Un lutteur en or, né à Camembert…

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Un lutteur en or, né à Camembert…
Un lutteur en or, né à Camembert…
Au printemps 1954, à Argentan rue Aristide Briand, la station de monte des Haras Nationaux, propriété du
sellier-harnacheur Roland Chauvin, était occupée, comme chaque printemps, par le dépôt d’étalons du Haras
du Pin. Elle était dirigée par le garde Crétienne, Chef de Station.
Chaque année le détachement arrivait à la mi-février et repartait début juillet. Cette année là, l’effectif était
composé de trois étalons ( ils étaient sept en 1934 ) : les demi-sang Granval et Emeric côtoyaient le pur sang
Furioso.
A la fin de cette saison, le nombre de juments saillies dans
cette station était de 111, dont 50 pour Emeric, 40 pour
Furioso et 21 pour Granval.
Furioso, Pur Sang Anglais, avait été acheté en 1946 en
Angleterre par les inspecteurs des Haras Nationaux, au vu de
ses origines et de son modèle, pour essayer d’améliorer, par
le croisement, la race normande de chevaux promis au sport
équestres en pleine évolution. Outre Manche, sa brève
carrière en courses avait été des plus discrètes, sans
victoires ni gloire.
Au début de cette année 1954, sous les pommiers fleuris du domaine de La Foucaudière à Camembert,
propriété de la famille Martin, on préparait la jument Bellone pour l’emmener à la saillie de Furioso. Cet étalon
des Haras Nationaux, stationné à Argentan chaque année depuis 1946 ( sauf en 1950 ) pointait une jeune et
prometteuse réputation de bon reproducteur. Ses premiers produits étaient reconnus élégants, costauds et
sportifs. De plus, Argentan était la plus proche des stations ayant un étalon Pur Sang, ce qui n’était pas le cas
à la station de Vimoutiers avec ses trois étalons Neufbourg, Agréable et Gracieux aux ordres du garde Lennon.
Bellone était une jument, dites de demi-sang normand. Son père,
l’étalon trotteur Obok était issu d’une grande lignée dans laquelle on
trouvait les chefs de race du Pin qu’étaient, dans les toutes premières
années du XXè Siècles, Fuschia ( quatre fois présent parmi ses aïeuls
), Azur, Intermède et Bémécourt., Quant à la mère de Bellone, elle était
d’origine inconnue comme toutes les bonnes « carrioleuses » ou
« limonières » locales du Pays d’Auge à cette époque.
De cette union ( Furioso X Bellone ) naquit difficilement, au printemps 1955, un très beau poulain AngloNormand de robe baie brune. Il fut baptisé Lutteur (la lettre « L » devait débuter tous les noms des chevaux nés
cette année là ). L’administration des Haras ajouta, sur son certificat d’origine, la lettre B car un autre Lutteur
était né avant lui en ce même printemps. En septembre 1955, lors du concours de poulinières d’Argentan,
Lutteur B fut repéré par Monsieur Alfred Lefèvre, le réputé marchand de chevaux et étalonnier du pays. En
quelques instants, l’affaire fut conclue et dès son sevrage le poulain fut livré à Falaise.
Alfred Lefèvre envisageait et espérait en faire un étalon qui, à l’âge de trois ans, aurait pu intéresser les Haras
Nationaux. Las, l’évolution du poulain ne semblait pas convaincre les quelques professionnels consultés. Quant
aux inspecteurs des Haras Nationaux et les directeurs des dépôts d’étalons de Saint Lô et du Pin, ils trouvaient
les origines de sa mère un peu « creuses » !
Monsieur Lefèvre se résigna donc à faire castrer Lutteur B et le vendit au Marquis de Contades. Celui-ci le
confia pour son dressage au lieutenant Durant, sous-écuyer à l’Ecole de Cavalerie de Saumur.
Le cheval, bien que prometteur, présentait un tempérament
quelque peu délicat. Il fut alors acheté par Madame
Florence du Chaffaut qui le sortit en compétition avant de
le revendre, au printemps 1964, à Monsieur Pierre
Jonquères d’Oriola. Ce dernier l’avait repéré, à plusieurs
reprises, sur les terrains de concours hippiques comme
pouvant courir de très grosses épreuves, voire même les
Jeux Olympiques.
Ce qui était un rêve du non moins délicat Catalan se
réalisa ! Le couple sera effectivement présent aux Jeux
Olympiques de Tokyo et lors de l’ultime jours de
compétition de ces JO, le dimanche 24 octobre 1964, le
couple remportera la médaille d’or individuelle de Sauts d’Obstacles ( seule médaille d’or française aux JO 1964
de Tokyo ) et la médaille d’argent par équipe. En 1965 le même couple battra tous les records de gains en
Concours Hippiques en remportant, notamment, le célèbre Derby international de La Baule.
A quelques mois des Jeux Olympiques de 1968 à Mexico où Lutteur B était grand favori, lors d’une promenade
sur les terres de son propriétaire, il fut attaqué par un étalon jaloux échappé de son paddock. De nombreuses
blessures dont une sale fracture ouverte sous le jarret gauche imposa son euthanasie.
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Pierre Jonquères d’Oriola, Catalan d’origine et de renom était né le 1 février 1920 dans les Pyrénées
Orientales. Il exploita toute sa vie durant le vignoble familial situé dans son village de Corneilla-del-Vercol.
L’équitation sportive de haut niveau était son loisir. Par ailleurs, Il aimait jouer au rugby au poste de trois-quarts
aile et son cousin Christian d’Oriola était un brillant escrimeur.
Pierrot, comme aimait à le surnommer ses amis cavaliers, est décédé le mardi 19 juillet 2011 à l’âge de 91 ans
sur ses terres de Corneilla-del-Vercol. Outre le fait qu’Il fut le cavalier le plus titré aux jeux olympiques en Sauts
d’Obstacles ( cinq participations et deux fois champion olympique individuel en 1952 et 1964 ), il fut également
Champion du Monde individuel à Buenos Aires en 1966 avec Pomone B, également fille du célèbre étalon
national Furioso. Pomone B terminera sa carrière comme poulinière à la jumenterie du Haras du Pin, à
quelques kilomètres de Camembert.
En Catalogne, la famille d’Oriola exploite toujours le domaine familial. Elle y propose des chambres d’hôtes dont
l’une d’entre elles porte le nom de LUTTEUR B.
Tanneguy de SAINTE MARIE
Haras national du Pin
Mars 2013