La complainte du progrès, Boris Vian (1956)
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La complainte du progrès, Boris Vian (1956)
La complainte du progrès, Boris Vian (1956) 1er couplet 2ème couplet Autrefois pour faire sa cour On parlait d'amour Pour mieux prouver son ardeur On offrait son coeur Maintenant c'est plus pareil Ça change ça change Pour séduire le cher ange On lui glisse à l'oreille Autrefois s'il arrivait Que l'on se querelle L'air lugubre on s'en allait En laissant la vaisselle Maintenant que voulez-vous La vie est si chère On dit: "rentre chez ta mère" Et on se garde tout Ah Gudule, viens m'embrasser, et je te donnerai... Ah Gudule, excuse-toi, ou je reprends tout ça... 1er refrain 2ème refrain Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer Et du Dunlopillo Une cuisinière, avec un four en verre Des tas de couverts et des pelles à gâteau! Une tourniquette pour faire la vinaigrette Un bel aérateur pour bouffer les odeurs Des draps qui chauffent Un pistolet à gaufres Un avion pour deux... Et nous serons heureux! Mon frigidaire, mon armoire à cuillères Mon évier en fer, et mon poêle à mazout Mon cire-godasses, mon repasse-limaces Mon tabouret-à-glace et mon chasse-filous! La tourniquette, à faire la vinaigrette Le ratatineur dur et le coupe friture Et si la belle se montre encore rebelle On la ficelle dehors, pour confier son sort... Coda Au frigidaire, à l'efface-poussière A la cuisinière, au lit qu'est toujours fait Au chauffe-savates, au canon à patates A l'éventre-tomate, à l'écorche-poulet! Mais très très vite On reçoit la visite D'une tendre petite Qui vous offre son coeur Alors on cède Car il faut qu'on s'entraide Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Page 1 sur 4 Histoire des Arts - niveau 3ème Thématique : « Arts, créations, cultures » Objet d’étude : « L’homme et la société » Problématique : « Comment l’art illustre-t-il les évolutions de la société depuis 1950 ? » Domaine artistique : Les arts du son Discipline : Education Musicale Oeuvre étudiée: La complainte du Progrès Boris Vian (1956) _____________________________________________________________________________ Présentation de l’œuvre : - Titre: La complainte du progrès - Auteur : Boris Vian (1920-1959) - Musique : Alain Goraguer (1931-) - Genre: chanson engagée - Date de création : 1956 - Thématique de l’œuvre : Critique de la société de consommation du début des années 50. - Contexte historique : Chanson composée en 1956 pendant la période des « 30 glorieuses » (1945-1975), période de prospérité marquée par la croissance économique et l’apparition des nouveaux produits de consommation (voiture, réfrigérateur, machine à laver, télévision,…) qui révolutionnent les modes de vie de l’époque. La consommation des ménages français augmente et le chômage très faible reste inférieur à 2%. La consommation devient une des préoccupations des français. Ecrivains, chanteurs, cinéastes s’intéressent au phénomène, qui ne manque pas de les inquiéter. Lorsque Boris Vian écrit cette chanson, la consommation intense d’objets ménagers n’en est qu’à ses débuts. La chanson engagée : La chanson engagée est une musique qui prend position. Elle critique et dénonce ou alors encourage et défend. Dans tous les cas, elle prend parti sur un thème politique, social, écologique… Un artiste engagé, c’est quelqu’un qui a des convictions, et pose un regard critique sur le monde qui nous entoure, l’exprime et l’assume. On trouve des artistes engagés dans pratiquement tous les styles de musique comme la chanson française, le rap, le rock, le reggae… Page 2 sur 4 A propos de Boris Vian : Boris Vian était un écrivain français, poète, parolier, chanteur, critique et musicien de jazz (trompettiste), né en 1920, à Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine), mort en 1959 à Paris. Il fut aussi ingénieur de l'École centrale, scénariste, traducteur, peintre, … Il est issu d’une famille aisée. Il obtient un baccalauréat philosophie, avec option mathématiques. Il fréquente les cafés de Saint-Germain-des-Prés qui rassemblent des intellectuels et artistes de la Rive Gauche : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Marcel Mouloudji, Miles Davis… Le jazz est sa passion. En 1939, il assiste à un concert de Duke Ellington : c’est une révélation. Son premier roman célèbre (signé sous le pseudonyme de Vernon Sullivan) est J'irai cracher sur vos tombes, (1946). Le roman a fait scandale et a été interdit. Suite à l’échec de L'Arrache-coeur (1953) : il abandonne la littérature pour se consacrer à la musique. Passionné de jazz, il joue de la trompette dans les clubs de Saint-Germain-des-Prés. Il est également chroniqueur pour la revue Jazz Hot . Son oeuvre connait un immense succès public posthume (= après sa mort), notamment pendant les événements de mai 68. Les