La fibrose pulmonaire au quotidien

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La fibrose pulmonaire au quotidien
Dossier
spécial
Dossier
spécial
La fibrose pulmonaire
pulmonaire
La
au quotidien
quotidien
au
P
resque tous les pneumologues ont été confrontés un jour
à un patient atteint de fibrose pulmonaire idiopathique
(FPI), mais peu d’entre eux sont experts dans le domaine.
Info Respiration a voulu faire un point sur divers aspects
pratiques de la prise en charge des patients, du diagnostic au
traitement. Pour cela, nous avons fait appel à des praticiens
renommés dans le domaine. Dans un premier article, Vincent
Cottin et Jean-François Cordier nous rappellerons quelles sont
les conditions pour se passer de biopsie pulmonaire chirurgicale
et comment poser le diagnostic de FPI. Dans les deux articles
suivants, Bruno Crestani et Dominique Valeyre nous présenterons
plusieurs aspects du traitement et nous parlerons des voies
thérapeutiques en cours d’exploration.
Enfin, médecins et chirurgiens de l’hôpital Bichat (Yves Castier,
Pierre Mordant, Hervé Mal et Gabriel Thabut), qui travaillent au
quotidien main dans la main pour transplanter ces patients, nous
parleront des aspects pratiques et des bénéfices
de la transplantation pulmonaire chez les patients atteints de FPI.
FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE
Du diagnostic à la prise
en charge initiale
Jean-François Cordier,
Vincent Cottin,
hôpital Louis-Pradel, Lyon
PRISE EN CHARGE
DE LA FPI EN DEHORS
DE LA PIRFÉNIDONE
Entre prise en charge globale
et nouveaux traitements
Bruno Crestani,
hôpital Bichat, Paris
LA PIRFÉNIDONE
Une avancée réservée
aux stades légers à modérés
Dominique Valeyre,
hôpital Avicenne, Bobigny
TRANSPLANTATION
DANS LA FIP
Un gain de survie réel
Yves Castier,
hôpital Bichat, Paris
Pierre Mordant,
hôpital Européen
Georges-Pompidou, Paris
Gabriel Thabut, Hervé Mal,
hôpital Bichat, Paris
FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE
Du diagnostic à la prise en charge initiale
C
Jean-François Cordier
Service de bronchopneumologie
Hôpital Louis-Pradel, Lyon
© Ramona Kaulitzki. fotolia.com
Vincent Cottin
Service de pneumologie
Hôpital Louis-Pradel, Lyon
Si la biopsie pulmonaire chirurgicale
peut être évitée dans certains cas pour
poser le diagnostic de fibrose pulmonaire
idiopathique (FPI), elle peut permettre
un diagnostic précoce de la maladie, avant
l’apparition du « rayon de miel » signant
une fibrose irréversible. Il importe également
de penser à référer les patients à un centre
de compétences pour les maladies rares
afin de permettre au malade de bénéficier
des derniers standards de prise en charge.
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e n’est que récemment que des critères diagnostiques
de la FPI ont été établis par les sociétés scientifiques,
dont l’American Thoracic Society/European Respiratory Society/Japanese Respiratory Society/Latin American
Thoracic Association.1 La FPI, du point de vue de la terminologie clinique, correspond à la pneumopathie interstitielle
commune selon la terminologie anatomopathologique et
tomodensitométrique. En pratique, le diagnostic de FPI se
fonde sur les données tomodensitométriques et histopathologiques.
Critères diagnostiques de fibrose
pulmonaire idiopathique
La présence des quatre critères suivants de pneumopathie
interstitielle commune (PIC) permet un diagnostic certain
sur la seule imagerie : lésions prédominant dans la région
sous-pleurale ; images réticulaires ; aspect en rayons de miel
(avec ou sans bronchectasies de traction) ; absence de signes
incompatibles avec le tableau de PIC. Les signes incompatibles
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avec le tableau de PIC sont : la prédominance des lésions aux
sommets ou à la partie moyenne des poumons ; une prédominance péribronchovasculaire des lésions ; des opacités en
verre dépoli plus étendues que les zones de réticulation ; des
micronodules bilatéraux prédominant dans les lobes supérieurs ; des kystes (multiples, bilatéraux) à distance des zones
en rayons de miel ; une atténuation diffuse en mosaïque/trappage aérique (bilatéral, dans trois lobes ou plus) témoignant
d'une pathologie bronchiolaire prédominante ; condensation
segmentaire ou lobaire (évoquant davantage une pneumopathie organisée).
Le diagnostic tomodensitométrique de PIC est possible
lorsque trois seulement des quatre critères sont remplis (sans
présence de rayons de miel avec ou sans bronchectasies de
traction).
Les critères anatomopathologiques de PIC sont : une fibrose
franche avec distorsion architecturale, avec ou sans rayons de
miel, de distribution sous-pleurale/paraseptale prédominante ;
une atteinte fibreuse disséminée du parenchyme (alternance
de zones fibreuses et de zones saines) ; présence de foyers
fibroblastiques (conglomérats de fibroblastes producteurs de
la fibrose), et absence d’anomalies histopathologiques suggérant un autre diagnostic : membranes hyalines (pneumopathie interstitielle aiguë) ; bourgeons intra-alvéolaires (pneumopathie organisée) ; lésions granulomateuses ; infiltration
inflammatoire à distance du rayon de miel ; lésions bronchocentriques prédominantes ; autres signes suggérant un autre
diagnostic).
In fine, c'est la combinaison des signes TDM et des signes
histopathologiques qui permet le diagnostic certain ou
probable (voir Tableau).
2
DIAGNOSTIC DE LA FPI
TDM
BIOPSIE
FPI certaine
PIC certaine
Pas de biopsie
PIC certaine
PIC probable
PIC possible
Fibrose inclassable
PIC possible
PIC certaine
PIC probable
FPI probable
Pic possible
PIC possible
Fibrose inclassable
Tableau. Critères diagnostiques de la FPI.
un scanner thoracique à la recherche d'une pneumopathie
interstitielle et en particulier d’une FPI. De fait, comme on
le redira plus bas, le diagnostic précoce est devenu indispensable. Le bénéfice d’un traitement comme la pirfénidone n’a
été démontré que pour des patients n’ayant pas encore une FPI
très évoluée (capacité vitale > 50 % de la valeur théorique ;
facteur de transfert du CO > 35 % de la valeur théorique). Il
importe donc de faire le diagnostic avant une altération fonctionnelle marquée.
