MEMOIRE DES version 4

Transcription

MEMOIRE DES version 4
ACADEMIE DE PARIS
Année 2009
MEMOIRE
pour l’obtention du
DES D’ANESTHESIOLOGIE-REANIMATION CHIRURGICALE
Coordonnateur : Mr le Professeur Marc SAMAMA
par
M. FIGUEIREDO Samy
Présenté et soutenu le 15 Octobre 2009
VALEUR DE LA PROTEINE C-REACTIVE (CRP)
POUR LE DIAGNOSTIC D’INFECTION
CHEZ LES PATIENTS CIRRHOTIQUES
A L’ADMISSION EN REANIMATION
Travail effectué sous la direction du Docteur E. BROCAS
et du Docteur Alain TENAILLON
et validé par le Professeur Jacques DURANTEAU
2
J’adresse mes sincères remerciements,
A Monsieur le Professeur Jacques Duranteau,
Vous avez porté votre regard critique sur ce travail et je vous en remercie.
Rejoindre votre équipe est une marque de confiance et une grande source de
motivation : la volonté est forte de progresser à vos côtés.
A Monsieur le Docteur Alain Tenaillon,
Vos observations et vos remarques au lit du malade m’ont beaucoup appris.
Votre sens clinique m’aura permis de découvrir la partie de la médecine qui ne
s’apprend pas dans les livres.
A Madame le Docteur Elsa Brocas,
Ton encadrement qui associe rigueur, enthousiasme et efficacité est en tout point
remarquable : j’espère que tu me permettras de m’en inspirer.
A toutes celles et tous ceux, nombreux, qui ont contribué à ma formation
d’anesthésiste-réanimateur,
La rédaction de ce mémoire est pour moi l’occasion de vous adresser mon immense
gratitude.
3
PLAN
PLAN......................................................................................................................................... 3
ABREVIATIONS...................................................................................................................... 4
INTRODUCTION.................................................................................................................... 5
SITUATION DU SUJET .......................................................................................................... 7
1. CRP : Caractéristiques générales .................................................................................. 8
2. CRP : Déterminants du taux circulant ......................................................................... 8
3. CRP : Utilisation comme marqueur biologique d'infection .................................... 9
4. CRP et pathologie cirrhotique .................................................................................... 10
5. CRP : utilisation chez le patient cirrhotique de réanimation ................................. 11
6. Objectifs de l'étude ....................................................................................................... 11
MATERIELS ET METHODES ............................................................................................. 12
RESULTATS .......................................................................................................................... 15
DISCUSSION ......................................................................................................................... 18
CONCLUSION ...................................................................................................................... 22
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 24
TABLEAUX & FIGURES ..................................................................................................... 26
ANNEXES............................................................................................................................... 31
Annexe 1. Feuille de recueil de données ....................................................................... 32
Annexe 2. Score de Child-Pugh ...................................................................................... 33
Annexe 3. Score SOFA : Sequential Organ Failure Assessment ................................ 34
4
ABREVIATIONS
Courbe ROC:
Courbe Receiver-Operating Characteristics
CRP:
Protéine C-réactive
Score SOFA:
Sequential Organ Failure Assessment
SIRS:
Syndrome de réponse inflammatoire systémique
Les critères de SIRS sont présentés dans l’Annexe 1.
VPN :
Valeur Prédictive Négative
VPP:
Valeur Prédictive Positive
5
INTRODUCTION
6
La cirrhose hépatique est une pathologie chronique grave qui peut conduire
les patients cirrhotiques en réanimation, notamment à cause des complications
aiguës secondaires à cette maladie: hémorragie digestive, encéphalopathie hépatique,
insuffisance rénale ou infection qui peut aller jusqu’au choc septique. Infection et
cirrhose sont étroitement liées : la cirrhose est un facteur de risque d’infection et
l’infection est un facteur de risque de mortalité chez le patient cirrhotique [1, 2]. Or, le
diagnostic d’infection est parfois difficile à affirmer, notamment parce que les signes
classiques d’infection (fièvre, hyperleucocytose) n’en sont pas pathognomoniques.
Certains marqueurs biologiques sont utilisés pour aider au diagnostic d’infection, en
particulier la protéine C-réactive (CRP) dont l’utilisation est largement répandue [3].
