Big Brother en Europe. La société de contrôle.

Transcription

Big Brother en Europe. La société de contrôle.
Big Brother en Europe.
La société de contrôle.
Raf Jespers
Avocat PROGRESS Lawyers Network (Belgique)
J‟ai écris deux livres dans lesquelles j‟analyse les développements des sociétés de contrôles.
En 2010 en néerlandais le livre : „Big Brother in Europa‟ (Editions Epo Anvers). En 2013 en
français le livre : „Souriez, vous êtes fichés. Big Brother en Europe‟ (Editions Couleur Livres,
Bruxelles).
Le point de départ pour mes livres est une citation de Jo Stevens, président de l‟Ordre des
Barreaux flamand, prononcée en 2006 :
« Les droits et libertés pour lesquels l’Europe s’est battue centimètre après centimètre
pendant des siècles sont aujourd’hui démantelés à grande échelle. On est un barreau en
temps de guerre. »
Entant qu‟ avocat progressiste je trouvais que c‟était mon devoir d‟analyser ces
développements, d‟informer les gens et de donner des pistes de résistance juridiques et
sociétales.
Trois ans avant que M. Snowden ait fait ses révélations sur la NSA je -mentionne un
espionnage global par cette institution et par beaucoup d‟autres et ce sur base de sources
publiquement accessibles.
Big Brother, “Grand Frère”, est un personnage du roman de George Orwell (1984) qui
traite d‟une société cauchemardesque où il n‟existe plus aucune liberté, où les allées et
venues de tout un chacun sont contrôlées par la haute technologie, les ordinateurs et
les robots. Ce cauchemar devient aujourd‟hui de plus en plus réalité. Dans ma profession
d‟avocat, je vois comment, telle une mauvaise herbe, il asphyxie les droits et libertés.
Mes livres font le point sur le sujet et couvre les treize dernières années, très mouvementées.
Mes livres ne sont absolument pas une fiction. Ni conte de fées, ni récit de science-fiction :
ils sont ancrés dans la réalité.
Le constat de cette dernière décennie sur le plan des droits et libertés est que le respect de la
vie privée est en péril : elle est tellement endommagée qu‟elle vacille. Tel est le thème de la
première partie de mon analyse.
Pour la première fois dans l’histoire il est possible d’un point de vue technique et
digitale de contrôler chaque citoyen en permanence.
Tout le monde est mis sous contrôle, tout le monde devient un objet convoité par le
marketing, et la société actuelle trouve cela normal.
Big Brother garde un œil sur vous tous. Tout est question de high-tech : les puces RFID,
lescaméras d‟observation, les fouineurs du web, les scanners, les kits-ADN, les spywares,
les banques de données avec des programmes algorithmiques, les satellites d‟écoute, drones,
les bodyscans… La vie quotidienne en est infestée. Selon la mentalité actuelle prédominante,
1
tout ce qui est techniquement possible doit être mis en œuvre. Le Belge moyen par exemple
est repris dans un peu plus de 300 banques de données. L‟effet secondaire de tout
ceci ? Non seulement la perte de confidentialité, mais également la perte du “soi”.
L‟étendue et la profondeur de ce processus sont sans précédents. La société et les
entreprises ne sont plus transparents mais le citoyen, quant à lui, le devient.
Big Brother surveille et arrête tous ceux qui s‟écartent du chemin battu. La sphère de
vie privée n‟est plus sacrée, ni sûre. Aussi, la démocratie ne peut pas fonctionner.
C‟est mon premier constat : pour la première fois dans l‟histoire du monde il est possible d‟un
point de vue technique de contrôler chaque individu, chaque organisation, chaque
mouvement, chaque communication et cela en permanence. C‟est la suite d‟une révolution
technologique et digitale sans précédent. Cette évolution est nouvelle. Il y a quinze ans la
technologie ne permettait pas encore un telle contrôle. Et l‟affaire NSA montre que ce n‟est
pas seulement une possibilité, mais que c‟est aussi une réalité.
Ce qui est aussi nouveau c‟est que ce ne sont pas seulement les états qui font usage des
nouveaux technologies, mais aussi les entreprises pour qui les donéés personnelles sont des
mines pour réaliser plus de bénéfices. Je rappelle que je parle ici de phénomènes assez
nouveaux. Google, Facebook, Amazon, Apple, le „gang des quatre‟, qui dominent la planète,
sont des sociétés nouvelles. Google existe depuis 1999, Facebook depuis 2004.
C‟est pour cette raison que je ne parle pas seulement d‟état de contrôle, mais de société de
contrôle : aussi bien l‟état que les entreprises font des interruptions dans la vie privé des gens
et ce sur un échelle jamais vue au paravent.
Le climat autoritaire post 9/11 a réalisé une situation politique dans laquelle l’atteinte au
droits démocratiques était réalisable.
