La fibrose pulmonaire au quotidien
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La fibrose pulmonaire au quotidien
Dossier spécial Dossier spécial La fibrose pulmonaire pulmonaire La au quotidien quotidien au P resque tous les pneumologues ont été confrontés un jour à un patient atteint de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI), mais peu d’entre eux sont experts dans le domaine. Info Respiration a voulu faire un point sur divers aspects pratiques de la prise en charge des patients, du diagnostic au traitement. Pour cela, nous avons fait appel à des praticiens renommés dans le domaine. Dans un premier article, Vincent Cottin et Jean-François Cordier nous rappellerons quelles sont les conditions pour se passer de biopsie pulmonaire chirurgicale et comment poser le diagnostic de FPI. Dans les deux articles suivants, Bruno Crestani et Dominique Valeyre nous présenterons plusieurs aspects du traitement et nous parlerons des voies thérapeutiques en cours d’exploration. Enfin, médecins et chirurgiens de l’hôpital Bichat (Yves Castier, Pierre Mordant, Hervé Mal et Gabriel Thabut), qui travaillent au quotidien main dans la main pour transplanter ces patients, nous parleront des aspects pratiques et des bénéfices de la transplantation pulmonaire chez les patients atteints de FPI. FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE Du diagnostic à la prise en charge initiale Jean-François Cordier, Vincent Cottin, hôpital Louis-Pradel, Lyon PRISE EN CHARGE DE LA FPI EN DEHORS DE LA PIRFÉNIDONE Entre prise en charge globale et nouveaux traitements Bruno Crestani, hôpital Bichat, Paris LA PIRFÉNIDONE Une avancée réservée aux stades légers à modérés Dominique Valeyre, hôpital Avicenne, Bobigny TRANSPLANTATION DANS LA FIP Un gain de survie réel Yves Castier, hôpital Bichat, Paris Pierre Mordant, hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris Gabriel Thabut, Hervé Mal, hôpital Bichat, Paris FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE Du diagnostic à la prise en charge initiale C Jean-François Cordier Service de bronchopneumologie Hôpital Louis-Pradel, Lyon © Ramona Kaulitzki. fotolia.com Vincent Cottin Service de pneumologie Hôpital Louis-Pradel, Lyon Si la biopsie pulmonaire chirurgicale peut être évitée dans certains cas pour poser le diagnostic de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI), elle peut permettre un diagnostic précoce de la maladie, avant l’apparition du « rayon de miel » signant une fibrose irréversible. Il importe également de penser à référer les patients à un centre de compétences pour les maladies rares afin de permettre au malade de bénéficier des derniers standards de prise en charge. I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • e n’est que récemment que des critères diagnostiques de la FPI ont été établis par les sociétés scientifiques, dont l’American Thoracic Society/European Respiratory Society/Japanese Respiratory Society/Latin American Thoracic Association.1 La FPI, du point de vue de la terminologie clinique, correspond à la pneumopathie interstitielle commune selon la terminologie anatomopathologique et tomodensitométrique. En pratique, le diagnostic de FPI se fonde sur les données tomodensitométriques et histopathologiques. Critères diagnostiques de fibrose pulmonaire idiopathique La présence des quatre critères suivants de pneumopathie interstitielle commune (PIC) permet un diagnostic certain sur la seule imagerie : lésions prédominant dans la région sous-pleurale ; images réticulaires ; aspect en rayons de miel (avec ou sans bronchectasies de traction) ; absence de signes incompatibles avec le tableau de PIC. Les signes incompatibles octobre 2 013 • www.splf.org 1 Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien avec le tableau de PIC sont : la prédominance des lésions aux sommets ou à la partie moyenne des poumons ; une prédominance péribronchovasculaire des lésions ; des opacités en verre dépoli plus étendues que les zones de réticulation ; des micronodules bilatéraux prédominant dans les lobes supérieurs ; des kystes (multiples, bilatéraux) à distance des zones en rayons de miel ; une atténuation diffuse en mosaïque/trappage aérique (bilatéral, dans trois lobes ou plus) témoignant d'une pathologie bronchiolaire prédominante ; condensation segmentaire ou lobaire (évoquant davantage une pneumopathie organisée). Le diagnostic tomodensitométrique de PIC est possible lorsque trois seulement des quatre critères sont remplis (sans présence de rayons de miel avec ou sans bronchectasies de traction). Les critères anatomopathologiques de PIC sont : une fibrose franche avec distorsion architecturale, avec ou sans rayons de miel, de distribution sous-pleurale/paraseptale prédominante ; une atteinte fibreuse disséminée du parenchyme (alternance de zones fibreuses et de zones saines) ; présence de foyers fibroblastiques (conglomérats de fibroblastes producteurs de la fibrose), et absence d’anomalies histopathologiques suggérant un autre diagnostic : membranes hyalines (pneumopathie interstitielle aiguë) ; bourgeons intra-alvéolaires (pneumopathie organisée) ; lésions granulomateuses ; infiltration inflammatoire à distance du rayon de miel ; lésions bronchocentriques prédominantes ; autres signes suggérant un autre diagnostic). In fine, c'est la combinaison des signes TDM et des signes histopathologiques qui permet le diagnostic certain ou probable (voir Tableau). 2 DIAGNOSTIC DE LA FPI TDM BIOPSIE FPI certaine PIC certaine Pas de biopsie PIC certaine PIC probable PIC possible Fibrose inclassable PIC possible PIC certaine PIC probable FPI probable Pic possible PIC possible Fibrose inclassable Tableau. Critères diagnostiques de la FPI. un scanner thoracique à la recherche d'une pneumopathie interstitielle et en particulier d’une FPI. De fait, comme on le redira plus bas, le diagnostic précoce est devenu indispensable. Le bénéfice d’un traitement comme la pirfénidone n’a été démontré que pour des patients n’ayant pas encore une FPI très évoluée (capacité vitale > 50 % de la valeur théorique ; facteur de transfert du CO > 35 % de la valeur théorique). Il importe donc de faire le diagnostic avant une altération fonctionnelle marquée. Quelle valeur diagnostique pour les crépitants ? Avec l’amélioration de l’imagerie, y a-t-il encore une place de la biopsie pulmonaire chirurgicale pour le diagnostic de la FPI ? Quels en sont les risques ? L’examen clinique pneumologique classique (inspection, palpation, percussion, auscultation) n’est plus guère réalisé. Il n’empêche