Le taux plasmatique de CRP augmente en quelques heures après un stimulus et sa
synthèse, qui dépend essentiellement de la cytokine de l'inflammation IL-6 [4], se fait
quasi-exclusivement par les hépatocytes [3, 5]. Une altération des fonctions
hépatiques, comme celle observée dans la cirrhose hépatique, peut retentir sur la
synthèse et donc l’interprétation de la CRP. Ainsi, et de manière paradoxale, des taux
de CRP supérieurs à la normale ont été mis en évidence chez des patients
cirrhotiques en dehors de toute infection [6, 7]. Au moment où le présent travail a été
initié, aucune étude n’avait été publiée sur l’utilité du dosage de la CRP pour le
diagnostic d’infection chez les patients cirrhotiques en réanimation.
L'objectif principal de la présente étude était donc de déterminer si la CRP est
un bon facteur prédictif d’infection chez le patient cirrhotique à l’admission en
réanimation et, si oui, de déterminer la meilleure valeur seuil.
L'objectif secondaire était de déterminer s’il existe, outre l’infection, d’autres
déterminants de la CRP chez le patient cirrhotique à l’admission en réanimation
parmi : la sévérité de l’atteinte hépatique (estimée par le score de Child-Pugh) et la
présence d’un syndrome de réponse inflammatoire et systémique (SIRS).
7
SITUATION DU SUJET
8
1. CRP : Caractéristiques générales
La protéine C-réactive (CRP) est une protéine plasmatique circulante
découverte en 1930 et dénommée ainsi parce qu’elle a la propriété de se liguer avec le
« C » polysaccharide de Streptococcus pneumoniae. Le rôle de la CRP dans l’organisme
n’est pas précisément déterminé mais on sait qu’elle a la capacité d’interagir avec de
nombreux ligands, qu’elle peut activer le complément et stimuler la phagocytose [4].
Ainsi, un rôle protecteur de la CRP contre les infections a été évoqué [8].
Chez le sujet sain, la CRP existe à l’état de trace dans le plasma (généralement < 3
mg/L) et il y a relativement peu de variations inter- et intra-individuelles [9].
Le site principal de production de la CRP est l’hépatocyte, principalement sous le
contrôle transcriptionnel de la cytokine Il-6. Même si d’autres sites de production ont
été décrits (cellules de Küpfer, monocytes/macrophages alvéolaires, reins en période
d’inflammation, cellules musculaires lisses), leur contribution au taux de CRP
circulante est marginale en comparaison avec la production hépatocytaire [5, 9].
2. CRP : Déterminants du taux circulant
La synthèse de CRP est remarquablement dynamique : après un stimulus
majeur, la concentration plasmatique de CRP peut varier dans des rapports
importants (jusqu’à 1000 fois le taux de base) en 24 à 48 heures et peut chuter
rapidement dans le même délai après traitement du stimulus. La demi-vie
plasmatique de la CRP est de 19 heures et demeure constante dans différentes
conditions chez le sujet sain ou malade [5]. Ainsi, le seul déterminant de la
concentration de CRP circulante est son taux de synthèse qui dépend directement du
stimulus à l’origine de la production de CRP [10].
9
La production de CRP fait partie de la phase aiguë non spécifique de réponse à une
inflammation, à une infection ou à un dommage tissulaire. En conséquence, une
augmentation du taux de CRP est mise en évidence dans de nombreuses
pathologies : maladies inflammatoires chroniques (par exemple : polyarthrite
rhumatoïde, spondylarthropathies), nécroses (infarctus du myocarde, pancréatite
aigüe), tumeurs, traumatismes, brûlures [5]. Il existe notamment une littérature
abondante et récente sur l’importance de la CRP dans l’athérosclérose : des
élévations modestes du taux de CRP circulante seraient associées à un risque
augmenté de pathologies coronariennes à long terme et, au cours de l’infarctus du
myocarde, une augmentation importante de la CRP serait associée à une
augmentation des risques de mortalité et de complications cardiaques [9]. Les
mécanismes et les implications de ces observations sont encore controversés.