Quelle valeur diagnostique
pour les crépitants ?
Avec l’amélioration de l’imagerie, y a-t-il
encore une place de la biopsie pulmonaire
chirurgicale pour le diagnostic de la FPI ?
Quels en sont les risques ?
L’examen clinique pneumologique classique (inspection,
palpation, percussion, auscultation) n’est plus guère réalisé.
Il n’empêche que — on peut l’espérer — tous les pneumologues auscultent les poumons. En ce qui concerne les généralistes, la place qu’ils donnent à l’auscultation pulmonaire
mériterait d’être évaluée avec précision. Un éditorial récent
du British Medical Journal, destiné aux généralistes, prétend
que l’auscultation pulmonaire est de la mauvaise médecine,2
les signes cliniques (crépitants inclus) n’ayant pas d’intérêt…
Au contraire, nous pensons que les râles crépitants fins
velcro ont une excellente valeur clinique, car ils sont un signe
précoce de la FPI.3,4 Évidemment, ils n’en sont pas spécifiques, car présents dans la plupart des pneumopathies interstitielles. Il est indispensable que les médecins généralistes (et
bien sûr les étudiants en médecine) soient informés de la
valeur des râles crépitants velcro dans le diagnostic précoce
de la FPI : ils doivent conduire à réaliser, systématiquement,
Lorsqu’il existe un aspect en rayon de miel et que la PIC
est certaine sur la tomodensitométrie, il n’y a pas de nécessité de biopsie. Mais, malheureusement cette constatation du
rayon de miel témoigne souvent d’une FPI déjà évoluée (et
pour laquelle la prescription d'un traitement de pirfénidone
est dépassée). Il y a donc une tentation pour le clinicien :
la procrastination qui consiste, devant une pneumopathie
interstitielle débutante, à attendre l’installation du rayon de
miel en TDM pour faire le diagnostic de la FPI. Il faut au
contraire diagnostiquer la fibrose pulmonaire idiopathique
au stade le plus précoce possible : toux et dyspnée légères ;
lésions sous-pleurales interstitielles prédominant aux bases,
sans véritable rayon de miel ; râles crépitants velcro francs,
au niveau des bases ; exploration fonctionnelle respiratoire
encore peu perturbée (diminution de la CPT, CV légèrement
diminuée, facteur de transfert du CO abaissé) ; lavage bronchoalvéolaire neutrophilique (avec souvent petite augmen-
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FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE
Du diagnostic à la prise en charge initiale
tation des éosinophiles ; pas d’hyperlymphocytose) ; pas de
contexte étiologique orientant vers une PID autre qu’une
FPI (pas de critères cliniques ou biologiques de connectivite ;
pas d'arguments en faveur d'une pneumopathie d'hypersensibilité). Dans un tel cas, et en fonction des caractéristiques
individuelles du patient (âge en particulier), on peut proposer soit une surveillance active pour juger de l'évolutivité, et
faire la biopsie s’il y a progression, ou biopsie d'emblée. Les
risques de la biopsie pulmonaire sont évidemment à prendre
en compte, mais la biopsie vidéo chirurgicale dans une forme
légère (débutante) de FPI, sans comorbidité notable, est un
geste sûr. Bien entendu, cette biopsie doit être réalisée par un
chirurgien expérimenté, qui saura réaliser les prélèvements
dans chacun des lobes, au niveau des bases et des sommets.
Il n’y a pas d’arguments objectifs pour considérer qu’une
biopsie pulmonaire à un stade de maladie légère à modérée
peut conduire à une exacerbation de la FPI.
Place du centre de référence et des centres
de compétences pour les maladies rares
dans la prise en charge de la FPI
Avec une prévalence estimée comprise entre 14 et 28
cas/100 000 personnes1-5 et près de 10 000 patients atteints
en France, la FPI est la plus fréquente — mais aussi la plus
grave — des formes chroniques de pneumopathies interstitielles diffuses idiopathiques. Elle répond à la définition européenne d’une maladie rare (prévalence < 1/2 000), même si
elle n’est pas exceptionnelle après l’âge de 60 ans. À ce titre, sa
prise en charge est organisée et coordonnée par le Centre de
référence (CR) national pour les maladies pulmonaires rares
(Pr J.-F. Cordier, Pr V. Cottin, Lyon) et un réseau de Centres
de compétences (CC) régionaux, répondant à des critères
stricts de qualification.
Conformément au Plan national maladies rares (20052009, puis 2011-2015), la mission d’un CR n’est en aucun
cas d’assurer la prise en charge de chaque patient, mais d’assurer au malade et à ses proches une prise en charge globale
et cohérente, d’améliorer la prise en charge de proximité en
lien avec les établissements et les professionnels de santé, de
participer à l’amélioration des connaissances et des pratiques
professionnelles, et d’être l’interlocuteur des associations de
patients et des autorités de santé. Le CR est une structure de
recours qui voit les cas difficiles, suit des cohortes de patients,
et organise et pilote la recherche en lien avec les équipes internationales.
En pratique, le recours aux CR et CC permet de porter un
diagnostic précis et de proposer une prise en charge thérapeutique selon les standards les plus récents. Cela implique
notamment de différencier la FPI des pneumopathies infiltrantes avec lesquelles elle peut être confondue (pneumopathie interstitielle des connectivites, pneumopathie d’hyper-
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sensibilité, pneumopathie interstitielle non spécifique, etc.).
Les maladies rares sont souvent aussi dites orphelines, lorsqu’elles ne bénéficient pas d’une attention suffisante de la
part de la société, avec des difficultés d’accès au diagnostic
et aux soins, et avec une recherche clinique et thérapeutique
insuffisante. On peut considérer que la FPI, pour laquelle
existe maintenant un réseau de centres spécialisés, des modalités diagnostiques bien précises,2-6 une recherche très active,
et un traitement commercialisé,3-7 n’est plus en France une
maladie orpheline. (Voir encadré)
Améliorer la prise en charge des patients
atteints de FPI : un but unique, plusieurs
interlocuteurs à coordonner
Une enquête nationale coordonnée par le CR a été conduite
en 2012 par OpenedMind Health auprès des 2 608 pneumologues de France, dont la moitié a déclaré suivre au moins
un patient atteint de FPI. Ce travail a montré notamment
que les patients atteints de FPI sont vus majoritairement en
première intention par un pneumologue libéral et/ou de
centre hospitalier général, puis sont adressés pour avis dans
un centre plus spécialisé (de centre hospitalier universitaire
en général) et souvent (40 %) dans le CR ou l’un des CC.