que — on peut l’espérer — tous les pneumologues auscultent les poumons. En ce qui concerne les généralistes, la place qu’ils donnent à l’auscultation pulmonaire mériterait d’être évaluée avec précision. Un éditorial récent du British Medical Journal, destiné aux généralistes, prétend que l’auscultation pulmonaire est de la mauvaise médecine,2 les signes cliniques (crépitants inclus) n’ayant pas d’intérêt… Au contraire, nous pensons que les râles crépitants fins velcro ont une excellente valeur clinique, car ils sont un signe précoce de la FPI.3,4 Évidemment, ils n’en sont pas spécifiques, car présents dans la plupart des pneumopathies interstitielles. Il est indispensable que les médecins généralistes (et bien sûr les étudiants en médecine) soient informés de la valeur des râles crépitants velcro dans le diagnostic précoce de la FPI : ils doivent conduire à réaliser, systématiquement, Lorsqu’il existe un aspect en rayon de miel et que la PIC est certaine sur la tomodensitométrie, il n’y a pas de nécessité de biopsie. Mais, malheureusement cette constatation du rayon de miel témoigne souvent d’une FPI déjà évoluée (et pour laquelle la prescription d'un traitement de pirfénidone est dépassée). Il y a donc une tentation pour le clinicien : la procrastination qui consiste, devant une pneumopathie interstitielle débutante, à attendre l’installation du rayon de miel en TDM pour faire le diagnostic de la FPI. Il faut au contraire diagnostiquer la fibrose pulmonaire idiopathique au stade le plus précoce possible : toux et dyspnée légères ; lésions sous-pleurales interstitielles prédominant aux bases, sans véritable rayon de miel ; râles crépitants velcro francs, au niveau des bases ; exploration fonctionnelle respiratoire encore peu perturbée (diminution de la CPT, CV légèrement diminuée, facteur de transfert du CO abaissé) ; lavage bronchoalvéolaire neutrophilique (avec souvent petite augmen- I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • octobre 2 013 • www.splf.org FIBROSE PULMONAIRE IDIOPATHIQUE Du diagnostic à la prise en charge initiale tation des éosinophiles ; pas d’hyperlymphocytose) ; pas de contexte étiologique orientant vers une PID autre qu’une FPI (pas de critères cliniques ou biologiques de connectivite ; pas d'arguments en faveur d'une pneumopathie d'hypersensibilité). Dans un tel cas, et en fonction des caractéristiques individuelles du patient (âge en particulier), on peut proposer soit une surveillance active pour juger de l'évolutivité, et faire la biopsie s’il y a progression, ou biopsie d'emblée. Les risques de la biopsie pulmonaire sont évidemment à prendre en compte, mais la biopsie vidéo chirurgicale dans une forme légère (débutante) de FPI, sans comorbidité notable, est un geste sûr. Bien entendu, cette biopsie doit être réalisée par un chirurgien expérimenté, qui saura réaliser les prélèvements dans chacun des lobes, au niveau des bases et des sommets. Il n’y a pas d’arguments objectifs pour considérer qu’une biopsie pulmonaire à un stade de maladie légère à modérée peut conduire à une exacerbation de la FPI. Place du centre de référence et des centres de compétences pour les maladies rares dans la prise en charge de la FPI Avec une prévalence estimée comprise entre 14 et 28 cas/100 000 personnes1-5 et près de 10 000 patients atteints en France, la FPI est la plus fréquente — mais aussi la plus grave — des formes chroniques de pneumopathies interstitielles diffuses idiopathiques. Elle répond à la définition européenne d’une maladie rare (prévalence < 1/2 000), même si elle n’est pas exceptionnelle après l’âge de 60 ans. À ce titre, sa prise en charge est organisée et coordonnée par le Centre de référence (CR) national pour les maladies pulmonaires rares (Pr J.-F. Cordier, Pr V. Cottin, Lyon) et un réseau de Centres de compétences (CC) régionaux, répondant à des critères stricts de qualification. Conformément au Plan national maladies rares (20052009, puis 2011-2015), la mission d’un CR n’est en aucun cas d’assurer la prise en charge de chaque patient, mais d’assurer au malade et à ses proches une prise en charge globale et cohérente, d’améliorer la prise en charge de proximité en lien avec les établissements et les professionnels de santé, de participer à l’amélioration des connaissances et des pratiques professionnelles, et d’être l’interlocuteur des associations de patients et des autorités de santé. Le CR est une structure de recours qui voit les cas difficiles, suit des cohortes de patients, et organise et pilote la recherche en lien avec les équipes internationales. En pratique, le recours aux CR et CC permet de porter un diagnostic précis et de proposer une prise en charge thérapeutique selon les standards les plus récents. Cela implique notamment de différencier la FPI des pneumopathies infiltrantes avec lesquelles elle peut être confondue (pneumopathie interstitielle des connectivites, pneumopathie d’hyper- I n f o R e s p ir a t i o n sensibilité, pneumopathie interstitielle non spécifique, etc.). Les maladies rares sont souvent aussi dites orphelines, lorsqu’elles ne bénéficient pas d’une attention suffisante de la part de la société, avec des difficultés d’accès au diagnostic et aux soins, et avec une recherche clinique et thérapeutique insuffisante. On peut considérer que la FPI, pour laquelle existe maintenant un réseau de centres spécialisés, des modalités diagnostiques bien précises,2-6 une recherche très active, et un traitement commercialisé,3-7 n’est plus en France une maladie orpheline. (Voir encadré) Améliorer la prise en charge des patients atteints de FPI : un but unique, plusieurs interlocuteurs à coordonner Une enquête nationale coordonnée par le CR a été conduite en 2012 par OpenedMind Health auprès des 2 608 pneumologues de France, dont la moitié a déclaré suivre au moins un patient atteint de FPI. Ce travail a montré notamment que les patients atteints de FPI sont vus majoritairement en première intention par un pneumologue libéral et/ou de centre hospitalier général, puis sont adressés pour avis dans un centre plus spécialisé (de centre hospitalier universitaire en général) et souvent (40 %) dans le CR ou l’un des CC. Les pneumologues font donc très souvent appel au réseau de soins existant sur les maladies pulmonaires rares. Les pneumologues interrogés connaissent le plus souvent les modalités diagnostiques actuelles de la FPI, mais ont souvent, dans la réalité, de la difficulté à les mettre en œuvre, faute d’accès à un radiologue et/ou un anatomopathologiste compétent dans ce domaine