3. CRP : Utilisation comme marqueur biologique d’infection
Comme nous l’avons vu, beaucoup de facteurs influencent le taux plasmatique
de CRP. Bien que la CRP ne soit en rien spécifique de l’infection, de nombreuses
études ont montré l’intérêt de son dosage comme argument en faveur de la présence
d’une infection, notamment en réanimation. Ainsi, il a été montré que le dosage de la
CRP présentait une puissance supérieure à des paramètres tels que la température ou
la numération des leucocytes dans le diagnostic d’infection chez des patients de
réanimation [11, 12]. Dans une étude prospective, observationnelle, portant sur 76
patients infectés et 36 patients non-infectés, les aires sous la courbe ROC (ReceiverOperating Characteristics) concernant la CRP, la température corporelle et la
numération leucocytaire pour le diagnostic d’infection étaient respectivement de
0.93, 0.75 et 0.49 [11].
Dans la population spécifique des patients en SIRS, deux études montraient des
résultats contradictoires. Une étude prospective, observationnelle portant sur 55
10
patients présentant « SIRS sans infection » et 70 patients avec « SIRS + infection »
montrait que la CRP pouvait être utilisée comme marqueur précoce d’infection, avec
une aire sous la courbe ROC autour de 0.94 [13]. A l’inverse, sur un effectif plus
faible de 33 malades au total, Selberg et al. n’ont pas mis en évidence cet intérêt de la
CRP pour le diagnostic d’infection (aire sous la courbe ROC = 0.67), peut-être par
manque de puissance de l’étude [14].
Par ailleurs, la décroissance du taux de CRP semble être un indicateur de guérison de
l’infection chez des patients de réanimation [15].
Il n’y a pas de consensus sur la meilleure valeur seuil de CRP prédictive d’infection.
Plusieurs valeurs ont ainsi été décrites dans la littérature, le plus souvent comprises
entre 50 et 100 mg/L avec des chiffres de sensibilité et de spécificité compris entre
60% et 80% [11-13, 15].
Le taux de CRP ne doit pas être utilisé comme marqueur absolu d’infection: il s’agit
d’un paramètre dont l’analyse, conjointe de celle des autres données cliniques,
microbiologiques et radiologiques, peut permettre le diagnostic d’infection.
4. CRP et pathologie cirrhotique
Le site de production quasi-exclusif de la CRP est l’hépatocyte [5]. Chez le
patient cirrhotique, la capacité de synthèse de la CRP semble conservée. En effet, de
manière un peu paradoxale, plusieurs études ont montré des concentrations
plasmatiques de CRP augmentées chez des patients cirrhotiques en dehors de toute
infection [7, 16, 17]. De plus, deux études ont montré que plus la pathologie
hépatique était sévère (estimation notamment sur le score de Child-Pugh, Annexe 2)
plus l’augmentation de CRP était importante [6, 7]. Une hypothèse pour expliquer
ces observations stipule que la cirrhose entraîne un état inflammatoire chronique
responsable d’une élévation non spécifique de la CRP.
11
Dans ce contexte, se pose alors la question de l’utilisation possible ou non de la CRP
comme facteur prédictif d’infection chez le patient cirrhotique. L’analyse de la
littérature montre des données peu nombreuses et contradictoires.
Dans une étude prospective portant sur 57 patients cirrhotiques en décompensation
dont 19 présentaient une infection documentée, Le Moine et al. avaient montré une
faible puissance diagnostique de la CRP [18]. Même deux études portant sur le même
type d’infection (infection du liquide d’ascite) ont montré des résultats divergents :
alors que Viallon et al. ont montré que la CRP faisait moins bien que la procalcitonine
(aire sous la courbe respectivement 0.79 versus 0.98) [19], Spahr et al. présentaient
des résultats inverses [20].
5. CRP : Utilisation chez le patient cirrhotique de réanimation
Au moment où la présente étude a été entreprise (2004), aucune donnée n’était
disponible sur l’utilité de la CRP comme facteur prédictif d’infection chez le patient
cirrhotique admis en réanimation.
6. Objectifs de l’étude
L’objectif principal de notre étude était d’évaluer l’intérêt du dosage de la CRP pour
le diagnostic d’infection à l’admission des patients cirrhotiques en réanimation et, le
cas échéant, de préciser la meilleure valeur seuil de CRP chez ces patients.
L’objectif secondaire de cette étude était de déterminer s’il existait d’autres
déterminants de la CRP chez ces patients parmi le score de Child-Pugh et la présence
d’un SIRS.