Un deuxième élément dans le développement de Big Brother est 9/11. Les attentats du 11
septembre aux Etats-Unis ont tout accéléré. Une mise en place d‟une société de contrôle s‟est
rapidement créée. Le terrorisme a été utilisé comme excuse pour autoriser des atteintes à la
vie privée ainsi qu‟à d‟autres libertés. Les gouvernements perçoivent les citoyens comme de
potentiels risques pour la sécurité.
Ils utilisent donc pleinement la révolution digitale et technologique afin d‟enregistrer
chaque mot, chaque soupir et chaque ombre. Personne n‟y échappe. Des règles sont
mises en œuvre qui, en temps normal, auraient suscité une nuée de protestation. Les
droits et libertés démocratiques sont négligés. Des mesures d‟exception dangereuses
reçoivent un caractère permanent. Les citoyens ont droit à la sécurité mais, derrière
le drapeau de war on terror et la politique de sécurité, se cachent des agendas non
dévoilés. Les fantômes d‟un temps que l‟on croyait révolu (prisons secrètes, listes
noires, tortures) refont surface.
En tant qu‟avocat, j‟ai constaté que, plus le citoyen est actif, plus il devient suspect. L‟esprit
des Droits de l‟Homme a (presque) disparu avec le climat du 11 septembre.
Les pratiques révélés par Snowden et autres sont hallucinants.
Plus que 120 chef d‟états étaient la cible du NSA :
Bharrat Jagdeo – Guyana: Binge wa Mutharika – Malawi; Boris Tadic – Servië; Choummaly Sayasone
Shiavong – Laos; Cristina Femandez de Kirchner – Argentinië ; Daniel Ortega – Nicaragua ; Dmitry
Medvedev – Rusland ; Donaid Tsang - Hong Kong ; Ellen Johnson-Sirleaf – Liberia ; Ehud Olmert –
2
Israël ; Evo Morales – Bolivia ; Felipe Calderon – Mexico ; Fernando Lugo – Paraguay ; Fouad
Siniora – Libanon ; Gloria Macapagal-Arroyo – Philippijnen ; Gurbanguly Berdimuhamedow –
Turkmenistan ; Hamid Karzai – Afghanistan ; Hashim Thaci – Kosovo ; Hassanal Bolkiah – Brunei ;
Herman Van Rompuy – België ; Hosni Mubarak – Egypte ; Hu Jintao – China ; Hugo Chavez –
Venezuela ; Hun Sen – Cambodja ; IIham Aliyev – Azerbeidzjan ; Islam Kamirov – Oezbekistan ;
Ismail Omar Guellah – Djibouti ; Johanna Sigurdardottir – Ijsland ; Jose Ramos-Horta - Oost-Timor ;
Jose Zapatero – Spanje ; Joseph Kabila - Dem. Rep. Congo ; Kgalema Motlanthe - Zuid-Afrika ; Kim
Jong-II - Noord-Korea; Konstantinos Karamanlis – Griekenland; Kurmanbek Bakiyev – Kirgiziestan;
Laurent Gbagbo – Ivoorkust ; Lee Myung-bak - Zuid-Korea ; Luiz Inacio Lula Da Silva – Brazilië ;
Ma Ying-jeou – Taiwan ; Mahinda Rajapaksa - Sri Lanka ; Mahmoud Ahmedinejad – Iran ;
Manmohan Singh – India ; Manuel Zelaya – Honduras ; Martin Torrijos – Panama ; Mauricio Funes El Salvador ; Meles Zenawi – Ethiopië ; Michelle Bachelet – Chili ; Mikheil Saakashvili – Georgië ;
Muammar Qaddafi – Libië ; Mwai Kibaki – Kenia ; Nedzad Brankovic - Bosnië-Herzegovina ;
Nicolas Sarkozy – Frankrijk ; Nong Duc Manh – Vietnam ; Nouri al-Malaki – Irak ; Nursultan
Nazarbayev – Kazachstan ; Omar al-Bashir – Soedan ; Oscar Arias - Costa Rica ; Paul Kagame –
Rwanda ; Prachanda – Nepal ; Rafael Correa – Ecuador ; Raul Castro – Cuba ; Recep Tayyip Erdogan
– Turkije ; Rene Preval – Haïti ; Robert Mugabe – Zimbabwe ; Sali Berisha – Albanië ; Sheik Hasina ;
Wajed – Bangladesh ; Silvio Berlusconi – Italië ; Stjepan Mesic – Kroatië ; Susilo Bambang ;
Yudhoyono – Indonesië ; Tabare Vazquez – Uruguay ; Taro Aso – Japan ; Than Shwe – Birma ;
Umaru Yar'Adua – Nigeria ; Vladimir Putin – Rusland ; Yousaf Raza Gillani – Pakistan ; Yoweri
Museveni – Oeganda.
Du 8.2.2013 jusqu‟à 8.3.2013 le NSA a capté mondialement 124,8 milliard de data
téléphoniques et 97,1 milliard de data d‟ordinateurs.