et d’une discussion multidisciplinaire formalisée (concertation). Le rôle du centre spécialisé est donc d’aider à porter un diagnostic précis, et si possible précoce, de proposer une prise en charge thérapeutique selon les recommandations les plus récentes, et d’organiser un suivi numêro 117 TROUVER UN CENTRE EXPERT ➜ Faire une requête avec le mot-clé < Centre de référence des maladies pulmonaires rares > dans un moteur de recherche ➜ Visiter le site http://www.chu-lyon.fr/ web/1926. La liste et les coordonnées de chaque centre de compétences pour les maladies pulmonaires rares y figure. ➜ Pour les régions ne disposant pas d’un centre de compétence, contacter le CR pour être orienté vers un centre expérimenté sur la FPI ([email protected] ou 04 72 11 93 58). • octobre 2 013 • www.splf.org 3 Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien coordonné et partagé impliquant le pneumologue de proximité (libéral ou hospitalier) et le médecin traitant. Cette enquête témoigne d’un vif intérêt des pneumologues pour la FPI, de leur souhait à participer à une amélioration de la prise en charge, et souligne le besoin de développer des filières de soins, pour lesquelles une réflexion est en cours dans plusieurs régions pour une organisation plus formalisée et structurée. À la suite de cette enquête, de nombreuses actions ont déjà été entreprises : mise à disposition d’une fiche de discussion multidisciplinaire afin d’aider au diagnostic concerté dans les centres qui le souhaitent — disponible sur le site de la SPLF, http://splf.fr/s/ spip.php?article2225, actions de formation thématique au niveau national et régional, et établissement de recommandations pratiques pour la prise en charge de la FPI, dont la rédaction est en cours. n 1. Raghu G, Collard HR, Egan JJ, et al. An official ATS/ERS/JRS/ ALAT statement: idiopathic pulmonary fibrosis : evidence-based guidelines for diagnosis and management. Am J Respir Crit Care Med 2011 ; 183 : 788-824. 2. Spence D. Bad medicine : chest examination. BMJ 2012 ; 345 : e4569. 3. Cottin V, Cordier JF. Velcro crackles : the key for early diagnosis of idiopathic pulmonary fibrosis ? Eur Respir J 2012 ; 40 : 519-21. 4. Cottin V, Cordier JF. Who and what should we rely on in early diagnosis of idiopathic pulmonary fibrosis ? Eur Respir J 2013 ; 41 : 250-1. 5. Nalysnyk L, Cid-Ruzafa J, Rotella P, et al. Incidence and prevalence of idiopathic pulmonary fibrosis : review of the literature. Eur Respir Rev 2012 ; 21 : 355-61. 6. du Bois RM. An earlier and more confident diagnosis of idiopathic pulmonary fibrosis. Eur R-7espir Rev 2012 ; 21 : 141-6. 7. Cottin V. Changing the idiopathic pulmonary fibrosis treatment approach and improving patient outcomes. Eur Respir Rev 2012 ; 21 : 161-7. PRISE EN CHARGE DE LA FPI EN DEHORS DE LA PIRFÉNIDONE Entre prise en charge globale et nouveaux traitements Bruno Crestani Service de pneumologie Hôpital Bichat, Paris Si la pirfénidone est une avancée certaine dans la FPI, son efficacité demeure modérée, et il importe d’améliorer sans cesse la prise en charge des patients. De nouvelles voies thérapeutiques sont en cours d’investigation, mais ne doivent pas faire oublier l’importance d’une prise en charge globale du patient, tant sur le plan relationnel au vu du pronostic effroyable de la maladie, que sur le plan pneumologique pur. Ainsi, la réhabilitation respiratoire pourrait à l’avenir prendre place dans l’arsenal thérapeutique. Voies thérapeutiques en cours d’investigation dans la FPI Les médicaments actuels de la fibrose permettent de ralentir l’évolution de la maladie, mais ne permettent pas de l’arrêter. Il est indispensable de développer de nouvelles molécules. Cela fait l’objet de recherches intensives, menées à la fois par 4 I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • des compagnies pharmaceutiques, et dans un cadre académique. Plus d’une trentaine de molécules sont en cours d’évaluation dans la FPI, essentiellement dans des phases assez précoces de développement. J’aborderai les grandes voies en cours d’investigation, en commençant par les deux molécules les plus avancées que sont le nintédanib et la N-acétylcystéine (NAC). Inhibiteurs de tyrosines kinases Le nintédanib, également connu sous le nom de code BIBF1120, est un inhibiteur de tyrosine kinase à spectre large.1 Le nintédanib inhibe les tyrosines kinases associées aux récepteurs du Vascular Endothelial Growth Factor (VEGFR1,2 et 3), des Fibroblast Growth Factor (FGFR1, 2, 3 et 4) et du Platelet Derived Growth Factor (PDGFR et ). Le nintédanib cible également d’autres tyrosines kinases : Fms-like tyrosine kinase 3, impliquée dans l’hématopoïèse ; et trois tyrosines kinases de la famille Src (Lyn, Lck, Src). Du fait de ce spectre d’activité, cette molécule a une activité anti-angiogénique puissante in vitro et in vivo.1 Le nintedanib est d’ailleurs développé conjointement comme un anti-cancéreux, notamment dans le cancer du poumon. Le nintedanib inhibe la prolifération des cellules endothéliales. Il agit également sur les proliférations des péricytes in vitro et le recrutement des péricytes in vivo.1 Cette propriété est intéressante car les péricytes sont des cellules octobre 2 013 • www.splf.org PRISE EN CHARGE DE LA FPI EN DEHORS DE LA PIRFÉNIDONE Entre prise en charge globale et nouveaux traitements présentes dans la paroi des vaisseaux, qui ont été impliquées dans la fibrogenèse dans différents tissus dont le poumon (Rock ; Peduto). L’efficacité du nintédanib et d’un proche analogue, le BIBF1100, a été démontrée dans la fibrose pulmonaire induite par la bléomycine chez le rongeur2 et dans une étude de phase II chez l’homme.3 Puisque l’inhibition sélective de la voie du PDGF par l’imatinib n’est pas efficace, 4 on peut penser que l’effet bénéfique du nintédanib provient de l’inhibition du VEGF et/ou des FGF, deux voies impliquées dans la fibrogenèse expérimentale. Ainsi, il a été montré récemment que l’administration de VEGF protège de l’hypertension pulmonaire, mais aggrave la fibrose pulmonaire dans un modèle expérimental.5 Balance oxydants-antioxydants Il existe un déséquilibre de la balance oxydants/antioxydants dans la fibrose pulmonaire qui a été démontré depuis de nombreuses années. La NAC possède des effets antioxydants et antifibrosants. Dans l’étude IFIGENIA, la NAC ralentit le déclin de la fonction respiratoire chez des patients atteints de FPI et recevant une association de prednisone et d’azathioprine.6 De nombreux pneumologues prescrivent de la NAC chez les patients atteints de FPI sur la base de