Les pneumologues font donc très souvent appel au réseau de
soins existant sur les maladies pulmonaires rares.
Les pneumologues interrogés connaissent le plus souvent
les modalités diagnostiques actuelles de la FPI, mais ont
souvent, dans la réalité, de la difficulté à les mettre en œuvre,
faute d’accès à un radiologue et/ou un anatomopathologiste
compétent dans ce domaine et d’une discussion multidisciplinaire formalisée (concertation). Le rôle du centre spécialisé
est donc d’aider à porter un diagnostic précis, et si possible
précoce, de proposer une prise en charge thérapeutique selon
les recommandations les plus récentes, et d’organiser un suivi
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TROUVER UN CENTRE EXPERT
➜ Faire une requête avec le mot-clé
< Centre de référence des maladies
pulmonaires rares > dans un moteur
de recherche
➜ Visiter le site http://www.chu-lyon.fr/
web/1926. La liste et les coordonnées
de chaque centre de compétences pour
les maladies pulmonaires rares y figure.
➜ Pour les régions ne disposant pas
d’un centre de compétence, contacter le CR
pour être orienté vers un centre expérimenté
sur la FPI ([email protected]
ou 04 72 11 93 58).
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Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien
coordonné et partagé impliquant le pneumologue de proximité (libéral ou hospitalier) et le médecin traitant.
Cette enquête témoigne d’un vif intérêt des pneumologues pour la FPI, de leur souhait à participer à une amélioration de la prise en charge, et souligne le besoin de développer des filières de soins, pour lesquelles une réflexion
est en cours dans plusieurs régions pour une organisation
plus formalisée et structurée. À la suite de cette enquête, de
nombreuses actions ont déjà été entreprises : mise à disposition d’une fiche de discussion multidisciplinaire afin d’aider au diagnostic concerté dans les centres qui le souhaitent — disponible sur le site de la SPLF, http://splf.fr/s/
spip.php?article2225, actions de formation thématique au
niveau national et régional, et établissement de recommandations pratiques pour la prise en charge de la FPI, dont la
rédaction est en cours. n
1. Raghu G, Collard HR, Egan JJ, et al. An official ATS/ERS/JRS/
ALAT statement: idiopathic pulmonary fibrosis : evidence-based
guidelines for diagnosis and management. Am J Respir Crit Care Med
2011 ; 183 : 788-824.
2. Spence D. Bad medicine : chest examination. BMJ 2012 ; 345 :
e4569.
3. Cottin V, Cordier JF. Velcro crackles : the key for early diagnosis of
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pulmonary fibrosis. Eur R-7espir Rev 2012 ; 21 : 141-6.
7. Cottin V. Changing the idiopathic pulmonary fibrosis treatment
approach and improving patient outcomes. Eur Respir Rev 2012 ;
21 : 161-7.
PRISE EN CHARGE DE LA FPI EN DEHORS
DE LA PIRFÉNIDONE
Entre prise en charge globale et nouveaux traitements
Bruno Crestani
Service de pneumologie
Hôpital Bichat, Paris
Si la pirfénidone est une avancée certaine
dans la FPI, son efficacité demeure modérée,
et il importe d’améliorer sans cesse la prise
en charge des patients. De nouvelles voies
thérapeutiques sont en cours d’investigation,
mais ne doivent pas faire oublier l’importance
d’une prise en charge globale du patient,
tant sur le plan relationnel au vu du pronostic
effroyable de la maladie, que sur le plan
pneumologique pur. Ainsi, la réhabilitation
respiratoire pourrait à l’avenir prendre place
dans l’arsenal thérapeutique.
Voies thérapeutiques en cours
d’investigation dans la FPI
Les médicaments actuels de la fibrose permettent de ralentir l’évolution de la maladie, mais ne permettent pas de l’arrêter. Il est indispensable de développer de nouvelles molécules.
Cela fait l’objet de recherches intensives, menées à la fois par
4
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des compagnies pharmaceutiques, et dans un cadre académique. Plus d’une trentaine de molécules sont en cours d’évaluation dans la FPI, essentiellement dans des phases assez
précoces de développement. J’aborderai les grandes voies en
cours d’investigation, en commençant par les deux molécules les plus avancées que sont le nintédanib et la N-acétylcystéine (NAC).
Inhibiteurs de tyrosines kinases
Le nintédanib, également connu sous le nom de code
BIBF1120, est un inhibiteur de tyrosine kinase à spectre large.1
Le nintédanib inhibe les tyrosines kinases associées aux récepteurs du Vascular Endothelial Growth Factor (VEGFR1,2 et 3),
des Fibroblast Growth Factor (FGFR1, 2, 3 et 4) et du Platelet
Derived Growth Factor (PDGFR et ). Le nintédanib cible
également d’autres tyrosines kinases : Fms-like tyrosine kinase 3,
impliquée dans l’hématopoïèse ; et trois tyrosines kinases de la
famille Src (Lyn, Lck, Src). Du fait de ce spectre d’activité, cette
molécule a une activité anti-angiogénique puissante in vitro
et in vivo.1 Le nintedanib est d’ailleurs développé conjointement comme un anti-cancéreux, notamment dans le cancer
du poumon. Le nintedanib inhibe la prolifération des cellules
endothéliales. Il agit également sur les proliférations des péricytes in vitro et le recrutement des péricytes in vivo.1 Cette
propriété est intéressante car les péricytes sont des cellules
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PRISE EN CHARGE DE LA FPI EN DEHORS DE LA PIRFÉNIDONE
Entre prise en charge globale et nouveaux traitements
présentes dans la paroi des vaisseaux, qui ont été impliquées
dans la fibrogenèse dans différents tissus dont le poumon
(Rock ; Peduto). L’efficacité du nintédanib et d’un proche
analogue, le BIBF1100, a été démontrée dans la fibrose
pulmonaire induite par la bléomycine chez le rongeur2 et
dans une étude de phase II chez l’homme.3 Puisque l’inhibition sélective de la voie du PDGF par l’imatinib n’est pas
efficace, 4 on peut penser que l’effet bénéfique du nintédanib
provient de l’inhibition du VEGF et/ou des FGF, deux voies
impliquées dans la fibrogenèse expérimentale. Ainsi, il a été
montré récemment que l’administration de VEGF protège
de l’hypertension pulmonaire, mais aggrave la fibrose pulmonaire dans un modèle expérimental.5
Balance oxydants-antioxydants
Il existe un déséquilibre de la balance oxydants/antioxydants dans la fibrose pulmonaire qui a été démontré depuis de
nombreuses années. La NAC possède des effets antioxydants
et antifibrosants. Dans l’étude IFIGENIA, la NAC ralentit le
déclin de la fonction respiratoire chez des patients atteints de
FPI et recevant une association de prednisone et d’azathioprine.6 De nombreux pneumologues prescrivent de la NAC
chez les patients atteints de FPI sur la base de ces données. La
NAC est en cours d’évaluation contre placebo dans le cadre
de l’essai PANTHER mené aux États-Unis par le réseau
IPFnet. Cet essai comparait la triple association prednisone/
azathioprine/NAC, à la NAC seule, et un placebo. Le bras
triple thérapie a été interrompu précocement pour excès
d’effets indésirables,7 mais l’étude se prolonge pour ce qui
concerne les deux autres bras.
