Lire - SNPHARe

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La déprime du bistouri et la dépression du propofol
J'aime bien lire le journal Le Monde car, en ce moment, le samedi, on y trouve des DVD pour 8 euros !
Alors, quel ne fut pas mon plaisir de voir qu'il y a quelques jours, on y parlait théâtre et chirurgie...
Par un grand auteur en plus. Cela tombait bien parce que la médecine, moi, je n'y connais rien Mais si
j'avais eu le courage et l'intellect, j'aurai fait docteur comme métier.
Pas chirurgien bien sûr, encore moins orthopédiste. C'est connu, il faut être sacrément futé pour faire ça.
Mais docteur, quand même ! Je ne sais pas moi, un truc simple et pépère. Anesthésiste, par exemple !
Sortant de mon travail à 15 heures, j'achèterais donc Le Monde immédiatement et utiliserais mes 8 jours
de RTT pour le lire, le relire, le re-relire…
Entrons dans le vif du sujet. Le début du papier du monsieur a franchement de la gueule. Moi, ça m'a
épaté le coup du nerf sciatique. Hallucinant. Batman en caleçon moulant survolant Gotam city à coté,
c'est de la rigolade. Couillu le mec ! C'est sûr que ce n'est pas dans un CHU du sud qu'on ferait ça. C'est
d’ailleurs très confraternel de ne pas avoir cité les glands qui ont botté en touche un tel malade. Ce
n'aurait pas été sympa. Il faut respecter les collègues (les vrais collègues, les autres...). C'est la noblesse
des grands. Géniaux mais modestes. Si, si, modestes. Humbles même. Et l'artère fessière. Qui se
rétracte, la coquine. Moi, cela ne m'étonne pas. Il y en a plus d'une qui m'ont échappé. HEU-REU-SEMENT que le geste était bien contrôlé !!!. C'est pas dans le sud où ils ne foutent rien qu'on aurait un tel
contrôle. Tout juste bons à boire du Pastis. Côté adresse, ça assure. Lucky Luke, Blueberry et Jesse
James sont des maladroits. Et quel courage ! Franchement, Charles Bronson et Steve Mc Queen
remontant vers le cimetière avec le corbillard du pauvre villageois dans les 7 mercenaires, c'est comme
dans les films de Chabrol. C'est bien, mais il n'y a pas assez d'action. Parce que là, il y en a de l'action.
De l'action, des héros et des lâches. Comme dans tout bon film. L'étudiante en troisième année par
exemple. La gourde. Quand ça chauffe, elle lâche l'écarteur. Un jet de sang... Full metal jacket, à coté,
c'est Ratatouille... Elle peut retourner en cuisine celle-là. HEU-REU-SE-MENT qu'Indiana Jones est là.
Avec toutes ses mains (au moins six !), telle Shiva, il rétablit la situation. Et avec quelle humanité. Le petit
coup d'œil à ses assistants pour être certain qu'ils ne tombent pas dans les pommes. C'est pas mignon ça
? Ils n'ont pas l'habitude du sang. C'est un métier. Et pas n'importe quel métier vous dis-je. Un regard sur
les assistants, une main sur le scialytique, un pied sur le bistouri électrique, une main sur l'écarteur, une
main sur la pince ET PAF !!! Le point à la volée. Trop fort, le mec !!! À l'aveugle. L'instinct. Seul le guépard
et le génie sont capables d'un tel exploit. En deux mots : La Force. Le bon côté bien sûr. La sécrétion
d'adrénaline a été forte nous dit-on ? De la testostérone en barre oui !!! La cocaïne à côté, c'est du jus de
navet.
Mais soudain patatras. La fausse note dans la symphonie. Mozart trahi par l'ouvreuse. L'incompétence.