ces données. La NAC est en cours d’évaluation contre placebo dans le cadre de l’essai PANTHER mené aux États-Unis par le réseau IPFnet. Cet essai comparait la triple association prednisone/ azathioprine/NAC, à la NAC seule, et un placebo. Le bras triple thérapie a été interrompu précocement pour excès d’effets indésirables,7 mais l’étude se prolonge pour ce qui concerne les deux autres bras. Inhibition de la voie du TGF- β L’inhibition de la voie du Transforming Growth Factor-β (TGF- ) est testée par différentes méthodes : anticorps antiTGF-, inhibition de la production de TGF- à l’aide d’un anticorps dirigé contre l’intégrine v6, ou inhibiteurs de la sérine théonine kinase associée à son récepteur. Des données préliminaires ont été présentées avec un anticorps antiCTGF (Connective Tissue Growth Factor), mais il est trop tôt pour en tirer une information pertinente. Médiateurs inflammatoires et profibrosants Bien que le modèle physiopathologique actuel attribue un rôle modeste à l’inflammation dans la fibrogenèse pulmonaire, différents médiateurs inflammatoires impliqués dans la fibrogenèse sont des cibles thérapeutiques dans la fibrose pulmonaire. C’est notamment le cas de l’IL-4 et de l’IL-13, deux cytokines profibrosantes. Un essai thérapeutique testant l’efficacité d’un anticorps monoclonal dirigé contre ces cytokines devrait débuter en France en 2013. Dans une même intersection entre inflammation et fibrose, les fibrocytes sont I n f o R e s p ir a t i o n une sous-population de monocytes. Les fibrocytes sont des précurseurs circulants des fibroblastes.8 Il est possible d’inhiber le recrutement des fibrocytes vers le poumon, à l’aide d’un anticorps ciblant la chimiokine CCL2, également appelée monocyte chemoattractant protein-1 (MCP-1), ou d’inhiber la différenciation des fibrocytes en fibroblastes, à l’aide de sérum amyloide P. Ces molécules sont efficaces dans des modèles expérimentaux de fibrose, et sont en cours de développement chez l’homme. Autres cibles La lysyl-oxydase-like 2 (LOXL-2) est une enzyme impliquée dans la stabilisation des molécules de collagène. Les concentrations de cette enzyme sont augmentées dans le sérum et le plasma de patients atteints de FPI. L’inhibition de la LOXL-2 à l’aide d’un anticorps limite le développement de la fibrose pulmonaire dans un modèle expérimental.9 Cette molécule est actuellement testée en phase II, et sera accessible en France dans le courant de l’année 2013 dans le cadre d’un essai thérapeutique (essai RAINIER). Quel bénéfice pour la réhabilitation respiratoire ? Les patients atteints de FPI doivent bénéficier d’une prise en charge globale, incluant outre les traitements pharmacologiques, le dépistage et le traitement des comorbidités, une prise en charge psychologique, et la réhabilitation. En effet, on sait maintenant que la réhabilitation respiratoire est faisable et efficace chez les patients atteints de FPI.10 La réhabilitation respiratoire peut être réalisée en ambulatoire ou en hospitalisation.11,12 Elle permet d’améliorer l’endurance à l’exercice, la dyspnée à l’effort, et la qualité de vie, sans modifier les paramètres fonctionnels respiratoires. La réhabilitation diminue les hospitalisations dans une étude.13 Il n’y a pas encore de donnée concernant un effet sur la survie. Une étude suggère que les patients ayant le score de dyspnée le plus sévère ne bénéficient pas de la réhabilitation.13 Consultation d’annonce et abord du pronostic avec le patient La FPI s’apparente au cancer. Comme le cancer, c’est une maladie chronique, aujourd’hui incurable, dont l’issue est fatale en quelques années. Comme de nombreux cancers, la FPI atteint des personnes plutôt âgées. Mais contrairement au cancer, c’est une maladie rare, inconnue du public, qui n’évoque généralement aucune image négative pour le patient à qui on annonce son diagnostic. Dans la plupart des cas, c’est donc le médecin qui annonce le diagnostic apportant la première information sur la nature de cette maladie et son évolution. Très rarement, il y a eu un ou plusieurs cas familiaux, et un proche a pu être atteint et éventuelle- numêro 117 • octobre 2 013 • www.splf.org 5 Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien ment être décédé de FPI. Dans ce dernier cas, le patient est conscient du pronostic de la maladie dès la première consultation. Quoi qu’il en soit la question du pronostic est posée par les patients dès l’annonce du diagnostic. Comme dans le cancer, il est important que cette consultation d’annonce soit assez longue, pour que le patient ait le temps de poser des questions, elle peut être poursuivie par une prise en charge de l’infirmière, et éventuellement une psychologue susceptible de répondre aux autres questions qui pourraient surgir. Il est important de dire aux patients que bien que la maladie évolue habituellement lentement, elle peut connaître des exacerbations, qui doivent amener à une consultation médicale rapide auprès d’un pneumologue afin que l’exacerbation soit reconnue et que le traitement soit commencé sans retard. Il est particulièrement important d’aborder le pronostic de la maladie chez les patients ayant une maladie sévère d’emblée pouvant bénéficier d’une transplantation pulmonaire du fait de leur âge (< 65 ans) et de l’absence de comorbidité majeure. Dans ce cas, ce sujet doit être abordé dès la consultation d’annonce du diagnostic. Enfin, la position du médecin est sans doute simplifiée par la possibilité de faire une proposition thérapeutique, qui doit s’intégrer dans une prise en charge globale. n 1. Hilberg F, Roth GJ, Krssak M, et al. BIBF 1120 : triple angioki- nase inhibitor with sustained receptor blockade and good antitumor efficacy. Cancer Res 2008 ; 68 (12) : 4774-82. Epub 2008/06/19. 2. Chaudhary NI, Roth GJ, Hilberg F, et al. Inhibition of PDGF, VEGF and FGF signalling attenuates fibrosis. Eur Respir J 2007 ; 29 (5) : 976-85. Epub 2007/02/16. 3. Richeldi L, Costabel U, Selman M, Kim DS, Hansell DM, Nicholson AG, et al. Efficacy of a tyrosine kinase inhibitor in idiopathic pulmonary fibrosis. N Engl J Med. 2011;365(12):1079-87. Epub 2011/10/14. 4. Daniels CE, Lasky JA, Limper AH, et al. Imatinib treatment for idiopathic pulmonary fibrosis : Randomized placebo-controlled trial results. Am J Respir Crit Care Med 2010 ; 181 (6) : 604-10. Epub 2009/12/17. 5. Farkas L, Farkas D, Ask K, et al. VEGF ameliorates pulmonary hypertension through inhibition of endothelial apoptosis in experimental lung fibrosis in rats. J Clin Invest 2009 ; 119 (5) : 1298-311. Epub 2009/04/22. 