Inhibition de la voie du TGF- β
L’inhibition de la voie du Transforming Growth Factor-β
(TGF- ) est testée par différentes méthodes : anticorps antiTGF-, inhibition de la production de TGF- à l’aide d’un
anticorps dirigé contre l’intégrine v6, ou inhibiteurs de la
sérine théonine kinase associée à son récepteur. Des données
préliminaires ont été présentées avec un anticorps antiCTGF (Connective Tissue Growth Factor), mais il est trop
tôt pour en tirer une information pertinente.
Médiateurs inflammatoires et profibrosants
Bien que le modèle physiopathologique actuel attribue un
rôle modeste à l’inflammation dans la fibrogenèse pulmonaire, différents médiateurs inflammatoires impliqués dans
la fibrogenèse sont des cibles thérapeutiques dans la fibrose
pulmonaire. C’est notamment le cas de l’IL-4 et de l’IL-13,
deux cytokines profibrosantes. Un essai thérapeutique testant
l’efficacité d’un anticorps monoclonal dirigé contre ces cytokines devrait débuter en France en 2013. Dans une même
intersection entre inflammation et fibrose, les fibrocytes sont
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une sous-population de monocytes. Les fibrocytes sont des
précurseurs circulants des fibroblastes.8 Il est possible d’inhiber le recrutement des fibrocytes vers le poumon, à l’aide
d’un anticorps ciblant la chimiokine CCL2, également
appelée monocyte chemoattractant protein-1 (MCP-1), ou
d’inhiber la différenciation des fibrocytes en fibroblastes, à
l’aide de sérum amyloide P. Ces molécules sont efficaces dans
des modèles expérimentaux de fibrose, et sont en cours de
développement chez l’homme.
Autres cibles
La lysyl-oxydase-like 2 (LOXL-2) est une enzyme impliquée dans la stabilisation des molécules de collagène. Les
concentrations de cette enzyme sont augmentées dans le
sérum et le plasma de patients atteints de FPI. L’inhibition de
la LOXL-2 à l’aide d’un anticorps limite le développement de
la fibrose pulmonaire dans un modèle expérimental.9 Cette
molécule est actuellement testée en phase II, et sera accessible
en France dans le courant de l’année 2013 dans le cadre d’un
essai thérapeutique (essai RAINIER).
Quel bénéfice pour la réhabilitation
respiratoire ?
Les patients atteints de FPI doivent bénéficier d’une prise
en charge globale, incluant outre les traitements pharmacologiques, le dépistage et le traitement des comorbidités,
une prise en charge psychologique, et la réhabilitation. En
effet, on sait maintenant que la réhabilitation respiratoire est
faisable et efficace chez les patients atteints de FPI.10 La réhabilitation respiratoire peut être réalisée en ambulatoire ou en
hospitalisation.11,12 Elle permet d’améliorer l’endurance à
l’exercice, la dyspnée à l’effort, et la qualité de vie, sans modifier les paramètres fonctionnels respiratoires. La réhabilitation diminue les hospitalisations dans une étude.13 Il n’y a
pas encore de donnée concernant un effet sur la survie. Une
étude suggère que les patients ayant le score de dyspnée le
plus sévère ne bénéficient pas de la réhabilitation.13
Consultation d’annonce et abord
du pronostic avec le patient
La FPI s’apparente au cancer. Comme le cancer, c’est une
maladie chronique, aujourd’hui incurable, dont l’issue est
fatale en quelques années. Comme de nombreux cancers,
la FPI atteint des personnes plutôt âgées. Mais contrairement au cancer, c’est une maladie rare, inconnue du public,
qui n’évoque généralement aucune image négative pour le
patient à qui on annonce son diagnostic. Dans la plupart des
cas, c’est donc le médecin qui annonce le diagnostic apportant la première information sur la nature de cette maladie
et son évolution. Très rarement, il y a eu un ou plusieurs
cas familiaux, et un proche a pu être atteint et éventuelle-
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ment être décédé de FPI. Dans ce dernier cas, le patient est
conscient du pronostic de la maladie dès la première consultation. Quoi qu’il en soit la question du pronostic est posée
par les patients dès l’annonce du diagnostic. Comme dans
le cancer, il est important que cette consultation d’annonce
soit assez longue, pour que le patient ait le temps de poser des
questions, elle peut être poursuivie par une prise en charge de
l’infirmière, et éventuellement une psychologue susceptible
de répondre aux autres questions qui pourraient surgir.
Il est important de dire aux patients que bien que la maladie évolue habituellement lentement, elle peut connaître des
exacerbations, qui doivent amener à une consultation médicale rapide auprès d’un pneumologue afin que l’exacerbation
soit reconnue et que le traitement soit commencé sans retard.
Il est particulièrement important d’aborder le pronostic de
la maladie chez les patients ayant une maladie sévère d’emblée pouvant bénéficier d’une transplantation pulmonaire
du fait de leur âge (< 65 ans) et de l’absence de comorbidité
majeure. Dans ce cas, ce sujet doit être abordé dès la consultation d’annonce du diagnostic.
Enfin, la position du médecin est sans doute simplifiée par
la possibilité de faire une proposition thérapeutique, qui doit
s’intégrer dans une prise en charge globale. n
1. Hilberg F, Roth GJ, Krssak M, et al. BIBF 1120 : triple angioki-
nase inhibitor with sustained receptor blockade and good antitumor
efficacy. Cancer Res 2008 ; 68 (12) : 4774-82. Epub 2008/06/19.