12
MATERIELS ET METHODES
13
1. Patients étudiés
Nous avons réalisé une étude rétrospective sur la base de données informatisée des
patients cirrhotiques consécutivement admis entre le 1er janvier 2002 et le 30
septembre 2004 dans le service de réanimation polyvalente (16 lits), du Centre
Hospitalier Sud-Francilien, Evry, France. Tout patient cirrhotique admis en
réanimation pendant cette période était inclus dans cette étude, les patients ayant pu
être hospitalisés plusieurs fois durant cette période.
Le diagnostic de cirrhose était déterminé soit par une preuve histologique hépatique,
soit par la survenue d’au moins une complication liée à une hypertension portale
(hémorragie digestive sur rupture de varices œsophagiennes, encéphalopathie
hépatique, décompensation oedémato-ascitique).
L’infection était définie selon les critères de Bone et al. [21] : phénomène biologique
caractérisé par une réponse inflammatoire à la présence de micro-organismes dans
un tissu ou un liquide normalement stérile. Les prélèvements microbiologiques
étaient guidés par l’examen clinique et les examens complémentaires des patients
admis.
2. Descriptif de l’étude
Etude rétrospective, observationnelle, monocentrique.
14
3. Paramètres étudiés
Pour chaque patient inclus dans cette étude, différents paramètres présents à
l’admission étaient recueillis (feuille de recueil de données nominative présentée en
Annexe 1): données démographiques telles que l'âge, le sexe, les scores de ChildPugh (Annexe 2), d’IGS II et de SOFA (Annexe 3) ainsi que la valeur de la CRP et la
présence ou l’absence d’une infection ou d’un SIRS. Les définitions des paramètres
« infections » et « SIRS » étaient rappelées sur la feuille de recueil (Annexe 1).
La durée de séjour en réanimation ainsi que la mortalité en réanimation ont
également été recueillies.
Le dosage de la CRP était réalisé pour tous les patients par immuno-turbidimétrie
(Tina-Quant ; Boehringer Mannheim, Allemagne) avec un seuil de détection égal à
0.5 mg/L.
4. Analyse statistique
L’analyse statistique a comporté une comparaison des valeurs de CRP selon la
présence ou non d'une infection et/ou d’un SIRS par test t non apparié ou test de
Mann Whitney pour les valeurs non paramétriques. Une courbe ROC a été réalisée
permettant d'analyser la relation CRP et infection, avec mesure de l'aire sous la
courbe et détermination du meilleur seuil par le test de Youden et par analyse
critique des valeurs de sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positive (VPP) et
négative (VPN). Enfin, une analyse de variance ANOVA a été réalisée pour voir
l’effet de l’infection, du SIRS et du score de Child-Pugh sur la valeur de CRP. Les
paramètres significatifs en analyse univariée ont été analysés en analyse multivariée.
Une valeur de p<0.05 a été considérée comme statistiquement significative.
15
RESULTATS
16
1. Résultats généraux
Durant la période du 1er janvier 2002 au 30 septembre 2004, 103 hospitalisations ayant
concerné 94 patients cirrhotiques ont été l'occasion d'un dosage de la CRP à
l'admission.
Les données démographiques sont présentées dans le Tableau 1.
Au total, une infection était mise en évidence à l’admission des patients lors de 32
hospitalisations sur les 103 (31%). Le descriptif des infections est présenté dans le
Tableau 2. La majorité des infections étaient des pneumopathies.
La CRP moyenne à l'admission était de 35 ± 45 mg/L (extrêmes : 1-197 mg/L).
2. CRP comme marqueur biologique de l’infection
La CRP était significativement plus élevée dans le groupe « infectés » par rapport au
groupe « non infectés » : respectivement 77 ± 53 (IC 0.95 : 59 – 96) versus 15 ± 21 (IC
0.95 : 10 – 20) mg/L, p<0.001 (Figure 1).
Une courbe ROC a été construite : l’aire sous la courbe était de 0.908 (IC 0.95 = 0.833 à
0.956) (Figure 2).
Les valeurs de sensibilité, de spécificité, de VPP et de VPN de trois différents seuils
de CRP sont présentées dans le Tableau 3. La valeur seuil obtenue par Test de
Youden était 12 mg/L et présentait des valeurs de sensibilité, spécificité, VPP et VPN
respectivement de : 97%, 70%, 58% et 98%.