6. Demedts M, Behr J, Buhl R, et al. High-dose acetylcysteine in idiopathic pulmonary fibrosis. N Engl J Med 2005 ; 353 (21) : 222942. Epub 2005/11/25. 7. Raghu G, Anstrom KJ, King TE, et al. Prednisone, azathioprine, and N-acetylcysteine for pulmonary fibrosis. N Engl J Med 2012 ; 366 (21) : 1968-77. Epub 2012/05/23. 8. Borie R, Quesnel C, Phin S, et al. Detection of alveolar fibrocytes in idiopathic pulmonary fibrosis and systemic sclerosis. PloS one 2013 ; 8 (1) : e53736. Epub 2013/01/24. 9. Barry-Hamilton V, Spangler R, Marshall D, et al. Allosteric inhibition of lysyl oxidase-like-2 impedes the development of a pathologic microenvironment. Nat Med 2010 ; 16 (9) : 1009-17. Epub 2010/09/08. 6 I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • 10. Swigris JJ, Brown KK, Make BJ, et al. Pulmonary rehabilitation in idiopathic pulmonary fibrosis : a call for continued investigation. Respir Med 2008 ; 102 (12) : 1675-80. Epub 2008/10/14. 11. Rammaert B, Leroy S, Cavestri B, et al. Home-based pulmonary rehabilitation in idiopathic pulmonary fibrosis. Rev Mal Respir 2011 ; 28 (7) : e52-7. Epub 2011/09/29. 12. Huppmann P, Sczepanski B, Boensch M, et al. Effects of in-patient pulmonary rehabilitation in patients with interstitial lung disease. Eur Respir J 2013(PMID: 23100507) : [Epub ahead of print]. Epub 2012 Oct 25. 13. Kozu R, Jenkins S, Senjyu H. Effect of disability level on response to pulmonary rehabilitation in patients with idiopathic pulmonary fibrosis. Respirology 2011 ; 16 (8) : 1196-202. Epub 2011/08/04. LA PIRFÉNIDONE Une avancée réservée aux stades légers à modérés Dominique Valeyre Université Paris-13, Sorbonne Paris Cité Et Assistance-Publique hôpitaux de Paris Hôpital Avicenne, Bobigny La pirfénidone, mise sur le marché dans le traitement de la FPI, est actuellement entrée dans les recommandations thérapeutiques. Toutefois, elle ne peut être prescrite que dans les stades légers et à modérés. Il est essentiel de continuer de proposer aux malades d’être inclus dans des essais thérapeutiques. Place de la pirfénidone dans les recommandations La pirfénidone ralentit d’un tiers la décroissance de la capacité vitale forcée (CVF),1, 2 critère le plus prédictif de la survie, également la décroissance de la distance au test de marche de 6 minutes,2 et améliore la survie sans progression selon une métaanalyse.3 Cependant, il n’a pas été démontré à ce jour d’amélioration significative de la survie, critère majeur dans cette maladie, le dimensionnement des études nécessaires pour évaluer ce point — nombre d’inclusions et durée — étant extrêmement difficile à mettre en œuvre. Dans les recommandations internationales ATS/ERS/JRS/ ALAT sur la FPI publiées en 2011,4 aucun des médicaments pour la FPI, pirfénidone comprise, n’avait été considéré comme recommandable. La pirfénidone était une option raisonnable pour une minorité de patients. Cet avis, fortement conditionné par la méthodologie ATS a fait l’objet de controverses. octobre 2 013 • www.splf.org LA PIRFÉNIDONE Une avancée réservée aux stades légers à modérés Sur la conjonction des données des études de phase III menées au Japon1 et en Amérique du nord, en Europe et en Australie (CAPACITY),2 la pirfénidone a été autorisée en Europe et dans de nombreux autres pays, mais pas aux États-Unis. En France, la HAS considère le service rendu par la pirfénidone comme faible avec une limitation des indications aux formes de FPI confirmée à un stade peu avancé. Les recommandations pratiques préconisées sous l’égide de la Société de pneumologie de langue française sont en cohérence et préconisent la prescription de la pirfénidone en cas de FPI confirmée à un stade léger ou modéré.5 Les résultats attendus en 2014 de l’essai ASCEND mené aux ÉtatsUnis devraient fournir des données intéressantes, notamment l’effet du médicament dans des formes plus avancées. MODALITÉS ET PRIX DU TRAITEMENT PAR PIRFÉNIDONE (Esbriet®) ➜ La posologie doit être augmentée progressivement : — jours 1 à 7 : 1 gélule de 267 mg, trois fois par jour (soit 801 mg/jour) — jours 8 à 14 : 2 gélules, trois fois par jour (soit 1602 mg/jour) — jour 15 et au-delà : 3 gélules, trois fois par jour (soit 2403 mg/jour) En cas de mauvaise tolérance, la posologie peut être réduite temporairement. En cas d’interruption de moins de 14 jours consécutifs, le traitement peut être repris à la dernière dose d’entretien à partir de 14 jours d’arrêt, le traitement sera repris progressivement selon le schéma initial. ➜ Le coût du traitement est de 27167,24 € par an pour un malade traité à la posologie usuelle. Essai thérapeutique ou pirfénidone ? Dans tous les cas, le pneumologue doit éclairer le patient sur sa maladie et les perspectives possibles et raisonnables en fonction du stade de sa fibrose, d’éventuelles comorbidités et des médicaments qu’il prend. Les options thérapeutiques actuelles de la FPI comprennent les médicaments dont la pirfénidone, seul médicament aujourd’hui autorisé, mais aussi l’oxygénothérapie, la réhabilitation, le traitement de certaines comorbidités (RGO et SAOS) et la transplantation. Tous les patients quel que soit le stade de leur maladie ont le droit d’être informés sur les essais en cours sur la FPI. Ils doivent pouvoir choisir en toute connaissance leur option, pirfénidone (s’ils répondent aux conditions), ou essai, s’ils le préfèrent. En cas de progression de la FPI lors d’un essai, le recours pirfénidone est à envisager, si l’état de la maladie du patient rend possible cette prescription. Modalités de prescription du traitement par pirfénidone La prescription la pirfénidone est subordonnée à trois conditions principales : 1. un diagnostic de FPI confirmé, c’est-à-dire certain ou au minimum probable selon les critères des recommandations internationales (cf. V. Cottin et J.