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LA PIRFÉNIDONE
Une avancée réservée
aux stades légers à modérés
Dominique Valeyre
Université Paris-13, Sorbonne Paris Cité
Et Assistance-Publique hôpitaux de Paris
Hôpital Avicenne, Bobigny
La pirfénidone, mise sur le marché dans le
traitement de la FPI, est actuellement entrée
dans les recommandations thérapeutiques.
Toutefois, elle ne peut être prescrite que dans
les stades légers et à modérés. Il est essentiel
de continuer de proposer aux malades d’être
inclus dans des essais thérapeutiques.
Place de la pirfénidone
dans les recommandations
La pirfénidone ralentit d’un tiers la décroissance de la capacité vitale forcée (CVF),1, 2 critère le plus prédictif de la survie,
également la décroissance de la distance au test de marche de
6 minutes,2 et améliore la survie sans progression selon une
métaanalyse.3 Cependant, il n’a pas été démontré à ce jour
d’amélioration significative de la survie, critère majeur dans
cette maladie, le dimensionnement des études nécessaires pour
évaluer ce point — nombre d’inclusions et durée — étant
extrêmement difficile à mettre en œuvre.
Dans les recommandations internationales ATS/ERS/JRS/
ALAT sur la FPI publiées en 2011,4 aucun des médicaments
pour la FPI, pirfénidone comprise, n’avait été considéré comme
recommandable. La pirfénidone était une option raisonnable
pour une minorité de patients. Cet avis, fortement conditionné par la méthodologie ATS a fait l’objet de controverses.
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LA PIRFÉNIDONE
Une avancée réservée aux stades légers à modérés
Sur la conjonction des données des études de phase III menées
au Japon1 et en Amérique du nord, en Europe et en Australie
(CAPACITY),2 la pirfénidone a été autorisée en Europe et dans
de nombreux autres pays, mais pas aux États-Unis. En France, la
HAS considère le service rendu par la pirfénidone comme faible
avec une limitation des indications aux formes de FPI confirmée
à un stade peu avancé. Les recommandations pratiques préconisées sous l’égide de la Société de pneumologie de langue française sont en cohérence et préconisent la prescription de la pirfénidone en cas de FPI confirmée à un stade léger ou modéré.5 Les
résultats attendus en 2014 de l’essai ASCEND mené aux ÉtatsUnis devraient fournir des données intéressantes, notamment
l’effet du médicament dans des formes plus avancées.
MODALITÉS ET PRIX
DU TRAITEMENT PAR PIRFÉNIDONE
(Esbriet®)
➜ La posologie doit être augmentée
progressivement :
— jours 1 à 7 : 1 gélule de 267 mg, trois fois
par jour (soit 801 mg/jour)
— jours 8 à 14 : 2 gélules, trois fois par jour
(soit 1602 mg/jour)
— jour 15 et au-delà : 3 gélules, trois fois par jour
(soit 2403 mg/jour)
En cas de mauvaise tolérance, la posologie
peut être réduite temporairement.
En cas d’interruption de moins de 14 jours
consécutifs, le traitement peut être repris à la
dernière dose d’entretien à partir de 14 jours
d’arrêt, le traitement sera repris progressivement
selon le schéma initial.
➜ Le coût du traitement est de 27167,24 € par an
pour un malade traité à la posologie usuelle.
Essai thérapeutique ou pirfénidone ?
Dans tous les cas, le pneumologue doit éclairer le patient
sur sa maladie et les perspectives possibles et raisonnables en
fonction du stade de sa fibrose, d’éventuelles comorbidités
et des médicaments qu’il prend. Les options thérapeutiques
actuelles de la FPI comprennent les médicaments dont la
pirfénidone, seul médicament aujourd’hui autorisé, mais
aussi l’oxygénothérapie, la réhabilitation, le traitement de
certaines comorbidités (RGO et SAOS) et la transplantation.
Tous les patients quel que soit le stade de leur maladie ont
le droit d’être informés sur les essais en cours sur la FPI. Ils
doivent pouvoir choisir en toute connaissance leur option,
pirfénidone (s’ils répondent aux conditions), ou essai, s’ils le
préfèrent. En cas de progression de la FPI lors d’un essai, le
recours pirfénidone est à envisager, si l’état de la maladie du
patient rend possible cette prescription.
Modalités de prescription du traitement
par pirfénidone
La prescription la pirfénidone est subordonnée à trois
conditions principales :
1. un diagnostic de FPI confirmé, c’est-à-dire certain ou
au minimum probable selon les critères des recommandations internationales (cf. V. Cottin et J.-F. Cordier, « Fibrose
pulmonaire idiopathique : du diagnostic à la prise en charge
initiale », page Z de ce numéro).4 Un diagnostic de FPI
possible n’est pas suffisant. Cependant, la conjonction d’une
évolution progressive documentée dans un contexte de FPI
possible pourrait augmenter le niveau de certitude diagnostique et faire reconsidérer la prescription du médicament ;
2. un stade léger a modéré de la FPI sur des explorations
fonctionnelles remontant à moins de 3 mois (CVF > 50 % et
DLCO > 35 % des valeurs prédites) ;
3. une validation du diagnostic de FPI, de son stade
léger a modéré et de la pertinence de la prescription lors d’une
discussion multidisciplinaire organisée dans une équipe hospitalière composée de pneumologue, d’un radiologue et d’un patho-
I n f o R e s p ir a t i o n
logiste en sachant que la surspécialisation de l’équipe en pathologie interstitielle améliore la sécurité diagnostique. Il est donc
préférable de contacter un centre de référence ou compétence
pour les maladies pulmonaires rares ou un service universitaire
de pneumologie expérimenté en pathologie interstitielle).
Il faut obtenir une prise en charge à 100 % par la Sécurité
sociale avant la prescription d’Esbriet®, démarche indispensable
étant donné le prix du médicament. Le médicament est prescrit
sur une ordonnance spéciale dans une structure hospitalière.
Enfin, le patient doit être informé de toutes les précautions
à prendre (arrêt du tabac, sa consommation modifiant la pharmacocinétique de la pirfénidone ; vis-à-vis du soleil, compte
tenu de la photosensibilité induite ; des associations médicamenteuses, dont en particulier les IPP). Un suivi planifié
est nécessaire pour monitorer le traitement dans les meilleures
conditions de sécurité et permettre un renseignement précis et
exhaustif de l’HAS sur l’impact de la prise du médicament. n
1. Taniguchi H, Ebina M, Kondoh Y, et al. Pirfenidone in idiopathic
pulmonary fibrosis. Eur Respir J 2010 ; 35 : 821-9.