17
3. Déterminants de la CRP
En analyse ANOVA univariée, l’infection, la présence d’un SIRS mais pas le score de
Child-Pugh étaient des déterminants de la CRP.
En analyse multivariée, seule l’infection était un déterminant indépendant de la CRP
dans notre population (Tableau 4).
18
DISCUSSION
19
L’objectif principal de notre étude était d’évaluer l’intérêt du dosage de la CRP
chez les patients cirrhotiques à leur admission en réanimation : nos résultats
suggèrent que la CRP est un bon outil pour le diagnostic d’infection chez ces
patients. En effet, le taux de CRP était augmenté de manière statistiquement
significative chez les patients cirrhotiques infectés par rapport aux patients
cirrhotiques non infectés (respectivement 77 ± 53 versus 15 ± 21 mg/L, p<0.001) et la
courbe ROC obtenue pour la présentait une aire sous la courbe satisfaisante (0.908).
En analyse ANOVA multivariée, l’infection était le seul déterminant indépendant de
la CRP.
La CRP est utilisée comme marqueur biologique d’infection, notamment en
réanimation et il a été montré que son dosage présentait une puissance supérieure à
des paramètres tels que la température ou la numération des leucocytes dans le
diagnostic d’infection chez des patients de réanimation [11, 12]. Plusieurs valeurs
seuils de CRP ont été décrites dans la littérature, le plus souvent comprises entre 50
et 100 mg/L avec des valeurs de sensibilité et de spécificité comprises entre 60% et
80% [11-13, 15].
Chez les patients cirrhotiques, la question de l’interprétation de la CRP se pose
puisque des concentrations plasmatiques de CRP supérieures à la normale en dehors
de toute infection ont été observées chez ces patients [6, 7]. Notre étude semble
confirmer cette observation puisque notre groupe de patients « cirrhotiques non
infectés sans SIRS » présentait un taux de CRP autour de 15 mg/L, donc plus élevé
que la normale. Ceci est probablement la conséquence d’un état inflammatoire
chronique lié à la pathologie cirrhotique elle-même. Peu de données existent sur
l’utilité de la CRP pour le diagnostic d’infection chez le cirrhotique et, au moment de
l’initiation de notre travail, aucune étude n’avait évalué son intérêt chez les
cirrhotiques admis en réanimation. Depuis la fin de notre travail, une seule étude a
investigué l’utilité du dosage de la CRP. Dans cette étude prospective randomisée
chez des patients de réanimation, Bota et al. ont montré que la CRP présentait une
20
puissance pour le diagnostic d’infection, certes faible, mais comparable entre les
patients cirrhotiques et non-cirrhotiques (aire sous la courbe ROC pour la CRP à
l’admission respectivement : 0.641 et 0.693) [22]. Par contre, aucune recommandation
n’était faite par les auteurs sur la valeur seuil optimale de CRP pour la prédiction
d’une infection à utiliser chez les patients cirrhotiques par rapport aux noncirrhotiques.
Dans notre étude, la meilleure valeur seuil de CRP pour le diagnostic
d’infection était de 28 mg/L. Les valeurs de sensibilité, spécificité, VPP et VPN pour
ce seuil étaient respectivement de 81%, 84%, 69% et 91% et donc comparables à celles
des seuils déjà publiés chez le non-cirrhotique. En revanche, ce qui semble différer
entre les patients cirrhotiques et non-cirrhotiques est la valeur de ce seuil de CRP
pour le diagnostic d’infection: il semble plus bas chez le patient cirrhotique puisque
les seuils habituellement retenus sont supérieurs à 50 mg/L chez le non cirrhotique
[11-13, 15]. L’équipe de Bota et al. semble confirmer ceci puisque le taux de CRP était
plus bas chez les patients « infectés et cirrhotiques » par rapport aux patients
« infectés et non-cirrhotiques », cette différence n’étant toutefois pas statistiquement
significative (taux de CRP maximum : respectivement 139 ± 64 versus 188 ± 73 mg/L)
[22]. Une hypothèse pour expliquer ceci serait que le foie cirrhotique conserve sa
capacité de production de la CRP en réaction à une infection, mais en quantité plus
faible que le foie non-cirrhotique. Un argument pour appuyer cette hypothèse est
apporté par l’étude de Park et al. [23] qui mettait en évidence une production de CRP
diminuée en cas de bactériémie à Escherichia coli chez des patients cirrhotiques par
rapport à des patients non cirrhotiques.