-F. Cordier, « Fibrose pulmonaire idiopathique : du diagnostic à la prise en charge initiale », page Z de ce numéro).4 Un diagnostic de FPI possible n’est pas suffisant. Cependant, la conjonction d’une évolution progressive documentée dans un contexte de FPI possible pourrait augmenter le niveau de certitude diagnostique et faire reconsidérer la prescription du médicament ; 2. un stade léger a modéré de la FPI sur des explorations fonctionnelles remontant à moins de 3 mois (CVF > 50 % et DLCO > 35 % des valeurs prédites) ; 3. une validation du diagnostic de FPI, de son stade léger a modéré et de la pertinence de la prescription lors d’une discussion multidisciplinaire organisée dans une équipe hospitalière composée de pneumologue, d’un radiologue et d’un patho- I n f o R e s p ir a t i o n logiste en sachant que la surspécialisation de l’équipe en pathologie interstitielle améliore la sécurité diagnostique. Il est donc préférable de contacter un centre de référence ou compétence pour les maladies pulmonaires rares ou un service universitaire de pneumologie expérimenté en pathologie interstitielle). Il faut obtenir une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale avant la prescription d’Esbriet®, démarche indispensable étant donné le prix du médicament. Le médicament est prescrit sur une ordonnance spéciale dans une structure hospitalière. Enfin, le patient doit être informé de toutes les précautions à prendre (arrêt du tabac, sa consommation modifiant la pharmacocinétique de la pirfénidone ; vis-à-vis du soleil, compte tenu de la photosensibilité induite ; des associations médicamenteuses, dont en particulier les IPP). Un suivi planifié est nécessaire pour monitorer le traitement dans les meilleures conditions de sécurité et permettre un renseignement précis et exhaustif de l’HAS sur l’impact de la prise du médicament. n 1. Taniguchi H, Ebina M, Kondoh Y, et al. Pirfenidone in idiopathic pulmonary fibrosis. Eur Respir J 2010 ; 35 : 821-9. 2. Noble PW, Albera C, Bradford WZ, et al. Pirfenidone in patients with idiopathic pulmonary fibrosis (CAPACITY) : two randomised trials. Lancet 2011 ; 377 : 1760-9. 3. Spagnolo P, Del Giovani C, Luppi F, et al. Non-steroid agents for idiopathic plmonary fibrosis. Cochrane Database Syst Rev 2010 ; Sep 8 ; (9) ; CD003154.doi : 10.1002/14651858.CD003134.pub2. 4. Raghu G, Collard HR, Egan JJ, et al. An Official ATS/ERS/JRS/ ALAT statement : idiopathic pulmonary fibrosis : evidence-based guidelines for diagnosis and management. Am J Respir Crit Care Med 2011 ; 183 : 788-824. 5. Cottin V, Crestani B, Valeyre D, et al. Recommandations pratiques pour le diagnostic et la prise en charge de la fibrose pulmonaire idiopathique. SPLF. Rev Mal Respir (sous presse). numêro 117 • octobre 2 013 • www.splf.org 7 Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien TRANSPLANTATION DANS LA FPI Un gain de survie réel Transplantation en dehors de l’urgence Yves Castier,1 Pierre Mordant,2 Gabriel Thabut,3 Hervé Mal3 1. Service de chirurgie thoracique et vasculaire Hôpital Bichat, Université Diderot, Paris. 2. Service de chirurgie thoracique, Hôpital Européen Georges Pompidou, Université Descartes, Paris. 3. Service de pneumologie B et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, Université Diderot, Paris. L’arrivée des indications de superurgence et la diminution de la pénurie de greffons ont changé la donne pour les malades atteints de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI). Le gain de survie apporté par la transplantation doit inciter à référer ces patients à un centre de transplantation sans oublier l’adage du « ni trop tôt, ni trop tard »… M algré les progrès diagnostiques et thérapeutiques décrits dans les articles précédents, le pronostic des patients atteints de FPI reste sombre, avec une médiane de survie au diagnostic estimée entre deux et cinq ans.1 La transplantation pulmonaire demeure le seul traitement capable de restaurer la fonction respiratoire de ces patients. En dehors de l’urgence, le moment optimal pour inscrire les patients sur liste d’attente est une survie prévisionnelle inférieure à deux ans.2 Mais la FPI se caractérisait historiquement par une mortalité importante sur liste d’attente, voire par une absence d’inscription sur liste, liée à l’évolution imprévisible et aux exacerbations parfois catastrophiques de la maladie. La prise en charge en urgence de ces patients a été bouleversée par l’amélioration de la disponibilité des greffons, la mise en place de priorités sur la liste d’attente, et les progrès de l’assistance cardiopulmonaire périopératoire. Ces progrès ont permis d’augmenter à la fois le nombre de patients transplantés pour FPI chaque année, et le poids de la fibrose dans l’ensemble des indications de transplantation. Selon le dernier rapport de la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT), les patients atteints de FPI représentaient 28,3 % des transplantations pulmonaires en 2010, faisant de la FPI la seconde indication de transplantation, derrière l’emphysème non déficitaire (28,8 %). La même année, 70 patients atteints de FPI ont été inscrits sur liste en France, ce qui correspond à 22 % des inscrits. 8 I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • Bénéfices de la transplantation pulmonaire Le bénéfice de survie apporté par la transplantation chez les patients atteints de fibrose pulmonaire a été démontré de façon convergente par plusieurs études. Dans une première étude publiée en 1998, Hosenpud et al. ont analysé le registre américain UNOS, afin de déterminer le bénéfice de survie associé à la transplantation pulmonaire, en comparaison avec l’attente considérée comme référence. Pour la FPI, les risques relatifs de mortalité associés à la transplantation étaient de 2,09 à un mois, 0,71 à six mois, et 0,67 à un an.3 Dans une seconde étude publiée en 2001, De Meester et al. ont analysé le registre européen Eurotransplant, afin de déterminer après quel délai les patients bénéficiaient d’une amélioration de leur pronostic lié à la transplantation. Dans le cas de la FPI, ce bénéfice était atteint dès le 55e jour après transplantation, contre le 90e jour pour la mucoviscidose ou le 260e jour pour la BPCO.4 Ce bénéfice de la transplantation pulmonaire pour FPI a également été retrouvé dans une étude monocentrique française publiée en 2003, avec une réduction de la mortalité de 75 % en cas de transplantation.5 Critères d’inscription Compte tenu des résultats au long cours de la transplantation pulmonaire (80 % de survie à un an, 50 % de survie à cinq ans), il n’est pas raisonnable d’inscrire les patients trop tôt dans l’évolution de leur maladie. À l’inverse, une inscription trop tardive leur fait courir le risque de décès pendant la période d’attente de la transplantation. Le critère classique d’inscription reste une survie prévisionnelle inférieure à deux ans, mais il n’est pas toujours simple de prédire cette survie de façon fiable pour un patient donné. Ainsi, dans le cas de la fibrose pulmonaire idiopathique, la problématique de l’équilibre entre le « trop tôt » et le « trop tard » n’est pas du tout la même qu’en cas de BPCO ou de mucoviscidose. La survie sans transplantation des patients atteints de FPI est en effet beaucoup plus mauvaise que celle observée dans la BPCO ou dans la