2. Noble PW, Albera C, Bradford WZ, et al. Pirfenidone in patients
with idiopathic pulmonary fibrosis (CAPACITY) : two randomised
trials. Lancet 2011 ; 377 : 1760-9.
3. Spagnolo P, Del Giovani C, Luppi F, et al. Non-steroid agents for
idiopathic plmonary fibrosis. Cochrane Database Syst Rev 2010 ; Sep 8 ;
(9) ; CD003154.doi : 10.1002/14651858.CD003134.pub2.
4. Raghu G, Collard HR, Egan JJ, et al. An Official ATS/ERS/JRS/
ALAT statement : idiopathic pulmonary fibrosis : evidence-based
guidelines for diagnosis and management. Am J Respir Crit Care Med
2011 ; 183 : 788-824.
5. Cottin V, Crestani B, Valeyre D, et al. Recommandations pratiques
pour le diagnostic et la prise en charge de la fibrose pulmonaire idiopathique. SPLF. Rev Mal Respir (sous presse).
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7
Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien
TRANSPLANTATION DANS LA FPI
Un gain de survie réel
Transplantation en dehors de l’urgence
Yves Castier,1 Pierre Mordant,2 Gabriel Thabut,3 Hervé Mal3
1. Service de chirurgie thoracique et vasculaire
Hôpital Bichat, Université Diderot, Paris.
2. Service de chirurgie thoracique,
Hôpital Européen Georges Pompidou,
Université Descartes, Paris.
3. Service de pneumologie B et transplantation pulmonaire,
Hôpital Bichat, Université Diderot, Paris.
L’arrivée des indications de superurgence
et la diminution de la pénurie de greffons ont
changé la donne pour les malades atteints de
fibrose pulmonaire idiopathique (FPI). Le gain
de survie apporté par la transplantation doit
inciter à référer ces patients à un centre
de transplantation sans oublier l’adage
du « ni trop tôt, ni trop tard »…
M
algré les progrès diagnostiques et thérapeutiques
décrits dans les articles précédents, le pronostic
des patients atteints de FPI reste sombre, avec une
médiane de survie au diagnostic estimée entre deux et cinq ans.1
La transplantation pulmonaire demeure le seul traitement
capable de restaurer la fonction respiratoire de ces patients.
En dehors de l’urgence, le moment optimal pour inscrire les
patients sur liste d’attente est une survie prévisionnelle inférieure à deux ans.2 Mais la FPI se caractérisait historiquement
par une mortalité importante sur liste d’attente, voire par une
absence d’inscription sur liste, liée à l’évolution imprévisible
et aux exacerbations parfois catastrophiques de la maladie. La
prise en charge en urgence de ces patients a été bouleversée par
l’amélioration de la disponibilité des greffons, la mise en place
de priorités sur la liste d’attente, et les progrès de l’assistance
cardiopulmonaire périopératoire. Ces progrès ont permis
d’augmenter à la fois le nombre de patients transplantés pour
FPI chaque année, et le poids de la fibrose dans l’ensemble des
indications de transplantation. Selon le dernier rapport de la
Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT), les patients atteints de FPI représentaient
28,3 % des transplantations pulmonaires en 2010, faisant de la
FPI la seconde indication de transplantation, derrière l’emphysème non déficitaire (28,8 %). La même année, 70 patients
atteints de FPI ont été inscrits sur liste en France, ce qui correspond à 22 % des inscrits.
8
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•
Bénéfices de la transplantation pulmonaire
Le bénéfice de survie apporté par la transplantation chez les
patients atteints de fibrose pulmonaire a été démontré de façon
convergente par plusieurs études. Dans une première étude
publiée en 1998, Hosenpud et al. ont analysé le registre américain UNOS, afin de déterminer le bénéfice de survie associé à
la transplantation pulmonaire, en comparaison avec l’attente
considérée comme référence. Pour la FPI, les risques relatifs
de mortalité associés à la transplantation étaient de 2,09 à un
mois, 0,71 à six mois, et 0,67 à un an.3 Dans une seconde étude
publiée en 2001, De Meester et al. ont analysé le registre européen Eurotransplant, afin de déterminer après quel délai les
patients bénéficiaient d’une amélioration de leur pronostic lié à
la transplantation. Dans le cas de la FPI, ce bénéfice était atteint
dès le 55e jour après transplantation, contre le 90e jour pour la
mucoviscidose ou le 260e jour pour la BPCO.4 Ce bénéfice de
la transplantation pulmonaire pour FPI a également été retrouvé
dans une étude monocentrique française publiée en 2003, avec
une réduction de la mortalité de 75 % en cas de transplantation.5
Critères d’inscription
Compte tenu des résultats au long cours de la transplantation
pulmonaire (80 % de survie à un an, 50 % de survie à cinq ans),
il n’est pas raisonnable d’inscrire les patients trop tôt dans l’évolution de leur maladie. À l’inverse, une inscription trop tardive
leur fait courir le risque de décès pendant la période d’attente
de la transplantation. Le critère classique d’inscription reste
une survie prévisionnelle inférieure à deux ans, mais il n’est pas
toujours simple de prédire cette survie de façon fiable pour un
patient donné. Ainsi, dans le cas de la fibrose pulmonaire idiopathique, la problématique de l’équilibre entre le « trop tôt » et
le « trop tard » n’est pas du tout la même qu’en cas de BPCO
ou de mucoviscidose. La survie sans transplantation des patients
atteints de FPI est en effet beaucoup plus mauvaise que celle
observée dans la BPCO ou dans la mucoviscidose, et il faut
surtout craindre de référer « trop tard ». L’ISHLT recommande
actuellement d’adresser un patient à une équipe de transplantation dès que le diagnostic de FPI ou de PINS fibrosante est
établi.6 L’ISHLT recommande également de transplanter un
patient dans des situations précises, résumées dans l’encadré.6
Spécificité chirurgicales et réanimatoires
La transplantation pulmonaire pour FPI est associée à des
particularités qui la rendent techniquement plus délicate qu’une
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TRANSPLANTATION DANS LA FPI
Un gain de survie réel
transplantation pour emphysème. Parmi ces spécificités, on
notera :
➞ La petite taille du thorax, conséquence directe du processus fibrosant et de la chute de la capacité pulmonaire totale. Cet
espace restreint complique l’explantation du poumon pathologique, la réalisation des anastomoses vasculaires et bronchiques, et l’adaptation du greffon à la cavité thoracique. L’explantation du poumon pathologique peut être rendue difficile
par de volumineuses adénopathies hilaires, dont l’hémostase
doit être particulièrement soigneuse. La réalisation des anastomoses vasculaires et bronchiques peut nécessiter l’abaissement
du diaphragme, voire la section du sternum. La discongruence entre le greffon et le thorax peut conduire à la réduction
du greffon en fin d’intervention, par résections atypiques ou
anatomiques (lobectomie moyenne, lingulectomie).