L’objectif secondaire de notre étude était de savoir si, outre l’infection, d’autres
facteurs pouvaient influencer la valeur et donc l’interprétation de la CRP chez le
cirrhotique à l’admission en réanimation. Les facteurs confondants évalués étaient la
présence d’un SIRS et la sévérité de la cirrhose évaluée par le score de Child-Pugh :
ces deux facteurs ne sont pas des déterminants de la CRP dans la population que
nous avons étudiée. Des données contradictoires existent sur l’influence de la
21
sévérité de l’atteinte hépatique sur le taux de CRP : alors que deux travaux montrent
une élévation de la CRP quand le score de Child-Pugh augmente [6, 7], une autre
étude ne confirme pas cette observation [22]. Notre étude manque probablement de
puissance pour mettre en évidence une telle relation. Par ailleurs, l’évaluation de la
sévérité de l’atteinte hépatique par le score de Child-Pugh présente des limites,
notamment par l’aspect subjectif de certains des items. D’autres critères, comme par
exemple le MELD score (model for end-stage liver disease) ont ainsi été développés
mais leur corrélation avec le taux de CRP doit encore être évaluée [24].
L’étude que nous présentons ici comporte un certain nombre de limites.
Le caractère rétrospectif représente une des limites principales de ce travail et expose
au risque de biais de sélection. Ainsi, certains patients cirrhotiques, admis durant la
période d’étude mais pour lesquels la CRP n’avait pas été dosée à l’admission, n’ont
pu être inclus. Une autre limite est l’absence d’un groupe « contrôle » composé de
patients non cirrhotiques admis dans notre réanimation durant la même période.
Ceci aurait notamment permis de vérifier que la valeur de base de CRP à 15 mg/L
chez le patient cirrhotique était bien due à un certain état inflammatoire de la
cirrhose, ainsi que de comparer le niveau d’augmentation de la CRP au sein des
patients infectés entre cirrhotiques et non cirrhotiques, par analogie avec le travail de
Bota et al. [22]. Ceci pourrait faire l’objet d’une étude prospective ultérieure.
22
CONCLUSION
La CRP semble pouvoir être utilisée comme marqueur biologique d’infection chez le
patient cirrhotique. La valeur seuil de CRP prédictive d’infection semble être moins
élevée chez le cirrhotique par rapport au non-cirrhotique, probablement par une
diminution de la capacité du foie cirrhotique à synthétiser la CRP en réponse à une
infection. Les limites de son utilisation sont les mêmes que pour le non-cirrhotique :
la CRP n’est pas un marqueur spécifique d’infection mais plutôt un indicateur
s’intégrant au sein d’un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et radiologiques
dont l’analyse globale aboutit au diagnostic d’infection.
23
Ce travail a fait l’objet d’une communication orale et d’une présentation par affiche
au 47ème Congrès de la Société Française d’Anesthésie-Réanimation en 2005 et
d’une présentation par affiche au 34ème Congrès de la Société de Réanimation de
Langue Française en 2006.
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26
TABLEAUX & FIGURES
27
Tableau 1. Données démographiques.
Age (années)
57 (range : 23-79)
Sex ratio (H/F)
72 / 31
Score de Child-Pugh
Child-Pugh A
32
Child-Pugh B
33
Child-Pugh C
38
Score IGS II
45 ± 23 (range : 6-103)
Score SOFA
7 ± 5 (range : 0-21)
Durée moyenne de séjour
6 ± 8 (range : 1-57)
Taux de mortalité
n = 22/103 (21.4%)
Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart type (range) sauf pour l’âge :
médiane (range).
Tableau 2. Descriptif des infections.
Type d’infection
Nombre
Pneumopathie (PNP)
Infection du liquide d’ascite (ILA)
Infection urinaire (IU)
Bactériémie
Pleurésie purulente
Infection de cathéter central
Infection prothèse totale genou
Péritonite postopératoire
Erysipèle
Duodénite infectieuse
PNP + IU
ILA + IU
TOTAL
11
4
4
4
2
1
1
1
1
1
1
1
32
28
Tableau 3. Valeurs de sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive
(VPP) et valeur prédictive négative (VPN) de différents seuils de CRP
pour le diagnostic d’infection chez des patients cirrhotiques à
l’admission en réanimation.