mucoviscidose, et il faut surtout craindre de référer « trop tard ». L’ISHLT recommande actuellement d’adresser un patient à une équipe de transplantation dès que le diagnostic de FPI ou de PINS fibrosante est établi.6 L’ISHLT recommande également de transplanter un patient dans des situations précises, résumées dans l’encadré.6 Spécificité chirurgicales et réanimatoires La transplantation pulmonaire pour FPI est associée à des particularités qui la rendent techniquement plus délicate qu’une octobre 2 013 • www.splf.org TRANSPLANTATION DANS LA FPI Un gain de survie réel transplantation pour emphysème. Parmi ces spécificités, on notera : ➞ La petite taille du thorax, conséquence directe du processus fibrosant et de la chute de la capacité pulmonaire totale. Cet espace restreint complique l’explantation du poumon pathologique, la réalisation des anastomoses vasculaires et bronchiques, et l’adaptation du greffon à la cavité thoracique. L’explantation du poumon pathologique peut être rendue difficile par de volumineuses adénopathies hilaires, dont l’hémostase doit être particulièrement soigneuse. La réalisation des anastomoses vasculaires et bronchiques peut nécessiter l’abaissement du diaphragme, voire la section du sternum. La discongruence entre le greffon et le thorax peut conduire à la réduction du greffon en fin d’intervention, par résections atypiques ou anatomiques (lobectomie moyenne, lingulectomie). traitements immunosuppresseurs. Cette imprégnation fragilise les tissus, complique les anastomoses, et augmente le risque de complications bronchiques. De plus, en cas d’assistance périphérique, la corticothérapie complique considérablement la cicatrisation de l’abord fémoral, sujet à désunion et à infection locale. Toutes ces spécificités font de la FPI l’indication de transplantation la plus difficile pour le chirurgien thoracique. Transplantation uni- ou bipulmonaire ? En l’absence de colonisation à germes multirésistants, les patients atteints de FPI peuvent bénéficier d’une transplantation unipulmonaire, avec de très bons résultats, aussi bien en termes de pronostic que de fonction. Cependant, les complications liées au poumon natif, ainsi que le recours fréquent à une circulation extracorporelle même pour une transplantation unipulmonaire, ont conduit de nombreuses équipes à proposer des Figure – Survie du receveur après greffe cardiopulmonaire ou pulmonaire 6 transplantations bipulmonaires à selon la pathologie à la première inscription, période 1993-2010 ces patients. Rapportant le pronostic de 3 327 patients transplantés pour FPI entre 1987 et 2009 aux États Unis, Thabut et al. ont compté 2 146 transplantations unipulmonaires et 1 181 transplantations bipulmonaires.7 La survie médiane était meilleure après transplantation bipulmonaire (5,2 ans) qu’après transplantation monopulmonaire (3,8 ans), mais cette différence n’était plus significative après ajustement selon les comorbidités et l’état du patient au moment de l’inscription. La transplantation bipulmonaire était associée à une surmortalité la première année, surtout due à ➞ La présence fréquente d’une hypertension artérielle la dysfonction primaire du greffon, alors que la transplantation pulmonaire (HTAP) associée. En l’absence d’assistance, cette monopulmonaire était associée à une surmortalité les années HTAP peut contre indiquer le clampage de l’artère pulmosuivantes, surtout due à la survenue de cancers. Ce débat entre naire. Après prise de la PAPm en peropératoire, et test de transplantation uni- et bipulmonaire reste donc ouvert, mais clampage en cas de PAPm acceptable, l’équipe chirurgicale actuellement, la plupart des équipes favorisent la transplantaet anesthésique peut choisir d’avoir recours à une assistance tion bipulmonaire avant 60 ans et en dehors de l’urgence, et la cardiorespiratoire, qui sera le plus souvent une Ecmo (Extra transplantation unipulmonaire dans les autres cas. Corporeal Membrane Oxygenation) veinoartérielle fémoroféPronostic morale. Dans la plupart des centres, la politique actuelle est alors de laisser l’Ecmo en place 24 à 48 heures, afin de dimiDans l’expérience française, sur 404 patients ayant bénéfinuer les lésions d’ischémie-reperfusion, de protéger le greffon cié d’une transplantation pulmonaire pour FPI entre 1993 et de l’hyperdébit postopératoire, et de permettre une ventilation 2010, les taux de survie à un mois, un an, et cinq ans s’établismoins agressive. L’Ecmo est ensuite sevrée au bloc opératoire, saient respectivement à 81 %, 61 % et 36 %.8 Ces chiffres font de la FPI la pathologie où le pronostic après transplantation est et retirée par abord fémoral seul. L’imprégnation corticoïdes, constante chez les patients le moins favorable, comme illustré dans la figure page précé➞ atteints de FPI transplantés après l’échec de plusieurs lignes de dente. Dans le registre de l’ISHLT, la médiane de survie après I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • octobre 2 013 • www.splf.org 9 Dossier spécial La fibrose pulmonaire au quotidien transplantation est de 7,5 ans en cas de mucoviscidose, 5,3 ans en cas d’emphysème non déficitaire, cinq ans en cas d’HTAP, et 4,4 ans en cas de FPI, confirmant que la FPI est l’indication de transplantation pulmonaire où le pronostic est le plus sombre.9 Ces chiffres doivent néanmoins être rapprochés des deux ans d’espérance de vie en l’absence de transplantation. Transplantation dans le cadre de l’urgence La mise en place de priorités sur la liste d’attente Le travail conjoint de l’Agence de la biomédecine et des équipes de transplantation a permis d’augmenter le recensement des donneurs, ainsi que la proportion de donneurs en état de mort encéphalique prélevés d’un greffon pulmonaire, de 6 % en 2000 à 19 % en 2010. Pour la première fois, en 2011, le nombre de patients inscrits sur liste était égal au nombre de patients transplantés, faisant espérer la fin de la pénurie de greffons.8 Il est alors apparu légitime de mettre en place une procédure de priorités des patients les plus instables. En France, une procédure de superurgence a été créée en juillet 2007. Si l’espérance de vie du patient candidat est estimée à moins de 15 jours en l’absence de greffe, la procédure lui permet de prendre la première place sur la liste nationale, et donc de recevoir le premier greffon qui sera disponible. Pour la FPI, les critères de superurgence établis par l’Agence de la biomédecine sont les suivants : 8 — hypoxémie menaçante, avec oxygénothérapie > 12 L/min et saturation < 90 % ; — mise sous ventilation invasive ; — mise sous assistance de type Ecmo ; — absence de dysfonction d’un organe extrathoracique ; — absence de sepsis incontrôlé. Cette procédure de superurgence a permis de diviser par deux la mortalité sur liste, de 8,2 % en 2006 à 3,1 % en 2011. 