme circadien de la vigilance possède une composante endogène faible (oscillateur faible) ce qui le rend très sensible aux (absences de) synchroniseurs externes. En l’absence de ces derniers (expérience en libre cours) ce rythme peut passer de moins de 12h à plus de 60 h (le ratio veille-sommeil restant assez constant aux environs de 2/3-1/3). Les rythmes circasemidien et circadien de vigilance sont étroitement liés à la propension au sommeil. Il est donc possible de mettre en évidence des « portes du sommeil », périodes facilitant la transition veille-sommeil (une primaire nocturne vers 23 h et une secondaire diurne vers 14 h). De part sa composante endogène faible, le rythme circadien de la vigilance présente une inertie faible et réagira très rapidement aux modifications de l’environnement. Facilement perturbé, notre rythme de vigilance pourra donc être facilement à contre-temps de nos rythmes référents (température, cortisolémie) ou du nycthémère, on parle alors de syndrome de désynchronisation (voir chap. 2.4). 2.3.3 Mélatonine La mélatonine est une hormone dérivée de la sérotonine, elle est essentiellement synthétisée par les pinéalocytes (glande pinéale). Au niveau de connaissance actue,l elle présente une fonction importante dans les mécanismes chronobiologiques de l’homme (et de nombreux animaux) en « informant » l’organisme sur la position du nycthémère. La voie de régulation sécrétrice utilisant les 8 informations rétino-hypothalamique, la lumière en est le principal facteur inhibant, l’obscurité le principal facteur facilitant. Le rythme circadien de la mélatonine a la particularité d’être celui présentant l’amplitude la plus élevée (observée à ce jour) d’entres toutes les sécrétions hormonales (suivi du cortisol). L’acrophase de ce rythme circadien se situe vers 3h, avec une importante hétérogénéité interindividuelle. Il existe un lien entre la sécrétion de mélatonine et le rythme de la température : le pic de mélatonine (vers 3h) favorisant la baisse de température et donc le sommeil. Ce rythme possède une composante endogène (observée chez les aveugles) et est principalement synchronisé par les variations de lumière. De façon générale la lumière inhibe la sécrétion mais son effet pendant la phase nocturne peut inhiber ou synchroniser le rythme selon l’heure à laquelle le sujet est exposé. Effet d’une perfusion de mélatonine exogène sur le profil plasmatique de mélatonine. Ex . : une administration en fin d’après midi entraîne une avance de phase (Lewy). une exposition le matin entraîne une avance de phase (Lewy). Effet d’une exposition à la lumière forte sur le profil plasmatique de mélatonine : Ex. : 9 La mélatonine est donc un élément important dans l’organisation générale des rythmes biologiques. La stimulation de son rythme (sous forme de douche de lumière) ou l’administration de celle-ci (K. Petrie et coll.) sont maintenant utilisés pour traiter les problèmes de désynchronisation (voir chap. 2.4). 2.4 Altération des rythmes 2.4.1 Mécanismes physiologiques Le terme « chronopathologie » peut soit désigner l’étude d’une pathologie dans le temps, soit désigner une pathologie des mécanismes chronobiologiques (altération des rythmes), le terme de « dyschronisme » est donc préférablement utilisé pour décrire ces derniers. Le dyschronisme est donc une altération de phase entre les rythmes, provoquée la plupart du temps soit par une modification (ou perte) du synchroniseur externe, soit par une altération de sa perception. Etant donné les fortes variations inter-individuelles observées dans les mécanismes chronobiologiques, il est important de distinguer le dyschronisme simple qui ne s’accompagne pas de troubles fonctionnels, du dyschronisme pathologique qui induit des troubles fonctionnels. D’après Y. Touitou : « les dyschronismes ne sont pas ressentis de la même façon et leurs effets ne s’observent que chez les individus prédisposés et dans certaines conditions ». 2.4.2 Principales altérations Les dyschronismes pathologiques engendrés par modification ou perte du synchroniseur externe sont généralement observés dans les situations de vols transméridiens, de travail posté, d’expériences d’isolement et, dans une moindre mesure, lors des changements d’heures Le vol transméridien est un bon exemple de la susceptibilité de chacun par rapport au dyschronisme, tout le monde présente un dyschronisme transitoire mais seulement certains, les plus sensibles, vont manifester des troubles fonctionnels. Le dyschronisme se fait ici (jet lag) entre le rythme de vigilance (oscillateur faible) qui va rapidement s’adapter au rythme nycthéméral du nouveau lieu (quelques jours), et le rythme de la température (oscillateur fort) qui, lui, va mettre beaucoup plus de temps à s’adapter (quelques semaines). La période en « libre cours » de 25 h en moyenne du rythme de la température explique l’adaptation plus rapide dans les vols Est-Ouest que dans l’autre sens (l’idéal serait de se déplacer d’un fuseau horaire vers l’Ouest tous les jours !). 10 De la même façon, mais dans une moindre mesure, il est observé une plus grande difficulté lors du passage à l’horaire d’été (perte d’une heure) par rapport au passage à l’horaire d’hiver (gain d’une heure). Le dyschronisme pathologique peut également être induit par une altération de la perception du synchroniseur. C’est, par exemple, le cas lors de dépressions ou d’infections. Au-delà de la variabilité inter-individuelle importante déjà évoquée en terme de rythmes biologiques, il est de plus en plus fréquent d’observer des pathologies du « couche-tôt » ou du « couche tard ». Un fléau moderne du dyschronisme est donc celui des avances ou retard de phase. Les avances de phase (plus rares) correspondent à des horaires de propension au sommeil très précoces (avant 21 h). Elles ont principalement observées chez les sujets âgés et dépressifs. Les retards de phase (plus fréquents) correspondent à des horaires de propension au sommeil très tardifs (après 23 h). Ils sont principalement observées chez les sujets ayant une activité tardive (en période de baisse dans le rythme de la vigilance) et peuvent entraîner de sérieux troubles chez ceux qui sont obligés de se lever le matin (par privation chronique de sommeil). Les principaux troubles fonctionnels observés lors de dyschronismes sont : - troubles du sommeil (quantitatifs et qualitatifs) fatigue chronique (persistante en période de «repos ») troubles du comportement (irritabilité ou apathie). 11