jeunes de la nouvelle génération redécouvrent Vian, l'éternel adolescent, dans lequel ils se retrouvent. Il a écrit onze romans (dont L’écume des jours ) quatre recueils de poèmes, des pièces de théâtre, des scénarios de films et plus de quatre cents chansons dont la célèbre chanson antimilitariste : Le déserteur (1954). A propos de la chanson « la complainte du progrès : Cette chanson est une caricature très drôle qui condamne l’importance des objets par rapport à celle des individus. Boris Vian y déplore le matérialisme d’une compagne qui, en guise de témoignage d’affection, réclame des objets. Il décrit les angoisses de l’amour moderne. Alors qu’avant les amoureux pouvaient vivre d’amour et d’eau fraîche, que des fleurs offertes faisaient plaisir, il faut maintenant l’abondance des biens de consommation. Cette œuvre traduit avec humour la crainte de Boris Vian de voir les sentiments amoureux remplacés par le plaisir de la consommation et la possession d’un maximum d’objets. Dans cette chanson, il fait une énumération de biens de consommation fantaisistes, avec des jeux de langage et des inventions comme « mon armoire à cuillères, mon cire-godasses, mon repasse-limaces, mon tabouret à glace, la tourniquette à faire la vinaigrette, le ratatine-ordures,… » Il s’agit d’une critique satirique de la société de consommation qui commence alors à se développer en France. Le titre : Une complainte est une chanson qui raconte les malheurs d’un personnage. Ici, c’est le récit d’un amour malheureux. 1er couplet : L’auteur oppose le passé « autrefois » à l’imparfait et le présent « maintenant » pour mettre en évidence les évolutions que connait le rapport entre les amoureux. Le poète regrette le temps de l’amour courtois, celui du don de soi pour mériter sa belle et constate avec regret que ce temps est révolu. «Ca change, ça change». C’est une allusion directe à un changement de société, de comportement, en lien avec la notion de progrès. L’auteur emploie le champ lexical des sentiments, de l’amour : « faire sa cour, parlait d’amour, ardeur, son cœur, séduire le cher ange, glisse à l’oreille » Ce vocabulaire n’est employé que dans les premiers vers, au début de la relation amoureuse. Page 3 sur 4 Il y a un contraste entre l’utilisation d’un vieux prénom, rare et ridicule « Gudule » et l’évocation des nouvelles tendances de consommation à la pointe de la modernité. Le couplet se conclut sur l’association entre le sentiment amoureux « viens m’embrasser » et l’attitude matérialiste « je te donnerai » 1er refrain : Boris Vian fait une énumération d’objets du quotidien, essentiellement de l’électroménager, qui ravit sa femme. Elle est comblée par les nouvelles inventions qui peuvent faciliter son travail de « femme au foyer » Le refrain se conclut par « et nous serons heureux » Association, encore une fois, entre le bonheur et les biens matériels. 2ème couplet : Nouvelle comparaison entre l’amour « d’autrefois » et celui de « maintenant » pour décrire les conséquences d’une querelle amoureuse. Le couplet se termine sur l’association entre le regret « excuse-toi » et les biens matériels « je reprends tout ça » 2ème refrain : Il s’agit d’une énumération d’objets qui sont repris à sa chère compagne. Désormais, chaque objet est énuméré avec le pronom « mon » pour renforcer l’idée de possession. Les objets cités deviennent de plus en plus farfelus par l’utilisation de mots composés, inventés par Boris Vian. Conclusion = Coda : Il s’agit d’une énumération progressant dans un délire excessif d’objets imaginaires jusqu’à la rencontre d’une nouvelle compagne. Le dernier vers sous-entend que la nouvelle relation amoureuse est déjà compromise par le matérialiste: « Et l’on vit comme ça jusqu’à la prochaine fois ». C’est une vision fataliste pour terminer la chanson. Cela montre que la consommation touche aussi les relations amoureuses et qu’il n’y a plus de sentiments sincères. Au niveau musical : Boris Vian chante accompagné d’un orchestre jazz composé d’instruments acoustiques. Il est divisé en deux sections : - La section rythmique avec la batterie, le piano et la contrebasse. - La section mélodique avec la voix, trombone, flûte traversière, trompette, saxophone, xylophone, violon. Cet orchestre est influencé par les musiques des Caraïbes. La tonalité est Mi mineur pour exprimer la tristesse, les angoisses de l’amour et des dérives du monde moderne. La flûte traversière et les saxophones ont souvent un rôle de contrechant, la trompette ponctue régulièrement les fins de phrase, le piano accompagne la voix avec des accords et ponctue certaines phrases. Comme dans son texte, Boris Vian joue avec les oppositions: pour une complainte on attendrait une musique plutôt triste, alors que là on est plongé dans une atmosphère légère presque burlesque (= comique). Page 4 sur 4