Etcetera, etecetera…
Le service secret GCHQ (Government Communications Headquarters) du Royaume Uni a
oblige les sept exploiteurs (British Telecom, Verizon Business, Vodafone Cable, Global
Crossing, Level 3, Viatel et Interoute) des 200 câbles de fibre par lesquelles passent toutes les
communications de l‟île britannique vers le monde, de collaborer avec lui pour intercepter des
communications. En 2012 600 millions de communications par jour ont été traités par cette
intervention.
Comme Timothy Garton Ash, historien britannique dit : „Que les gouvernements s’espionnent
entre eux c’est pas le grand drame. Ce sont ces multiples forces qui espionnent les citoyens
normales qu’on doit prendre en garde‟. Je suis d‟accord avec ce point de vue.
Ou comme Edward Snowden explique dans son speech du 17 décembre 2013 : „Ces
programmes n’ont rien à faire avec le terrorisme : ils ont comme but l’espionnage
économique, le contrôle social et la manipulation diplomatique. Ils concernent le pouvoir.‟1
Le développement rapide de l’Union Européenne a eu une influence décisive pour
réaliser des lois, pratiques et institutions dangereuses pour la démocratie.
A côté de la technologie digitale et de la guerre contre le terrorisme, il y a un troisième
facteur important en ce qui concerne l‟expansion du contrôle sur tout et tout le monde :
l‟Union européenne. Cette dernière a construit (de manière presque inaperçue) une structure
„These programs were never about terrorism : they‟re about economic spying, social control,
and diplomatic manipulation. They‟re about power.‟
1
3
de sécurité complexe et non contrôlée : Europol et Eurojust, les gardes-frontières
de Frontex, des concepts e-border, des projets coûteux dans la recherche de sécurité
et le Collège européen de police. Le pouvoir exécutif (la Commission et le Conseil) a
acquis, au sein de l‟Union, une position dominante au détriment du Parlement et du
pouvoir judiciaire. La séparation des pouvoirs s‟en trouve affectée. Les mises en garde des
avocats et de la société civile sont à peine entendus.
La rhétorique de l‟Union sur les Droits de l‟Homme se situe souvent en totale contradiction
avec la pratique.
Après 9/11 l‟Union Européenne a obligé les 28 pays qui sont membres de l‟Union
Européenne de voter différentes lois d‟exception comme des lois très larges pour punir le
terrorisme (mais qui ont un tel ampleur qu‟aussi des activités des syndicalistes ou
d‟opposition démocratiques sont visés), des lois qui obligent les providers de l‟internet et les
sociétés du télécommunication de conserver tous les communications par internet et téléphone
de tous les 500 citoyens européennes pendant un à deux ans et de les mettre à disposition de la
sécurité d‟état et des services d‟investigations de crimes. Le présomption d‟innocence des
citoyens n‟a plus de valeur. Heureusement à la suite des protestions de citoyens dans quelques
payes de l‟Union Européenne (Allemagne, Roumanie, Tsjechië, Cypres…) les Cours
constitutionnelles en peut-être aussi la Cour de Justice de l‟Union Européenne à Luxembourg,
annulent ces lois dangereuses qui permettent les états une ingérence sans précédent dans la vie
privé des citoyens.
Entre-temps, la crise économique sévit et fait de nombreuses victimes. La population
proteste car elle ne veut pas payer pour une crise qu‟elle n‟a pas créée et désire des
ajustements en faveur de la justice sociale. Aussi cette contestation se heurte à l‟œil vigilant
de Big Brother.
Protéger la vie privée pour garder les libertés et droits fondamentales.
“Les individus doivent être protégés des intrusions dans leur vie privée. Il est urgent
que les principes de l’Etat de droit soient réaffirmés dans ce domaine.” Tels sont
les propos de Thomas Hammarberg, alors Commissaire aux Droits de l‟Homme du
Conseil de l‟Europe. Répondre à cet appel est, pour moi, également une affaire de
probité professionnelle. Il doit y avoir des changements démocratiques. La protection du
privacy est aussi important pour l‟exercice les autres libertés et droits fondamentales comme
la liberté d‟expression, la liberté d‟organisation et de réunion, la liberté de religion, la liberté
de presse.
C‟est la raison pour laquelle j‟ai rédigé une Charte européenne pour la protection des droits
fondamentaux et de la vie privée que vous pouvez retrouver en français, anglais,
allemand, espagnol et néerlandais.
Le Charte reprend les acquis progressifs du droit international du siècle passé et
ouvre, simultanément, une perspective politique d‟opposition aux développements
néfastes. Car les avocats, les juristes en la société civile ne peuvent pas rester un spectateur
passif. Pour ne pas qu‟il en soit ainsi, il est autorisée à faire pleinement usage des
technologies de communication modernes. Car cela doit être entendu en tous lieux.
4

Documents pareils