traitements immunosuppresseurs. Cette imprégnation fragilise les tissus, complique les anastomoses, et augmente le risque
de complications bronchiques. De plus, en cas d’assistance
périphérique, la corticothérapie complique considérablement
la cicatrisation de l’abord fémoral, sujet à désunion et à infection locale. Toutes ces spécificités font de la FPI l’indication de
transplantation la plus difficile pour le chirurgien thoracique.
Transplantation uni- ou bipulmonaire ?
En l’absence de colonisation à germes multirésistants, les
patients atteints de FPI peuvent bénéficier d’une transplantation unipulmonaire, avec de très bons résultats, aussi bien en
termes de pronostic que de fonction. Cependant, les complications liées au poumon natif, ainsi que le recours fréquent à
une circulation extracorporelle même pour une transplantation
unipulmonaire, ont conduit de
nombreuses équipes à proposer des
Figure – Survie du receveur après greffe cardiopulmonaire ou pulmonaire
6
transplantations bipulmonaires à
selon la pathologie à la première inscription, période 1993-2010
ces patients. Rapportant le pronostic de 3 327 patients transplantés
pour FPI entre 1987 et 2009 aux
États Unis, Thabut et al. ont compté
2 146 transplantations unipulmonaires et 1 181 transplantations
bipulmonaires.7 La survie médiane
était meilleure après transplantation
bipulmonaire (5,2 ans) qu’après
transplantation monopulmonaire
(3,8 ans), mais cette différence
n’était plus significative après ajustement selon les comorbidités et l’état
du patient au moment de l’inscription. La transplantation bipulmonaire était associée à une surmortalité la première année, surtout due à
➞ La présence fréquente d’une hypertension artérielle la dysfonction primaire du greffon, alors que la transplantation
pulmonaire (HTAP) associée. En l’absence d’assistance, cette
monopulmonaire était associée à une surmortalité les années
HTAP peut contre indiquer le clampage de l’artère pulmosuivantes, surtout due à la survenue de cancers. Ce débat entre
naire. Après prise de la PAPm en peropératoire, et test de
transplantation uni- et bipulmonaire reste donc ouvert, mais
clampage en cas de PAPm acceptable, l’équipe chirurgicale
actuellement, la plupart des équipes favorisent la transplantaet anesthésique peut choisir d’avoir recours à une assistance
tion bipulmonaire avant 60 ans et en dehors de l’urgence, et la
cardiorespiratoire, qui sera le plus souvent une Ecmo (Extra
transplantation unipulmonaire dans les autres cas.
Corporeal Membrane Oxygenation) veinoartérielle fémoroféPronostic
morale. Dans la plupart des centres, la politique actuelle est
alors de laisser l’Ecmo en place 24 à 48 heures, afin de dimiDans l’expérience française, sur 404 patients ayant bénéfinuer les lésions d’ischémie-reperfusion, de protéger le greffon
cié d’une transplantation pulmonaire pour FPI entre 1993 et
de l’hyperdébit postopératoire, et de permettre une ventilation
2010, les taux de survie à un mois, un an, et cinq ans s’établismoins agressive. L’Ecmo est ensuite sevrée au bloc opératoire,
saient respectivement à 81 %, 61 % et 36 %.8 Ces chiffres font
de la FPI la pathologie où le pronostic après transplantation est
et retirée par abord fémoral seul.
L’imprégnation
corticoïdes,
constante
chez
les
patients
le moins favorable, comme illustré dans la figure page précé➞
atteints de FPI transplantés après l’échec de plusieurs lignes de
dente. Dans le registre de l’ISHLT, la médiane de survie après
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Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien
transplantation est de 7,5 ans en cas de mucoviscidose, 5,3 ans
en cas d’emphysème non déficitaire, cinq ans en cas d’HTAP,
et 4,4 ans en cas de FPI, confirmant que la FPI est l’indication de transplantation pulmonaire où le pronostic est le plus
sombre.9 Ces chiffres doivent néanmoins être rapprochés des
deux ans d’espérance de vie en l’absence de transplantation.
Transplantation dans le cadre de l’urgence
La mise en place de priorités sur la liste d’attente
Le travail conjoint de l’Agence de la biomédecine et des équipes de transplantation a permis d’augmenter le recensement
des donneurs, ainsi que la proportion de donneurs en état de
mort encéphalique prélevés d’un greffon pulmonaire, de 6 % en
2000 à 19 % en 2010. Pour la première fois, en 2011, le nombre
de patients inscrits sur liste était égal au nombre de patients
transplantés, faisant espérer la fin de la pénurie de greffons.8 Il
est alors apparu légitime de mettre en place une procédure de
priorités des patients les plus instables. En France, une procédure
de superurgence a été créée en juillet 2007. Si l’espérance de vie
du patient candidat est estimée à moins de 15 jours en l’absence
de greffe, la procédure lui permet de prendre la première place
sur la liste nationale, et donc de recevoir le premier greffon qui
sera disponible. Pour la FPI, les critères de superurgence établis
par l’Agence de la biomédecine sont les suivants : 8
— hypoxémie menaçante, avec oxygénothérapie > 12 L/min
et saturation < 90 % ;
— mise sous ventilation invasive ;
— mise sous assistance de type Ecmo ;
— absence de dysfonction d’un organe extrathoracique ;
— absence de sepsis incontrôlé.
Cette procédure de superurgence a permis de diviser par
deux la mortalité sur liste, de 8,2 % en 2006 à 3,1 % en 2011. 8
Les progrès de l’assistance cardiorespiratoire
La procédure de superurgence permet de faire bénéficier aux
patients atteints de FPI des progrès de l’assistance cardiorespiratoire, qui est le plus souvent en France une ECLS (Extra
Corporeal Life Support) ou Ecmo.