8 Les progrès de l’assistance cardiorespiratoire La procédure de superurgence permet de faire bénéficier aux patients atteints de FPI des progrès de l’assistance cardiorespiratoire, qui est le plus souvent en France une ECLS (Extra Corporeal Life Support) ou Ecmo. En cas d’insuffisance respiratoire isolée, l’assistance est une Ecmo veinoveineuse, posée en périphérie, par deux canules veineuses jugulaire et fémorale, ou par une canule unique à double lumière. Cette assistance permet de récupérer le sang dans un des deux systèmes caves, de l’oxygéner, puis de le réinjecter en regard de l’oreillette droite. Il s’agit donc d’une assistance respiratoire exclusive, le poumon n’est pas shunté et continue de recevoir la totalité du débit cardiaque. Cette assistance peut être réalisée chez un patient vigile, pour des périodes de plusieurs semaines. En cas d’insuffisance respiratoire associée à une insuffisance cardiocirculatoire (HTAP associée, insuffisance ventriculaire 10 I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • Les indications de transplantation pulmonaire pour pneumopathies interstitielles fibrosantes idiopathiques selon l’ISHLT6 1. En cas de diagnostic histologique ou radiologique de pneumonie interstitielle commune, associé à un des critères suivants : ➜ DLCO < 39 % de la valeur prédite ➜ baisse de la CVF de plus de 10 % en 6 mois ➜ saturation < 88 % lors du test de marche de 6 minutes ➜ présence de rayon de miel en TDM, avec un score > 2 2. En cas de diagnostic histologique de Pins, associé à un des critères suivants : ➜ DLCO < 35 % de la valeur prédite ➜ baisse de la CVF de plus de 10 % en 6 mois ➜ baisse de la DLCO de plus de 15 % en 6 mois droite hypoxémique), l’assistance est une Ecmo veinoartérielle, posée en périphérie, par des canules fémorales, veineuse et artérielle. Cette assistance permet de récupérer le sang du système cave inférieur, de l’oxygéner, puis de le réinjecter a retro dans l’artère fémorale. Il s’agit donc d’une assistance cardiaque et respiratoire, le poumon est shunté et ne reçoit qu’un très faible débit. Cette assistance peut être réalisée chez un patient vigile, pour des périodes de deux à trois semaines. Les patients inscrits sur liste puis transplantés selon la procédure de superurgence alors qu’ils étaient sous Ecmo ont une surmortalité initiale importante, et plus marquée en cas de FPI. Ainsi, sur les 36 patients inscrits en superurgence sous Ecmo en France entre 2007 et 2011, seuls 30 ont pu bénéficier d’une transplantation, 27 sont sortis vivants du bloc opératoire, et 20 ont pu quitter l’hôpital. La survie à deux ans depuis l’initiation de l’Ecmo était de 50 % pour la cohorte, 71 % en cas de mucoviscidose, et 27 % en cas de FPI.9 Il est important de noter que sans cette prise en charge lourde, aucun de ces patients n’aurait survécu à son séjour en réanimation. Conclusion Au total, la transplantation pulmonaire est un traitement efficace de la FPI, permettant un gain de survie démontré par plusieurs larges études de registres. Un meilleur recensement des greffons, l’adoption d’une politique d’assistance volontariste, et la mise en place de la procédure de superurgence ont permis de diminuer la mortalité sur liste d’attente sans nuire aux résultats globaux des programmes de greffe. Cependant, il reste indispensable de référer tôt les candidats potentiels à la greffe, afin de ne pas être surpris par une exacerbation imprévisible. ■ octobre 2 013 • www.splf.org TRANSPLANTATION DANS LA FPI Un gain de survie réel 1. Cottin V. Changing the idiopathic pulmonary fibrosis treatment approach and improving patient outcomes. Eur Respir Rev 2012 ; 21 : 161-7. 2. Mal H, Thabut G, Evrard P. Quand le pneumologue doit-il envisager la transplantation pulmonaire pour un de ses patients ? Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 183-90. 3. Hosenpud JD, Bennett LE, Keck BM, et al. Effect of diagnosis on survival benefit of lung transplantation for end-stage lung disease. Lancet 1998 ; 351 : 24-7. 4. De Meester J, Smits JM, Persijn GG, et al. Listing for lung transplantation : life expectancy and transplant effect, stratified by type of end-stage lung disease, the Eurotransplant experience. J Heart Lung Transplant 2001 ; 20 : 518-24. 5. Thabut G, Mal H, Castier Y, et al. Survival benefit of lung transplantation for patients with idiopathic pulmonary fibrosis. J Thorac Cardiovasc Surg 2003 ; 126 : 469-75. LIENS D’INTÉRÊT • Vincent Cottin a été investigateur principal et/ou membre de comités de pilotage ou de comités consultatifs dans des essais thérapeutiques sur la fibrose pulmonaire, il a participé à des comités scientifiques sur la fibrose pulmonaire idiopathique et a reçu des financements pour congrès par les laboratoires Acté- 6. Orens JB, Estenne M, Arcasoy S, et al. International guidelines for the selection of lung transplant candidates : 2006 update. J Heart Lung Transplant 2006 ; 25 : 745-55. 7. Thabut G, Christie JD, Ravaud P, et al. Survival after bilateral versus single-lung transplantation for idiopathic pulmonary fibrosis. Ann Intern Med 2009 ; 151 : 767-74. 8. Rapport annuel de l’Agence de la biomédecine, 2011, disponible sur http://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2011/donnees/ organes/04-coeur-poumon/synthese.htm 9. Rapport annuel de l’ISHLT, 2012, disponible sur http://www. jhltonline.org/article/S1053-2498(12)01212-0/fulltext 10. Lafarge M, Mordant P, Thabut G, et al. Experience of extracorporeal membrane oxygenation as a bridge to lung transplantation in France. J Heart Lung Transplant 2013 ; 32 : 905-13. lion, Boehringer Ingelheim, Gilead et Intermune. • Pierre Mordant n’a pas déclaré de lien d’intérêt en rapport avec la fibrose pulmonaire idiopathique. • Hervé Mal n’a pas déclaré de lien d’intérêt en rapport avec la fibrose pulmonaire idiopathique. • Dominique Valeyre a participé à des réunions scientifiques sur la FPI soutenues par Actélion, Intermune I n f o R e s p ir a t i o n numêro 117 • octobre 2 et Boehringer-Ingelheim. Il a été investigateur et/ou membre de steering comittees dans les essais INSPIRE, BUILD I et III, MUSIC, CAPACITY et BIBF financés par Intermune, Actelion, Boehringer-Ingelheim) et a reçu des financements pour les congrès ATS/ERS/CPLF des compagnies GSK, Mundipharma et BoehringerIngelheim. 013 • www.splf.org 11