†
SEUILS DE CRP
Sensibilité
Spécificité
VPP
VPN
(mg/L)
(%)
(%)
(%)
(%)
12†
97
70
58
98
28
81
84
69
91
56
63
97
90
85
Valeur optimale obtenue par Test de Youden.
Tableau 4. Valeurs de CRP en fonction de la présence ou de l’absence
d’une infection ou d’un SIRS (Syndrome de Réponse Inflammatoire
Systémique).
CRP (mg/L)
CRP (mg/L)
SIRS
Non SIRS
n = 68
n = 35
42 ± 49 *
19 ± 29
Infection
Pas infection
Infection
Pas infection
n = 29
n = 39
n=3
n = 32
79 ± 54 *
15 ± 19
64 ± 48 *
15 ± 24
Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart type. * p< 0.05.
29
Figure 1. Valeur moyenne de la CRP pour les groupes de « patients
cirrhotiques infectés » et « cirrhotiques non infectés » à J0 de leur
admission en réanimation.
30
Figure 2. Courbe ROC obtenue pour la présence ou non d’une
infection selon le taux de CRP.
31
ANNEXES
32
Annexe 1. Feuille de recueil des données.
Nom:
Etiquette
Sexe:
Age:
Score de Child-Pugh de base:
Score de Child-Pugh à l’admission:
IGS II:
CRP J0
Infection
SIRS
Sepsis
Score SOFA
Type d’infection : ……………………………
DDS (en jours): ……………..
Mortalité: O / N
DEFINITIONS. D’après [21].
Infection = phénomène biologique caractérisé par une réponse inflammatoire à la
présence de micro-organismes dans un tissu ou un liquide normalement stérile.
SIRS = Syndrome de réponse inflammatoire systémique. Présence d’au moins 2
critères parmi :
- Température > 38°C ou < 36°C
- Fréquence Cardiaque > 90/min
- Fréquence Respiratoire > 20/min ou PaCO2 < 32 mmHg
- Globules blancs > 12000 ou < 4000/mm3
ou polynucléaires immatures > 10%
Sepsis = infection + SIRS
33
Annexe 2. Score de Child-Pugh.
D’après :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/diagnostic_cirrhose__score_de_child_pugh.pdf
1 point
2 points
3 points
Encéphalopathie (grade)
Absente
Grade I et II
Grade III et IV
Ascite
Absente
Minime
Modérée
Bilirubine totale (µmol/L)
< 35
35 à 50
> 50
Albumine (g/L)
> 35
28 à 35
< 28
Taux de prothrombine (%)
> 50
40 à 50
< 40
La gravité de la cirrhose hépatique est croissante avec la valeur du score :
- classe A : entre 5 et 6 points
- classe B : entre 7 et 9 points
- classe C : entre 10 et 15 points
34
Annexe 3. Score Sofa: Sequential Organ Failure Assessment.
D’après
[25].
Le score SOFA est utilisé pour décrire les défaillances d’organe chez les patients de
réanimation.
Score SOFA
0 point
1 point
2 points
PaO2/FiO2
Plaquettes x103/mm3
Bilirubinémie
(µmol/L)
Hypotension
Score de Glasgow
4 points
101-200 avec
≤100 avec
assistance
assistance
respiratoire
respiratoire
>400
301-400
201-300
>150
101-150
51-100
21-50
≤20
<20
20-32
33-101
102-204
>204
Dopa* ≤5 ou
Dopa >5 ou
Dopa >15 ou
PAM 70
PAM
dobutamine
epi* ≤0.1 ou
epi* >0.1 ou
mmHg
<70 mmHg
(toute dose)
norepi* ≤0.1
norepi* >0.1
6-9
<6
300-440 ou
>440 ou
<500 mL/j
<200 mL/j
15
13-14
10-12
<110
110-170
171-299
Créatininémie
(µmol/L) ou diurèse
3 points
PaO2 : Pression artérielle en oxygène; FiO2 : fraction inspirée d’oxygène;
PAM : pression artérielle moyenne ; Dopa : dopamine ;
epi : épinéphrine ; norepi : norépinéphrine
* Agents adrénergiques administrés pendant au moins 1 heure (doses administrées
en µg/kg/min).

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