La paresse. La médiocrité. Bref, la France. Car Dieu ne travaille pas seul. Il a des saints. Qui ne le sont
pas. Les panseuses, qui arrivent trop tôt alors qu'il n'y a pas encore de travail ce qui leur permet de partir
plus tôt quand il y en a. Les brancardiers qui ne brancardent pas dans la bonne direction et surtout,
surtout, les ANESTHESISTES ... Ne cherchez pas plus loin. Une bande de planqués subventionnés par
Lavaza, Carte Noire et Seb, véritables anges déchus de la faculté. Martine Aubristes acharnés, adeptes
de l'insouciance participative, ils partent à 15 heures (probablement à 14 heures le mois d'août pour Paris
plage) et passent leur temps en RTT. Le SNPHAR et la SFAR devraient s'appeler la SNCF. 35 heures,
les grandes semaines. Travailler moins pour gagner plus. Car ils sont riches, les bougres. Alors que le
héros, lui, n'a pas cette chance. Il est salarié. Juste un salaire. Rien d'autre. Que du public vous dis-je.
Que du public. Le service public... Brad Pitt et Johnny Halliday travaillent dans le privé, ils gagnent
forcément plus d'argent. Ce n'est pas le cas à Lariboisière. En plein Barbès, vous imaginez. L'anesthésie
a fait des progrès nous dit-on. Mais pas les anesthésistes bien sûr. Heureusement que dans le cas du
patient, le fameux interne vietnamien avait dû lui faire un peu d'hypnose ou d'acupuncture (spécialité
pourtant chinoise). Quelques potiches avaient dû faire la vaisselle pour qu'on l'opère avec des instruments
propres. Il est probable que quelques sous-docteurs lui avaient fait un bilan, prélevé par quelques
soubrettes et qu'un photographe lui avait fait une radio. Voire un scanner (c'est facile, c'est une sorte de
télé avec un PC comme télécommande). Que des vermisseaux rampants, gravitant autour du Soleil. Mais
Icare vous l'aurait dit ; le soleil brûle. Heureusement que l'intervention s'est terminée avant 15 heures Il
restait peut-être quelqu'un pour penser à le réveiller, lui faire un peu de médicaments contre la douleur, et
régler quelques menus problèmes (la tension, le cœur, les poumons, le rein, les plaquettes, le TP, la
troponine) indignes d'être cités dans Le Monde. Car, à 70 ans, après une telle prouesse chirurgicale, il ne
devait pas être frais le bougre. Mais bon, qui se soucie de l'ouvreuse quand le concert est fini ? J'espère
que le patient ne fera pas un malaise la nuit (après 15 heures) car tout le monde est parti... Qui s'en
occupera ? On se le demande. C'est un vrai problème ça !
Pendant que les autres feignants sont à la plage, Hercule attaque les onze travaux suivants. Dans le
désordre, la T2A, véritable perversion sadique inventée par l'administration à qui il faudrait visiblement
administrer des baffes, la consolation des familles des souffrants et la gestion des problème médicolégaux générés par ces incompétents des urgences qui reçoivent mal les patient. Les urgences, parlons
en. Tout le monde le sait: un vivier d'incompétences. A part les urgences de l'hôpital de Chicago (qui ont
beaucoup baissé depuis que Georges Clooney n'y est plus), que des nuls ! Et les avoir confiées à un
anesthésiste, alors là, il fallait le faire. Des travaux, donc, qu'aucun autre docteur ne fait vous dit-on.
Puisqu'ils sont à la plage.
Enfin. Rions-en car en pleurer n'en vaut pas la peine.
J'ai quand même appris deux trois choses en lisant Le Monde:
- Quand cela va mal c'est forcément la faute des autres. Mais ça je le savais, ma fille (7 ans) dit la
même chose.
- Ca doit être chouette de travailler en équipe
- Le ridicule ne tue pas, mais le mépris blesse. Mais on cicatrise. En fibrosant un peu. Ce n'est pas
grave. Cela enlève juste un peu de souplesse. Et puis cela passe. Cela me rappelle Claudia
Cardinale disant à Cheyenne ou à l'Harmonica, je ne sais plus: "Quoi que tu me fasses, il me
suffira d'un bon bain chaud pour l'oublier".
Je vais donc prendre un bain.
Car demain, il faut que j'aille travailler. Un petit boulot pépère. Bien payé.
Dr Mathias Rossignol
Département d’Anesthésie-réanimation-SMUR
Hôpital Lariboisière (AP-HP)
Paris