En cas d’insuffisance respiratoire isolée, l’assistance est une
Ecmo veinoveineuse, posée en périphérie, par deux canules
veineuses jugulaire et fémorale, ou par une canule unique à
double lumière. Cette assistance permet de récupérer le sang
dans un des deux systèmes caves, de l’oxygéner, puis de le
réinjecter en regard de l’oreillette droite. Il s’agit donc d’une
assistance respiratoire exclusive, le poumon n’est pas shunté et
continue de recevoir la totalité du débit cardiaque. Cette assistance peut être réalisée chez un patient vigile, pour des périodes de plusieurs semaines.
En cas d’insuffisance respiratoire associée à une insuffisance
cardiocirculatoire (HTAP associée, insuffisance ventriculaire
10
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numêro 117
•
Les indications de transplantation
pulmonaire pour pneumopathies
interstitielles fibrosantes idiopathiques
selon l’ISHLT6
1. En cas de diagnostic histologique ou
radiologique de pneumonie interstitielle
commune, associé à un des critères suivants :
➜ DLCO < 39 % de la valeur prédite
➜ baisse de la CVF de plus de 10 % en 6 mois
➜ saturation < 88 % lors du test de marche
de 6 minutes
➜ présence de rayon de miel en TDM, avec
un score > 2
2. En cas de diagnostic histologique de Pins,
associé à un des critères suivants :
➜ DLCO < 35 % de la valeur prédite
➜ baisse de la CVF de plus de 10 % en 6 mois
➜ baisse de la DLCO de plus de 15 % en 6 mois
droite hypoxémique), l’assistance est une Ecmo veinoartérielle,
posée en périphérie, par des canules fémorales, veineuse et artérielle. Cette assistance permet de récupérer le sang du système
cave inférieur, de l’oxygéner, puis de le réinjecter a retro dans
l’artère fémorale. Il s’agit donc d’une assistance cardiaque et
respiratoire, le poumon est shunté et ne reçoit qu’un très faible
débit. Cette assistance peut être réalisée chez un patient vigile,
pour des périodes de deux à trois semaines.
Les patients inscrits sur liste puis transplantés selon la procédure de superurgence alors qu’ils étaient sous Ecmo ont une
surmortalité initiale importante, et plus marquée en cas de
FPI. Ainsi, sur les 36 patients inscrits en superurgence sous
Ecmo en France entre 2007 et 2011, seuls 30 ont pu bénéficier
d’une transplantation, 27 sont sortis vivants du bloc opératoire, et 20 ont pu quitter l’hôpital. La survie à deux ans depuis
l’initiation de l’Ecmo était de 50 % pour la cohorte, 71 % en
cas de mucoviscidose, et 27 % en cas de FPI.9 Il est important
de noter que sans cette prise en charge lourde, aucun de ces
patients n’aurait survécu à son séjour en réanimation.
Conclusion
Au total, la transplantation pulmonaire est un traitement
efficace de la FPI, permettant un gain de survie démontré par
plusieurs larges études de registres. Un meilleur recensement
des greffons, l’adoption d’une politique d’assistance volontariste, et la mise en place de la procédure de superurgence ont
permis de diminuer la mortalité sur liste d’attente sans nuire
aux résultats globaux des programmes de greffe. Cependant,
il reste indispensable de référer tôt les candidats potentiels à la
greffe, afin de ne pas être surpris par une exacerbation imprévisible. ■
octobre 2
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TRANSPLANTATION DANS LA FPI
Un gain de survie réel
1. Cottin V. Changing the idiopathic pulmonary fibrosis treatment
approach and improving patient outcomes. Eur Respir Rev 2012 ; 21 :
161-7.
2. Mal H, Thabut G, Evrard P. Quand le pneumologue doit-il envisager la transplantation pulmonaire pour un de ses patients ? Rev Mal
Respir 2009 ; 26 : 183-90.
3. Hosenpud JD, Bennett LE, Keck BM, et al. Effect of diagnosis
on survival benefit of lung transplantation for end-stage lung disease.
Lancet 1998 ; 351 : 24-7.
4. De Meester J, Smits JM, Persijn GG, et al. Listing for lung
transplantation : life expectancy and transplant effect, stratified by
type of end-stage lung disease, the Eurotransplant experience. J Heart
Lung Transplant 2001 ; 20 : 518-24.
5. Thabut G, Mal H, Castier Y, et al. Survival benefit of lung
transplantation for patients with idiopathic pulmonary fibrosis. J
Thorac Cardiovasc Surg 2003 ; 126 : 469-75.
LIENS D’INTÉRÊT
• Vincent Cottin a été investigateur principal et/ou
membre de comités de pilotage ou de comités consultatifs dans des essais thérapeutiques sur la fibrose
pulmonaire, il a participé à des comités scientifiques
sur la fibrose pulmonaire idiopathique et a reçu des
financements pour congrès par les laboratoires Acté-
6. Orens JB, Estenne M, Arcasoy S, et al. International guidelines
for the selection of lung transplant candidates : 2006 update. J Heart
Lung Transplant 2006 ; 25 : 745-55.
7. Thabut G, Christie JD, Ravaud P, et al. Survival after bilateral
versus single-lung transplantation for idiopathic pulmonary fibrosis.
Ann Intern Med 2009 ; 151 : 767-74.
8. Rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, 2011, disponible
sur http://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2011/donnees/
organes/04-coeur-poumon/synthese.htm
9. Rapport annuel de l’ISHLT, 2012, disponible sur http://www.
jhltonline.org/article/S1053-2498(12)01212-0/fulltext
10. Lafarge M, Mordant P, Thabut G, et al. Experience of extracorporeal membrane oxygenation as a bridge to lung transplantation in
France. J Heart Lung Transplant 2013 ; 32 : 905-13.
lion, Boehringer Ingelheim, Gilead et Intermune.
• Pierre Mordant n’a pas déclaré de lien d’intérêt en
rapport avec la fibrose pulmonaire idiopathique.
• Hervé Mal n’a pas déclaré de lien d’intérêt en rapport
avec la fibrose pulmonaire idiopathique.
• Dominique Valeyre a participé à des réunions scientifiques sur la FPI soutenues par Actélion, Intermune
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•
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et Boehringer-Ingelheim. Il a été investigateur et/ou
membre de steering comittees dans les essais INSPIRE,
BUILD I et III, MUSIC, CAPACITY et BIBF financés
par Intermune, Actelion, Boehringer-Ingelheim) et a
reçu des financements pour les congrès ATS/ERS/CPLF
des compagnies GSK, Mundipharma et BoehringerIngelheim.
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